En voyage, tome II (Hugo, éd. 1910)/Voyages et excursions/1863

La bibliothèque libre.
Texte établi par G. SimonLibrairie Ollendorff (p. 501-510).

1863.




LES BORDS DU RHIN.


17 août. — Partis pour Douvres à 7 h. 1/2 du matin.

Château de Douvres


La falaise anglaise, vue à une lieue en mer, ressemble à un drap blanc étendu sur une corde. Cette falaise fait des plis de linge.


19 août. — Dinant. Nous ne commencerons le voyage que demain avec la voiture et Baptiste. Aujourd’hui nous faisons une promenade à Poilvache et à Montaigle. — Partis à 1 h. 1/2 pour Montaigle. Traversé Cœur-cœur. À 3 heures à Montaigle. Pluie battante. Admirable ruine. Puits avec un écho extraordinaire, net et précis comme la voix ; cet écho rit. C’est comique et sinistre. Je lui ai crié : Y a-t-il là quelqu’un ? — Quelqu’un, a répondu l’écho. — C’est inouï. — Oui.

Puis nous avons ri, et l’écho aussi.

21 août. — Bouillon. Revu le château. — Dans la charpente de la salle d’armes, deux poutres éraflées par un boulet prussien de 1815.


23 août. — Mersch. Dans la salle de l’auberge où nous nous arrêtons vers 2 heures il y a cette affiche :

SALLE DU CERCLE.

exposition de peinture.

ÉTUDES CARACTÉRISTIQUES
DES
MISÉRABLES.
Entrée de 10 à 12 h. et de 1 à 5 h. du soir.

PRIX D’ENTRÉE : 1 FRANC.


À la Rochette à 4 heures. — Revu la ruine. Après le dîner, sérénade. J’ai remercié. J’ai dit en finissant : Je fais des vœux pour que le jour arrive ou la musique régnera sur les âmes et l’harmonie entre les peuples.


24 août. — Revu Luxembourg. Décidément très curieux et très beau. — Charmante église avec des magnificences de la deuxième renaissance. — Admirable vue du haut Pont. — Le soir, au clair de lune, plus beau encore.


26 août. — Vu la cathédrale de Trêves, les tombeaux des archevêques. — Admirable. (Joannes Hugo, gratia Dei archiepiscopus Trevirensis, princeps elector. 1692.)


28 août. — Carden. Arrêté une voiture pour Elz[1]. À 2 heures partis pour le château d’Elz. Bons chevaux vifs et gais. Voiture découverte et peu suspendue. Cocher tout à fait prussien. Montée très rude. Dix-huit ou dix-neuf coudes fort cassés et fort brusques. Les voitures à bœufs ne se dérangent pas. On rase de près un fort abîme. Nous arrivons en haut. Court plateau vite traversé. Nous voici à une ferme close d’une porte rouge. Descente de voiture. Prise d’un sentier. Magnifique horizon démasqué au tournant de la ferme. Cinq ou six lieues à perte de vue. Vallée pleine de forêts avec rivière enfonçant ses zigzags dans les collines. Deux burgs se faisant écho. L’un, tour carrée, à une demi-lieue, l’autre, tour ronde, à trois lieues. En bas forêt profonde. Nous nous y dirigeons. Notre prussien court après nous. Il nous met dans la route vraie. Sentier tortueux dans le bois, déjà couvert d’une épaisseur de feuilles sèches. Demi-heure de marche sous les branches.

Tout à coup, une rivière-ruisseau, un pont de bois semblable à une longue charrette étroite avec ses ridelles posée en travers d’une rive à l’autre. Ce pont aboutit à un roide escalier de six marches un peu baigné par les remous de l’eau. Nous levons les yeux. Clairière dans les arbres. Par cette clairière, sorte d’immense fenêtre de la forêt, apparaît le burg. Haut, énorme, étrange, sinistre. Je n’ai rien vu encore de pareil. On dirait un tas de hautes maisons à pignons roulées tumultueusement autour d’une cime. Clochetons, gloriettes, tourelles, moucharabis, lanternes, mâchicoulis, espions, vedettes, renflements d’architectures à fenestrage portés sur des encorbellements. Rocher à pic. Çà et là, autour du rocher, des groupes de tours serrés contre le château et défendant la montée. Portes-ogives de distance en distance avec herses et sarrasines. Escalier de lave usé et glissant. Nous montons.

