Encyclopédie anarchiste/Artisan - Assistance

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 144-153).


ARTISAN. n. m. (de l’italien artigiano, artisan). — L’artisanat, qui fut prospère jadis, a presque totalement disparu, étouffé par le machinisme moderne. L’artisanat était la méthode de l’artisan laborieux, ouvrier probe et adroit, qui travaillait son œuvre avec amour. L’artisan travaillait lentement peut-être mais son ouvrage était solide et fin et achevé. Pourrait-on en dire autant de tous les objets manufacturés dus au labeur fiévreux et précipité de l’ouvrier d’aujourd’hui ? Le machinisme de plus en plus perfectionné des usines et des ateliers est certainement une preuve de progrès, mais ce progrès est mal compris lorsqu’on se hâte de produire toujours plus vite et qu’on dédaigne les modestes initiatives du travailleur. Il faut perfectionner l’outillage, c’est entendu, mais il ne faut pas en profiter pour considérer l’ouvrier comme un outil secondaire. Il faut que tout en tenant compte du progrès on en revienne a l’esprit de l’artisanat : faire de l’ouvrier un artiste qui aime son travail et qui n’ignore rien de son métier.


ARTISANAT. — État de l’homme qui exerce un métier manuel, nous dit le dictionnaire officiel. Est-ce bien cela ? Pas précisément.

L’artisanat est plutôt la forme prise par la production à certaines époques jusqu’à l’apparition de l’industrie ou de l’exploitation d’une entreprise quelconque selon les formes modernes. Il y a des artisans depuis les temps les plus reculés. Il y en a encore dans nombre de pays et dans certaines branches de la production.

Les découvertes archéologiques faites presque chaque jour en Égypte, en Palestine, dans tous les pays de civilisation ancienne, prouvent que l’artisan a, autant dire, toujours existé.

Maintenant, on donne plus communément le nom d’artisan au producteur qui travaille seul et n’exploite par conséquent personne. C’est ce qui caractérise de nos jours l’artisanat. On peut donc trouver l’artisan dans toutes les branches de l’activité humaine : culture, industrie, art, science, littérature, etc.

Toutefois, pour serrer de plus près la réalité, il convient de ne voir réellement un artisan, dans le sens usuel et général du mot, que dans l’homme qui exerce une profession réellement industrialisée à peu près partout et qui, cependant, continue à exercer une activité qui lui permet de vivre par ses propres moyens en travaillant seul.

C’est le cas de quelques tisserands installés à la campagne qui se servent encore des vieux métiers à bras ; c’est également le cas des dentellières du Nord de la France, de la Belgique, etc., des tapissiers d’Aubusson, des horlogers du Jura Français ou Suisse, des fabricants de jouets rustiques de la Suisse, de l’Italie et de la Russie.

L’artisanat a correspondu à une période de civilisation. Il a, peu à peu, disparu. Il n’en reste que quelques vestiges qui peuvent d’ailleurs résister longtemps en raison des conditions de vie de ceux qui n’exercent l’artisanat que d’une façon saisonnière, comme dans les Alpes, par exemple, ou vivent dans les coins reculés où les moyens de locomotion modernes ne pénètrent pas encore.

On peut dire, néanmoins, que la civilisation industrielle qui se développe en ce moment condamne en fait l’artisanat.

La nécessité de produire de grosses quantités de produits, de travailler vite et en série ne permet plus à l’artisanat d’exister réellement.

Il est aujourd’hui remplacé par l’usine, le comptoir. Le métier a fait place à l’industrie, l’artisan s’est fondu dans la ruche qu’est l’usine moderne.

Il peut y avoir et il y aura toujours, sans doute, des artisans, ils ne subsisteront que pour rappeler une forme de production périmée ou qui n’a pas encore bénéficié de l’apparition des découvertes de la science et des progrès de la technique.

Il convient de faire, en ce qui concerne l’artisan, une remarque importante. Jusqu’à maintenant, on lui a systématiquement refusé l’entrée des syndicats, sous le prétexte qu’ils sont patrons. C’est là une erreur à détruire. L’artisan a sa place toute marquée au syndicat, puisqu’il n’exploite personne.

Faire entrer l’artisan au syndicat est une nécessité. Par voie d’assimilation logique, les artisans de la campagne, ceux qui cultivent eux-mêmes leur lopin de terre ont, eux aussi, leur place au syndicat. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons avoir, un jour, un syndicalisme agraire.

En effet, si l’artisan qui travaille la matière première pour la transformer en produits de toute nature est relativement peu nombreux, par contre, l’artisan de la terre existe en nombre considérable.

C’est une force avec laquelle et sur laquelle on doit compter. Ne l’éloignons pas. L’artisan est un prolétaire, accueillons-le, aidons-le à se libérer, à marcher vers le progrès. Tendons-lui une main fraternelle.

Pierre Besnard.


ARTISTE n. m. ou f. On désigne sous le nom d’artiste une personne qui cultive les beaux-arts, soit en professionnel, soit en amateur, ou qui joue sur un théâtre. L’artiste peut souvent acquérir une grande influence sur le public et sur la foule. Son rôle peut être noble et généreux, s’il défend une conception généreuse de l’art ou s’il sait faire aimer l’humanité sous une fiction artistique. L’artiste doit savoir exalter les bons sentiments de l’homme et, surtout, ne doit pas mettre son talent au service du pouvoir ni de l’argent. Hélas ! par l’effet même de la société actuelle, les vrais artistes deviennent de plus en plus rares. De nos jours, en effet, l’artiste, s’il ne veut pas mourir de faim, est obligé — peu ou prou — de prostituer son talent. Car les conditions de vie sont telles, que l’artiste se trouve en face de ce dilemme désespérant : ou bien renoncer à son art, ou bien œuvrer suivant des directives imposées, ce qui tend à renoncer à toute personnalité et à toute indépendance. Cela se comprend aisément : une classe privilégiée possède l’arme la plus redoutable de notre siècle : l’argent ; cette classe consentira bien à venir en aide aux artistes miséreux, mais à la condition que ces artistes deviennent ses instruments et qu’ils renoncent à toute velléité généreuse, à toute initiative propre. Lorsqu’un artiste se sent assez d’énergie et de ténacité pour passer outre, lorsqu’il veut faire son œuvre sans se préoccuper des menaces ou des corruptions, il est certain de se heurter ensuite à une conspiration du silence sévère : on ignorera son œuvre, ou plutôt on paraîtra l’ignorer. On conçoit dès lors qu’il y ait peu d’artistes véritables : les uns se vendent, les autres abandonnent. On peut compter ceux qui affrontent la lutte. Et les courageux qui restent ne pourront jamais donner tout ce qu’ils étaient capables de donner. Boycottés, tourmentés par le problème du pain quotidien, enchaînés par les préoccupations matérielles, ils ne peuvent consacrer à leur art ni le temps ni l’attention nécessaires. Pendant ce temps, ceux qui se sont vendus peuvent travailler en paix et servir insidieusement la cause de leurs protecteurs intéressés. Sous d’habiles fictions, ils peuvent emplir de préjugés criminels le cerveau du peuple, comme on fait avaler à un chien une appétissante boulette empoisonnée. Et tant que règnera une caste possédante la situation demeurera inchangée. Il y aura toujours des vendus tant qu’il y aura des acheteurs. Mais, en attendant que naisse un état social meilleur, il faut que le peuple sache reconnaître les artistes, qu’il sache les encourager et les soutenir… et qu’il sache démasquer les trafiquants de l’art. — Georges Vidal.


ARTISTOCRATIE (de artisto, artiste, et kratos, force, pouvoir). — Mot qu’on ne trouve dans aucun dictionnaire. Il peut sembler barbare au premier abord. Il a cependant sa raison d’être, et quiconque réfléchit tant soit peu en saisit immédiatement la signification. On comprend qu’il ne s’agit point d’aristocratie : le « t » est comme une barrière s’opposant à toutes les préoccupations des aristocraties passées, présentes et futures. On a reproché à ce vocable sa terminaison. Pourtant, le mot a-crate, qui signifie l’absence de tout pouvoir (ne pas confondre avec le vin acrate), contient la même terminaison. L’artistocratie n’est pas une « cratie » comme les autres, qui sont autant de variétés de la médiocratie ( voy. ce mot) : aristocratie, démocratie, bistrocratie, voyoucratie, ventrocratie, pédantocratie, gérontocratie, éphébocratie, emporocratie, muflocratie, etc…, etc… C’est la seule cratie supportable (sauf pour la canaille).

