Du contrat social (Édition Beaulavon 1903)/Introduction I

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)
Société nouvelle de librairie et d’édition (p. 7-55).


CHAPITRE I

Le système du Contrat social


§ i. — L’esprit et la méthode

« Je cherche le droit et la raison, et ne dispute pas des faits. » (Ms. de Genève, I, v ; éd. Dreyfus-Br., p. 262).


Le Contrat social a pour sous-titre : Principes du Droit politique. Si Rousseau n’a pas tout d’abord expliqué le sens de cette expression, il a du moins, dans de nombreux passages parfaitement concordants[1], défini précisément l’objet qu’il se proposait. Voici comment débute le premier chapitre du Contrat : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers… Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question[2]. » Il répète plusieurs fois que les clauses du pacte social n’ont « peut-être jamais été formellement énoncées[3] ». Quand bien même elles l’auraient été, quand le contrat aurait eu une réalité historique, ce n’est pas ce fait, en tant que tel, qui aurait fondé le droit, mais seulement la raison nécessaire dont ce fait aurait été l’expression contingente [4] ; car il ne s’agit pas de savoir ce qui est ou ce qui a été, mais seulement « ce qui doit être [5] ». Il est donc bien clair que le problème étudié par Rousseau dans le Contrat social n’est nullement un problème historique.

D’où vient donc que tant de critiques aient imité Voltaire [6] et reproché à Rousseau d’avoir fondé son système sur une « erreur de fait », sur une « chimère » n’ayant jamais existé ? — En grande partie, je crois, de ce qu’on a voulu voir dans le Contrat social une suite du Discours sur l’origine de l’inégalité et de ce qu’on a méconnu la différence profonde des problèmes posés dans les deux ouvrages, ce qui condamnait d’ailleurs à ne plus comprendre la différence de leurs solutions. Il s’agit dans le Discours, comme le titre l’indique, d’une question d’origine, par suite, d’une question de fait ; Rousseau prétend d’ailleurs la résoudre par le raisonnement a priori et par une construction de l’imagination ; il ne se pique point d’exactitude historique ; la simple vraisemblance lui suffit, car il tient beaucoup moins à reconstituer des faits réels qu’à distinguer « l’homme de la nature et l’homme de l’homme » et à montrer ce que la vie sociale a ajouter d’inégalités factices aux inégalités primitives. L’esprit et la méthode du Discours ne sont donc pas réellement historiques : mais Rousseau, pour expliquer ses idées, n’en avait pas moins donné à son ouvrage une forme historique, et il s’est par là même exposé à des critiques très fondées. Mais, dans le Contrat, il s’agit d’un tout autre objet et Rousseau y déclare précisément « ignorer » comment s’est faite cette évolution qu’il retraçait dans le Discours : ce n’est donc pas sur des événements, réels ou hypothétiques, qu’il compte s’appuyer.

Ce n’est pas davantage sur l’histoire des doctrines, des lois ou des institutions : il ne traite pas du droit positif. Rousseau saisit chaque occasion de déclarer que, s’il se rencontre parfois avec Montesquieu dans l’étude des mêmes questions, pourtant le Contrat social diffère radicalement, par l’objet et par la méthode, de l’Esprit des Lois : Montesquieu, dit le précepteur d’Émile, « n’eut garde de traiter des principes du droit politique ; il se contenta de traiter du droit positif des gouvernements établis ; et rien au monde n’est plus différent que ces deux études[7]) ».

Le problème posé dans le Contrat social est aussi abstrait, théorique et général qu’il est possible : il s’agit de déterminer à quelles conditions une société peut exister légitimement, c’est-à dire en respectant le droit naturel et la raison. L’homme est « né libre » ; la société lui impose des contraintes multiples, « des fers » : y a-t-il quelque principe rationnel qui puisse justifier cet état, enlever à cet esclavage ce qu’il a de déshonorant et concilier avec ce qu’on se doit à soi-même ce qu’on doit à la société ? Il s’agit donc uniquement de justifier en droit absolu et devant la raison la possibilité de l’État.

C’est en effet par la morale que Rousseau a été amené à la politique. C’est en constatant les maux qu’entraîne la vie sociale qu’il en est venu à rechercher si ces maux étaient nécessaires, ou si au contraire il ne pourrait pas exister une organisation politique conforme au droit et à la raison. Le Contrat est ainsi le complément logique des deux Discours et de la Lettre à d’Alembert : si la société ne corrompait pas si gravement la nature, il serait moins nécessaire de la réformer. « J’avais vu, dit Rousseau dans les Confessions, que tout tenait radicalement à la politique et que, de quelque façon qu’on s’y prît, aucun peuple ne serait que ce que la nature de son gouvernement le ferait être. Ainsi cette grande question du meilleur gouvernement possible me paraissait se réduire à celle-ci : quelle est la nature du gouvernement propre à former le peuple le plus vertueux,… le meilleur, enfin…[8]. »

Le caractère abstrait et théorique de la question qu’étudie le Contrat social est donc bien loin d’enlever à l’ouvrage son intérêt pratique. Rousseau était l’homme du monde le plus incapable de ne viser qu’à construire un système purement spéculatif. Si le pacte social n’est pas une réalité historique et ne tire pas des faits son autorité et sa valeur, il peut et il doit agir sur les faits, à titre d’idéal. Le contrat n’est pas du passé, mais il peut être de l’avenir. Rousseau s’est souvent défendu d’avoir eu des intentions révolutionnaires[9] : il croyait assurément les grands États de l’Europe moderne trop profondément corrompus et trop mal constitués pour qu’ils pussent jamais se modeler sur l’idéal qu’il avait tracé, et dont il ne se dissimulait pas les difficultés de réalisation. Pourtant, quand il écrivit le Contrat social, il croyait fermement que ses théories étaient applicables tout au moins aux petits États, pourvu qu’elles fussent accommodées aux faits et qu’on rencontrât un concours de circonstances favorables ; son projet de constitution pour la Pologne[10], ses lettres à {{M.|Butta-Foco[11] et surtout le curieux projet de constitution pour la Corse[12] prouvent que le Contrat lui semblait réalisable, non seulement dans son esprit, mais parfois dans sa lettre[13]. En tout cas, consciemment ou inconsciemment, il a bien proposé aux hommes un idéal révolutionnaire : c’est ainsi qu’il a été compris dès l’abord par tout le monde et l’on sait quelle en fut par la suite l’extraordinaire influence. En déterminant les conditions universelles et nécessaires d’un État fondé sur le droit naturel, il montrait de quels principes on devait s’inspirer pour introduire dans l’État la liberté et la justice.

Le problème du Contrat en détermine nécessairement la méthode. Cette méthode ne peut être l’expérience, car comment l’étude des faits pourrait-elle prouver le droit ? Sans doute, il y a eu de bons et de mauvais gouvernements, mais le meilleur de tous n’était tel que parce qu’il remplissait les conditions nécessaires de toute bonne organisation sociale. « Ce qui est bien et conforme à l’ordre est tel par la nature des choses et indépendamment des conventions humaines[14]. » C’est donc le raisonnement a priori qui peut seul démontrer ce que doit être l’État : il faut déduire la politique, en la rattachant à des principes qui en fassent comprendre la légitimité. Peut-être, dans les deux derniers livres du Contrat, Rousseau a-t-il étendu cette méthode à des problèmes pratiques où elle était insuffisante. Mais, pour établir les principes du droit politique, la méthode a priori était seule légitime et seule possible[15]. Reprocher à Rousseau d'avoir fait « de la métaphysique » et de ne pas s'être appuyé sur les laits, c'est méconnaître l'objet même qu'il se proposait.

Déterminer a priori les conditions d'existence de toute société rationnellement organisée d'après les prin- cipes du droit naturel, tel est donc le but du Contrat social. On voit que la méthode de l'ouvrage est logique- ment exigée par le problème posé et que c'est là, comme le disait Rousseau lui-même, un problème « pour tous les temps (*) », le plus haut et le plus important qui se puisse concevoir. Il reste à étudier comment ce programme a été rempli et d'abord à établir les principes du droit naturel dont se déduit toute la théorie de l'État.

§ 2. — L'ÉTAT DE NATURE ET LE DROIT NATUREL

« Voici, dans mes vieilles idées, le grand problème en politique.... : trouver une forme de gouvernement qui mette la loi au dessus de l'homme. » (Lettre au Marquis de Mira- beau, 26 juillet 1767.)

Montesquieu, dans V Esprit des Lois, avait pris pour point de départ les lois positives et il avait cherché à déterminer les conditions physiques, sociales et psycho- logiques qu'impliquait nécessairement chacune d'elles ; c'est ainsi qu'il donnait respectivement pour principes à la démocratie, à la monarchie et au despotisme trois sentiments, la vertu, l'honneur et la crainte : partant des lois, il cherchait donc ce que l'homme devait être pour s'y accommoder. Rousseau renverse la méthode : il veut prendre « les hommes tels qu'ils sont et les lois telles qu'elles peuvent être (-) ». Les données, invaria-

l'étend de la détermination des fins de la vie sociale, pour laquelle elle est souveraine, à la détermination des moyens, pour laquelle elle est souverainement impropre. »

(') Lettre à Rey, 7 nov. 1761.

(?) C. s., av. -propos. INTRODUCTION l3

blés et fixes, du problème doivent être fournies par l'étude, non des lois, mais de l'homme, de sa constitution physique et morale et des conditions d'existence que lui impose la nature.

Si l'on veut connaître l'homme véritable, il faut le considérer à l'état de nature : c'est là le postulat commun de toutes les œuvres de Rousseau. Qu'est-ce donc que ce fameux état de nature et quels moyens avons-nous de le reconstituer ?

L'état de nature est « un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais... ( 1 ) », mais « tant que nous ne connaîtrons point l'homme naturel, c'est en vain que nous voudrons déterminer la loi qu'il a reçue ou celle qui convient le mieux à sa constitution ( 2 ) ». Il ne s'agit donc pas d'un état vraiment primitif, mais d'une sorte d'abstraction destinée «à nous faire connaître la nature de l'homme ramenée à ses éléments essentiels-. « Il ne faut pas pren- dre les recherches dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet pour des vérités historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels, plus propres à éclaircir la nature des choses qu'à nous en montrer la véritable origine et semblables à ceux que font tous les jours nos physiciens sur la formation du monde ( 3 ). » Essayons donc d'écarter par la pensée tout ce que la vie sociale a fait naître en l'homme de passions, de besoins et de facultés factices, que l'habi- tude peut modifier et même à la rigueur détruire puis- qu'elle a pu les engendrer, et qui, n'étant pas absolu- ment nécessaires à la vie, ne sont pas naturels, et nous trouverons l'état de nature. La nature, c'est en somme ce que la raison nous fait concevoir comme nécessaire.

En cet état, l'homme est guidé par des instincts ou

f 1 ) Disc, sur l'orig. de l'inég., préf., p. 220.

(-) Ibid., p. 223.

( 3 ) Ibid., préambule, p. 230.

�� � l4 INTRODUCTION

sentiments naturels, qui sont « gravés dans le cœur de l'homme en caractères ineffaçables (') » et qui sponta- nément le poussent vers les fins dont la réalisation est nécessaire pour la conservation de la vie. Ces principes naturels sont au nombre de deux, l'instinct de conser- vation ou l'égoïsme, jet la sympathie, si l'on en croit la Préface du Discours sur Vinégalité ( 2 ) ; dans le Contrat, il n'est plus question que du premier, qui est en tous cas le plus important : « Sa première loi (de l'homme) est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu'il se doit à lui-même. . . ( 3 ) ». Mais si ces prin- cipes sont tout d'abord « des inclinations de la nature ( 4 ) » et tirent de là leur puissance, la raison en reconnaît plus tard la nécessité et par suite la légitimité ; l'homme en fait ou doit en faire les règles réfléchies de sa conduite ; il les érige en « loi naturelle. » C'est de là que découlent «toutes les règles du droit naturel ( 5 ) ». Ainsi se justifie le droit fondamental de l'homme à la liberté. L'homme comprend qu'il a droit à la vie, qu'il est « juge des moyens propres à la conserver » et par suite « son propre maître ( 6 ) ».

