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Encyclopédie anarchiste/Cassation - Cerveau

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 304-317).


CASSATION (COUR DE). — Juridiction suprême, composée de hauts dignitaires de la magistrature et dont le rôle consiste, ainsi que son nom l’indique a casser les sentences rendues par les diverses Chambres, si les formes de la procédure n’ont pas été respectées et s’il a été commis durant le jugement certaines violations de la loi. Cette jurisprudence fut établie par la loi du 27 novembre 1790. La Cour de Cassation comprend : un premier président ; trois présidents de Chambre ; 48 conseillers ; un procureur général ; six avocats généraux ; un greffier en chef ; quatre commis greffiers ; huit huissiers. Le nombre des avocats à la Cour est de 60. C’est toute une nuée de fonctionnaires inutiles et grassement rétribués, qui vivent sur le travail de la collectivité. Ce ne serait cependant là qu’un demi-mal si leur rôle nuisible ne s’étendait pas plus avant. La Cour de Cassation ne s’occupe jamais du fond de l’affaire qui lui est soumise. Elle n’a pas le pouvoir d’augmenter ou de diminuer une peine. Elle annule un jugement si elle y constate des vices de forme, et renvoie l’affaire devant un tribunal compétent qui la juge à nouveau. Là se bornent ses attributions. Il faut, pour que la Cour puisse se prononcer, la présence d’au moins onze juges et ses décisions sont prises à la majorité des suffrages. Les audiences à la Cour de Cassation sont publiques.

On peut se pourvoir « en Cassation » à la suite d’un jugement du tribunal correctionnel, de la Cour d’appel, de la Cour d’assises ; mais il faut dire tout de suite que pour les Anarchistes ou tous ceux qui s’occupent du mouvement social de gauche, il n’y a aucune chance de bénéficier de la faveur ou de l’indulgence de ces hauts magistrats issus de la bourgeoisie et au service du capital.

De même que la Cour d’appel (Voir : Appel (Cour d’), la Cour de Cassation est un lieu de repos où s’en vont terminer leur existence les anciens présidents des tribunaux correctionnels ou des Cours d’assises, et le législateur fut bien mal inspiré, en 1790, lorsqu’il crut garantir l’application de la loi, au nom des libertés républicaines.

La loi et la magistrature ne seront jamais des organes de défense sociale et vont à l’encontre du but poursuivi, même si l’on admet la sincérité qu’anime le législateur et le magistrat. Comme toutes les institutions bourgeoises, la Cour de Cassation est un des piliers du capitalisme qu’il faut combattre pour le bien de l’humanité libre.


CASTE. n.f. Se dit des catégories, des classes entre lesquelles une nation est partagée par la loi civile et religieuse. Par extension, se dit aussi de certaines classes de personnes pour les distinguer du reste de la nation à laquelle elles appartiennent, et, dans ce sens ne s’emploie guère que par dénigrement. Ex. : Il a tous les préjugés de sa caste.

Il n’y a plus de pays, aujourd’hui divisés en castes, l’Inde exceptée, et encore, le mouvement Gandhiste tend-il à faire disparaître cette vieille organisation. Dans l’Inde, ainsi d’ailleurs qu’en Égypte on retrouve dans la plus vieille antiquité, trace des divisions nationales, par castes. Dans la Perse, les castes ont été moins marquées ; les Juifs n’ont connu que la caste sacerdotale ; elles n’ont existé en Chine qu’accidentellement et le bouddhisme les a détruites partout. En Égypte, avant l’établissement des monarchies, la nation était divisée en trois castes : les prêtres, les guerriers et le peuple. Dans l’Inde, selon le Législateur des Indous, Manu, ils doivent à Brahma leurs lois et leurs usages ; Krishna, fils de Brahma, divisa la nation en quatre castes principales, qui n’ont entre elles aucun rapport et qui ne se mêlent jamais par des alliances. Ce sont : 1° Les Brahmanes, sorti de la bouche de Dieu ; 2° les Kchatryas, formés de ses bras ; 3° les Raysiahs, de ses cuisses ; 4° les Sudras de ses pieds. La première de ces castes, celle des Brahmanes fut destinée au sacerdoce ; elle occupa aussi les emplois les plus élevés, ministres, conseillers, etc. Les Kchatryas furent destinés au métier des armes. Aux Raysiahs fut confiée la direction de l’agriculture, du commerce, de l’industrie, le soin d’élever les troupeaux. Enfin, les Sudras exercèrent plusieurs métiers et furent laboureurs, domestiques, parfois esclaves. Cette dernière caste, avec sa sous-caste ou tribu des parias est de beaucoup la plus nombreuse et compte les neuf dixièmes de la population de l’Hindoustan. Chaque caste a ses privilèges tant au point de vue du costume et des préséances qu’à celui de la nourriture. Nul ne peut sortir sa caste, soit pour monter, soit pour descendre, sans crime. La caste des parias notamment est tenue dans une abjection incroyable, une ignorance crasse, qui sont la honte de l’Inde.

En Europe, les nations furent longtemps, sans qu’il y ait des démarcations aussi rigoureuses, divisées en castes. Les seigneurs qui monopolisaient les richesses et le savoir, avec les prêtres ; d’autre part, les serfs et esclaves, monopolisant le travail, la misère et l’ignorance, formaient bien deux castes ou classes et plus tard, trois, grâce aux « affranchis » devenus bourgeois. Il est à noter que partout, la caste première, est celle des prêtres, qui partout monopolise les développements de l’intelligence et s’en sert pour maintenir dans le servage le plus grand nombre possible de membres de la nation. Mais la nécessité « d’affranchir » des serfs pour faire travailler les autres serfs les oblige à laisser l’instruction se répandre chez les affranchis. Ceux-ci s’enrichissent de biens mobiliers, affranchissent à leur tour d’autres esclaves et quand ils se sentent assez forts, se débarrassent de l’autorité de la caste des prêtres et des seigneurs.

Ainsi, peu à peu, avec les développements de l’intelligence et la découverte de l’imprimerie, les castes se sont fondues. Il n’y a plus que des possédants et des non-possédants, mais les uns passent dans l’autre classe et il y a une tendance sociale à la communisation des avoirs. — A. Lapeyre.


CASTRATION. n. f. Mutilation atroce qui consiste à retrancher les deux glandes qui secrètent la semence. Cette opération fut surtout répandue en Europe vers le xvie siècle. On sait que l’ablation des organes sexuels chez l’homme, lui procure une voix claire et aiguë qui peut se conserver avec l’âge, et c’est pour satisfaire aux besoins de l’église et fournir aux chapelles des papes des chanteurs à la voix de soprano, que des parents, aveuglés par un fanatisme criminel, et aussi par intérêt, n’hésitaient pas à sacrifier tout l’avenir de leurs enfants. De l’église, les castrats se répandirent dans le théâtre ; le métier fut pendant un certain laps de temps assez lucratif. Ce n’est qu’en 1851 lorsque les armées françaises occupèrent Rome que le pape Pie IX, se vit contraint de rendre un décret abolissant définitivement l’usage de la castration.

En Orient la castration se pratique encore mais sur une moins grande échelle. Elle fournit les eunuques chargés de veiller sur les harems des pachas et des sultans. Elle disparaît cependant à mesure que progresse la liberté féminine et que la civilisation abolit les préjugés qui étouffent le vieux monde.

La femme est, elle aussi, sujette à la castration, mais dans un ordre tout à fait différent. Elle ne se pratique qu’en cas de maladie. Il en est cependant qui n’hésitent pas à subir cette opération terrible et douloureuse, et se font retirer les ovaires pour ne pas avoir d’enfants. Ces cas sont tout particuliers et très rares, car la complicité d’un homme de science est indispensable, et on peut dire que de nos jours la castration ne se pratique plus que sur les animaux domestiques dont on veut éviter la reproduction.


CASUISTIQUE. n. f. La casuistique est une science religieuse, qui a la prétention de traiter des devoirs de l’homme et d’établir des règles déterminant les responsabilités dans les divers conflits d’ordre moral. Comme tout ce qui se rapporte à l’église et qui est d’essence jésuitique, la casuistique fut un moyen entre les mains des hauts dignitaires du Christianisme pour asservir le peuple, et accumuler des richesses. En opposition avec leur morale de pauvreté, de chasteté et d’abstinence, les casuistes, avides de domination, de luxure et de bien-être, accaparaient tous les biens laïques, que les peuples, par naïveté, ignorance et faiblesse, n’osaient même pas défendre. C’est vers le xviie siècle que la casuistique atteignit son apogée. À cette époque elle devint l’objet de l’aversion populaire, en raison des crimes, des exécutions accomplis en son nom au cours des cinq siècles précédents.

La casuistique, objet de discussion sur tous les conflits ou crimes d’ordre religieux, véritable code barbare dont les maximes furent soutenues et défendues par la papauté, justifia les actes les plus ignobles et les plus monstrueux. Les casuistes n’hésitèrent pas à qualifier de sages et salutaires les massacres de la Saint Barthélémy. Ce furent eux qui conseillèrent la révocation de l’Édit de Nantes.

Au sens général on fait de la casuistique, lorsque l’on parlemente à perte de vue sur des cas de conscience ou lorsque l’on se plaît à embrouiller, pour les besoins d’une mauvaise cause, un débat ou une discussion.


CATACLYSME. n. m. (du grec : kataklusmos, déluge). Au sens géologique, révolution qui bouleverse et transforme la surface du globe. Le cataclysme est un phénomène d’ordre naturel et malheureusement l’humanité ne peut rien, ou presque, pour en arrêter les effets désastreux. Chacun a encore présent à la mémoire le terrible cataclysme, qui ravagea le Japon en 1923 et qui coûta la vie à plusieurs centaines de milliers de malheureux. Les éruptions volcaniques, les inondations qui, à périodes indéterminées, viennent désoler les populations sont des cataclysmes.

Avec les progrès de la science, l’observation et l’aide d’appareils d’enregistrements ultra-sensibles les savants arrivent parfois, sinon à prévenir, du moins à prévoir un cataclysme, ce qui permet plus particulièrement pour les éruptions volcaniques d’évacuer les populations qui habitent dans les environs de la « Montagne de feu ».

Rien ne permet hélas d’espérer que la petite chose qu’est l’homme, arrivera à vaincre la puissante nature qui, détachée des faiblesses et des mesquineries humaines, poursuit son évolution en vertu des lois différentes de celles qui nous régissent.

Il semble que la brutalité de la nature ne soit pas suffisante à l’homme et que celui-ci, animé par un instinct de destruction, provoque souvent des cataclysmes ; et au sens social on peut considérer comme cataclysme toute transformation brutale de l’humanité. La guerre, erreur des sociétés modernes, est un cataclysme néfaste qui engendre cependant des cataclysmes bienfaisants. La Révolution russe de 1917 fut un cataclysme vengeur du régime d’opprobre et d’impérialisme tsariste.

La Bourgeoisie et le Capital s’écrouleront bientôt dans un formidable cataclysme.


CATÉCHISME. n. m. (du grec : Katechismos). Au sens général : instruction élémentaire d’une morale religieuse. Il serait pourtant erroné de penser que le catéchisme ne se borne qu’à l’enseignement de la foi chrétienne. Une telle définition du catéchisme serait incomplète. De nos jours où la religion chrétienne, ou plutôt les religions dites « révélées » perdent de leur influence, et sont remplacées par des religions plus modernes, le nombre des catéchismes s’est multiplié. Chaque doctrine a le sien, dans lequel on s’attache à pénétrer l’esprit de l’enfant d’une foi, qui n’admet, naturellement, ni réplique, ni analyse. Les catéchismes varient selon les besoins de la cause.