J’ai donné ce nom à l’an-archie envisagée au point de vue esthétique et à l’esthétique envisagée au point de vue an-archiste. J’ai essayé de fondre le point de vue an-archiste et le point de vue esthétique dans le point de vue artistocrate. On ne peut pas être an-archiste si on n’est pas artiste, pas plus qu’on ne peut être artiste si on n’est pas an-archiste. Entre l’art et l’anarchie existent des rapports étroits : l’artistocratie est le trait d’union de l’art et l’an-archie, ou mieux leur point de jonction. L’un et l’autre sont sincérité, vérité, beauté. La fusion de l’art et de l’an-archie constitue l’artistocratie ou vie vivante dans laquelle s’harmonisent le sentiment et la raison, la pensée et l’action.

Lorsque j’ai employé pour la première fois ce néologisme, dans l’Idéal humain de l’Art, Essai d’esthétique libertaire, écrit en 1896 et publié en 1906, je concevais l’anarchie comme le triomphe de l’idéal esthétique — harmonie et beauté — dans la vie individuelle et dans la vie sociale. L’artistocratie était une théorie an-archiste de l’art, expression suprême de la liberté, impliquant la révolte constante de l’artiste contre toutes les formes de laideur. L’an-archie réalisée par l’art et l’art réalisé par l’an-archie, telle était l’artistocratie. Malgré les déformations que de pseudos-artistocrates ont fait subir depuis à ce néologisme, il conserve le même sens et il a même plus de raison d’être aujourd’hui qu’il y a vingt ans.

On s’est souvent mépris sur la signification de ce mot. Les uns y voient un legs du romantisme (antithèse de l’artiste et du bourgeois), ou bien le font synonyme de gouvernement par les meilleurs, au sens où l’entendaient Platon, Renan, etc… Faguet croyait qu’il s’agissait, pour l’élite des penseurs, de diriger politiquement les masses. Or, l’artistocratie n’exerce et n’exercera jamais qu’un pouvoir spirituel, pouvoir non imposé, non légal. Elle refuse de s’incliner devant le pouvoir politique, à plus forte raison d’y participer d’une façon quelconque. Des journalistes mal informés, pressés d’écrire un article pour gagner leur cent sous, n’y ont absolument rien compris. Quelques boulevardiers ont trouvé là matière à faire de l’esprit, du mauvais esprit. Enfin, les typos ne ratent jamais, même après la correction des épreuves, d’imprimer aristocratie. On a rapproché l’artistocratie de l’aristie de Mazel et de Péladan. Plusieurs ont employé l’expression aristocratie intellectuelle, qui ne veut rien dire. Cette expression est bien moins caractéristique que le mot artistocratie, car elle laisse subsister ce terme d’aristocratie, équivoque malgré le mot qu’on y a adjoint pour signifier qu’il ne s’agit point d’une aristocratie politique. Artistocratie prend sa place pour désigner l’état d’esprit de l’homme qui vit esthétiquement, ayant fait de sa vie une œuvre d’art dans laquelle s’harmonisent le sentiment et la pensée, comme dans toute œuvre d’art proprement dite plastique ou non. La terminaison « cratie » subsiste pour affirmer qu’en face des pouvoirs inférieurs de la force et de la ruse il y a le pouvoir supérieur de l’esprit, le seul pouvoir que reconnaisse l’artistocrate. Sa conscience est son seul juge, son seul guide. Il ne reconnaît à aucune autorité le soin de se substituer à la seule autorité qu’il respecte : sa pensée. L’homme dont la pensée est libérée agit librement. Il agit esthétiquement, sa vie ayant la spontanéité et l’harmonie d’une œuvre d’art. Son existence est une création incessante, qu’il augmente et enrichit sans cesse de ses observations, de ses expériences. L’individualiste artistocrate a rompu avec les liens qui enchaînent l’homme social, dont la vie est une œuvre sans art et sans harmonie.

Il ne s’agit pas de mettre les artistes à la tête de la République, ou de n’importe quel gouvernement. Un véritable artiste ne consentira jamais à accepter le mandat de député, à voter des lois, à affermir l’autorité. « Le meilleur gouvernement qui convient à l’artiste, disait Oscar Wilde, c’est pas de gouvernement du tout ». Le seul pouvoir exercé par l’artiste est un pouvoir spirituel, qui émane de ses actes et de ses œuvres, pouvoir non imposé par la force. L’artistocrate se gouverne lui-même, avant de songer à gouverner les autres. Qui veut la liberté pour tous commence par se libérer lui-même d’abord. L’artistocratie est une technique individuelle, une discipline intérieure qui sert à l’individu à se protéger contre les passions grégaires et substitue, au gouvernement par les autres, le gouvernement de soi-même. L’artistocratie se désintéresse du pouvoir. Elle le combat à sa manière, sans employer les armes dont il se sert contre elle.

Non seulement l’artistocratie désigne l’état d’esprit de l’individu libéré, — l’artistocratie intérieure de celui qui pense et agit par lui-même, — mais ce nom s’applique à l’ensemble des individus qui ont une conception de la vie différente de la conception traditionnelle. L’artistocratie n’est pas propre à une seule époque, mais à toutes les époques où des individus n’ont pas craint de se révolter contre toutes les formes d’autorité. L’artistocratie, qui n’a pas de frontières, qui parle la même langue, est formée de tous les libres esprits qui se rejoignent dans le temps et dans l’espace. L’artistocratie n’est pas une élite, au sens habituel qu’on donne à ce mot. Une élite n’est le plus souvent que l’image de la masse amorphe et veule. Elle est son produit et son œuvre. Si l’artistocratie est une élite, c’est une élite libre. La médiocratie extérieure (autorité, politique, morale, religion, etc…) et l’artistocratie intérieure (enthousiasme, amour de la beauté, sincérité) sont aux prises depuis que le monde existe. Le conflit qui les divise est aujourd’hui à l’état aigu. Il y a, d’un côté, la race des suiveurs, des dominateurs, des mercantis, des cuistres ; de l’autre, celle des esprits généreux, virils, hommes d’action et hommes de pensée qui représentent le mouvement et la vie. L’artistocratie fait avancer l’humanité. La médiocratie la retarde.

Il est certain qu’un mot manquait pour désigner l’attitude de certains intellectuels, aristes et écrivains qui ont vécu uniquement pour leur art, en dehors de toute politique, par exemple Beethoven, Flaubert, Rémy de Gourmont, etc…). Il manquait également pour désigner la force spirituelle opposée à la force tout court, la conception de la vie libre, vivante, an-archiste, à la vie des esclaves, des brutes. Il a pu désigner, à un moment donné, et il désigne encore, les aspirations de la jeunesse qui ne suit pas docilement ses maîtres, et les aspirations d’une humanité qui ne se contente pas de manger et de digérer.

Remarque. — Le radical d’artistocratie donne naissance à artistocrate, substantif qui désigne la personne qui professe et applique dans sa vie l’idéal de l’artistocratie. On dit : « C’est un artistocrate » pour désigner un esprit libre, un artiste sincère qui ne s’est jamais contredit ni compromis et dont la conduite est en harmonie avec les idées. Le même mot, adjectif, qualifie un état d’âme, une attitude. On dit en ce sens : un esprit, un penseur, un artiste artistocrates. — Artistocratique. Qui appartient à l’artistocratie, qui a des idées, des tendances, une forme artistocrates. On dit en ce sens : esprit artistocratique, idéal artistocratique, littérature, roman, pensée, poème, critique, art, peinture, sculpture, architecture, musique artistocratiques, etc… (On peut aussi bien dire artistocrates). — Artistocratiser. Rendre artistocrate ou artistocratique une chose ou une personne (quoi que ce soit bien difficile — et souvent impossible, en présence de certains sujets, — de rendre beau ce qui est laid, sincère ce qui est insincère, courageux ce qui est lâche, libre ce qui est esclave). — Artistocratisé. Rendu artistocrate, ou artistocratique, participe passé du verbe artistocratiser. — Artistocratisant. Participe présent du même verbe, employé comme an-archisant. — Artistocratisation. Action d’artistocratiser, de rendre artistocrate ou artistocratique. — Artistocratisme. Sympathie, penchant pour les idées artistocrates ou artistocratiques. Cependant, le penchant ne suffit pas. On est ou on n’est pas artistocrate. Il faut opter. Il faut être pour ou contre l’artistocratie. — Artistocratiquement. Adverbe de manière. Agir de façon artistocratique, c’est-à-dire « proprement ». Il y a la manière que n’ont ni les mufles ni les imbéciles. Ex. : il a agi artistocratiquement (ou en artistocrate) dans telle circonstance, c’est-à-dire en homme libre. — N. B. Nous ne conseillons pas d’employer ces dérivés. Artistocratie, artistocrate doivent suffire. — Les mots artistocratie, artistocrate ont été fréquemment employés depuis 1897, dans des ouvrages, journaux et périodiques français et étrangers. Plusieurs groupements se sont fondés pour propager l’artistocratie et la mettre en pratique, parmi lesquels je citerai : La Foire aux Chimères (1908), L’Action d’art (1913) et La Forge (1916).


