En Mocassins/02/05

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Texte établi par Inst. des Sourds Muets,  (p. 82-114).

MYTHOLOGIE ET FOLK-LORE.

Tandis que les Iroquois, en peuplant leur antiquité de géants et de monstres, trahissent leur préférence pour la force physique, les Algonquins montrent plus de goût et d’admiration pour la puissance invisible des manitous et des sorciers. Cependant, leur tendance à dissimuler rend difficile l’étude de leurs traditions mythologiques d’ailleurs vagues et mobiles. Cette dissimulation s’accentue au contact avec les Visages-Pâles qui ne cachent pas leur mépris pour les fables et les superstitions. Ceux de l’Ouest cessent complètement d’accomplir sous le vu des étrangers, leurs cérémonies de Michillimakinac en l’honneur des génies protecteurs de la pêche, parce que les Français se sont moqués d’eux.[1]

Aux railleries des coureurs de bois s’ajoute le dédain des voyageurs instruits. Le chevalier de Tonti fait dire à Cavelier de la Salle : « Je croirais me rendre plus ridicule qu’eux, si je voulais entrer dans le détail de leurs extravagances sur ce sujet (celui des croyances). »[2]

Les missionnaires non plus ne doivent pas encourager les sauvages à exposer les vaines croyances dont ils veulent les détacher. « On prétend, dit Charlevoix, que tous les Algonquins et les Abénaquis, pratiquaient autrefois une espèce de pyromancie… On ajoute que les Abénaquis, en se convertissant au christianisme, ne renoncèrent que bien difficilement à un usage qu’ils regardaient comme un moyen très innocent de connaître ce qui se passait loin de chez eux.»[3] Ce fait justifie l’attitude des missionnaires.

C’est en 1850 seulement que le monde civilisé apprend d’un chef Sauteux devenu lettré, que les Algonquins de l’Ouest ont des archives sacrées. Ajoutons cependant, pour mettre les choses au point, qu’un petit nombre seulement de chefs et de vieillards, en connaissent l’existence et qu’il leur est défendu d’en parler. Voici, en résumé, ce que dit sur le sujet Kahgegagahbowh, l’historien des Sauteux :

La plupart des nations de l’Ouest déposent en lieux secrets des registres qui remontent, dit-on, aux origines de leur culte. Les Sauteux en ont, près du lac Supérieur, trois dépôts dont dix gardiens choisis parmi les plus sages et les plus vénérables de la nation, habitent le voisinage. Les vides que la mort fait parmi eux se comblent tous les dix ans, intervalle au bout duquel les caches doivent s’ouvrir. On visite alors les précieuses archives et l’on donne aux nouveaux gardiens les instructions nécessaires. On remplace en même temps, par des copies exactes, les pictographies oblitérées, et l’on remet le tout dans le même état. Enfin les registres hors d’usage sont partagés en morceaux que l’on distribue aux sages, comme autant de talismans.

Ces traditions écrites en symboles sur de l’ardoise, du cuivre, du plomb ou de l’écorce de bouleau, sont ensuite enveloppées dans de l’édredon et enfouies quelquefois à quinze pieds sous terre. On les appelle le Sentier tracé par le Grand-Esprit, car on les regarde comme une révélation faite, après le déluge, par le Maître de la vie, et transmise par les sages.[4]

Le goût du mystère, inné chez tous les hommes, s’accentue encore chez le sauvage isolé au milieu d’insondables forêts, et, l’ignorance aidant, s’épanouit en pratiques de sorcellerie.

Les Algonquins se montrent en général passionnés pour les relations avec les manitous. Ils ne font exception que pour le Grand-Esprit. Bien qu’ils le connaissent et fassent relever de lui la loi morale, ils ne semblent pas lui rendre de culte spécial : Kitchimanitou est trop bon, à ce qu’ils pensent, pour leur faire du mal. Quant aux esprits secondaires bons et mauvais, ils vivent, pour ainsi dire, en leur compagnie, et redoutent fort les derniers auxquels ils font des présents afin de les adoucir.

On trouve, autour des Grands Lacs, plusieurs associations cabalistiques et secrètes dont Schoolcraft décrit ainsi la principale : « Wabeno est le nom d’une société d’hommes qui accomplissent leurs orgies pendant la nuit. Ils invoquent les esprits impurs et opèrent des maléfices. C’est la plus dégradée de toutes les associations indiennes. »[5]

Michabou et Glouskap, les plus grands héros de la fable algonquine, sont aussi les plus illustres magiciens. Tous les Nipissings passent pour des sorciers, et cette qualité inspire à leurs voisins autant d’admiration probablement que de terreur.

Chez les Abénaquis comme chez les tribus du Nord, la moitié de l’art de chasser, consiste en nécromancie et en invocations de génies tutélaires auxquels on attribue les songes.

À ces génies croient, à la vérité, tous les sauvages de l’Amérique ; aussi vénèrent-ils les totems qui sont sensés les représenter et même les contenir. Les Iroquois, comme les autres, lorsqu’ils partent en guerre, suspendent tous leurs totems aux pinces de leurs canots ; mais il semble que les Algonquins aient pour ces esprits protecteurs un culte plus spécial.

