Encyclopédie anarchiste/Confédération
CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL. n. f. La Confédération générale du Travail est l’organisme central du syndicalisme français. Elle est composée des Unions départementales et des Fédérations d’industrie. Son siège est à Paris. Elle a pour but de coordonner les efforts des ouvriers groupés à leurs syndicats, unions locales, fédérations et unions départementales pour l’action sociale du prolétariat. Elle adhère à l’Internationale syndicale pour prolonger sur le plan international l’action qui se déroule dans son propre pays, en liaison avec les Centrales Nationales des autres pays. Cette définition a cessé d’être exacte depuis la scission de 1921. Elle n’en reste pas moins celle qui, un jour prochain, sous la pression croissante des nécessités correspondra à nouveau à la réalité, lorsque les tronçons épars du groupement ouvrier français se seront ressoudés.
L’histoire de la C. G. T. c’est celle du syndicalisme avec ses luttes, ses victoires et ses défaites. Son évolution, qui est aussi celle de la société actuelle. Il faut rechercher l’une et l’autre à l’origine, même si cet examen doit faire double emploi avec celui que nous avons été obligés de faire pour exposer le caractère, l’évolution et l’action des Bourses du Travail, principal élément de la C. G. T., lors de sa constitution.
Nous renoncerons cependant à examiner les luttes séculaires des travailleurs toujours en révolte, à toutes les périodes de l’Histoire, contre leurs oppresseurs, quelque visage qu’aient ceux-ci et quelques forme qu’ait revêtue l’exploitation de l’homme par l’homme.
Si nous nous assignions ici une pareille tâche, c’est l’histoire du monde, depuis là plus haute antiquité jusqu’à nos jours, qu’il faudrait relater. Nous ne pouvons pour des raisons qu’on comprendra, entreprendre pareille tâche.
Il importe d’ailleurs assez peu qu’on fixe ici ou là telle époque ou à telle autre époque, l’origine exacte du mouvement syndical qui nous a conduits, de proche en proche, jusqu’à l’origine de la C. G. T.
Nous nous contenterons donc de prendre notre tâche — qui n’en reste pas moins vaste — après la Révolution de 1789, après l’évanouissement des corporations.
L’écroulement du vieux système social, provoqué par la Révolution, avait fait table rase des privilèges de toutes natures et supprimé toutes les juridictions qui s’interposaient entre l’individu et l’État. Après 1789, l’homme, quelle que soit sa profession, ne relevait plus d’un patron, d’un seigneur, d’un évêque ou du fisc. Il n’y avait, plus sujets du roi, des nobles, des clercs, des paysans, plus de classes, d’ordres, de droits, de dîmes, plus d’entraves, etc… Mais il n’y avait plus non plus, dit Proudhon dans sa Capacité politique des classes ouvrières (page 11) aucune de ces autorités locales, de ces chartes particulières, de ces parlements, de ces corporations, de ces prérogatives ou exemptions. Rien ne subsista que ces deux termes extrêmes : l’État et le Citoyen. Rien ne demeura non plus, pour amortir la domination directe du second par le premier.
Qu’arriva-t-il ?
Avec les dépouilles des biens de la noblesse et du clergé, se constitua une classe de propriétaires-paysans tandis qu’une immense majorité du peuple ne voyait rien changer à sa condition première. Les classes se formèrent presque spontanément, immédiatement. La lutte fut d’autant plus vive que les non-possédants, les travailleurs, se rendirent compte de la spoliation et de la trahison dont ils étaient victimes de la part de leurs alliés de la veille : la nouvelle bourgeoisie, qui avait utilisé au mieux de ses intérêts la force populaire et ne rêvait que de l’asservir à nouveau pour asseoir ses privilèges, cette classe dont l’appétit était d’autant plus grand qu’il avait été plus longtemps contenu par le régime disparu.
Il y avait désormais la Bourgeoisie et le Prolétariat, la première brimant le second, après avoir utilisé sa force libératrice et révolutionnaire. La structure de l’État se trouvait modifiée. Les formes constitutionnelles étaient changées, mais l’exploitation, pour différente qu’elle, était, n’en subsistait pas moins, plus brutale et plus cupide qu’avant. C’était tout le résultat qui restait d’une révolution politique, et qui n’avait pas modifié les termes généraux du contrat social.
Alors qu’on répandait partout, au dedans comme au dehors, des idées de justice, d’égalité, de fraternité, c’était entre deux catégories d’hommes une opposition sans cesse croissante qui se développait du fait d’une sujétion politique et d’une exploitation économique sans frein, que rien ne venait atténuer.
Doit-on, comme Jouhaux l’affirme dans son ouvrage Le Syndicalisme et la C. G. T. (page 25) dire que la loi Le Chatelier, votée en 1790, ne correspond pas réellement à l’esprit des hommes qui l’ont votée ? Nous ne le croyons pas. À notre avis, cette loi était bien l’expression de leurs sentiments exacts. Le fait qu’elle ait été votée par la Constituante au moment même où se produisaient à Paris, des cessations concertées du travail, nous permet d’affirmer qu’elle le fut en toute connaissance de cause.
On voulait museler les travailleurs, au moment même où les corporations disparaissaient ; le prolétariat était sans défense.
Le texte du manifeste adressé à cette époque aux ouvriers parisiens par le Conseil municipal le prouve avec évidence.
Voici ce qu’on y lit :
« Le Conseil municipal est instruit que les ouvriers de quelques professions se réunissent journellement en très grand nombre, se coalisent au lieu de s’employer à travailler et font des arrêts par lesquels ils taxent arbitrairement le prix de leurs journées. Tous les citoyens sont égaux en droit, mais ils ne le seront jamais en facultés, en talents et en moyens. La nature ne l’a jamais voulu. Il est donc impossible qu’ils se flattent tous de faire les mêmes gains.
Une coalition d’ouvriers pour porter le salaire de leurs journées à des prix uniformes et forcer ceux du même état à se soumettre à cette fixation serait donc évidemment contraire à leurs propres intérêts ; une pareille coalition serait une violation de la loi, une atteinte à l’intérêt général ».
Voilà ce qu’on osait écrire au lendemain de la Révolution. N’est-ce pas caractéristique d’un état d’esprit d’oppression ?
Combien de fois, depuis, avons-nous entendu tenir le même langage par te patronat et le « pouvoir » ? Combien de fois, hélas ! l’entendrons-nous encore, si, à la première occasion, nous ne proclamons pas d’abord les droits imprescriptibles du travail et des travailleurs, si nous renonçons à faire nos affaires nous-mêmes, pour les confier à des « génies, à des messies », à des maîtres nouveaux à qui nous remettrons le soin de faire notre bonheur politique en consacrant notre esclavage économique ?
Les révolutions de 1830, 1848 et 1871 ont pourtant, à cet égard, apporté une confirmation éclatante à ces faits de 1790, sans ouvrir les yeux, hermétiquement clos — il faut le croire — des travailleurs. En sera-t-il de même demain ? Il faut le craindre et faire l’impossible pour que cela ne soit point.
Comme on le voit, c’est au lendemain de la grande révolution française qu’il faut situer l’origine des classes et la naissance du mouvement syndical, placé hors des institutions soit disant révolutionnaires créées par la Bourgeoisie pour asseoir son pouvoir et conserver ses privilèges récents.
N’est-ce pas aussi à cette date qu’il faut placer la compréhension de la responsabilité ouvrière et l’affirmation de celui de la solidarité de classe ?
Dès cette époque, on avait de la liberté du travail, une idée exacte et on condamnait aussi sévèrement qu’aujourd’hui l’acte de l’homme qui travaillait pendant que les autres revendiquaient. C’est de ce moment que date la vraie morale ouvrière qui veut que « quiconque ne participe pas à un effort ne soit pas digne d’en recevoir le prix et qui condamne sévèrement, mais justement, toute action qui tend à briser l’action revendicatrice des ouvriers ».
Les ouvriers d’ailleurs ne tinrent aucun compte du manifeste municipal. Les charpentiers, notamment, constituèrent un syndicat bien organisé. Leur exemple fut suivi par plusieurs corporations du bâtiment qui défendirent vigoureusement leurs salaires, sans oublier de poser le principe de la réduction de la journée de travail, qui fut ramenée de 14 à 12 heures (repos non compris).
Voyons ce que disaient de leur côté les patrons : « Le prix de la journée, disaient-ils, est ainsi augmenté d’un sixième ; malgré les fortes réclamations qui se sont élevées contre ce désordre, il n’a pas été réprimé ».
Ne croirait-on pas entendre nos patrons modernes protester contre l’application de la journée de huit heures et l’augmentation des salaires ?
De même que la défense des intérêts heurte aujourd’hui ceux de la bourgeoisie et les conceptions juridiques du patronat ; cette tentative d’organisation pour modifier le contrat social, heurtait l’esprit des récents bourgeois de la Constituante. Inutile de tenter ou de faire croire que la loi Le Chatelier n’était pas l’expression exacte de l’état d’esprit de ceux qui la votèrent. Ils n’étaient ni des niais, ni des inconscients. Tous leurs actes le prouvent.
Donc lorsqu’ils acceptaient le projet de Le Chatelier qui disait dans un des considérants de son rapport introductif ;
« C’est aux conventions libres d’individu à individu à fixer la journée pour chaque ouvrier ; c’est ensuite à l’ouvrier à maintenir la convention qu’il a faite avec celui qui l’a occupé ». Le Chatelier exprimait une pensée concrète, claire pour tout le monde, a fortiori pour des représentants du Peuple.
Et lorsqu’il ajoutait « C’est à la Nation de subvenir aux besoins des individus et de leur assurer du travail » cela voulait dire, que grâce à la loi nouvelle, ainsi motivée, le seul organe nécessaire à la satisfaction des travailleurs c’était l’État.
Là encore, impossible de se tromper et ceux qui votèrent la loi Le Chatelier savaient parfaitement qu’ils mettaient ainsi hors la loi l’organisation spécifique des travailleurs livrés sans défense à l’exploitation du patronat et à la domination de l’État.
N’est-il pas suffisamment significatif cet article de la loi Le Chatelier qui énonçait :
« L’anéantissement de toutes espèces de corporations de citoyens d’un même État étant une des bases fondamentales de la constitution française… l’association ouvrière, sous quelque forme et sous quelque prétexte que ce soit, est prohibée ».
Et un, peu plus loin : « Toutes les conventions tendant à réformer de concert ou à n’accorder qu’à prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux, tous règlements ou accords ainsi fixés sont déclarés inconstitutionnels, attentatoires à la liberté ou à la déclaration des Droits de l’Homme et de nul effet ».
On avouera qu’il était difficile d’être plus cynique ou de se montrer plus réactionnaire.
Et, bien entendu, les délits étaient durement punis : amendes de 500 francs, privation de droits civiques, etc…
Enfin pour bien démontrer que ce texte avait un véritable caractère de classe, la loi accordait aux employeurs un scandaleux privilège. Le Chatelier disait « qu’il n’entendait pas empêcher les commerçants de causer ensemble de leurs affaires ». On sait ce que cela veut dire.
La loi consulaire de l’an XI (1803) instituait enfin le « livret ouvrier » qui n’était autre chose que la « mise en carte » des travailleurs.
À part la création des juridictions prud’homales, le régime impérial ne fit que systématiser la sujétion des ouvriers.
Les articles 414 et 416 du nouveau Code pénal, si durs pour les ouvriers, si indulgents pour les patrons, l’article 1781 du Code civil qui disait : Le maître est cru sur parole pour la quotité des gages, pour le paiement des salaires de l’année échue et pour les acomptes donnés pour l’année courante, complétaient cette domestication de la classe ouvrière, sans que la moindre législation lui permît de se défendre contre l’adversaire.
On comprend dès lors, les difficultés que devait rencontrer le prolétariat pour son organisation.
Quelles qu’elles aient été, la classe ouvrière sut cependant les vaincre dans une assez large mesure et, souvent, elle se dressa contre le pouvoir de l’État.
La période de 1848 à 1871, assez mal connue, a vu des révoltes terribles où le prolétariat a pu se croire enfin maître de ses destinées. C’est alors que naquit la Première Internationale et que vit le jour le socialisme utopique ou romantique.
Cette époque marque la fin de la bourgeoisie terrienne et l’avènement de la bourgeoisie industrielle et bancaire. L’introduction du machinisme créa de nouvelles conditions de vie sociale. En même temps qu’il resserait les liens entre les ouvriers, il entraîna une technique nouvelle d’où découlèrent : le chômage et l’avilissement des salaires.
La misère atteignit des proportions effroyables. Il y avait une désaxation totale de l’activité et le capitalisme manifestait son impuissance à modifier les conditions de vie, à suivre le rythme nouveau imposé par le machinisme.
Les grands mouvements de 1831 à Lyon, dont les salaires furent réduits de 4 francs à 18 sous par jour marquent le point culminant de cette crise. C’est pendant les grèves sanglantes de cette époque que les Canuts de la Croix Rousse inscrivirent sur leur drapeaux cette devise restée de plus en plus d’actualité : Vivre en travaillant où mourir en combattant. Il en fut de même à Paris et en province. De nombreuses sociétés de résistance, auxquelles participèrent des chefs d’ateliers, se constituèrent un peu partout. Ce mouvement prit une « telle ampleur qu’il apeura le gouvernement qui, par la loi du 25 mars 1834, prit de sévères mesures contre les « Sociétés de résistance. ». (Syndicats de l’époque).
Ce vote alla à l’encontre du but poursuivi. Deux nouvelles insurrections éclatèrent presque aussitôt : l’une à Lyon, à la suite de poursuites pour faits de grèves, écrasée dans le sang, après 5 jours de lutte héroïque, et l’autre à Paris qui aboutit à un effroyable massacre.
