Du vert au violet/La Forêt

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Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 67--).

LA FORÊT



Viens dans la forêt, viens dans les ténèbres fraternelles. Viens, je cueillerai pour toi les fleurs qui te ressemblent, les fleurs nocturnes qui recèlent de subtils poisons.

Je parerai tes cheveux lunaires de fleurs d’aconit, de digitale et de belladone…

N’es-tu point épouvantée d’être seule avec moi, dans la forêt nocturne qui m’aime et qui te hait ?

Je voudrais fuir tes yeux clairs et pénétrants comme l’acier mortel, je voudrais te fuir et t’attirer à moi.

Les branches des arbres s’inclinent vers toi comme de longs bras menaçants qui étouffent dans une étreinte d’amour haineux.

Ils peuvent t’étrangler, mais ils sont impuissants contre moi, car je suis l’être du silence et de la solitude.

Toute la forêt nocturne te menace et te hait : elle a vu le mensonge dans tes yeux, et le péril de ta voix, et la cruauté de ta caresse.

Mais je t’aime, tout en voulant te fuir, et je te protégerai contre la forêt et contre moi-même.

Les choses tendres et vraies me supplient de t’abandonner et de m’enfuir, — les feuilles et le lierre, et la mousse, et les violettes bien-aimées.

Seuls, les furtifs serpents et la lune se réjouissent et encouragent notre amour.

Oh ! comme la voix des hiboux est sinistre !

Les hiboux me conseillent de t’abandonner et de m’enfuir.

Les chauves-souris aux ailes bleues s’égarent, tourmentées par la pesanteur de leurs corps et par l’impuissance de leurs ailes.

Leur âme est pareille à mon âme. Elles se heurtent stupidement à des obstacles stupides, et le désir de l’infini est dans leurs regards aveugles.

Je sens cruellement le désir de planer…

Si je pouvais m’envoler, je t’échapperais peut-être, ô l’incarnation de mon Destin,

Et, si j’osais t’aimer, je te tuerais, selon le désir de la forêt nocturne qui t’ensevelirait sous les feuilles et sous les branches.

J’étoufferais ton râle de mes baisers… Ah ! ton râle dans la nuit !… Je t’étoufferais avec des étreintes et des caresses, et tu mourrais de mes lèvres…

Car je suis l’Amant qui ne peut aimer sans haïr et dont la convoitise est faite d’amertume et de mélancolie.

Et toi, tu es la Mauvaise Maîtresse qui exaspère les fièvres et qui avive le mal.

Ne sens-tu pas le danger autour de toi ?

L’odeur de la Mort est dans l’air et m’enivre étrangement…

Oh ! comme la voix des hiboux est sinistre !…

— La Lune rit, la Lune rit…