Nous savons que durant la guerre, son Éminence le Cardinal archevêque de Paris, afin de concilier ses vertus très saintes et ses devoirs patriotiques de Français n’hésita aucunement à retrancher du catéchisme chrétien ces paroles du Christ : « Tu ne tueras point ». Dans le domaine patriotique et national, le catéchisme que l’on enseigne aux enfants dans les écoles, s’applique à faire naître dans les jeunes cerveaux malléables, l’amour du pays où l’on est né et la haine de l’étranger. Il prépare moralement les boucheries futures. « Tu tueras et tu mourras pour sauver ton pays ». Ce pourrait être le frontispice du catéchisme nationaliste. Il y a également des catéchismes révolutionnaires et nous assistons malheureusement au spectacle douloureux d’hommes sincères et dévoués qui, catéchisés par des maîtres en la matière, croient fermement défendre les intérêts de la classe ouvrière, de leur classe, en s’inspirant d’un catéchisme qui n’est souvent composé que d’un tissu d’erreurs et d’aberrations. L’enseignement catéchistique est donc contraire à la science et à la logique et ne peut former, au point de vue intellectuel, que des individus aveugles et fanatisés.


CATÉGORIE. n. f. (du grec : Kategoria, attribut). Classification des objets, des idées et des individus de même espèce. La catégorie est le résultat de recherches, d’inventaires et doit frapper par sa clarté et par sa précision. Un homme et un arbre sont de catégories différentes. Pourtant les catégories peuvent, à leur tour, donner naissance à des subdivisions. De même qu’il y a plusieurs catégories dans le domaine philosophique il y en a plusieurs dans le règne végétal ou animal. Si l’on peut ranger tous les humains dans la même catégorie, relativement aux plantes, on peut ensuite classifier par couleur, par race les divers habitants de la terre et former de la sorte des catégories humaines. Il en est de même pour les animaux et les végétaux. On ne peut évidemment associer dans une même catégorie le végétal et l’animal et en conséquence il est assez facile de tracer une ligne de démarcation entre les diverses catégories.


CATHOLICISME. n. m. Voir : Religion, et aussi, Église, Jésuites, Papauté.)


CAUSALITÉ. n. f. Affirmation et notion de la cause ; vertu par laquelle une cause produit un effet. Il n’y a entre ces choses aucun rapport de causalité. Principe de causalité : Principe en vertu duquel on rattache un effet à sa cause. ― Une des catégories de Kant, comprise dans la relation. Chez la plupart des philosophes qui ont embrassé dans leurs spéculations l’ensemble de l’intelligence et qui ont construit ou tenté d’édifier un système complet, nous trouvons la catégorie de causalité. Ces catégories sont les idées nécessaires, sans lesquelles la pensée ne saurait s’exercer. La Causalité a donc toujours été considérée comme un des modes les plus importants, les plus essentiels de l’esprit.


CAUSE. n. f. (du latin : Causa). Principe d’une chose, ce qui fait qu’elle existe. Ce mot exprime une idée essentielle, une des idées fondamentales de l’esprit humain, et, par la notion qu’il représente, il appartient au langage philosophique. Une cause est tout ce qui est capable de produire un mouvement déterminé. On ne peut parler de « cause première » dans le domaine de la matière qui présente un enchaînement de causes et d’effets. Or, dans ce domaine où tout est successivement effet et cause, la cause première, si elle était, serait indépendante, absolue, donc éternelle et donnerait naissance à d’autres causes, dépendantes, relatives, ce qui est absurde. La matière présente donc l’image de l’indépendance éternelle et elle ne renferme ni cause première, ni cause finale, mais seulement des équilibrations transitoires formant les divers êtres. La matière est en éternelle transformation, allant des formes les plus illimitées aux formes les plus limitées, de corps faisant des forces, et transformant les forces en corps. Tout mouvement provoque un mouvement. Il n’y a pas de mouvement premier, il ne saurait y avoir de mouvement dernier. La « limitation » qui gênait tant les spiritualistes, et leurs principes de causalité, s’explique parfaitement aujourd’hui, grâce aux expériences de Gustave Le Bon et à son livre l’Évolution de la matière. Tous les corps se réduisent en forces identiques. Il n’y a pas de différence d’essence entre les êtres de la série, mais de forme seulement. Le cristal et la cellule sont composés de même, mais ayant une forme différente et un moyen de reproduction ainsi que d’accroissement particuliers, ils donnent naissance à des êtres apparemment opposés.


CAUSER. v. a. Être la cause de… Exemple : Ce maladroit a causé un accident.

CAUSER. Ce mot n’a aucune communauté de sens ni d’origine avec le précédent, il nous vient du latin causare qui signifiait plaider. En français, causer, c’est s’entretenir familièrement d’un objet. Il faut se garder d’employer le verbe causer pour le verbe parler. La demoiselle du téléphone commet un barbarisme quand elle dit : « Ne quittez pas : on vous cause. » Par négligence on donne quelquefois au mot causer un sens péjoratif. Exemple : « Cette femme a fait beaucoup causer » pour dire que des bruits malveillants ont circulé à son sujet. Cette négligence est admise et c’est regrettable car nous avions déjà le mot jaser qui est le péjoratif de causer. Larousse dit fort justement : « Savoir parler ce n’est que savoir parler ; savoir causer c’est savoir parler et écouter. » Donc, causer, c’est parler en gardant une disposition à écouter.


CAUSERIE. n. f. Même origine que le mot précédent. Dans la pratique la causerie est l’intermédiaire entre la conversation et la conférence. (Voir ce mot.) La conversation est généralement imprévue et improvisée et l’objet de l’entretien est souvent inattendu. Pour la causerie, au contraire, on a préalablement convenu de quoi l’on s’entretiendra. On peut donc dire que la causerie est une conférence plus intime ou destinée à des auditoires réduits à un petit nombre. La causerie comporte le plus souvent un orateur, mais celui-ci parle en s’attendant aussi à écouter, en guettant sur les visages de ses auditeurs ce qui convient à satisfaire la curiosité et les besoins de chacun. Pendant que la conférence s’adresse à l’auditoire en masse parce que la quantité d’auditeurs ne permet pas qu’il en soit autrement, la causerie permet à l’orateur et lui impose même de viser chaque auditeur individuellement ; Pendant que le conférencier parle indépendamment des auditeurs devenus anonymes par le nombre, le causeur vit avec chacun des individus de son auditoire. Le conférencier touche un plus grand nombre de personnes ; le causeur touche plus profondément chaque auditeur parce qu’il lui est moins étranger.

On commettrait une faute grave contre ce merveilleux moyen qu’est le verbe en supposant la préparation d’une causerie moins nécessaire que celle d’une conférence : le causeur peut et doit se permettre un langage plus simple, de façon à se confondre le plus possible avec son auditoire ; mais c’est précisément parce que des interruptions peuvent se produire, sollicitant une précision, un éclaircissement, un complément d’explication, que le causeur devra s’être plus solidement préparé. La causerie est la forme oratoire la plus exigeante ; car, en même temps qu’elle impose à l’orateur une connaissance profonde du sujet, une préparation solide du discours, elle exige le don d’improvisation : l’orateur doit se tenir prêt à répondre brièvement et clairement à toute question et ramener habilement au sujet son auditoire qui, sans cela, se livrerait aux plus folles digressions.

Tout en étant intime, voire familier, le causeur doit demeurer courtois, affable et même respectueux.



La causerie fut un art très athénien ; outre que le philosophe grec enseignait, sous forme de causeries faites non à ses disciples, mais avec ses disciples, dans l’antique Athènes les hommes allaient volontiers chez le barbier parce que l’on y causait. La causerie est devenue un art très français parce que le Français est né causeur ; mais il ne faudrait pas croire que la causerie n’exerce sa séduction qu’en France : la vérité est que la langue française, par ses finesses et ses subtilités, donne à la causerie toute la valeur de son charme ; mais les Français qui ont voyagé savent que, dans tous les pays du monde, la causerie demeure le meilleur moyen d’expansion des idées.

Pour nous en tenir à notre définition, il faut considérer que c’est aux environs de 1610, en l’hôtel de Rambouillet, que naquit la causerie française. On ne peut considérer comme causeries les controverses religieuses qui les auraient devancées ; car, orateurs papistes et réformistes faisaient des conférences contradictoires et non des causeries. C’est la jeune marquise de Rambouillet qui, peu après sa vingtième année, provoqua la formation et l’évolution des causeries. Instruite, intelligente et sociable, elle avait réuni dans son hôtel de Rambouillet les esprits les plus cultivés de son temps : Voiture, Vaugelas, Condé, Mme de Longueville, Mme de Scudery, Benserade, Corneille, La Rochefoucauld, tant d’autres encore. Il est fort probable que de tous les personnages illustres qui fréquentèrent chez Julie (Julie d’Angennes, marquise de Rambouillet), c’est Vaugelas qui fut le plus « causeur » au sens que nous donnons ici à ce mot. Mais les bonnes et précieuses leçons de syntaxe qu’il donna aux familiers de la maison firent commettre à certains de ridicules exagérations dans les soins donnés au « bien parler » et ces exagérateurs des préceptes du grammairien Vaugelas reçurent l’épithète de « précieux » et « précieuses ». Molière ne les épargna point, il fut même dur pour l’Abbé Cotin dont il fit le Trissotin des Femmes Savantes, ce qui est injuste car Charles Cotin était non seulement latiniste mais aussi helléniste et hébraïste ; c’était donc un savant lettré.

Les causeries de l’hôtel de Rambouillet avaient certainement débuté sous la forme de verbiages littéraires, par la suite on causa philosophie, arts, sciences. Molière nous montre, surtout dans Les Femmes Savantes et dans Les Précieuses Ridicules, les petits côtés des effets de ces causeries. Julie d’Angennes semble aussi être la créatrice de ce qui fut appelé « faire ruelle ». On nommait alors ruelle la partie de la chambre où se trouvait le lit. Nous dirions aujourd’hui l’alcôve. La marquise recevait au lit et aussi pendant que ses caméristes procédaient à sa toilette compliquée, des courtisans qui, pour lui plaire, poussaient la conversation sur son terrain favori. Ces « ruelles » devinrent aussi des causeries, littéraires le plus souvent. Selon que la dame qui recevait était insignifiante et superficielle ou cultivée et d’esprit élevé, les visiteurs étaient des lettrés et philosophes ou des oisifs. Dans ce dernier cas, la causerie déviait de la littérature au sentiment, sentimentalisme plutôt, et fats et faquins discutaient sur la fameuse « carte du Tendre ». Dans l’autre cas, les visiteurs étaient des érudits et des penseurs ; de la littérature on passait à la philosophie et les causeries philosophiques s’orientèrent rapidement vers la politique et s’attaquèrent à l’astucieux et puissant Mazarin. C’est dans les salons, ruelles et embrasures de fenêtres que naquirent les deux Frondes (1648-1649 et 1649-1653) où nous retrouvons Broussel, Condé, Beaufort. Madame de Longueville fut célèbre parmi les jolies frondeuses.