Jusqu'où s'étend cette liberté naturelle? 11 ne faut pas croire qu'elle soit sans limites : selon Rousseau, il y a toujours bien de la différence entre la liberté et l'indépendance ( 7 ). Comment pourrait-il être question pour l'homme d'indépendance absolue, puisqu'il vit dans un univers régi par des lois inflexibles et parmi d'autres hommes, ses semblables? S'il prétendait se conduire

l 1 ) Ms. de Neufchâtel, éd. Dreyfus-Br., p. 305.

( 2 ) P. 223.

( 3 ) C. s., I, n.

( 4 ) Emile, V, p. 2i4. ( 5 > Disc, préf., p. 223.

( 6 ) C. s., I. n.

( 7 ) 8 e Lettre de la Montagne, p. 437 : « Ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement ». Cf. Emile, II et C. s., I, vm.

�� � INTRODUCTION l5

sans règle et sans loi, au hasard de ses caprices, il se heurterait bien vite à ces deux sortes d'obstacles, et il comprendrait la nécessité de soumettre à la raison ses impulsions naturelles. Mais les obstacles qui viennent des choses ne ressemblent pas aux obstacles qui viennent des hommes : si les uns et les autres détruisent l'indépendance, les derniers seuls détruisent la liberté. « Il y a deux sortes de dépendances : celle des choses, qui est de la nature; celle des hommes, qui est de la société. La dépendance des choses, n'ayant aucune moralité, ne nuit point à la liberté et n'engendre point de vices ; la dépendance des hommes, étant désordonnée, les engendre tous, et c'est par elle que le maître et l'esclave se dépravent mutuellement (*). » Les forces naturelles ne sont point en effet des volontés poursui- vant des fins déterminées et assujettissant l'homme à leurs caprices ; elles ont au contraire pour caractères l'ordre, l'uniformité et la nécessité : l'homme peut donc leur obéir sans devenir esclave; en conformant sa volonVé à l'ordre du monde, il reste libre de travailler, dans les limites que lui impose la nature des choses, à réaliser ses Ans propres, sa conservation et son bonheur. La volonté humaine, guidée par la raison et soumise à l'ordre universel, voilà donc la liberté naturelle.

Mais les rapports des hommes entre eux ne se laissent pas régler aussi facilement. Sans doute, si les hommes, exempts de passions et de vices, savaient se contenter d'une vie frugale et paisible, s'ils suivaient ce penchant à la sympathie dont la nature a mis le germe dans leur cœur et qui s'accorde si bien avec leur intérêt, ils pourraient vivre côte à. côte sans dépen- dre les uns des autres. L'inégalité naturelle qu'établit nécessairement entre eux la diversité des tempéraments, des forces et des intelligences aurait fort peu d'impor-

(M Emile, II, p. 117.

�� � l6 INTRODUCTION

tance dans la simplicité de la vie selon la nature : tous du moins seraient également libres. Mais nous savons qu'en fait il n'en est pas ainsi. Les passions et les vices mettent les hommes en conflit ; la vie sociale amène une inégalité nouvelle, excessive et douloureuse. Or, si l'homme pouvait rester libre en cédant à des lois uni- verselles et inflexibles, il devient nécessairement esclave, et souffre de sa sujétion, lorsqu'il doit obéir à des maîtres capricieux et volontaires qui l'utilisent comme un instrument en vue de fins qui lui sont étran- gères . Ainsi s'établit ce régime d'iniquité et de violence dont le Discours sur l'inégalité nous a retracé la genèse. Les hommes, qui avaient tous un droit naturel égal à la liberté et presque des facultés égales pour l'exercer, se trouvent, par le fait de la société, privés de leur liberté et livrés à tous les maux de la plus criante inégalité.

La société a donc entraîné, en fait, la destruction de l'état de nature et a privé l'homme de ses droits natu- rels. Mais ce fait était-il nécessaire? Ne peut-on ima- g iner une organisation sociale, non plus fondée sur les passions et sur la violence, mais réglée par la raison, et précisément destinée à assurer efficacement la réalisa- tion des fins de l'état naturel? Ce sont les vices des hommes qui rendent Forganisation sociale nécessaire (*), mais celle-ci ne peut-elle, au lieu de se laire la complice de la force et de l'inégalité, assurer au contraire la liberté et l'égalité ? « C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité, dit très fortement Rousseau ( 2 ), que la force de la législa- tion doit toujours tendre à la maintenir. »

On voit donc se poser maintenant sous une forme précise le problème du Contrat social : à quelles condi- tions une société humaine peut-elle exister, sans détruire la liberté et l'égalité naturelles, mais au contraire en

(*) Lettre à M. Ustéri, 15 juillet 1763. ( 2 ) C. s., II, xi.

�� � INTRODUCTION 1 7

leur donnant une extension et des garanties qu'elles ne sauraient avoir, en fait, avant l'organisation de l'Etat? Ou, comme le dit Rousseau, il s'agit de « trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant (') ».

C'est donc bien l'état de nature qui détermine les données duj problème social, car c'est à l'imitation de la nature et conformément au droit naturel que la raison doit organiser l'État ( 2 ). La liberté et l'égalité civiles devront ressembler — autant que possible et sous réserve des changements nécessaires — à la liberté et à l'égalité naturelles. La liberté civile ne sera pas le pouvoir de tout faire, mais le pouvoir de faire tout ce qui sera permis par la loi civile. L'égalité civile ne sera pas l'identité absolue des conditions, mais elle devra mettre tous les hommes également en état d'exercer les droits qui leur seront reconnus par la loi. Et la loi civile elle- même devra avoir un -caractère absolument imperson- nel, universel et nécessaire, de telle façon que tous se feintent égaux devant elle et lui obéissent en hommes libres, comme on obéit à une force de la nature ou à un ordre de la raison. « S'il y a quelque moyen de remédier à ce mal (la dépendance des hommes) dans la société, c'est de substituer la loi à l'homme, et d'armer les volontés générales d'une force réelle , supérieure à l'action de toute volonté particulière. Si les lois des nations pouvaient avoir, comme celles de la nature, une

(M C. s., I, vi.

(-) Cf. ce fragment relatif à la Corse : « Noble peuple, je ne veux point vous donner des lois artificielles et systématiques, inventées par des hommes, mais vous ramener sous les seules lois de la nature et de l'ordre, qui commandent aux cœurs et ne tyrannisent point les volontés. » (Œuv. et corresp. incd., éd. Streckeisen-Moultou, p. 127).

�� � l8 INTRODUCTION

inflexibilité que jamais aucune force humaine ne pût vaincre, la dépendance des hommes redeviendrait alors celle des choses ; on réunirait dans la république tous les avantages de Vètat naturel à ceux de Vétat civil.... (*) » Il faut donc imaginer une société où « la loi soit au- dessus de l'homme (-) », où les hommes lui obéissent absolument et n'obéissent qu'à elle, et retrouvent, en passant de l'état naturel à l'état social, « l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a ( 3 ) ».

Comment un tel problème peut-il être résolu ? N'est- il pas contradictoire de prétendre conserver dans une société, qui suppose nécessairement l'autorité, les biens

(!) Emile, II, p. 117.

( 2 ) Lettre auM u de Mirabeau, citée plus haut.

( 3 ) C. s.,I,vi. — On voit que la contradiction souvent signalée entre le Discours sttr l'inégalité et le Contrat social n'est pas réelle/. Les deux ouvrages ne se placent pas au même point de vuerTun étudie le fait, c'est-à-dire la corruption de l'état de nature qu'a entraînée pour les hommes la vie sociale ; l'autre étudie le droit, c'est-à-dire la possibilité d'organiser une société où soient conservés et accrus les biens de l'étal de nature. Rous- seau a donc pu se montrer, dan9 le premier ouvrage, aussi sévère à l'égard de la société, qu'il est enthousiaste dans le second. C'est ce qu'a très bien vu et exprimé Kant, en se plaçant à un point de vue un peu différent : « On peut mettre d'accord entre elles et avec la raison les assertions souvent mal comprises et en appa- rence contradictoires de l'illustre J.-J. Rousseau. Dans ses écrits sur Y Influence des sciences et sur l' Inégalité des hommes/û mon- tre très justement l'inévitable conflit de la culture avec la nature du genre humain, considéré comme espèce animale....', mais, dans son Emile, son Contrat social et d'autres écrits, il cherche en retour à résoudre le difficile problème que voici : comment la culture doit se poursuivre pour développer les dispositions de l'humanité, en tant qu'espèce morale, dans le sens de leur desti- nation, de telle sorte que l'humanité, comme espèce morale, ne soit plus en opposition avec l'humanité comme espèce natu- relle... » (Muthmasslicher Anfang der Menschengeschichte (1786), éd. Hartenstein, IV, p. 322, cité par Delbos, Essai sur la formation de la morale de Kant, p. 123).

�� � INTRODUCTION lO,

de l'état de nature, dont le premier est la liberté? « Par quel art inconcevable a-t-on pu trouver le moyen d'assujettir les hommes pour les rendre libres? ( l ) » La théorie du pacte social est la réponse à cette question.

��§ 3. —♦Le contrat social

« Corses, faites silence : je vais parler au nom de tous. Que ceux qui ne conseil iront pas s'éloignent, et que ceux qui consentent lèvent la main !....» (Œuv. et coït, inèd., frag., p. 116).

« Puisque aucun homme n'a une autorité naturelle sur son semblable et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes ( 2 ). » En effet, nulle autre solution n'apparaît possible. Celle-ci seule peut concilier la liberté naturelle de l'homme avec l'autorité nécessaire à l'Etat, en substituant à la première la liberté civile.

Plus encore que la liberté naturelle, la liberté civile diffère de l'entière indépendance. La première était limitée par la raison, la seconde l'est en plus par la loi. Pour que cette loi ne détruise pas la liberté de l'individu, il faut qu'elle ait sa source dans la volonté même de cet individu et qu'en lui obéissant, il obéisse à sa propre raison. Ainsi, la liberté civile rejoindra la liberté naturelle. « L'homme vraiment libre, lit-on dans Emile ('), ne veut que ce qu'il peut et fait ce qu'il lui plaît. Voilà ma maxime fondamentale. » De ce principe, Rousseau tire, dans le Contrat (')> cette conséquence catégorique :

(*) Économie politique, p. 402.

(-) C\ s., I. iv.

( ;i ) Emile, II, p. 114.

( 4 ) C. s., I, vin. Il s'agit, il est vrai, ici, de la liberté morale,

�� � 20 INTRODUCTION

« l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté ». Si l'unique autorité sociale est la loi, si cette loi tire . toute sa puissance du libre consentement des individus eux-mêmes, la soumission à la loi ne sera plus dépen- dance et sujétion, mais liberté. 11 faut donc que l'Etat sorte, par une libre convention, de la libre volonté des citoyens : il ne peut être légitime qu'à ce prix. Les prin- cipes du droit naturel conduisent nécessairement à la théorie du contrat.