ARTISTOCRATE — Philosophe, artiste, écrivain, ou simple vivant qui met en pratique la philosophie de l’artistocratie. An-archiste d’action d’art. Tout individu, quel que soit le métier qu’il exerce (il y a cependant des fonctions et métiers incompatibles avec l’artistocratie : ceux de policiers, juges, bourreaux, prêtres, soldats, ministres, présidents de Républiques, dictateurs, etc… et en général tous les grades et emplois supérieurs, autoritaires, impliquant toutes les laideurs, toutes les exploitations de l’homme par l’homme), tout individu qui réalise ou tend à réaliser l’idéal esthétique dans sa vie entière, à faire de son existence une œuvre d’art, c’est-à-dire une œuvre de sincérité, d’équilibre et d’harmonie : l’artistocrate met sa conduite en harmonie avec ses idées. Les gestes qu’il accomplit sont des actions d’art, c’est-à-dire des gestes libres, vivants, généreux et désintéressés, en désaccord avec la veulerie universelle. L’artistocrate est l’homme qui a renoncé à penser comme tout le monde. Ni politique ni morale, telle est la devise de l’artistocrate. L’an-archiste est artistocrate par sa soif d’harmonie et d’indépendance. L’artistocrate est l’an-archiste artiste, passionné de beauté sous toutes ses formes, ne se contentant pas de vivre une vie terre-à-terre, mais la complétant et la dépassant par le rêve. L’artiste est anarchiste par son amour de l’indépendance : dans son œuvre il met sa vie entière. L’art réalise la liberté. C’est l’expression suprême de l’an-archie. L’artiste sincère est artistocrate. L’artiste bourgeois est insincère et politicien. Il y a peu d’artistocrates, s’il y a beaucoup d’artistes, dans la société. Il y a peu d’hommes vraiment libres, capables de se diriger sans le secours des autres, agissant et pensant par eux-mêmes, négligeant d’offrir à leurs contemporains le spectacle de ces « sincérités successives », si fréquentes chez les renégats de la politique. Sont artistocrates tous les hommes d’action, tous les écrivains, tous les artistes, tous les penseurs qui ont rompu avec les habitudes et les mœurs du milieu rétrograde et servile, qui n’ont pas craint de se séparer du troupeau, de combattre ses idées, sa conception absurde de la vie, sa politique, sa morale, sa religion, ses institutions, ses préjugés. Artistocrates aussi les hommes les plus humbles, qui renoncent à suivre, à obéir, à imiter, qui ont au fond d’eux-mêmes le pressentiment d’une vie meilleure, d’une vie supérieure, au sein de la vie médiocre et stupide que la pseudo-civilisation leur a imposée. Quiconque fait effort pour briser les liens qui l’enchaînent à la laideur sociale, le diminuent en en faisant un esclave, est artistocrate. En lui, l’énergie intérieure se développe. Il aime et comprend la vie. Il veut la vivre intégralement, sans entraves, physiquement et spirituellement. L’artistocratie constitue pour chacun de nous cet individualisme supérieur qui s’évade de toutes les contraintes, s’élève au-dessus de la mêlée, des appétits et des intérêts, fait de nous des êtres épris de vérité et de beauté, capables de communiquer à autrui leurs sentiments et de les faire triompher dans la vie. L’artistocrate est un exemple pour tous : il est conséquent avec lui-même. Il déteste la violence. Il a horreur de tous les fanatismes. Ses moyens d’action sont l’abstentionnisme, la non-participation, l’art et la pensée. Il se donne à tous, sans compter. Son altruisme n’est pas l’altruisme habituel. Par le fait même qu’il cherche à développer son « moi », à le réformer, à le rendre plus harmonieux, plus vivant, plus libre, il augmente la beauté d’autrui. Il n’impose ses idées à personne, il se contente de les exposer. L’artistocrate est l’homme qui a rompu toute attache avec le social, qui poursuit son idée sans se préoccuper des conséquences fâcheuses qui peuvent en résulter, qui ne ménage ni son temps ni sa peine, et qui est au premier rang des révoltés. Il n’est guidé ni par la haine ni par l’envie, mais seulement par l’amour du beau qu’il voudrait voir triompher dans la vie. Sa révolte est pure et désintéressée.

L’artistocrate est l’individu qui fait de sa vie une œuvre d’art en se faisant le critique de lui-même. Il se corrige, il s’amende, il se perfectionne. Comme l’artiste s’efforce d’écrire un beau poème, de sculpter une belle statue ou de peindre un beau tableau, ainsi l’artistocrate s’efforce d’harmoniser dans son être le sentiment et la pensée, l’action et l’idéal. L’individualisme artistocrate n’a rien de commun avec le pseudoIndividualisme des maîtres et des esclaves. Ce qui intéresse l’artistocrate, c’est le triomphe de la vie sous sa forme esthétique. Il ne partage aucune des inspirations des foules et de l’élite. Il est au-dessus de tous les partis. Il est du seul parti vraiment utile à l’humanité : celui de l’esprit. Il ne se croit pas un être privilégié, un surhomme devant lequel le monde entier doit s’agenouiller, mais il sait ce qu’il vaut, il connaît sa force, et il se juge tout de même différent de cette valetaille qui maintient l’humanité dans les bas-fonds par son inertie et sa lâcheté. Il la méprise et la plaint.

L’artistocrate ne peut pas avoir sur l’amour, la justice, la guerre, l’autorité, la vérité et l’idéal, les mêmes idées que tout le monde ; sa conception de la vie ne peut pas être la conception inférieure de la masse. L’artistocrate ne renonce pas à l’action, mais il dirige son action dans un certain sens. Il agit intérieurement afin d’agir extérieurement. S’il ne participe à aucune agitation, n’est d’aucune association, s’il agit seul, en un mot, selon ses moyens et selon ses forces, il ne refuse pas, de parti-pris, de se mêler à tout mouvement d’avant-garde, de collaborer à toute œuvre collective qui a pour fin la libération de l’individu. On le verra partout où il s’agit de combattre l’iniquité, de réagir contre la laideur. Il sera au milieu des « révolutionnaires » qui se seront réformés, et sauront ce qu’ils veulent, et non parmi les braillards qui aspirent à remplacer leurs maîtres, en leur ressemblant comme des frères. Il sera avec les manuels et les intellectuels associés pour la même œuvre d’émancipation et de fraternité. Partout il agira, mais il agira « en beauté », je veux dire sincèrement, sans être guidé par l’égoïsme, l’envie ou la haine.