Chez eux, l’enfant, garçon ou fille, doit, en atteignant l’âge de puberté, se préparer par un jeûne de huit ou neuf jours à la faveur de connaître son esprit gardien. Isolé dans une petite cabane que ses parents lui construisent assez loin de leur domicile, il prie ce protecteur de se manifester à lui. Là, ne recevant de sa mère que la nourriture strictement nécessaire à l’entretien de sa vie, il finit par tomber d’épuisement, la fièvre aide l’ennui à produire l’hallucination ou le rêve, et il ne s’agit plus alors que de savoir quelle vision a surtout hanté son jeune cerveau. Il importe peu que ce soit celle d’un animal ou d’un astre, d’une plante ou d’un objet quelconque : selon la croyance indienne, il n’y a pas d’être visible que ne soit la forme matérielle ou du moins la demeure d’un esprit.

Celui de l’être objet du rêve ou de la vision, prend l’enfant sous sa tutelle et lui donne son propre nom ; mais ce nom mystique est en quelque sorte sacré, et bien que tous le connaissent dans la tribu, on ne le prononce jamais, au moins dans l’usage habituel, comme si l’on craignait de le profaner.

Chaque sauvage est sensé participer à la vie et même à la puissance de son esprit gardien dont il conserve précieusement l’image. Celle-ci, sculptée plus ou moins grossièrement, est son totem.[6]

C’est parce que les Indiens croient à des esprits protecteurs de toutes les espèces d’animaux, qu’ils demandent pardon à ceux-ci de les avoir tués ; ne brisent pas certains de leurs os, mais les suspendent par respect aux branches des arbres. Enfin le sauvage ne doit jamais tuer l’animal qu’il a pour totem, car l’esprit protecteur de cet animal est aussi le sien. Cette théorie ouvre la porte à la métempsycose laquelle n’est en effet pas étrangère aux croyances des enfants des bois.

Nous connaissons assez maintenant la mentalité des Algonquins pour deviner que leur folk-lore doit tirer ses machines poétiques surtout de l’intervention des esprits qu’ils mêlent à toute la nature. Celle-ci est leur autre amour. Ils l’aiment tant, qu’ils préfèrent mourir misérables sur son sein, à vivre dans notre opulente servitude. Nos commodités domestiques et nos villes tirées au cordeau, ne sauraient leur faire oublier leur dure liberté, leurs cabanes portatives et l’imprévu des forêts vierges. Aux envolées d’une fanfare, aux mélodies d’un orchestre, ils préfèrent la grande musique de la nature : le chant des oiseaux, les voix d’insectes, de wawarons et de grenouilles ; le hurlement des fauves, le gémissement des flots et les plaintes du vent : le concert divin de tout ce qui chante ou soupire, crie ou murmure sous la voûte bleue ou noire, nuageuse ou étoilée, et dans les insondables forêts. Et comme si, de ces deux profondeurs, il ne sortait pas assez de voix, ils les ont peuplées d’innombrables esprits.

Laissons ici, la parole à un Algonquin[7] :

« Les Sauteux croient à un Esprit suprême et bon, aussi bien qu’à un Mauvais-Génie. »

« Ils reconnaissent aussi d’innombrables divinités, parmi lesquelles, le dieu de la guerre, celui de la chasse, celui de l’air et des oiseaux. »

« Les cieux sont remplis de génies, objets de leur culte ; les forêts aussi en sont pleines et tressaillent à leur souffle. Ils se donnent rendez-vous dans les lacs, les ruisseaux, et choisissent comme lieux de retraite, les montagnes et les vallons. Ils préfèrent, pense-t-on, les sites remarquables de la contrée, tels que les pics rocheux et escarpés, les anfractuosités des monts et leurs cavernes. On se plaît à voir dans les chutes, le théâtre de leurs amusements. »

« Au firmament habite le dieu, gardien vigilant des étoiles. C’est lui qui murmure dans la brise et gronde dans la tempête. Dominant sur les trois cieux, il en bannit quelquefois, pour s’amuser, des étoiles, et les précipite sur la terre, où elles se changent en démons malfaisants et persécuteurs. »

« Les constellations sont des conseils d’étoiles réunies par ce dieu. Les plus brillantes sont des esprits dirigeants, constitués par lui gardiens de leurs sœurs. »

« Les nébuleuses sont des villes célestes très peuplées. Quelques-uns de leurs citoyens illustres par naissance émigrent, selon les récits du wigwam, vers les peuples de la terre et demeurent avec eux, ou vice versa, des hommes deviennent habitants du ciel. On parle même d’animaux auxquels il aurait poussé des ailes ou qui en auraient reçues du ciel en présent. »

« Si l’on écrivait toutes les fables relatives aux cieux, on verrait qu’il n’y est pas une étoile à laquelle ne se rattache quelque étrange événement. Leur histoire d’après la tradition indienne, en serait vraiment une, et se rangerait parmi les curiosités littéraires. »

« Sur la terre fourmillent des manitous bons et mauvais. Ceux des forêts s’habillent de mousse et un millier d’entre eux peuvent se mettre à l’abri d’une fleur.»

« L’Ojibois, couché à l’ombre des futaies, se croit entouré de ses dieux et découvre leurs voix grêles dans le bourdonnement des insectes. Les yeux à demi clos, il les aperçoit prenant leurs ébats par milliers dans un rayon de soleil. Il les voit et les entend le soir de tous côtés. Dans les sublimités et les profondeurs, ils lui apparaissent, étalant leurs tailles graciles, peintes de minium, leur pompe séductrice et leur féerique orgueil. »

« La terre ne produit pas une plante remarquable sans que celle-ci ait un manitou qui la protège, tout en restant lui-même sous la suprématie du dieu de la médecine. C’est de ce dernier qu’hommes et femmes peuvent apprendre à connaître les vertus des simples, faveur qui s’obtient par des jeûnes. »

Ainsi la mythologie algonquine, riche entre toutes, s’enjolive de récits et de tableaux pittoresques dont nous allons faire quelques esquisses.

