Encyclopédie anarchiste/Anthropologie - Antisémitisme
ANTHROPOLOGIE n. f. (du grec anthrôpos, homme et logos, discours). Traité de l’homme ; étude de l’homme envisagé dans la série animale ; histoire naturelle de l’homme. Dans son acception la plus étendue, l’Anthropologie désigne la science qui a pour but d’étudier l’homme. L’anthropologie a donc pour objet de réunir et de classer tous les documents, anciens ou modernes, susceptibles d’éclairer l’étude de l’homme considéré dans le rang qu’il occupe dans la série animale. Décrire les races humaines, préciser leurs analogies et leurs différences, déterminer leurs rapports de filiation, leur degré de parenté par les caractères anatomiques, par le langage, par les aptitudes et les mœurs ; examiner le groupe humain dans son ensemble, marquer sa place dans la série des êtres, ses relations avec les autres groupes de la nature et la distance qui l’en sépare, établir ses caractères communs, soit dans l’ordre anatomique et physiologique, soit dans l’ordre intellectuel et moral ; étudier les lois qui président au maintien ou à l’altération de ces caractères, apprécier l’action des conditions extérieures, des changements de milieu, les phénomènes de la transmission héréditaire, les influences de la consanguinité et des croisements ethniques, rechercher les premiers témoignages de l’apparition de l’homme sur la terre ; suivre en quelque sorte, à la trace les premiers progrès de l’humanité, sa marche lente et pénible vers les âges historiques ; tel est le champ immense de l’anthropologie.
L’anthropologie se divise en plusieurs branches : l’anthropologie préhistorique a pour objet l’étude des origines de l’homme par les traces qu’il a laissées. Cette partie de la science anthropologique est de date plutôt récente. Elle date de l’époque à laquelle on soupçonna l’existence d’espèces animales aujourd’hui disparues. Les découvertes qu’elle a réalisées établissent de fortes et multiples présomptions en faveur de la parenté qui relie l’homme à certaines variétés de singes. La découverte faite, en 1896, à Java, par le Dr Dubois, des restes d’un animal intermédiaire entre l’homme et le singe connu jusqu’alors comme le plus voisin de l’homme semble à quelques savants décisive. Le pithecanthropus erectus de Java avait, comme l’homme, une station verticale ; la forme de son crâne est celle qui se rapproche le plus de celle des hommes primitifs ; cependant le pithecanthropus erectus ne possède pas tous les caractères qui permettraient de le classer définitivement dans le genre humain.
L’Anthropologie ethnologique étudie les groupements humains qui se sont formés au cours de l’histoire. Les renseignements que nous apportent les deux branches principales de l’anthropologie, dont l’une étudie l’homme isolé en tant qu’individu et l’autre l’homme groupé, sont des plus intéressants et de nature, en bousculant fortement les notions officielles sur l’Individu et sur les collectivités, à conférer à nos conceptions libertaires une incalculable valeur de certitude.
Certains anthropologistes ont cherché quelle relation pouvait exister entre la criminalité et la conformation physique de l’individu. Ces recherches ont donné naissance à l’anthropologie criminelle. Le plus célèbre des criminalistes, le Dr Lombroso proclame l’existence du criminel-né, c’est-à-dire d’un genre d’homme qui, par voie héréditaire ou congénitale serait fatalement poussé à devenir criminel. Cette doctrine qui prétend revêtir d’un caractère scientifique et certain une thèse que l’expérience contredit fréquemment a été passionnément débattue et brillamment combattue, notamment par Manouvrier, professeur à l’école d’Anthropologie fondée en 1876, à Paris. Manouvrier a lumineusement démontré que l’influence du milieu exerce une action prépondérante sur la formation du caractère de l’individu et la direction de ses actes.
ANTHROPOMÉTRIE n. f. (du grec anthrôpos, homme, et metron, mesure). C’est la science des proportions du corps humain, la connaissance des dimensions de ses diverses parties. On entend par anthropométrie judiciaire la méthode, usitée dans la plupart des pays, dans les établissements rattachés au régime pénitentiaire, par laquelle on relève, à l’aide d’un ensemble de mensurations particulières, le signalement des personnes condamnées et même simplement arrêtées. Ce procédé qui, en réalité, consiste à traiter l’homme comme un bétail, est une violation révoltante de la dignité humaine. Il est digne de l’appareil judiciaire, policier et pénitentiaire, dont l’existence est un défi permanent à la liberté individuelle.
ANTHROPOMORPHISME n. m. (du grec anthrôpos, homme, et morphê, forme) Le sens de ce mot diffère selon qu’on le considère du point de vue religieux ou du point de vue philosophique.
Dans le premier cas, qui est le plus particulier, il exprime ce fait historique que l’une des premières manifestations de l’instinct religieux chez l’homme, après l’animisme et le naturisme, fut de créer des dieux à son image, en d’autres termes, d’anthropomorphiser la divinité.
Sorti de la période barbare où il faisait grossièrement ses dieux, avec toutes les choses vivantes ou non vivantes qui l’entouraient, ou qu’il voyait au firmament, il accomplissait un grand progrès, en les tirant de sa propre personne. Ce progrès produisit de véritables miracles en Grèce, car, par lui, par le polythéisme qu’il inspira, naquit et se développa l’art hellénique, c’est-à-dire l’expression la plus parfaite de la Beauté plastique. Au point de vue philosophique, on peut dire que toute la civilisation grecque fut, dans sa courte mais inégalable évolution, le fruit de l’anthropomorphisme.
Les Grecs lui durent non seulement les chefs-d’œuvre de Phidias et de Praxitèle, mais aussi l’Illiade, l’Odyssée, et les plus grands de leurs tragiques… Que serait l’œuvre d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide, et même d’Aristophane sans les dieux créés par l’homme qui à la fois dominent, dirigent et partagent sa destinée, et qu’il n’a différencié de lui-même qu’en leur accordant généreusement l’immortalité.
Malheureusement pour l’évolution et l’émancipation de l’esprit humain, les religions, qui se disent les plus épurées, malgré tout le spiritualisme et l’idéalisme affichés par elles, sont restées à l’état anthropomorphique. Témoin la religion catholique qui, fermée à tout progrès scientifique, en est encore à un dieu fait homme dont les fidèles anthropophages mangent le corps et boivent le sang. Aucune hypostase, en effet, ne peut effacer le réalisme de l’Eucharistie, et de la religion catholique tout entière.
« Dieu a fait l’homme à son image », proclame-t-elle.
Il est vrai que Voltaire ajoute : « L’Homme le lui a bien rendu ».
Mais s’il est vrai que l’homme est l’image de Dieu, en le mangeant il dévore son semblable.
Du reste, tous les philosophes ont constaté depuis bien longtemps cette tendance de l’homme à anthropomorphiser même les concepts les plus abstraits : celui de « temps » par exemple. Pour la masse, c’est un vieillard à longue barbe armé d’une faulx. Et nous-mêmes, ne disons-nous pas communément, quand il pleut, quand il neige ou quand il vente : « Ce cochon de Temps ! » comme Guy de Maupassant disait : « Ce cochon de Morin ! » P. Vigné-d’Octon.
ANTHROPOPHAGIE n. f. (du grec antrôpos, homme, et phagein, manger). L’anthropophagie, dont le synonyme est cannibalisme, constitue pour l’homme, l’action de se nourrir avec la chair de son semblable. Il faut distinguer de l’anthropophagie-coutume l’anthropophagie accidentelle, pendant les états de siège, au cours des famines, sur les navires longtemps en détresse, ou morbide comme chez certains aliénés, voire chez des personnes saines d’esprit au temps de décadence morale de civilisations corrompues. Tels, sous l’empereur Commode, les Romains, qui, d’après certains historiens, mangeaient par raffinement de la chair humaine.
L’anthropophagie-coutume chez les peuplades sauvages contemporaines et chez nos ancêtres des temps quaternaires est aujourd’hui un fait historique.
On s’accorde à en rechercher l’origine dans la Guerre et la Religion.
— « Par toute la terre, dit Letourneau, dans son livre remarquable : Science et Matérialisme, les prisonniers de guerre ont servi ou servent encore de pâture aux vainqueurs. À Viti, à la Nouvelle Zélande, on dépeçait les cadavres ; les divers morceaux séparés aux articulations étaient enveloppés de feuilles de bananier et cuits au four océanien.
« Manger les prisonniers était une coutume répandue en Amérique, du Nord au Sud. Le cordelier Thevel qui visita le Brésil vers le milieu du xvie siècle, entendit un chef qui, se comparant au jaguar, se vantait d’avoir mangé, pour sa part, plus de cinq mille personnes. — « J’ai tant mangé, disait-il, j’ai tant occis de leurs femmes et de leurs enfants, que je puis, par mes faits héroïques, prendre le titre du plus grand Mohican qui fut oncques entre nous. »
Et Letourneau ajoute ici : « Oui, bien certainement, il y a tant de façons de comprendre la gloire ! » Si, chez certaines peuplades, on mangeait son semblable vaincu pour satisfaire simplement sa vengeance ou sa gourmandise, ou pour s’approprier certaines de ses qualités comme son courage, en mangeant son cœur ; dans d’autres, la loi ou la coutume condamnait le coupable à être mangé par les gens de la tribu. Si, chez certains peuples, l’anthropophagie fut un moyen hygiénique de sépulture, on peut affirmer aujourd’hui que chez les Mexicains elle fut élevée à la hauteur d’une véritable institution religieuse.
À la boucherie mondiale qui a pour toujours déshonoré le xxe siècle il était réservé de donner un certain regain à cette horrible coutume partout en voie de disparition.
On a signalé, en effet, chez nos troupes marocaines des cas assez nombreux de cannibalisme. Mais il a été reconnu que ceux-ci n’avaient fait qu’imiter les tirailleurs noirs recrutés en Afrique occidentale et ayant fait la guerre du Maroc.
Quelques années de vie commune entre les deux contingents avaient suffi pour que les Marocains prétendument assimilés aient emprunté à ces barbares leurs pratiques abominables.
On a signalé dans certains hôpitaux où étaient centralisés les blessés et les convalescents indigènes des tirailleurs marocains qui, ayant coupé, sur les champs de bataille, des oreilles de soldats allemands et les ayant fait boucaner comme du gibier, les mangeaient en supplément de leur ration.
Voir à ce sujet les Pages Rouges, le deuxième volume de la Nouvelle Gloire du Sabre, par Vigné-d’Octon.
ANTICLÉRICALISME n. m., se dit du mouvement d’opinion qui s’oppose à la suprématie du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. Dans un sens plus restreint, l’anticléricalisme est un courant, plutôt politique et laïque, destiné à combattre l’influence politique du clergé et l’immixtion officielle des Églises dans les rouages de l’État. Voir les mots : Cléricalisme, Catholicisme, Église, Enseignement religieux, Écoles confessionnelles, Pouvoir temporel, Concordat, Clergé, Libre Pensée, etc…
ANTIÉTATISME Contre-Étatisme. Le contraire de l’Étatisme. (Voir ce mot). La négation de l’État. (Voir ce mot.)
La signification générale du mot « antiétatisme » est donc : point de vue reniant l’État. Mais cette définition, trop générale et vague, ne suffit pas. Elle ne spécifie point pour quelle raison, dans quel sens ni dans quelle mesure l’État est renié. Or, l’antiétatisme présente des aspects variés. On peut renier l’État de façon différente. Dès lors, une analyse plus approfondie, plus précise s’impose.
D’abord, personne ne peut nier l’État comme fait, comme une forme historiquement donnée de la communauté humaine. Donc, les antiétatistes de même que les étatistes de toute nature constatent la présence de l’État : les uns et les autres doivent partir, dans leur raisonnement, de la reconnaissance de l’État comme d’une forme de coexistence des humains ayant eu ses origines ainsi que son évolution historique, ayant su se maintenir jusqu’à nos jours. Ce n’est pas sur l’affirmation ou la négation de l’existence de l’État que les conceptions sociologiques et sociales diffèrent, et que l’on est « étatiste » ou « antiétatiste » : c’est sur l’appréciation de l’État, sur la question de savoir comment il faut envisager ce fait, quelle est l’attitude à prendre vis-à-vis de l’État.