Quelles seront les stipulations de cette convention fondamentale ? — Il ne faut pas se tromper, comme on l'a fait souvent, sur le sens de ce mot convention : il implique bien que l'Etat est quelque chose d'artificiel, puisqu'il résulte — en tant qu'il est légitime — de la volonté réfléchie des hommes, mais les caractères de d'État ne sont pas pour cela arbitraires. Au contraire, les clauses du contrat social résultent nécessairement delà nature de l'homme, et dès que notre raison conçoit ce que c'est qu'un Etat légitime, les termes du pacte sont déterminés. « Les clauses de ce contrat sont telle- ment déterminées par la nature de l'acte que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet; en sorte que, bien qu'elles n'aient peut-être été jamais formelle- ment énoncées, elles sont partout les mêmes... ( 1 ). » C'est ce caractère nécessaire qui donne au pacte social sa valeur morale : ce n'est pas en tant que fait qu'il nous oblige, mais en tant qu'il résulte de la nature des choses et se fonde, par conséquent, sur la raison. Dans toute société légitime, en effet, l'objet du pacte est le même : il s'agit de concilier la liberté et l'autorité ; et les principes du droit naturel sont partout les mêmes. La raison détermine donc nécessairement les termes du contrat.

mais cette formule — tout à fait kantienne d'ailleurs — convient aussi à la liberté civile. (*) C. s., I, vi.

�� � INTRODUCTION 2t

(( Ces clauses, bien entendues, se réduisent toutes à une seule, savoir : l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté (*)• » D'où la fameuse formule que l'on trouve, presque dans les mêmes termes, dans le Ms. de Ge/2èp<?( 2 ),dans l' Emile ( 3 ) et dans le Contrat : « Chacun de nous met en com- mun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout C). »

Ainsi, à la base du contrat, se trouve la volonté libre des individus : sans cela, le contrat serait sans valeur et n'aurait aucun caractère obligatoire. Le but du contrat, c'est aussi la liberté des individus, car la raison d'être de cette convention est uniquement le désir de con- server les biens dont on jouissait dans l'état de nature, et dont le principal est la liberté. Le contrat est donc l'œuvre des individus et il a pour tin les individus : pour principe et pour terme, il a la liberté. Mais le moyen, c'est « l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits' à la communauté ». Il y a là de quoi surprendre. C'est donc la nécessité et l'efficacité de ce moyen qu'il s'agit de démontrer.

Rousseau en donne aussitôt, très brièvement, trois principales raisons.. — Si l'individu doit ainsi se remet- tre tout entier au pouvoir de la communauté, c'est d'abord pour une raison morale, tirée de Yégalité ( 5 ) : chacun se dépouillant totalement, il ne pourra y avoir d'arbitraire ni d'inégalité dans le sacrifice de chacun ; sans doute tous les hommes ne sont pas, au point de vue naturel, absolument égaux, et les uns apportent au

n c. s., i,vi.

( 2 ) I, in.

( 3 ) V, p. 478.

( 4 ) C. s. y 1, vi.

(*) Ibid.

�� � 22 INTRODUCTION

tas commun un peu plus que les autres, mais leur sacrifice total les met du moins tous sur un pied d'éga- lité parfaite au point de vue social.

Puis, c'est pour une raison sociale, la plus forte de beaucoup (*) . Sans cette renonciation totale de l'indi- vidu à ses droits naturels, le contrat perdrait son utilité et son efficacité et l'on retomberait dans tous les maux de l'état de nature. Si quelque exception était faite en effet, l'homme aurait deux sortes de droits, les uns qu'il tiendrait de la nature et -dont il aurait seul la défense, les autres qu'il tiendrait de la société et que l'Etat se chargerait seul de garantir. A vouloir juxta- poser ainsi dans le même individu un homme de la nature, ne relevant que de sa conscience, et un homme social, ne relevant que de la loi, on enlèverait néces- sairement à l'Etat sa puissance et à l'individu sa liberté ; car, d'une part, l'État se heurterait sans cesse à des résistances qu'il n'aurait aucun moyen légitime de bri- ser, et, d'autre part, il ne pourrait efficacement protéger des droits qu'il n'aurait pas reconnus, sans compter que mille difficultés inextricables naîtraient continuel- lement de l'empiétement de la loi sur la nature ou de la nature sur la loi et qu'on serait sans cesse exposé soit à la tyrannie soit à l'anarchie.

Enfin, c'est pour une autre raison, plus singulière à première vue, et qui est tirée de la liberté : « chacun, se donnant à tous, ne se donne à personne,... on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd et plus de force pour conserver ce qu'on a ( 2 ) ». Ce sacrifice que fait l'indi- vidu de tous ses droits naturels serait donc une opé- ration avantageuse, même au point de vue de la liberté. L'individu, en se donnant tout entier, se trouverait « aussi libre qu'auparavant ». C'est ici la pièce mai-

f 1 ) C. #.,!, vi. Bien peu de critiques, parmi les adversaires de Rousseau, ont pris la peine de discuter ce très solide argument. ( 2 ) Ibid.

�� � INTRODUCTION 23

tresse de tout le système de Rousseau : c'est contre cette proposition paradoxale que se sont acharnés les critiques; c'est pour la justifier que Rousseau a cons- truit sa subtile et profonde théorie de la volonté géné- rale et de la loi.

��§ 4. — L'individu et l'état : la volonté générale

ET LA LOI

« Il se peut qu'ils aient répondu à ce que j'ai dit. mais ils n'ont sûrement pas répondu à ce que j'ai voulu dire... Si donc quel- qu'un se donne la peine de chercher mes vrais sentiments à travers ma mauvaise façon de les dire, il [pourra bien trouver que j'ai tort, mais il ne le trouvera sûrement pas par les raisons de mes adversaires, car elles ne font rien du tout contre moi. » (Œuv. et corr. inéd., pensées détachées, p. 357.)

Toute théorie politique qui admet un contrat social — et l'on verra que cette idée, loin d'avoir été inventée par Rousseau, était au contraire devenue classique avant la fin du xvii* siècle (*) — aboutit nécessairement au pro- blème des droits respectifs de l'individu et de l'État. Si c'est en effet une convention — expresse ou implicite — des citoyens qui fonde la société et confère à l'État sa puissance, on en vient toujours à se demander quelle est, après le pacte, la condition des contractants vis-à- vis des autorités qu'ils ont eux-mêmes instituées. Les individus se sont-ils totalement dépouillés en faveur du « prince ( 2 ) », désormais armé d'une autorité souve- raine ? — telle était, malgré quelques atténuations, la théorie de Hobbes. — Les contractants se sont-ils au contraire réservé des droits individuels, placés en

(*) Voir ci-après, ch. IL

( 2 ) Je prends ce mot au sens de Rousseau, comme désignant le gouvernement, quel qu'il soit. Cf. C. s., III, i.

�� � 24 INTRODUCTION

dehors de l'autorité de l'Etat et plus ou moins solide- ment garantis contre ses empiétements, et n'ont-ils confié au prince qu'une puissance conditionnelle et limitée? — telle était la théorie de la plupart des parti- sans de l'idée de contrat (*), notamment de Locke et de Jurieu. — Laquelle de ces deux solutions adopte Rousseau ? Quelques critiques lui ont attribué la pre- mière, d'autres la seconde, la plupart toutes les deux à la fois, et ils n'ont pas vu que précisément son origi- nalité a consisté à n'adopter ni l'une ni l'autre et à en imaginer une troisième, beaucoup plus compliquée, mais qui seule répondait au problème, tel qu'il l'avait posé. On trouve en effet côte à côte, dans les mômes cha- pitres du Contrat social ( 2 ), l'affirmation des droits naturels et imprescriptibles de l'individu et l'affirmation de la toute-puissance de l'Etat : on pouvait feindre de n'apercevoir que l'une des deux thèses ; mais on a, en général, trouvé plus commode d'en constater la contra- diction et d'accuser tout simplement Rousseau d'avoir complètement manqué de logique ou de sincérité, quel- ques-uns même disent, de logique et de sincérité. Selon l'opinion la plus répandue; Rousseau aurait été presque également séduit par la liberté et par l'autorité ; on nous montre deux hommes en lui, « un publiciste .... prudent et modéré », ami des droits naturels de l'homme, et un « philosophe ... absolu et hautain, hardi et tyrannique », théoricien du despotisme ( 3 ) ; et, pour dissimuler l'incompatibilité des deux principes qu'il avait tour à tour proclamés avec un égal enthousiasme, il se serait abrité derrière un nuage de sophismes absurdes ( 4 ),

(*) Cf. Gierke, Althusius, II, n, p. 105 et suiv.

( 2 ) Notamment, I, vm; II, iv; etc.

( :! ) St-Marc Girardin. J.-J. Rousseau, sa vie et ses ouvrages, t. II, ch. XV, p. 362.

( 4 ) Lamartine, J.-J. Rousseau, son faux Contrat social, etc., p. 93 et passim.

�� � INTRODUCTION 25

incohérents ('), inextricables ( 2 ), où « ni lui ni per- sonne » n'auraient jamais vu clair ( 3 ). — A priori, cette interprétation commode soulève plus d'une diffi- culté : outre qu'elle fait vraiment trop bon marché de l'intelligence ou de la probité intellectuelle de Rousseau, comment expliquer qu'il ait reproduit sans modifica- tions essentielles cette théorie du Contrat dans trois ou quatre ouvrages différents ( 4 ), à des années d'inter- valle, et n'ait jamais manifesté l'intention de la rema- nier ni de l'abandonner ( 5 )? D'autre part, Rousseau lui-même prend soin de signaler la difficulté et met en garde le lecteur trop pressé contre la contradiction qu'on pourrait lui attribuer et qu'il avoue n'avoir pu « éviter dans les termes ( 6 ) ». Enfin l'ouvrage tout entier aboutit si manifestement à cette question capitale que je ne puis comprendre comment Rousseau aurait publié son Contrat social, s'il se trouvait incapable de la résoudre ( 7 ). Mais, en étudiant la théorie même de Rousseau, j'espère montrer qu'en effet la solution

(*) Gierke, ouv. cité, p. 117.

( 2 ) É. Faguet. La politique comparée de Montesquieu, Rous- seau et Voltaire (1902), p. 21.

( 3 ) lbid., p. 20.

(*) Voir ci-dessus, p. 4 et 5.

( 5 ) On pourrait uniquement invoquer le mot attribué à Jean-Jacques par Dusaulx : « Quant à mon Contrat social, ceux qui se vantent de l'entendre tout entier sont plus habiles que moi : c'est un livre à refaire, mais je n'en ai plus la force ni le temps. » (Dusaulx, De mes rapports avec J.-J. Rousseau, 1798, p. 102.) Mais l'ouvrage est écrit longtemps après les faits qu'il rapporte, et très malveillant. Je pense qu'il faut voir dans ce mot, d'une authenticité si douteuse, tout au plus l'expression du regret qu'avait Rousseau de n'avoir pu éviter l'obscurité dans certains passages du Contrat, sentiment dont témoignent par ailleurs des notes mêmes du Contrat et de l'Emile, et le frag- ment cité ci-dessus en épigraphe.

( 6 ) CV>., II, iv, note; Cf., Emile, II, note delà p. 173.

( 7 ) Alors surtout qu'il sacrifiait le reste de ses Institutions politiques.

�� � 26 INTRODUCTION

qu'il apporte — discutable assurément — n'est, du moins, ni incohérente ni contradictoire et au contraire parfaitement logique.