Nous arrivons à une plateforme étroite avec parapet sur le précipice. Au haut de quelques marches brisées, la porte massive en chêne brut avec marteau de fer gros comme un battant de cloche. Notre guide frappe. Pour toute réponse, aboiements furieux. Tout le château semble entrer en colère et n’être plus qu’un dogue énorme jappant contre nous. Aucun bruit humain. Personne ne vient. Nous frappons. Les chiens aboient. Personne.

Charles et Busquet vont à la découverte. Je reste seul et je dessine une tour. Une demi-heure passe. Un homme arrive avec un chien et un fusil, puis une femme. L’homme me regarde, le chien me flaire, la femme m’observe, le fusil reste tranquille. Tout cela est sauvage. Je me fais comprendre par signes. On va chercher les clefs. Charles et Busquet reviennent. L’homme s’en va. La femme ouvre la porte. Nous entrons.

L’escalier continue. Sorte de guichet de prison. Nous passons une seconde porte. Une cour étroite apparaît. Extraordinaire. Tours et pignons à perte de vue. Lourdeurs du douzième siècle, délicatesses du seizième. Fenêtres à barreaux énormes, d’autres avec des ferrures de la renaissance. Abside de chapelle gothique à vitraux. Au fond une tour carrée croulante. Deux chiens à la chaîne hurlent vis-à-vis l’un de l’autre. Sur le mur en face, cinq ou six orfraies clouées.

Intérieur : une salle Louis XIII d’abord. Cheminée de pierre peinte et dorée, massive, charmante, écussonnée et blasonnée, haute jusqu’au plafond, portée par deux cariatides habillées, homme et femme. Plafond d’accord à médaillons. Puis force salles gothiques, lits à colonnes, tapisseries exquises, miroirs, bahuts, armes, un lit burgauté d’un travail merveilleux. Une rampe formée d’un grand massacre de cerf dix cors d’où sort une sirène dorée et peinte avec le blason d’Elz sur le ventre. Un miroir et un bahut Louis XIV marqueterie et or d’un inattendu superbe. Tout est blanchi à la chaux. Misère et faste. On ne voit pas la vingtième partie du château.


31 août. — Oberwesel vu en détail. Très belle vieille ville. Le pendant curieux d’Andernach. Y compris la tour ronde portant une tour octogone. Deux églises romanes. Tombeaux. Cinq triptyques très précieux dans la plus grande. Splendide triptyque sur le maître autel.

Pauvre petite fauvette demi-morte trouvée dans l’herbe, meurtrie par quelque accident, réchauffée et sauvée. Elle s’envole.

Vu le Pfalz. Un batelier nous y mène. Intérieur dévasté et lugubre. Un donjon entouré d’une cour profonde à galeries de bois. Piliers en grès rouge du 14e siècle. Vieilles ferrailles à terre qui ont l’air d’instruments de torture. Donjon. Spirale escarpée. Oubliette horrible dans le genre de celle de Bouillon (un cachot-tombe avec une trappe dans la voûte qui se ferme). Nulle trace de la fameuse chambre où la comtesse palatine du Rhin faisait ses couches.

Arrivés à Bacharach à 5 heures. Bacharach moins gâté que Saint-Goar. Encore très admirable. Pourtant il ne reste plus qu’une des vieilles maisons de la place de l’église. L’avant-dernière est en train de tomber. Il reste de la démolition qu’on semble faire avec joie une encoignure de grès rouge à figures, très belle.

Je monte à la nef ruinée. Absolument dans l’état où je l’ai vue la première fois.


1er septembre. — Bingen. La tour des rats bêtement refaite à neuf. Méconnaissable. Bingen pavoisé. Le défilé des princes revenant du conciliabule de Francfort produit ces drapeaux aux fenêtres.

Arrivés à 6 heures à Mayence. — Vu le Muséum dans le palais renaissance des électeurs. Admirable Jordaens, Jésus enseignant les docteurs. Admirable Dominiquin. La mort de St-Joseph. Autres beaux tableaux. Un Murillo.