Le différend commence lorsque surgissent les questions : a) Sur les origines de l’État : quelle fut la suite des causes qui amenèrent à cette forme d’organisation sociale ? b) Sur son rôle historique : ce rôle, fut-il positif, en général ou sous quelque rapport que ce soit ? fut-il, au contraire, purement et simplement négatif ? L’avènement de l’État, fut-ce une nécessité, un progrès, au point de vue évolution humaine générale, ou simplement une déviation, une régression ? Au même point de vue, l’État, avait-il, a-t-il, au moins une certaine utilité ? c) L’État, est-ce une forme constante de la société humaine — forme qui ne disparaîtra jamais, — ou, au contraire, une forme passagère, destinée à disparaître ? D’autres formes d’organisation sociale sont-elles possibles ? d) L’État, est-ce une institution « au dessus des classes » ou, au contraire, un instrument de domination de classe ? Dans ce dernier cas, quelle est l’essence même de cette domination ? e) L’État, peut-il, oui ou non, servir d’instrument de libération des classes exploitées et opprimées ? f) Si l’État est appelé à disparaître, disparaîtra-t-il d’une façon naturelle et graduelle, par la voie d’une évolution lente et suivie, ou bien faudra-t-il l’abolir d’une façon brusque et violente, par la voie de la Révolution ? g) Faut-il lutter contre l’État ? Si oui, contre quel État ? Est-ce contre l’État en général ou contre l’État actuel seulement ? La lutte doit-elle être menée en vue de la démolition complète de l’État en même temps que du capitalisme ou bien dans le but de remplacer l’État bourgeois actuel par un État prolétarien ? Un « État prolétarien », est-il réalisable ? Dans la Révolution sociale, dans la transformation sociale imminente et dans la lutte émancipatrice, l’État, est-il une forme utilisable ou reniable ? Quels sont les moyens de lutte contre l’État ?
À toutes ces questions, et à d’autres encore ayant trait au même sujet, les réponses sont différentes. Ceci d’autant plus que les sciences sociales, notamment : l’histoire, la science de l’État, l’économie politique et la sociologie, fournissent peu de matières appréciables à la solution du problème. Toutes les réponses sont plutôt des hypothèses plus ou moins appuyées que des solutions scientifiques.
Un examen plus détaillé de ces réponses sera fait au mot État. Ici, nous ne donnons qu’un aperçu sommaire de divers points de vue, juste afin de démontrer les différents aspects modernes de l’antiétatisme.
Nous avons, tout d’abord, différentes théories de l’État comme forme normale de la Société, de l’organisation sociale. D’après ces théories, les origines de l’État furent d’ordre absolument naturel : l’État devint une nécessité dès que les masses amorphes des premières agglomérations humaines se différencièrent, que les intérêts opposés des individus et des couches diverses de la population se firent sentir, que les luttes, les guerres incessantes s’ensuivirent. À la lumière de ces théories, l’État représente une organisation, une institution positive, placée au-dessus des individus et des classes sociales, appelée justement à niveler, à réconcilier les antagonismes surgissant constamment et fatalement au sein de la Société, à en amortir les chocs, à en diminuer l’effet. L’État est donc, non seulement utile, mais nécessaire au maintien de l’ordre social. Il devient de plus en plus indispensable au fur et à mesure du développement ultérieur de la société humaine et de la différenciation sociale croissante qui en est la conséquence. Plus la Société progresse, plus elle devient compliquée, — plus elle a besoin d’un État organisateur, régulateur, protecteur, réconciliateur… L’État est donc une institution constante : l’unique forme possible de la société humaine civilisée, organisée, ordonnée. Les conceptions et les formes de l’État peuvent varier ; l’État comme tel n’en reste pas moins invariable, précis dans son sens, dans son essence et dans son action.
Tel est, en gros traits, la thèse étatiste, l’étatisme absolu. Il se présente toutefois sous trois aspects principaux différents : 1o la théorie de l’État absolutiste développée et précisée surtout par Thomas Hobbes (1588-1679) ; 2o celle de l’État constitutionnel dont les bases furent établies par Charles Montesquieu (1689-1755) ; et 3o celle de l’État démocratique, esquissée pour la première fois par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). (Pour plus de détails, se rapporter au mot : Étatisme).
Toutes ces conceptions bourgeoises de l’État, en tant que théories, ont aujourd’hui vieilli. Elles ne correspondent plus aux données historiques ni scientifiques nouvellement acquises. Elles ont joué leur rôle surtout comme précurseurs de l’épanouissement prodigieux de l’État au xviiie-xixe siècle. Elles ne sont défendues de nos jours que par les classes et les groupes égoïstiquement intéressés. C’est ainsi que l’Étatisme absolu devint finalement et définitivement la conception bourgeoise et conservatrice par excellence.
Il est à remarquer, cependant, qu’il existe actuellement certains éléments bourgeois qui répudient l’État, le critiquent, l’attaquent. Le fait, tout en paraissant bizarre à première vue, se conçoit aisément. Pour faire face à toutes les nécessités, l’État contemporain a besoin d’énormes sommes d’argent. Le budget de l’État moderne est formidable. Les impôts ordinaires, les taxes et charges infligées aux vastes masses obscures de la population ne lui suffisent plus. Il est de plus en plus acculé à « taper sur le bourgeois », à lui demander à son tour des « sacrifices » en échange des services que l’État lui rend. Mais ces exhortations laissent froid le bourgeois qui n’aime pas les sacrifices. Il ne veut pas se démunir du moindre pour cent sur ses bénéfices qu’il considère comme son « affaire privée ». Il devient mécontent. Il « rouspète ». Il se dérobe. D’autre part, afin de pouvoir feindre son souci de l’équilibre, de l’équité, de la justice sociale, afin de pouvoir soutenir sa renommée d’institution « au-dessus des classes », afin de ne pas succomber à brève échéance, l’État bourgeois est obligé de céder quelque peu, ne fût-ce qu’en apparence, à la force toujours croissante des classes laborieuses. Sous leur pression, il est contraint à mettre certain frein à la liberté de l’exploitation capitaliste. Il établit des lois restrictives qui privent le bourgeois d’une partie — oh ! bien insignifiante — de ses bénéfices. Cette tutelle, ce contrôle, si minime qu’il soit, gênent et agacent le bourgeois qui les considère encore comme une ingérence dans ses « affaires privées », ingérence arbitraire et préjudiciable aussi, dit-il, aux intérêts communs, car, d’après lui, elle entrave sa libre initiative, enraie son activité et nuit ainsi au développement de la vie économique du pays. Dégoûté, le bourgeois devient parfois le critiqueur, l’ennemi de l’État, l’ « antiétatiste » sui generis. Il prêche la « liberté individuelle » pour pouvoir exploiter et profiter tout à son aise. C’est de l’antiétatisme bourgeois, égoïstique, stupide.
Il existe aussi une espèce d’ « antiétatisme » par mécontentement de telles ou autres mesures de l’État, ou de ses abus, ou encore des défauts de ses services.
Il va de soi que tous ces genres d’antiétatisme ne sont ni sérieux ni intéressants au point de vue idée, lutte d’émancipation, problème social. Ils n’ont rien de commun avec l’antiétatisme de principe, celui de certaines conceptions sociologiques et sociales.
Dans la deuxième moitié du xixe siècle, des théories se précisèrent qui, tout en affirmant le naturel des origines de l’État, tout en proclamant sa nécessité historique, tout en lui attribuant, au moins durant une longue période historique, une certaine utilité, un certain rôle positif, organisateur, le considèrent néanmoins comme une expression de la violence, comme un instrument de domination.
Ce furent surtout F. Engels (1820-1895) et K. Marx (1818-1883), qui établirent cette théorie. Leurs partisans et continuateurs — les marxistes — formèrent, dans tous les pays, le parti social-démocrate.
La théorie marxiste — et socialiste en général — considère l’État comme un instrument de domination et de dictature de classe. L’État bourgeois moderne est l’instrument de la domination et de la dictature de la classe capitaliste sur la classe laborieuse. Pour l’affranchissement total de la classe ouvrière, celle-ci devra s’emparer de l’État et le transformer en « État prolétarien ». Ce nouvel État sera juste l’inverse : l’instrument de domination et de dictature du prolétariat sur la bourgeoisie, jusqu’à ce que la résistance de cette dernière soit définitivement brisée et tous les vestiges de la longue période capitaliste complètement disparus. Alors, les classes disparaîtront aussi et, avec elles, l’État. C’est donc à l’aide de l’ « État prolétarien » que les prolétaires pourront achever l’œuvre de leur émancipation. L’État ne pourra disparaître que lorsque cette œuvre sera chose accomplie. Entre l’État bourgeois moderne et la Société nouvelle, il y aura un État prolétarien qui existera durant un laps de temps indéterminé, garantira la victoire complète de la classe ouvrière et ne disparaîtra qu’au bout d’une longue évolution, lorsque la transformation de la Société actuelle sera terminée. L’État est, par conséquent, une forme utilisable par la classe prolétarienne. Il sera l’instrument de la transformation définitive de la Société actuelle en une Société nouvelle.
Comme on le voit, cette théorie est étatiste en ce sens qu’elle préconise la lutte non pas contre l’État en général (comme tel, comme principe), mais seulement contre l’État tel qu’il est aujourd’hui, et qu’elle veut remplacer par un autre ; en ce sens encore qu’elle compte sur l’État (« prolétarien ») comme moyen de transformation sociale ; en ce sens, enfin, qu’elle établit une longue période étatiste après la révolution définitive, période pendant laquelle l’État, d’abord excessivement puissant, devra ensuite s’effacer petit à petit de soi-même, par la voie d’une évolution lente et progressive.
La théorie peut être estimée antiétatiste en ce sens seulement qu’elle entrevoit la disparition finale de l’État, disparition toutefois très lointaine, qui aura lieu non pas au même moment que celle du régime capitaliste, mais beaucoup plus tard, et qui s’effectuera on ne sait pas comment.
Tel est l’antiétatisme marxiste et socialiste en général : platonique et vague.
Ajoutons que quant à la question des moyens de lutte contre l’État actuel, cette théorie se divise en deux courants ennemis irréconciliables : l’un estimant que la lutte doit être menée de façon évolutionniste, graduelle, légale, qu’elle doit se poursuivre dans les cadres de l’État lui-même en vue de sa conquête progressive parlementaire, administrative, etc. ; l’autre préconisant l’action violente, la révolution comme moyen de la conquête du pouvoir dans l’État actuel en vue de sa transformation ultérieure. Ce sont précisément les adeptes de cette dernière conception qui réussirent à s’emparer du pouvoir pendant la grande révolution russe de 1917 et qui prétendent exercer actuellement la « dictature du prolétariat » dans l’État russe « prolétarien », en vue de préparer le triomphe définitif de la révolution sociale dans le monde entier.
Tout autre est l’antiétatisme intégral et actif de la conception anarchiste dont il est l’un des éléments organiques, fondamentaux, concrets. (Voir : Anarchie, Anarchisme, Anarchiste.)
D’abord, la question des origines de l’État. La grande majorité des anarchistes sont d’avis que tout en étant, bien entendu, la conséquence de certaines causes historiques, l’avènement de l’État fut, dès le début, un mal, une déviation funeste, et que l’évolution de la collectivité humaine aurait pu, en d’autres conditions, s’engager sur une autre voie, droite et normale. (Malheureusement, tout ce problème reste encore scientifiquement trop obscur et ne peut être résolu d’une façon définitive par aucune conception). Donc, la plupart des anarchistes considèrent l’État comme une institution absolument négative, n’ayant joué ni ne pouvant en aucun cas jouer un rôle progressif quelconque. Le « rôle historique » de l’État ne consiste, d’après les anarchistes, qu’à avoir défiguré le développement normal de la Société humaine et amené l’humanité à cet État lamentable où elle se trouve aujourd’hui et d’où elle a tant de peine à sortir.