L’individu qui manque de courage en certaines circonstances, qui trahit ses amis, cherche à se mettre en évidence par tous les moyens, vend sa personne et ses écrits, cet individu n’est pas un artistocrate, mais un mufle ( voy. ce mot). — Art et littérature artistocrates. Œuvres qui, par leur forme et les idées qu’elles contiennent, rentrent dans le cadre de l’esthétique artistocrate. Œuvres sincères dont les auteurs ont rompu avec la mode, le goût du public, les préoccupations de la littérature mercantile. — L’art artistocrate n’est ni l’art pour l’art, ni l’art social, ces deux formes du faux art : c’est l’art a-social, a-moral et a-politique, comme son auteur. — L’an-archiste artistocrate, qui est loin d’être un dilettante et un esthète préoccupé uniquement de jouissances esthétiques, immobilisé dans la contemplation de son nombril, ne cherche pas dans l’art un rétrécissement de son moi, mais un élargissement de son moi. L’art sincère et vivant est le levier qui émancipe l’individu, le fait vivre d’une vie nouvelle, le révèle à lui-même. Tandis que la morale et la politique diminuent l’individu, l’art véritable le libère et lui révèle le sens de la vie. L’homme qui n’a d’autre morale que la morale esthétique est un anarchiste. Soit qu’il crée des œuvres d’art tout en faisant de sa vie une œuvre d’art, soit qu’il se contente de contempler l’œuvre d’art et s’efforce d’être lui-même une œuvre d’art, cet homme ne peut concevoir la vie comme les gens qui la fondent sur l’autorité. L’autorité expire où l’art commence, elle expire au seuil de l’esthétique, qui est le triomphe de la pensée et de l’action libres. — Il y a l’artiste artistocrate dont l’art est l’action, et dont l’action est art. Il ne vit que pour l’idéal qu’il croit juste et lui sacrifie tous les avantages, honneurs, titres, etc… que la médiocratie dispense à tous ceux qui rentrent dans le rang et observent ses préceptes. Il crée, sans se soucier de plaire ou de déplaire, une œuvre qui satisfait sa conscience, et non le goût de la moyenne. Il trouve dans son art un refuge contre la laideur universelle. Il dit ce qu’il pense. L’artiste tout court, qui poursuit les honneurs et les richesses (car il ne possède point la richesse intérieure de l’artistocrate), flatte la morale et la politique des dirigeants et des dirigés, sert un parti, occupe une situation, est chamarré de titres et de décorations. Il ne crée point une œuvre d’art pour lui faire exprimer l’harmonie qui est en lui, mais afin de reproduire l’inharmonie extérieure et de tirer profit de cette reproduction. C’est un suiveur, qui a la prétention de précéder. C’est un commerçant, un politicien, un réactionnaire dans toute la force du terme. On reconnaîtra facilement, parmi les penseurs, écrivains et artistes contemporains, ceux qui appartiennent à l’artistocratie et ceux qui font partie de la médiocratie.

Quelques noms symbolisent une mentalité, une attitude, un état d’âme, toute une classe d’esprits. L’individualisme des hommes libres neutralise le non-individualisme des esclaves. La vie vaut encore la peine d’être vécue puisqu’elle engendre une minorité dont le courage compense la veulerie de la majorité. — L’artiste est l’homme semblable à tout le monde, aux passions étroites et aux désirs bornés, avec ou sans talent, tandis que l’artiste doublé d’un artistocrate est un caractère et une conscience. Son art reflète la noblesse et l’héroïsme de sa vie. Il n’accomplit point de petits gestes, il n’est point mesquin avec les autres hommes, tout ce qu’il fait est l’expression de sa noblesse intérieure. — La différence entre l’artiste et l’artistocrate est celle qui existe entre l’arriviste et l’homme indépendant, le suiveur et le créateur, celui qui agit pour se réaliser, qui met ses actes en harmonie avec ses idées, et le renégat, qui offre à tous l’exemple des pires palinodies, et n’a point de personnalité. L’artiste est un mercanti, l’artistocrate ne poursuit ni dans ses œuvres ni dans sa vie de but intéressé. L’artiste se met à la remorque d’un parti, l’artistocrate ne fait point de politique, n’agit pas en traître avec ses amis, reste lui-même partout où il passe. Rien ne le détourne de l’idéal qu’il poursuit.

On peut ne pas être artiste, c’est-à-dire créateur d’art, mais aimer l’art et le beau, et par là même on s’égale à l’artiste. Cette beauté, que l’on admire dans l’œuvre d’art, la vie vivante qui émane d’elle, vie de liberté et d’harmonie, on peut la vouloir dans les relations des hommes entre eux, dans leur caractère, leurs passions. Ce désir, ce vouloir, cette aspiration créent en nous l’artistocratie. L’artistocratie, c’est l’élite des individus, hommes ou femmes, qui agissent par eux-mêmes et sentent par eux-mêmes, n’obéissant qu’à leur conscience. Il y a une artistocratie intérieure, — vouloir de liberté, de beauté, d’harmonie — qui s’oppose à la médiocratie extérieure, — ou vouloir de la majorité autoritaire et grégaire. Les hommes qui, en cultivant leur « moi », en le réformant, en l’embellissant, réalisent l’artistocratie, forment par leur ensemble une « artistocratie » internationale sans patrie, sans frontières, sans gouvernement. Le gouvernement de l’artistocrate, c’est sa conscience. Il ne reconnaît à aucune autorité extérieure le soin de le diriger. Sa morale n’est pas la morale traditionnelle. L’artistocrate, c’est l’homme libre.

Nous ne cherchons pas à élever l’artiste sur un piédestal. Il ne s’agit pas de « la part du lion pour l’homme-artiste », il ne s’agit pas de sacrifier des masses entières pour la production du grand homme. Le grand homme est avec la masse quand la masse est dans le vrai, il est contre elle quand elle fait fausse route. L’artistocrate, qui est un individualiste libéré, un individualiste sincère, découvre les aspirations confuses d’une masse peu éclairée, découvre ses aspirations, la révèle à elle-même. Et par là, il tient à l’humanité entière. Il est solidaire de tous ceux qui souffrent. Aux exploiteurs, il fait sentir leur œuvre illogique et vaine. Aux exploités, il montre la voie de l’affranchissement. Il ne prêche point la haine, pas davantage la résignation. Sa voix se fait entendre à son heure, il sait quitter au bon moment sa tour d’ivoire pour y rentrer une fois qu’il a fait un geste libérateur, son œuvre et sa vie n’étant au fond qu’un même acte. Point de thèse lourde et prétentieuse : c’est par son art libéré de toutes les contraintes qu’il agit au sein de l’humanité, art qui se retrouve dans toutes les paroles qu’il prononce, dans tous les gestes qu’il accomplit. À la volonté de puissance du surhomme nietzschéen, à la volonté de résignation du disciple de Tolstoï, l’individualiste artistocrate oppose sa volonté de beauté, harmonisation du sentiment et de la pensée, synthèse de l’idée et de l’action. — Critique artistocrate. La critique artistocrate se préoccupe de rechercher, dans une œuvre d’art, l’individualisme de son auteur, de retrouver l’homme dans l’œuvre et l’œuvre dans l’homme. Elle ne se borne pas à porter un jugement sur les œuvres de la littérature et de l’art. La critique des mœurs est un aspect de la critique artistocrate, recherchant chez les individus les motifs qui les guident et les jugeant sur leurs actes. — N. B. Il y a de faux artistocrates, comme il y a de faux an-archistes, individualistes ou communistes. Encore un mot dont on a abusé, un vocable qu’on a déformé. Sachons déjouer les manœuvres de ceux qui, se prétendant artistocrates, agissent dans toutes les circonstances de leur vie en médiocrates.

Gérard de Lacaze-Duthiers.


ASSISES (Cour d’). On appelle Cour d’Assises la juridiction chargée de juger, définitivement et sans appel, les infractions à la loi pénale qualifiées « crimes » et punies de peines « afflictives et infamantes », depuis la réclusion jusqu’à la peine de mort L’appréciation du fait, c’est-à-dire la culpabilité ou la non-culpabilité de l’accusé appartient au jury, l’application de la loi et de la peine à la Cour. La Cour d’Assises forme un tribunal composé à la fois de magistrats et de simples citoyens, siégeant non d’une manière permanente, mais par assises, à des époques périodiques appelées sessions (en général tous les trois mois, à Paris tous les quinze jours). Ses décisions, sans appel, ne peuvent être attaquées que par le pourvoi en cassation. Il y a une Cour d’Assises par département, et la session se tient d’ordinaire au chef-lieu. Par exception elle siège à Aix (Bouches-du-Rhône), Bastia (Corse), Carpentras (Vaucluse), Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Coutances (Manche), Douai (Nord), Montbrison (Loire), Reims (Marne), Riom (Puy-de-Dôme), Saintes (Charente-Inférieure), Saint-Flour (Cantal), Saint-Mihiel (Meuse), Saint-Omer (Pas-de-Calais).