Mayence, comme le reste du Rhin, est anglaisé et gâté.


4 septembre. — Heidelberg. Revu à 2 heures le château. N’a presque rien perdu ; toujours splendide. Pourtant il ne reste plus qu’une tonne du 16e siècle. A notamment disparu celle où étaient les coups de hache des sapeurs de mon oncle.


5 septembre. — Excursion à Neckarsteinach. Revu le Schwalbennest et les autres ruines. Tout est restauré et anglaisé. Nous montons à un village en haut de la colline au delà du Neckar ; nous passons le Neckar dans une pirogue à voiles. Montée âpre. Étrange hameau perché. Entrée de ville forte. Énorme tilleul centenaire. Vu le Schloss. Belle ruine, 12e, 16e, 17e siècles. Gros boulets de pierre. Je monte sur la tour octogone. Charles a le vertige et ne m’accompagne pas. Vue admirable de là-haut. Deux auberges dans ce cul-de-sac.


6 septembre. — Durkheim. Là, en dînant, idée du Rhin complété, vendu par livraisons sur le Rhin même.


8 septembre. — Durlach. Vu la ville. L’ancien château remplacé par une grande chose blanche et bête. L’ancien hôtel de ville de la Renaissance remplacé (en 1845) par une bâtisse lourde, bâtarde, inepte, qui a coûté 200 000 francs. Il reste du château un ravissant écusson à triple compartiment, du 16e siècle, et de l’hôtel de ville, rien. Le nouvel hôtel de ville est, disent-ils, d’un genre plus ancien que n’était le précédent. C’est donc par amour de la vieille architecture qu’ils détruisent les vieux monuments.

Jolie maison rococo à tourelle, vis-à-vis l’hôtel de ville.

9 septembre. — Rastadt est une ville rococo peinte en rose, célèbre par l’assassinat des plénipotentiaires français en 1799. Visité le château. Dévastation et pillage. On a crié pour le château de Neuilly saccagé par une colère du peuple ; on ne dit rien du palais de Rastadt pillé par un prince.
Propriété d’un peuple construite par l’histoire et pour l’histoire, démolie et confisquée par un individu.

Les trophées de la guerre contre les turcs ont disparu. Où sont-ils ? Salle du prince Eugène et du maréchal de Villars démantelée. Chambre à coucher de Napoléon et de Marie-Louise dévastée.

Admirable vestibule rococo qui sert de hangar et où l’on décharge un fourgon de déménagement.

Grande place, fontaine. Médaillon rococo farce et ressemblant d’un Géronte en cuirasse ; au bas ceci : Divo Bernardo etc. — Ce divin Bernard était un marquis de Bade vers Louis XV. Il est contrebuté dans la divinité par deux dauphins.

Tremblement de terre qui devait avoir lieu dans le marquisat de Bade en 1770, et qui a été décommandé par Saint-Alexis. Le marquis de Bade a récompensé ce saint par une fontaine.


10 septembre. — Bühl. Vu la petite ville. Très jolie. Vieille, avec maisons de bois à galerie. Une rivière de montagne la traverse. Chaque jardin a son pont. L’ancienne église est gâtée ; élégante chapelle rococo. Le clocher est assez réussi. Quant à la ruine du château de Vindulk, elle semble restaurée et ne vaut pas la course. Une lieue en montant.


11 septembre. — La Favorite. Charmant palais rocaille. Chef-d’œuvre du fantasque et du charmant. Mauvais goût divin. Salle à manger tapissée de faïence. Salon de jais. Deux chambres à coucher ; l’une (le margrave) en tapisserie au petit point, don de Louis XIV ; l’autre (la margrave) en satin fond jaune, dessin oreille d’ours, bandes alternées.


12 septembre. — Lichtenthal. Vu le burg. Puis le chaos de rochers de la montagne. La crypte du burg est murée depuis peu, le mur est tout neuf. Il y a une consigne pour cacher partout les oubliettes.


13 septembre. — Eberstein. Magnifique paysage de montagnes. Arrivés à Eberstein, impossible de le voir, le grand duc y est. Un gros dogue noir féroce qui vous chasse et cherche à mordre le représente dans la cour. Le château est stupidement abâtardi et restauré. Il n’en reste qu’un beau sanglier en granit.