L’Académie Française elle-même est née de causeries et, en dépit de la légende, Richelieu n’en fut pas le fondateur : elle existait de fait quand il s’en empara. En 1629, Chapelain, Godeau, Gombault, Giry, Habert, l’abbé, de Cérisy, Malleville et Cérisay, prirent l’habitude de se réunir chez leur ami Valentin Conrard pour s’entretenir des travaux qu’ils préparaient. Le cardinal de Richelieu, ayant appris l’existence de ces causeries, proposa aux causeurs de former une compagnie. L’Académie était née, car Chapelain fit prudemment remarquer à ses compagnons qu’il était sage de ne pas déplaire au Cardinal. La signature royale consacra l’existence de l’Académie Française, le 29 janvier 1635. Mais un siècle plus tard, les causeries prendront une ampleur féconde et prépareront la révolution, parce que, dans les « salons où l’on cause » auront fréquenté les encyclopédistes. Qui sont ces encyclopédistes dont le verbe préparera la chute du trône le plus élevé d’Europe ? Diderot, d’Alembert, l’abbé de Prades, Voltaire, Helvétius, le chevalier de Jaucourt, l’abbé de Condillac, Rousseau, l’abbé Morellet, d’Holbach, l’abbé Raynal. Où se réunissaient-ils ? — Dans les salons de quelques grandes dames. Ces cénacles étaient très organisés, voire disciplinés : chaque maîtresse de maison avait son jour et chaque jour avait sa matière. Chez Mme de Tencin, le lundi on causait, arts, le mercredi lettres. Chez Mme Helvétius, le mardi, on causait sciences, philosophie, sociologie ; mais abrégeons en nommant les dames qui tinrent les salons les plus célèbres, c’est-à-dire qui présidèrent aux causeries les plus retentissantes : Mme de Longueville, Mme Geoffrin, Mme du Deffand, Mlle de Lespinasse, Mme Necker… Il y a danger d’être injuste quand on cite des noms : nous allions oublier Marmontel dont les causeries eurent leur part d’influence. Mme Marmontel aussi tenait salon. Acceptons d’être incomplet et, pour cette époque, résumons : elle fut fertile en causeries fécondes.

Nous avons fini pour l’époque, mais à côté de l’époque, dans ce temps-là, dans un coin de province, sous une tonnelle de rosés, dans le jardin d’un estaminet de la banlieue d’Arras, des causeurs se réunissaient et fondaient une société. L’objet de leurs causeries était la poésie ; le nom de leur société, emprunté à la tonnelle, était les Rosati. Ces jeunes poètes amateurs étaient avocats, officiers, bourgeois ; les noms des causeurs : Joseph Le Guay, Lazare Carnot, Maximilien Robespierre !

Les grandes favorites organisèrent aussi des causeries ; la marquise de Pompadour, alias la fille Poisson, sut en tirer parti de façon remarquable. Pendant la période révolutionnaire tout prend des proportions si grandes que la causerie fait place à la conférence. Elle ne meurt pas tout à fait et Joséphine de Beauharnais en est une preuve. Plus tard, quand Bonaparte la délaisse pour sa maîtresse : la gloire, elle réunît les beaux esprits et la causerie survit dans son salon, mais pour ne renaître réellement qu’en la deuxième partie du siècle.

On fait un abus du mot causerie jusqu’à s’en servir pour désigner une conférence, un cours, voire un article de journal. Les causeries de Sainte-Beuve ne sont autre chose que des cours. Il en est de même de ce qu’à tort encore on a nommé les causeries d’Edmond About. Par contre, quelques conférences de La Bodinière (oh ! très peu !) furent de réelles causeries. La plupart des conférences et des cours des Universités Populaires furent aussi des causeries. Les clubs actuels : Faubourg, Tribune des Femmes, Insurgés, etc., ne sont pas des milieux où l’on cause. Nous les retrouverons à l’article Conférence.

Nous devons, à ce propos, mettre en garde nos groupements d’étude et de propagande et leur recommander d’apprendre à discerner les qualités de leurs orateurs pour confier les causeries aux causeurs et les conférences aux conférenciers ; il est exceptionnel que le même homme réunisse les qualités des deux emplois. Encore une recommandation d’ordre pratique : si le causeur doit posséder de solides qualités, les auditeurs doivent s’imposer une certaine discipline à cause du danger de la digression et de la confusion. Il ne faut pas que, sous prétexte de la liberté d’interpeller l’orateur, tout le monde parle à la fois. La grande qualité de l’auditeur de causerie doit être la discrétion. Les auditoires de causeries se recrutent parmi l’élite des auditoires de conférences. — Raoul Odin.


CAUSTICITÉ. n. f. Substantif qui sert à désigner une nature acerbe, mordante, satirique, et le plaisir qu’éprouvent certains individus à poursuivre un adversaire, par l’invective et l’ironie. La causticité est un état maladif et dénote un caractère hargneux, méchant ; elle est plus brutale que la satire, et plus dangereuse ; elle est aussi moins spirituelle. Il faut se méfier et s’éloigner des esprits caustiques.


CAUTELEUX. adj. Qui use de ruse, de finesse, pour arriver à ses fins. Se dit d’un individu sournois et plat, dénué de franchise et ne prenant que des chemins détournés pour atteindre le but qu’il se propose. Un homme cauteleux n’hésite pas à tromper ses semblables, si son intérêt l’exige. « Des mains cauteleuses ont su la diriger vers un autre but. » (Mirabeau.)


CÉLÉBRITÉ. n. f. Ce qui est connu du grand public, qui a de la réputation. La célébrité d’un savant, la célébrité d’un roman, la célébrité d’un bandit. Il y a une nuance entre la célébrité et la gloire et il ne faut pas confondre l’une avec l’autre. On peut devenir célèbre en accomplissant une mauvaise action de grande envergure. Un grand criminel, un grand général qui fit massacrer des millions d’individus sur les champs de bataille, peuvent devenir célèbres ; mais ils ne seront jamais glorieux qu’aux yeux des populations serviles, nationalistes et patriotes. Les terribles « Chauffeurs de la Drôme » furent célèbres. Le nom de Poincaré est célèbre ; celui de Pasteur est entouré d’une auréole de gloire incontestable.

En notre siècle de mercantilisme où tout se négocie, la célébrité s’acquiert avec de l’argent. De la publicité autour du nom d’un mauvais romancier, et le voici devenu célèbre. De grands savants, des bienfaiteurs de l’humanité resteront obscurément abandonnés durant toute leur existence, tandis que des charlatans, grâce au bruit fait autour d’eux, seront universellement connus et fêtés. Un homme célèbre n’est donc pas obligatoirement un grand homme et c’est avec raison que Mme Necker a dit : « Il y a des célébrités factices auxquelles on travaille toute sa vie et qui finissent à la mort. Il y a des célébrités qui commencent au tombeau et ne finissent plus. »


CÉLIBAT. n. m. Est considérée de par la loi comme célibataire toute personne d’âge nubile et qui n’a pas été mariée légalement, alors même qu’elle vivrait en ménage depuis des années sous le régime de l’union libre, et posséderait une nombreuse progéniture.

Pour ceux qui n’attachent point à la célébration du mariage officiel une importance capitale, et ne la considèrent que comme une concession à certaines nécessités de la vie sociale présente, le célibat est l’état des hommes, ou des femmes, qui, soit volontairement, soit par suite de circonstances fâcheuses, vivent dans l’isolement sexuel, au lieu de faire association, avec une ou plusieurs personnes de leur choix, dans une existence commune durable, en vue de l’amour et de la procréation.

Dans les sociétés antiques le célibat était flétri par l’opinion publique comme une situation anormale, non sans quelque raison d’ailleurs. Car ceux qui, ayant reçu la vie, refusent de la donner, et répugnent à l’union conjugale, sont, du point de vue de l’espèce, comparables à des fruits secs ou à des arbres morts.

Mais la tendance naturelle de persistance et d’accroissement de l’espèce n’est pas seule à considérer en cette matière. Non soumise au contrôle du savoir et de la raison, elle aboutit au surnombre et à son élimination inévitable par la famine ou le massacre. Elle donne lieu aussi à d’imparfaites sélections, par le moyen barbare de compétitions brutales.

Le rôle des humains éclairés est, en matière de reproduction, de prévenir à toute époque, par la procréation limitée aux moyens de subsistance acquis, les luttes meurtrières résultant du surnombre. C’est aussi de substituer, à l’insuffisance et à la cruauté de la sélection établie sur le triomphe des plus aptes, les procédés non douloureux de la sélection rationnelle, basée sur l’observation scientifique, et qui consistent, tant en un choix judicieux des types humains les plus capables de contribuer à l’embellissement de l’espèce, qu’en une mise à l’écart, par la stérilité volontaire, des éléments disgracieux, morbides ou gravement tarés.

Le célibat, considéré comme renoncement à l’union sexuelle en vue de la procréation, ne peut donc être apprécié comme une, faute vis-à-vis du genre humain que lorsqu’il s’agit d’êtres qui, par leur beauté et leur santé, leurs brillantes qualités morales ou intellectuelles, auraient pu donner au monde une heureuse descendance, et s’y refusent, pour le plus grand profit de la multiplication des médiocres ou des infirmes.

Le célibat ainsi considéré, lorsqu’il est dicté par la conscience de l’inaptitude à une saine procréation, est un sacrifice à l’intérêt social, d’autant plus digne de louange, qu’il peut être à certains fort pénible de s’y résoudre.

Il est des circonstances où le célibat ainsi compris trouve encore et tout autant sa justification. Lorsqu’il s’agit de personnes dont le caractère est impropre à l’existence permanente en commun, et qui ne pourraient que s’y trouver malheureuses, tout en rendant pénible à autrui leur présence. Lorsqu’il s’agit, en outre, d’hommes ou de femmes qui se proposent un apostolat rendu dangereux par les conditions de la vie sociale actuelle.

On peut, en effet, être doué de très sérieuses qualités mais, pour l’étude, la méditation, ou le travail, avoir besoin d’un isolement tel qu’il est peu compatible avec les nécessaires concessions, et les petits tracas journaliers de l’existence en famille. C’est le cas de beaucoup de savants, d’artistes et d’écrivains, aventureux et instables par tempérament, ou bien hypnotisés par leur labeur.

Il est à considérer, d’autre part, que notre conduite, à l’égard de ceux que nous aimons, doit s’inspirer logiquement de la situation dans laquelle ils se trouvent, et non de celle qui pourrait leur être faite dans : une toute autre organisation sociale.

Or, il est présentement impossible de compter sur la société pour élever de façon convenable des enfants, en l’absence de leur père et surtout de leur mère. Et, pour ce qui est des jeunes filles et des femmes, elles sont, pour la plupart, dans l’incapacité de se suffire à elles-mêmes par leur travail. Qu’elles aiment avec sincérité, ou qu’elles n’aiment point, presque toutes sont dans la nécessité de compter, pour vivre sans trop de misères, sur l’appui de l’homme qui les invite à partager son foyer, légalement ou non.

Si donc nous conservons tous, à chaque moment, le droit d’encourir, pour une noble cause, l’extrême dénuement, la prison et la mort, ceci devient beaucoup plus contestable lorsqu’il est question d’entraîner à notre suite, dans de terribles épreuves, des êtres qui, dépendent de nous, que nous avons appelés à la vie, ou auxquels nous avons promis le bonheur, et qui n’ont peut-être ni la ferveur de notre vocation, ni la force de notre résistance.

Avant de se résoudre à quelque héroïque sacrifice, un homme consciencieux et bon, une mère au cœur tendre, songeront toujours à assurer pour le moins la sécurité de ceux qui, demain peut-être, seront à l’abandon. On ne s’appartient plus entièrement lorsqu’on a pris charge d’âmes. Et c’est pourquoi ceux qui rêvent à de grandes actions pleines de périls feraient-ils bien de se résigner à la solitude, et à n’avoir que de stériles amours. — Jean Marestan.