Paugouk, manitou de la mort, est un squelette chasseur d’hommes. Armé d’un arc et d’une massue, il voit sa proie au moyen de deux flammes qui brillent au fond de ses orbites. Malheur à celui qui l’aperçoit : il tombe sous ses coups. Souvent toutefois, le funèbre chasseur arrive sans être vu, et le guerrier enthousiaste, croyant saisir la gloire, rencontre la main froide de Paugouk.[8]

Weeng, le manitou du sommeil, est un dieu mouche aux ailes bourdonnantes. Il se perche dans les arbres, et de nombreux petits émissaires qui l’accompagnent toujours, vont frapper avec de minuscules marteaux le front de ceux qu’il veut endormir.[9]

Kabéoun, esprit du vent d’ouest, est le père des autres manitous des vents par une vierge qui a commis l’imprudence de s’exposer trop longtemps à son souffle séducteur.[10]

Les Jossakides, espèces de gnomes ou génies de l’obscurité, hantent le sol terrestre jusque dans ses profondeurs.[11]

Les Nibanabègues sont des sirènes indiennes redoutées des canotiers qu’elles poussent vers les endroits dangereux et auxquels elles tendent des embûches sous les eaux.[12]

Les Poukouaginins dont le nom veut dire Petits-hommes-qui-disparaissent, sont les génies des montagnes. Ils ont pour ancêtre un nain dont la jeune sœur allait devenir l’étoile du matin. Les deux enfants, orphelins de bonne heure et instruits par les manitous de leurs extraordinaires destinées, durent se séparer ; mais ils se promirent mutuellement de ne jamais s’oublier et de se saluer à l’heure de l’aurore.

Le vent d’ouest transporta la jeune vierge au ciel d’orient, et depuis lors, à chaque point du jour, c’est elle qui peint l’aube et décore les nuages. Comme pour être plus en vue de sa sœur, Poukouaginin habita les montagnes. Sa race aux pieds légers, naine comme lui, y court sur les plus hauts sommets, et, fidèle à la promesse ancestrale, ne manque pas de saluer gaîment tous les matins, la messagère de l’aurore.[13]

Le père des Imakinacs est tombé de l’étoile du soir où habitent encore ses antiques parents enlevés jadis à la terre par le dieu de cet astre et désormais immortels. Il lui poussa, comme il tombait, des espèces d’ailes ; le rocher de Michillimakinac le reçut sain et sauf et porta depuis son nom précédé d’une épithète qui veut dire multitude et fait allusion à sa nombreuse postérité. C’est là qu’habitent de préférence ses volages descendants, bien qu’ils hantent aussi les sites pittoresques dont ils sont les génies.

Nains aussi, mais un peu plus grands que les Poukouaginins, une touchante piété filiale, les porte à danser, les mains jointes, à l’heure du crépuscule, en face de l’étoile du soir, séjour enchanteur de leurs aïeux.

Leurs bijoux de cabanes, visibles aux rayons de la lune, luisent au sommet des rochers où souvent le passant croit entendre leurs légers battements d’ailes et le tintinnement de leurs voix.[14]

Michabou, fils de Kabéoun et petit fils d’une femme tombée de la lune, homme et manitou, nécromancien, tueur de monstres et vainqueur de son père, est aussi le Noé algonquin, et sauve toutes les races animales du déluge causé par la colère du roi des serpents. Il les rassemble sur un radeau où il sème un grain de sable qu’un rat-musqué est allé chercher au fond des eaux. Alors intervient le pouvoir surnaturel du dieu, et la pierre se met à germer, la terre à pousser comme la mousse et les champignons. L’île flottante de bois s’en recouvre et s’en agrandit indéfiniment. Michabou décoche aux troncs flottants des arbres morts, des flèches qui se changent en rameaux verdoyants ; sa baguette magique métamorphose en hommes vivants des cadavres d’animaux.

Ce restaurateur du monde continue de faire rouler sur les merveilles qu’il opère, la partie la plus fondamentale, la plus héroïque et, souvent aussi, la plus drolatique du folk-lore algonquin.

Premier éducateur des Peaux-Rouges sur le radeau primitif, il leur apparaît plus tard à Michillimakinac, leur enseigne à faire des rets, art dont le fil d’araignée lui donna l’idée, et confie aux génies de cette île le soin d’y protéger la pêche.

Capable de voyager à la manière des esprits, il est allé jusque par delà les portes du jour. Lutteur adroit et rusé, il a vaincu Plume-de-Perle, le manitou des Rochers-Peints, qui faisait garder par deux énormes serpents de feu l’entrée de sa caverne. Il vengea ainsi la mort de son grand-père venu de la lune à la recherche de son épouse.

Sait-on pourquoi l’un de nos pics a la tête rouge ? — Michabou la lui a teinte avec le sang de Plume-de-Perle dont cet oiseau lui avait révélé l’endroit vulnérable.