L’État n’est pas une forme d’organisation sociale utilisable par les travailleurs. Donc il doit être abattu du même coup que le capitalisme dont il est le soutien et l’expression sociale par excellence.
Ainsi, tout en considérant l’État, d’accord avec tous les socialistes en général, comme un instrument de domination, d’oppression de classe, les anarchistes interprètent ce fait d’une façon distincte et en tirent une toute autre conclusion.
Leur point de vue est développé et précisé surtout dans les œuvres de Pierre Joseph Proudhon (1809-1865), Michel Bakounine (1814-1876), Pierre Kropotkine (1842-1921), Max Stirner (1816-1856), Léon Tolstoï (1828-1910). La littérature anarchiste courante continue de s’occuper de ce problème.
Particulièrement intéressante, édifiante est la discussion qui a eu lieu en Russie en 1917-1919 (depuis lors toute discussion y est impossible) et qui a lieu actuellement dans tous les pays entre les « communistes » et les anarchistes au sujet de l’État. Le livre de Lénine : « L’État et la Révolution » est en partie un écho de cette discussion.
À la thèse habituelle des anarchistes : « L’État est toujours l’instrument d’oppression des uns par les autres et ne peut jamais être autre chose », les communistes répliquent : « Bien entendu, l’État, c’est l’oppression, la domination. Mais l’oppression de qui ? La domination sur qui ? C’est là toute la question. Dans l’État bourgeois, c’est la bourgeoisie qui domine et qui opprime le prolétariat ; au contraire, dans l’État prolétarien, c’est le prolétariat qui domine et qui opprime la bourgeoisie, et c’est pourquoi cet État de choses est justement appelé : « dictature du prolétariat ». Elle est nécessaire, cette dictature, pour toute la période indéterminée où la bourgeoisie, internationale surtout, n’étant pas encore complètement écrasée, représente une force contre-révolutionnaire redoutable. Ne saisissant pas le sens effectif de cette oppression et prenant parti contre elle, les anarchistes, eux aussi, deviennent objectivement des contre-révolutionnaires ».
Il n’est pas difficile de démontrer l’erreur capitale de la thèse bolcheviste.
Les hommes tombent, hélas ! à chaque instant victimes des mots vides de tout sens réel. On a pris l’habitude néfaste, non seulement de parler, mais même de penser avec des paroles, au lieu de raisonner avec des notions, avec des faits. Or, la vie est bâtie non pas avec des mots, mais avec justement des faits réels. Et, quant aux mots, ils n’ont de valeur qu’en tant qu’ils expriment des faits, des notions précises. La parole n’est qu’un symbole : un moyen humain de désigner les faits, les notions. Ce n’est donc qu’en opérant avec des faits réels, avec des notions précises, exprimées par des mots rigoureusement exacts, que nous pouvons raisonner de façon juste, sûre, utile.
D’autre part, les hommes ont pris aussi la mauvaise habitude d’opérer avec des notions abstraites là où il s’agit de problèmes concrets et où, par conséquent, un raisonnement abstrait ne pourrait que nous induire en erreur.
Dans les questions concrètes, il faut substituer à de simples paroles ou à des notions abstraites, des notions concrètes et précises correspondantes aux faits réels. Ce n’est qu’à cette condition que nous pouvons arriver à une solution exacte.
Qu’est-ce que l’oppression, la domination ? Il est facile de voir, à la première réflexion sérieuse, que ce ne sont là que des termes vides de sens concret ou, dans le meilleur cas, des notions abstraites. Il n’existe pas, dans la vie, d’oppression, de domination abstraite (comme telle) — de même qu’il n’existe pas par exemple, dans la nature, de plante comme telle. Il y a différents objets réels : le chêne, la rose, la pomme de terre, la ciguë, etc., que nous, les hommes, unifions en une notion générale et abstraite, et désignons sous un nom également abstrait et général : plante (car tous ces objets possèdent certaines propriétés communes nous permettant de les rapprocher entre eux et de les séparer de certains autres objets).
La pomme de terre est mangeable ; elle nous sert de nourriture. Mais si, pour la seule raison que le chêne, la rose, la pomme de terre et la ciguë sont des « plantes », nous jugeons mangeable cette dernière, par exemple, nous éprouverons une déception mortelle.
De même avec le terme, la notion : « oppression ». Il existe différents phénomènes réels que nous unifions, à cause de quelques propriétés qui leur sont communes, en une notion abstraite et générale : oppression. Mais si, pour la seule raison que l’État est une forme d’oppression, nous le jugeons bon à opprimer la bourgeoisie, nous risquons d’éprouver une grosse déception. Il ne suffit pas de dire : l’État, c’est l’oppression tournée aujourd’hui contre le prolétariat, elle sera, demain, retournée contre la bourgeoisie. Car il ne suffit pas d’être une « oppression » pour être bonne à dominer, à mater la bourgeoisie (de même qu’il ne suffit pas d’être une « plante » pour être mangeable).
Il faut, à un moment donné, savoir mater, dominer la bourgeoisie, organiser la révolution, la défendre, etc. ? D’accord. Mais quelle forme de domination, d’organisation faut-il adopter dans ce cas ? Quelle est la forme réelle de l’oppression utilisable dans le but posé ? Est-ce l’État ou une autre forme concrète ? C’est là toute la question. Pour y répondre, il faut, d’abord, voir de près les qualités réelles, intimes de l’État.
Eh bien, qu’est-ce que l’État, comme forme ou instruisent d’oppression, de domination ? La réponse nous est donnée par toute l’histoire humaine, par tout ce que nous savons de l’État depuis des siècles :
L’État n’est pas un instrument de domination quelconque, vague et abstrait, pouvant être appliqué de n’importe quelle façon, dans n’importe quel sens voulu. L’État est un genre de domination concret, précis, déterminé : l’exploitation. L’État est un « instrument d’oppression » en ce sens net et unique qu’il est une machine d’exploitation des masses travailleuses, au profit de tels ou autres groupes, castes ou individus. Les formes de cette exploitation peuvent quelque peu varier ; mais l’exploitation même n’en reste pas moins le fond constant et unique de l’État. Voilà pourquoi, une fois installé, l’État ne peut que soutenir et faire naître ou renaître l’exploitation, le capitalisme, la bourgeoisie, sous telle ou telle forme. Donc, l’État ne peut être que la dictature du capital, de la bourgeoisie (privée ou d’État). Il ne peut jamais devenir une « dictature du prolétariat ». Il ne peut pas changer sa nature, devenir un autre genre de domination — de même que la ciguë, ce genre de plante, ne peut pas devenir une pomme de terre, cet autre genre de plante. C’est là précisément l’erreur fondamentale des « communistes » : ils veulent transformer la ciguë en pomme de terre. Naturellement, l’expérience concrète n’aboutit à rien.
Les anarchistes affirment que l’instrument classique de l’exploitation : l’État, est impraticable dans un but opposé : l’abolition de l’exploitation, la suppression de la bourgeoisie, la liquidation du capitalisme. Ils estiment qu’une fois installé, l’État, quel que puisse être, théoriquement, son but, créera en réalité, fera naître ou renaître, fatalement, inévitablement, l’exploitation, la bourgeoisie, le capitalisme. Les péripéties de la révolution russe leur donnent entièrement raison. Elles sont pour leur conception une illustration éclatante que les plus aveugles devront bientôt comprendre.
Il est bien typique que Lénine, dans son ouvrage précité, parle de l’État d’une façon équivoque : tantôt comme d’un instrument d’ « exploitation » (quand il attaque la bourgeoisie), ce qui est précis et juste, tantôt comme d’une forme de « domination » abstraite (quand il défend la théorie étatiste), ce qui est vague et erroné. Ainsi son livre devient illogique, confus, faux. Il perd totalement l’intérêt et l’importance qu’il aurait pu avoir. Il est une des œuvres les plus faibles qui existent sur le problème de l’État, car le raisonnement de l’auteur n’est ni logique, ni clair, ni nouveau.
Il nous reste à ajouter qu’en dehors de la raison exposée, il en est d’autres encore pour lesquelles, les anarchistes repoussent l’État comme instrument de la révolution. L’une des principales, c’est l’impuissance créatrice et rénovatrice absolue de l’État. La révolution sociale surtout, exige, pour amener à un résultat définitif, des initiatives, des énergies, des capacités créatrices formidables. Or, les anarchistes ne reconnaissent pas à l’État cette énergie, cette capacité indispensable. Là encore, la révolution russe souligne irrécusablement leur point de vue. — Ensuite, l’antiétatisme anarchiste est étroitement lié à d’autres thèses de la doctrine libertaire : à l’antimilitarisme, à la négation de l’autorité, du gouvernement, de la justice codifiée, etc. Considérant le militarisme, l’autorité, le gouvernement, la justice codifiée comme des éléments négatifs ne pouvant que défigurer et faire égarer la lutte sociale émancipatrice, les anarchistes estiment en même temps que tout État, quel que soit, théoriquement, son but, engendre infailliblement tous ces maux et, avec eux, les privilèges, l’inégalité, l’injustice, l’exploitation. Donc, logiquement, ils nient l’État. — Enfin, c’est aussi au nom de l’individualité humaine libre et créatrice (et des associations libres des individus) que l’anarchisme rejette l’État, cet appareil d’assujettissement, d’avilissement, du nivellement par excellence. La formule fondamentale de l’anarchisme, qui découle de sa conception du progrès, est : non pas l’homme pour la société, mais la société pour l’homme. Or, l’État est précisément la forme de la société qui écrase totalement l’homme, l’individu.
Donc, d’après les anarchistes, la tâche de la suppression du capitalisme, de la bourgeoisie, de l’exploitation, des classes, de toute la société moderne, exige d’autres formes de domination et d’organisation que l’État.
L’antiétatisme anarchiste, indique-t-il ces autres formes ? Les cherche-t-il au moins ? Ou bien, n’est-il que purement négatif, sans savoir, tout en rejetant l’État, comment faire pour s’en passer et parer à sa disparition ?
Certes, les anarchistes s’efforcent de prévoir, de tracer, autant que possible, à l’avance les formes organisatrices appelées à remplacer l’État disparaissant sous les coups de la révolution sociale. Ils ont des idées intéressantes là-dessus. (Voir à ce sujet : Révolution, Communisme, Syndicalisme, etc.). Mais ils ne considèrent pas ces idées comme définitives. Ils ne tiennent pas ces formes pour « trouvées ». De plus, ils ne croient même pas possible de les préciser théoriquement, à l’avance. Plus encore : ils ne sont pas tout à fait d’accord, en ce qui concerne ces formes. Cependant, l’absence d’une solution générale toute prête n’est nullement une faiblesse, un défaut de l’anarchisme : c’est un phénomène normal, inhérent à sa conception même. Car tous les anarchistes sont parfaitement d’accord sur un point capital : ces formes nouvelles, — disent-ils, — seront trouvées, non pas à l’avance, par des théoriciens, des savants, des groupes et partis politiques ou autres, mais pratiquement, par les vastes masses travailleuses en pleine action révolutionnaire. C’est la vraie révolution sociale elle-même qui engendrera et créera ces formes. Ce seront les nécessités immédiates et concrètes qui les feront trouver. Ce ne sont pas les anarchistes, mais les millions d’individus, les masses organisées qui, au cours de la révolution définitive, trouveront la véritable solution du problème. Les anarchistes, eux, devront alors, tout en cherchant ensemble avec les masses, non pas leur dicter des solutions trouvées par eux, mais seulement les aider dans leurs recherches et leur action. — On ne pourrait, à l’avance, qu’établir quelques principes généraux de l’organisation nouvelle. C’est ce que les anarchistes sont en train de faire. Et là encore, ils sont tous d’accord sur un point fondamental : les formes de cette organisation, dans toutes les ramifications (problèmes économiques de la production, de la répartition et ainsi de suite, défense de la révolution, vie culturelle, etc., etc.), auront une base, non pas politique, étatiste et autoritaire, mais directement économique, technique et sociale, base fédérative, base saine et naturelle de travail, de création indépendante, de libre entente, d’action et de coordination directes et spontanées de tous les éléments travailleurs des villes et des campagnes en état de révolution.