Thiers, l’assassin des Communards fit peser sur la classe ouvrière un régime de terreur écrasant.
Rien n’arrêta pourtant l’élan du prolétariat et les journées de juillet verront le prolétariat se dresser contre l’État, serviteur de la bourgeoisie et massacreur des travailleurs.
C’est à ce moment que s’éveille la conscience du prolétariat. Il comprend qu’il n’arrivera à rien tant qu’il n’aura pas démoli le pouvoir de l’État et détruit l’exploitation nationale pour transformer la société.
Sous l’influence de Buonarotti survivant de la conspiration des Égaux, le socialisme gagne les classes ouvrières, encore qu’elles ne se reconnaissent guère dans le patois des doctrines Saint-Simoniennes, phalanstériennes et étatiques de Louis Blanc.
C’est alors que se produisit dans ce bouillonnement d’idées la Révolution de 1848 qui fut un triomphe passager du Peuple et porta au Pouvoir en la personne de Louis Blanc et d’Albert, le socialisme d’État.
Celui-ci ne tarda pas à marquer son impuissance. Une fois de plus les travailleurs furent trompés et déçus. Le salariat ne fut pas supprimé, comme ils l’espéraient dans leur naïveté. Les journées de février 1848 furent suivies d’une crise de chômage effroyable. Les revendications ouvrières en vinrent en fin de compte, à s’exprimer ainsi : « Le droit au travail ». Quelle aubaine pour le patronat !
Quelques mesures inopérantes, les unes platoniques, les autres vaines du gouvernement provisoire : la suppression du tâcheronat, la réduction de la journée de travail à dix heures à Paris et onze heures en province, n’étaient pas de nature à donner satisfaction aux réclamations des travailleurs et, moins encore, à solutionner les problèmes de l’heure.
C’est à ce moment, le 28 février 1848 que le gouvernement provisoire décida de créer les Ateliers Nationaux, pour parer au chômage grandissant.
Entreprise vouée à l’échec, voulue, d’ailleurs, tentée en pleine crise économique et sociale, les Ateliers Nationaux aboutirent à un lamentable fiasco qui prit fin le 19 juin 1848 par le vote de la loi Falloux qui ordonnait la dissolution des Ateliers.
Cette dissolution qui ne laissait aux ouvriers d’autres alternatives qu’un chômage aggravé ou l’enrôlement dans l’armée, aboutit à l’insurrection du 23 juin 1848 qui fut réprimée avec une sauvagerie sans nom dont on ne retrouvera l’équivalente qu’en 1871.
Ces trois mois de misère du public trouvèrent leur épilogue dans les fusillades, l’emprisonnement, la déportation de milliers d’ouvriers, la suppression de la liberté de la presse. Œuvre d’une réaction qui ne devait plus cesser de s’aggraver.
Le rêve ouvrier était encore une fois à terre. Ainsi s’écroulaient à tout jamais les illusions du socialisme utopique fraternitaire, ayant foi dans la bonne volonté des classes adverses.
De même disparaissait de la scène le socialisme autoritaire qui attendait de l’action de l’État la réalisation de la justice sociale.
De cette longue et cruelle leçon devaient surgir les idées prolétariennes modernes : Proudhon a aidé considérablement à leur éclosion en publiant « Les Contradictions économiques. Quelque jugement qu’on porte sur son œuvre si diverse, si touffue, si contradictoire, que certains ont pu dire de lui qu’il était le « Dieu de l’Anarchie », tandis que d’autres le traitaient de « petit bourgeois », il n’en est pas moins vrai que Proudhon exerça sur son époque, et longtemps après, une énorme influence.
Nous lui devons cette formule prophétique : « L’Atelier fera disparaître le gouvernement », dont la réalisation reste le souci du syndicalisme moderne. Apôtre de la liberté dont il avait le culte au plus haut degré, il lutta contre Marx et Engels qui étaient les apôtres de l’Autorité. Aussi, à peine ces hommes, doués les uns et les autres, d’une puissance de travail formidable, se furent-ils rencontrés qu’ils se séparèrent et s’affirmèrent d’irréductibles adversaires, comme le sont encore aujourd’hui les partisans de ces deux doctrines.
Le coup d’État du 2 décembre 1851 raffermit la réaction et il faut la venue d’éléments nouveaux pour que le prolétariat triomphe tant soit peu de la réaction. Le renouveau de l’action ouvrière ne se poursuivit qu’en 1862 après la visite des délégations ouvrières françaises à l’Exposition universelle de Londres, au cours de laquelle elle parut prendre contact avec les organisations anglaises.
L’année 1863 marqua une date importante dans le mouvement ouvrier français. C’est, en effet à ce moment que parut le Manifeste des Soixante par lequel les ouvriers parisiens proclamaient la rupture entre le prolétariat et la bourgeoisie même républicaine.
Ce manifeste donna prétexte à Proudhon de publier son dernier livre : De la capacité politique des classes ouvrières. Pour la première fois, disait-il la plèbe a fait acte de personnalité et de volonté. Elle a bégayé « son idée ». C’était vrai.
En cette année 63, l’agitation ouvrière s’accrut fortement. Elle fut surexcitée par les poursuites dirigées contre les grévistes de la typographie parisienne. Le gouvernement dut céder devant les organisations et l’opinion, en faisant voter la loi de 1864 qui reconnaissait le droit de coalition. C’était la conquête du droit de grève encore que la loi s’efforçât d’en restreindre autant que possible l’exercice.
Dès lors, les événements se précipitent. En 1864, se constitue à Londres, la Première Internationale, l’Association Internationale des Travailleurs, fondée le 28 septembre après un meeting international à Saint-Martin’s Hall. Karl Marx en écrivit les statuts qu’on peut résumer ainsi : « Les travailleurs d’un même métier formaient une section, ces sections à leur tour une Fédération, et c’est de l’ensemble de ces Fédérations qu’était composée l’Internationale à la tête de laquelle se trouvait un Conseil central siégeant à Londres ».
La section française fut formée en 1865. Elle eut son siège rue des Gravilliers. Le premier congrès de l’As'sociation Internationale des Travailleurs se tint à Genève en 1866.
Il fut remarquable de tenue et de clarté.
Pendant que la délégation française faisait admettre que le but de l’Internationale était : « La suppression du salariat et que celle-ci s’obtiendrait par l’association corporative des travailleurs, la délégation anglaise faisait accepter le principe de la journée de huit heures comme revendication générale du prolétariat ». On évoqua même, dès cette époque, l’idée de grève générale.
Le deuxième congrès se tint à Lausanne en 1867. Il resta dans la tradition mutuelliste ; il déclara en outre « Que l’émancipation sociale des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique et que l’établissement des libertés politiques est une mesure d’absolue nécessité ».
Pour avoir osé émettre de semblables affirmations la section française fut poursuivie dans ce pays, sans que ces poursuites gênassent d’ailleurs en quoi que ce soit le développement de la Première A. I. T.
Les Congrès suivants : Bruxelles (1868), Bâle (1869), marquèrent une évolution très nette vers le collectivisme sous l’impulsion de César de Paëpe et de Karl Marx, dont l’influence ne devait pas tarder à se montrer prépondérante.
À Bâle on décida « que la propriété collective était une nécessité sociale, que la société avait le droit d’abolir la propriété individuelle du sol et de la faire rentrer à la Communauté ».
Cependant que décroissait « Mutuellisme » modéré français et que montait l’influence de Karl Marx, une autre tendance, celle des « fédéralistes » s’affirmait sous l’impulsion de Michel Bakounine.
Marx et Bakounine ne devaient pas tarder à s’affronter. Pendant que les Marxistes déclaraient que la révolution sociale ne peut s’accomplir que par la prise de l’État et affirmaient indispensable la constitution du prolétariat en parti politique, les fédéralistes, avec Bakounine, voulaient supprimer l’organisation bourgeoise, désorganiser l’État actuel et reprendre la reconstitution sociale à la base par la Commune, cellule initiale, ce qui ne diffère guère de ce que veulent accomplir les syndicalistes fédéralistes d’aujourd’hui avec les Bourses du Travail et les Unions locales.
En ce qui concerne le rôle des syndicats, la divergence n’était pas moins sensible. En effet, pendant que les premiers prétendaient que les syndicats devaient restreindre leur action à la seule défense des intérêts corporatifs, les seconds voyaient en eux non seulement un instrument de lutte, mais encore une institution durable, dont le rôle serait, la révolution accomplie, de continuer la production et d’organiser le travail. On ne dit pas autre chose aujourd’hui.
Ces divergences eurent pour conséquence la scission d’abord, la fin de l’A. I. T. ensuite. Lorsque Marx parvint à se débarrasser de Bakounine en dominant complètement le Comité central, l’Association Internationale des Travailleurs, qui avait suscité tant d’espoirs, alla s’éteindre obscurément en Amérique, à New-York.
Néanmoins, son influence et son rôle furent énormes. En le dotant de cette formule : L’Émancipation des Travailleurs sera l’œuvre des Travailleurs eux-mêmes, elle a imprimé au mouvement syndical son véritable caractère. En même temps qu’elle a précisé les aspirations et les idées du prolétariat, elle a défini le but final de ses efforts. Elle l’a aussi débarrassé de la gangue nationaliste. C’est un résultat qui compte.
L’Association Internationale des Travailleurs joua, en France, un rôle considérable. Elle servit de point d’appui solide au mouvement revendicatif. C’est sur elle que s’appuyèrent les grèves des textiles de Roubaix, qui tournèrent à l’émeute, et celles des mineurs de la Ricamarie (Loire) pendant les dernières années de l’Empire.
Puis ce fut la guerre de 1870-71 et la Commune où plusieurs des membres français du Conseil général de la Première Internationale, dont Varlin, jouèrent un rôle de premier plan.
Puis, après l’échec du mouvement communaliste vint la répression versaillaise avec Thiers et Galiffet qui exterminèrent, emprisonnèrent et déportèrent plus de trente mille personnes à Paris, cent dix mille dans la France entière.
Œuvre vaine, d’ailleurs, puisque les auteurs de ces méfaits abominables virent eux-mêmes se reconstituer presque aussitôt le mouvement qu’ils avaient cru détruire à jamais. N’y a-t-il pas là, dans cette résurrection, de quoi anéantir tout le pessimisme d’aujourd’hui ?
Les premiers qui tentèrent de reconstituer le mouvement ouvrier, sous l’état de siège et l’ordre moral, n’étaient certes pas des révolutionnaires. Mutuellistes, républicains, ils se donnaient comme but : la conciliation du capital et du travail, comme les démocrates sociaux d’aujourd’hui. Ils n’en furent pas moins traqués. Preuve suffisante pour démontrer que le capital et le Pouvoir pratiquent, eux, constamment la lutte de classe, même lorsque le prolétariat tend à collaborer avec eux.
Faible au début, ce mouvement n’en prit pas moins rapidement une certaine ampleur. Par ses moyens propres, il réussit à envoyer une délégation de 90 membres à l’Exposition Universelle de Vienne (Autriche), en 1873.
La même année, il crée le Cercle de l’Union Syndicale, lequel donne des inquiétudes au pouvoir qui le supprime aussitôt constitué.
En 1875, il y avait 135 Chambres Syndicales qui purent à nouveau envoyer une délégation à l’Exposition Universelle de Philadelphie, en 1876.
C’est alors que cette délégation lança à son retour un manifeste qui rappelait celui des soixante de 1863. On y lisait ces lignes qui, aujourd’hui encore, ne manquent pas d’intérêt :
« Prolétaires, soyons bien persuadés que l’œuvre de la civilisation réside en nous et qu’elle ne s’accomplira que par nous.
« À l’œuvre, prolétaires ! Trop longtemps instruments de la puissance d’argent, tendons-nous la main et marchons, ainsi, à la conquête de nos instruments de travail, à la possession de la propriété qui, en toute justice, doit appartenir à nous ! Le Travail est le pivot de l’Humanité. Honneur aux travailleurs ! »
Quoique ce fût la pensée d’une minorité éclairée, assez faible, la tradition était renouée.
Les événements vont d’ailleurs se précipiter avec rapidité.
À peine la délégation des Chambres Syndicales était-elle partie pour Philadelphie que fut lancée l’idée d’un Congrès ouvrier, accueillie avec un vif enthousiasme dans le pays entier.
Il se tint le 2 octobre 1876. 94 groupements (76 de Paris, 16 de province plus 2 Unions Centrales constituées à Lyon et à Bordeaux, se réunirent) à Paris, salle des Écoles, rue d’Arras ; 360 délégués y participèrent.
On a lu dans l’exposé historique des Bourses du Travail la façon dont Bonne (tisseur de Roubaix) ébauchait déjà le rôle à ce Congrès, le principal passage de la résolution qui y fut votée.
Certes, cette résolution n’était pas incendiaire. Loin s’en faut. Elle proclame cependant la nécessité de l’indépendance du mouvement ouvrier. De même elle se prononça contre le projet Lockroy, ce précurseur malhabile de Waldeck-Rousseau.
Tranquillisés, les maîtres de l’heure purent croire que le mouvement ouvrier n’était plus à craindre. Ils se crurent débarrassés du « spectre rouge ». Ils devaient déchanter avant longtemps.
Les militants de l’école marxiste : Guesde, Lafargue, Chabert, rentrés d’exil, reprirent les doctrines du Conseil général de l’A. I. T. disparue. Ils tentèrent d’organiser un Congrès pendant l’Exposition Universelle de Paris, en 1878. Ils furent poursuivis et empêchés de le tenir.