Au reste, il se fait obéir de tous les animaux et les réunit quelquefois en grand conseil. Dans ces réunions solennelles, gare à ceux qui n’observent pas les règles. Ces jolis petits plongeons qu’on nomme grèbes s’en souviennent : ils ont tous les cuisse soudées au corps depuis que leur ancêtre a reçu en bon endroit, un coup de pied de Michabou. Voici en deux mots l’histoire : c’était dans une assemblée présidée par ce dieu et pendant laquelle tous les yeux devaient rester fermés. L’oiseau osa ouvrir un œil et fut à l’instant puni de sa témérité.[15]

Les vieux conteurs algonquins, éclairés par les reflets magiques des feux de wigwam, sollicités par un cercle de figures ingénues et d’esprits crédules, tirent de leur inépuisable répertoire, les fables les plus délicieuses comme aussi les plus extravagantes.

Trois frères, voyageant en canot, sont enlevés au ciel et deviennent un groupe d’étoiles. Un renard, un lynx, un lièvre et plusieurs autres animaux, ne sont pas moins fortunés. Un orignal qui n’est pas prévenu d’une telle faveur, a cependant la gloire d’escalader le firmament en broutant le long de l’arc-en-ciel.

Si le calumet de paix, ce caducée de l’Amérique, n’a pas son manitou, ce dont on peut douter, les Illinois, pour ne parler que de leur tribu, le voient tout auréolé de poésie. Ils l’ornent, lui mettent des ailes et souvent des cheveux. Il le fêtent par une danse spéciale et un chant que Marquette a eu l’excellente idée de noter. C’est un hymne sauvage, caractérisé par des intervalles immenses, dans le goût des âmes violantes, et rempli d’un vague sentiment religieux. Il exige deux chœurs : celui des hommes, partie basse ; et celui des femmes, partie haute ; et quelle hauteur ! décourageante assurément, si ce n’est pour des voix claires, presque glapissantes, de sauvagesses.

C’est le feu tiré du silex, symbole de pureté qui doit servir à allumer le calumet de paix et celui du conseil. Le même feu doit consumer les offrandes qu’on fait aux divinités.

La poésie, l’Algonquin la crée partout dans son entourage ; il ne peut vivre que dans cet élément ; il ne pense que par images et voit au fond de chacune, la silhouette d’un manitou. Il ne rêve qu’aux esprits, se réveille avec leur vision au fond de sa prunelle et leur demande l’explication de tout.

Des parcelles de cuivre natif brillent au soleil sur les grèves du lac Supérieur ? — Ce sont les présents du génie des eaux. — D’énormes cailloux encombrent le sault Ste-Marie, excitent la colère du fleuve, le font rugir et écumer ? — Il s’acharne ainsi aux débris d’une digue construite jadis par Michabou, afin de former le Kitchigami[16] et d’y prendre des castors. — De ces digues en ruine, il y en a tout le long de l’Outaouais ? — Celles-ci rappellent les travaux du Grand Castor dont la dépouille mortelle repose aujourd’hui sur une montagne voisine du Nipissing. — Que sont les cailloux épars dans les champs et sur les coteaux ? — Des projectiles que Michabou lança à la tête de son père, Kabéoun, le manitou du vent d’ouest, sur lequel il vengea ainsi la mort de sa mère.

— Que d’îles gracieuses semblent descendre au fil de l’eau la rivière du Détroit ! Ne dirait-on pas des corbeilles flottantes remplies de verdure ? — Ce sont les ruines d’une cabane, celle de Barrage-du-Lac, un manitou dont voici en résumé l’émouvante histoire.

La décharge du lac Huron était sa demeure ; une jeune Sauteuse, l’objet de sa passion ; le dieu des tempêtes, son rival. Ce dernier souleva les ondes qui brisèrent leur digue et changèrent une lune de miel en une comète de malheur. Le wigwam où souriait l’heureux couple, emporté par l’eau furieuse, laissa ses débris accrochés aux roches du fleuve. Là, ils se couvrirent de cette sauvage beauté, comme s’ils eussent voulu perpétuer le souvenir du bonheur qu’ils avaient abrité.[17]

— Que fait le tonnerre avec les nuages ? — Il vole au-dessus ; le bruit sort de ses ailes et les éclairs jaillissent de ses yeux. Cet oiseau monstre, tous ceux qui le voient doivent monter, suspendus à ses serres, vers quelque pic inaccessible de montagne. Le seul homme qui lui ait échappé est un Sauteux. Un soir, revenant de la chasse, il est saisi et enlevé, mais ne lâche pas ses armes. Avec du bruit plein les oreilles et de l’éblouissement plein les yeux, il traverse en l’air un immense pays, se protège avec sa lance contre les chocs au flanc d’un pic de montagne où l’oiseau essaie de le tuer, et tombe enfin vivant sur le sommet, près d’un nid sinistre, entouré d’ossements, plein de jeunes monstres. Il en perce un de sa lance, l’écorche, s’enveloppe dans sa peau, se jette en bas de l’escarpement. Les plumes fulgurantes de la dépouille crépitent en frottant les aspérités du roc ; il arrive en bas indemne, au sein d’une gerbe d’étincelles, et retrouve sa cabane après une marche de plusieurs jours. Puis, grande colère des oiseaux-foudres, éclats assourdissants de tonnerre, déchirement du ciel par les éclairs. Cela dure six mois pendant lesquels on ne cesse de voir au loin flamber la montagne de Wichipicoton.[18]

Que le conteur soit abénaquis, attikamèque ou sauteux, sur ses lèvres alterneront les légendes, les fables, parfois les allégories, et toujours la même verve fera couler le récit, vif, imagé, sans hésitation ni défaillance. Aux tragiques exploits d’un windigo,[19] succédera l’idylle d’une jeune fille qui se dégoûte de la vie et se fiance au manitou de la tombe ; ou qui, trop peu surveillée par ses parents, se plaît à rêver dans la solitude et s’enamourache d’un esprit.