La différence entre les socialistes étatistes et les socialistes antiétatistes (anarchistes), se résume donc comme suit :
1o Les premiers, expliquant à leur façon les origines de l’État, considèrent ce dernier comme ayant joué dans l’Histoire un certain rôle positif, progressif, organisateur. Les seconds, commentant autrement les origines mêmes de l’État, le considèrent comme un mal dès le début, un phénomène négatif, régressif, désorganisateur.
2o Les premiers, considérant l’État comme pouvant être, actuellement encore, une force progressive, cherchent à s’en emparer — de façon lente (les « social-démocrates ») ou brusque et violente (les « communistes ») — pour le transformer, ensuite, en un « État prolétarien » (d’où la « dictature du prolétariat ») et l’utiliser ci au « profit de la classe ouvrière » ; ils ne se demandent même pas si le moyen correspond au but, s’il ne convient pas de rejeter cette forme comme inadéquate et d’en chercher une autre. Les seconds, considérant l’État comme un instrument d’exploitation ne pouvant jamais être autre chose, le rejettent résolument et entièrement comme un obstacle constant au progrès, comme une forme impraticable dans la lutte émancipatrice ; ils estiment utopique et absurde l’idée d’un « État prolétarien », et, partant, celle d’une « dictature du prolétariat » sous forme d’un État ; ils cherchent une autre forme d’organisation praticable par la classe ouvrière en révolution.
3o Les premiers prétendent qu’il ne faudra pas démolir l’État qui s’éclipsera plus tard de lui-même, de façon naturelle, après avoir rempli son rôle historique. Les seconds affirment la nécessité de combattre activement l’État comme institution, en même temps que le capitalisme, de le démolir complètement, de l’abattre du même coup que ce dernier, au moment même de la révolution sociale dont l’une des tâches immédiates sera justement celle de remplacer l’État par une autre forme de communauté humaine.
Quant à la question des moyens de lutte contre l’État (et le capitalisme), l’antiétatisme anarchiste se divise en deux courants principaux : l’un, celui de Bakounine, de Kropotkine et de la grande majorité des anarchistes, préconise la démolition active et violente : la révolution proprement dite ; l’autre, renonçant à la violence, prêche la « résistance passive » : refus de payer les impôts, de faire le service militaire et ainsi de suite. Ce deuxième point de vue est développé surtout par Léon Tolstoï d’où son nom : « Tolstoïsme ». — C’est le problème de la violence comme moyen (la lutte sociale, qui gît au fond de la controverse. (Voir : Anarchie, État, et surtout Violence). Et c’est l’antiétatisme violent, révolutionnaire, qui est caractéristique pour l’anarchisme militant, actif.
De tout ce qui précède il résulte que l’antiétatisme anarchiste, tout en étant solidement établi et nettement formulé, comme principe, dans les œuvres des théoriciens libertaires, laisse encore à désirer comme précision et, surtout, comme conception concrète. Il gagnera rapidement en vigueur persuasive et, partant, en adeptes, s’il est approfondi et précisé davantage ; c’est un travail qui se poursuit.
Pour cela, il faut, entre autres choses, que les anarchistes sachent mettre à profit les faits qui les soutiennent.
Un événement historique récent, d’une importance immense, devient actuellement et deviendra de plus en plus un facteur décisif dans le choix entre l’idée révolutionnaire étatiste et antiétatiste. Nous parlons de la grande révolution russe de 1917 où, pour la première fois dans l’Histoire, le socialisme révolutionnaire de tendance étatiste remporta la victoire complète et arriva au pouvoir dans un État entier. Cette victoire de l’idée communiste-étatiste et ses conséquences, d’une part ; d’autre part, le succès relatif dont jouit encore, parmi les masses travailleuses de tous les pays, cette malheureuse conception (profondément anti-révolutionnaire car elle condamne la révolution à la stérilité et la conduit à un fiasco complet), obligent les anarchistes à redoubler d’activité dans le développement et la propagande de l’idée antiétatiste.
Certes, la tâche n’est pas facile. L’humanité est à un tel point habituée à se mouvoir dans l’État comme forme « normale » et unique de l’organisation sociale qu’elle ne se représente guère d’autres possibilités. Cependant, cette inertie devra être brisée. Car la révolution sociale qui est appelée à rénover toute la vie humaine, devra commencer par rénover justement le mode de l’existence sociale, sans quoi elle n’aboutira à rien. La stérilité organique de la révolution russe étatiste, pourtant victorieuse, finira pas éclairer les masses travailleuses du monde entier et leur servira bientôt d’illustration, de preuve éclatante de la fausseté de l’idée étatiste. Alors, le fait que les « communistes » ne peuvent pas, eux non plus, se détacher de la forme sociale périmée, intimement bourgeoise, forte uniquement par la tradition, l’habitude et l’inertie, deviendra la dernière preuve de leur conservatisme, de leur esprit profondément bourgeois et anti-révolutionnaire. Cette formidable expérience historique confirmera demain, et tous les jours davantage, la saisissante exactitude de la conception antiétatiste, anarchiste.
La victoire du bolchevisme n’est, dans la perspective des événements, qu’une étape historique franchie dont le sens n’est autre que l’écroulement « matériel », palpable et évident pour les masses, de l’idée étatiste.
L’avenir déjà proche est indubitablement à l’idée antiétatiste. Le moment approche où les masses seront prêtes à concevoir, à saisir cette idée, à comprendre qu’elle est la seule qui leur permettra de remporter le véritable succès dans la révolution sociale.
C’est pour ce motif que les anarchistes, pionniers de cette idée, doivent dès maintenant faire face à la situation qui vient. Leur devoir historique du moment est de faire tout ce qui est dans leur pouvoir pour aider les masses travailleuses à se pénétrer de l’idée antiétatiste le plus facilement, le plus rapidement possible, en tout cas en temps opportun. C’est donc avec une énergie nouvelle, décuplée, et avec un espoir ou, plutôt, avec une assurance ferme, que les anarchistes doivent intensifier dès à présent le développement et la propagande de la conception antiétatiste. Nous considérons ceci comme l’une des tâches principales et immédiates de l’anarchisme militant. — Voline.
ANTIMILITARISME n. m. Comme le mot l’indique, l’Antimilitarisme a pour objet de disqualifier le militarisme, d’en dénoncer les redoutables et douloureuses conséquences, de combattre l’esprit belliciste et de caserne, de flétrir et de déshonorer la guerre, d’abolir le régime des Armées. (Voir les mots : Militarisme, Armée, Caserne, Guerre, Drapeau, Patrie, Défense nationale, Insoumission, Biribi, Désertion, etc…)
ANTINOMIE (Étym. : gr. anti, et nomos, lois). — Impossibilité d’accorder le pour et le contre, le oui et le non. Opposition de deux sentiments, de deux phénomènes inconciliables. Ainsi, l’individu ne fera pas bon ménage avec l’autorité, le génie ne supportera pas la médiocrité (et la médiocrité supportera encore moins le génie), la beauté et la laideur ne s’accorderont jamais. Il est impossible d’aimer à la fois le néant et la vie. Il faut être pour ou contre. Pas d’attitude équivoque, pas de compromis. La rupture est inévitable entre le passé et l’avenir, et il n’y a aucun rapprochement possible entre les intelligents et les brutes. Par contre, l’harmonie peut et doit exister entre la pensée et l’action, le sentiment et la logique. L’art réunit et concilie ce que la médiocrité sépare. D’autre part, dans le domaine peu sûr de la politique, telles choses qui semblent inconciliables, semblent se concilier. Les renégats (voyez ce mot) tendent la main à leurs pires adversaires, quand ils escomptent en tirer quelque chose. Où l’on croyait qu’il y avait opposition, il y avait entente tacite : l’opposition n’existait que pour la forme, que pour donner le change ! C’est un exemple d’antinomie factice. Autre exemple d’antinomie : l’union sacrée. On peut aussi appeler antinomie, l’impuissance de l’administration à résoudre certains problèmes, de la loi à contenter tout le monde, l’incohérence de l’autorité et la lutte que se livrent entre elles les autorités. Antinomie, ces jugements baroques, ahurissants, de nos juges civils et militaires ; antinomie, cette morale immorale, ces prescriptions violées par ceux qui les édictent… Antinomie, cette charité qui prétend atténuer les maux qu’elle aurait dû commencer par chercher à faire disparaître, acceptant et déplorant la guerre tout ensemble ; antinomies, ces articles de pseudo-journalistes affirmant à la fin ce qu’ils nient au début, ou niant à la fin ce qu’ils affirment dès les premiers mots, etc… La société tout entière est une vaste antinomie, un tissu de contradictions et d’incohérences (comme la nature humaine). Certains prétendent résoudre cette antinomie, ménager les uns et les autres, être de l’avis de tout le monde, servir à la fois le mensonge et la vérité, et vivre sur une équivoque !
ANTIPARLEMENTARISME n. m. Établir l’impuissance et la pourriture morale des Assemblées parlementaires ; montrer l’incohérence et l’absurdité du système représentatif ; prouver par des faits courants la malfaisance d’un régime qui, en conférant au Parlement un pouvoir en quelque sorte sans limite pour une durée beaucoup trop longue et qui gère tous les intérêts d’une nation, enlève à la population tous ses droits et la gestion de ses propres affaires ; tel est le but que poursuit l’Antiparlementarisme. (Voir les mots : Abstentionnisme. Parlement. Parlementarisme. Gouvernement. Électoralisme. Politique. Démocratie. Chambre des Députés. Sénat. Constitution. Ministère, etc…)
ANTIPATHIE (préf. anti et gr. pathos, passion). — Dégoût qu’on éprouve à l’approche de certains êtres. Quelque chose qui vous dit : « Éloigne-toi ». — Certaines poignées de mains, certains regards sont antipathiques au premier chef. Nous éprouvons une répulsion justifiée pour les journalistes plus ou moins transigeants, les confrères crasseux et envieux, les camarades égoïstes et arrivistes, les jeunes vieillards. Sont antipathiques les « mufles » (voyez ce mot), les bourgeois (id.), les pédants, les cuistres, les faux-artistes, les renégats, les pontifes, sans oublier les censeurs et les policiers, — tout ce qui représente une régression, une rétrogradation, une réaction, — tout ce qui contrarie « nos » rêves, « notre » idéal, « nos » aspirations, — tous ceux qui ne sont pas « nôtres ».
ANTIPATRIOTISME Parviendrai-je à éviter ici toutes les considérations qui seront mieux en place aux articles Patrie et Patriotisme (voir ces deux mots) ?…
L’antipatriotisme fut la réaction de la raison et du sentiment dès que sévit le patriotisme. Il prit des formes diverses selon qu’il s’appuyait plus ou moins consciemment sur l’individualisme, sur l’amour pour tous les hommes, sur l’amour pour un homme (comme chez Camille, la sœur des Horaces) ou même sur une préférence raisonnée ou sentimentale pour les lois et les mœurs d’un pays étranger.