Dans tous les départements, les assises sont tenues par un conseiller de la Cour d’Appel, délégué à cet effet pour les présider, et par deux juges faisant fonction d’assesseurs. Pour être juré, il faut avoir trente ans accomplis, « jouir » des droits politiques, civils, et de famille, et ne pas se trouver dans un des cas d’ « incapacité » ou d’ « incompatibilité » établis par la loi. La liste annuelle du jury comprend : pour le département de la Seine, trois mille jurés ; pour les autres départements, un juré par cinq cents habitants, sans toutefois que le nombre des jurés puisse être inférieur à quatre cents et supérieur à six cents. Cette liste est complétée par une liste de jurés suppléants : trois cents pour Paris, cinquante pour les autres départements. Dix jours au moins avant l’ouverture des assises, on tire au sort, en audience publique, au tribunal du chef-lieu d’assises, sur la liste annuelle, les noms des trente-six jurés qui forment la liste de la session. On tire, en outre, quatre jurés suppléants sur la liste spéciale. Le jour de l’audience, le jury se constitue tout d’abord en chambre du Conseil, en présence de l’accusé, de son conseil et du procureur général. Le juré qui, sans « excuses valables », ne se présente pas sur la citation qui lui a été notifiée, est condamné par la Cour à une amende de 200 à 500 fr. pour la première fois, de 1.000 fr. pour la seconde, de 1.500 fr. pour la troisième ; après quoi il est déclaré « incapable d’exercer dans l’avenir les fonctions de juré » ; l’arrêt est imprimé et affiché à ses frais. Les mêmes peines sont applicables au juré qui se retire avant l’expiration de ses fonctions.

L’accusé ou son conseil, puis le procureur général, peuvent récuser, sans donner leurs motifs, tels jurés qu’ils jugent à propos, tant qu’il en reste encore douze. Le jury est formé dès qu’il est sorti de l’urne douze noms de jurés non récusés.

Lorsque les questions sont posées et remises aux jurés, ceux-ci se rendent dans leur chambre pour y délibérer. Ils ne peuvent sortir de la chambre de leurs délibérations, qu’après avoir formulé leur déclaration. Leur décision se prend à la majorité. Si l’accusé est déclaré coupable, soit du fait principal, soit d’une ou plusieurs circonstances aggravantes, par une majorité de sept voix au moins, le jury répond sur chaque question : oui, à la majorité. Si une majorité de sept voix ou plus admet l’existence des circonstances atténuantes, le jury l’énonce ainsi : « À la majorité, il y a des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé. » L’égalité des voix emporte une déclaration de non-culpabilité. Le condamné et le ministère public ont trois jours francs pour se pourvoir en cassation et ce pourvoi suspend l’effet de la condamnation.

Nous avons tenu à exposer en détail le mécanisme de la Cour d’Assises, cette juridiction criminelle qui, chaque année, envoie des centaines de malheureux au bagne, à l’échafaud ou dans les cellules des prisons centrales. Ce simple exposé aura déjà suffi, nous en sommes certains, à montrer toute l’ignominieuse comédie de cette parodie de justice. Ainsi, un jury de douze citoyens — dont on a soin d’exclure, en les récusant, tous ceux que l’on soupçonne de professer des idées généreuses — peut briser la vie d’un homme ou l’envoyer à la mort ! Qui oserait prétendre que ces douze citoyens, affligés, comme n’importe qui, de toutes les petitesses de la nature humaine, sauront pendant quelques heures, se dépouiller de toutes leurs faiblesses ? De quel droit ces douze esprits influençables prétendront-ils condamner un de leurs semblables et mesurer l’esprit d’autrui à leur mesure ? Quelle valeur aura un pareil jugement ? On voit souvent deux Cours d’Assises juger simultanément deux meurtres identiques : l’une acquitte, l’autre envoie l’accusé au bagne. Où est la justice, même si l’on se place au point de vue bourgeois ? Quelle est cette étrange logique qui fait que la condamnation varie, non pas avec le caractère du délit, mais avec le tempérament du juge ? Une telle comédie porterait à rire si les effets n’en étaient aussi tragiques. L’homme n’a pas le droit de juger son semblable. Les anarchistes sont les premiers à réprouver certains actes, tels le meurtre, le viol, etc…, mais ils ne sont souvent que des conséquences de l’état social défectueux que nous subissons. L’homme qui tue pour voler accomplirait-il cet acte abominable, si la société ne l’y poussait pas en lui marchandant le pain quotidien ? Quant aux autres criminels, qui tuent sans raison, ne sont-ils pas plutôt des malades que des criminels ? Et l’asile — un asile réformé — ne leur serait-il pas plus profitable que la prison ? D’ailleurs, le système pénal a montré ce qu’il valait : ni l’échafaud, ni le bagne, ni la prison n’ont fait diminuer le moins du monde le nombre des « crimes ». La répression la plus féroce ne sert à rien. Les causes du mal sont trop profondes et sont trop intimement liées à la société actuelle. Les hommes n’en viendront à bout que le jour où règnera un nouvel état des choses — basé sur des principes sains et normaux. Les crimes et les juridictions criminelles disparaîtront avec les sociétés criminelles. — Georges Vidal.


ASSISTANCE n. f. Aide, secours de toute nature. Dans toute société où la pauvreté est de rigueur pour le plus grand nombre, parce que la richesse est l’apanage d’une faible partie de la population, l’Assistance est appelée à tenir une place considérable et à jouer un rôle de première importance. Qu’on y réfléchisse un instant : ils sont là, surtout dans les fortes agglomérations urbaines, des milliers et des milliers vivant de privations, angoissés par l’incertitude du lendemain, dénués de tous moyens d’existence. Habitation, vêtement, nourriture, rien ne leur est assuré. Ils vivent, péniblement, au jour le jour, incessamment menacés de manquer du strict nécessaire. Ils errent dans la rue, coudoyant le luxe insolent des privilégiés, ce qui leur rend plus douloureux encore et plus intolérable leur dénuement injustifié. Telle est leur détresse matérielle et morale, qu’ils sont enclins — Ô ironie ! — à bénir, avec reconnaissance et humilité, toute main secourable qui se tend vers eux, cette main appartînt-elle à celui qui constamment les dépouille et n’est riche que dans la mesure où ces miséreux sont indigents.

Du jour où il y eut des distinctions de situation et de fortune, du jour surtout où ces distinctions amenèrent la graduelle formation des classes opposées, l’Assistance s’imposa comme une institution réclamée par les possédants eux-mêmes, parce que, seule, elle était de nature à garantir leur tranquillité et à protéger leurs biens et leurs personnes. Menacés par le perpétuel danger que la misère fait courir à leurs richesses et à la sécurité de leur existence, les possesseurs de la fortune ont toujours considéré la pratique de l’Assistance comme le moyen le plus élégant, le plus sûr et le moins onéreux de mettre leur peau et leurs trésors à l’abri des entreprises dont le dénuement peut être l’instigateur.

Privée ou publique, individuelle ou collective, l’Assistance leur apparut comme le calcul le plus adroit. Ils discernèrent, dans l’organisation méthodique de l’Assistance, une soupape de dégagement, destinée à éviter l’explosion de la machine.

Naïfs, et d’une impardonnable naïveté, seraient ceux qui attribueraient à une idée d’équité, à un sentiment de solidarité ou d’humanité, les secours et l’aide accordés à ceux qui sont frappés de pauvreté, ou victimes de la maladie, de la vieillesse ou de l’infirmité.

Il se peut que, dans la classe riche, il y ait quelques natures généreuses dont le cœur demeure sensible aux souffrances des pauvres. Mais c’est l’exception : l’exception qui confirme la règle.

La règle, c’est que : la fortune étant la récompense du travail et le fruit de l’épargne, ceux qui en sont privés ne le doivent qu’à leur paresse et à leur prodigalité. Je connais, par centaines, des gens qui se disent convaincus — et peut-être le sont-ils ! — que le paupérisme a pour origines la débauche, l’ivrognerie, la paresse, toutes choses que, d’un mot synthétique, ils appellent « le vice ».

J’ai tenté maintes fois de détruire cette conviction ; mes arguments, les innombrables exemples dont j’illustrais ma démonstration, se heurtaient à un mur de préjugés et d’incompréhension. La famille, l’éducation, l’opinion publique portent les privilégiés à se croire de race supérieure au vulgum pecus. Les délicatesses et raffinements au sein desquels ils naissent et vivent suscitent et développent graduellement chez eux le dégoût instinctif, le mépris irraisonné et une inconsciente répulsion qui va, parfois, jusqu’à la haine, de la pauvreté en haillons, du taudis qui pue et de la main sale qui sollicite un secours.

Le temps n’est plus — a-t-il véritablement existé ? — où l’opulente châtelaine, payant de sa personne, apportait au chevet du malade la grâce de son sourire, passait ses doigts fuselés dans les cheveux embroussaillés de la marmaille, s’inclinait avec respect devant le fauteuil où le vieillard indigent reposait ses membres rendus infirmes par un demi-siècle de travail opiniâtre et ne quittait pas l’humble chaumière ou le modeste logis, sans y oublier discrètement sa bourse. Le temps n’est plus où ces générosités matérielles s’accompagnaient d’un geste affectueux, d’une parole sortie du cœur, d’un regard compatissant et tendre qui faisaient aux secourus autant de bien que l’aide elle-même.