Il s'agit pour Rousseau d'organiser la société selon les principes du droit naturel. L'Etat doit donc répondre à une double condition: il doit faire bénéficier les hom- mes des avantages de l'association et proléger chacun avec toute la puissance sociale, et cependant il ne doit porter aucune atteinte aux droits que l'homme tient de la nature et dont le principal est la liberté, ou du moins, si la liberté civile doit nécessairement différer de la liberté naturelle, elle doit rester égale à celle-ci en quantité,, de sorte que l'homme social soit aussi libre — et plus puissant — que l'homme de la nature. Pour résoudre ce problème, Rousseau propose ce moyen : tous les hommes se dépouilleront de la totalité de leurs droits individuels en faveur d'une personne morale, d'un grand corps collectif, formé par la réunion des individus eux-mêmes et investi par eux d'une souve- raine puissance. Que cette solution réponde à la pre- mière condition, on l'aperçoit aussitôt : la force de l'association atteindra ainsi son maximum et l'Etat tout puissant protégera sans peine les individus les uns contre les autres. Mais ne paiera-t-on pas cette sécurité au prix de la liberté? L'individu, se donnant tout entier, ne sera-t-il point livré sans défense à la tyrannie capricieuse du souverain ? — Non, répond Rousseau, parce que « les actes du souverain ne peuvent être que des actes de volonté générale, des lois (*) ». C'est donc dans la nature même du souverain, dans les conditions morales et logiques auxquelles il est soumis, que réside la garantie de l'individu.

Qu'est-ce que le souverain dans un Etat légitime, c'est-à-dire conforme au droit naturel et à la raison? Ce

(*) Emile, V, p. 482.

�� � INTRODUCTION 2J

« n'est qu'un être collectif (*) », formé par la réunion de tous les individus ; la souveraineté n'est donc que «l'exercice de la volonté générale (*)•». A quelles con- ditions, cette volonté générale pourra-t-elle s'exercer sans détruire la liberté des individus particuliers ?

D'abord, la volonté générale doit être la volonté de tous, et il faut que tous les citoyens soient égale- ment et directement consultés : la souveraineté ne peut être, pour cette raison, ni représentée, ni divisée, ni aliénée ( 3 ). C'est à cette condition seulement que la loi aura un caractère moralement obligatoire pour les individus : il faut qu'en y obéissant ils obéissent à leur propre volonté, car « l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté ( 4 ) ». Lorsqu'il ne peut y avoir accord unanime entre tous les citoyens, on tiendra la volonté de la majorité pour l'expression de la volonté générale, pourvu qu'une convention antérieure ait reconnu et déterminé d'avance la validité de ses décisions. Je puis ne pas vouloir individuellement ce que veut la majorité, mais je dois vouloir du moins que la volonté de la majorité fasse loi : c'est là la volonté commune à la majorité et à la minorité. En somme, directement ou indirectement, il faut toujours s'appuyer sur le consentement unanime des citoyens, qui est essentiel au contrat social : quiconque n'en accepte pas les stipulations s'exclut par là-même du corps social, qui nécessairement ne comprend que les contractants ( 5 ).

Mais si cette condition est nécessaire, elle n'est pas suffisante, car la minorité se trouverait ainsi livrée sans réserve à la majorité. La volonté générale n'est

(') C. s., II, i.

( 2 ) Ibid.

( 3 ) C. s., Il, i et h.

( 4 ) C. s., I, vm.

( 5 ) C s., I, vu.

�� � 28 INTRODUCTION

pas seulement la volonté de tous ( 1 ). Elle s'en distingue par un caractère essentiel : elle doit être générale, non seulement par son sujet, mais aussi par son objet ; elle doit provenir de tous, mais s'appliquer à tous, ou, en termes plus précis, elle ne peut viser qu'à l'intérêt commun et décider que des mesures générales. C'est là une condition absolument nécessaire de l'existence d'un Etat légitime. En effet, la volonté de tous ne saurait créer une loi obligatoire, si chacun n'a songé qu'à ses intérêts particuliers et n'a été consulté que sur une question spéciale. Selon le mot de d'Argenson, que cite à ce propos Rousseau ( 2 ), « chaque intérêt (particulier) a des principes différents » ; Pierre veut ceci pour telle ou telle raison et Paul cela pour telle autre ; de tels avis, n'ayant ni le même objet, ni le même principe, sont rigoureusement incommensurables; on ne peut, de cet amas d'opinions diverses fondées sur des intérêts divers, dégager une volonté générale, et « la volonté de tous. ..n'est qu'une somme de volontés particulières ( 3 / ). » — Pour que la volonté générale puisse être connue et s'impose à notre respect, il faut que la question posée à tous ait été une question d'intérêt commun et que chacun se soit proposé de décider au mieux de l'inté- rêt commun. « Ce qui généralise la volonté est moins le nombre des voix que l'intérêt commun qui les unit (*), » A cette condition seulement, les volontés particulières seront comparables et se laisseront totaliser; comme elles s'inspireront toutes du même principe,, il n'y aura qu'à compter les voix pour et contre telle ou telle décision, pour connaître la volonté générale. A cette

(*) Gif., II, m.

( 2 ) lbid.

( 3 ) lbid. Ce difficile passage a été très bien expliqué par Haymann, «/.-/. Rousseau's Sozialphilosophie (Leipzig, 1898), p. 166 et suiv.

(♦) C. s., II, iv.

�� � INTRODUCTION 29

condition seulement aussi, la décision prise sera morale- ment obligatoire et compatible avec la liberté : car si la volonté de Paul peut engager la volonté de Pierre, ce n'est pas en tant que Paul a des intérêts particuliers distincts de ceux de Pierre, mais en tant qu'ils sont tous les deux associés dans un même corps social, qu'ils pnt par suite des intérêts communs et qu'ils sont tombés d'accord de s'en rapporter au compte des voix pour déterminer la conduite la mieux appropriée à ces inté- rêts communs. Pour qu'il y ait volonté générale, il ne suffit donc pas que tous les citoyens aient été consultés, il faut encore que la question qui leur est soumise soit d'intérêt général et que chacun d'eux ait répondu en songeant à l'intérêt général.

On voit donc que les citoyens, en se mettant, par le pacte social, « sous la suprême direction de la volonté générale ( l ) », n'ont pas pris un engagement aussi illimité qu'il le semblait tout d'abord : s'ils renoncent à leur indépendance" naturelle, ils n'acceptent, dans la société, d'autre maître que la loi, puisque la volonté générale ne peut faire que des lois, et une loi ne peut être qu'une décision. du peuple tout entier, également applicable au peuple tout entier, et inspirée par le souci de l'intérêt général. « L'objet des lois est toujours géné- ral ( 2 ). » Toute décision qui concerne un homme en tant qu'individu et une action en tant que fait parti- culier, ne saurait être une loi : ce ne peut être qu'un décret du pouvoir exécutif, et, dans un Etat légitime, ce décret doit toujours être l'application d'une loi. Mais, quand le peuple souverain accomplit sa tâche législa- tive, il ne peut décider que des mesures générales, des principes universels, dont tous les individus subiront également les conséquences : le souverain ne peut donc, sous peine d'absurdité, « charger les sujets d'aucune

(*) C. s., I, vi.

n c s., h, vi.

�� � 3o INTRODUCTION

chaîne inutile à la communauté (*) ». La liberté des individus a pour garantie dernière l'égalité de tous devant la loi. « Par quelque côté qu'on remonte au principe, on arrive toujours à la même conclusion, savoir : que le pacte établit entre tous les citoyens une telle égalité, qu'ils s'engagent tous sous les mêmes con- ditions et doivent jouir des mêmes droits. Ainsi, par la nature du pacte, tout acte de souveraineté, c'est-à-dire tout acte authentique de la volonté générale, oblige ou favorise également tous les citoyens, en sorte que le souverain connaît seulement le corps de la nation et ne distingue aucun de ceux qui la composent ( 2 ). »

Ainsi le pouvoir souverain se trouve nécessairement limité par lui-même, ou plutôt par la raison. En un sens, il est tout puissant, car« il n'y a ni ne peut y avoir nulle espèce de loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le contrat social ( 3 ) » : et cela résulte en effet de la nature des choses et du droit natu- rel; aucune puissance extérieure, aucune convention ne peut enchaîner à jamais la volonté du peuple souve- rain sans détruire sa liberté. Mais cette souveraineté même du peuple a pour raison d'être l'intérêt commun. Il y a donc une impossibilité, non seulement morale, mais logique, à ce que le peuple exerce sa souveraineté en dehors de l'intérêt commun : ce serait une conduite inexplicable, qui lui est interdite par la raison. Le sou- verain peut tout ce qu'il veut, mais il ne peut vouloir, sans absurdité, que ce qu'il croit conforme à son intérêt et par suite au bien de tous. Et, quant au citoyen, l'éga- lité de tous dans le vote de la loi, l'égalité de tous dans l'obéissance à la loi, lui garantissent qu'il ne lui sera imposé d'autres contraintes que celles qui apparaîtront à la majorité comme indispensables au bien de tous, et

(') C. s, II, IV.

( 2 ) lbid.

( 3 ) C. s., I, vu.

�� � INTRODUCTION )l

cela est précisément la liberté civile. Ainsi se trouvent conciliées l'autorité et la liberté.

Ces garanties d'ordre logique et moral peuvent sem- bler, dans la réalité, bien fragiles : nous en discuterons, à ce point de vue, la valeur. Mais n'oublions pas que Rousseau n'étudie pas des faits, il établit les conditions du droit. 11 ne se dissimule nullement que la réalisation d'une telle organisation sociale suppose des conditions très rares (*). Il est certain que fort souvent la gran- deur excessive d'un peuple ou l'intensité des divisions intérieures ou l'immoralité des individus rendront impossible la manifestation et même l'existence d'une volonté générale. Eh bien, un tel peuple n'aura pas de lois, il sera incapable de vraie liberté, l'autorité de ses chefs ne sera pas légitime ( 2 ). Les conditions nécessaires à la réalisation du droit peuvent se présenter rarement ou même ne se présenter jamais : cela n'enlève rien à leur valeur théorique. Rousseau ne s'est d'abord engagé qu'à nous dire ce qu'est un Etat légitime.

Un rapprochement précis achèvera de faire compren- dre le caractère de cette théorie. Kant, dans sa morale, n'a guère fait qu'appliquer à l'individu les principes que Rousseau avait posés pour la société ( 3 ) : les deux sys- tèmes sont animés du même esprit, répondent aux mêmes questions et soulèvent les mêmes difficultés. Pour Kant ( 4 ), la volonté de l'individu doit être auto- nome et déterminer elle-même la loi à laquelle elle obéit librement : il n'y a de moralité qu'à ce prix. N'est-il pas alors à craindre que notre volonté, rendue ainsi souveraine maîtresse de notre conduite, n'érige nos caprices ou nos passions en principes moraux ? Nullement, car, pour être morale, notre volonté doit

(') Emile, N -, C. .«., II, vin, xi, etc.

( 2 ) C. s., IV, i et ii.

( 3 ) Ce rapprochement a été déjà indiqué par M. Fouillée, L'Idée moderne du Droit, l ic partie.

( 4 ) Voir surtout Fondement de la Métaphysique des Mœurs.

�� � 32 INTRODUCTION

obéir à la raison : la liberté se limite donc elle-même du moment qu'elle a pour condition d'être raisonnable. La volonté morale ne peut en effet nous commander que selon « des maximes que nous puissions ériger en lois universelles » et elle ne peut, sans détruire ses carac - tères formels, méconnaître la dignité morale qui fait de l'homme « une fin et non un moyen ». Ainsi la loi morale de Kant, toute formelle et uniquement fondée sur la liberté, a cependant des bornes qu'elle ne peut franchir sans s'anéantir. De même, la loi civile, selon Rousseau, ne peut imposer que des obligations univer- selles, également applicables à tous, sous peine de perdre les caractères qui lui assurent notre respect. La souveraineté populaire est limitée,comme la volonté individuelle, par la raison elle-même : elle peut bien s'en écarter en fait, mais alors il n'y a plus de droit. « 11 n'y a peut-être jamais eu, dit Kant, un seul acte parfaitement moral Ç). » « En examinant bien les choses, dit Rousseau, on trouverait que très peu de nations ont des lois ( 2 ). » De même que Kant a voulu déterminer les conditions nécessaires de la pure mora- lité, de même Rousseau a prétendu enseigner à quelles conditions le droit pourrait être une réalité sociale ; et tous les deux aboutissent à peu près à la même conclusion : il faut i° la liberté du sujet, 2° l'univer- salité de la loi.