Le Bouddha fut nécessairement hostile à tout exclusivisme patriotique, lui qui n’admet pas même ce qu’on pourrait nommer le chauvinisme humain, mais étend sur tous les vivants son amoureuse miséricorde. En Grèce, les sophistes sont antipatriotes. Socrate, le plus grand d’entre eux, proclame : « Je ne suis pas athénien, je suis citoyen du monde. » Il condamne la patrie au nom des « lois non écrites », c’est-à-dire au nom de la conscience. D’autres sophistes la rejettent au nom d’un individualisme plus intéressé. Cependant, leur contemporain Aristophane méprise sa démocratique patrie parce qu’il admire l’organisation aristocratique de Lacédémone. (Ainsi M. Paul Bourget et M. Léon Daudet, éblouis par la puissance précise de l’État-Major allemand, eurent leurs années de naïf antipatriotisme français : gigolettes qui se donnent presque inévitablement à la plus redoutable « terreur » ). Platon et Xénophon, mauvais disciples de Socrate et qui le faussent et l’utilisent à peu près comme M. Charles Maurras fausse et utilise Auguste Comte éprouvent des sentiments voisins de ceux d’Aristophane. Xénophon finit par combattre sa patrie dans les rangs des Lacédémoniens.
Les philosophes cyrénaïques sont antipatriotes. L’un d’eux, Théodore l’athée répète le mot de beaucoup de sages : « Le monde est ma patrie. » Il ajoute : « Se sacrifier à la Patrie, c’est renoncer à la sagesse pour sauver les fous. » En quoi il se trompe : c’est aider les fous à se perdre.
Les cyniques professent hardiment l’antipatriotisme. Antisthène se moque de ceux qui sont fiers d’être autochtones, gloire qu’ils partagent, fait-il remarquer, avec un certain nombre d’admirables limaces et de merveilleuses sauterelles. Diogène, pour railler l’activité émue des patriotes, roule son tonneau à travers une ville assiégée. Son disciple, le thébain Cratès déclare : « Je suis citoyen, non de Thèbes, mais de Diogène. »
Plutarque reproche aux épicuriens et aux stoïciens le dédaigneux antipatriotisme pratique qui les écarte de tous les emplois publics. L’épicurien n’admet que les sentiments d’élection et réserve son cœur à quelques amis qui peuvent être de n’importe quel pays. Le stoïcien étend son amour à tous les hommes. Il obéit à « la nature qui fait l’homme ami de l’homme, non par intérêt, mais de cœur. » Quatre siècles avant le christianisme, il invente la charité (voir ce mot) qui unit en une seule famille tous les participants à la raison, hommes et dieux.
Les premiers Chrétiens sont aussi antipatriotes que les stoïciens, les épicuriens et tous les autres sages. Ceux de Judée ne s’émeuvent point de la ruine de Jérusalem. Ceux de Rome prédisent obstinément la chute de Rome. Ils n’aiment que la patrie céleste et Tertullien dit encore en leur nom : « La chose qui nous est la plus étrangère, c’est la chose publique. » Ils sont fidèles à l’esprit de l’Évangile où certaine parabole du Bon Samaritain serait traduite par un Français vraiment chrétien en Parabole du Bon Prussien ; mais un Allemand évangélique en ferait la Parabole du Bon Français. Et « bon » n’aurait pas le même sens que chez Hindenburg ou chez l’académique Joffre.
Catholicité signifie Universalité. Le catholicisme est une internationale et, par conséquent, s’il est conscient et sincère, un antipatriotisme. Une internationale plus récente prétend remplacer la guerre par la révolution et les hostilités entre nations par la lute de classes ; les principes du catholicisme ne permettent de distinguer qu’entre fidèles et infidèles. Les catholiques modernes vantent leur patriotisme sans s’apercevoir que c’est nier leur catholicité. Ainsi les membres de la S. F. I. O. ou C. qui consentirent à la « défense nationale » cessèrent, sans le savoir ou le sachant, de se dire sans mensonge socialistes. Le sens catholique vit encore chez quelques hommes : chez Gustave Dupin, auteur de La Guerre Infernale ; chez Grillot de Givry, auteur de Le Christ et la Patrie ; chez le docteur Henri Mariavé, auteur du Philosophie Suprême. Aussi sont-ils en abomination à leurs prétendus frères.
La vérité antipatriotique n’a été exprimée par personne avec plus de force équilibrée et de conscience nette que par Tolstoï. Sa brochure Le Patriotisme et le Gouvernement montre combien « le patriotisme est une idée arriérée, inopportune et nuisible… Le patriotisme comme sentiment est un sentiment mauvais et nuisible ; comme doctrine est une doctrine insensée, puisqu’il est clair que, si chaque peuple et chaque État se tiennent pour le meilleur des peuples et des États, ils se trouveront tous dans une erreur grossière et nuisible. » Puis il explique comment « cette idée vieillie, quoiqu’elle soit en contradiction flagrante avec tout l’ordre de choses qui a changé sous d’autres rapports, continue à influencer les hommes et à diriger leurs actes. » Seuls, les Gouvernants, utilisant la sottise facilement hypnotisable des peuples, trouvent « avantageux d’entretenir cette idée qui n’a plus aucun sens et aucune utilité. Ils y réussissent parce qu’ils possèdent presse vendue, université servile, armée brutale, budget corrupteur, « les moyens les plus puissants pour influencer les hommes ».
Sauf quand il s’agit des revendications indigènes aux colonies, ou des sentiments séparatifs de quelques Irlandais, de quelques Bretons ou de quelques Occitans, le mot patriotisme est presque toujours aujourd’hui employé menteusement. Les sacrifices qu’on nous demande « pour la patrie », on nous les fait offrir en réalité à une autre divinité, à la Nation qui a détruit et volé notre patrie, quelle qu’elle soit. Personne n’a plus de patrie dans les grandes et hétérogènes nations modernes. Mais ces considérations seront mieux à leur place à l’article Nationalisme (voir ce mot).
L’amour du pays natal est sot, absurde, ennemi de mon progrès, s’il reste exclusif. Qu’il devienne un moyen d’intelligence et je le louerai comme celui qui se repose à l’ombre de l’arbre loue la graine. De mon amour pour la terre de mon enfance et pour le langage qui premier sourit, si j’ose dire, à nos oreilles, doit sortir l’amour pour les beautés de toute la nature et pour la musique pensive de tous les langages humains. Que la fierté de ma montagne m’apprenne à admirer les autres sommets ; que la douceur de ma rivière m’enseigne à communier au rêve de toutes les eaux ; le charme de ma forêt, que je sache le retrouver à la grâce balancée de tous les bois ; que l’amour d’une pensée connue ne me détourne jamais d’une pensée nouvelle et d’un enrichissement venu de loin. Comme l’homme dépasse la taille de l’enfant, les premières beautés rencontrées servent à comprendre, à goûter, à conquérir idéalement toutes les beautés. Quelle misère d’entendre, en ses naïfs souvenirs, une langue pauvre et émouvante qui empêche d’écouter les autres langues ! Aimons, dans nos remembrances puériles, l’alphabet qui permet de lire tous les textes offerts par les richesses successives ou simultanées de notre vie. — Han Ryner.
ANTIRELIGIEUX adj. Il ne faut pas confondre ce mot avec le mot anticlérical, car bon nombre d’anticléricaux se défendent, à juste titre, d’être antireligieux. L’antireligieux ne se contente pas de combattre la collusion néfaste du spirituel et du temporel, il ne se borne pas à manger du curé, du pasteur, du rabbin, du pope ou du marabout ; il dénonce et démontre l’influence néfaste de toutes les religions ; il établit le bilan historique de toutes les sectes religieuses ; il ne combat pas seulement les imposteurs qui se flattent de représenter Dieu sur la terre ; il combat et il nie toutes les Divinités, toutes les Providences. Il vide le ciel, il éloigne des consciences la peur idiote des châtiments posthumes et le fallacieux espoir des paradis éternels. Il délivre les esprits de l’absurdité des dogmes, des préjugés ineptes, des remords idiots, des respects ridicules. Il ne s’arrête pas à mi-chemin, comme le fait trop souvent le timide et lâche anticlérical ; il va jusqu’au bout de ses négations fondamentales. Il prolonge ses démonstrations dans le domaine social et prouve que de la mort de tous les Dieux — célestes et terrestres — sortira la vie de tous les hommes. La maxime des antireligieux sincères et complets est : « Ni Dieu, ni Maîtres ! » ( Voir Athéisme, Matérialisme, Enfer, Paradis, Providence, Religion, Dogmes, Dieu, etc…)
ANTISÉMITISME n. m. Ce terme composé de deux mots : préfixe anti, du grec anti (contre), et sémitisme (voir le mot), désigne une tendance, une idéologie, une doctrine ou un mouvement dirigés particulièrement contre l’un des peuples de la race sémitique : les Juifs.
Le fait matériel qui a permis à ces sentiments d’animosité de se manifester depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, dans presque tous les pays du monde, est fourni par le sort, unique dans l’histoire humaine, du peuple juif. Tandis que les autres peuples d’origine sémitique (les Phéniciens, les Assyriens, les Chaldéens, les Arabes, etc…), ont disparu, ou bien sont restés dans une région déterminée, ou, enfin, se sont complètement assimilés à telle ou telle nation, la destinée du peuple juif fut tout autre : malgré les malheurs, les calamités, les fléaux de toute sorte subis par lui au cours de son ancienne histoire, le peuple juif, définitivement vaincu et chassé de son pays d’origine, ne disparut pas, ni ne s’effaça devant d’autres nations. Il conserva toute sa vitalité. Il se dispersa à travers le monde, peupla différents pays, s’installa à peu près partout, mais ne s’assimila nulle part complètement : dans sa grande majorité, il garda partout ses mœurs et coutumes, ses liens de solidarité, sa religion, sa langue, les traits les plus caractéristiques de sa race.
La mentalité populaire des temps anciens où l’on regardait tout homme n’appartenant pas au même clan, à la même tribu, à la même religion, à la même communauté nationale ou civique comme un « étranger » méprisable et traitable en paria, servit de base à toute sorte de tracasseries, de restrictions et de persécutions déclenchées contre les Juifs.
La mentalité surannée, — malsaine, perverse, stupide, mais répandue encore de nos jours sous forme de nationalisme et de chauvinisme (voir ces mots), d’une part, héritée des temps anciens, d’autre part soutenue à dessein par les classes possédantes et dirigeantes, pousse, aujourd’hui encore, à des actes d’hostilité envers les Juifs dans tel ou tel pays « civilisé ».
« Le fait d’être séparés par des signes distinctifs des autres citoyens ou sujets d’un pays signale les Israélites aux haines de la foule. En effet, quoique ne possédant point de territoire en commun et ne parlant point le même langage, les Juifs constituent, à certains égards, une nation, puisqu’ils ont conscience d’un passé collectif de joies et de souffrances, le dépôt de traditions identiques ainsi que la croyance plus ou moins illusoire à une même parenté. Unis par le nom, ils se reconnaissent comme formant un seul corps, sinon national du moins religieux, au milieu des autres hommes ». (Elisée Reclus, L’Homme et la Terre, t. VI, p. 373).
C’est avec un certain sentiment de fierté, de supériorité même, — sentiment parfois trop souligné — que, généralement, les Juifs gardent et portent, à travers le temps et l’espace, leurs qualités… et leurs défauts (car toutes les nations en possèdent les unes comme les autres). Et c’est ce qui fait augmenter les colères et les haines des gens qui n’admettent que pour eux le droit d’être fiers ou qui se croient dépourvus de défauts et bourrés de qualités.
L’animosité et les actes d’hostilité envers les Juifs prirent, cependant, un caractère et un aspect assez variés à travers les siècles et les pays divers.