L’âme bercée par une douce tristesse, le naïf auditeur suivra, tantôt l’épopée d’un orphelin poursuivi par de mauvais génies, des géants et des anthropophages ; tantôt celle d’un enfant abandonné dont les loups ont pitié, et qui finit par prendre la forme et les mœurs de ses fauves protecteurs.

Tous ces récits témoignent d’une mentalité analogue à celle qui inventa nos anciens contes de Petit Jean, de géants et de fées. On y remarque trop peu de raisonnement : c’est le cachet du sauvage qui voit du mystère partout et aime le merveilleux. Il l’aime au point de tirer presque toutes ses machines poétiques de l’intervention des esprits et même des mânes, de la magie, de l’enchantement, des forces occultes de la nature. Ses contes sont des répertoires d’arbres vivants ; d’animaux qui parlent ; d’hommes changés en bêtes, en étoiles, en manitou et vice versa ; de talismans ; de flèches et de mocassins enchantés. Les gébies[20] exsangues y sortent de leurs tombeaux pour se montrer aux vivants, et des êtres célestes s’y rendent visibles afin de tenter les mortels.

En somme, l’Algonquin préfère à la force brutale, le pouvoir invisible des esprits. C’est par une vertu mystérieuse que ses héros opèrent presque tous leurs exploits. Aussi bien rit-il de bon cœur, comme les enfants du poète,

« De voir d’affreux géants très bêtes
« Vaincus par des nains pleins d’esprits. »[21]

Chez lui toutefois, comme chez nos anciennes populations rurales, le goût du merveilleux et le défaut de raisonnement ne vont pas jusqu’à l’exagération trop évidente des choses communes, et, dans la cabane d’écorce aussi bien que sous le toit de chaume, on ne se gêne pas de sourire au narrateur ambitieux d’agrandir indéfiniment le domaine des merveilles. On le modère en disant : « Iagou est donc revenu parmi nous, »[22]

Cet Iagou, le lecteur l’a deviné, fut, selon la tradition, conteur enragé et menteur extravagant. Tout ce qui passait par son imagination phénoménale devenait géant, extraordinaire. Dans le narré de ses aventures presque aussi nombreuses que ses jours, il parlait de serpents quadrupèdes à cheveux humains ; de nénuphars aux feuilles si larges, que d’une seule il avait habillé sa femme et sa fille ; d’un arbre monstre dont il n’avait pu faire le tour qu’au prix d’une marche de six pipes[23] ; de maringouins si grands, qu’avec une de leurs ailes il avait fait une voile à son canot ; et de mille autres énormités qui ont valu à leur auteur la gloire de passer en proverbe.

Les résumés suivants vont montrer que plusieurs légendes ont un but moral et exploitent au profit de leurs consciences, le goût des jeunes pour les récits.

La mélancolie et l’amour de la solitude, livrent une jeune fille aux bras d’un manitou, et ses parents, coupables de ne l’avoir pas corrigée, la pleurent le reste de leurs jours.

Le lièvre est victime du lynx dont il a écouté imprudemment les paroles doucereuses.

Deux jeunes gens abandonnent leur tout petit frère que leur mère en mourant leur a confié ; ils le revoient plus tard à demi transformé en loup et comprennent qu’il leur reproche par ses hurlements d’avoir oublié, en cherchant le plaisir, l’accomplissement d’un devoir sacré.

Deux gébies affamées parcourent la terre par ordre du Maître de la vie, et récompensent l’hospitalité qu’elles reçoivent des mortels.

Un jeune gars fait parade de sa force extraordinaire et rend jaloux les Nibanabègues que le font périr.

Trois Abénaquis demandent des faveurs au Maître du monde qui les exauce ; mais, par là même, récompense ou punit chacun d’eux selon l’objet bon ou mauvais de sa prière : l’un veut être aimé de beaucoup de femmes et reçoit des amantes qui le font périr ; le second désire la faculté de produire un certain bruit magique et désopilant : l’exercice de cet art de vanté finit par ennuyer les autres et le fatigue tant lui-même, qu’il se dégoûte de la vie au point de se suicider ; le troisième, plus sage, demande l’habileté dans l’art de la chasse et passe le reste de ses jours dans l’abondance et le contentement.

Le trésor algique de légendes et même de chansons, est d’emblée le plus riche qu’il y ait chez les aborigènes de l’Amérique septentrionale. Abstraction faite d’un fond commun à toutes les tribus, elles forment deux groupes bien tranchés : il y a celles de l’Ouest recueillies, en majeure partie chez les Sauteux, par Schoolcraft, et celles de l’Est collectionnées et commentées surtout par A. Rand et C.-G. Leland.