CÉLIBAT. S’il était une « Vérité », elle serait anarchiste ; et l’on pourrait affirmer a priori que, ce qui nuit à l’État favorisant l’anarchie, l’idéal, résiderait dans le célibat, c’est-à-dire le défaut d’union légale ou non, entre l’homme et la femme. Mais les libertaires n’admettent rien sans discussion et confrontent sans cesse les faits avec les principes.

Dans tous les temps et dans maints pays, les gouvernements ont sévi contre le célibat et infligé des amendes aux réfractaires au joug conjugal. Autrefois les Grecs et les Romains considéraient que l’absence de famille et de progéniture portait atteinte au culte des aïeux, menacé de s’éteindre faute de postérité déférente, et à la prospérité de l’État, compromise par la diminution des effectifs militaires et de la masse taillable et corvéable à merci.

Les monarchies et républiques contemporaines, la France entre autres, suivent la même ligne de conduite et frappent d’une peine pécuniaire leurs ressortissants non mariés. Cependant les motifs ne sont pas tout à fait les mêmes ; le culte des dieux lares, la nécessité de perpétuer le foyer ancestral n’inquiètent guère le législateur moderne, plus prosaïque, surtout soucieux de remplir son coffre-fort et de pourvoir les casernes de chair à canon. L’État n’exige ni encens, ni prières, mais de l’argent pour alimenter ses privilèges et des soldats pour les défendre.

A la réflexion, la loi contre le célibat se montre arbitraire et particulièrement odieuse de nos jours. Car, maintenant, bien des gens ne se marient pas par impossibilité de fait et non par aversion pour le mariage ; ils voudraient, ne trouvent pas, ne peuvent pas. Depuis que, dans une crise de stupide fureur anti-populaire, les gouvernements ont volontairement déchaîné la guerre et fusillé par millions leurs sujets mâles, beaucoup de femmes soupirent en vain après une union légale. Les maîtres perçoivent un impôt sur les défaillants à un hymen impossible, mais oublient hypocritement d’autoriser la polygamie et de l’encourager par des exonérations fiscales. Ils veulent des enfants légitimes ou illégitimes, mais sans les payer.

Suivant en apparence une autre voie que les puissances temporelles, le christianisme, à son origine, marqua à ses adeptes son éloignement pour le mariage où il voyait une atteinte dangereuse au culte exclusif de Dieu. « Celui qui n’est point marié s’occupe des choses du Seigneur, cherchant à plaire au Seigneur, mais celui qui est marié s’occupe des choses du monde, cherchant à plaire à sa femme (St-Paul, « 1re Épître aux Corinthiens » ) ». C’est que, au début, la religion nouvelle était surtout une morale, une discipline de perfectionnement intérieur, ne visait pas à la domination matérielle, ne prévoyait ni finances ni armée. Malgré les séductions de la vertu, les premiers catéchumènes ne purent se résoudre à la continence ; les prêtres et évêques eux-mêmes continuèrent à vivre en union légitime ou en concubinage jusqu’au xie siècle, où, par la force, le pape Grégoire VII imposa, le célibat aux ecclésiastiques, en invoquant que « l’Église ne peut se libérer de la domination des laïques si les clercs ne se délivrent pas de leurs épouses ». L’humble christianisme primitif, devenu le catholicisme triomphant, ambitionnait le pouvoir intégral, la primauté universelle. Afin de l’obtenir, il décrétait la chasteté pour son clergé militant auquel la pureté assurerait vigueur physique et force morale ; mais il préconisait les conjonctions prolifiques pour les simples fidèles dont la masse grandissante apporterait un copieux tribut. Et aujourd’hui on voit les prêtres de toutes les confessions se faire les complices des gouvernements meurtriers et pousser leurs ouailles à repeupler à outrance les champs de bataille.

A la fin de sa pièce « L’Ennemi du Peuple », Ibsen, conclut : « L’homme vraiment puissant est l’homme seul ». Il signifiait par là que société, parents, amis, influencent et diminuent la personnalité de l’individu, l’entravent dans son développement propre ; la vie sociale et familiale oblige à des concessions constantes, souvent si étendues qu’elles entraînent le caractère le plus droit à s’exprimer et à agir contre son sentiment, contre sa volonté. Le grand dramaturge voyait juste ; chaque jour permet de vérifier comment le souci de ménager l’opinion publique, la crainte de nuire aux intérêts des siens, le désir d’éviter de la douleur aux êtres aimés, amènent le militant le mieux doué à de puériles capitulations, à de tristes renoncements, à de funestes défaillances, parfois à l’avilissement et la trahison. L’homme réellement libre, l’homme véritablement fort, c’est l’homme seul. Mais à quoi lui servirait sa liberté s’il ne pouvait l’aliéner au service des esclaves incapables de se libérer seuls ? Quel usage ferait-il de sa puissance, s’il ne l’exerçait pour le bonheur de ceux à qui leur faiblesse ne permet pas de vivre seuls ? Au contact de la société, dans la famille, ce surhomme devient un être humain, simplement. Que le plus pur des anarchistes lui jette la première pierre, s’il l’ose !

Il n’y a pas sur un arbre deux feuilles pareilles, ni dans le monde deux personnes identiques. Pure chimère que la recherche d’un autre soi-même pensant et agissant dans une étroite communion, sous une impulsion analogue. Néanmoins cette recherche devient passionnante parce qu’elle conduit à d’étonnantes découvertes. En un perpétuel et stérile narcissisme, l’homme se poursuit en vain dans le regard de ses semblables ; il saisit dans le miroir des yeux une vivante et singulière lueur et non un pâle reflet, une fière solitude et non une banale sujétion. Nul ne rencontre l’âme-sœur, ni la femme faite à son image. Chaque être reste seul, éternellement. Unir deux solitudes, c’est créer de la douleur, et aussi des joies. La souffrance, plus que l’amour, anime l’esprit, élève la pensée, exalte le poète ; ou plutôt l’amour est souffrance. Et l’homme ne peut échapper à l’amour.

Comment le solitaire, l’anarchiste aura-t-il l’amour ? Tout dans la nature, végétaux et animaux, se pare pour la recherche sexuelle, fleurit, embaume, roucoule, fait la roue, courtise. La véritable possession ne réside pas en un viol, , mais en un choix, parfois rapide, parfois différé, toujours consenti. Il y a consentement, il y a union : passagère, temporaire, durable ou définitive. L’amour n’existe pas sans union. Peut-être dans la vie des troupeaux, la fécondation se fait-elle d’autorité, sans dilection ? Apparence ; l’union devient plurale, persiste sous la superficielle passivité. D’ailleurs le libertaire se targue de ne pas vivre selon le monde grégaire. Ni chef, ni sujet. En amour, il ne prend, ni n’impose ; n’achète, ni ne se vend ; ne débauche, ni ne se prostitue. Il demande et il s’offre. Il ne fornique pas, il aime. Aimer c’est unir deux corps, deux tendresses, deux souffles, deux existences. Union d’un jour, union d’un, an, union à vie ? Nul ne sait dès l’abord combien resteront unis ceux qui se sont joints une fois ; ni si leurs affinités et leurs dissemblances ne les sépareront pas, ou si elles les fixeront.

Pour échapper à l’étreinte de deux bras blancs, à l’emprise d’un regard énigmatique et charmeur, pour s’assurer un destin libre de toute contrainte morale et affermi contre la moindre compromission, l’anarchiste, le militant, l’apôtre se dévouera au célibat absolu, à la continence complète. Il ne connaîtra ni épouse, ni compagne, ni camarade, ni passante, nulle femme. Ses nuits seront sans caresses, ses jours sans abandons. Il ira beau, puissant, sublime, mais seul. Bien peu changeront la faiblesse de leur union contre la force de cette solitude. — Dr Elosu.


CELLULE. n. f. (lat. Cellula). Petite chambre d’un religieux ou d’une religieuse. — Petite chambre dans la prison, où le détenu vit seul, et qui est disposée de manière à empêcher toute communication avec les autres prisonniers. Les prisons modernes se font toutes avec des cellules. — Par analogie : Petite alvéole où l’abeille, dépose son miel et son couvain. Les cellules de même espèce se ressemblent entre elles et offrent une régularité frappante ; elles sont toutes de forme hexagone. — La cellule est une masse de matière vivante ou protoplasme, limitée par une membrane et ayant une sorte d’indépendance, une vie propre, assimilant et désassimilant pour son compte. Quand elle est complète, elle renferme un autre élément cellulaire plus petit, un noyau, où l’activité vivante de la cellule atteint ordinairement son maximum de puissance. En. outre, il arrive souvent, surtout chez les végétaux, que la surface extérieure du corpuscule cellulaire se durcit ; cette surface durcie constitue alors ce qu’on appelle la membrane cellulaire.

La cellule peut affecter diverses formes, elle peut être globulaire, conique, étoilée, etc…, mais les lignes qui la limitent sont des lignes courbes. Or, lorsque les minéraux sont constitués d’éléments de structure bien définie, ces éléments qu’on appelle cristaux sont toujours terminés par des lignes droites.

La cellule emprunte continuellement au milieu extérieur les substances qui lui sont nécessaires ; ces substances pénètrent dans le protoplasme (matière vivante) à travers la membrane et en assurent l’accroissement. Toutes les cellules constituant une plante ou un animal se comportent de la même manière, l’être vivant subit le même mode d’accroissement. Les êtres vivants s’accroissent par pénétration ou intussusception, c’est ce qu’on a appelé le phénomène de l’osmose. Tout être vivant emprunte constamment au milieu extérieur les substances nutritives et lui restitue constamment les déchets.

Certaines conditions sont indispensables à la vie. Le milieu doit fournir au protoplasme : 1° de l’eau ; 2° de l’oxygène ; 3° de la chaleur. Tout être vivant, naît, grandit, se reproduit, atteint son développement maximum, perd de son énergie et meurt. Tout être vivant descend d’un être auquel il ressemble : la cellule, vient d’une cellule, la souris d’une souris, etc…

Lorsqu’une cellule a atteint les dimensions qu’elle ne peut dépasser, elle se segmente et donne naissance à deux autres cellules. Celles-ci, à leur tour, vont grandir et donner naissance à deux nouvelles cellules, et ainsi de suite. Si en se divisant, une cellule donne naissance à deux cellules, qui, au lieu de vivre isolées, restent attachées, nous assistons à la constitution, non plus d’un être unicellulaire ou protozoaire, mais d’un être pluricellulaire ou métazoaire. Les cellules d’un être métazoaire se disposent d’une certaine façon qui leur est imposée par les lois physiques et les conditions spéciales du milieu dans lequel elles se développent. D’après les places qu’elles occupent, elles subissent des influences différentes auxquelles elles réagissent, de sorte que la forme des cellules d’un être métazoaire peut varier dans le même être d’un endroit à l’autre ; certains groupes de cellules s’adaptent à remplir certaines fonctions, d’autres groupes s’adaptent à d’autres fonctions ; ces groupements de cellules deviennent des organismes.


CENSURE. n. f (du latin : Censura). Droit de suspension, d’interdiction, d’examen, sur les écrits, les journaux, les livres, les pièces de théâtre, préalablement à leur publication ou à leur présentation.

La censure est une très vieille institution et était considérée comme un des premiers ordres de la magistrature chez les Romains. Son rôle avoué était de corriger les abus que la loi n’avait pas prévus ; son rôle réel — comme de nos jours du reste — était d’étouffer les protestations des adversaires du pouvoir.