De nos jours, l’Assistance a revêtu d’autres formes ; le cœur des enrichis s’est lentement pétrifié : il y a trop de distance entre ceux qui ont tout pris et ceux qui se sont laissé tout prendre, pour qu’un contact s’établisse entre les uns et les autres.

L’Assistance est devenue un service public ; son fonctionnement exige des rouages de plus en plus nombreux et compliqués. Enfants abandonnés, vieillards sans ressources, malades sans soins, femmes en couche, justiciables sans défense, que sais-je encore ? Dans tous ces cas, c’est l’Administration qui intervient. Rigide, sévère, officielle, réglementée, parcimonieuse, méfiante, hautaine, sournoise, paperassière, hiérarchique, chicanière, exigeante, rapace, inquisitoriale, tatillonne, encombrante, l’Assistance a tous les défauts de la bureaucratie (voir ce mot).



Suit une étude technique et d’ensemble sur l’Assistance. Les mots enfants assistés, femmes en couches, hôpitaux, hospices, orphelinats, soins médicaux gratuits, vieillards assistés à domicile (voir ces mots), nous fourniront l’occasion d’initier le lecteur au fonctionnement pratique de ces divers services qui, tous, relèvent de l’Assistance. (Voir aussi les mots « Bienfaisance », « Charité », « Philanthropie ».)

Pour mettre fin à ces quelques considérations qui servent d’introduction aux exposés documentaires qui, chacun à sa place, se suivront, je crois utile d’insister sur le caractère véritable de l’Assistance : un observateur superficiel pourrait croire que l’organisation de l’Assistance part d’un généreux esprit de solidarité, d’un sentiment élevé de bonté et d’une conception exacte de la morale. Il n’en est rien, et celui qui se laisserait prendre à ce point aux apparences, serait la victime d’un bluff grossier. L’organisation sociale de l’Assistance est tout simplement le fait d’un milieu social inhumain, dont elle a pour but de réparer, dans une faible et insuffisante mesure, les cruelles et injustes inégalités. L’idée même de faire assister — et combien mal et si froidement ! — les déshérités par les privilégiés, ne peut être que la conséquence d’une société comme la société capitaliste où les uns regorgent de superflu, tandis que d’autres sont privés de l’indispensable. Bien plus : l’Assistance est un moyen incomparable de tenir en servitude et en résignation, les infortunés qui, s’ils étaient inexorablement abandonnés à leur sort lamentable, ne tarderaient pas à se réfugier dans la révolte. Grâce à des secours illusoires et dérisoires, secours qui ne transforment pas leur situation et ne font que la perpétuer, les malheureux supportent passivement l’injustice de leur condition. L’Assistance est une aumône que la Société abandonne à ses victimes pour éviter la restitution qui leur est due. C’est l’os qu’elle jette aux loups affamés dont les crocs pourraient se montrer par trop menaçants. — Sébastien Faure.


ASSISTANCE PUBLIQUE. L’Assistance publique n’est que la forme légale étatiste de la charité et de la bienfaisance privée. L’État, en la circonstance, n’a fait que codifier celle-ci.

Dans les temps antiques où, seul l’homme libre comptait, l’assistance n’existait pas. La classe la plus nombreuse, le peuple, était condamnée à vivre et mourir dans l’esclavage, elle n’avait même pas le droit de vivre, puisque le maître disposait à son gré de son esclave.

C’est avec le christianisme des premiers chrétiens qu’est née l’assistance, sous forme de charité.

Elle se manifesta à cette époque, par la création des diaconies, puisque les diacres avaient pour mission, sous la direction des évêques, de visiter les pauvres, les malades, et de recueillir l’argent destiné à les secourir et de distribuer des secours à domicile. Au début, ils furent aidés dans leurs fonctions par des veuves et plus tard par des vierges, qui, sous le titre de diaconesses, se chargeaient de visiter les femmes pauvres et malades. Cette assistance était limitée aux seuls chrétiens. C’est ainsi que les diaconies furent les premiers établissements de bienfaisance, fondés par les chrétiens, ceux-là d’abord peu nombreux augmentèrent, lorsque le christianisme devint, sous Constantin, une religion d’État. Cela explique pourquoi, présentement encore, la plupart des établissements hospitaliers, qui portent administrativement le nom générique d’établissements charitables ont un personnel congréganiste et sont en quelque sorte sous la férule des religieux.

Avec le Moyen-Âge, époque de foi ardente, où le clergé était tout puissant et où l’on vit peu à peu se transformer la société des premiers chrétiens et renaître l’esclavage sous forme de servage, elle disparut. Tout en se disant chrétien, c’est-à-dire, disciple d’une religion qui exalte les petits, qui fait du pauvre et du déshérité de la vie un frère, on trouvait très juste et très naturel l’asservissement du pauvre par la domination absolue du riche. Cela amena en quelque sorte la disparition de l’assistance. Elle n’avait plus sa raison d’être du fait que ceux qui avaient besoin d’être assistés appartenaient à un maître. Il appartenait à celui-ci d’en prendre soin au nom de ses propres intérêts.

C’est ainsi que l’on trouve dans un capitulaire de Charlemagne, édité en 809 : « Les comtes prendront soin de leurs pauvres ; chacun doit nourrir son pauvre ; c’est une obligation ; c’est une obligation attachée à la jouissance du bénéfice et du domaine ».

Cependant, les auteurs signalent qu’à cette époque, la plupart des monastères distribuaient souvent des secours, ce qui pourrait faire croire à une sorte d’assistance. Tout porte à croire que ces secours se réduisaient à l’hébergement des voyageurs et des pèlerins ou encore à la distribution des aumônes aux serfs infirmes ou trop vieux pour travailler, et qui résidaient sur les terres dépendant des monastères.

Avec les croisades, se manifesta un profond changement de cet état de choses. Les seigneurs emmenèrent leurs serfs pour combattre sous leurs ordres. Ces derniers ne tardèrent pas, par la force des choses, à devenir libres. D’autre part, les croisades furent pour beaucoup de seigneurs une entreprise financière ruineuse. Beaucoup de serfs purent conquérir leur liberté en donnant à leur maître le pécule qu’ils avaient péniblement amassé.

Les rois trouvèrent dans cet état de chose une excellente occasion pour fortifier leur autorité aux dépens de celle des grands vassaux, ils favorisèrent la liberté des communes : l’institution du servage fut ébranlée et amoindrie, la nécessité de l’assistance aux indigents redevint nécessaire.

C’est à cette époque que, tant en France qu’en Europe, on vit se fonder, de nombreux établissements hospitaliers, sous le titre de maladreries ou léproseries.

En effet, les croisés avaient rapporté d’Orient la terrible maladie qu’est la lèpre et l’avaient propagée, comme plus tard Christophe Colomb rapporta d’Amérique, la syphilis, laquelle, sous François Ier, grâce à la campagne d’Italie, se propagea terriblement en France.

C’est en 1544 que fut créé, par François Ier, le bureau général des pauvres, point de départ de l’Assistance publique actuelle. Celui-ci fut chargé de lever sur les seigneurs, les ecclésiastiques, les communautés et tous les propriétaires, une taxe d’aumône pour l’entretien des établissements où l’on recevrait des malades indigents.

Quelques années plus tard, en 1561, par une ordonnance royale rendue à Moulins, est instituée l’Assistance communale. Elle prescrit entr’autres choses :

« Les pauvres de chaque ville, bourg ou village, seront nourris et entretenus par ceux de la ville, bourg, ou village, dont ils sont natifs et habitants ;

« Il leur est défendu de vaguer, ni de demander l’aumône ailleurs du lieu duquel ils sont, et à ces fins, seront les habitants tenus à contribuer à la nourriture desdits pauvres selon leurs facultés, à la diligence des maires, échevins, conseuls et marguilliers des paroisses. »

Plus tard, Louis XIV voulut que toutes les branches de l’administration publique fussent soumises à une impulsion unique : la sienne. Il organisa l’hôpital général qui centralisait la direction de cinq hôpitaux de Paris : La Pitié, Le Refuge, Scipion, Bicêtre, et la Savonnière. En 1662, cette organisation fut généralisée à tout le pays, et en 1698, la gestion des hôpitaux, jusqu’alors confiée au clergé ou à des religieux, fut définitivement confiée à des administrateurs presque tous laïques. Chaque hôpital fut administré par un bureau composé du premier officier de justice du lieu, du Procureur du Roi, du seigneur, d’un échevin ou d’un consul, du curé et d’un certain nombre des principaux bourgeois élus par les notables de la commune.