Ils saisirent alors l’occasion qui leur était offerte de participer au 2e Congrès ouvrier qui se tint à Lyon, la même année. Malgré tous leurs efforts, les collectivistes ne purent influencer le Congrès qui ne se rendit pas à leurs idées.
C’est à ce Congrès que Balleret prononça son fameux discours contre l’électoralisme, la dictature et l’État, bien qu’il fut collectiviste. Il est vrai qu’à cette époque le collectivisme condamnait l’État, ce qui n’existe plus de nos jours chez les socialistes et les communistes qui ne voient de salut que dans une administration étatique centralisée.
Le 3e Congrès se tint à Marseille, le 21 octobre 1879 : Les collectivistes y triomphèrent des mutuellistes qui furent écrasés.
Par 72 voix contre 27 le Congrès adopte pour but : la collectivité du sol, sous-sol, instruments de travail ; matières premières données à tous et rendues inaliénables par la Société à qui elles doivent retourner ».
Ce qui n’empêche nullement le Congrès d’invoquer la légalité et de déclarer que ce programme n’est réalisable que par la prise du pouvoir politique et de transporter dans l’arène politique l’antagonisme des classes. Décidément, dans un an, les collectivistes, parvenus à leurs fins, avaient fait du chemin, mais à rebours.
C’est du Congrès de Marseille, en 1879, que date l’immixtion de la politique dans les syndicats. Ceux-ci s’en trouvèrent gênés jusqu’à la constitution de la C. G. T. en 1895.
L’unité ouvrière en fut retardée d’un quart de siècle.
Et ce fut une suite de luttes terribles qui s’aggravèrent encore du fait des scissions qui se produisirent et se multiplièrent dans le Parti socialiste en se répercutant dans les Syndicats, comme aujourd’hui.
D’un côté, le socialisme faisant de l’État l’organe et la fin de la transformation sociale ; de l’autre, un assemblage de doctrines contradictoires qui s’efforçaient dans leur condensation difficile de se rapprocher du Bakouninisme et des Fédéralistes de l’Internationale.
Le fossé entre le Parti socialiste et les Syndicats se creusa sans cesse. Sentant que l’action politique compromettait leur unité et contrariait leur activité, les Syndicats s’en détournèrent.
Dans le Parti socialiste les choses se gâtèrent d’ailleurs rapidement. Une première scission se produisit en 1881. Brousse, Joffrin, Rouanet, Ferroul et Boyer se séparèrent des guesdistes pour former la tendance « possibiliste ».
Pendant ces déchirements socialistes, les Syndicats poursuivirent une existence obscure.
Pourtant un vaste travail en vue d’une organisation plus grande se faisait sur le terrain économique.
En 1883, une organisation, la corporative du Ve Arrondissement de Paris, appelait les salariés à l’union « entre tous ceux qui voulaient l’affranchissement des travailleurs par eux-mêmes ».
L’année suivante, en 1883, un groupe d’ouvriers publia une brochure dont quelques formules sont remarquables pour l’époque :
« Le Prolétariat, pour sa lutte émancipatrice, trouve aujourd’hui dans la corporation, sa base d’opération la plus sûre, comme jadis la bourgeoisie, pour son affranchissement, trouva la sienne dans la commune. »
« Il s’agit d’ouvrièriser la Société, de façon que, sur les ruines d’un monde où l’on tenait à honneur de vivre noblement sans rien faire, il s’élève un monde plus juste où chacun puisse vivre en travaillant et ne puisse vivre autrement. La clef de la question sociale, c’est la corporation ».
N’y a-t-il pas dans cette idée, bégayée, comme le disait Proudhon en 1863, l’idée de la reconstruction sociale dont les Syndicats seront les cellules ?
Bien que leur existence fût obscure, comme nous l’avons dit, l’organisation corporative ouvrière n’en progressait pas moins.
En 1881, on comptait en France 500 Chambres Syndicales ouvrières, dont 150 à Paris, avec 60.000 adhérents ; les patrons avaient à cette époque 138 Associations groupant 150.000 membres, si l’on s’en tient au rapport d’Allain Targé à la Chambre sur l’abrogation des arts. 414, 415 et 164 du Code pénal en 1881.
C’est en cette année 1881, que fut constituée la Fédération des Travailleurs du Livre. Celle des Charpentiers existait depuis 1880, de même que celle des Mineurs. Les Fédérations lithographique et culinaire furent constituées en 1884.
C’est à ce moment que le législateur sentit la nécessité d’introduire dans le Code la reconnaissance du droit syndical, de le codifier pour canaliser l’effort ouvrier, afin de faire des syndicats un contrepoids au patronat.
La loi du 21 mars 1884 fut l’œuvre habile de Waldeck-Rousseau.
Cette loi n’était, bien entendu, libérale qu’en apparence. Elle reconnaissait un fait sur lequel il était impossible de revenir. Elle établissait la séparation entre le droit de coalition et le droit syndical. De même, elle maintenait l’art. 414 et 415 du Code pénal — toujours en vigueur — sur les atteintes à la « liberté du travail » ; elle refusait le droit syndical aux fonctionnaires et ouvriers de l’État ; elle tendait à restreindre l’activité du groupement corporatif. Le seul fait nouveau était la reconnaissance légale des Syndicats.
Elle n’eut de valeur que par l’action tenace des ouvriers qui firent reconnaître leurs organisations par le patronat, malgré que celui-ci s’y opposât fortement.
Elle permit au syndicalisme de se développer plus facilement et l’État ne perdait pas l’espoir d’utiliser cette force naissante contre le capitalisme industriel et bancaire qui tentait, chaque jour un peu plus de se substituer à lui.
La circulaire de Waldeck-Rousseau, adressée aux Préfets, montre bien tout le parti que le Gouvernement comptait tirer des Syndicats, s’il réussissait à les maintenir sous sa tutelle.
Pendant que le pouvoir tentait de réaliser ses desseins, le syndicalisme prenait force et vie. Les ouvriers acquéraient la notion de l’interdépendance des corporations. Ils saisissaient mieux aussi la généralisation indispensable de leurs Unions. Ils n’accordaient d’ailleurs à la loi de 1884 que sa valeur restreinte. Ils ne l’accueillirent que très fraîchement et en 1886, au Congrès de Lyon, ils la dénoncèrent comme un piège. Longtemps, ils ne s’y conformèrent que peu ou point.
D’ailleurs si cette loi n’est plus combattue aujourd’hui avec la même vigueur, cela tient à ce que le Pouvoir a laissé tomber en désuétude la plupart des dispositions restrictives qu’elle contient.
Nous sommes, aussitôt le vote de cette loi, en pleine confusion. À l’intrusion du Parti politique dans le mouvement syndical, il faut ajouter la scission du Parti socialiste, comme nous l’avons vu. Mais le morcellement ne devait pas s’arrêter là. Les « possibilistes » de la Fédération des Travailleurs socialistes devaient connaître une nouvelle scission. Les « allemanistes » sortirent de la Fédération pour former le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.
Il est impossible d’étudier ici toutes les querelles qui opposèrent les unes aux autres les fractions socialistes, mais on doit les mentionner pour aider à comprendre l’histoire du syndicalisme et les difficultés qu’il rencontrera par la suite, à partir de 1920.
Si ces scissions eurent pour conséquence de gêner considérablement le développement du syndicalisme, elles empêchèrent, par contre, un Parti d’accaparer son action et de le mettre en tutelle.
Il serait puéril cependant de nier l’influence du socialisme de cette époque sur le syndicalisme à peine organisé. Il ne faudrait pas non plus surestimer cette influence. Les syndicats non socialistes ne tardèrent pas, par exemple, à reconnaître l’impossibilité de concilier les intérêts des travailleurs avec ceux des patrons. L’esprit révolutionnaire ne tarda pas à se développer chez eux.
Les divisions qui réduisaient le socialisme à l’impuissance eurent pour effet de rapprocher les ouvriers de l’action, spécifiquement syndicale qui prit sans cesse une plus grande place. Déjà, ils ne la subordonnaient plus aussi complètement à l’action politique, lorsque les « allemanistes » proclamèrent au Xe Congrès, en 1891, « que l’action politique n’a guère que la valeur d’un moyen de propagande et d’agitation ».
Cette motion déclarait en outre : « Il y a nécessité d’envisager une levée en masse des travailleurs, qui par la grève générale nationale et internationale, donneront une sanction aux grèves partielles ».
C’était la première fois que l’idée de la grève générale était formulée d’une façon claire et nette. Elle devait faire son chemin.
À côté des « allemanistes », les « blanquistes » du Comité révolutionnaire central (fondé en 1881) avec Vaillant, tendaient à reconnaître au mouvement syndical une certaine autonomie pendant que les anarchistes-communistes, dont le rôle ne tardera pas à être prépondérant, affirmaient déjà la nécessité de l’indépendance du syndicalisme.
C’est sous de tels auspices que se réunit le Congrès de Lyon, le 11 octobre 1886. Alors que les socialistes pensaient que les Syndicats étaient acquis « au socialisme parlementaire », ceux-ci s’affirmèrent au contraire nettement « révolutionnaires ».
Pour différencier les deux sections du mouvement ouvrier, le Congrès décida la constitution d’une Fédération des Syndicats qui permettrait de distinguer les deux actions : économique et politique.
Il vota, à ce sujet la résolution suivante :
« La Fédération nationale des Chambres Syndicales se déclare sœur de toutes les Fédérations socialistes ouvrières existantes, les considèrent comme une armée tenant une autre aile de la bataille ; ces deux armées devront dans un temps peu éloigné faire leur jonction sur un même point pour écraser l’ennemi commun. »
À vrai dire c’était là une affirmation assez équivoque de l’autonomie des mouvements. La prédominance du Parti y était à peine masquée. On s’en aperçut bien au Congrès de Montluçon en 1887 et on le vit mieux encore lorsque la Fédération des Syndicats et groupes corporatifs ouvriers de France tint ses assises dans les mêmes villes et avec les mêmes éléments, en même temps que l’organisation politique à la remorque de laquelle elle traîna une existence peu brillante, malgré quelques velléités d’indépendance, comme à Bordeaux en 1888.
Elle disparut d’ailleurs assez vite de la scène. Sans programme bien à elle, machine politique au service de l’action électorale, elle était d’avance vouée à l’impuissance. Sa disparition fut encore hâtée par l’apparition des Bourses du Travail, fait capital de cette époque du mouvement syndical.
On a trouvé dans l’étude consacrée à la Bourse du Travail toute l’histoire de celle-ci et son origine. Nous n’y reviendrons donc pas ici. Nous nous bornerons à constater que la première Bourse fut créée à Paris en 1886, après l’adoption du projet Mesureur.
Les Bourses se multiplièrent rapidement. Il y en avait 14 en 1892. Elles eurent tout naturellement l’idée de se fédérer entre elles et mirent leur projet à exécution à Saint-Étienne, le 7 février 1892.
Leur but, leur constitution furent définis à ce Congrès. De cette époque date la deuxième phase évolutive du syndicalisme qui va sans tarder affirmer son caractère de mouvement spécifique de classe.
Le Syndicat socialiste sentant le danger que représentait pour eux la jeune Fédération des Bourses, repoussa la proposition d’un Congrès commun à la réunion des Syndicats de la Fédération des Syndicats à Marseille en 1892.
Ce Congrès de Marseille de la Fédération des Syndicats eut à se prononcer sur la résolution votée à la Conférence régionale de Tours qui s’était tenue quelques jours auparavant et avait adopté la grève générale comme seul moyen révolutionnaire. Malgré tout le talent de M. Aristide Briand — qui depuis… — le Congrès de Marseille marqua sa rupture avec les Syndicats en repoussant leur suggestion.
C’est alors que se tint à Paris, en 1893, un autre Congrès des Bourses qui fut retardé en raison de la fermeture de la Bourse du Travail de Paris par Charles Dupuy, président du Conseil, à qui l’activité des Bourses portait ombrage.
Ce Congrès se tint le 12 juillet 1893. Il eut tout de suite le caractère d’une protestation véhémente contre le coup de force gouvernemental. Un grand nombre de délégués, y compris ceux représentant les Centres inféodés au Parti, y assistaient.
La discussion sur la question d’union des forces ouvrières se termina par le vote de la résolution ci-dessous :
« Tous les Syndicats ouvriers existants devront, dans le plus bref délai, adhérer à leur Fédération de métier ou en créer, s’il n’en existe pas ; se former en Fédérations locales ou Bourses du Travail, puis ces Fédérations et ces Bourses du Travail devront se constituer en Fédérations nationales.
« À cet effet, le Congrès émet le vœu que la Fédération des Bourses du Travail de France et la Fédération nationale des Chambres Syndicales se fondent en une seule et même organisation.
« Il sera fondé un Comité Central composé de deux délégués par Fédération de métier et quatre pour la Fédération nationale des Bourses du Travail et les Chambres Syndicales. »
Ce ne fut, hélas !, qu’un vœu. L’organisation unique ne devait surgir que deux ans plus tard, en 1895, après la disparition effective de la Fédération des Syndicats en 1894, après le Congrès de Nantes.
L’idée concrète de l’Unité au mouvement syndical n’en date pas moins de ce Congrès. Elle devait trouver sa matérialisation assez rapidement. Elle se fera pressante jusqu’au point d’apparaître comme la préoccupation dominante de la classe ouvrière.
Un recul suivit pourtant cette décision du Congrès de 1893.
Le Congrès avait bien nommé une Commission de neuf membres dite « d’organisation de la grève générale », mais elle fit aucun travail vraiment positif. Il convient d’ailleurs d’ajouter que le Parti ouvrier français ne lui ménagea pas les ennuis et il fit si bien qu’au Congrès de Nantes, en 1894, les deux Fédérations (Bourses et Syndicats), organisèrent deux Congrès séparés.