Ce n'est donc pas réfuter suffisamment le système de Rousseau que de soutenir qu'il est inapplicable. Mais faut-il même admettre que ses théories n'ont aucune espèce de valeur et d'intérêt pratique et qu'elles ne représentent qu'un idéal inaccessible ? Avant d'es- sayer de répondre à cette question, il convient d'étudier par quels moyens Rousseau croyait possible d'en pré- parer la réalisation.

(*) Fond, de la Métaphysique des Mœurs, sect. II. ( 2 ) C. s., III, xv.

�� � INTRODUCTION 33

��§ 5. — L'organisation politique

« La liberté est un aliment de bon suc, v mais de forte digestion ; il faut des estomacs

bien sains pour le supporter...» (Consid. sur le gouv. de Pologne, VI, p. 347.)

La perfection de l'État dépend de la pureté de la volonté générale. Que tous les citoyens aient toujours en vue l'intérêt commun, et la loi ne pourra plus être oppressive : elle sera infailliblement juste, équitable, bienfaisante. C'est donc de la valeur du citoyen que dépend la valeur de la loi. Aussi l'objet essentiel de la politique, ce sera de tendre tous les ressorts du gouver- nement, d'utiliser toutes les puissances de l'éducation, de la religion et du patriotisme en vue d'assurer chez le citoyen les qualités nécessaires à la perfection de la volonté générale.

D'abord, il conviendra d'empêcher entre les citoyens toute association partielle, car des propositions concer- tées en vue de certains intérêts particuliers fausseraient la manifestation de la volonté générale\ 11 faut que cha- que individu soit placé seul en face de la loi à voter et donne sa propre opinion personnelle sur ce qu'exige l'intérêt de tous. Ou, si des associations particulières se forment, il faut alors qu'elles soient assez nombreuses et assez petites pour se contrebalancer mutuellement (*). D'ailleurs, il faut que les individus, pour se pronon- cer en toute conscience, soient à l'abri de la corrup- tion, et c'est pour cette raison, surtout politique, que Rousseau est amené à proposer l'égalité économique, non pas une égalité absolue et rigoureuse, mais un état d'équilibre tel qu'il n'y ait ni trop de pauvreté ni trop de richesse ( 2 ). La médiocrité générale des for-

( 4 ) C. s., II, m.

( 2 ) C. s., II, xi. Cf. Projet de Constitution pour la Corse.

�� � 34 INTRODUCTION

tunes, tel est l'état le plus favorable à la pureté des mœurs et à la liberté. Les lois de l'Etat devront donc empêcher le luxe, décourager la grande industrie et le commerce et habituer le peuple à se contenter des ressources que la nature peut lui fournir sans travail excessif ( 1 ).

L'État aura aussi pour mission d'établir une sérieuse éducation morale et patriotique. L'amour de la patrie, c'est « l'amour des lois et de la liberté ( 2 ). » Montes- quieu faisait de la « vertu » le principe essentiel de toute démocratie ; Rousseau lui aussi considère de tels sentiments comme indispensables à l'Etat, car les insti- tutions les plus parfaites ne peuvent procurer la liberté qu'à un peuple qui la mérite et qui sait la conquérir. Des hommes corrompus par la mollesse, le vice ou la richesse ne peuvent former qu'une nation d'esclaves (') . Développer donc, dès l'enfance, par des fêtes et des jeux, par une pédagogie rationnelle et sentimentale à la lois, le sens social dans toutes les âmes ( 4 ), c'est une des parties les plus importantes de la tâche du législateur et une condition de la liberté.

C'estpour cette même raison que Rousseau a composé le fameux chapitre vin du IV e livre, sur la Religion civile, dont les conclusions nous semblent si étranges aujourd'hui. Rousseau veut qu'une entière liberté de conscience règne dans l'Etat relativement aux dogmes d'un caractère purement métaphysique : chacun pourra concevoir Dieu selon son intelligence et l'adorer à sa mode. Bien plus, il faut impitoyablement bannir de la république tous les sectaires qui disent : «hors de notre église, point de salut », car une telle intolérance en

(*) C. s., II, x. — Proj. de Const. pour la Corse, passim. — Consid. svr le gouv. de Pologne, passim.

( 2 ) Consid. sur le gouv. de Pologne, ch. iv.

( 3 ) lbid., passim ; — C. s., III, passim.

( 4 ) Consid. sur le gouv. de Pologne, m et vi; — C. s.,II,xn.

�� � INTRODUCTION 35

matière de dogmes entraîne nécessairement l'intolérance en matière civile, l'inégalité, l'injustice, les dissensions. Mais il y a des principes moraux qui constituent une sorte de religion naturelle, par exemple l'existence d'un être suprême et d'une providence, les sanctions de la vie future, la sainteté du contrat social et des lois. Ces .croyances sont pour Rousseau la condition nécessaire « des sentiments de sociabilité sans lesquels il est impossible d'être bon citoyen ni sujet fidèle (*)». L'Etat ne devra donc accepter parmi ses membres que ceux qui adhéreront à ce Credo moral et social, et il punira des peines les plus graves, même de la mort, quicon- que, après l'avoir accepté, le reniera par sa parole ou par sa conduite. L'Etat aura donc une « religion civile », parce que la raison ne gouverne efficacement les volon- tés que si les croyances et les sentiments inclinent déjà les cœurs : cette intolérance est encore, dans la pensée de Rousseau, une condition de la liberté ( 2 ).

Enfin, la partie la plus importante et la plus délicate de la politique, c'est l'organisation d'un gouvernement qui ait l'autorité nécessaire pour assurer à chacun les bienfaits de la vie sociale sans pouvoir supprimer la liberté de personne. Quelle que soit la forme du gouver- nement, démocratie, aristocratie ou monarchie, le « prince » n'a pas une autorité propre et distincte ( 3 ) ; il n'est qu'un mandataire du peuple souverain : « tout gouver- nement légitime est républicain ( 4 ) ». Il est chargé d'une double fonction, nettement définie : d'une part, assurer l'application de la loi, expression de la volonté géné- rale, de telle façon qu'elle produise tous ses effets utiles

(*) C. s., IV, vin.

( 2 ) Les mômes idées sont déjà très précisément exposées dans une lettre â Voltaire du 18 août 1756; Rousseau invitait Voltaire à rédiger l'évangile de celte religion civile.

( 3 ) C. s., III, i, xi et passim.

( 4 ) C. s., II, vi.

�� � S6 INTRODUCTION

et que chacun en retire également la sûreté, le bien- être et la liberté qui lui sont dus en échange de ses sacrifices ; d'autre part, assurer- la manifestation de la volonté générale, qui fait la loi, et, pour cela, surveiller les mœurs, empêcher les brigues, organiser les assem- blées et maintenir à la volonté générale son indépen- dance et sa pureté. Le prince n'a donc d'autre puissance que celle que lui confère le souverain et il la doit tout entière dépenser, conformément à la loi, pour le bien de tous ( 1 ). On comprend combien est difficile une telle organisation : la moindre erreur paralysera l'Etat ou détruira la liberté. C'est ici qu'il faut introduire dans la politique tout cet art des combinaisons ingénieuses, tous ces accommodements aux milieux, aux climats, aux mœurs, etc., que Montesquieu goûtait si fort et que Rousseau regarde comme l'essentiel de l'art du législa- teur ( 2 ). Ce ne sera pas trop, d'ailleurs, pour assurer le bon fonctionnement de la machine gouvernementale, que d'établir des corps spéciaux de magistrats unique- ment chargés de maintenir entre le peuple et le prince les rapports nécessaires : tel devrait être le rôle d'une sorte de tribanat ( :t ) .

L'organisation politique, simplement esquissée par Rousseau au III e et au IV e livre du Contrat, se trouve ainsi déduite des principes généraux précédemment posés. La raison d'être de toutes ces institutions est

(*) C. s., III, i, ii et passim.

(-) Voir les théories subtiles et compliquées du livre III. M. Faguet {La polit, comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire, p. 66 et passim) reproche à Rousseau la « simplicité » de son système et y oppose la savante complexité de celui de Montesquieu. Je crois que le reproche n'est pas fondé ; ils ne mettent pas la complication au même endroit, voilà tout. Mon- tesquieu l'introduisait à la base de l'Etat, par la division des pouvoirs ; Rousseau, pour qui la souveraineté est nécessaire- ment une, regarde comme « un chef-d'œuvre de législation » la seule organisation du gouvernement.

( 3 ) C. s., IV, v.

�� � INTRODUCTION 3?

d'assurer a la volonté générale ses caractères essentiels et de rendre efficace et réelle la conciliation de l'autorité et de la liberté, qui est l'objet principal du Contrat tout entier. Il reste à essayer de juger l'ensemble de ce système.

/

§ (5. LA VALEUR DU SYSTÈME

« Les bornes du possible dans les choses morales sont moins étroites que nous ne pensons : ce sont nos faiblesses, nos vices, nos préjugés qui les rétrécissent. Les âmes basses ne croient point aux grands hommes; de vils esclaves sourient d'un air moqueur à ce mot de liberté. » (C. s., III, xn).

Le précepteur d'Emile, après avoir résumé à son élève le système politique du Contrat social, ajoute lui- même : « Je ne serais pas étonné qu'au milieu de tous nos raisonnements mon jeune homme, qui a du bon sens, me dît en m'interrompant : On dirait que nous bâtissons notre édifice avec du bois et non pas avec des hommes, tant nous alignons exactement chaque pièce à la règle ! — Il est vrai, mon ami; mais songez que le droit ne se plie point aux passions des hommes et qu'il s'agis- sait entre nous d'établir d'abord les vrais principes du droit politique. A présent que nos fondements sont posés, venez examiner ce que les hommes ont bâti des- sus, et vous verrez de belles choses !... (*) ». On pour- rait donc n'étudier le Contrat social que du point de vue formel et théorique, indépendamment de toute application pratique, et je pense avoir montré qu'ainsi considéré le système est exempt des contradictions internes et de l'absurdité logique qu'on lui a si souvent reprochées. Mais il en faut déterminer la valeur en un. sens plus général et en tant qu'idéal social : car, s'il est vrai que Rousseau n'a prétendu poser que « les princi-

(!) Emile, v, p. 493.

R. — SU

�� � 38 INTRODUCTION

pes du droit polilique » et ne s'est jamais dissimulé — et même s'est exagéré peut-être (') — les difficultés d'appliquer son système, il est vrai aussi qu'il avait cru et voulu écrire un livre « pour tous les temps ( 2 ) » et déterminer l'idéal éternel, universel, nécessaire, de toute politique inspirée par l'amour du droit et de la justice. Quel crédit méritent ses principes ? Pouvons-nous nous en inspirer encore aujourd'hui ? Sous l'apparence logique du système, est-ce la liberté qui se cache ou bien le despotisme ? Faut-il, avec Mira- beau, glorifier Rousseau d'avoir « éclairé la France sur les saines notions de la liberté ( :! ) » ou au contraire, avec Benjamin Constant, voir en lui, « le plus terrible auxiliaire de tous les genres de despotisme ( 4 ) » ?