Les premières se recommandent par la grâce, tandis que les secondes, moins humaines, mais d’une inspiration plus vigoureuse, semblent sorties des mers fantastiques du Nord ou avoir poussé avec les sapins dans les falaises de la Gaspésie. Les tonnerres n’y sont plus une famille d’oiseaux, mais des hommes manitous qui ont leur demeure sur le sommet enchanté du mont Katahdin. Munis d’ailes postiches, ils sillonnent le ciel orageux en jetant des balles de pierre au Cullou, un oiseau géant qu’ils ne peuvent tuer, mais dont les plumes lancent des éclairs lorsqu’ils réussissent à le frapper. Le Cullou symbolise probablement les nuages dont on lui attribue les propriétés.

Glouskap est le Michabou des Abénaquis. Son pouvoir magique occupe le centre d’un cycle de merveilles, parmi lesquelles on remarque surtout le radeau ou l’île flottante, espèce d’allusion au déluge ; la création de l’homme, des manitous et des animaux ; l’extermination des monstres et jusqu’à la confusion des langues, si tant est que les animaux ont cessé de parler et de se comprendre entre espèces différentes depuis qu’il a quitté notre monde. Obligé de s’en aller à cause de la méchanceté des hommes et des bêtes, il s’est montré bon jusque dans le châtiment que fut son départ et l’a célébré par un grand festin donné à tous les animaux. Depuis qu’il est parti, la nature gémit et tous les êtres attendent avec anxiété son retour, car il doit revenir et ramener l’âge d’or.

Encore plus puissant magicien que Michabou, Glouskap se grandit à volonté jusqu’aux étoiles. En canot de pierre ou sur le dos des baleines, il traverse l’océan. Il est allé jusqu’à l’extrême Nord, attacher les deux ailes à l’Oiseau du Vent ; puis y est retourné pour lui en détacher une, afin de remédier au calme trop plat que son exploit avait fait succéder aux anciens et presque continuels ouragans. Les rochers de l’Acadie sont des monstres qu’il a pétrifiés, et c’est lui qui a réduit la taille des animaux si grands avant le création de l’homme, que celui-ci n’aurait pu réussir à s’en défendre.

Glouskap a tué son frère Malsum, l’Esprit du Mal, le fameux Winpé et d’autres sorciers encore. Enfin, il a tant humilié la sorcière Poujinkouesse qu’elle s’est changée en maringouin, et cela uniquement pour se venger, car elle est devenue, grâce à cette métamorphose, la mère d’une engeance persécutrice des hommes que protège son puissant ennemi.

C.-G. Leland a trouvé de nombreuses ressemblances et même des identités entre les légendes abénaquises et la mythologie Scandinave telle que reflétée par les Eddas ; mais cette parenté ne se trouvant que chez les Algonquins de l’Est, ne peut être attribuée qu’à leurs rapports avec les Esquimaux dont les croyances ont un fond commun avec celles des peuples du Nord. À leur tour, les restes de tribus abénaquises assimilées par la Ligue, ont considérablement métissé le folk-lore iroquois. De là les confusions qu’on trouve dans l’histoire légendaire des Cinq-Nations par le Tuscarora Kussick, qui attribue au suprême Taronhiawagon une partie des exploits de Glouskap, le demi-dieu magicien.

Finissons par les chants : les vers n’en sont pas mesurés exactement ; mais, ainsi que dans nos chansonnettes populaires, on arrive à la cadence en atrophiant ou répétant soit le refrain, soit quelques mots ou quelques syllabes.

Ce sont de simples rapsodies, non travaillées ; des ébauches jaillies de source, souvent fort belles et du plus grand effet, mais faites de traits rapides et légers, de touches hardies, quelquefois géniales, bien que souvent, sans autre liaison entre elles que l’unité du sujet. Ce sont des profils, des silhouettes, des crêtes de vagues qui font soupçonner une mer furieuse, des ombres fugitives d’ailes révélant le passage des oiseaux.

Ceci n’est nulle part aussi vrai que dans les chants de guerre et de mort où l’âme sauvage, jetée hors d’elle-même par la violence de ses propres sentiments, n’en trouve que des expressions détachées, incomplètes et qui donnent la moitié du sens à deviner. Au reste ceci n’est pas absolument contraire au lyrisme.

Donnons quelques exemples :

CHANT DE GUERRE CHIPPEOUAIS.

« Du pays du sud
Ils viennent (bis)
Les oiseaux : (c-à-d. les oiseaux rapaces).
Écoutez-les passer dans l’air en criant. »
« Je désire me transformer
En oiseau :
Son corps rapide ! être comme lui ! »


« Je le jette
Mon corps. » (bis)

« Sur la face de la terre
Frappe la lumière ;
Donne-moi dans ta bonté,
Mon dieu ! (il appelle ainsi le soleil).
Un semblable pouvoir. » (à savoir : de frapper à la face son ennemi).
« Pourquoi, guerriers,
Restons-nous en arrière,
Nous qui portons le signe de l’Awasis ? »

(L’Awasis est un poisson, totem d’un de leur clans).

« Je vais au champ de bataille — le sentier de la guerre, (bis).
Mon sentier de guerre !
Mon ciel est clair et beau :
Que d’autres hésitent ! En avant ! Mon dieu ! Mon droit ! »[24]

CHANT DE MORT CHIPPEOUAIS.

Il y manque le refrain qui est intraduisible.

« Sous le centre du ciel

Je pousse mon baim-wa-wa. » (Baim-wa-wa est une onomatopée désignant le bruit du tonnerre).