La Bourse du Travail, sollicitée par les deux groupements, leur déclara qu’il ne lui semblait pas nécessaire d’organiser ces deux Congrès et leur proposa de fusionner. Tandis que la Fédération des Bourses acceptait aussitôt, celle des Syndicats donna son adhésion d’assez mauvaise grâce, après avoir tenté de tenir son Congrès à Saint-Nazaire.
C’était, pour le Parti ouvrier français un échec incontestable. Aussi, décida-t-il, pour la première fois, que le Congrès politique précéderait celui des Syndicats.
Il espérait qu’en se prononçant contre la grève générale, il influencerait le Congrès des Syndicats. Il n’en fut rien.
Les éléments des Syndicats du Parti furent complètement défaits et c’est par 67 voix contre 37 que le Congrès se prononça contre la thèse du Parti ouvrier français.
La cassure était consommée et l’Unité, un moment entrevu semblait s’éloigner à nouveau.
Ces perspectives alarmantes disparurent assez vite en raison du rôle réduit que joua désormais la Fédération des Syndicats.
Ombre d’elle-même, elle tint un Congrès à Troyes en 1895. Elle anathématisa contre la grève générale et repoussa l’idée de la grève générale, mais elle ne put empêcher que la Confédération Générale du Travail naisse à Limoges en cette même année 1895.
D’autres faits allaient concourir à soustraire le mouvement syndical à l’influence des partis politiques.
Guesde, en effet, réagit vigoureusement contre cette séparation du syndicalisme et du socialisme parlementaire, et le Congrès international socialiste de Londres (1895) eut à examiner longuement cette question.
Déjà, il avait pris la précaution, dans un précédent Congrès international tenu à Zurich, de faire voter avec ses amis de l’Internationale, une résolution qui excluait tous les adversaires de l’action parlementaire
Cette résolution disait : « Toutes les Chambres Syndicales seront admises au Congrès, et aussi les Partis et les organisations socialistes qui reconnaissent la nécessité de l’organisation des travailleurs et de l’action politique.
« Par l’action politique on entend que les organisations des Travailleurs cherchent autant que possible à employer ou à conquérir les droits politiques et le mécanisme de la législation, pour amener ainsi le triomphe des intérêts du prolétariat par la conquête du pouvoir politique. »
On comprend aisément qu’ainsi préparé, le Congrès de Londres ne fut qu’une violente réaction des politiciens contre le syndicalisme affirmant sa maturité.
La bataille commence par la discussion sur la validation des mandats. Les politiques contestèrent ceux des délégués ouvriers en rappelant la décision de Zurich. Les deux thèses s’affrontèrent avec force. Ce fut Guesde qui engagea la bataille.
Tranchant comme à son habitude, il déclara :
L’action corporative est une simple interprétation de l’ordre capitaliste. La classe ouvrière ne peut se désintéresser du gouvernement. C’est au gouvernement, c’est au cœur qu’il faut frapper. Dans ce Congrès, il n’y a pas de place pour les ennemis de l’action politique. Ce n’est pas de l’action corporative qu’il faut attendri la prise de possession des grands moyens de production. Il faut d’abord prendre le gouvernement qui monte la garde autour du capitalisme. Ailleurs, il n’y a que mystification, il y a plus, il y a trahison… Ceux qui rêvent une autre action n’ont qu’à tenir un autre Congrès.
Comme on le voit, la condamnation était formelle, sans réplique. Aveuglé par son dogmatisme politique, Guesde ne pouvait comprendre que c’est par l’action simultanée de destruction du pouvoir bourgeois et de prise des moyens d’échange et de production que le prolétariat, toutes forces réunies, mettra fin au régime capitaliste.
Il n’en fut pas moins suivi par tous les représentants socialistes français : Jaurès, Gérault-Richard, Viviani, Deville, Rouanet et Millerand, dont la majorité devait, par la suite, faire une si brillante carrière dans le sein de la bourgeoisie, avec Guesde lui-même.
Les représentants socialistes étrangers ne furent d’ailleurs pas moins catégoriques. Nous sommes, proclament Wilhem Liebknecht, avec les « collectivistes », contre les « anarchistes ».
C’était le renouvellement des luttes de la Ier Internationale, les mêmes que celles que nous connaissons aujourd’hui.
Les délégués syndicaux français se défendaient d’assister à ce Congrès en tant qu’anarchistes. Ils n’étaient que des délégués ouvriers et rien de plus, quelles que soient, affirmaient-ils, leurs pensées personnelles.
C’étaient, parmi les plus marquants, Pelloutier, secrétaire des Bourses ; Allemane, leader du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire ; Vaillant, député de la Seine ; Pouget, rédacteur du « Père Peinard » ; Guérard, des cheminots ; Tortelier, un des précurseurs du syndicalisme. Tous se réclamaient purement et simplement de leur mandat syndical.
Ce mandat se traduisait ainsi : S’abstenir de toute discussion, de toute déclaration politiques ; sur ce point, ils étaient neutres, si bien qu’ils s’abstinrent dans le vote excluant les anarchistes proprement dit. Ils ne voulaient faire que de l’action syndicale.
La délégation française se sépara en deux parties à peu près égalés : 57 contre, 56 pour.
Furieux, les socialistes français firent claquer les portes et se retirèrent, en dénonçant comme une manœuvre de la réaction — déjà — cette indifférence des syndicats pour la conquête du pouvoir qui livrait le socialisme à l’ennemi.
Le Congrès se montra lui-même, si possible, plus intransigeant encore.
La tendance politique s’y affirma nettement… « L’action législative et parlementaire » fut considérée « comme l’un des moyens nécessaires » pour arriver « à la substitution du socialisme au régime capitaliste ». En conséquence, déclarait Wilhem Liebknecht, dans sa motion, les anarchistes seront exclus.
Ces décisions du Congrès de Londres eurent pour résultat d’accentuer la séparation des deux mouvements en France. C’était le rôle que devait jouer le IIe Congrès de l’I. S. R. en 1922.
« Tous les militants de l’action syndicale, écrivait aussitôt Pelloutier, vont exploiter l’intolérance stupide de la majorité pour élargir le fossé qui séparait déjà les syndicats des politiciens ». Il en fut ainsi jusqu’en 1906, après que les partisans de l’action politique eurent multiplié leurs assauts jusqu’au Congrès d’Amiens en 1906.
La résolution de Londres n’eut pas des effets qu’en France. Elle paralysa longtemps, et jusqu’à la guerre, l’activité de l’Internationale syndicale. C’est un chapitre qui sera étudié plus loin.
Constitution de la C. G. T. — La constitution de la Fédération des Bourses du Travail n’avait fait qu’ébaucher l’organisation nationale du syndicalisme français. C’était certes, un commencement important, mais il était évident qu’une tâche considérable restait à accomplir.
Les Bourses du Travail réalisaient bien le lien social — le plus important — entre les Syndicats d’une même localité, la Fédération réalisait bien aussi ce lien au point de vue national, mais il était évident qu’il fallait aussi réaliser la liaison nationale entre les Syndicats d’un même métier.
Les Guesdistes avaient tenté de le faire avec leur Fédération des Syndicats, tandis, que par contre, ils n’avaient pas, par méconnaissance ou dogmatisme étroit, cherché à réaliser le lien social.
Il est fort probable que l’absence de ce lien qui favorisait l’action du Parti ou des Partis socialistes fut volontaire parce que les Guesdistes sentaient déjà que le syndicalisme, ainsi organisé socialement, ne tarderait pas à s’émanciper de leur tutelle. Il ne faut pas chercher d’autre raison à l’hostilité sans cesse accrue que les Guesdistes manifestèrent toujours à l’égard de la Fédération des Bourses du Travail, cellules de la Société de l’avenir.
Avortée dès sa constitution, la Fédération des Syndicats n’eut ni le programme sérieux, ni l’action vigoureuse capables d’attirer les travailleurs.
Ceux-ci, la sentant d’ailleurs placée sous les directives politiques, la boudèrent. Les querelles, les scissions dont le Parti socialiste fut l’objet les en détachèrent définitivement. Instinctivement, ils se rapprochèrent de la Fédération des Bourses et, y adhérant en grand nombre, lui donnèrent tout de suite une importance considérable, pendant que, sous l’influence et par le labeur acharné de Pelloutier, elles jouaient un rôle de plus en plus grand.
Ce ne fut, certes, pas l’œuvre d’un jour. Ce n’est qu’après bien des tâtonnements, des erreurs souvent graves, des incohérences forcées que, dans ces temps troublés, la Fédération des Bourses parvint à faire comprendre la neutralité politique que le Congrès d’Amiens devait proclamer comme la première condition d’Unité ; et que le mouvement ouvrier réussit à donner son organisation propre, de classe, indépendante de tous les partis.
Ce sont autant de difficultés que les militants durent vaincre, difficultés que ne comprennent pas toujours les hommes de notre époque qui ignorent, en immense majorité, comment s’est constituée la C. G. T.
Le syndicalisme actuel, dans ses organes comme dans ses idées — trop souvent inexprimées — n’est pas le résultat de l’application d’un plan, d’un système préconçu. Il est la conséquence d’une longue étude des faits sociaux, de leurs enseignements. Il résulte d’une longue et pénible évolution qui continue. Son aspect, ses caractéristiques particulières se modifient selon les nécessités du moment. Il en sera toujours ainsi parce qu’il est l’interprétation aussi exacte que possible de la vie en perpétuelle évolution. Le syndicalisme de l’an 2000 ne ressemblera pas plus à celui 1925 que celui-ci ne ressemble au mouvement de 1873. Il peut évoluer à l’infini, donner à toutes les périodes de l’histoire, satisfaction à tous les individus, quelle que soit leur philosophie. Il peut réaliser aussi bien le communisme organisé que le communisme libre associatif et momentané pour atteindre, un jour, au stade supérieur de l’Anarchie. Ceci est suffisant pour que tous les travailleurs y trouvent place et tentent dans son sein d’acquérir le maximum de bien-être et de liberté correspondant à chaque époque de l’histoire, à chaque stade de l’évolution. Le syndicalisme est un perpétuel devenir.
C’est ce que comprit Pelloutier lorsqu’il entreprit l’œuvre grandiose qui devait trouver son achèvement dans la constitution des Bourses du Travail et la constitution de la C. G. T. C’est ce qu’il précisa dans sa fameuse lettre aux anarchistes.
C’est sous l’empire de ces idées générales, mal assises, confuses peut-être, que délibéra le Congrès de Nantes en 1894.
Pelloutier proposait que le lien commun fût le Comité de grève générale ; d’autres comme Bourderon, qui représentait la Bourse du Travail de Paris, voulaient créer un lien national plus solide.
Il en sortit un Comité Syndical ouvrier mal venu, qui resta incompris, n’eut qu’une influence restreinte et, en réalité, ne fonctionna que peu ou même pas du tout. Il n’en formait pas moins l’embryon de la future C. G. T.
Le Congrès de Nîmes, en 1895, indiqua le développement de la Fédération des Bourses et la place de première importance qu’elle prenait dans le mouvement ouvrier. C’est ce Congrès qui appela Pelloutier au Secrétariat national de la Fédération des Bourses : Il le conserva jusque sa mort, en 1900.
Les militants, disait ce Congrès, sont à nouveau préoccupés de donner un organisme sérieux et durable au prolétariat français, ils sont préoccupés aussi de rechercher les moyens, les plus propres à unifier les organisations ouvrières, à coordonner les forces syndicales et à dresser, en face du capital, l’armée du prolétariat.
C’est à cette tâche que se consacra le Congrès de Limoges qui s’ouvrit le 23 septembre 1895.
À ce Congrès étaient représentées : 28 Fédérations, 18 Bourses et 18 Chambres Syndicales. La première question à l’ordre du jour était la suivante : Plan général d’organisation corporative, de l’action et des attributions des différentes organisations existantes.
Cette seconde partie de l’ordre du jour avait pour but de faire disparaître le chevauchement d’attributions dangereuses et qu’il fallait, autant que possible, délimiter. On n’y parvint d’ailleurs qu’assez mal.
Ce Congrès marqua la prépondérance incontestée de la Fédération des Bourses. Il marqua la nécessité de tenir l’action syndicale hors de l’action politique, il reconnut l’indispensabilité de séparer les deux mouvements : économique et politique.
Après une longue discussion, la Commission d’organisation corporative proposa les dispositions suivantes qui indiquaient les statuts primitifs de l’organisation Confédérale :
1° Entre les divers Syndicats des groupements professionnels, de Syndicats d’ouvriers et d’employés des deux sexes existant en France et aux Colonies, il est créé une organisation unitaire et collective qui prend pour titre : Confédération Générale du Travail.
Les éléments constituant la Confédération Générale du Travail devront se tenir en dehors de toutes écoles politiques ;
2° La Confédération Générale du Travail a exclusivement pour objet d’unir, sur le terrain économique et dans des liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale ;
3° La Confédération Générale du Travail admet dans ses rangs :
a) Les Syndicats ;
b) Les Bourses du Travail ;
c) Les Unions ou Fédérations locales de Syndicats de diverses professions ou de métiers similaires ;
d) Les Fédérations départementales ou régionales de Syndicats ;
e) Les Fédérations nationales de Syndicats de diverses professions ;
f) Les Unions ou Fédérations nationales de métiers et les Syndicats nationaux ;
g) Les Fédérations d’industrie unissant diverses branches de métiers similaires ;
h) La Fédération nationale des Bourses de Travail.
Les articles suivants fixaient la constitution intérieure de la C. G. T., à la tête de laquelle se trouvait placé un Conseil National formé de délégués des Unions ou Fédérations, les attributions de celui-ci et des Commissions qu’il pourrait constituer, l’institution d’un Congrès annuel.
