En flânant dans les portages/03

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Les Trois-Rivières : les Éditions du Bien public (p. 19-23).

Apologie

Arrivé tout au bout du portage qui gravit en serpentant le flanc de la colline, une vieille souche couverte de mousse légère m’offrit un siège où reposer ; et je m’assis, essuyant sur mon front quelques gouttes qui disaient l’effort de la montée.

Mes yeux erraient distraits parmi les troncs voisins : troncs de sapins, de trembles ou de merisiers chétifs à l’écorce pendante.

Dans la clairière et le long du sentier, un amas de grêles framboisiers. Sur la pente d’en face, dévale la troupe des jeunes épinettes, droites et légères, entrelaçant leurs branches comme pour une farandole.

Pauvres petites qui vivront un siècle peut-être avant que d’être grandes, tant, sur ce sol ingrat, la poussée sera lente.

Pas un cri, pas un chant, rien qui bouge ou qui saute ou qui vole. Seul, là-bas, coiffant une branche morte, est-il vivant ou mort aussi celui-là, un gros oiseau gris, las de chercher en vain une nourriture rare, immobile, se retient d’appeler.

Dans la fourche d’un hêtre, un écureuil maigre, assis sur son derrière et la queue retroussée, à défaut de noisettes, n’ayant rien à croquer, à même une «  cocotte » se sert à déjeuner.

Le vert nouveau des feuilles, craignant de trop reluire, s’est terni de précoces rousseurs. Que tu es triste, et vide, et morne, ô bois laurentien !

Et j’évoque, rêveur, la forêt tropicale…

De la terre molle et noire s’exhale un effluve enivrant. Une ruée de tiges, de feuilles, de fruits, étalent au soleil leur robuste splendeur. Débauche de sève triomphante !

Fougères géantes balançant dans l’air pur leur grâce ajourée ; palmiers nains, palmiers royaux, au tronc lisse et poli comme une colonne antique, portant un chapiteau de palmes authentiques. Et des fruits partout, et des senteurs capiteuses promenées par le vent chaud qui lentement butine, et des chants empruntant toutes les gammes sonores. Du rouge et du bleu, du vert, du jaune et de l’or sur les plumes d’oiseaux sans nombre : perroquets moqueurs, colibris et que sais-je ? De l’azur sans nuages, des fleurs à cueillir, de la vie ardente à s’épanouir.

Et je rêvais prêt à m’assoupir…

Une voix calme soudain se fit entendre qui doucement murmurait : « Oui elle est belle la forêt tropicale, mais, crois-moi, en passant et de loin.

Elle est inextricable, on n’y peut pénétrer que la hache à la main. Le sentier, ouvert à grand’ peine aujourd’hui, se fermera demain sous la poussée des plantes voraces. Le souffle chaud que dégage sa terre est comme l’haleine mauvaise qui s’échappe des foules.

Sous le soleil brûlant, il faut cacher sa peau et rechercher l’ombre humide. Ses oiseaux sont beaux, mais des moustiques avides distillent des frissons qui vous font grelotter. Et quand, noyé dans la chaleur torride, épuisé, tu veux te reposer, tu ne peux, sans souci, t’asseoir sur la mousse, car les reptiles, qui glissent sournois sur ce sol fertile, ont des morsures dont il faut se garer. »

o-o-o

Tête nue au soleil léger, je tendis ma joue au vent frais de chez nous, et, sans crainte, souriant, je me suis endormi.