Je crois qu'il est essentiel, si l'on veut juger équita- blement le système du Contrat social, d'y faire net- tement deux parts ( 5 ) : je distinguerai, d'un côté, la théorie générale des fondements de la société, c'est-à-dire la doctrine du contrat, de la souveraineté populaire, de la volonté générale et de la loi ; et, d'un autre côté, les théories politiques plus spéciales, relatives à l'institu- tion et à l'organisation des gouvernements, qui sont particulièrement exposées dans les deux derniers livres du Contrat, et surtout comme des moyens propres à assurer la réalisation des principes.

(*) Cf. Lettres à M. Butta-Foco ; Considér. sur le gouvern. de Pologne ; Lettre au Marquis de Mirabeau, 26 juillet 1767 ; etc.

( 2 ) Lettre à Rey, 7 nov. 1761.

( 3 ) Lettre à Thérèse Levasseur (cité par Champion, Esprit de la Rév. franc., p. 27.)

( 4 ) Cours de politique constitutionnelle, ch. I, p. 10.

( 5 ) Je n'examine ici qu'un très petit nombre de points tout à fait essentiels et je m'efforce surtout de dégager l'esprit général du système ; j'en étudierai le détail dans les notes qui accompa- gnent le texte.

�� � INTRODUCTION 39

��Toute cette seconde partie nie paraît mériter plu- sieurs graves critiques (')•

D'abord, la méthode en est presque uniquement déductive et a priori : c'est par le seul raisonnement que Rousseau prétend tirer des principes les moyens de les appliquer. 11 ne prend dans la réalité, dans les insti- tutions de Genève ou dans l'histoire de la Grèce et de Rome, que des exemples pour justifier des thèses qui n'en sont pas vraiment tirées ( 2 ). Or, il y a là de quoi nous inquiéter sur leur valeur pratique, caria méthode a priori, seule possible et seule légitime pour déterminer des fins, est nécessairement impuissante pour déterminer des moyens ( 3 ). La complexité des faits sociaux ne permet pas d'établir par le seul raisonnement quels sont les moyens les meilleurs de réaliser un idéal donné : l'expérience en doit surtout décider. Dans cette partie de son œuvre, Rousseau a mérité le reproche que Tocqueville ( 4 ) et Taine ( 5 ) — on sait avec quelle exagération — ont adressé à toute l'œuvre politique du xvm e siècle : laute de s'appuyer sur les laits, il ne nous expose souvent que des abstractions artificielles, com- pliquées et fragiles.

Rousseau se laisse ici guider par une idée dange- reuse et très contestable des conditions économiques, morales et religieuses qu'il croit nécessaires à la liberté. — Au point de vue économique d'abord, Rousseau a

^ (*) Bien entendu, je ne parle encore ici que des idées mai- tresses ; on y trouvera plus d'une vue ingénieuse ou profonde.

( 2 ) Cela a été très contesté ; j'essaierai de le démontrer dans le chapitre suivant.

( 3 ) Cf. Henry Michel, Vidée de l'État, passage cité plus haut, p. 11.

( 4 ) Tocqueville, l'Ancien régime et ta Révolution^ p. 20o et suiv.

( 5 ) Taine, Les Origines de la France, t. I, l'Ancien régime, pp. 289-301.

�� � 40 INTRODUCTION

pris en quelque sorte le contre-pied de toutes les théo- ries sociales modernes : il a bien vu qu'un rapport étroit unissait les phénomènes moraux et les phéno- mènes économiques, mais, au lieu de chercher dans l'augmentation du bien-être, de la richesse et des loi- sirs un moyen d'augmenter la valeur et par suite le bon- heur des individus, il a cru au contraire qu'il fallait, pour assurer la pureté de la volonté générale, maintenir les hommes dans la plus étroite médiocrité. 11 attend l'égalité et la liberté, non pas du développement, mais au contraire de la diminution et presque de la suppres- sion de la richesse publique : il ne conçoit les vertus sociales que dans une universelle pauvreté. Peu ou pas de commerce ; pas d'industrie ; pas de monnaie, mais de simples échanges en nature ; pas d'impôt, plutôt des corvées ( 1 ). Il faut voir, je crois, dans ces conceptions utopiques, un souvenir du Discours sur les arts et les sciences et du Discours sur V Inégalité, où la vie simple du « bon sauvage » était si éloquemment préférée aux mœurs de la civilisation. Rousseau est resté fidèle à ce goût, à cette sorte d'instinct naturel, qui ne lui laissait concevoir le bonheur que dans la vie agreste et « selon la nature », et, pour accorder cette tendance sentimen- tale avec ses théories politiques, il a été conduit à ima- giner une organisation artificielle et compliquée et à charger lÉtat d'un rôle économique qui ne saurait être le sien. 11 est permis de préférer un autre type d'égalité sociale et d'attendre au contraire du progrès économi- que le progrès intellectuel et moral des individus mêmes.

Au point de vue politique, c'est encore une concep- tion sentimentale qui entraîne 1' « atomisme » social : il ne faut pas d'associations particulières entre les citoyens ;

( l ) Voir notamment Projet de constitution pour la Corse; Consid. sur le gouvernement de Pologne; C. s., III, xv.

�� � INTRODUCTION 4 1

pas de petites sociétés dans la grande ; l'individu seul en présence de l'État tout puissant. C'est en effet que la vertu a sa source, selon Rousseau, dans la nature et non dans la société, et que c'est au tond de sa conscience que le citoyen trouvera la lumière dont sa volonté a besoin. Ce n'est pas de l'étude et de la science qu'on peut tirer les règles les plus sûres de la vie : il est donc inutile que les hommes se groupent et s'entr'aident pour penser, pour creuser les problèmes sociaux et pour taire prévaloir les solutions qui leur sont chères. L'homme ne jouira vrai- ment des bienfaits de la vie sociale que s'il conserve les vertus de la nature, s'il reste pauvre, simple, igno- rant et sensible, et n'écoute d'autre voix que celle de sa conscience individuelle. 11 en est, pour Rousseau, de la vérité politique comme de la vérité religieuse : elle n'est pas l'œuvre des Églises ni des Conciles, mais elle réside dans le for intérieur de l'homme et, c'est en s'isolant, non en s'associant à autrui, que chacun de nous peut la découvrir et la manifester.

Enfin, c'est cette même idée de la nature et de la vertu qui explique, je crois, la rigueur intolérante du chapitre sur la Religion civile (*). A l'homme primi- tif, c'est sous la forme du sentiment que la nature commande. De même la raison n'aura d'efficacité sur l'homme civilisé que si elle prend pour appui le senti- ment naturel. La raison pure est impuissante : il n'y a point de morale individuelle ni sociale qui ne vienne du cœur. 11 faudra donc, de toute nécessité, constituer un

(*) M. A. Bertrand (le Texte primitif du Contrat social), soutient que ce chapitre est en réalité une apologie relative de la tolérance, qu'il est surtout inspiré par la pensée du sort ini- que des protestants en France, et que Rousseau demande la mort de l'athée par une concession « de pure forme » aux idées d'alors et pour prouver qu'il ne va pas jusqu'à l'athéisme. Je crois qu'il faut l'expliquer, comme je le montre ici, par des raisons beaucoup plus intérieures. En tout cas, les contemporains eux- mêmes, Voltaire notamment, ont crié à l'intolérance, en le lisant.

�� � 4^ INTRODUCTION

corps de doctrines religieuses simples, vraisemblables, conformes au penchant naturel de l'esprit humain et capables de diriger instinctivement les volontés dans le sens prescrit par la raison. Pas de vertu réelle et sur- tout générale sans religion ; or, pas d'Etat libre sans vertu générale : on devra donc imposer (il est vrai, à ceux-là seulement qui les auront d'abord volontaire- ment acceptées) ces indispensables croyances, sous peine de ruiner dans l'État les fondements de la liberté. C'est ainsi que Rousseau a été conduit à méconnaître l'obligation morale et l'utilité sociale qui justifient égale- ment l'entière liberté des consciences et à fonder cette fameuse « religion naturelle » (*), dont plus d'un État moderne a voulu faire en effet un instrument de gouver- nement.

11 semble donc qu'une conception trop étroite des conditions de la vertu, et, par suite, de la liberté, con- ception qui dérive en partie sans doute de l'esprit calviniste et protestant, mais bien davantage, je crois, du sentiment original et profond qui ramenait toujours Rousseau vers la nature, a donné à sa politique un caractère chimérique, artificiel et dangereux. Dans toute cette partie de son œuvre, c'est Rousseau lui-même qui légifère, avec son tempérament et ses préjugés, avec ce singulier mélange d'optimisme et de pessimisme qui est toute sa philosophie, avec sa défiance de la raison pure et de la civilisation, sa confiance en les inclinations naturelles du cœur. C'est de là que procèdent sur- tout les théories relatives à l'organisation économique,

(*) La « religion naturelle » de Rousseau difière-t-elle essen- tiellement de celle de Voltaire et n'est- elle vraiment, comme le soutient notamment M. Aulard, qu'un christianisme simplifié et purifié, — cela me parait très discutable. En tout cas, remar- quons que la « religion civile » ne se confond pas avec la « pro- fession de foi du vicaire savoyard » : elles ne coïncident qu'en partie et dans la mesure où les croyances religieuses sont liées à la morale.

�� � politique, pédagogique, religieuse de la société. Mais aucune de ces idées n’est essentielle au système : elles ne rentrent même pas rigoureusement dans le plan du Contrat social ; on peut les écarler sans toucher aux principes fondamentaux dont Rousseau a prétendu donner la démonstration rationnelle et presque mathématique. Examinons donc ces principes eux-mêmes.



L’idée même du contrat social doit à Rousseau sa popularité, mais il n’en est pas l’inventeur [16] : bien comprise, c’est-à-dire considérée non comme une explication historique de l’origine des sociétés, mais seulement comme une justification théorique des droits des individus et de l’Etat, elle s’est trouvée l’expression naturelle et presque nécessaire de toutes les théories démocratiques et libérales. On ne peut guère la combattre — et on ne l’a combattue en effet ( 2 ) — qu’en cherchant dans une autorité surnaturelle le fondement légitime des sociétés et en refusant de leur donner pour principe l’intérêt ou la raison. En dehors du droit divin, on ne peut guère justifier l’autorité civile qu’en montrant qu’elle a pour raison d’être l’intérêt, pour base la volonté expresse ou tacite des citoyens. Aussi la

(1)

(2) On en trouve une dernière réfutation — radicale et détaillée — dans l’encyclique « Diutumum » du pape Léon XIII (29 juin 1881), sur « l’origine du pouvoir civil ». Léon XIII y condamne toutes les théories modernes qui prétendent faire dériver d’un contrat l’autorité politique : on doit revenir à la doctrine qui rapporte à Dieu seul le principe de toute autorité politique ; c’est cette doctrine, en fait et en droit également avantageuse aux rois et aux peuples, qui peut seule assurer la paix publique et prévenir les maux dont nous menacent d’horribles sectes, le communisme, le socialisme, le nihilisme, « civilis hominum societatis teterrima portenta ac pêne funera ». Cf. Bossuet, 3 e avertissement aux protestants. 44 INTRODUCTION

plupart des écrivains politiques reconnaissent-ils sans trop de peine le principe d'un conlrat, ainsi entendu.