Sous Louis XVI, il existait en France, 2.185 hôpitaux et hospices qui recevaient environ 105.000 malades ou infirmes. On comptait, en outre, 33 dépôts de mendicité, renfermant une population d’environ 6.650 personnes de tout âge et de tout sexe.

Avec la Révolution de 1789, l’assistance entre dans une nouvelle phase. Les assemblées révolutionnaires nommèrent un comité pour l’administration des secours publics et pour l’extinction de la mendicité. La Rochefoucault-Liancourt fut chargé de faire un rapport. Après de longues et minutieuses recherches, il dut constater l’insuffisance des secours donnés dans les hôpitaux et l’inutilité absolue des dépôts de mendicité, au sortir desquels, écrit-il, rejeté dans la société, sans aucune ressource et peut-être moins bon qu’il n’y était entré, l’assisté retombait toujours dans le crime ou l’affreuse misère.

Lorsque la Convention eut aboli la royauté et proclamé la République et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, dont l’article 23 proclame le principe : « Que les secours publics sont une dette sacrée que c’est à la loi d’en déterminer l’étendue et l’application », un décret fut rendu très peu de temps après. Il portait que la Nation se chargeait de l’éducation physique et morale des enfants abandonnés, qui devaient, dorénavant, être désignés sous le nom d’orphelins ; il prescrivait dans chaque district la création d’une maison destinée à recevoir les filles enceintes et leur accordait des secours pour élever leurs enfants. Les vieillards indigents devaient être secourus aussitôt que l’âge ne leur permettait plus de trouver par le travail des ressources suffisantes contre le besoin. Les secours étaient de deux espèces : secours à domicile, secours dans les hospices, ils ne pouvaient être obtenus cumulativement.

Le 9 thermidor marqua le point de départ d’une réaction violente en matière d’assistance, et l’on put entendre du haut de la tribune, le représentant Delecloy déclarer : « Il est temps de sortir de l’ornière profonde où une philanthropie exagérée nous arrête. Le pauvre n’a droit qu’à la commisération générale. Posons en principe que le Gouvernement ne doit intervenir dans la bienfaisance publique, que comme exemple et comme principal moteur, c’est-à-dire en mettant le pauvre sous la sauvegarde de la commisération générale et de la tutelle des gens de bien ».

Dès lors, l’esprit qui présida à l’assistance sociale ne fut plus le même. Il n’eut plus rien de commun avec celui des grandes assemblées révolutionnaires. Les Gouvernements qui se succédèrent en France : Directoire, Empire, Restauration, Gouvernement de Juillet, etc…, ne virent plus guère dans les mesures à prendre que l’intérêt de l’ordre public, de la sécurité pour les personnes et les propriétés.

C’est encore présentement l’esprit qui préside, bien que l’assistance ait pris des formes multiples.

L’Assistance est de deux natures : hospitalière et domiciliaire. Nous étudierons la première au mot « hôpital », la seconde est caractérisée par le bureau de bienfaisance, qui, sauf à Paris, forme toujours un organisme distinct et indépendant de l’hôpital.

Le Bureau de Bienfaisance fut créé par la loi du 7 frimaire an V, qui lui attribua le droit de perception d’un décime par franc en sus du prix du billet d’entrée dans les bals, concerts et autres lieux d’amusement public.

L’objet des bureaux de bienfaisance (appelés bureaux de charité de 1814 à 1831) est de distribuer, à domicile et autant que possible en nature, des secours aux indigents et de faire soigner dans le sein de leur famille les indigents malades ou infirmes.

Au cours des vingt-cinq dernières années, les organismes d’assistance ont pris de l’ampleur et sont devenus des organismes extrêmement complexes. On peut les diviser en trois parties : 1o assistance aux mineurs ; 2o assistance aux adultes ; 3o assistance aux vieillards et aux incurables.

Nous nous contenterons de signaler les principales branches de ces parties.

Assistance aux mineurs : on entend par assistance aux mineurs les essais de protection prénatale (loi du 15 juillet 1893 sur l’assistance médicale gratuite, du 27 novembre 1909 garantissant le travail aux femmes en couches, 15 mars 1910 congé de deux mois payé aux institutrices, repos des femmes en couches, lois du 17 juin 1913, 2 décembre 1917).

Toutes ces lois sont insuffisantes et n’accordent que des secours qui ne répondent pas au but à atteindre. L’État bourgeois compte surtout sur des œuvres privées pour compléter la sienne.

La protection de l’enfant du premier âge (on entend par là de la naissance à l’éruption de la vingtième dent) : même situation, fatras de lois, de règlements prévoyant des secours, des primes d’allaitement, la protection de l’enfant séparé de sa mère, etc…, avec des moyens insuffisants.

Cette branche comprend, en outre, l’aide aux familles nombreuses, les enfants assistés, l’enfance moralement abandonnée, les enfants infirmes et anormaux.

Dans cette branche de l’assistance, les pouvoirs publics se sont contentés des lois ; le gros effort est fait par des œuvres charitables privées, ayant toutes un caractère confessionnel et quelquefois politique plus ou moins avoué.

L’assistance aux adultes est de deux sortes : a) assistance médicale avec hospitalisation ; b) assistance médicale gratuite à domicile.

L’assistance médicale avec hospitalisation (voir Hôpital) bien que mal organisée, est celle qui soulage le plus l’individu dans la détresse.

L’assistance médicale gratuite, tout comme la précédente, est à la charge des communes en ce qui concerne les indigents.

Toutefois, les hôpitaux ne sont pas administrés par la commune ou l’État, ceux-ci n’en ont que le contrôle.

L’assistance médicale gratuite est un organisme indépendant de l’hôpital et du bureau de bienfaisance. Son but est d’assurer les soins à domicile aux malades privés de ressources. Elle n’est pas applicable aux étrangers, à moins qu’il n’existe un traité d’assistance réciproque. Ces traités existent actuellement avec l’Italie, la Pologne, la Belgique et le Luxembourg.

Il résulte des dispositions des traités ci-dessus que, pour l’assistance médicale gratuite, les frais de traitement sont mis à la charge de la France, pendant toute la durée de la maladie, quand il s’agit :

a) D’un malade qui a cinq ans de résidence dans le pays ;

b) D’un travailleur qui, pendant cinq ans, a séjourné cinq mois consécutifs chaque année ;

c) D’un malade atteint de maladie aiguë, déclarée telle par le médecin traitant, sans se préoccuper s’il y a ou non les résidences prévues aux paragraphes a et b.

Dans l’application des lois d’assistance, il est un point important, c’est celui du domicile de secours. En cas d’assistance qui supportera la charge des frais qu’elle occasionne ? L’État n’intervient presque jamais ; il ne secourt les indigents que contraint et forcé.

Le domicile de secours s’acquiert :

1o Par une résidence habituelle d’un an dans la commune postérieurement à la majorité ou à l’émancipation ;

2o Par la filiation : l’enfant a le domicile de secours de son père. Si la mère a survécu au père, ou si l’enfant est un enfant naturel reconnu par la mère seulement, il a le domicile de sa mère. En cas de séparation de corps ou de divorce des époux, l’enfant légitime partage le domicile de l’époux à qui a été confié le soin de son éducation ;

3o Par le mariage. La femme, le jour de son mariage, acquiert le domicile de secours de son mari. Les veuves, les femmes divorcées ou séparées de corps conservent le domicile de secours antérieur à la dissolution du mariage, ou au jugement de séparation.

Pour les cas non prévus, le domicile de secours est le lieu de la naissance, jusqu’à la majorité ou à l’émancipation. Ainsi les étrangers dont le pays n’a pas passé de traité de réciprocité, n’ayant pas de domicile de secours et légalement ne pouvant en acquérir un, n’ont d’autre ressource que de s’adresser à leur consul ou à des sociétés de bienfaisance privée.

Quand un français ou un étranger dont le pays a passé un traité de réciprocité n’a pas de domicile de secours communal, les frais de l’assistance médicale incombent au département dans lequel il aura acquis son domicile de secours.

Quand le malade n’a de domicile de secours ni communal ni départemental, la charge incombe à l’État.