Soumise, depuis assez longtemps déjà, à l’autorité de l’Empire Romain, la Judée fut définitivement vaincue et dévastée par les empereurs Vespasien et Titus (Ier siècle après J.-C.). Le sort des Juifs fut épouvantable. Voici dans quels termes il est peint par Elisée Reclus (œuvre citée, t. II, p. 515) : « Les Juifs, qui, mille ans auparavant, déifiaient les forces de la nature, comme tous les peuples des alentours, et, comme eux aussi, adoraient spécialement une divinité nationale, personnification de leur race, avaient fini par donner à leur religion un caractère absolument exclusif : les malheurs successifs dont ils furent frappés : défaites, bannissements en masse, exodes et oppressions, les avaient, pour ainsi dire, déracinés du sol ; ils s’étaient désintéressés des choses de la terre qui leur échappaient et, groupés autour de leurs prêtres, ils s’exaltaient de plus en plus dans leurs espérances de l’au delà, dans leur confiance aux promesses de Yahveh, le seul Dieu, le Vivant qui tient en sa main droite les choses éternelles. Comme d’autres, ils eussent pu s’accommoder de l’immense paix romaine et cheminer de leur mieux sur le pénible sentier de la vie ; mais, élevés par la foi au-dessus de l’existence banale, extasiés dans leur idée fixe, ils croyaient plus au miracle qu’à la réalité. Plutôt mourir que de partager leur adoration entre le vrai dieu et les aigles romaines, que de dresser à côté de l’autel des statues à Rome et à César. L’histoire de leur résistance suprême les montre vraiment incomparables dans l’énergie de la résistance, tant la folie collective les arrachait aux conditions ordinaires de la vie. Le drame final fut horrible. Les rangées de crucifiés que les assiégeants dressaient au-devant des remparts, les poussées de faméliques, ivres de chants et de prières, se ruant contre les glaives des Romains, le temple qui déborde de sang, tels sont les tableaux que nous représentent les annales de la guerre. Puis, on nous montre les milliers d’êtres lamentables qui se traînent sur les routes poudreuses et que Titus, les « Délices du Genre humain », fait égorger, aux applaudissments de la foule, dans le vaste amphithéâtre du Colisée, construit par son père. Le siège de Jérusalem aurait coûté la vie, disent les historiens, à onze cent mille êtres humains, et le nombre des prisonniers juifs, hommes valides dont on pouvait faire des esclaves ou des gladiateurs, atteignit neuf cent mille hommes. Titus les avait distribués dans toutes les parties de l’Empire, partout où l’on avait besoin de victimes pour les fêtes, de bras pour les travaux publics. Une véritable chasse aux Juifs s’organisa, non seulement dans la Palestine, mais encore en Syrie, dans l’Asie Mineure, en Égypte, à Cyrène, jusqu’en Lybie. Il n’en restait plus un seul dans la Judée : c’est loin de la patrie que se trouvaient désormais leurs principales communautés. Ce qui restait de la nation eût été bien près de la mort, si des colonies n’avaient existé dans toutes les grandes villes riveraines de la Méditerranée orientale, ainsi qu’à Rome même et en d’autres cités de l’Occident ».
Tel fut le premier acte de la grande tragédie du peuple juif, tragédie qui se déroule, depuis lors, à travers toute l’histoire de l’humanité, jusqu’à nos jours. Reclus avait bien raison de dire que l’écrasement définitif des Juifs comme ensemble politique et l’expatriation complète de la nation furent l’un des faits les plus tragiques dans l’histoire des grands drames de l’humanité. C’est là que prend naissance l’image connue du « Juif errant », fuyant éternellement à travers le monde, persécuté partout, frappé de malheurs, haï, ne pouvant trouver nulle part ni paix, ni repos physique ou moral. Car, le drame s’éternisa. Le drame continue toujours à la honte de l’humanité moderne…
Mais, revenons à ses phases consécutives.
Après une accalmie relative, durant laquelle les Juifs, tout en jouissant officiellement des mêmes droits civiques que tous les autres citoyens de l’Empire, avaient une situation sociale extrêmement pénible, attachés aux travaux les plus lourds et subissant des privations et des humiliations de toute sorte, — après cette accalmie momentanée, les répressions aiguës contre les Juifs recommencèrent, dans les différentes parties de l’Empire romain, avec l’établissement du christianisme comme religion officielle, sous le règne de Constantin Ier, dit le Grand (commencement du ive siècle de notre ère). Cette fois, les persécutions prirent un caractère nettement religieux, doublé de mesures d’ordre politique. D’une part, la foule se ruait contre les Juifs comme anti-chrétiens, ennemis du Christ, « impurs », etc…, en les calomniant, en les accusant de toute sorte de monstruosités, meurtres rituels et ainsi de suite. C’est à cette époque que surgit la fameuse légende sur l’emploi par les Juifs du sang d’enfants chrétiens à la préparation du pain de la Pâque. « Il est curieux, — dit Reclus — que cette accusation soit précisément une vieille arme employée jadis par les païens contre les chrétiens eux-mêmes. Les calomnies féroces sont de tous les temps et servent à tous les partis. Qu’il y ait eu, de part et d’autre, des scélératesses commises, infanticides et autres, on ne saurait en douter ; mais il est non moins certain qu’elles furent surtout le fait des Chrétiens, puisque ceux-ci ont presque toujours disposé de la force et furent les persécuteurs » (Œuvre citée, t. III, p. 265). Il est curieux aussi qu’à cette époque les Juifs devenus Chrétiens se soient nettement séparés des Juifs restés fidèles à la religion de leurs ancêtres : désormais « la haine la plus sombre s’est allumée entre la mère et la fille », (Ernest Renan, Les Évangiles et la seconde génération chrétienne, p. 111). Les Juifs-chrétiens se rangèrent du côté des persécuteurs des Juifs. D’autre part, les empereurs chrétiens, cédant à l’opinion publique, créèrent pour les Juifs une législation restrictive exceptionnelle, donnant ainsi à l’oppression des Juifs, pour la première fois dans l’histoire, un aspect nettement politique et social. Le motif religieux continuait, certes, de jouer son rôle dans les persécutions. Il le jouera même, en certains pays, presque jusqu’à nos jours (Russie). Mais ce seront, désormais, les raisons d’ordre politique, économique et social qui prévaudront de plus en plus.
Dans les royaumes barbares qui s’étaient formés sur les ruines de l’Empire Romain, les Juifs n’étaient pas trop inquiétés. Toutefois, leur situation générale restait celle de serfs et de parias de la société. En outre, les périodes des persécutions aiguës se renouvelaient sporadiquement, surtout à l’approche du moyen âge, avec l’Inquisition et l’intolérance religieuse qui caractérisent cette époque. Ainsi, en France, des expulsions de Juifs en masses, des confiscations de leurs biens-fonds, ainsi que des mouvements divers de la foule contre les Juifs ont eu lieu au cours du ixe et du xe siècles. (Exemples : l’expulsion des Juifs de Sens, en 883 ; confiscation de leurs biens à Narbonne, en 899 ; quelques lapidations aux dimanches de Rameaux ou de Pâques, etc…). Mêmes faits se produisaient de temps à autre en Italie, en Espagne et ailleurs. Les motifs fondamentaux de ces persécutions étaient toujours d’ordre religieux et, en partie, social. Mais, souvent, une explosion plus ou moins accidentelle des colères aveugles d’une foule hostile, gonflées par une sorte de psychose collective, suffisait pour amener les masses à de pires excès. Cet élément de psychose, contagion collective, peu étudié encore par la science sociologique, joue dans les actes de fureur publique contre les Juifs, comme du reste dans toutes les actions des masses, un rôle considérable.
Au moyen âge (jusqu’au xvie siècle environ), les persécutions religieuses et les mesures politiques contre les « impurs » continuèrent de plus belle. C’est à cette époque, notamment, que les persécutions prirent peu à peu, dans les pays occidentaux (France, Italie, Espagne), un caractère mélangé, plus compliqué. Les motifs sociaux commencèrent à y jouer un grand rôle. Et puis, le sentiment national, une récidive aiguë de la haine de race, s’y mêla. — Le mode d’existence des Juifs, les lois restrictives, les besoins de la vie, les obligeaient à s’occuper surtout des affaires d’ordre strictement privé, personnel : du commerce, des finances. À part, bien entendu, tous ceux d’entr’eux — et ils étaient nombreux — qui exerçaient des petits métiers peu rémunérateurs ou devenaient les travailleurs les plus pauvres, les plus exploités et les plus malheureux de l’époque, ils formaient une couche, assez nombreuse aussi, d’intermédiaires d’affaires, de créanciers, de banquiers, de commerçants, de financiers, d’usuriers. Certains d’entre eux accumulèrent déjà des richesses considérables, ce qui les signala à l’attention spéciale et intéressée des gouvernants et de l’Eglise. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que l’Église et les grands États naissants, assoiffés d’argent, ayant grand besoin des Juifs et de leurs capitaux, « pompant » leurs richesses tant qu’ils le pouvaient, apprenaient déjà, en même temps, à faire canaliser contre les mêmes Juifs « voleurs » et « accapareurs » le mécontentement social, les colères des masses se produisant par-ci par-là. « Quand l’Église n’empruntait pas, — dit Reclus — elle faisait emprunter par le Juif ; elle en était quitte pour le maudire et le dépouiller comme voleur et comme impie après l’avoir utilisé comme prêteur d’argent. — À cette époque de transition, alors que la richesse se mobilisait rapidement par la monnaie, par le crédit et par la banque, les Juifs furent de précieux auxiliaires pour les gouvernements. De tout temps, les pouvoirs royaux, que leur politique, même inconsciente, porte à diviser pour régner, eurent intérêt à disposer d’une classe de sujets sur lesquels ils puissent, dans les circonstances difficiles, détourner la colère et les violences du peuple. C’est ainsi que les Juifs furent pour les États de la chrétienté médiévale les « précieux déicides » qu’il était légitime de frapper quand d’autres étaient coupables : ils n’eussent pas existé que l’Église les aurait fait naître sous le nom d’hérésiarques ou de schismatiques. Pendant les grandes expéditions des Croisades, dans les villes conquises, les chefs donnaient aux bandes armées des Juifs à massacrer ; lorsque les guerres civiles étaient à craindre, on avait soin, comme de nos jours en Russie — ce fut écrit avant la Révolution de 1917 — de guider, de canaliser la fureur populaire en poussant les faméliques loin des riches abbayes et des somptueux châteaux vers les comptoirs des Juifs maudits ; mais à moins qu’on eût des vengeances personnelles à exercer, on se gardait bien de désigner à la foule les riches usuriers ou collecteurs de taxes, qui plaçaient à gros deniers l’argent des nobles et des prêtres. Comme étranger de race et de religion, le Juif était haï, mais comme agent d’affaires il était indispensable : telle fut l’origine de la théorie juridique d’après laquelle le Juif fut considéré comme « serf » du roi et des seigneurs. Sur une grande étendue du monde féodal, chaque seigneur avait son Juif, comme il avait son tisserand, son forgeron. Le Juif était une véritable propriété qui s’inféodait, que l’on vendait, et qui lui-même ne pouvait avoir aucun bien en propre, son maître disposant de tout ce qui lui appartenait. Telle était la doctrine que professait l’illustre Thomas d’Aquin et que la plupart des puissants d’Europe mettaient en pratique. Les souverains anglais surtout procédèrent avec méthode, organisant, systématisant l’usure au moyen de leurs instruments, de leurs « meubles », les Juifs, que William de Newbury appelle les « usuriers royaux ». Toutefois, ces agents spéciaux du roi, très méthodiques dans leurs procédés, réussissaient à garder pour eux une forte part des richesses qu’ils étaient chargés d’extraire de la nation. En 1187, déjà, on évaluait approximativement leur fortune mobilière en pays anglais à 240.000 livres sterling, tandis que tous les autres habitants du royaume, incomparablement plus nombreux, n’avaient ensemble que 700.000 livres. — Naturellement, les Juifs durent porter la peine de leur fortune, et que de fois le peuple s’ameuta contre eux ; que de fois les souverains, se retournant contre leurs usuriers, qui s’enrichissaient en proportion même de l’appauvrissement du royaume, leur firent rendre l’or dont ils s’étaient gorgés ; enfin, que de fois aussi, les foules fanatisées et les prêtres, prirent-ils prétexte de l’usure exercée par les Juifs pour satisfaire leur haine religieuse en torturant, en brûlant les Juifs à petit feu !