« Ô étoile ! tous les jours (Il parle de l’étoile de sa destinée)
"Je te regarde. »

« La moitié du jour
Je reste à regarder
Les oiseaux de proie. »

« Ils volent en rond autour du ciel (Il les voit à l’horizon).
Les oiseaux ; ils tournent ;
Déjà, ils circulent dans le milieu du ciel. »[25]

(Il veut dire que les oiseaux de proie tournent maintenant au-dessus de lui, c’est-à-dire de plus en plus près, à mesure que la vie l’abandonne.)

C’est du lyrisme rudimentaire. Cependant, la distance de cette sauvagerie à des inspirations délicates, presque européennes, est peut-être moins grande qu’on ne le pense, puisque la même âme algonquine les produit également, sous forme d’hymnes à la nature, de chansons d’amour et de danse, ou de simples refrains de berceuse.

Voici une inspiration abénaquise :

LE CHANT DES ÉTOILES.

« Nous sommes les étoiles qui chantent :
Nous chantons avec nos lumières.
Nous sommes les oiseaux de feu :
Nous planons en haut du ciel,
Notre lumière est une voix.
Nous jalonnons la route des esprits,
Des esprits qui passent et vont au delà.

Il y a parmi nous trois chasseurs
Qui poursuivent une ourse,
Et jamais il n’y eut un temps
Où ils ne la chassèrent pas.
Nous regardons en bas sur les montagnes.
Telle est la chanson des étoiles. »[26]

Les trois chants qui précèdent suivent un mot à mot anglais du texte algonquin, si, toutefois, l’on peut appeler mot à mot des phrases absolument différentes quant aux éléments de langage et à la construction ; car dit Schoolcraft : « Jamais, deux, langues plus dissemblables dans leurs principaux caractères, que l’anglais et l’indienne (lisez l’algonquine) ne se sont rencontrées. L’une est monosyllabique et presque sans flexions ; l’autre est polysyllabique, polysynthétique et si pleine d’inflexions imaginatives de toutes sortes, qu’elle est complètement transpositive. »[27]

Nous venons donc de voir du français essayant en vain d’être de l’algonquin. Sans critiquer ceux qui pensent y trouver ce qui s’éloigne le moins de l’original, pourquoi n’essayerait-on pas de parler comme le ferait un Algonquin si sa langue était le français. La pensée n’aurait plus, certes, son vrai costume ; mais au moins serait-elle habillée, et l’habit simplement correct, sans changer la beauté du sujet, peut souvent la mettre en relief.

Je vais donc, dussé-je ne pas réussir, mettre en vers trois autres chants, mais sans rien ajouter ni retrancher de subtantiel au fond dont la poésie ne laisse rien à désirer.

LA CHANSON d’ARSELIK

Bien que l’amour joue un grand rôle dans l’inspiration de ce chant, il s’y montre noble, énergique, sans molle tendresse et rehaussé en quelque sorte par la poésie de la nature et de la mythologie.

Une jeune Abénaquise nommée Arsélik est perfidement conduite et abandonnée dans une île déserte, par deux rivales que dédaigne son amant. Là, voyant le canot qui l’a amenée s’enfuir, elle chante ainsi[28] :

Je pleure seule dans cette île,
Et nul n’entend ma voix… Quel sort !
Ô solitude où l’on m’exile,
Entends au moins mon chant de mort !

Seule, ainsi la bête sauvage,
Et captive au milieu des eaux,
Je vais mourir sur ce rivage
Où le temps blanchira mes os.


Fausse amitié, tu m’as contrainte
À périr loin de mon amant.
Esprit du vent, porte ma plainte
Au beau chasseur qui m’aime tant !

Plus agile qu’une chevrette,
Il va traverser les grands bois,
Et me trouver ici seulette.
Écho, répète-lui ma voix !

Comme les traits de la lumière,
Sa nacelle franchit les eaux.
Allez lui dire ma prière,
Ô mes amis, petits oiseaux !

De son grand cœur je suis la reine…
Oh, qu’il est brave ! Oh, qu’il est fort !
Je vois sa colère et sa peine,
Dès qu’il saura mon triste sort.

Déjà le soir ferme sa tente,
Et dans la nuit qui voile tout.
J’entends ma complainte que chante
La voix lugubre du hibou.

Nul autre ami ne me console !…
Je m’endors… Esprit du sommeil,
Va chercher mon bien-aimé, vole…
Avant le retour du soleil !

Je n’ai omis que ce refrain : « Je suis donc abandonnée dans cette île solitaire pour y mourir ».

Dans une autre composition abénaquise : « Le Chant du Soir », le tonnerre bat son tambour, l’éclair allume son calumet, le tourbillon lutte de vitesse avec son sifflement ; les petites étoiles qui ne dorment jamais, fuient dans le ciel et font cortège à leur chef, l’étoile du soir ; enfin les lumières de l’aurore boréale jouent une partie de balle, dans leur contrée céleste où tout gèle dans la splendeur.

CHANT DE BERCEUSE.

On connaît la nâgane ou berceau indien, cette espèce de planche à corniche sur laquelle on attache le bébé, et que l’on suspend, l’été, aux branches des arbres ; l’hiver, aux chevrons, de la cabane. On y attache une corde qui sert à la faire balancer, et voici ce que chante, chez les Sauteux, celle qui tire la corde et qui est tantôt la mère, tantôt la jeune sœur de l’enfant :

Holà ! Qui vois-je en l’air, (bis)
Dans la cabane ?
À qui le bel œil clair (bis)
Qui brille en l’air ?