L’assistance par le travail est constituée par des œuvres privées, qui ne sont, en réalité, que l’exploitation de la misère humaine sous le couvert de philanthropie. La grande majorité des œuvres de cette nature ont un caractère confessionnel. Ce mode de secours est un vestige des formes d’assistance d’avant la Révolution.

L’assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables (loi du 14 juillet 1905), comme toutes les lois d’assistance, est insuffisante et partant n’a pas résolu le problème de l’aide et de la protection de la vieillesse des travailleurs.

L’Assistance publique, telle qu’elle fonctionne dans notre pays, est entièrement à réformer, elle doit disparaître pour faire place à une organisation basée sur la Prévoyance et la Solidarité sociale et non pas sur l’aumône, la bienfaisance et la charité, car en réalité, notre Assistance publique n’est que la codification des règles et principes de ces trois choses. — F. Merma.

Assistance publique à Paris. (Administration générale de l’). — L’administration générale de l’Assistance Publique à Paris, qu’il ne faut pas confondre avec les services d’assistance publique, est un organisme propre à Paris. Régie par la loi du 10 janvier 1849, elle constitue une administration autonome, ayant son budget propre, la personnalité civile, c’est-à-dire le droit d’ester en justice, et à la tête de laquelle est placé un directeur responsable, nommé par le Ministre de l’Hygiène, sur proposition du Préfet de la Seine.

L’origine de l’administration générale de l’assistance publique à Paris remonte à la création de l’Hôtel-Dieu de Paris.

La fondation de cet établissement est à tort attribuée à Saint-Landry. Le premier titre qui constate d’une manière irréfutable l’existence d’un hôpital situé près de la Chapelle Saint-Christophe remonte à 829. À cette époque, disent les chroniques, l’évêque de Paris, Inchad, donna la dîme des terres qu’il possédait pour la construction d’un hôpital.

Cet établissement ne s’élevait pas précisément sur l’emplacement de l’hôpital actuel, il était situé dans l’enceinte fortifiée, près du tombeau et de la chapelle Saint-Christophe, c’est-à-dire, sur la place du Parvis, face au portail de Notre-Dame.

Nous ne décrirons pas ici les vicissitudes de cet établissement (voyez Hôtel-Dieu). Peu à peu, grâce à des dons et legs, il devint important.

Sous Louis XIV, l’Hôtel-Dieu, devint le bureau général des pauvres, auquel furent rattachés les divers établissements existant à cette époque.

La Révolution fit disparaître l’autonomie du bureau général des pauvres qui devint un organisme départemental (loi du 16 vendémiaire an V).

Par arrêté des consuls du 27 nivose an IX (17 janvier 1801), l’administration des hospices civils de la commune de Paris fut confiée à un conseil général assisté d’une commission administrative. Par arrêté des consuls du 29 germinal an IX (19 avril 1801). l’administration des secours à domicile, alors distincte, fut réunie aux attributions du Conseil général des Hospices.

L’organisation créée en 1801 a fonctionné pendant un demi-siècle. Elle fut maintenue par la Restauration et le Gouvernement de juillet. La Révolution de 1848 la fit disparaître. Le Gouvernement provisoire, désigna le citoyen Thierry, membre du Conseil municipal pour organiser le service des hôpitaux et hospices. Le Conseil général des Hospices fut dissous, mais la Commission administrative fut maintenue. Cette gestion dura jusqu’au 8 février 1849, date à laquelle fut installé un directeur responsable, en vertu de la loi du 10 janvier 1849.

Les principes de cette loi sont qu’elle consacre la réunion des hôpitaux et hospices et des bureaux de bienfaisance effectuée par l’arrêté de l’an IX ; mais à l’autorité collective du Conseil général des hospices, elle substitua le pouvoir unique d’un directeur, assisté d’un conseil de surveillance n’émettant que des avis.

Le Gouvernement de la Défense Nationale abrogea la loi du 10 janvier 1849 par un décret (29 septembre 1870). Les hôpitaux et hospices constituaient une administration distincte, placée sous l’autorité d’un Conseil général des hospices du département de la Seine. Un agent général des hospices était chargé de l’exécution des arrêtés du Conseil général dont la composition fut déterminée par le décret du 18 février 1871. Cette organisation fut de courte durée. Par arrêté du 10 juin 1871, dont les jurisconsultes mettent la légalité en doute, Thiers, chef du pouvoir exécutif remit en vigueur la loi du 10 janvier 1849, en rapportant les décrets de 1870 et 1871.

Le service des enfants assistés du département de la Seine a été dirigé jusqu’en 1849 par le Conseil général des hospices ; depuis cette époque, par le directeur de l’administration générale de l’assistance publique à Paris.

Le service des aliénés qui était autrefois dirigé par le directeur de l’administration générale de l’A. P. à Paris, a été rattaché à la Préfecture de la Seine en 1893 et a fait l’objet d’un décret spécial : 16 août 1894.

L’administration générale de l’Assistance Publique à Paris, bien qu’ayant de gros revenus, ne pourrait équilibrer son budget sans une subvention de la Ville de Paris. En 1926, celle-ci s’est élevée à la somme de 141.150.250 francs, dont 2.952.250 francs pour les bureaux de bienfaisance. Le budget pour l’exercice 1926 s’élève à 312.741.832 francs.

Cette administration comprend :

17 Hôpitaux généraux (c’est-à-dire admettant les malades de médecine et de chirurgie) ;

3 Hôpitaux spéciaux (Saint-Louis, Cochin, Brocca), peau et vénérologie ;

10 Hôpitaux d’enfants tant à Paris qu’en province ;

3 Maisons d’accouchement (Maternité, Baudelocque, Tarnier) ;

22 Maisons de retraite ou fondations admettant des vieillards ;


soit 55 établissements hospitaliers auxquels il faut ajouter les établissements généraux tels que : la boulangerie centrale, qui est en même temps meunerie. Il s’y fait 104 fournées de pain par jour, soit environ 4.880.000 kilos par an ;

La cave centrale des hôpitaux située à la Halle aux Vins où s’approvisionnent les divers hôpitaux, lesquels consomment environ 2.577.000 litres de vin par an ;

Le magasin central des hôpitaux où sont centralisées les réserves de matériel, de linges, de légumes secs, pâtes nécessaires aux divers établissements ;

La pharmacie centrale où sont centralisées les réserves de médicaments et où une grande partie sont fabriqués.

Le service de l’approvisionnement des Halles.

La consommation de lait des hôpitaux est d’environ 7.000.000 de litres par an. Il est consommé environ 2.600.000 kilos de viande de boucherie.

L’administration générale de l’Assistance Publique à Paris est de beaucoup la plus importante de toutes les administrations hospitalières de France et certainement d’Europe.

Le nombre de lits, tant d’hôpitaux que d’hospices, s’élève à 32.378. Les consultations données dans les divers hôpitaux s’élèvent à environ 1.500.000 par an.

En 1920, 260.000 malades, enfants et vieillards ont été admis dans les hôpitaux et hospices : 34.324 femmes ont accouché tant dans les maternités que chez les sages-femmes agréées par l’administration et 113.823 malades indigents furent soignés à domicile.

Le personnel hospitalier gradé ou non (infirmiers, infirmières, surveillants et surveillantes) est au nombre de 12.250. Les ouvriers à la journée (buandiers, mécaniciens, etc…), sont au nombre de 2.056 agents. Le personnel administratif comprend 1.024 agents, enfin le personnel médical (médecins, pharmaciens, internes, sages-femmes), est au nombre d’environ 1.800.

Ce court exposé montre ce qu’est cette grosse administration que l’on peut considérer comme un État dans l’État. Elle est loin d’être parfaite et, sans nier les services qu’elle rend, on peut dire qu’elle a besoin d’être entièrement réorganisée.

Les hospices sont insuffisants : 10.000 vieillards attendent leur hospitalisation. Les hôpitaux sont, eux aussi, insuffisants du fait que, par suite d’entente avec les communes suburbaines du département de la Seine, les indigents de celles-ci sont soignés dans les hôpitaux parisiens. Il manque environ 30.000 lits pour répondre aux nécessités de l’heure présente. D’autre part, la presque totalité de nos hôpitaux parisiens sont vieux ; quelques-uns, comme Saint-Louis, ont été construits dans les dernières années du règne d’Henri IV, ou Beaujon qui date de Louis XVI. De ce fait il est difficile de les équiper selon les exigences de la science médico-chirurgicale moderne.

Les règlements en vigueur ne répondent pas eux non plus aux exigences modernes. Il y a trop de paperasseries et de routine. — F. Merma.