Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement/Chapitre VII
VII
D’autres prennent un ton plus fier et nous disent que l’Université c’est l’État enseignant, et qu’oser combattre l’Université, c’est se constituer l’ennemi de l’État. Ils vont même jusqu’à dire que le monopole de l’enseignement appartient de droit à l’État, comme celui de la force judiciaire ou de la force militaire. L’Université, cette innovation du despotisme moderne, se trouve ainsi assimilée à la magistrature et à l’armée, ces deux fondements perpétuels de toute société civilisée ; et, s’il fallait en croire ces nouveaux docteurs, il serait aussi téméraire et aussi anti-social d’ouvrir une maison d’éducation en dehors des méthodes de l’État, que de lever un régiment sous d’autres couleurs que le drapeau national, ou de constituer un tribunal de sa propre autorité. On conçoit quel serait l’avenir réservé à la liberté de la presse, à la liberté de conscience, à tous les droits de l’intelligence et de l’âme, si un aussi monstrueux système pouvait prévaloir jamais dans notre pays. Qu’il ait seulement été avancé et sérieusement affirmé, en voilà assez pour montrer quel est le genre de progrès auquel aboutissent en dernier ressort ces réformes, ces prétendues conquêtes de l’intelligence et de la liberté, qui ont commencé partout par affranchir les hommes de la sainte et maternelle autorité de l’Église, pour les courber ensuite sous les caprices despotiques d’un égoïsme éphémère.
Remarquons, en passant, par quelle bizarre et vengeresse contradiction ces apôtres du progrès, après avoir fondé la législation et la société nouvelle sur le triomphe jaloux de l’individualisme, sur l’exclusion de tout principe d’association et de corporation, se trouvent subitement amenés à identifier l’État avec la corporation la plus puissante, la plus envieuse, et la plus ambitieuse qu’on ait encore vue dans notre pays. Ils ne s’aperçoivent pas qu’il y a là quelque chose d’inoui, quelque chose que la civilisation antique n’a pas connu, que Rome païenne, si jalouse d’absorber l’individu dans la cité, n’a jamais tenté, quelque chose dont l’Europe entière, dans le présent ni dans le passé, n’offre pas un second exemple : car même sous les gouvernements les plus despotiques, il y a des Universités surveillées par l’État ; mais nulle part elles ne sont l’État même ; nulle part l’État ne s’est fait directement maître d’école.
Mais nous n’avons point à approfondir cette doctrine et ses conséquences comme catholiques, parce que, encore une fois, les catholiques ne dirigent pas les destinées de l’État, et très probablement ne les dirigeront jamais de notre temps. Voici seulement ce que nous avons à dire sur ce point. S’il plaît à l’État de s’identifier avec l’Université, d’adopter pour siennes la haine, l’envie, la cupidité pécuniaire qui enflamme contre nous les membres influents de ce grand corps, tant pis pour l’État, car il aura livré ses destinées à l’anarchie intellectuelle et morale. Le jour où il sera bien constaté que l’État reconnaît pour ses pontifes et ses organes ces risibles docteurs qui se posent au Collége de France en successeurs d’Abailard et de Ramus, ce jour-là, ce n’est pas nous qui serons devenus ennemis de l’État, mais bien l’État qui se sera posé en ennemi direct de l’Église. Ce jour-là, il aura élevé une barrière insurmontable entre le catholicisme et lui ; il aura achevé de détacher de lui toutes les âmes élevées et indépendantes qui pouvaient le servir ; il aura commencé une lutte qui a toujours été l’infaillible avant-coureur de la ruine et de la confusion de ceux qui l’ont entamée.