À la vérité, tout cela était assez confus, mais correspondait à la complexité, à la diversité des organismes ouvriers de cette époque. C’était plutôt un « entassement » — le mot est de Jouhaux — qu’une organisation rationnelle.
Si imparfaite qu’elle soit, l’œuvre accomplie à Limoges est loin d’être négligeable. Elle marque un sérieux progrès sur ce qui existait auparavant.
La nouvelle organisation, pour primitive et imparfaite qu’elle fût, rencontra d’ardents défenseurs qui, avec raison d’ailleurs, ne se masquèrent pas leurs critiques.
Le 3e Congrès National corporatif se tint à Tours, du 14 au 19 septembre 1896.
Il constata que la fusion des éléments participant à l’action confédérale (Fédérations d’Industrie et Bourses du Travail), était loin d’être accomplie, que l’unification n’était guère que théorique.
La Fédération des Bourses, en particulier, avait une assez grande méfiance à l’égard de la nouvelle organisation dont l’activité était restreinte. Elle tint un Congrès à Tours avant le Congrès Confédéral. Il s’ouvrit le 9 septembre.
Pelloutier voulait qu’on définît le rôle général des groupements locaux et par contrecoup la valeur de transformation du syndicalisme.
Il fut décidé de donner aux Bourses un programme de recherches méthodiques sur ces conditions économiques du travail, de la production, de l’échange, de façon qu’en étudiant les régions qu’elles embrassent en apprenant, avec les besoins, les ressources industrielles, les zones de culture, la densité de la population, en devenant des écoles de propagande, d’administration, d’études, en se rendant pour tout dire en un mot, capables de supprimer et de remplacer l’organisation présente, elles s’affirment comme une institution pouvant s’adapter à une organisation sociale nouvelle.
N’est-ce pas là, concrètement définie, la pensée des syndicalistes d’aujourd’hui ? N’est-ce pas cette idée qui les a guidés lorsqu’ils voulaient substituer les Unions régionales économiques, au Congrès constitutif de la C. G. T. et, en juillet 1922, aux Unions départementales, délimitations politiques sans valeur pour le mouvement syndical ?
Le Congrès des Bourses définit ainsi son attitude en regard de la C. G. T.
Le Congrès des Bourses du Travail accepte la constitution d’une Confédération exclusivement composée des Comités fédéraux des Bourses du Travail et des Unions locales de métiers, cette Confédération n’ayant pour objet que d’arrêter, sur les faits d’intérêt général qui intéressent le mouvement ouvrier, une tactique commune, et la réalisation de cette tactique restant aux soins et à la charge de celles des Fédérations adhérentes qu’elle conserve.
Ce n’était, évidemment, qu’une adhésion conditionnelle, réservée, mais telle qu’elle, elle marquait un grand pas en avant vers l’Unité réelle.
Le Congrès des Bourses régla ainsi qu’il suit les rapports des deux organisations (Bourses et Syndicats).
Pour arriver à diminuer la durée des Congrès, le 5e Congrès des Bourses est d’avis que : 1° Chaque Fédération Nationale doit supprimer de son ordre du jour particulier, toutes les questions d’intérêt général, l’étude de ces questions devant être laissée au Congrès général des Syndicats ; et 2° Que tous les Congrès administratifs doivent se tenir à la même époque et dans la même ville. Pour sanctionner ce vœu, il décide que les futurs Congrès des Bourses du Travail n’inscriront à leur ordre du jour que les questions intéressant les Bourses du Travail.
Cette résolution fut acceptée par 25 voix contre 5.
Ainsi fut défini le régime sous lequel devaient se tenir pendant 8 années les assises nationales du mouvement syndicaliste français.
Le Congrès de la C. G. T. s’ouvrit aussitôt après, avec 71 délégués représentant 203 organisations corporatives. Il discuta surtout l’attitude des syndicats vis-à-vis de la politique.
« Les questions politiques disait Keufer, les rivalités d’école qu’on ne compte plus, ont dispersé les effets, augmenté les divisions et l’impuissance. »
Ne se croirait-on pas en 1925 ? Les délégués furent unanimes à écarter des Syndicats « ce brandon de discorde », en même temps qu’ils précisèrent, comme suit, la mentalité, syndicale.
Le Congrès corporatif de Tours invite les organisations corporatives à se tenir à l’écart de toute action politique.
On aurait aujourd’hui grandement besoin de revenir à cette saine conception du syndicalisme.
Le principe de la grève générale fut aussi accepté à la presque unanimité avec une précision importante dont la valeur reste totale aujourd’hui.
La grève générale comme la grève partielle, sont des conflits d’ordre économique, et si, après les Syndicats, l’idée en a été propagée par des groupements politiques révolutionnaires, qui acceptent les décisions des Congrès ouvriers au lieu de les combattre, ils n’en conservent pas moins un caractère de lutte purement syndicale.
Le Congrès ne faisait pas, toutefois, de l’acception de ce principe, une condition formelle et absolue à l’admission à la C. G. T.
Tours marquait un très gros progrès sur les Congrès antérieurs. Il restait beaucoup à faire pour faire passer son œuvre théorique dans le domaine des faits.
Ce fut l’œuvre du Congrès de Montpellier en 1902. Entre temps, les deux organisations (Bourses et Syndicats) vécurent côte à côte sans cesser d’avoir leur vie propre, se querellant souvent, méfiante l’une vis-à-vis de l’autre. La Fédération des Bourses dominait manifestement, sous l’admirable impulsion de Pelloutier. Elle traduisait fréquemment ses craintes d’être absorbée par la C. G. T. À son Congrès de Toulouse, en 1897, elle se montra renforcée et agissante, désireuse d’étendre son action aux milieux ruraux et maritimes, dont Pelloutier avait pressenti le grand rôle dans la révolution économique.
Le Congrès des Syndicats, moins important, tenta, lui aussi, de définir les attributions et représentations des deux organismes au sein de la C. G. T.
Toulouse fut un essai d’unification qui aurait dû logiquement se continuer à Rennes en 1898. Ce fut le contraire.
Ce Congrès de Rennes aboutit en fait à la séparation des deux sections Confédérales. Aucun doute n’est permis lorsqu’on lit dans la résolution adoptée, ce passage significatif :
Les deux organismes constituant la Confédération (Comité National et Fédérations des Bourses) ne se réunissent qu’en cas d’événements imprévus et nécessitant manifestement une entente.
Si l’idée d’Unité subsistait, elle n’était pas moins en recul quant à la réalisation.
En somme, la C. G. T. ne constituait qu’une sorte de lien moral entre les deux Organisations qui la composaient. Des militants virent immédiatement le danger d’une telle situation. On sera obligé de les réunir à nouveau disait Braun (Fédération de la Métallurgie). « Le Congrès de Rennes n’a pas fait de bonne besogne ». La question de votation fut aussi posée au 10e Congrès Corporatif National. Il s’arrêta au système du vote unitaire par Syndicat, quelle que soit l’importance numérique de celui-ci. Cette question reviendra d’ailleurs par la suite devant les Congrès suivants. Elle n’a pas cessé de se poser et continuera à l’être pendant longtemps encore.
À cette époque, nous étions en plein dreyfusisme, et le Syndicalisme ressentait fortement les secousses de l’agitation provoquée par cette affaire Dreyfus ainsi que par les crises industrielles qui se produisirent alors.
Aussitôt le Congrès de Rennes terminé, la grève des Terrassiers de la Seine, auxquels s’étaient joints un grand nombre de travailleurs du Bâtiment, battait son plein. 50.000 ouvriers au moins étaient en grève. Le moment parut propice pour engager la lutte et déclencher la grève générale.
Les Fédérations des Métallurgistes et des Cheminots se montrèrent très enthousiastes pour ce mouvement. C’est surtout de la Fédération des Cheminots que le signal était attendu pour ce mouvement, dont on escomptait beaucoup en raison de l’effet politique et économique qu’il ne devait pas manquer de produire, à la veille de l’Exposition Universelle de Paris (1900).
Le Gouvernement ayant intercepté les ordres de grève des Cheminots, l’échec fut complet dans cette corporation et, par répercussion, dans toutes les autres.
Lagailse, secrétaire de la C. G. T. et secrétaire adjoint des Cheminots, démissionna.
Par contre, les organisations du Bâtiment, mais elles seules, obtinrent de sensibles améliorations qui devaient, par la suite, largement contribuer au développement du syndicalisme dans cette importante industrie.
L’agitation au sujet de l’affaire Dreyfus sépara en deux groupes les forces ouvrières. Pendant que les unes étaient pour la révision, avec ceux qui suivaient Jaurès et Allemane dans le Parti socialiste, les autres se tenaient dans la neutralité. Les anarchistes participèrent, eux, activement à l’agitation « Dreyfusarde » avec Sébastien Faure, au premier rang de la bataille.
L’aboutissant de cette campagne fut le triomphe de la coalition des gauches et l’entrée de Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau, aux côtés de Galiffet le massacreur des Communards. Drôle de symbole qui prendra par la suite toute sa signification, lorsque Millerand arrivera au pinacle.
Et c’est à ce moment que s’ouvrit ce qu’on a appelé la période du Millerandisme, dont le but consistait à enrégimenter les forces ouvrières pour soutenir un pouvoir d’État chancelant. Le programme du Millerandisme fut exposé à Saint-Mandé en 1901, par son auteur.
Quoique habile, ce calcul n’eut pas les résultats attendus par les libéraux flanqués de Millerand-le-Renégat.
Toutes les prévisions de Millerand furent détruites et ses espoirs furent mis à terre par la grande grève du Creusot qui devait forcer 3.000 ouvriers à s’exiler et aboutit à la négation du droit syndical dans la contrée soumise au bon plaisir de Schneider.
L’incident sanglant survenu au cours d’une grève à la Martinique détourna définitivement les ouvriers du Millerandisme.
Entre temps, eut lieu, à Paris, le Congrès des Bourses, en 1900, ou 34 organisations étaient représentées. La question des rapports avec les partis politiques fut encore posée, mais sans succès pour ceux qui discutaient la fusion avec les groupes socialistes.
Après une belle démonstration de Pelloutier condamnant l’effet désastreux qui résulterait de cette fusion le Congrès adopta, à l’unanimité, la motion suivante de la Bourse de Constantine :
Considérant que toute immixtion des Bourses du Travail dans le domaine politique serait un sujet de division et détournerait les organisations syndicales du seul but qu’elles doivent poursuivre : l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes.
Décide :
Qu’en aucun cas, la Fédération des Bourses du Travail ne devra adhérer à un groupement politique.
Mais d’autre part, par un sentiment qu’on ne s’explique guère autrement, par une crainte de déviation qui aurait annihilé toute l’action et la propagande de la Fédération des Bourses, il fit repousser l’adhésion plus complète à la C. G. T.
« Ces deux organisations, dit le délégué de Lyon, doivent marcher de pair et faire chacune son travail, mais sans se confondre ».
L’œuvre incomplète de Rennes n’était pas achevée. Le Congrès de la C. G. T. se tint également à Paris, du 10 au 14 septembre 1900. 236 organisations y étaient représentées par 171 délégués.
La question des Fédérations d’industrie y fut agitée sans trouver de solution. Elle n’est pas encore solutionnée en ce moment.
La plus importante décision qui fut prise par le Congrès, fut la publication d’un journal syndicaliste La Voix du Peuple. L’abonnement de ce journal fut obligatoire. Il fit partie de ce qu’on a appelé : la triple obligation confédérale.
Lagailse fut remplacé au Secrétariat Confédéral par Renaudin (des Cuirs et Peaux), qui ne resta que quelques mois en fonctions et fut lui-même remplacé par Guérard (des Cheminots). Les deux Congrès Corporatifs (Bourses et Fédérations) se tinrent l’un après l’autre mais non dans la même ville.
Celui des Bourses se tint à Nice, le 17 septembre 1901. Pelloutier, mort en 1900, avait été remplacé par Yvetot.
Niel qui devait, un peu plus tard, être appelé au Secrétariat de la C. G. T. et qui représentait à ce Congrès la Bourse du Travail de Montpellier, concluait, dans son rapport sur la question de l’Unité, à l’union immédiate des deux grandes organisations nationales.
Cela est incompatible avec l’unité ouvrière, disait-il ; cela crée un antagonisme d’idées et de personnes. Il faut donc que l’une des deux disparaisse en tant qu’organisation centrale et qu’elle se fonde dans l’autre.
Et à son avis, ce qui peut surprendre ceux qui ignorent les idées de Niel, c’était la Fédération des Bourses qui devait disparaître ou tout au moins renoncer à son côté dirigeant.
Le Congrès n’entendit pas ce langage et ne suivit pas Niel. Yvetot s’opposa à la fusion ainsi conçue et sur son intervention, le Congrès se prononça en faveur « d’une étude plus approfondie » du projet Niel.
Toutefois, les désirs et les besoins d’unité étaient réellement considérables. Ils allaient devenir bientôt décisifs. Le Congrès confédéral, le 6e, se tint à Lyon, du 23 au 27 septembre 1901.
Le projet Niel revint en discussion. Le plan du délégué de Montpellier fut ainsi esquissé : à la base, le Syndicat ; au-dessus, la Bourse du Travail ; après les Bourses, les Fédérations ; enfin pour couronner l’édifice syndical, la C. G. T., synthèse de l’action ouvrière.
Les superpositions de groupements subsistaient encore, mais elles étaient considérablement réduites. Le projet fut remis et renvoyé à l’examen du Congrès de 1902 qui se tint à Montpellier du 22 au 27 septembre.
Une nouvelle explosion de grèves, le vote de la loi des 10 heures (Colliard-Millerand), les incidents qui en résultèrent incitèrent les militants à en finir.