Les tyroliens. Chants exquis, beaux costumes. Beau soleil ; admirable décor de montagnes à cette musique. — Une table de parisiens ; accompagnement de fourchettes. Quinze femmes, toutes laides, quinze hommes, tous bêtes.


16 septembre. — Landau. Restes d’une belle vieille ville, quoique dévastée, saccagée par vingt sièges, vaubanisée, et ornée par Louis XIV d’un soleil.


17 septembre. — Vallée d’Antweiler (Vosges bavaroises). Constructions extraordinaires du grès. Des burgs géants avec leurs tours, des murailles inexprimables, qui semblent bâties par et pour des Polyphèmes, des cirques cyclopéens, des édifices fantômes, toute une féodalité de forteresses pour des titans. Puis des tumulus pour Micromégas ou Gargantua, ou Goliath. Puis une roche percée portant une pierre branlante avec un grand arbre dessus. Le tout a 60 pieds de haut (sans l’arbre). Après l’imitation des monuments féodaux, l’imitation des monuments celtiques.

Arrivés à 6 h. 12 à Pirmasens.

Comme l’histoire est lente à venir ! Il y a cent ans, Louis IX, landgrave de Hesse, espèce de jocrisse féroce bardé sur le ventre de deux grands cordons, l’un bleu, l’autre rouge, bêtement croisés, a ravagé, incendié, pillé et violé Pirmasens. Allez à Pirmasens, et au Zum-Lamm, la meilleure auberge de la ville, vous verrez après un siècle le portrait de Louis IX orné de fleurs.


19 septembre. — Vu Sarrebrück. Jolie fontaine rococo sur la place. Les quatre ou cinq clochers bulbeux de la ville répètent à peu près le même pot à l’eau. Une jolie porte cochère Louis XVI. Un beau vieux hôtel Louis XV, très noir et très fruste. Tombeaux des ducs de Sarrebrück-Nassau dans l’église du château. Beaux et fiers sépulcres. Le château a été détruit en 1793 dans les guerres de France contre l’Europe.


25 septembre. — Merzig. Vu l’église ; romane ; restaurée et abâtardie en 1725. Abside du 11e siècle. Ordre de cintres à tores sculptés sur des colonnettes romanes à chapiteaux variés. Quatre beaux chapiteaux aux piliers de l’église. Riches détails byzantins. Dehors de l’église encore très beau. Abside à trilobés sur piliers romans. L’intérieur est grotesquement badigeonné de blanc et de bleu. L’église évidemment est condamnée et sera bientôt remplacée par une basilica quelconque. Avant deux ans elle aura disparu. Nous avons remarqué une fosse pleine d’eau qui affouille les fondations et qui est entretenue avec soin dans le béton.

Freudenburg. Village sur une arête de rochers. Tours, ogives ; belle ruine à trois pignons à l’extrémité du promontoire sur la vallée.

C’est jour de foire. Bestiaux, bœufs, paysans, boutiques. Ce brouhaha effraye nos chevaux à l’entrée du village au point déclive de la route. Ils reculent, se cabrent, la voiture roule en arrière à deux doigts du précipice. Les paysans se jettent à la tête des chevaux et les arrêtent.

Sarreburg. Ville admirablement située. Église curieuse, ruine magnifique ; nous nous y arrêtons. Avant le dîner nous allons voir l’église. Du 13e siècle ; bien réparée. Le portail neuf est beau, d’un grand style, et prouve un architecte de talent. Beaux tombeaux-appliques, dans l’église Renaissance et Henri IV, des anciens seigneurs de la ville dont un prend la qualité de conseiller du très haut prince de Trêves. Celsissimi principis Trevirorum.

En sortant de l’église, admirable ravin. Violente cascade de la Leuss qui y tombe de 60 pieds de haut entre des maisons toutes de travers très magnifiquement. Cela est charmant et furieux. La Leuss grossie par l’averse est jaune d’ocre. Cette énorme chevelure rousse tombe dans les rochers et se soulève comme gonflée par un ouragan qui sort de dessous terre. Beaucoup de belles vieilles masures.