La folie s’en mêlait parfois. C’est ainsi qu’en 1321, une rumeur insensée parcourut la France, incitant le peuple aux plus cruelles abominations. Le bruit s’était répandu que les Juifs avaient imaginé un poison assez virulent pour détruire toute la chrétienté, à condition qu’il fût administré par les « mésiaulx » ou lépreux. L’horrible histoire ne trouva pas d’incrédules et de toutes parts on se précipita sur les maladreries pour y « bouter le feu » : en Aquitaine et en une grande partie de la Franche-Comté « tout le mésiel furent ars ». La peur instinctive de la contagion contribuait sans doute à jeter le peuple dans cette atroce frénésie, mais le roi lui-même, qui eut « si grant volonté de tenir ses sujets en bone paiz et en bone amour », lança trois ordonnances successives pour livrer les « lépreux fétides », hommes, femmes et enfants au-dessus de quatorze ans, aux rigueurs de la « justice », de la torture et du bûcher : à Chinon, 160 lépreux et lépreuses furent brûlés le même jour.
À un point de vue tout à fait général, on peut dire que les Israélites auraient certainement fini par s’accommoder graduellement au milieu chrétien, parmi les nations de l’Europe au Moyen-Âge, s’ils avaient continué à être indispensables et si l’âpre concurrence des banques chrétiennes ne les avait écartés. Les grandes persécutions se produisent à l’époque où l’on commence à n’avoir plus besoin d’eux. Les moines Templiers, les « Lombards », les changeurs florentins, ayant appris à manier l’or, l’argent et les pierres précieuses avec autant d’habileté que les Juifs, découvrirent également tous les secrets du crédit et, par leurs agents et correspondants, établis dans toutes les villes de l’Orient, sur la route des Indes et de la Chine, ils s’enhardirent bientôt à soutenir la lutte contre les Juifs. Ceux-ci, devenus inutiles, furent fatalement écartés ; ils succombèrent, et leurs rivaux triomphants purent se laver les mains des supplices en les attribuant à l’exaspération populaire. Il en fut de même quand on fit rendre le sang dont s’étaient gorgées d’autres sangsues : « pour remplacer les Templiers brûlés, il ne manqua pas de Lombards ni de Flamands ! » (Œuvre citée, t. IV, p. 117-120).
C’est à cette époque précisément (xvie siècle), que les fameux ghettos — quartiers où les Juifs d’une ville étaient tenus à résider — furent établis en Italie, dans le but de séparer la population juive totalement des autres habitants, de l’isoler, de pouvoir mieux la soumettre ainsi aux lois restrictives et spéciales. — En Espagne, cent soixante mille Juifs furent tout simplement expulsés vers la fin du xve siècle. D’autres milliers fuirent devant la menace des persécutions atroces et la ruine absolue. Quatre-vingt mille Juifs cherchent un passage vers la mer, à travers le Portugal, et le roi Joâo leur vend le transit au prix de huit écus d’or par tête. Deux à trois cent mille proscrits se dispersent en Afrique et en Orient. — En Allemagne, les conditions civiles et sociales de la population juive étaient aussi lamentables.
L’époque de la Réforme et de la Renaissance (xve et xvie siècles) ne changea en rien le terrible sort des Juifs. Vexations et tortures de toutes sortes, légales ou arbitraires, continuaient de s’exercer contre eux, avec quelques intermittences, dans presque tous les pays d’Europe. Non seulement en Espagne, mais aussi en Portugal et en Angleterre, on procédait à leur expulsion totale.
Ce ne fut qu’au cours du xviiie siècle, (en Angleterre un peu plus tôt, à l’époque de la révolution et de Cromwell, fin du xviie siècle), qu’un mouvement de réforme contre la situation abominable des Juifs se fit jour en Europe et aboutit à l’abolition, à peu près partout, des lois restrictives, du moins les plus horribles. — En France, ce fut par la loi du 27 septembre 1791, que la Constituante déclara abolies toutes les lois d’exception concernant les Juifs. L’égalité civile des Juifs fut ainsi établie et confirmée par les gouvernements postérieurs. — En Allemagne, le mouvement se dessina également vers la fin du xviiie siècle et aboutit aux mêmes résultats. — De même en Italie et ailleurs.
On peut dire qu’au seuil du xxe siècle, les Juifs jouissaient, dans tous les grands États d’Europe, à l’exception de la Russie (dont nous parlerons plus bas), des mêmes droits civiques, politiques et économiques que tous les autres citoyens. (Toutefois, en Roumanie, en Turquie, au Maroc, en Algérie, leur capacité civique restait restreinte).
Notons que dans quelques grands pays du monde, l’antisémitisme n’a jamais existé d’une façon tant soit peu prononcée. Telle, par exemple, la Chine où la grande majorité des Juifs (immigrés très vraisemblablement après la prise de Jérusalem et la perte définitive de leur indépendance), vu le manque de relations avec les coreligionnaires du monde occidental et l’ignorance grandissante du passé religieux et historique, finirent, après avoir maintenu leurs communautés isolées pendant le Moyen-Âge, par s’accommoder complètement à l’ambiance du monde chinois. Tel le Japon où l’on gardait toujours une tolérance envers les Juifs, peu nombreux du reste. Tels aussi les États-Unis d’Amérique, pays jeune, qui s’était formé et développé après et en dehors des haines et des luttes religieuses de l’Europe.
Mais, hélas, malgré l’amélioration considérable survenue dans la situation misérable des Juifs avec l’abolition des lois d’exception, l’antisémitisme ne mourut nullement dans les pays d’Europe. Au contraire, une nouvelle vague d’hostilité contre les Juifs monte en plein xixe siècle et se maintient, s’accroît même, jusqu’à nos jours. Ce terme lui-même — antisémitisme — surgit à cette époque précisément. Cependant, le mouvement porte aujourd’hui un tout autre caractère. Il a changé d’aspect. Le sentiment religieux n’y joue plus qu’un rôle secondaire et auxiliaire, ou même ne joue plus aucun rôle du tout. Les véritables ressorts du mouvement antisémite moderne gisent dans un tout autre domaine.
L’antisémitisme de nos jours a deux bases. D’une part, il est l’expression d’une nouvelle vague de nationalisme, du chauvinisme le plus écœurant, dont la poussée fut favorisée par les événements de la fin du siècle passé (guerre franco-allemande), ceux du commencement du xxe siècle (guerre russo-japonaise, rivalités et luttes coloniales et économiques entre plusieurs grands pays capitalistes, nouvel élan du mouvement internationaliste et révolutionnaire stimulant les tendances opposées) et, surtout, par la guerre et les mouvements divers de 1914-1918. D’autre part, il est le résultat d’un calcul et d’une action politiques de certains gouvernements qui cherchent ainsi, comme ce fut déjà le cas aux temps lointains, à faire dévier le mécontentement, les colères populaires. La situation se complique de l’aggravation de toutes sortes de maux et de malheurs sociaux et économiques, poussant, d’un côté, à une croissance des tendances révolutionnaires, de l’autre, à la réaction et la contre-révolution nationaliste et fasciste. Les masses populaires elles-mêmes ne sont pas si chauvines et antisémites que ça. Mais les gouvernants, l’Église, l’école et la presse bourgeoise savent bien profiter des maux actuels pour exciter, pour réchauffer ces sentiments et obtenir ainsi le résultat recherché : transformation de la haine juste et saine contre les bases mêmes de la société actuelle en une haine stupide de race.
Ce fut, d’abord et surtout, la Russie tzariste qui, dans la seconde moitié du xixe siècle, reprit la vieille recette et s’engagea dans la voie de l’action antisémite, aussitôt que le trône des tzars commença à chanceler. Vers la fin du siècle, la Russie devint le pays classique de l’antisémitisme. Par ses agents et avec tous les moyens à sa disposition, le gouvernement du tsar inspirait, organisait, commandait, dirigeait les massacres des Juifs — les « pogromes » — dont les plus terribles sont connus à travers le monde (celui de Biélostok, en 1905, ceux — plusieurs — de Kichinev, et autres). En outre, toute une législation restrictive fut créée contre les Juifs. Vexations, humiliations, tracasseries de toute sorte formaient leur vie normale de tous les jours. Une zone spéciale — genre de « ghetto » italien médiéval — fut établie dans le sud-ouest du pays et assignée à la résidence des Juifs, avec mise à l’index du reste du territoire. La presse réactionnaire déchaînée, la propagande des prêtres, l’enseignement dans les écoles — tout cela servait à exciter les esprits contre « le sale youpin ». Toutes les souffrances sociales de la population travailleuse et pauvre étaient expliquées par l’action juive et, chaque fois que l’occasion se présentait, la fureur populaire était invariablement lancée contre les quartiers israélites où le sang coulait alors à flots. La méthode était enracinée à un tel point que l’un des premiers actes des généraux réactionnaires qui s’emparaient de telle ou telle autre ville durant la guerre civile de 1918-1920 était, presque toujours, l’ordre d’un massacre des Juifs en règle. C’est ainsi que le commandant réactionnaire, Grigorieff (exécuté plus tard par l’État-Major de l’armée révolutionnaire insurrectionnelle makhnoviste), s’étant emparé de la ville d’Ielisabethgrad, y ordonna un « pogrome » de trois jours dont l’auteur de ces lignes fut témoin, et où trouvèrent la mort plus de 2.500 êtres humains parce que Juifs (juillet 1919). La route de l’armée « victorieuse » du général Dénikine (1919) était toute semée de massacres juifs effroyables, comme celui de Kiev, qui dura trois jours, ou celui, encore plus terrible, de Fastov, ville du Gouvernement de Kiev, où le « pogrome » dura huit jours et coûta la vie à 3.000 Juifs, sans parler de ceux qui, frappés ou blessés, eurent toutefois la vie sauve, et dont le chiffre total atteignit 10.000 hommes et femmes. En outre, presque toutes les femmes et jeunes filles juives au-dessus de 10 ans y furent violées.
Ce n’est qu’après la victoire de la révolution de 1917 que changea la situation des Juifs en Russie. Actuellement, toutes les lois restrictives y sont abolies, le « ghetto » n’existe plus, les massacres ou toute autre action antisémite sont impossibles. Mais, malheureusement, une réserve sérieuse doit être faite. La révolution n’ayant pas réussi dans le sens voulu par les classes travailleuses, les conditions générales de la vie étant restés extrêmement pénibles pour les vastes masses populaires, une nouvelle couche de privilégiés, de bureaucrates, d’exploiteurs, de nouveaux riches s’étant formée, et un grand nombre de Juifs appartenant justement à cette couche ainsi qu’au parti gouvernant, y compris plusieurs chefs suprêmes (Zinoviev, Trotzki et autres), — le mécontentement des masses, leur haine contre les nouveaux maîtres, leur humeur générale sont orientés, en partie, contre les Juifs. La tendance antisémite sommeille et se répand sourdement, clandestinement. C’est un fait incontestable que « les Juifs » sont haïs en Russie, par les masses ignorantes qui ne savent pas mieux et, peut-être, plus mal encore, distinguer les choses qu’avant la révolution. La chute du gouvernement bolcheviste (événement fort possible) et même le premier mouvement sérieux contre l’état actuel des choses, pourraient faire revivre les horreurs des temps passés et amener des massacres en masse des Juifs. Ce sont les bolcheviks eux-mêmes, ces faussaires de la véritable révolution sociale, qui en seraient les premiers responsables. Car, ce sont les conséquences désastreuses d’une révolution faussée, qui y amèneraient. En tout cas, on ne peut pas encore affirmer que l’antisémitisme soit définitivement mort en Russie.