En France, la censure subsiste toujours bien qu’elle ait été légalement brisée en 1791, puis rétablie à plusieurs reprises ; mais elle ne s’exerce préventivement que durant les périodes de trouble. Pendant la dernière guerre, la censure permit aux gouvernements du monde de poursuivre la boucherie, tout écrit devant être soumis à son autorité pour obtenir l’autorisation d’être publié. La suppression de la censure préventive n’implique pas la liberté d’écrire ou de penser, et ceux qui se permettent, en France, comme dans les autres pays, de s’attaquer aux institutions établies, en vertu de principes jugés subversifs par les lois bourgeoises, sont victimes de la répression. Ce n’est par conséquent qu’une question de mesure, et lorsque les gouvernants des États bourgeois considèrent qu’il est de leur intérêt de supprimer totalement la liberté de la presse, ils n’hésitent jamais à ressusciter la censure préalable. C’est donc le principe même de la censure qu’il faut combattre, car elle est un abus dont usent les maîtres du pouvoir pour emprisonner la pensée, et écraser toute liberté individuelle ou collective.


CENTRALISME. n. m. Deux méthodes ont toujours lutté l’une contre l’autre, au sein des sociétés ; c’est la méthode autoritaire, qui veut tout rassembler sous la direction d’une personne, d’une coterie ou d’une caste, laquelle inévitablement s’en sert pour ses intérêts particuliers contre l’intérêt général ; et c’est la méthode libertaire, qui veut au contraire que chaque être humain soit son propre maître, s’associe ou se sépare librement de sorte que, aucune contrainte n’existant, l’exploitation et la tyrannie disparaissent. Autorité et liberté sont les deux pôles d’attraction opposés : autorité préconisée par les maîtres du jour ou les maîtres de demain (en état d’opposition provisoire seulement) ; liberté, préconisée par les exploités désireux de s’émanciper, les révoltés de toutes les époques et de toutes les régions.

À ces deux mots d’autorité et de liberté correspondent exactement ceux de centralisme et de décentralisme : fédéralisme ou libre-associationnisme. Indistinctement, et quelle que soient leur étiquette ou leur couleur, tous les partisans du pouvoir sont pour la centralisation. Tout centraliser, tout ramener à un centre directeur, est la théorie chère à ceux qui sont ou veulent être les maîtres. Les théories centralistes sont toutes basées sur la même affirmation : « l’incapacité du peuple à s’administrer librement, autrement dit sa bêtise, donc la nécessité de le faire diriger par des hommes supérieurs. » Et elles aboutissent toutes au même résultat : la constitution d’une caste, d’une aristocratie ; hier, les nobles, aujourd’hui les bourgeois, demain peut-être les soi-disant intellectuels et les fonctionnaires, qui commencent à s’assurer une existence confortable par la consolidation des privilèges acquis ou l’instauration des privilèges nouveaux. Le centralisme aboutit inévitablement au parasitisme, à la contrainte, à l’inégalité, à l’injustice. D’ailleurs, en enlevant aux intéressés, aux dirigés, les moyens de s’administrer par eux-mêmes, il entretient soigneusement l’infériorité apparente ou réelle des administrés. Ceux que la centralisation place à la tête des organismes sociaux sont d’ailleurs des humains comme les autres, ni plus ni moins compétents et moraux. L’exercice de l’autorité leur crée une mentalité spéciale et des désirs de jouissance vaniteuse qui sont des maux redoutables dans une organisation sociale.

Le centralisme n’a jamais résolu aucun des problèmes posés devant l’espèce humaine, ou, s’il les a résolus, ce fut toujours au détriment des masses, au profit des détenteurs du pouvoir. La seule utilité arguée en faveur du centralisme est celle des bienfaits de la coordination dans les efforts humains. Mais par le fait qu’il aboutit à l’autorité, il provoque presque toujours le contraire ; l’ambition, la haine, la division, les déchirements entre les aspirants au gouvernail, et l’écrasement des couches sociales inférieures. Or, cette coordination peut s’obtenir, aisément et sans risques de tels maux, par la libre fédération des individus et des groupements. Le fédéralisme s’oppose pratiquement au centralisme. En laissant à chacun la liberté dans sa propre association, et la liberté des groupements au sein de fédérations plus vastes, il parvient à l’équilibre raisonné, à l’harmonie, sans laisser prise aux méfaits et aux conséquences néfastes du centralisme autoritaire. Il laisse la faculté aux initiatives isolées ou groupées de se développer ; et par là les stimule ; il ne permet point la contrainte ni l’exploitation ; il est donc l’expression même, du point de vue pratique, de la lutte pour l’émancipation. Le centralisme politique a conduit à des tyrannies abominables et à des guerres sanglantes. Le centralisme économique, qui a son expression dans les cartels et trusts capitalistes, vise à asservir matériellement l’humanité. Quant aux doctrines socialistes ou communistes, rêvant d’un centralisme intégral, d’une dictature, elles sont condamnées par l’expérience que les milliers d’observations ont consommée ; elles ne peuvent aboutir qu’à une tyrannie nouvelle, valant l’ancienne. Les peuples révoltés et conscients se débarrasseront de l’autorité et du centralisme, sa forme d’organisation. — Georges Bastien.


CERVEAU. n. m. La célèbre proposition de Carl Vogt : « Le cerveau secrète la pensée comme le rein secrète l’urine », soulève à peine aujourd’hui la surprise par la trivialité de sa comparaison et de fortes réserves sur son exactitude physiologique. Naguère, il y a quelque cinquante ans, elle provoqua un véritable scandale et ameuta la science officielle contre son auteur. Si l’on tenait pour à peu près indiscutable que le cerveau fût le siège, le substratum, le soutien de la pensée, il apparaissait sacrilège d’attribuer à cet organe matériel l’élaboration de principes subtils et immatériels comme l’intelligence, l’esprit, l’âme. Les animaux ont un système cérébro-spinal parfois très développé et cependant ne possèdent pas cette faculté d’abstraction, d’évocation, de création, que Dieu a réservée à son œuvre de prédilection, l’homme. L’âme émanait du souffle divin.

Un illustre parrainage couvrait les pontifes du xixe siècle ; et, longtemps avant eux, un des plus grands philosophes de l’antiquité, Aristote, allait jusqu’à renier au cerveau tout rôle dans la vie intellectuelle, plaçait dans le cœur le centre de la pensée ! La doctrine aristotélicienne, si puissante au moyen-âge, paralysa presque entièrement l’esprit de recherche et le goût de l’expérimentation ; on croyait à la parole du maître. Pourtant, Galien reconnut les principales fonctions cérébrales, et Hérophile et Erasistrate, de l’École d’Alexandrie, les avaient étudiées « sur des condamnés à mort qu’ils ouvraient tout vivants pendant qu’ils respiraient encore. (Celse, cité par Lhermitte). »

En réaction contre l’enseignement d’Aristote, Descartes soutint la conception mécaniste de la physiologie humaine, l’appliqua au système nerveux, établit le premier la réalité de l’arc réflexe et localisa l’âme dans la glande pinéale. Puis Willis, et ensuite Gall et Spurzheim étudièrent la structure de la matière cérébrale, précisèrent son agencement et sa répartition, tentèrent les premières localisations fonctionnelles que les savants contemporains ont enfin déterminées.

Dès lors quelles sont, à l’heure actuelle, les connaissances les plus précises, les plus valables concernant le système nerveux ? Et les conditions aujourd’hui connues de son fonctionnement permettent-elles de le regarder comme une manifestation étroitement spécialisée des phénomènes physico-chimiques qui dominent toute la biologie ?

L’anatomie macroscopique, l’exploration à l’œil nu font pressentir du premier coup la haute noblesse, la puissante différenciation de l’axe cérébro-spinal. Chez l’homme, le cerveau se présente comme l’organe le plus volumineux, après le foie, et le plus riche en vaisseaux sanguins. Son poids atteint la cinquantième partie de celui du corps entier. Chez les individus et dans les races, son développement, ainsi que celui des circonvolutions dont il est sculpté, répondent au degré d’évolution intellectuelle : plus grands dans les hommes et les groupes ethniques et d’éducation supérieure ; moindres chez les ignorants et les peuplades arriérées. Dans la série animale, la même gradation marque le passage d’une classe à l’autre, d’un embranchement inférieur à un supérieur. Le poids relatif du cerveau va du cinquantième chez l’homme au cinq centième chez l’éléphant ; au trois millième chez la baleine. L’indice pondéral, calculé sur 10.000, monte de 1,8 chez les poissons, à 7,8 chez les reptiles ; 42,2 chez les oiseaux ; 53,8 chez les mammifères ; 277,8 chez l’homme. L’observateur libertaire verra là une nouvelle confirmation de cette loi d’ontogenèse générale : la fonction modelant l’organe. Et, en regard, combien s’avère encore une fois puérile et inféconde la conception théologique d’un Créateur façonnant les êtres selon les caprices de sa bonne ou de sa mauvaise humeur !

La section longitudinale ou transversale du cerveau le révèle composé d’une masse molle, où l’œil distingue déjà une substance grise et une substance blanche non mélangées au hasard d’une mosaïque irrégulière mais disposées en conglomérats de forme et de volume bien tranchés, dont la configuration générale se retrouve à peu près identique chez tous les animaux suffisamment évolués. Ainsi, la partie la plus externe du cerveau est formée par une couche régulière et continue de substance grise appelée « manteau », « pallium » ou « écorce ». Des ilots ou bandes de substance blanche séparent le pallium de noyaux de substance grise situés à la base du cerveau et dont les plus importants sont la « couche optique » ou « thalamus », le « corps strié » ou « noyau caudé », le « bulbe olfactif ». L’étendue et l’épaisseur du manteau croissent au fur et à mesure qu’on s’élève sur l’échelle zoologique : chez l’amphibie, la pallium est plus petit que le corps strié, tandis que chez l’homme l’écorce comporte une masse bien supérieure aux autres formations grises qu’elle recouvre d’ailleurs presque complètement. À l’opposite, le bulbe olfactif, si développé chez les reptiles, subit une régression marquée chez les mammifères et surtout, parmi ceux-ci, chez les Primates.

Grâce à l’histologie, ou anatomie microscopique, il a été possible de pénétrer la structure intime du système cérébro-spinal, formé presque en entier par deux éléments très caractéristiques et tout à fait particuliers : la cellule nerveuse ou « neurone » et la fibre nerveuse. ― Au nombre de près d’un milliard rien que dans l’écorce grise, les neurones présentent une texture spécifique adéquate à leur fonction différenciée dans l’organisme, et leur protoplasma renferme des formations qui leur sont propres : neuro-fibrilles, canaux de Holmgren-Golgi, pigment ocre ; corpuscules chromophiles. Leur taille varie de cinquante millièmes de millimètre à cent quarante millièmes de millimètre (moelle de bœuf) ; ces dernières sont visibles à l’œil nu. ― Enfin, caractère hautement distinctif, les neurones rayonnent autour d’eux des prolongements filamenteux plus ou moins nombreux que l’étude histo-physiologique a divisés en deux sortes : les uns, très ramifiés, à surface rugueuse, au nombre de cinq à six, s’appellent « prolongements protoplasmiques » ou « dendrites » et conduisent les excitations de toute nature vers la cellule (conduction cellulipète) ; les autres, au nombre d’un par cellule, sont lisses, plus ténus, moins ramifiés et transmettent les impulsions issues du neurone (conduction celluli-fuge) ; on les nomme « cylindre axe » ou « axone ». — Dendrites et axones peuvent atteindre un mètre de longueur : tels ceux qui relient les cellules nerveuses de la moelle épinière à l’extrémité du membre inférieur.

Les fibres nerveuses constituent purement et simplement la suite ininterrompue des dendrites et axones ; et les nerfs sont le prolongement périphérique du neurone. À une certaine distance de sa cellule d’origine, la fibre nerveuse se recouvre d’une substance particulière, la « myéline », constituée en partie par des filaments spiralés dont l’ordonnance rappelle celle des condensateurs électriques.