Où les difficultés commencent, c'est quand il s'agit des clauses de ce contrat, et les mêmes écrivains qui louent Rousseau d'avoir donné à l'État pour principe la volonté et pour fin l'intérêt des individus, lui reprochent d'avoir donné pour matière au pacte social l'abandon total des droits individuels et l'abdication du citoyen en présence de l'Etat. 11 aurait ainsi détruit la liberté en prétendant la fonder : l'État idéal de Rousseau serait une république d'esclaves, se croyant libres parce qu'ils sont citoyens. — Étudions ce que vaut ce reproche si souvent reproduit : toute étude du Contrat social aboutit nécessairement à ce problème capital.

La liberté que nous promet Rousseau dépend, nous l'avons vu, de deux conditions. — Elle suppose d'abord la participation égale de tous à la souveraineté, ou en termes plus précis, à l'établissement de la loi. Si la loi émane de la volonté générale, chacun, en obéissant à la loi, n'obéit qu'à sa propre volonté. La participation au pouvoir, tout au moins au pouvoir législatif, ne doit donc pas plus être le privilège de quelques-uns qu'elle ne doit être regardée simplement comme un plaisir, un avan- tage ou un honneur : elle est un droit et un droit absolu. En priver des individus, c'est leur retirer le titre d'hom- mes libres (*) et les réduire en fait à l'état d'esclaves, puisqu'ils devront obéir à des volontés étrangères sans avoir été consultés. C'est là proprement la liberté poli- tique.

La liberté suppose ensuite l'égalité de tous devant la loi. Le citoyen doit obéir à toute loi, mais il ne doit obéir qu'à la loi, et la loi, qui émane également de tous, doit être également appliquée à tous. Par suite, chacun est maître de sa personne et de ses actions dans les

(') C.S., l,IV.

�� � INTRODUCTION 4$

limites établies par la loi. Et personne n'a intérêt à resserrer ces limites au-delà du nécessaire, puisque l'activité de chacun doit nécessairement être bornée par elles. L'égalité de tous devant la loi est donc la garantie de la liberté civile.

Ainsi la liberté, selon Rousseau, se ramène en fait à une double égalité, l'égalité politique et l'égalité civile. Un peuple libre, c'est un peuple où tous commandent mais où chacun n'obéit qu'à tous. Est-ce là une liberté véritable et dont nous puissions nous contenter ?

Benjamin Constant, qui mérite, bien plus encore que Montesquieu, d'être regardé comme le père de la doc- trine qui s'intitule aujourd'hui le libéralisme, reproche à Rousseau d'avoir transporté a dans nos temps modernes une étendue de pouvoir social, de souveraineté collec- tive qui appartenait à d'autres siècles », et à la « liberté des anciens » qui consistait dans « le partage du pou- voir social entre tous les citoyens d'une même patrie », il. oppose la conception des modernes, qui ont pour but « la sécurité dans les jouissances privées et nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances (*) ». 11 est certain qu'une telle formule contraste étrangement avec le style plus haut du citoyen de Genève et qu'il n'y aurait pas reconnu la « fière et sainte liberté ( 2 ) » qu'il voulait établir dans sa répu- blique. Mais la question est de savoir si en effet Rousseau a sacrifié la liberté civile des modernes à la liberté politique des anciens, et si, en fondant la première sur la seconde, il a, involontairement mais nécessaire- ment, détruit la première.

Bien au contraire, Rousseau me paraît avoir irréfu- tablement démontré que la liberté civile ne peut avoir

(M Benjamin Constant, de la liberté des anciens comparée à celle des modernes (discours prononcé en 1819), t. II, p. 537 et suiv.

( 2 ) Consid. sur' le gouv. de Pologne, ch. vi, p. 348.

�� � 46 INTRODUCTION

d'autre garantie solide et durable que la liberté politique. Les intérêts d'un maître ne peuvent jamais tellement se confondre avec ceux de ses sujets que nous^ puissions nous en rapporter à lui du soin de veiller à nos intérêts et de nous assurer le bien-être et l'indépendance ( 1 ). Si l'on supprime la liberté politique, le but de l'État ne peut plus être « celui de la félicité publique » ( 2 ) : il devient aussitôt l'intérêt de ceux qui ont reçu pouvoir de vouloir au nom de tous. La participation égale de tous à la souveraineté est donc l'unique moyen d'assurer que l'Etat aura pour fin le bien de tous. Benjamin Constant lui-même est obligé de reconnaître que si « la liberté individuelle (est) la véritable liberté moderne, la liberté politique en est la garantie » et est « par conséquent indispensable » ( 3 ). On pourra bien discuter sur les meilleurs moyens d'exercer celle-ci, mais il ne saurait être question d'y renoncer : elle reste aussi essentielle aux modernes qu'elle a jamais pu l'être aux anciens, parce qu'elle est la condition première de toute liberté réelle. En en proclamant à nouveau la légitimité et la nécessité, Rousseau ne commet donc pas un anachro- nisme : il substitue seulement au principe d'autorité la raison et la justice et retrouve, ^ cette lumière, les droits politiques oubliés.

Mais la liberté civile, quelle en est la garantie ? Rousseau nous a répondu : l'égalité de tous devant la loi et l'intérêt même du peuple souverain. Il est impos- sible que, « sous la loi de raison », les citoyens puissent vouloir exercer leur puissance collective au delà des limites strictement nécessaires, puisqu'ils en pâtiraient tous également. L'individu, en s'abandonnant à l'Etat, reste protégé contre lui par la raison : il suffit que les hommes soient, non pas désintéressés, mais seulement

(M C. s., I, iv et III, vi. (-) C.s., III, vi. ( 3 ) Ibid., p. 555.

�� � INTRODUCTION ^7

raisonnables et soucieux du bien public, dont dépend le bien particulier de chacun (*), pour que la liberté indivi- duelle se trouve assurée, dans H mesure où elle est légitime et nécessaire.

Ces garanties ont paru insuffisantes à la plupart des critiques de Rousseau, qui n'ont pas caché leur inquié- tude. L'infaillibilité que Rousseau attribue à ia volonté générale ne les a pas rassurés sur l'usage que pourrait faire de sa toute-puissance le peuple souverain. Le peuple, dit Rousseau, ne peut édicter que des lois générales : mais, comme on l'a justement remarqué ( 2 ), il est assez facile de donner aux mesures en réalité les plus spéciales une apparence générale; on peut viser les gens sans les appeler par leur nom, et une majorité sans scrupules pourrait, avec une entière légalité, dépouiller des droits les plus essentiels une minorité réellement esclave, qui n'en garderait pas moins, avec le droit de vote, les apparences de la liberté. D'ailleurs il n'est pas de règle, de loi, de convention qui puisse être obligatoire pour le corps politique tout entier vis-à- vis de lui-même, « pas même le contrat social » : les limites mêmes qu'avait tracées Rousseau restent donc absolument idéales, autant dire illusoires, et la majo- rité pourra toujours les abroger dès qu'elle le voudra.

Toutes ces conséquences me paraissent parfaitement logiques et tous ces dangers sont en effet à craindre. Mais, avant d'examiner si Rousseau ne les a pas prévus et dans quelle mesure nous y sommes en réalité exposés, voyons quels seraient les moyens qu'on pourrait pro- poser pour les éviter.

Peut-on affirmer le principe de la liberté politique et cependant restreindre la souveraineté du peuple tout entier ? Peut-on proclamer des droits individuels intan-

(*) C. s., II, h, m et iv.

( 2 ) Voir notamment A. Lichtenberger, le Socialisme au XVIII e siècle, ch. vi.

�� � 48 INTRODUCTION

gibles, placés expressément hors des prises de la volonté générale ? — On le peut, sans doute, en paro- les : on peut bien essayer d'enchaîner les volontés par des déclarations solennelles, affirmant « indestructible » telle forme de gouvernement, « sacrée » la propriété individuelle, etc. ; on peut s'efforcer, par tous les moyens possibles, d'en inspirer le respect et l'amour à l'opinion publique, et c'est en effet ce que faisait Rousseau et ce qu'il voulait qu'on fît ( 1 ). En ce sens, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est nullement en désaccord avec la doctrine de Rousseau. Mais n'y a-t-il pas quelque hypocrisie à feindre de prendre pour une nécessité réelle cette obligation pure- ment morale? 11 me^emble que Rousseau a irréfutable- ment démontré que la souveraineté populaire est nécessairement et logiquement sans limites, de fait comme de droit, du moment seulement qu'elle existe. Si c'est la volonté des individus qui fait la loi, ils peuvent changer la loi, ils peuvent même anéantir toute loi ; ils en ont absolument le droit et la puissance, ce II ne peut y avoir nulle espèce de loi fondamentale obli- gatoire pour le corps du peuple, pas même le pacte social ( 2 ). » On voudrait proclamer « des droits et des devoirs antérieurs à la société », supérieurs à elle et« en dehors du pacte social ( 3 ) ». Mais quelle réalité recou- vre cette formule ? S'agit-il là d'un souhait, d'un impé- ratif moral : on juge qu'il est conforme à la raison et à l'intérêt que les peuples s'interdisent en fait certains actes ? En ce cas, rien de plus juste. Mais Rousseau a la franchise de reconnaître qu'en définitive le peuple reste toujours maître de décider s'il respectera ou ne res- pectera pas cette obligation morale. La liberté suppose

f 1 ) C.s., II, vi et vu.

( 2 ) C. s., I, vu.

( 3 ) Lettre de Taine à Prévost- Paradol, 10 janv. 1852; B, Taine, sa vie et sa corr. (1902), p. 192 f

�� � la possibilité de faire de cette liberté même un mauvais usage, et, en dernière analyse, le peuple demeure souverain juge des limites qu’il convient d’imposer à la loi elle-même, du bien et du mal légal ( J ). C’est là un fait encore plus qu’un droit, mais c’est aussi un droit, du moment qu’on accepte les principes de l’individualisme et qu’on voit dans une société une collection d’hommes libres, associés en vue d’assurer *leur commune liberté et leur commun bonheur. — La souveraineté du peuple exclut donc toute idée de limite matérielle ou légale.

Peut-on enlever au peuple cette souveraineté et l’attribuer à quelque puissance extérieure à lui, par exemple en investir totalement un roi ou une assemblée ? — Gela est, en effet, possible, mais il faut bien voir les conséquences d’un tel parti. C’est la destruction complète de toute liberté politique ; or, « renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs ( 2 ) ». L’individu, pour sauvegarder contre une atteinte possible ses intérêts individuels, se remet tout entier entre les mains d’un maître,. dont nous avons vu que les intérêts restaient nécessairement distincts des siens. C’est le recours à un « sauveur », chargé de nous garantir cette a sécurité dans les jouissances privées », dont parlait Benjamin Constant. Or, le calcul n’est pas seulement déshonorant, la raison — sans parler de l’histoire — prouve qu’il est encore incertain et malhabile : en renonçant à sa liberté politique pour assurer sa liberté civile, l’homme se dépouille de tout moyen de maintenir des limites à sa servitude

H Tel me parait le sens — nullement contradictoire — de la phrase tant critiquée, C. s., II, iv : « ... tout ce que chacun aliène, par le pacte social, de sa puissance, de ses biens, de sa liberté, c’est seulement la partie de tout cela dont l’usage importe à la communauté ; mais il faut convenir aussi que le souverain seul est juge de cette importance. »

( 2 ) C. s.,!, iv. 50 INTRODUCTION

volontaire. Il en est réduit à espérer en la vertu, le patriotisme et le désintéressement personnel du ou des maîtres qu'il s'est donnés. De sorte que son lâche sacri- fice nous apparaît sans résultat : la réalité de sa liberté se trouve encore de nouveau suspendue à une condi- tion morale, et aune condition plus difficile et plus rare, car il est sans doute moins chimérique d'espérer con- vaincre la majorité d'un peuple de ses vrais intérêts ô^ue de persuader un souverain absolu de sacrifier ses inté- rêts propres à ceux de son peuple.

