Délicieuses voluptés/03

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(pseudo non identifié)
Éditions de Minuit, 8 rue de Tracy (p. 25-33).
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III

Colette de Verneuse est ce qu’il est convenu d’appeler une femme libre — dans tous les sens. Oh ! entendons-nous ; nous n’insinuons rien de fâcheux et qui pourrait nuire à sa réputation. Colette de Verneuse est libre, à tous les points de vue, parce qu’elle est à la tête d’une fortune suffisante pour donner le maximum de liberté à une femme jeune et jolie.

Et Colette de Verneuse use de cette liberté, discrètement.

De bonne heure orpheline, elle fut confiée aux soins d’un tuteur qui devint son premier amant. C’est dire qu’elle fut initiée assez tôt aux choses de l’amour.

La jolie Colette n’y vit nulle malice. Au contraire ! et elle fut assez fine pour deviner tout le parti qu’elle pourrait tirer de sa situation. Jolie nièce d’un vieil oncle encore vert, et amateur de charmes juvéniles, elle sut en profiter habilement, tant pour sa liberté que pour l’accroissement de son patrimoine.

Quand l’oncle-tuteur qui était sans enfants, mourut, il laissa la plus grande part de sa fortune à sa jolie nièce, alors à un an de sa majorité.

Et ce fut la belle vie pour Colette de Verneuse…

Il nous suffira de la présenter au lecteur : Belle, admirablement belle, grande et harmonieuse, le type de la femme parfaite et moderne. Sportive, théâtreuse, mondaine — sans conventions ridicules — en un mot : à la page !

Ah ! oui, comme le disait la bonne Madame de Rembleynes, elle allait mettre un peu d’animation dans le vieux domaine… et même au-delà !

On s’en aperçut dès sa descente du train.

Bourgville n’est pas sur la grande ligne. Et pour y accéder, il faut prendre à Rouen, un petit attelage de vieux wagons traînés par une antique locomotive poussive. Aujourd’hui, le service doit être fait par un autocar — de Rouen à la mer. Mais à l’époque où se passe l’épisode qui fait l’objet de cette histoire — vraie ! — le voyage en chemin de fer était de rigueur.

Il y avait donc à Bourgville une petite gare, assez loin du village, lui-même assez loin du château de Rembleynes.

Et c’est pourquoi, un quart d’heure avant l’arrivée du petit train, ce jour-là, nous voyons sur le quai, Jacqueline en compagnie du vieux Gaspard, attendant la grande cousine…

De l’autre côté de la grille de bois, les deux chevaux piaffent et manifestent quelque impatience. Mais soudain, ils lèvent la tête, car un coup de sifflet strident retentit. La vieille petite locomotive vient de surgir de la courbe, et s’arrête, alignant ses quatre wagons devant la vétuste station.

— Bourgville ! crie d’une voix rauque et sans conviction, le chef de gare.

Mais aujourd’hui, quelqu’un descend du wagon mixte de première et seconde classe ; une alerte et élégante jeune femme, vers laquelle se précipitent Jacqueline et le vieux Gaspard.

— Colette, ma chère cousine !…

— Jacqueline ! Oh ! chérie, comme tu es jolie !

Elle rougit sous le compliment, la petite châtelaine de Rembleynes… Jolie !… Pas possible !… Elle s’en était bien doutée en s’examinant devant son miroir. Mais quand même, elle est bien heureuse de se l’entendre dire pour la première fois…

Elle releva bien vite sa tête qu’elle avait baissée soudain, pour cacher sa rougeur, et elle offre son visage aux baisers de Colette, cependant que Gaspard s’empare des menus bagages à main et s’enquiert déjà des malles qu’il va charger dans la voiture.

— Oh ! Jacqueline chérie, comme je suis heureuse de passer quelque temps avec toi…

— Et moi aussi, Colette, je suis heureuse, répond timidement la petite châtelaine.

La vieille voiture roule bon train vers le village. Et déjà Jacqueline a fait quelques constatations au nombre desquelles celles-ci :

Colette de Verneuse est très belle, et il émane d’elle, avec un parfum subtil, quelque chose de bizarre que Jacqueline identifie avec la luxure — ou plutôt l’idée qu’elle s’en fait.

De plus, Colette a une manière bien à elle d’embrasser sa jeune cousine en lui effleurant légèrement les joues de ses lèvres, pour les poser ensuite un peu plus longuement sur sa bouche. Cela paraît à Jacqueline infiniment délicieux, et lui semble n’être pas étranger à ce que l’examen de conscience de son livre de messe appelle les plaisirs défendus.

Et quand, baissant la tête, Jacqueline voit les jambes admirables de Colette dégagées de la jupe, et croisées l’une au-dessus de l’autre, elle a quelque idée de ce que peut être une action contre la pureté.

Oh ! une idée lointaine encore !… Toutefois, Jacqueline ne pense pas se tromper en se disant que la venue de la jolie Colette de Verneuse va bouleverser singulièrement sa vie et lui apprendre bien des choses.

Immédiatement, Colette devine l’émoi de sa petite cousine. À la dérobée, elle l’examine et s’amuse de la voir timide et rougissante. Elle l’enlace tendrement et laisse errer ses mains un peu à l’aventure pour constater le tremblement de la jeune fille.

Elles n’ont pas échangé beaucoup de paroles, mais seulement quelques baisers plus fréquents et plus prolongés maintenant que la voiture dépasse Bourgville et sa vieille église.

La petite châtelaine balbutie doucement des mots incompréhensibles, mais son abandon entre les bras et sous les lèvres de la jolie Colette, en disent long sur ses pensées et sur ses désirs refoulés.

Jacqueline, entre la gare et le village avait cru comprendre tout le mystère de Colette, mais Colette comprit entre le village et le château tout le mystère de Jacqueline.

Et ce soir-là, Jacqueline n’eût pu dire, quoi qu’elle en sentisse au plus profond d’elle-même, les raisons, pourquoi elle est si heureuse de constater que Madame de Rembleynes a logé Colette dans la grande chambre voisine, qu’une porte d’entre deux fait communiquer avec la sienne.