Avec son corps cellulaire et sa double catégorie de prolongements, le neurone apparaît comme une unité anatomique et physiologique, et se montre en effet tel dans toute la série animale. Mais, dans cet appareil, quelle formation spéciale conditionne l’élaboration de l’activité nerveuse si différente des autres fonctions organiques ? Aucune ; la diversité des phénomènes vitaux n’est qu’apparence due à la multiplicité des formes engendrées par les éléments cellulaires types dans leur adaptation plus étroite à un travail déterminé. Comme le neurone, tous les protoplasmas possèdent l’ « irritabilité », c’est-à-dire la propriété générale d’être impressionnés par une excitation extérieure (température, lumière, électricité, contact) et de réagir par une manifestation d’activité ordonnée. Celle-ci, minime et microscopique chez une infusoire, amplifiée chez l’homme jusqu’à l’évidence grossière, traduit les modifications physico-chimiques se produisant, sous l’influence de causes internes ou externes, dans l’intimité de la matière vivante en état perpétuel de gravitation (voir article : « biologie » ). « Dans les organismes inférieurs, tous les éléments anatomiques accomplissent au même degré la totalité des fonctions physiologiques. Tous sont identiques entre eux et, par suite, ils peuvent être séparés les uns des autres sans que leur existence soit compromise. C’est ce qui a lieu chez les Protozoaires en colonies. Au contraire, dans les organismes plus élevés, chaque élément choisit pour son compte, dans le travail physiologique total, une fonction déterminée et se cantonne exclusivement dans cette fonction : il s’y adapte pleinement et la remplit avec d’autant plus de perfection qu’aucun autre soin ne l’en détourne. Certains éléments anatomiques s’adaptent à la digestion des aliments, d’autres conservent en propre l’irritabilité ; d’autres sont spécialement contractiles, tandis que cette propriété disparaît plus ou moins dans les autres cellules. Mais, par contre, la division du travail fait naître entre les divers éléments une solidarité plus grande, car chacun est utile à la vie de tous, et de même la réunion des éléments associés réalise un ensemble de conditions tel, que chacun ne peut être séparé sans être exposé à mourir. (Rémy Perrier, « Zoologie » ). »

Manifestation de l’énergie cosmique, activité, spécialisée issue des phénomènes intra-cellulaires d’ionisation et de diastase, l’irritabilité se traduit, en fonction différenciée, par l’élaboration et la circulation de l’ « influx nerveux », de cette force coordonnée qui, déclenchée par une excitation périphérique ou une impulsion centrale, aboutit à une contraction musculaire, une sécrétion, ou une pensée. L’étude expérimentale de l’influx nerveux a déjà donné des précisions fort intéressantes et l’a montré soumis aux lois générales de la matière. Ainsi, depuis Du Bois-Reymond, on savait déjà qu’un courant électrique appelé « courant de démarcation ou de lésion », sensible au galvanomètre, existait entre la surface d’un nerf et la tranche découverte par une section. Cependant cette réaction n’avait rien de spécifique et appartenait à maint autre tissu ou corps matériel. Mais elle permit d’en provoquer une nouvelle plus démonstrative : le courant de lésion se trouvait modifié et réduit lorsqu’on portait sur le nerf, bien au-dessus du point de section, une excitation chimique, mécanique, thermique ou électrique. Cette variation négative du courant de lésion révélait le passage d’un « courant d’action » apparemment identique à l’influx nerveux, puisque les mêmes excitations de nature diverse, appliquées soit sur les nerfs, soit sur les centres nerveux eux-mêmes, faisaient agir muscles et glandes de l’organisme aussi bien qu’elles provoquaient une variation négative, contrôlable, sur le courant électrique d’un nerf sectionné. ― Il fut aussi établi que toutes les conditions qui influencent la rapidité ou la force de l’influx nerveux affectent de la même manière l’intensité et la vitesse du courant d’action (Lhermitte).

Quelle que soit l’intensité de l’excitation, la vitesse de l’influx nerveux atteint 28 à 30 m. par seconde chez la grenouille : 117 m. à 125 m. chez l’homme. Elle s’élève avec la température et diminue par la réfrigération ; se trouve proportionnelle à la surface de section de la fibre nerveuse, plus rapide dans les gros conducteurs que dans les petits. ― L’intensité de l’influx nerveux varie évidemment selon la force, la fréquence, le rythme, la nature du stimulant initial. Mais pour une excitation identique, elle augmente ou s’amoindrit suivant le nombre des fibres contenues dans le conducteur. C’est ainsi que les appareils physiologiques les plus actifs, les plus sensibles, les plus délicats, les plus adaptés à leur fonction reçoivent le plus grand nombre de fibres leur apportant quantité d’influx nerveux : 80.000 fibres pour le membre supérieur contre 39.000 pour le membre inférieur ; 25.000 fibres pour le seul muscle droit externe de l’œil.

De quelle nature est cet influx nerveux mesurable dans sa vitesse et son intensité ? Certains caractères le classent parmi les phénomènes chimiques : par exemple, durant son travail, la fibre nerveuse s’échauffe, consomme de l’oxygène, élimine de l’acide carbonique, voit grandir sa vitesse d’influx du double pour chaque 10 degrés de température en plus, en conformité avec la loi de Van’t Hoff sur les réactions chimiques. Mais d’autre part, la quasi infatigabilité du conducteur nerveux, la présence d’un courant électrique entre sa surface et sa tranche de section en font un phénomène physique. Dès lors une conclusion s’impose : comme la vie elle-même, l’influx nerveux s’avère d’essence chimique et physique à la fois, apparaît comme une modalité particulière de l’énergie universelle.

Voilà donc maintenant connue l’unité fondamentale du système nerveux : une cellule différenciée et adaptée, le neurone, recevant par son ou ses prolongements protoplasmiques, ou dendrites, les impressions périphériques ou internes qu’elle transmet par son cylindre-axe unique soit directement aux organes de mouvement ou de sécrétion chez les êtres de structure rudimentaire, soit aux dendrites d’autres neurones interposés dans les formes plus évoluées. Fibres réceptrices, ou dendrites, cellule nerveuse et fibres effectrices, ou cylindre-axes, sont parcourues par l’influx nerveux, issu des réactions propres du neurone spécialisé aux excitations de toutes sortes provenant du milieu extérieur ou intérieur.

Avec une netteté saisissante, l’anatomie comparée permet de suivre, dans toute la série zoologique, l’apparition et le développement du système nerveux, c’est à dire la multiplicité croissante la complexité progressive de groupement et d’agencement des neurones, depuis la méduse avec sa couronne ombrellaire de cellules nerveuses déclenchant une mobilité fruste et limitée, jusqu’à l’homme avec son cerveau à texture compliquée, propre à toutes les opérations de l’intelligence, forme extrême de l’irritabilité primordiale du protoplasma vivant. Au début, l’arc réflexe, ou passage de l’influx nerveux du point d’excitation au lieu de la réponse motrice ou sécrétoire, s’inscrit tout entier dans une seule et même cellule nerveuse chargée à la fois de la mission réceptrice et émettrice du système. Puis, résultat d’une adaptation plus parfaite, un second neurone s’intercale dans le circuit réflexe, laissant au premier sa fonction de récepteur sensitif, prenant pour lui le rôle effecteur ou moteur. Ce nouvel élément ajusteur « non seulement proportionne, régularise, suspend ou décuple les réponses, mais encore garde le souvenir des influx qu’il a transmis. Et il n’est probablement pas excessif de voir poindre en cet élément le rudiment de la conscience organique. (Lhermitte). »

Sous l’influence des modifications incessantes de l’ambiance, de ses sollicitations constantes et toujours plus précises, l’organisme animal acquiert une structure encore davantage complexe. Entre le neurone récepteur et le neurone moteur, un troisième prend place, en charge d’association mieux établie et de renforcement d’activité, pour réagir à des excitations fortes, diverses, variables par une action ample, adéquate, extensive. Ainsi se constitue un centre nerveux des réflexe « intersegmentaires » ; car, à ce stade de développement, l’être vivant se trouve en état de segmentation définie et de différenciation fonctionnelle (vers).

À un degré supérieur d’évolution somatique correspond une disposition nouvelle des cellules nerveuses. Une solidarité générale s’établit qui nécessite un appareillage spécial. Les réflexes inter-segmentaires, issus de l’état parcellaire, sont conditionnés par des neurones « supra-segmentaires » qui n’ont de lien direct ni avec la cellule sensitive, ou réceptrice ni avec la cellule motrice mais seulement avec le neurone d’association des réflexes inter-segmentaires. Cet appareil supra-segmentaire ne se contente plus de transmettre l’influx nerveux, d’associer, d’amplifier, de diversifier les réflexes ; il présente la propriété de les suspendre, les inhiber, de les refouler pour les mieux adapter. Son activité n’est plus mécanique ; elle est presque réfléchie, psychique. Le groupement des neurones supra-segmentaires constitue l’ébauche du cerveau (arthropodes).

Jusqu’ici, et par conséquent chez les invertébrés, l’étude du développement du système nerveux repose sur les constatations anatomiques et histologiques et sur les données fournies par l’observation de la manière d’être des animaux lorsqu’on modifie les conditions habituelles de leur activité. Les fourmis, devant un obstacle à leur cheminement processionnaire, hésitent d’abord, se reprennent ensuite, et finissent par tourner ou supprimer la difficulté. Elles sont munies d’un centre supra-segmentaire, d’un cerveau déjà grand par rapport à leur taille et peuvent ainsi donner preuve d’intelligence en adaptant leur réponse réflexe à la diversité des excitations extérieures. ― Chez les vertébrés, les proportions plus grandes de leurs organes permettent en outre l’expérimentation physiologique : la pratique des ablations partielles ou totales du cerveau occasionne dans le comportement réflexe et instinctif ou adapté et individuel, des déficits proportionnels à l’importance du segment enlevé.

Ainsi chez les poissons, la décérébration du pallium ou manteau comporte peu de troubles apparents. Car leur activité se règle surtout par les centres segmentaires et inter-segmentaires.

L’ablation du cerveau au-dessus du thalamus ne diminue chez la grenouille que son habileté à la capture de la proie et laisse intactes toutes les autres fonctions. La décérébration sous-thalamique rend la bête inerte ; celle-ci flotte et ne nage plus. De même les reptiles souffrent peu de la suppression du pallium.

Amputé du cerveau, le pigeon s’alimente et se meut à peu près normalement. Mais il a perdu la faculté de reconnaître les objets, le sentiment de ses besoins sexuels, le discernement du danger.

Un chien, auquel Nothmann extirpa le cerveau, vécut trois ans ; Il était aveugle, mais non sourd, buvait, mangeait et digérait, se mouvait, ne reconnaissait personne et n’avait pas de désirs sexuels, se montrait incapable d’éducation.

L’expérimentation physiologique corrobore donc les conclusions de l’anatomie. Plus un animal comporte un cerveau développé, plus ses actions cessent d’être automatiques, pour devenir réflexes et instinctives d’abord, puis individuelles à un degré élevé d’évolution. De même l’ablation du cerveau, à peu près indifférente pour le comportement des vertébrés inférieurs, devient très nocive pour celui des vertébrés supérieurs. En une série d’actions et de réactions entre l’animal et le milieu, d’une part le système nerveux se complique et perfectionne son agencement pour mieux répondre aux sollicitations de l’ambiance ; d’autre part, la complexité structurale et la haute précision de son fonctionnement confèrent au système nerveux la faculté d’agir sur l’ambiance et de la modifier au gré de ses besoins nouveaux.