Le Congrès des Bourses réunies à Alger, la semaine précédente, avait reconnu la nécessité de l’union. Un projet fut adopté dans ce sens et on confia à Niel le soin de le présenter au Congrès Confédéral.
Montpellier fut le véritable Congrès de l’Unité. Il fut dominé par cette question essentielle et la préoccupation de lui donner un statut.
Un seul Syndicat, celui des Maçons de Reims, formula quelques réserves. L’accord fut scellé à la quasi-unanimité. La coordination des forces confédérales était réalisée. La C. G. T. prit à Montpellier sa véritable figure.
Maxime Leroy dans la Coutume Ouvrière définit ainsi la C. G. T. issue du Congrès de Montpellier :
« La Confédération Générale du Travail ne constitue pas un groupement fonctionnant indépendamment des Syndicats, Bourses et Fédérations, à la manière d’un pouvoir exécutif se superposant et s’ajoutant, en les complétant, aux divers rouages politiques ou administratifs de la République. Elle n’est pas, non plus comparable à une sorte de « Syndicat supérieur », le « Syndicat des Syndicats », comme disait M. Allou, au Sénat, pendant la discussion de la loi de 1884. Elle n’est pas davantage une association de personnes ; elle n’a pas une vie autonome ; elle n’a ni assemblée générale, ni adhérents individuels. »
Cette démonstration est exacte. Elle montre l’impossibilité pour le régime actuel d’incorporer la C. G. T. dans son cadre juridique. Si elle ne montre pas son rôle, ni son but, elle l’exprime pourtant par l’application de la théorie des contraires. Nous le verrons en examinant d’abord la résolution de Montpellier et aussi la Charte d’Amiens.
Désormais, la C. G. T. va représenter le groupement commun aux deux sections : Bourses et Fédérations, fusionnées dans son sein. C’est une organisation au troisième degré ; le groupement de base étant le Syndicat de métier ou d’industrie, le groupement secondaire ayant forme double de Fédération nationale ou Bourse du Travail et la C. G. T. le groupement réalisent entre celles-ci la liaison qu’elles forment elles-mêmes entre les Syndicats.
On pourrait croire que cette organisation double de la base au faite n’est pas souple, qu’il existe encore des chevauchements, que l’unité est incomplète. Il n’en est rien. Au contraire, une telle organisation assure l’autonomie des groupements et la coordination des efforts, à condition que l’une des deux organisations secondaires ne tente pas d’empiéter sur les attributions de l’autre.
L’article 3 des statuts de Montpellier qui sera d’ailleurs modifié à plusieurs reprises, notamment en 1918 après le Congrès de Paris, donne la raison décisive de cette constitution et fixe les attributions et obligations des organismes.
Ci-dessous le texte de cet article essentiel :
« Nul Syndicat ne pourra faire partie de la C. G. T. s’il n’est fédéré nationalement et adhérent à une Bourse du Travail ou à une Union de Syndicats locale ou départementale ou régionale de corporations diverses.
« Toutefois, la Confédération Générale du Travail examinera le cas des Syndicats qui, trop éloignés du siège social d’une Union locale, ou départementale, ou régionale, demanderaient à n’adhérer qu’à l’un des deux groupements cités à l’article 2.
« Elle devra, en outre, dans le délai d’un an, engager et ensuite mettre en demeure les Syndicats, les Bourses du Travail, Unions locales, ou départementales, ou régionales, les Fédérations diverses, de suivre les clauses stipulées au paragraphe premier du prisent article.
« Nulle organisation ne pourra être confédérée si elle n’a au moins un abonnement d’un an à la Voix du Peuple.
« C’est le texte qui expose ce qu’on a appelé la triple obligation Confédérale qui est toujours en vigueur. Ainsi, par ce double jeu des organismes secondaires, chaque Syndicat est adhérent à la C. G. T. par le canal des Bourses et celui des Fédérations.
En premier lieu, elle est décentraliste, dans le domaine social et elle est, dans la seconde partie, centralisatrice sur le terrain corporatif et professionnel. L’organisation centralisée se comprend d’elle-même. Elle résulte de la nécessité de resserrer, autant que possible, le lien qui unit, par la Fédération, les Syndicats d’une même industrie, dont les intérêts professionnels sont identiques.
L’organisation décentraliste ne soulève non plus aucune objection. La C. G. T. ne peut ni ne doit vivre par en haut, par la tête. Son activité, sa propagande, son action sociale, sont l’œuvre de toutes ses cellules. Les Syndicats et surtout les Bourses du Travail en sont les facteurs d’exécution et d’action. Ils propulsent la C. G. T. en même temps qu’ils agissent par eux-mêmes.
Aux idées de « Craft unionism », c’est-à-dire de corporatisme, elle oppose le principe d’une organisation plus solide, plus agissante, le système de l’Industrial-unionism, ou action industrielle base de l’action sociale.
La représentation de la section des Fédérations est assurée par un bureau et un Comité composé d’un représentant par Fédération. Le secrétaire de cette section était en même temps secrétaire de la C. G. T.
Quant à celle des Bourses elle était assurée par un Comité fédéral des Bourses ayant à sa tête un secrétaire.
En fait, la C. G. T. n’ordonne pas, elle ne décide rien. Elle est sous le contrôle permanent des deux Comités fédéraux (Bourses et Fédérations) qui ont charge, eux, d’appliquer les décisions des Congrès.
Le Bureau Confédéral enregistre, sert à l’échange des correspondances, prépare des statistiques.
Il en sera du moins ainsi jusqu’en 1912, au Congrès du Havre, qui modifiera considérablement la structure Confédérale. Quoi qu’en disent les militants confédéraux (C. G. T. ou C. G. T. U.), les deux C. G. T. sont aujourd’hui centralisées et la décentralisation n’est plus réelle, ne joue plus. C’est ce qui explique un peu la succession de crises qui se dérouleront de 1914 à 1925 sans qu’on en aperçoive d’ailleurs la fin. La mainmise des Fédérations sur l’organisme Confédéral, celle plus forte encore du Bureau Confédéral sur toute la C. G. T. (Syndicats, Unions, Fédérations), ont placé, en réalité, la C. G. T. entre les mains de quelques hommes qui ordonnent, exécutent, décident, sans qu’un contrôle suffisant s’exerce. Sans doute tout cela n’est possible que parce que les militants, les Syndicats, les Fédérations, les Unions, ne contrôlent pas assez fréquemment leurs Bureaux, leurs Conseils, leurs Comités et parce que la plupart du temps, ils enregistrent au lieu de discuter et de dicter leurs volontés. Et ils subissent ainsi tactiques et méthodes qu’ils devraient condamner. Les déviations successives du syndicalisme viennent toutes de cette carence totale, de cette absence de contrôle. Approuvés, parce qu’ils surent faire adopter leurs points de vue, avaliser leur conduite, ratifier leurs attitudes, les militants fédéraux et confédéraux, ceux-ci inspirant ceux-là, ont de proche en proche, abandonné lentement mais sûrement, sans s’en apercevoir toujours, les principes essentiels du syndicalisme. Il n’y a pas d’autres raisons syndicales à la crise. Les autres sont d’ordre politique et on les retrouve à toutes les périodes de l’histoire ouvrière.
Depuis le Congrès de Montpellier en 1902, la C. G. T. tint jusqu’à la guerre cinq Congrès : Bourges (1904), Amiens (1906), Marseille (1908), Toulouse (1910), Le Havre (1912). Un sixième était en préparation à Grenoble, lorsque la guerre éclata en 1914.
Le Congrès de Bourges, en 1904, eut, tout de suite, une très grosse importance. Il s’agissait de déterminer l’action Confédérale. Serait-elle réformiste et conciliatrice, ou révolutionnaire et directe ? Telles étaient les deux questions posées au Congrès. Pendant que le Livre, les Tabacs, les Chemins de fer étaient partisans des premières, les autres, notamment le Bâtiment, les Métaux, etc., étaient partisans de la seconde.
Le premier point de vue fut soutenu par Keufer du Livre, qui s’exprima ainsi :
« Nous n’admettons pas, disait-il, que la transformation sociale se fera par une révolution brusque ; il faut d’autres moyens pour nous conduire vers l’idéal auquel chacun de nous aspire ; il faut une longue préparation mentale, il faut une modification morale des individus.
« La violence n’est pas le meilleur moyen pour obtenir satisfaction et la méthode révolutionnaire est dangereuse en ce sens, qu’elle amènera inévitablement des représailles dont les travailleurs seront victimes.
« C’est pourquoi nous maintenons notre opinion, nos préférences pour la méthode réformiste, sans enlever la liberté des autres organisations qui préconisent L’action révolutionnaire ; elles la feront à leurs risques et périls. »
On remarquera quelle différence il y a entre le réformisme et la collaboration de classes qui triomphe de nos jours. Pendant que Keufer recommandait la prudence, Jouhaux, aujourd’hui, entre dans les organismes du Gouvernement, délibère avec les capitalistes qu’il devrait combattre en application des principes du syndicalisme.
Les majoritaires — à l’époque les révolutionnaires — tenaient un langage différent. Que disaient-ils ?
« Ils proclamaient que le syndicalisme est l’expression d’une lutte entre deux classes très distinctes et irréconciliables : « d’un côté, ceux qui détiennent le capital, de l’autre les producteurs qui sont les créateurs de toutes les richesses, puisque le capital ne se constitue que par un prélèvement effectué au détriment du travail ».
« Après cette constatation d’un antagonisme permanent, ils déclaraient que « c’est une illusion pour les travailleurs de compter sur les gouvernants pour réaliser leur émancipation » attendu, disaient les termes de la déclaration préalable inscrite en tête des statuts types de la C. G. T., que l’amélioration de notre sort est en raison inverse de la puissance gouvernementale. »
Et Jouhaux de conclure dans son ouvrage Le Syndicalisme et la C. G. T., pages 134-135 :
« Donc, double affirmation d’anti-capitalisme et d’antiétatisme, dont les auteurs tiraient la conséquence formelle, que les salariés, impuissants s’ils demeuraient isolés, doivent s’unir d’abord dans le Syndicat et par lui dans la C. G. T. pour mener eux-mêmes la lutte contre les oppresseurs.
« Ainsi, le syndicalisme révolutionnaire s’affirmait comme l’organisation du prolétariat en vue de la lutte à mener contre le capital pour la suppression du salariat. Il se déclarait hostile à toute entente permanente entre le capital et le travail, et il proclamait le principe de l’action continue contre le patronat, la méfiance de l’État et la nécessité de l’action directe, de la pression immédiate des producteurs. Il ne répugnait pas aux améliorations des conditions de travail ni aux réformes sociales, mais il ne reconnaissait à celles-ci de valeur vraie qu’autant qu’elles diminuaient la puissance du capitalisme et tendaient à accroître la force émancipatrice du prolétariat. Il ne croyait enfin possible de s’appliquer utilement à les obtenir que par l’activité propre des salariés. »
Il y a gros à parier qu’aujourd’hui Jouhaux et ses amis ne soutiendraient pas pareille thèse.
Et pourtant, il fut des 825 qui se prononcèrent contre les 369 qui soutenaient, en 1904, la thèse de Keufer.
La Représentation proportionnelle, soutenue par Keufer et ses amis ne fut pas, non plus, acceptée. Là encore, le syndicalisme rompait avec la démocratie. C’est en 1904, à Bourges que fut envisagée l’action pour les 8 heures, qui devait trouver en 1906 les travailleurs prêts à imposer cette revendication par la grève générale.
Après les manifestations de 1889, les fusillades de Fourmies et de la Ricamarie, la journée de 8 heures cessa d’être une affirmation théorique pour devenir le but des efforts ouvriers.
Voici, à ce sujet, l’ordre du jour qui fut adopté par le Congrès de Bourges :
« Le Congrès, considérant que les travailleurs ne peuvent compter que sur leur action propre pour améliorer leurs conditions de travail ;
« Considérant qu’une agitation pour la journée de 8 heures est un acheminement vers l’œuvre d’émancipation intégrale ;
« Le Congrès donne mandat à la Confédération d’organiser une agitation intense et grandissante à l’effet que :
« Le 1er Mai 1906, les travailleurs cessent d’eux-mêmes de travailler plus de 8 heures. »
C’est à Bourges que remonte la véritable action pour les 8 heures en France.
Cette décision ne fut d’ailleurs pas suivie par toutes les Fédérations. Le Livre en particulier soutint les 9 heures et cela ne nuisit pas peu à la propagande et à l’action de la C. G. T.
Le Congrès de Bourges eut une importance énorme que Griffuelhes, alors Secrétaire de la C. G. T., — qui devait comme Pelloutier, marquer toute cette époque de son inlassable activité, de son énergie éclairée, — soulignait ainsi :
« Ce qui se dégage du Congrès, c’est le sentiment très net des militants français de mener un mouvement entièrement libre, subordonnant son action à ses propres besoins, créant la lutte en dehors de toute force extérieure et ne se préoccupant jamais que des intérêts ouvriers. »
Et c’est le Congrès d’Amiens, en 1906, qui devait confirmer de façon éclatante les décisions de Bourges.
C’est en effet à Amiens que fut mise debout la véritable Charte du syndicalisme autour de laquelle, en 1925, tourne tout le débat doctrinal et les discussions sur la reconstitution de l’Unité.
Battus dans les Congrès antérieurs, les politiciens guesdistes, les marxistes d’alors, tentèrent une offensive suprême. Elle fut habilement menée par Renard du Textile qui devait la renouveler, toujours sans succès en 1908 à Marseille, à Toulouse en 1910 et au Havre en 1912. Il y avait des syndicalistes alors, hélas ! aujourd’hui, il y en a beaucoup moins.