Pendant le dîner l’hôte entre et m’apprend que les journaux annoncent mon arrivée à Trêves pour demain. Nous tenons conseil pour déjouer cette attente.

22 septembre. — Partis pour Freudenburg et Klef d’où l’on voit la ruine de Montclair. Nous allons à la ruine. Accès difficile ; la masure est admirable ; le vieux schloss du 14e siècle. Restes de cheminées avec leurs chambranles. Portes et fenêtres ogives à tympans trilobés. Le village est étrange, presque sauvage et digne de la ruine. L’église neuve et bête.

À 5 h. 1/2 à Klef. Admirable vue. La Sarre vient et s’en va dans un magnifique encaissement de collines boisées, et fait dans la montagne un 8 gigantesque. Sur la crête du centre dans la forêt se dresse la ruine du burg de Montclair démoli en 1350 par Baudoin, archevêque de Trêves. Les bateaux rampent au fond du gouffre sur le serpent de la Sarre. On a fait là un look-out pour le roi de Prusse qui y est venu, avec table ronde en mosaïque. Inscriptions républicaines sur le mur. Je remarque celle-ci : Solidarité des peuples et communion des idées. Glatigny.


25 septembre. — Vianden. Revisité la ruine. Curieuses pages, sur le registre des voyageurs, qui me concernent. L’architecte qui a défiguré la chapelle romane est changé ; j’y suis pour quelque chose, à ce qu’il paraît.

Après le dîner, musique subite dans la rue. On ouvre les fenêtres, c’est une sérénade. Vingt musiciens avec un drapeau. Très belle musique. Le président de la société chorale m’adresse une allocution, j’y réponds. Hurrahs. Tout cela est imprévu, spontané et charmant. Les musiciens sont en blouse, ils sortent du travail. Il y a huit chandelles de suif pour éclairer leurs pauvres pupitres. Foule dans la rue. Puis le silence s’est fait, et je suis monté solitairement sur la montagne. Lune voilée. Mélancolique aspect des vallées où rampe une rivière de brouillard. Le spectre de la ruine debout dans cette ombre. Les chats-huants crient : hou ! hou ! hou !


26 septembre. — Excursion à pied à Falkenstein. Pluie battante, puis chaud soleil. Paysages splendides. Nous passons la rivière, fort grossie par les averses, sur un pont de nattes qu’on ôte l’hiver. À 2 heures au château. Lieu sauvage. Une tour et un pont en ruine sur une croupe de bruyères. Hautes collines tout autour.

Un chariot à bœufs descend le chemin creux. Le burg est farouche, il est désert. Au-dessous du burg petite maison pauvre où demeure la veuve du dernier baron. Il n’y a plus de cette famille sur ce mont que la veuve et le cimetière. Dans ce cimetière, quelques croix. Les pierres tombales ont disparu. Nous n’entrons pas dans la ruine à cause de l’orage et de l’averse. Les hautes herbes et les broussailles sont impraticables. Nous sommes trempés. Au moment où nous arrivons, deux grands coups de foudre coup sur coup. Immense écho dans la montagne. Après cette salve, le silence se fait. Le canonnier du tonnerre s’en est allé. Je dessine la ruine.


27 septembre. — Clerraux. Revisité le château. La cheminée de pierre du salon, le curieux billard Louis XV, la grande horloge Louis XIV, la boiserie de la chapelle, les chambres meublées sous le Directoire. — Des madame Récamier jouant du forte devant des paysages gris. La tour des archives, fermée. Ils font bien, cachez vos crimes. — Revu le soir le château du dehors à la pleine lune.

Le château de Clervaux appartenait aux comtes de Lannoy. Un Lannoy a reçu l’épée de François Ier à Pavie. Le dernier comte est mort vieux il y a huit ans. Au dire des habitants de Clairvaux, son fils s’étant marié hors de la noblesse, il l’a déshérité et laissé tout au comte de Tornaco. De là, procès à la mort du comte de Lannoy. Les tribunaux luxembourgeois ont sanctionné cette exhérédation stupide. Le château aujourd’hui est aux Tornaco.

  1. Un accident était survenu à la voiture louée à Dinant par Victor Hugo.