Splendide épanouissement de l’appareil supra-segmentaire, le cerveau humain porte à la dernière puissance les possibilités d’intégration, d’adaptation, de transformation des excitations périphériques ou des impulsions internes. Dans ses manifestations psychiques les plus élevées, il se montre l’aboutissant de la longue évolution multi-séculaire durant laquelle, en une série de phases bien déterminées, l’espèce s’achemina de l’état protoplasmique uni-cellulaire, avec son irritabilité fruste et globale, jusqu’à la forme achevée de Primate intelligent avec un système nerveux d’une sensibilité exquise et d’un fonctionnement étroitement différencié.

Cette lente ascension de l’obscure impression élémentaire à la clairvoyante pensée apparaît en un raccourci saisissant dans le développement du cerveau chez le fœtus et chez l’enfant. Dans l’embryon, le système segmentaire (moelle, bulbe, protubérance) se forme le premier, bien avant l’appareil supra-segmentaire qui, pendant les quatre premiers mois de la vie intra-utérine, présente une structure très rudimentaire. Les mouvements fœtaux commencent au deuxième mois ; deviennent perceptibles vers le cinquième ; peuvent être provoqués, chez un fœtus prématurément expulsé, par des excitations de la peau et des tendons. Même la succion et la déglutition se produisent dans la matrice bien avant la naissance. Mais toute cette activité fœtale est seulement réflexe, comme le prouvent, d’un côté l’inexcitabilité du cerveau et l’excitabilité de la moelle, et d’un autre côté la possibilité de ces mouvements même après une section du cerveau du fœtus au-dessous du thalamus. Et l’inexcitabilité du manteau ou pallium persiste jusqu’à la naissance. « Le fœtus humain, jusqu’à son expulsion à terme, est plongé dans un sommeil sans rêves ».

Le nouveau-né présente un cerveau très différent de l’adulte et dont le développement se fera graduellement suivant un rythme identique à celui de la formation progressive du système nerveux dans la série animale. Il agit d’abord d’une façon réflexe comme les êtres à centres neuroniques inter-segmentaires dépourvus d’écorce cérébrale. « Sourd, aveugle, anosmique, l’enfant à sa naissance ne présente qu’un comportement automatico réflexe auquel s’associent quelques réactions bien imparfaites de caractère instinctif. (Lhermitte). » À six semaines seulement le nourrisson suit les objets du regard, et vers le quatrième mois sourit en « voyant » sa mère. L’odorat et le goût s’affirment plus rapidement. « Dès les premiers mois, l’enfant reconnaît sa mère à l’odeur de son lait, et, dès la naissance l’odeur désagréable de l’ « asa fœtida » provoque une expression de dégoût. (Kussmaul). » Les mouvements, les cris, les sanglots, les vomissements du nouveau-né sont réflexes puisqu’ils existent aussi nets chez les enfants dépourvus d’hémisphères cérébraux, les « anencéphales ». Ceux-ci ne vivent qu’un ou deux jours ; mais ils sucent, avalent, crient, remuent les membres. Par conséquent ces fonctions élémentaires sont indépendantes du cerveau. Au fur et à mesure que les neurones se multiplient dans les noyaux gris (thalamus ou couche optique, corps strié) d’abord, dans l’écorce grise ensuite, les manifestations instinctives apparaissent ; l’enfant réagit, quoique maladroitement, aux pressions, pincements, variations de température. Enfin l’entrée en jeu du manteau cérébral fait apparaître les actes imitatifs ou expressifs, sous leur caractère individuel : le sourire, le baiser, les pleurs, les câlinements (Lhermitte).

Ainsi, l’étude anatomique et histologique du cerveau du fœtus et du nouveau-né, l’observation des agissements des enfants normaux et des anencéphales montrent d’une façon surprenante comment la complexité des organes se produit et s’élève avec le perfectionnement des fonctions, et combien l’individu se développe avec précision selon le plan même de l’espèce.

L’élaboration fœtale et post-natale de l’appareil supra-segmentaire conditionnant la vie psychique aboutit chez l’homme adulte à la constitution de deux groupes neuroniques superposés : l’un, inférieur, comprenant les corps opto-striés (thalamus ou couche optique et corps strié) ; l’autre, supérieur, replié en nombreuses circonvolutions, modelant l’écorce cérébrale ou manteau. Pour leur étude, aux recherches normales d’anatomie macroscopique et microscopique, s’ajoutent les données fournies par les lésions consécutives aux maladies et les résultats obtenus par une expérimentation prudente et inoffensive effectuée dans quelques cas favorables sur des trépanés pour blessures ou maladies du crâne et de l’encéphale. Par ces moyens, la physiologie est parvenue à établir la localisation anatomique, matérielle d’un certain nombre d’importantes fonctions intellectuelles et continue la poursuite de découvertes nouvelles afin d’arriver à une connaissance de plus en plus complète de la bio-psychologie humaine.

Les corps opto-striés jouent un rôle très important dans les opérations sensitives et motrices du cerveau. Ainsi, le thalamus ou couche optique reçoit les faisceaux collecteurs de la sensibilité du corps tout entier, arrête les impressions reçues pour les transmettre soit directement au corps strié, centre moteur de l’activité automatique, soit à l’écorce, centre de l’activité consciente. Une lésion du thalamus entraîne d’abord l’insensibilité, puis au bout d’un temps variable, des impressions de douleur, même après la plus légère excitation superficielle. ― Le corps strié préside à l’activité motrice spontanée (déglutition, insalivation, phonation, mimique faciale), règle la vitesse et la précision des mouvements volontaires. Le malade atteint d’une lésion de ce groupe neuronique avale et parle avec difficulté, présente un masque rigide, figé, marche avec raideur et hésitation, perd en partie ses forces musculaires. ― Les corps opto-striés forment donc la première réalisation de l’appareil supra-segmentaire, élèvent les réflexes à l’état d’automatisme instinctif ; le thalamus accuse une obscure conscience sensible, origine de ses douleurs lésionnelles ; le corps strié commande l’automatisme moteur élémentaire, l’automatisme alimentaire et enfin l’automatisme mimique et expressif. « Ce serait donc une grande méprise que de refuser l’intégration des corps opto-striés à la base de la vie psychologique et de ne pas y voir vraiment les humbles serviteurs de la pensée (Lhermitte) ».

Plissée en multiples circonvolutions, creusée de sillons profonds, l’écorce ou manteau se présente comme une gaîne continue de substance grise enveloppant les deux hémisphères et composée de six couches d’innombrables cellules nerveuses superposées et disposées en strates parallèles de la superficie à la profondeur. Les rangées neuroniques sont parcourues à diverses hauteurs par des faisceaux de fibres nerveuses qui se réunissent en stries parallèles ou perpendiculaires à la surface. Cette multitude série de formations cellulaires et fasciculaires ne se trouve pas répandue dans toute l’écorce d’une façon uniforme ; elle se divise au contraire en groupes bien tranchés, d’architecture anatomique et histologique particulière à chacun d’eux. Il a été possible d’identifier un grand nombre de ces territoires corticaux, que l’on a relevés en une véritable carte du manteau cérébral. Et l’expérimentation physiologique a précisé la fonction spéciale afférente à chaque territoire cortical. Pour y parvenir, elle emploie deux méthodes : l’excitation artificielle des territoires délimités par l’anatomie microscopique chez l’homme et les animaux ; l’étude des troubles consécutifs aux lésions spontanées chez les hommes et les animaux, et aux lésions provoquées chez les animaux.

Ainsi a été découverte une zone corticale sensible aux courants électriques, l’ « aire précentrale », formée par une série de foyers bien distincts dont l’excitation électrique suscite des mouvements séparés non seulement pour les membres, la face et le tronc, mais encore pour chaque segment de ces organes et même, affirme Forster, pour chaque muscle isolé. Cette aire est sensible aussi aux actions mécaniques et chimiques. Mais le phénol demeure sans effet sur elle, tandis qu’il déprime l’excitabilité des cellules de la moelle épinière : preuve de la constitution physiologique différente des centres moteurs cérébraux et médullaires. ― Chez l’homme la destruction de l’aire précentrale n’amène pas la perte totale de la mobilité. « Seuls les mouvements les plus différenciés, les plus délicats, les plus humains sont atteints ; tandis qu’au contraire apparaissent exaltés les mouvements automatiques primaires dont les centres se situent dans les corps striés ».

L’ « aire précentrale intermédiaire » ou « psychomotrice » est placée à côté de la précédente. Non excitable par le courant électrique d’expérimentation, elle ne commande pas les mouvements mais détermine leur coordination, leur adaptation à un but donné. La destruction n’empêche pas le malade de remuer ses membres, tout en lui enlevant la capacité de les utiliser pour accomplir un acte précis, volontaire ou commandé.

L’ « aire postcentrale » a des fonctions exclusivement sensitives. L’excitation électrique de ses divers foyers provoque des sensations de choc, de chaleur, d’engourdissement dans les régions correspondantes des membres. La destruction abolit la sensibilité.

L’ « aire postcentrale intermédiaire » ou « somesthéso-psychique » est à la zone précédente ce que la zone psycho-motrice est à la zone électro-motrice : un centre d’intégration supérieure surajouté à l’autre. La lésion ne supprime pas la sensibilité ; elle la rend confuse, trouble, erronée. La sensation persiste, mais la perception fait défaut. Ainsi, les yeux fermés, le malade sent un objet placé dans sa main, mais il n’en peut apprécier exactement ni le poids, ni le volume. Il s’apercevra qu’on le touche sans pouvoir déterminer le lieu de la pression. L’aire somesthéso-psychique apparaît vraiment comme la région de la « pensée sensitive ».

Cependant un objet peut être senti par la main, le poids et le volume en être appréciés, sans que le malade puisse le reconnaître, l’identifier. Les sensations sont perçues sans prendre leur signification, sans former image ; elles ne parviennent plus au seuil de la connaissance intellectuelle. Cette « agnosie tactile » suit la destruction de l’ « aire pariétale », autre centre anatomique, matériel, spécial d’une fonction psychique bien déterminée.

L’ « aire striée » ou « sensorio-visuelle » élabore les sensations fournies par la rétine. « L’expérience de la guerre, grâce aux lésions très limitées que produisent les projectiles, a montré l’exactitude parfaite de la projection rétinienne sur l’aire corticale visuelle en apportant de nombreux faits de cécité partielle de la surface de la rétine correspondant au point cérébral détruit par le projectile (Pierre Marie et Chatelin) ». Lorsque la destruction porte sur la totalité des deux aires striées, elle cause une cécité complète souvent ignorée du blessé lui-même. Contrairement à l’aveugle par lésion directe des rétines ou des nerfs optiques, l’aveugle par lésion de l’écorce cérébrale est aveugle pour sa cécité. « Ce fait s’explique fort bien si l’on se souvient que la vision du noir ne se confond nullement avec l’absence de sensations visuelles et que la sensation de noir répond à une clarté moins intense, laquelle n’apparaît que par contraste. Or, les sujets atteints par une lésion destructive de l’aire visuelle corticale sont absolument et à jamais privés de tout élément visuel sensoriel. Au contraire, les malades dont la cécité est d’origine périphérique gardent indéfiniment les éléments dont est faite l’activité sensorielle de leur cerveau et, en conséquence vivent dans la conscience des ténèbres extérieurs (Lhermitte) ».

A côté de cette cécité corticale, il existe, par lésion de l’ « aire occipitale ou visuo-psychique », une cécité psychique : le sujet distingue les couleurs et les formes, mais ne peut identifier les objets.