Voyons comment les guesdistes tentèrent à Amiens de faire triompher leur point de vue. Reproduisons le texte, trop oublié, de leur résolution :
« Considérant qu’il y a lieu de ne pas se désintéresser des lois ayant pour but d’établir une législation protectrice du travail qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait ainsi les moyens de lutte contre la classe capitaliste ;
« Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur disposition — (le bulletin de vote) c’est moi qui ajoute et souligne — afin d’empêcher d’arriver au pouvoir législatif les adversaires d’une législation sociale protectrice des travailleurs ;
« Considérant que les élus du parti socialiste ont toujours proposé et voté les lois ayant pour objectif l’amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ;
« Que tout en poursuivant l’amélioration et l’affranchissement du prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que dés relations s’établissent entre le Comité confédéral et le Conseil national du Parti socialiste, par exemple pour la lutte à mener en faveur de la journée de 8 heures, de l’extension du droit syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l’État ; pour provoquer l’entente entre les Nations et leurs gouvernements, pour la réduction des heures de travail, l’interdiction du travail de nuit des travailleurs de tout sexe et de tout âge ; pour établir le minimum des salaires etc., etc…
« Le Congrès décide ;
« Le Comité confédéral est amené à s’entendre, toutes les fois que les circonstances l’exigent, par des délégations intermittentes ou permanentes, avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher les principales réformes sociales. »
Renard ne proposait rien d’autre que les fameux Comités d’action dont on nous casse les oreilles aujourd’hui et qui doivent permettre au Parti communiste de prendre le pouvoir.
C’est autour de ce texte que s’engage avant le Congrès une campagne très vigoureuse dans tout le pays. Le parti socialiste voulait à tout prix triompher à Amiens. Nous connûmes la même offensive avant le Congrès constitutif de la C. G. T. à St-Étienne en 1922.
Mais avec cette différence qu’à Amiens les politiciens furent battus à plate couture, alors qu’ils vainquirent à St-Étienne 16 ans plus tard.
C’est Merrheim, des unitaires de Roubaix, appelé à cette époque au secrétariat de la Fédération des unitaires, qui lui donna la réplique et quelle réplique !
« Vous avez voulu, disait Merrheim, faire du syndicat un groupement inférieur, incapable de sortir de la légalité. Nous affirmons le contraire. Il est un groupement de lutte intégrale révolutionnaire et il a pour fonction de briser la légalité qui nous étouffe, pour enfanter le droit nouveau que nous voulons voir sortir de nos luttes. »
Naturellement, comme aujourd’hui, les orateurs de la tendance Renard dénoncèrent comme une action anarchiste celle que menaient les syndicalistes révolutionnaires.
Ce qui faisait dire à ces derniers : « On a trop parlé, déclara l’un d’eux, comme s’il n’y avait que des socialistes et des anarchistes. On a oublié qu’il y a surtout des syndicalistes. »
Le syndicalisme est une théorie sociale nouvelle, une doctrine particulière. Il faut, avec les Congressistes, se prononcer sur elle. Il faut qu’ils disent que cette doctrine est indépendante du socialisme et de l’anarchie.
Le Secrétaire général de la C. G. T. Victor Griffuelhes, prenant la parole le dernier, déclara :
« En réalité, d’un côté, il y a ceux qui regardent vers le pouvoir et de l’autre ceux qui veulent l’autonomie complète contre le patronat et contre le pouvoir. Comment s’établirait cet accord fait de concessions mutuelles entre un Parti qui compte avec le Pouvoir, car il en subit la pénétration et nous qui vivons en dehors de ce pouvoir ? Nos considérations ne seraient pas toujours celles du Parti, d’où impossibilité d’établir les rapports demandés. »
Il n’y a rien de changé. Aujourd’hui les mêmes obstacles se présentent.
En produisant semblables affirmations, Griffuelhes annonçait le divorce total du syndicalisme avec la Bourgeoisie et le Pouvoir.
Keufer, du Livre, présentait une thèse mixte qui, par un paradoxe assez singulier, est devenue celle de ses adversaires d’alors, les dirigeants actuels de la C. G. T.
Au nom des réformistes, Keufer se prononçait pour l’autonomie syndicale vis-à-vis de tous les Partis politiques et concevait l’organisation ou l’action syndicale selon la méthode trade-unioniste anglaise, la méthode corporative qui vouait le syndicat à ne poursuivre que des améliorations corporatives.
Il affirmait d’ailleurs que l’action parlementaire devait s’exercer parallèlement à l’action syndicale.
Ni la thèse de Renard, ni celle de Keufer n’obtinrent de succès. La Résolution présentée par Griffuelhes, devenue la charte d’Amiens, obtint 824 voix contre 3 à la motion Renard.
Ci-dessous cette charte fameuse :
« Le Congrès confédéral d’Amiens confirme L’article 2 des statuts constitutifs de la C. G. T., disant :
« La C. G. T. groupe en dehors de toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.
« Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre tous toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière ;
« Le Congrès précise, par les points suivants cette affirmation théorique :
« Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc… Mais cette besogne n’est qu’un des côtés de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale des travailleurs avec, comme moyen d’action, la grève générale, et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale.
« Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation de salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat ;
« Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement. corporatif, à telle forme de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.
« En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effets, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérales n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale. »
C’est autour de cette charte dont les politiciens proclament aujourd’hui la caducité que se livrent, depuis 5 ans, les batailles les plus terribles entre réformistes-collaborationnistes, syndicalistes révolutionnaires et communistes.
La portée de cette résolution, qui marque l’avènement du syndicalisme comme unique force révolutionnaire des travailleurs, fut considérable. Elle domina et domine encore de très haut tous les conflits entre ouvriers et politiciens. Griffuelhes avait vu clair, juste et loin.
Non seulement, la charte d’Amiens proclame la neutralité du syndicalisme vis-à-vis des partis, mais encore elle l’exige du syndiqué dans le syndicat. Elle déclare très nettement que la qualité de membre d’un Parti ou d’un groupement philosophique ne peut être ni une cause d’admission privilégiée, ni une cause de radiation spéciale de la part du syndicat. Elle place ainsi le producteur en première ligne, au-dessus du citoyen. Et c’est juste, parce que le travailleur est une réalité de tous les jours, invariable dans son état comme dans ses désirs, tandis que le citoyen est une entité fugace. Le citoyen peut changer d’opinions, devenir par le jeu de l’évolution ou de l’involution l’adversaire de ce qu’il soutenait âprement hier, soit par conscience, soit par intérêt ; le travailleur, lui, reste semblable à lui-même ; il subit en tant que salarié la double exploitation et la double oppression du capitalisme et de l’État. Ce n’est qu’après avoir assuré économiquement sa défense de classe contre les capitalistes de toutes écoles politiques et philosophiques réunis, eux, en faisceau de classe compact, que le travailleur a le droit et la possibilité de faire de la politique et de philosopher à son aise.
Il déclare d’ailleurs nettement que si philosopher ne saurait nuire et au contraire à son éducation et à son activité sociale, il serait infiniment préférable que le travailleur s’abstînt de participer aux luttes politiques où il est souvent appelé à agir, sur ce plan particulier, aux côtés et en accord de certains de ses adversaires de classe : patrons dits libéraux, mais patrons avant tout.
Si le travailleur s’abstenait de fréquenter les groupements politiques prometteurs ou endormeurs, il n’est pas douteux que le syndicalisme serait depuis longtemps le seul groupement de classe de tous les ouvriers et qu’il les rassemblerait tous sous sa bannière. Le triomphe du syndicalisme qui, depuis Amiens, a rompu avec le Pouvoir, qu’il soit démocratique ou non, avec la Bourgeoisie et toutes ses institutions politiques et économiques, pour affirmer son rôle et sa mission d’avenir, serait depuis longtemps un fait accompli.
Le syndicat, de par la charte d’Amiens, n’est pas seulement un instrument de combat dam la société actuelle, il devient, dans sa conception, l’organe même de la transformation sociale, la cellule de base de la société à venir, celle-ci étant organisée par lui dans les domaines de la production et de la répartition.
L’attitude de neutralité du syndicalisme à l’égard des partis politiques est davantage qu’une méfiance des luttes électorales et parlementaires. S’il en était autrement, ce ne serait qu’une position temporaire et par conséquent révisable. Ce n’est pas le cas.
De cette neutralité découle, dans la réalité, l’idée que le syndicalisme s’étend et œuvre sur un plan très différent des partis politiques et que l’action politique et syndicaliste s’exerce sur deux terrains très distincts. Telle fut l’œuvre magistrale réalisée à Amiens.
Nous aurons l’occasion de revenir sur la valeur de cette charte, lorsque nous examinerons les luttes qui dressent les unes en face des autres les fractions aujourd’hui dispersées du mouvement syndicaliste français.
Quelle que soit l’évidente clarté de la charte d’Amiens, elle ne parvint pas à dissiper toutes les équivoques, à éviter les querelles. Et aujourd’hui, plus que jamais, c’est autour d’elle qu’on se dispute.
Peu après Amiens, le mouvement confédéral devait connaître encore un autre péril. Ce fut l’époque de l’ « hervéisme » et Gustave Hervé qui, depuis… s’imagina un instant qu’il avait rallié le syndicalisme à ses théories. Les Congrès de Marseille en 1908 et de Toulouse en 1910, se chargèrent de détruire ses illusions.
Ce n’est pas en vain que le syndicalisme avait défini sa doctrine et son activité propres.
La charte d’Amiens fut encore confirmée en 1912 au Congrès du Havre, le dernier Congrès d’avant-guerre.
Après une longue discussion, souvent très âpre, sur l’orientation syndicale, le Congrès vota la résolution ci-dessous :
« Le Congrès, à la veille de reprendre, pour l’intensifier, l’agitation confédérale en vue de réduire le temps de travail, tient à nouveau à rappeler les caractères de l’action syndicale, de même qu’à fixer la position du syndicalisme ;
« Le syndicalisme, mouvement offensif de la classe ouvrière, par la voie de ses représentants, réunis en Congrès, seuls autorisés, s’affirme encore une fois décidé à conserver son autonomie et son indépendance qui ont fait sa force dans le passé et qui sont le gage de son progrès et de son développement ;
« Le Congrès déclare que, comme hier, il est résolu à s’écarter des problèmes étrangers à son action prolétarienne, susceptibles d’affaiblir son unité si durement conquise et d’amoindrir la puissance de l’idéal poursuivi par le prolétariat groupé dans les syndicats, Bourses du Travail, les Fédérations corporatives et dont la C. G. T. est le représentant naturel ;
« De plus, le Congrès évoquant les batailles affrontées et les combats soutenus, y puise la sûreté de son action, la confiance en son avenir, en même temps qu’il y trouve la raison d’être de son organisation toujours améliorable ;
« C’est pourquoi, dans les circonstances présentes, il confirme la constitution morale de la classe ouvrière organisée, contenue dans la déclaration confédérale d’Amiens (Congrès de 1906).
L’action confédérale fut aussi dirigée contre le militarisme, le patriotisme et la guerre. Le Congrès de Marseille (1908) en particulier vota une motion qui eut quelque retentissement.
« Le Congrès Confédéral de Marseille rappelant et précisant la motion d’Amiens ;
« Considérant que l’armée tend de plus à remplacer à l’usine, aux champs, à l’atelier, les travailleurs en grève, quand elle n’a pour rôle de les fusiller comme à Narbonne, à Raon-l’Étape et à Villeneuve Saint-Georges ;
« Considérant que l’exercice du droit de grève ne sera qu’une duperie tant que les soldats accepteront de se substituer à la main d’œuvre civile et consentiront à massacrer les travailleurs ;
« Le Congrès, se tenant sur le terrain purement économique, préconise l’instruction des jeunes pour que, du jour où ils auront revêtu la livrée militaire, ils soient bien convaincus qu’ils n’en restent pas moins membres de la famille ouvrière et que, dans les conflits entre le travail et le capital, ils ont pour devoir de ne pas faire usage de leurs armes contre leurs frères travailleurs ;
« Considérant que les frontières géographiques sont modifiables au gré des possédants, les travailleurs ne reconnaissent que les frontières économiques, séparant les deux classes ennemies, la classe ouvrière et la classe capitaliste ;
« Le Congrès rappelle la formule de l’Internationale :
« Les travailleurs n’ont pas de patrie ; qu’en conséquence, toute guerre n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière, qu’elle est un moyen sanglant et terrible de diversion à ses revendications ;
« Le Congrès déclare qu’il faut, au point de vue international, faire l’instruction des travailleurs afin qu’en cas de guerre entre puissances, les travailleurs répondent à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire. »
Cette thèse, déjà soumise aux autres Centrales Nationales au cours des conférences internationales, ne fut jamais acceptée par les Allemands qui refusèrent de connaître l’antipatriotisme et l’antimilitarisme comme des questions intéressant le syndicalisme. Ceci prouve toute la différence qui existe entre le mouvement ouvrier français et tous les autres mouvements qui tous, à l’exception d’une partie des mouvements espagnol et italien, reposent sur la conception social-démocrate. C’est de cette incompréhension que découlera l’impuissance du mouvement syndicaliste de tous les pays belligérants en face de la guerre.
L’entrevue que Jouhaux et Legien eurent à Bruxelles fin juillet 1914 consacra cette impuissance. C’était la répétition plus brutale encore de l’entrevue Griffuelhes-Legien, à Berlin, en 1906, su sujet du premier conflit marocain qui en ce moment rebondit pour la troisième fois et risque d’ensanglanter le monde.
Lorsque j’étudierai ici l’action internationale du mouvement ouvrier français ; j’exposerai en détail ce que furent les Conférences et Congrès internationaux.