Ce ne fut pas, cependant, la Russie toute seule qui retourna à la pratique antisémite au cours du xxe siècle. L’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, les Pays Balkaniques, la France virent renaître les mêmes tendances, les mêmes haines, quoique, bien entendu, dans des formes plus douces, plus « civilisées ». Le cri : « À bas les Juifs ! » retentit de nouveau, tous les jours davantage, d’un bout du monde à l’autre. La propagande antijuive, la littérature antisémite prennent des forces à vue d’œil. Cette fois, il ne s’agit pas d’égarements, de fanatisme quelconque, d’instincts religieux ou autres. Il ne s’agit que d’un calcul froid et conscient, d’une propagande au service de la réaction politique et sociale. Il faut trouver, devant les masses malheureuses et mécontentes, le bouc émissaire responsable de leurs malheurs. Il faut détourner leur attention des vrais coupables. Il faut chercher à égarer la conscience qui s’éveille. « C’est la puissance juive qui est la cause de tous les maux. Il faut l’abattre, et ce ne sont que les véritables nationalistes qui sont capables de le faire. Alors, tout ira pour le mieux. Rangez-vous donc autour du nationalisme intégral, contre le radicalisme et la révolution qui se sont vendus aux Juifs ! » Tel est l’appel du jour dans plus d’un pays du xxe siècle. La Pologne, à peine renée, se distingua déjà récemment, par des répressions contre les Juifs.
Il est curieux que même les pays qui, auparavant, n’avaient jamais péché par la tare de l’antisémitisme, y prennent goût aujourd’hui. Aux États-Unis, par exemple, certains cercles bourgeois, ayant constaté pendant la guerre qu’un nombre considérable d’antimilitaristes et de révolutionnaires se recrutaient parmi les Juifs, mettent en branle la propagande antisémite, et le fameux Ford devient le père spirituel de la campagne antijuive entamée en Amérique aujourd’hui.
Dans certains pays, des « théoriciens » et des « savants » surgissent qui font de l’ « antisémitisme scientifique » (biologique et sociologique). Ils s’apprêtent à prouver, à ce qu’il paraît, que la race juive est, non seulement une race inférieure, mais qu’elle peut à peine compter comme race humaine, se trouvant plus près des intermédiaires entre le singe et l’homme que de l’homme, proprement dit ! L’antisémitisme trouve ainsi sa justification historique, scientifique et sociale !… Il devient une doctrine.
Bien entendu, l’Église détient une place honorable parmi les propagandistes de la haine du Juif. « Quelques théologiens orthodoxes, — raconte Reclus — se dressant en pleine société moderne comme les « témoins » laissés par les terrassiers dans une plaine nivelée, maintiennent pourtant avec férocité la doctrine constante de l’Église, relativement à la punition des hérétiques : c’est ainsi que l’Histoire contemporaine peut établir de très utiles comparaisons entre le présent et le passé. Le jésuite de Luca, professeur à l’Université vaticane de Rome, dans son livre de jurisprudence ecclésiastique, publié en 1901, s’exprime dans les termes suivants : « L’autorité civile doit appliquer à l’hérétique la peine de mort, sur l’ordre et pour le compte de l’Église ; dès que l’Église le lui a livré, l’hérétique ne peut plus être délivré de cette peine. En sont passibles non seulement ceux qui ont renié leur foi, mais aussi ceux qui ont sucé l’hérésie avec le lait maternel et y persistent avec opiniâtreté, ainsi que les récidivistes, même s’ils veulent de nouveau se convertir ». Et n’a-t-on pas vu, encore, en 1898, le 17 juillet, le catholicisme officiel représenté par les plus hauts dignitaires de l’Église, célébrer en pompe solenelle, les souvenirs d’un autodafé de cinq Juifs, brûlés après tortures, sur une des places de Bruxelles ? Sous prétexte de congrès eucharistique et d’une fête architecturale, l’Église, après un laps de cinq siècles, s’est déclarée solidaire d’un abominable crime, produit de la plus ridicule ignorance, car ces Juifs étaient accusés d’avoir poignardé des hosties desquelles ruissela le sang de l’Homme-Dieu. En nos siècles de lumière, malgré la prétendue séparation des pouvoirs, les tribunaux et les administrateurs se mettent encore très volontiers au service de l’Église pour condamner ses ennemis. » (Œuvre citée, t. VI, p. 412).
Comme aux temps anciens, l’ignorance et l’illogisme enfantin de millions de gens, ou bien une hypocrisie presque inconsciente, fournissent aujourd’hui encore, un terrain excellent à la propagande antisémite. « Le Juif est aussi un de ces étrangers que l’on hait, non point à cause de ses défauts, dont le prétendu Aryen d’Europe ou d’Amérique serait indemne, mais précisément en vertu du vice que l’on partage avec lui. Ou l’accuse d’aimer trop l’argent et de se le procurer bassement. Or, n’est-ce pas là ce qu’on pourrait reprocher aussi à tous ceux, de quelque race ou quelque religion qu’ils soient, qui vendent à faux poids des marchandises avariées, à tous ceux qui acceptent de celui qui les salarie des outrages ou du moins des paroles, des gestes de mépris, à tous ceux qui ramassent l’argent dans le sang et dans la boue ? Ils sont légion. Même l’éducation que l’on donne presque universellement à la jeunesse consiste à lui enseigner de réussir quand même. Et si, dans la concurrence, le Juif est plus heureux que le soi-disant chrétien, celui-ci ne déteste-t-il pas son rival parce qu’il obéit à une jalousie d’esclave ? On lui en veut à la fois de ses vilenies personnelles et de celles que l’on commet en essayant de le distancer dans la course vers la fortune » (Œuvre citée, t. VI, p. 372).
En effet, la chose est simple et claire. Mais combien ne la saisissent pas !… « Le petit nombre de métiers et de professions exercés par les Juifs, et surtout l’importance majeure donnée dans leur existence au commerce de l’argent, a certainement contribué pour une très forte part à leur créer un type particulier qui permet souvent de les distinguer parmi les autres éléments ethniques et sociaux. La morale professionnelle, qui se maintient durant un grand nombre de générations et qui se fortifie du père au fils et de l’aïeul au petit-fils sans être neutralisée ou combattue par une autre morale professionnelle, finit par acquérir une puissance irrépressible ; l’amour du gain sans scrupules finit par se lire dans chaque regard, dans chaque geste, dans chaque expression des traits et mouvements du corps. Des millions de caricatures représentent le Juif aux mains crochues, à l’échine souple, au sourire captieux, au nez d’oiseau de proie ; mais ce n’est point là un type de race : il faut y voir une déformation temporaire, destinée à disparaître avec les causes qui l’ont fait naître, c’est-à-dire avec les conditions de la propriété et la concurrence commerciale. « C’est le ghetto, a-t-on souvent répété, c’est le ghetto qui a fait le Juif ! » En ouvrant les grilles du lieu maudit, on l’a plus qu’à demi déjudaïsé ». (Œuvre citée, t. VI, p. 378). En effet, le même Juif, ne fut-il pas, au temps anciens, le type incarné d’un fanatique, d’un philosophe, d’un enthousiaste, d’un rêveur, désintéressé de toutes les choses de la terre ? Le type humain en général, ne dépend-il pas de l’ambiance ? Combien encore ne le comprennent pas !… Même tous ceux qui veulent « combattre le judaïsme », auraient dû comprendre que le meilleur moyen pour cela serait justement une parfaite tolérance. Et puis, combien de gens ne pensent même pas à des millions de travailleurs juifs qui conservent jusqu’à nos jours les meilleures qualités de la race ! On pourrait à peine trouver dans un autre milieu les mêmes traits de dévouement, de solidarité, de fraternité, de l’idéalisme plus pur que l’on constate parmi les exploités de la population juive. Il est évident que, — comme du reste dans toutes les nations et chez tous les peuples, — il y a aussi dans le peuple juif des bourgeois, des accapareurs, des malhonnêtes, des exploiteurs criminels, et, en même temps, des millions de travailleurs honnêtes, de gens excellents, de braves… Combien, pourtant, ne le voient pas et considèrent « le Juif » comme l’incarnation de tous les vices et défauts de l’humanité !… « Le feu, excellent moyen de désinfection, était employé, non à détruire les cadavres et les objets contaminés de toute espèce, mais à brûler les malheureux, surtout les Juifs, que l’on accusait de répandre les maladies infectieuses : ainsi, pendant la grande épidémie du xive siècle, on brûla deux mille Israélites à Hambourg et douze cents à Mayence. Et jusqu’en ces derniers temps, l’ignorance populaire a toujours cherché à se venger sur l’ennemi du mal qui lui venait de sa propre incurie » (Œuvre citée, t. VI, p. 470).
Une question surgit : l’antisémitisme, disparaîtra-t-il un jour, et de quelle façon ? Comment faut-il lutter contre cette honte de l’humanité contemporaine ?
Hélas, cette « honte » est loin d’être l’unique ou la principale. Elle tient à tout un système général, à toute une organisation sociale dont elle n’est qu’un des rouages naturels. Elle ne pourra donc disparaître qu’avec ce système, avec cette organisation : avec toute la société moderne.
Il y a, aujourd’hui, pas mal de gens qui auraient rougi à la seule pensée de pouvoir avoir quelque chose de commun avec une telle barbarie, une telle stupidité que l’antisémitisme, des gens qui le combattent, qui s’indignent de ses succès, mais qui, en même temps, sont tout à fait d’accord, comme sur une chose absolument normale, sur les massacres des Marocains, des Géorgiens, des Indous, des Nègres ou, tout simplement, des ouvriers de leur propre pays ; des gens qui, n’étant — pour rien au monde ! — des antisémites, sont pourtant, le plus naturellement et le plus illogiquement du monde, des « antiboches » ou des « antifrançais » ou des « antianglais », etc… C’est de l’inconscience inconcevable ou de l’hypocrisie la plus exécrable. En tout cas, c’est de l’illogisme criant.
L’antisémitisme n’est aujourd’hui, qu’une des faces les plus hideuses du nationalisme le plus bas ; une des manœuvres, un des instruments de la réaction la plus farouche. Il est une des plaies saignantes de notre société en pleine putréfaction. Il est une des manifestations de la contre-révolution en marche qui, profitant de l’ignorance, de l’inconscience des uns, de l’impuissance momentanée des autres, joue sur les plus mauvais instincts pour arriver à ses buts.
La plus grande « honte » de l’humanité contemporaine est toute cette société abominable, en son entier : société où les guerres, les haines nationales, la comédie politique, la tromperie systématique, l’exploitation effroyable, les massacres de toute espèce sont de règle, sont des faits-divers de tous les jours, constituent l’essence même de l’existence.
L’antisémitisme est un élément inhérent à cette société ; il n’est donc ni plus ni moins honteux qu’elle-même. Il en est inséparable ; il ne pourra donc disparaître qu’avec elle.
Lutter contre l’antisémitisme, c’est lutter contre toute cette société affreuse, en son ensemble.
C’est la destruction complète de la société actuelle et sa réorganisation sur de tout autres bases sociales qui amèneront à la disparition définitive de la peste nationaliste et, avec elle, de l’antisémitisme. Il disparaîtra quand les vastes masses humaines, à bout de leurs souffrances et malheurs et au prix des expériences atroces, comprendront, enfin, que l’humanité devra sous peine de mort, organiser sa vie sur les bases naturelles et saines d’une coopération matérielle et morale fraternelle et juste, c’est-à-dire véritablement humaine.
Alors, viendra le jour où les hommes, vivant dans cette société nouvelle, parleront de tous les beaux exploits nationalistes de notre époque, — antisémites ou autres — comme d’une des pages les plus sombres de l’histoire humaine. Ils parleront de même que nous, hommes du xxe siècle, nous parlons des exploits, pas moins beaux, des empereurs farouches des temps de la décadence de Rome. — Voline.