Il y a quelques années, au début des études crânio-cérébrales, les « lobes frontaux » passaient pour être la partie noble de l’encéphale, le siège de la plus haute pensée. Les recherches modernes n’ont pas confirmé cette conclusion exclusive. Chez les blessés de guerre, les mutilations de la zone frontale causent de la maladresse, de l’incoordination dans les mouvements, des troubles de l’équilibre et de l’orientation, de l’apathie et des défaillances de la volonté, de la difficulté à fixer l’attention volontaire, de la propension aux songes, à la rêverie. Comme le dit Pierre Janet, les lobes frontaux apparaissent, à la lumière des faits anatomo-cliniques, comme un des appareils essentiels, et peut être le plus important, qui règlent et soutiennent la tension psychologique.

La localisation sur le cerveau d’une « zone du langage » se montre particulièrement intéressante, très étudiée et très suggestive. C’est que le langage constitue la fonction psychique par excellence, celle qui permet d’exprimer ses sentiments, ses idées et de connaître ceux d’autrui. Les idées elles-mêmes sont une sorte de « langage intérieur » puisqu’elles se présentent à l’esprit sous leur forme verbale ; et si la parole n’est pas toute la pensée, puisqu’on peut penser par images, elle en apparaît la manifestation la plus importante. Comprenant la parole, l’écriture, la musique, le langage possède son centre spécial autour de la Scissure de Sylvius dans une région du cerveau bien délimitée par l’étude des lésions anatomiques correspondant aux divers troubles de la fonction du langage appelés « aphasies ». Chez les adultes, ce centre se situe pour le droitier sur hémisphère cérébral droit. Chez l’enfant, il n’existe pas avant la neuvième année, comme le prouve ce fait qu’aucune lésion, même profonde. de cette région du cerveau n’entraine de trouble du langage. Celui-ci n’est donc pas inné ; son centre, non préformé, ne se développe que sous l’influence de l’audition ; les sourds de naissance restent muets. ― Nouvelle réalisation, après des millions d’autres, de ce phénomène biologique général : l’organe créé par la fonction, elle-même déterminée par les interréactions de l’individu et de l’ambiance.

Parmi ces aphasies, l’observation attentive des sujets atteints a permis de dissocier des modalités caractéristiques et différenciées répondant chacune à une lésion précise d’une partie donnée de la zone globale du langage. ― Parmi ces variétés d’aphasie, il faut distinguer : 1° L’ « aphasie de réception » ou perte absolue ou relative de la compréhension de la parole et de l’écriture (surdité verbale et cécité verbale). Le malade entend le son de la voix mais ne reconnaît pas le sens des paroles, voit les caractères imprimés sans en comprendre la signification. Il peut lui-même parler et écrire, mais d’une manière confuse, trouble, désordonnée, puisqu’il a oublié la valeur des mots. 2° L’ « aphasie d’expression » ou « aphémie », perte de l’expression de la pensée verbale. Le malade est incapable de prononcer la plus grande partie des paroles et d’écrire aucun mot. 3° L’ « aphasie globale », combinaison des deux précédentes : le malade ne reconnaît ni les sons ni les caractères ; ne peut ni parler, ni écrire, même au hasard. — Mais la maladie produit parfois des lésions encore plus limitées et par conséquent des troubles encore plus singuliers : la « surdité verbale pure », rare d’ailleurs, où le malade lit, écrit, parle, sans comprendre la signification des mots entendus ; la « cécité verbale pure », où le sujet saisit le sens des paroles, parle lui-même, écrit, mais ne lit ni ne se relit ; l’ « aphémie pure », qui supprime la parole, les autres modes d’expression restant intacts ; l’ « agraphie pure », où s’évanouit le don de l’écriture.

Chacune de ces aphasies se superpose à la lésion d’un centre anatomique exactement localisé à la surface des hémisphères cérébraux. Tous ces centres constituent donc le support organique de la pensée verbale. « Reliés et articulés entre eux, ces différents centres concourent, à l’état physiologique, par leur harmonieuse synergie, au développement de la pensée verbale ; et en eux repose le solide fondement sur lequel s’appuie, pour se développer en d’infinies virtualités, l’intelligence du langage, support de l’intelligence spéculative (Lhermitte) ».

L’étude des « amusies » ou troubles du langage musical a révélé l’existence dans le cerveau de centres spéciaux et distincts de ceux du langage verbal. « Lorsqu’un de ces centres vient à être altéré, il en résulte non pas la perte complète du langage des sons, mais l’abolition soit de la compréhension de l’écriture musicale (cécité ou alexie musicale), soit de la signification symbolique du rythme des tons et de la mélodie (surdité musicale), soit enfin de la faculté d’exprimer par le chant (avocalie) ou les instruments le sentiment musical (amusie instrumentale). Mais il y a plus, et il existe d’assez nombreux exemples qui attestent que la surdité musicale peut, elle-même, être dissociée. Chez tel sujet, la compréhension de la valeur symbolique des tons et de la mélodie demeure conservée tandis que la signification du rythme est perdue. Un malade observé par Forster, prend la marche funèbre de Chopin, dont le rythme est si expressif, pour une chanson ; un andante pour une valse. Un autre sujet ne saisit plus le sens du rythme de la valse, mais danse correctement quand on lui indique de quelle danse il s’agit. Inversement, la notion du rythme musical peut être intégralement conservée, tandis que celle des tons de la mélodie s’est effondrée. Deux sujets observés par Brazier furent pris subitement d’amnésie mélodique, le premier pendant un chant, le second pendant un concerto de piano. Il est des cas où, malgré la conservation de l’audition musicale et de la lecture des notes, l’expression musicale est abolie. Le cas de Charcot est resté célèbre, de cet exécutant qui capable de lire correctement la musique, était hors d’état de se servir de son trombone. Une malade, observée par Wurtzen, ne pouvait jouer à l’aide de la main gauche seulement, bien que les fonctions de compréhension musicale fussent conservées. Fait plus curieux encore, un sujet étudié par Finhelburg, capable de jouer du violon ne pouvait utiliser son piano (Lhermitte) ». Il y a donc un appareil mécanique et psychique de la fonction musicale, appareil monté pièce à pièce par l’éducation spéciale et que peut détruire en un coup un traumatisme ou une maladie frappant son support cérébral.

Il n’est pas jusqu’à la joie et à la tristesse, au rire et aux pleurs qui, déclenchés dans certaines maladies en dehors de toute cause adéquate, ne viennent démontrer l’existence « d’un mécanisme physiologique individualisé des expressions émotionnelles ». Les malades, lésés dans cet appareil, présentent un rire ou un pleurer spasmodiques en dehors de tout sujet de gaité ou de désolation : Or bien, « rire est le propre de l’homme » ; mais la pathologie prouve qu’il devient acte réflexe, animal, lorsqu’il est troublé dans son contrôle.

Dans la région ventrale du ventricule médian du cerveau on est parvenu à localiser un centre régulateur du sommeil et de la veille. Jusqu’alors, une opinion assez unanimement accréditée attribuait le sommeil à la fatigue et à l’intoxication du système nerveux. L’observation cependant plaidait contre cette explication, puisqu’il y a des gens qui peuvent réfréner leur envie de dormir, que d’autres dorment quand ils veulent, que beaucoup enfin peuvent se réveiller à une heure déterminée. Ces faits témoignaient déjà en faveur d’une « fonction du sommeil » en partie soumise à la volonté. La clinique confirma la réalité de cette fonction en précisant la zone cérébrale dont la lésion entraîne l’ « hypersomnie », c’est-à-dire le sommeil prolongé, impérieux, irrésistible. Elle prouva ainsi que ce centre est un « appareil de veille » maintenu en activité par des stimulations externes ou internes, détendu sous l’influence de la fatigue, marchant au ralenti dans le calme de la nuit excité par des impulsions internes, supprimé par l’effet de certaines maladies génératrices de léthargie. Le sommeil se définit donc comme le repos du système nerveux supra-segmentaire exclusivement ; car, pendant sa durée, les réflexes segmentaires et intersegmentaires continuent à s’effectuer sans relâche, puisque le dormeur respire, retient l’urine, les matières et même peut agiter ses membres. Le rêve marque bien la persistance d’une vie psychique mais confuse, désordonnée, élémentaire. La pleine conscience exige l’intégrité et l’activité de tous les centres anatomiques rassemblés dans l’encéphale.

Les physiologistes contemporains ont émis l’opinion que le cerveau devait posséder, en même temps que le commandement de l’activité réfléchie, le contrôle des fonctions de la vie végétative et automatique : digestion, circulation, urination, défécation. Et en effet, l’expérimentation animale et la clinique humaine confirment la présence de deux centres distincts pour l’innervation de la vessie, et un centre pour l’innervation du rectum. L’excitation de certaines régions de l’écorce provoque des contractions de l’estomac et de l’intestin, et la destruction de quelques autres modifie les sécrétions salivaires et sudorales. Là réside la preuve de l’unité élémentaire, primordiale, du système nerveux de la vie psychique, l’axe cérébro-spinal, et du système nerveux de la vie organique et végétative, le sympathique. Corps et âme sont deux expressions consacrées par l’usage et conservées pour la facilité de l’étude, mais forment un seul organisme déterminé d’une façon identique dans son apparition, son développement et ses destinées.

Y a-t-il un « centre des centres » ; un « cerveau du cerveau » ; un régulateur des appareils psychiques intriqués, juxtaposés, superposés dans la masse encéphalique ; un substratum anatomique de la personnalité avec son intelligence, son caractère, son tempérament, avec ses réactions propres ? La logique biologique autorise à le croire et des recherches récentes tendent à le déterminer. Donnée curieuse et cependant rationnelle, ce centre ne se trouve pas sur l’écorce, mais à la base du cerveau, au carrefour où convergent et d’où divergent les voies issues des centres suprasegmentaires ou se rendant vers eux, dans cette région où se situent les centres de la vie organo-végétative. Il est le point de jonction, l’appareil de liaison entre les faits psychiques purs descendant de l’activité corticale, et les manifestations instinctives remontant des appareils inter-segmentaires et segmentaires. Là serait le siège de l’ « âme », pour appeler cette chose par son vieux nom. En effet, une lésion portant à ce niveau produit des perturbations de l’humeur et de l’intelligence en même temps que des troubles dans les secrétions (menstruation, urination, fonction thyroïdienne).

Aujourd’hui, hardiment, on peut conclure. Le cerveau ne sécrète pas la pensée comme le rein sécrète l’urine, liquide excrémentiel, nocif rejeté hors de l’organisme. Mais il recueille, intègre, élabore les impressions venues de l’extérieur ou de l’intérieur pour les transformer en mouvements, sécrétions ou pensées, comme le tube digestif saisit, absorbe et assimile les aliments pour les transformer en travail et en chaleur. La phylogénèse en surprend la première apparition dans la cellule neuro-épithéliale des cœleutérés (hydres et méduses) pour en suivre le développement progressif jusqu’à l’encéphale des Primates supérieurs, comme elle laisse voir le cytostome des Infusoires ciliés devenir graduellement l’estomac des Hominiens. L’ontogénèse montre le système nerveux de l’homme partir de l’état rudimentaire dans l’embryon, passer par la phase segmentaire et inter-segmentaire chez le fœtus pour s’épanouir en appareil supra segmentaire chez l’adulte. Organe différencié de la primitive irritabilité élémentaire, issue elle-même de l’action de l’énergie cosmique, le cerveau s’avère fonction du mouvement et facteur de mouvement. Il constitue une merveilleuse manifestation de la vie universelle. ― Dr F. Elosu.

BIBLIOGRAPHIE

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