Ici, mettant la parole dans la bouche du marmot, et prenant une petite voix flutée, la berceuse continue :

C’est moi, le p’tit hibou (bis)
De la savane,
Qui vole, vole… hou ! hou ! (bis)
Le p’tit hibou.[29]

CHANSON DE LA MOUCHE-À-FEU.

Elle est spéciale aux enfants, se chante le soir et s’accompagne d’une ronde sur un gazon ou sur une grève.

Fraîche est l’herbette
Près du lac bleu ;
La danse est prête :
Viens, mouche-à-feu.

L’aile embrassée,
Fuit le soleil ;
Sur la rosée
Vient le sommeil.

Ouvre ton aile
Qu’on ne voit pas ;
Blanche étincelle,
Conduis nos pas.

La nue est sombre,
Tranquille est l’eau :
Vole dans l’ombre.
Petit flambeau.

L’étoile brille
Sur ton corset,
Légère fille
Du feu follet.

De tige en tige,
Voyage, luis
Danse et voltige,
Flamme des nuits.[30]

L’original de ce chant, comme le dit Schoolcraft, n’est qu’une improvisation d’enfants. Le fond y est tout de même, et pour peu qu’on lui donne une forme française, on est agréablement surpris en constatant que le sujet est fort bien choisi, que ces petits sauvages en ont saisi les aspects poétiques et que leur âme ressemble à la nôtre.

Certes, l’Algonquin est bien doué mais si sauvage, qu’il semble destiné à périr avec ses forêts. Énergique et insouciant ; d’une endurance incroyable, mais enfant plein de faiblesses ; il ne peut s’accommoder de nos préoccupations utilitaires qui l’ennuient, de nos arts qu’il dédaigne, de nos vices qui le tuent, de notre cupidité qui trop souvent l’immole sans pitié à l’esprit des eaux-de-feu. Mais seul, au milieu des bois, il garde ses antiques qualités et peut corriger ses vices par la pratique du christianisme.

Doux, gai, très imaginatif, l’âme imprégnée de la poésie des choses, moins raisonneur qu’illuminé, il est spiritualiste à la manière des anciens Celtes que hantait le rêve du monde invisible.

Les Hurons-Iroquois, moins sauvages et moins insouciants, plus positifs et plus capables d’initiative, bien qu’ils aient fini par être très mêlés aux Algonquins, ont mieux résisté que ceux-ci, au contact avec l’homme civilisé. Leur plus grande virilité d’esprit et leur caractère plus robuste, leurs ambitions plus larges et plus terrestres, les ont fait comparer avec raison aux anciens Romains et aux peuples de race teutonique.


  1. De le Potherie : « Hist. de l’Amer. Sep. », t. II, p. 67-68.
  2. « Nouvelle Relation de l’Amer. Sep. », p. 12.
  3. « Voy. dans l’Amer. Sep. », p. 3.
  4. « Hist. of the Ojibway Nation », p. 128-132.
  5. « Oneota », p. 341.
  6. « Totemism », Trans. of Roy. Coc, 1903, et « Ojibway Nation », p. 149.
  7. Kahgegagahbowh : « Ojibway Nation » p. 147 et suiv.
  8. Schoolcraft : « Algic Researches », vol. II, p. 240.
  9. Schoolcraft : « Algic Researches », vol. II, p. 226.
  10. Schoolcraft : « Oneota », p. 458 ; et « Algie Res. », Vol. II, p. 134, et suiv.
  11. Schoolcraft : « Oneota », p. 345.
  12. C’est le Neebanawbaig de Mrs E. Oakes Smith et de Schoolcraft, francisé. Voir « Oneota », p. 249.
  13. Voir Schoolcraft : « Algie Res. », Vol. II, p. 85 ; l’abbé Cuoq : « Lexique Iroquois », p. 175 ; en note : et Heriot : « Travels in Canada », p. 185,
  14. Voir Schoolcraft : « Algic Res. » Vol. II, p. 152.
  15. Michabou, Missou ou Messou, Manabozho ou Nenabojo et Wisakedjak, sont des noms que les diverses tribus donnent au même personnage. Michabou veut dire Grand-Lièvre.
  16. Nom algonquin du lac Supérieur.
  17. « Algic Researches », vol. I, p. 129.
  18. Voir « Ojibway Nation », p. 109 et suiv.
  19. Affreux géant manitou qui selon la légende dévorait les Algonquins.
  20. Nom que les Sauteux donne aux mânes qui se rendent visibles.
  21. Victor Hugo.
  22. Voir « Algic Researches », vol. II, p. 229.
  23. Le temps qu’il faut pour fumer une pipe, sert souvent d’unité chez les Algonquins.
  24. Traduit de l’anglais. Voir Schoolcraft : « Oneota », p.
    347.
  25. Traduit de l’Anglais : « Oneota », p. 349.
  26. Traduit de l’Anglais. Voir J. Read : « Aboriginal American Poetry », Rapp. de la Soc. Roy. 1887, vol. V, Sec. II, p. 28.
  27. « Oneota », p. 43.
  28. Voir « Some Wabanaki Songs » by John Read, dans le Rapp. de la Soc. Roy. 1887, vol. V, sec. II.
  29. Voir Schoolcraft : « Oneota », p. 213.
  30. « Oncota », p. 61.