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Dumas, Histoire de mes bêtes/Chapitre 16

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Histoire de mes bêtes
Calmann-Lévy (p. 101-104).

XVI

J’ACHÈTE UN MARI À MADEMOISELLE DESGARCINS


Michel était comme mon cocher ; seulement, il avait choisi une lecture sinon plus instructive, du moins plus amusante.

— Michel, lui dis-je, vous voyez : il faut faire faire chez Laurent un bâton au Macrocerus ara canga, et une cage chez Trouille à la Cercopithecus sabæa.

— Monsieur, dit Michel, pour le bâton, je ne dis pas mais pour la cage, c’est inutile.

— Comment, c’est inutile ? mais la pauvre bête ne restera jamais dans celle-ci ; c’est une cage de chardonneret ou de bouvreuil. Elle serait morte d’une crampe au bout de huit jours.

— En l’absence de monsieur, il est arrivé un malheur.

— Bon ! quel malheur ?

— Une belette a étranglé le faisan ; monsieur le mangera à son dîner.

Je laissai échapper une exclamation qui n’était ni un refus ni un assentiment. J’aime fort à manger le gibier tué par moi, mais je suis moins ardent au gibier étranglé par un animal quelconque qui n’est pas un chien de chasse.

— Alors, dis-je, la cage est libre ?

— Depuis ce matin.

— Emménageons-y la guenon, alors.

Nous portâmes la petite cage près de la grande cage ; nous mimes les deux portes ouvertes en face l’une de l’autre. La guenon se précipita dans son nouveau logement, bondit de bâton en bâton et finit par s’accrocher aux barreaux en me grinçant des dents, en jetant des cris plaintifs et en me montrant la langue.

— Monsieur, dit Michel, voilà une bête qui veut un mâle.

— Vous croyez. Michel !

— J’en suis sûr.

— Vous pensez donc que les singes se reproduisent comme les perroquets ?

— Il y en a au jardin des Plantes qui y sont nés.

— Si nous lui donnions le perroquet ?

— Monsieur, il y a un petit Auvergnat qui vient ici avec son singe demander de temps en temps un sou. À la place de monsieur, je lui achèterais son singe.

— Pourquoi plutôt celui-là qu’un autre ?

— Parce qu’il est doux comme un agneau et qu’il a reçu une excellente éducation. Il a une toque avec une plume, et il salue quand on lui donne une noix ou un morceau de sucre.

— Sait-il faire encore autre chose ?

— Il se bat en duel.

— Est-ce tout ?

— Non, il cherche les poux à son maître.

— Et vous croyez, Michel, que ce jeune Allobroge se défera d’un animal qui lui est si utile ?

— Dame, vous comprenez, c’est à lui demander.

— Eh bien, Michel, nous lui demanderons, et, s’il est raisonnable, nous ferons deux heureux.

— Monsieur ! dit Michel.

— Eh bien ?

— Le voilà justement.

— Oui ?

— L’Auvergnat au singe.

Effectivement, la porte de la cour s’entr’ouvrait et une grosse figure, douce et placide, se montrait par l’ouverture.

— Entra ! entra ! dit Michel, qui, on le sait, a quelques notions de la langue auvergnate.

Le bonhomme ne se le fit pas dire à deux fois. Il entra en tendant sa casquette.

Son singe, posé sur une boite que l’enfant portait sur son dos, se crut obligé de saluer comme son maître et prit à la main sa toque de troubadour.

C’était un singe de la même famille que la macaque, mais de la plus petite espèce.

Autant qu’on eu pouvait juger sous son costume de fantaisie, il avait une charmante petite figure d’une douceur et d’une finesse parfaites !

— Oh ! dis-je à Michel, comme il ressemble à…

Je prononçai le nom d’un célèbre traducteur.

— Eh bien, dit Michel, voilà le nom tout trouvé.

— Oui ; seulement, Michel, nous en ferons l’anagramme.

— Comment, l’anagramme ?

— C’est-à-dire, lui expliquai-je, qu’avec les mêmes lettres, nous lui composerons un autre nom. Prenons garde aux procès en diffamation, Michel.

Michel me regarda.

— Oh ! monsieur peut appeler son singe comme il eut.

— Je puis appeler mon singe comme je veux ?

— Monsieur en a le droit.

— Je ne crois pas, Michel.

— Monsieur en a le droit.

— Eh bien, en supposant que j’aie le bonheur de devenir propriétaire de ce charmant animal, nous l’appellerons Potich.

— Appelons-le Potich.

— Nous ne l’avons pas encore, Michel.

— Que monsieur me donne carte blanche.

— Vous avez mes pleins pouvoirs, mon ami.

— Jusqu’à quelle somme puis-je aller ?

— Jusqu’à quarante francs.

— Que monsieur me laisse avec le gamin, j’en fais mon affaire, dit Michel.

Je laissai Michel avec le gamin, et rentrai à la villa Médicis, d’où j’étais absent depuis quatre jours.