Si l'on ne peut ni limiter la souveraineté du peuple ni la lui ravir pour la confier à un chef, peut on du moins la diviser et l'anéantir du même coup ? C'est, à peu près, la solution de Montesquieu, et les défenseurs contempo- rains du a libéralisme » la reprennent. « Il n'y a pas de souveraineté, » disait Royer-Collard et ont répété après lui plusieurs critiques de Rousseau, St-Marc Girardin (*), M. Faguet ( 2 ), etc. : nulle autorité ne doit être sou- veraine, pas plus celle du peuple que celle d'un chef ; l'objet de la politique, c'est de faire vivre côte à côte des appétits, des intérêts et des passions distinctes, en neutralisant les uns par les autres et en protégeant par cet ingénieux équilibre tous les droits individuels. Le dogme de la « division des pouvoirs» devient la pierre angulaire de toute constitution libérale. — Mais, comme le disait très fortement Rousseau, si l'on peut bien, à la rigueur, diviser le pouvoir « dans son objet », il est impossible de le diviser « dans son principe ( 3 ) » : pour assurer et pour maintenir ce balancement de pouvoirs rivaux, il faut un pouvoir suprême, un véritable souve- rain, qui ne peut être qu'un chef, une assemblée ou un peuple. De sorte que la division des pouvoirs peut bien être considérée comme un excellent moyen pratique pour

(*) Ouv. cit., t. II, p. 406.

( 2 ) Ouv. cit., ch. xi, p. 285 et suiv.

(«) C. s., II, ii.

�� � INTRODUCTION 5l

le souverain d'exercer sa puissance et d'assurer l'appli- cation impartiale de la loi ; il peut être avantageux de remettre en des mains distinctes telles fonctions execu- tives ou judiciaires; c'est ce que reconnaissait et procla- mait Rousseau lui-même (*). Mais ce n'est là qu'un moyen, non un principe. Ces pouvoirs divisés ne peuvent être que des émanations du véritable souverain, et le pou- voir législatif tout au moins appartient au peuple tout entier. Il n'est donc pas plus possible d'éliminer que de limiter la souveraineté.

Quelque hypothèse que nous examinions, nous retrouvons donc toujours la même conclusion, à savoir qu'en proclamant la toute puissance du peuple souve- rain et en ne reconnaissant à cette puissance d'autres limites que celles que lui imposent la logique et la morale, Rousseau a proclamé le principe évident et nécessaire de toute politique vraiment fondée sur la liberté. Si l'on donne à l'Etat, comme l'a fait Rousseau, l'individualisme pour principe et pour fin, si on le regarde comme composé d'hommes libres et comme ayant pour fin l'intérêt de ces hommes, on est logiquement amené à la solution de Rousseau, «l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté ». Après le contrat social, il ne peut plus être sérieuse- ment question de droits naturels. Sans doute, le contrat ne change pas l'ordre nécessaire des choses : il ne modifie pas ce qui est bien ou mal en soi ; les droits naturels subsistent donc bien, en un sens, à titre d'idées morales conçues par les individus : mais ce ne sont plus des réalités sociales. La loi, c'est-à-dire l'expression de la volonté générale, voilà désormais l'unique règle et l'unique critérium du droit. Libre au moraliste, libre au citoyen de condamner la loi et de regretter qu'elle soit telle ; libre à lui de travailler à la modifier pour la mettre d'accord avec ce qu'il regarde comme le droit naturel

(') C. s., III, h et iv.

�� � 52 INTRODUCTION

ou le bien moral. Mais la loi ne peut et ne doit pas reconnaître d'autorité autre que la sienne : tout ce qu'elle touche perd son caractère naturel pour devenir politique et civil, et toute loi peut être modifiée ou supprimée, au gré de la volonté générale. La doctrine de la souveraineté populaire nous paraît donc la con- clusion logique et sincère de toute politique vraiment libérale, c'est-à-dire faisant de la liberté politique la condition et la garantie de la liberté civile.

  • *

Par amour de la liberté, dira-t-on, nous sommes donc conduits infailliblement au despotisme ou à la tyrannie des majorités. — Toute démocratie nous y expose assu- rément, mais elle ne nous y condamne pas. Il reste, en effet, pour retenir et guider la volonté générale et pour lui imposer le respect des libertés nécessaires, la puissance morale de la raison. Il s'agit de savoir quelle valeur il convient d'attribuer à ce facteur. Les adver- saires de la souveraineté populaire en font bon marché et montrent par là même peu de confiance dans la légitimité des droits individuels dont ils se font les défenseurs. Ils semblent sentir que quelques-uns de ces prétendus droits naturels sont malaisés à justifier par l'utilité sociale et ont besoin d'être revêtus d'un carac- tère absolu et sacré. S'ils sont légitimes, cependant, c'est qu'ils sont avantageux à tous. Il suffira donc qu'un peuple soit éclairé sur ses véritables intérêts pour qu'il comprenne la nécessité de faire de la loi la pro- tectrice de ces droits.

Dira-t-on qu'un peuple est guidé par la passion, non par la raison pure, je répondrai qu'il ne s'agit pas là de raison pure : mais du calcul des intérêts, ce que les hommes ont quelque inclination naturelle à com- prendre, et que d'ailleurs, si l'on ne peut attendre qu'un peuple soit uniquement composé d'hommes raison-

�� � INTRODUCTION 53

nables et justes on peut espérer du moins une majorité ayant du bon sens et de l'équité. Ret'usera-t-on même d'aller jusque là, dira-t-on qu'il n'est pas démontré que les majorités consentent jamais à respecter les minorités et à faire de l'intérêt général leur unique principe d'action : je répondrai alors, avec Rousseau : eh bien, en ce cas, il ne peut y avoir de liberté ! C'est ce qu'a vu très profondément Rousseau : c'est cette pensée, d'un réalisme si précis, qu'on trouve au fond de la théorie, en apparence formelle et subtile, de la volonté générale. Pour que la liberté politique entraîne réellement et en fait le maximum de liberté civile, il faut que les citoyens aient en vue l'intérêt général ; s'il se forme des brigues pour favoriser les intérêts particuliers, si les individus se laissent corrompre, s'ils oublient la solida- rité qui les unit à l'ensemble du corps social, si l'igno- rance ou les passions les empêchent de comprendre que la loi ne peut favoriser l'intérêt de chacun qu'en assu- rant également le bien de tous, il est très vrai que la liberté politique pourra engendrer des lois inutilement oppressives et tyranniques. Loin qu'il ait ici péché par excès d'optimisme et d'idéalisme, on pourrait peut-être reprocher à Rousseau de s'être fait une idée exagérée des vices inhérents à toute société civilisée, et d'avoir trop facilement désespéré de la réalisation de la liberté (*)•

Rousseau reconnaît donc et proclame cette vérité solide que, si la souveraineté populaire est la condition nécessaire de la liberté et de l'égalité, elle n'en est pas, en fait, la condition suffisante. La volonté générale, pour être infaillible, doit d'abord être la volonté géné- rale, et nous avons vu ( 2 ) quelles conditions elle suppose. La liberté ne sortira réellement des institutions que si les hommes, qui font la loi, sont capables de raison

(*) Cf. Consid. sur le gouv. de Pologne, ch. vi. — Lettre au Marquis de Mirabeau, 26 juillet 1767, etc. ( 2 ) Cf. ci-dessus, § 4.

�� � 54 INTRODUCTION

et aiment l'égalité. La valeur de la loi dépend de la valeur du citoyen. Il n'est pas besoin que les hommes soient des héros et des saints, mais il est nécessaire qu'ils comprennent que leurs propres intérêts sont liés aux intérêts de tous et qu'ils aient au cœur ce que Rous- seau nomme le patriotisme, « c'est-à-dire l'amour des lois et de la liberté ». Alors, la liberté de chacun ne pourra plus être en effet restreinte que dans la mesure qui paraîtra nécessaire à la majorité pour assurer éga- lement la liberté de tous, et cela me paraît une formule très acceptable de la justice sociale. Si nous aimons la vraie liberté, non pas la liberté dans la jouissance de nos privilèges, mais la liberté égale pour tous, ce n'est pas au dogme de la souveraineté populaire que nous devons nous attaquer : il en est au contraire l'instru- ment nécessaire. Mais pour que cet instrument ne soit pas faussé dans son fonctionnement et produise tous ses effets utiles, il faut nous efforcer de développer en nous et dans les autres l'esprit de justice, qui est l'esprit d'égalité : la garantie dernière de la liberté, dans tout état démocratique, ne peut être que « dans la force et dans la profondeur du libéralisme populaire (*) ».

Le système politique de Rousseau, ramené à ses principes essentiels ( 2 ), ne me paraît donc ni contra- dictoire, ni absurde, ni chimérique : c'est un système républicain, démocratique, et, à prendre le. mot dans son vrai sens, libéral. — D'où vient l'erreur, aujourd'hui commune, qui regarde le Contrat social comme un manuel du despotisme? De trois causes principales, je crois : d'abord, de ce que plusieurs théories particu- lières de Rousseau sont en effet intolérantes et oppres-

(*) Jacob, la Crise du Libéralisme, Rev. de Métaph., janv. 1903, p. 118; Cf. Vandervelde, le Collectivisme, p. 260.

{-) Je répète que je n'ai voulu discuter ici que les idées maî- tresses : on trouvera de sérieuses réserves à l'égard de plusieurs théories particulières.

�� � INTRODUCTION 55

sives et qu'il a senti plus vivement la liberté politique que la liberté civile ; — ensuite, de ce que le xix" siècle n'a vu Rousseau qu'à travers la Révolution, et, sous prétexte que Robespierre était son disciple, a cru trouver dans le régime de la Terreur la conclusion nécessaire du Contrat social; — enfin, de ce qu'une nombreuse école de philosophes et de politiques modernes a rétréci et faussé la véritable idée de la liberté, en la détachant de l'idée d'égalité qui en est inséparable, et en l'oppo- sant à la souveraineté populaire, qui en est la condition. J'espère avoir montré que les hommes du xvm a siècle avaient beaucoup moins tort qu'on ne l'a prétendu de voir en Rousseau l'homme qui a « le plus éclairé la Frarice sur les saines idées de la liberté ».

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  1. Notamment, C. s., I, Préamb. et chap. i ; — Ms. de Genève, I, v ; — Émile, V, p. 472 et 493 ; — Conf., II, ix (1756) ; — Lettre à Rey (29 mai 1762) ; etc.
  2. C. s., I, i.
  3. C. s., I, vi.
  4. Disc, sur l’inég., p. 316.
  5. Émile, V, p. 493.
  6. Cf. Idées républicaines par un citoyen de Genève.
  7. Émile, V, p. 472.
  8. Conf., II, ix (1756).
  9. Notamment, Conf., passim ; — Lettre à Rey, 29 mai 1752 ; — VIe Lettre de la Montagne ; — 3e dialogue de Rousseau juge de J.-J. ; etc.
  10. Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur la réformation projetée en Avril 1772.
  11. 17}} avril et 15 oct. 1764, 24 mars et 26 mai 1765.
  12. Œuvres et correspond. inédites de J.-J. R., publiées par Streckeisen-Moultou, Paris, 1861.
  13. Cf. les curieuses paroles que Rousseau comptait sans doute adresser aux Corses, et la formule du serment, ibid., Fragments, p. 116.
  14. C. s., II, vi.
  15. Cf. Henry Michel, l’Idée de l’État, avant-propos, p. VIII : « Les inconvénients de la méthode a priori me semblent tenir moins à sa nature même qu’à l’emploi qu’on en fait, lorsqu’on
  16. Voir le chapitre suivant.