Nous voici maintenant à la veille de la guerre. La grève générale n’est point déclarée et la guerre éclate. Jaurès est tué par Villain le 31 juillet 1914 et la mobilisation est décrétée le 2 août.
Que va faire la C. G. T. ?
Impuissante à déclencher la grève générale va-t-elle rester neutre, en attendant l’heure de son intervention possible contre le fléau ou au contraire, emboîter le pas aux gouvernants ?
C’est là que se placent de dramatiques incidents. Le Bureau Confédéral a décidé de fuir, de gagner l’Espagne. Il a pour cela frété un bateau qui doit le conduire de la Rochelle à St-Sébastien.
Mais le gouvernement, a eu vent de ce qui se prépare. Il sait que si le Bureau de la C. G. T. quitte la France, c’est pour mener une action vigoureuse contre la guerre, de l’étranger. Le Ministre de la guerre, Messimy veut appliquer immédiatement le carnet des suspects dit « carnet B ».
Malvy, ministre de l’Intérieur, temporise pendant que Viviani, Président du Conseil, craignant une émeute par suite de l’assassinat de Jaurès, émeute qui rendrait la mobilisation impossible, lance une proclamation au Peuple, l’invite au calme et promet la punition du coupable.
Tous ces événements se déroutent à une vitesse vertigineuse. Là C. G. T. reste pour le gouvernement l’X mystérieux.
C’est alors que Malvy a une idée géniale autant que malfaisante. Il délègue auprès du Bureau confédéral un avocat jusqu’alors considéré comme socialiste révolutionnaire d’extrême gauche, très au courant des choses ouvrières, qu’on nous assure — sans que nous puissions l’affirmer — être M. Pierre Laval, ministre des Travaux publics, au moment où j’écris ces lignes (ce qui est de nature à renforcer notre conviction).
Cet avocat annonce au Bureau Confédéral que le gouvernement connaît ses projets d’embarquement et qu’il est décidé, par l’arrestation immédiate, à en empêcher l’exécution.
Le Comité Confédéral est réuni immédiatement. Il ne prend aucune décision. — Le Bureau est livré à lui-même et perd la tête. Il va chez Malvy et se rend aux raisons de celui-ci. Désormais, il sera derrière le Gouvernement. Il participera, avec toute la C. G. T., à l’union sacrée… Jaurès est enterré le 2 août. Jouhaux se rend aux funérailles. Au nom de la C. G. T., il parle et c’est pour dire : « Comment trouver des mots ? Notre cerveau est obscurci par le chagrin et notre cœur est étreint par la douleur. C’est encore dans son souvenir que nous puiserons les forces qui nous seront nécessaires. »
« Au nom des organisations syndicales, au nom de tous les travailleurs qui ont déjà rejoint leur régiment et de ceux — dont je suis — qui partiront demain, je déclare que nous allons sur les champs de bataille avec la volonté de repousser l’agresseur : c’est la haine de l’impérialisme qui nous entraîne. »
Jouhaux ne partit pas. Je ne le lui reproche pas. Ce que je lui reproche, par contre, ce sont les paroles prononcées sans mandat, au nom des travailleurs non consultés. — La C. G. T. souscrivait à la guerre.
C’en est fait. C’est la capitulation. Le Carnet B n’est pas appliqué. Malvy a gagné la partie. Il convient cependant d’être juste, surtout lorsqu’on est sévère. Si le Bureau Confédéral faillit à ses devoirs, il ne fut soutenu par personne. Partout, ce n’était qu’abdication, enthousiasme pour cette guerre du droit ( ?) Au lieu des cris de À bas la guerre qu’on aurait dû entendre, c’était ceux de À Berlin qui retentissaient. Une immense vague de chauvinisme balayait le pays.
Et comme il est difficile de se reprendre, l’abdication s’aggrava bientôt. Ce fut après Charleroi et la ruée sur Paris, la fuite du Bureau Confédéral à Bordeaux, avec le Gouvernement ; ce furent les Terrassiers de Paris, les sans-travail embauchés par Gallieni pour défendre Paris. Quels tristes événements !
Il faudra près d’un an avant que n’apparaissent les premiers et timides symptômes de l’effort anti-guerrier.
C’est sous les auspices du Comité pour la reprise des relations internationales auquel adhèrent : Merrheim, Bourderon, Chaverot, Sirolle, Souvarine, etc… et, où, Trotsky, encore à Paris, joue un rôle prépondérant, que s’organise l’action contre la guerre.
Merrheim est l’inlassable apôtre de la paix. Accompagné de Bourderon, il se rend à Zimmerwald, en 1915, pour y rencontrer les autres pacifistes européens. Ledebour, y représente l’Allemagne où Karl Liebknecht mène une action pacifiste vigoureuse, en compagnie de Rosa Luxembourg. Grimm représente la Suisse. Lénine représente la Russie.
Cette entrevue est dramatique au possible. Pendant 6 heures sans discontinuer, Merrheim et Lénine discutent pied à pied. Lénine voudrait qu’en rentrant en France, Merrheim déclenchât l’insurrection contre la guerre. Celui-ci lui déclare que c’est impossible, qu’il ne serait pas suivi. Il ajoute qu’il n’est d’ailleurs pas certain de rentrer. Par contre Merrheim croit qu’il est possible d’intensifier l’action pour la paix ; d’amener, sans brusquerie, le prolétariat français à se dresser contre la guerre.
La Conférence de Zimmerwald, si elle ne prit en fait aucune décision, n’en marque pas moins le commencement du redressement du mouvement syndical français. Ce fut aussi la reprise des relations internationales rompues par la guerre. C’est sous le couvert de cette action pacifiste, qui va s’intensifier rapidement, que le syndicalisme se ressaisira.
Bientôt, il prendra figure d’opposition organisée et solidement groupée dans le Comité de Défense Syndicaliste avec Merrheim, Rey, Péricat, Andrieux, J.-B. Vallet et tant d’autres.
La province suit. De graves événements encore mal connus ont lieu à Toulouse où un bataillon se révolte.
Des centres permanents d’agitation se créent à Saint-Étienne, Bourges et Decazeville, sous l’impulsion de Merrheim.
L’action pacifiste s’organise partout et à Decazeville, Verdier applique une formule nouvelle : l’occupation des usines et le fonctionnement de ces usines par les ouvriers.
C’était la bonne. C’est celle-là qu’il faudra appliquer demain, si on veut priver le capitalisme de ses moyens de faire la guerre. C’est cette précision qui manquait à la motion votée à Marseille en 1901, c’est celle que l’Union Fédérative des Syndicats autonomes de France a exposée récemment.
Si cette action n’atteint pas le but indiqué par Lénine — et elle eût pu l’atteindre si l’action révolutionnaire de Decazeville avait été amplifiée et suivie — elle a au moins pour conséquence de fortifier considérablement la minorité syndicaliste révolutionnaire qui combat violemment la majorité.
Des séances tumultueuses ont lieu au Comité Confédéral ou Merrheim et Jouhaux se dressent face à face.
Dumoulin, mobilisé et Monatte également mobilisé, luttent aux côtés de la minorité.
Et c’est l’arrivée de Clémenceau au pouvoir avec sa formule « Je fais la guerre ».
Immédiatement c’est le régime de la brutalité qui s’instaure. C’est aussi celui du mouchardage ignoble avec Ignace et Mandel. Merrheim est appelé plusieurs fois par Clemenceau qui veut le forcer à abandonner son action pacifique. Il ne s’y rend pas et continue sa courageuse besogne.
Enfin, il cessera un jour, sans qu’on sache exactement pour quelles raisons. Et c’est le démantèlement des forteresses de Bourges, de Saint-Étienne, de Decazeville, c’est l’emprisonnement de Péricat et des militants de la Loire et la Conférence de Clermont-Ferrand en 1917, où il semble possible de ressouder les forces confédérales. Hélas ! ce n’est qu’un espoir vite déçu. Mal conseillé, mal entouré, Jouhaux continue son erreur, alors qu’il lui était possible encore de revenir dans la bonne voie. La minorité syndicaliste atteindra son apogée au Congrès de Saint-Étienne que préside Dumoulin, alors détaché à Roche-la-Molière. Puis c’est le retour de Merrheim au bercail confédéral, retour qui sera suivi de celui de Dumoulin, convaincu à son tour dans la nuit qui marque la fin du Congrès Confédéral de Paris en 1918. La minorité a désormais ses chefs de guerre, ceux qui lui montrèrent la route à suivre.
Elle est démantelée, débandée, elle périclite, cependant que la guerre prend fin. C’est singulièrement affaiblie qu’elle se présentera au Congrès de Lyon en 1919 où sera liquidée l’action confédérale pendant la guerre.
Entre temps, pourtant, il y eut quelques tentatives de redressement général. Une grève générale a été décidée pour le 21 juillet 1919 pour faire triompher le programme minimum exposé aux travailleurs parisiens par Jouhaux et Merrheim au Cirque d’Hiver, le 24 novembre 1918.
Qu’était-il, au juste, ce programme minimum de la C. G. T. ?
Faisant siens les 14 points qui constituaient le programme du Président Wilson, que la C. G. T. et le Parti socialiste étaient allés recevoir à son débarquement à Brest, la Confédération Générale du Travail en faisait la base de son action immédiate sur laquelle elle greffait son programme de réalisations essentielles et minimum.
1o La C. G. T. demandait des conditions de paix qu’elle définissait en 5 points :
a) La Société des Nations pour la libre coopération des Peuples, en vue de faire disparaître la guerre et l’établissement de la justice internationale ;
b) La coopération de toutes les nations, sous l’égide de la S. D. N. contre tout pays qui, passant outre aux décisions d’arbitrage, déclarerait néanmoins la guerre ;
c) La création d’un Office International des Transports et de répartition des matières premières pour la satisfaction rationnelle des besoins des Peuples ;
d) Pas d’annexion territoriale, pas de représailles inspirées par la vengeance, mais réparations des dommages causés. Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ;
e) Constitution juridique mondiale par la Société des Nations. Désarmement général et lutte contre les militarismes. Triomphe de la démocratie internationale.
2° La C. G. T. demandait que les organisations centrales des pays belligérants participent à la discussion et à l’élaboration du Traité de paix. Elle déclarait aussi nécessaire la tenue d’un Congrès International.
3° Le rétablissement de toues les garanties constitutionnelles de toutes les libertés : droits de parole et de réunion, la suppression de la censure, l’amnistie pleine et entière, la libération des prisonniers étrangers des camps de concentration.
4° La reconnaissance du droit ouvrier par la reconnaissance du droit syndical à tous les fonctionnaires de l’État, la révision du Code d’inscription maritime.
La reconnaissance du droit d’intervention des Syndicats dans toutes les questions intéressant le travail. L’utilisation des bordereaux de salaire et leur généralisation par l’établissement de contrats collectifs sous le contrôle des organisations syndicales.
5° L’institution de la journée de 8 heures dans le commerce et l’industrie, la suppression du travail de nuit dans les boulangeries ainsi que dans les industries à feu continu, l’interdiction des métiers insalubres aux femmes et aux adolescents âgés de moins de 18 ans, la prolongation de la scolarité à 14 ans.
6° Le contrôle ouvrier pour le réajustement des productions de guerre aux productions de paix, l’institution d’un Conseil économique national et de Conseils régionaux au sein desquels serait représentée la classe ouvrière par des délégués désignés par elle. La fixation des règles de la démobilisation et de la reprise de l’activité économique.
La reconstitution des fonds de chômage et leur répartition sous, le contrôle des organisations ouvrières.
7° La reconstruction des régions libérées sous le contrôle d’organismes collectifs ayant personnalités civile et administrative et composés de producteurs et de consommateurs. L’obligation du remploi et la reconstitution opérée suivant les lois de l’hygiène et du progrès.
8° La réorganisation économique. — La C. G. T. réclame, pour l’avenir, la part de direction et de gestion de la production nationale qui doit revenir aux travailleurs organisés, la sauvegarde des droits collectifs par la classe ouvrière, le contrôle des entreprises qui se développent avec le concours de l’État, la surveillance des concessions faites par l’État à des Entreprises industrielles.
9° Le retour à la nation des richesses nationales. — C’est-à-dire des, mines, chemins de fer, ports, houille blanche et verte, etc. La C. G. T. présentait d’ailleurs cette partie de son programme sous la forme d’un contrôle collectif sur ces richesses. Ce n’est que par la suite qu’elle posera le principe des nationalisations industrielles, au cours des grandes grèves de 1920.
10° La lutte contre les fléaux sociaux : l’alcoolisme, le taudis, le chômage, l’invalidité, la maladie, la vieillesse.
11° Le recrutement, l’exercice des droits, l’organisation rationnelle de l’immigration, la fixation du contrat de travail pour les ouvriers étrangers, sous le contrôle des organisations syndicales du pays intéressés.
12° L’extension de l’assurance sociale à tous les travailleurs, étrangers compris.
13° La lutte contre la vie chère. — La création d’Offices municipaux corporatifs, nationaux, publics d’alimentation populaire, supposant la réquisition des produits. La suppression des droits de douane, régie et octroi. Les Offices devront être gérés par des délégués directs du travail organisé, et des consommateurs.
10° La répartition des charges budgétaires par l’application de la loi sur les bénéfices de guerre, l’impôt sur le revenu et les successions.
C’est ce programme minimum qui fut accepté à l’unanimité par le premier Comité Confédéral d’après-guerre, les 15 et 16 décembre 1918.
Ce même Comité avait modifié aussi la structure confédérale. Les Bourses disparaissaient pour faire place aux Unions départementales, fédérations départementales des Unions locales ou Bourses du travail. Ce projet fut dressé par Lapierre. De même la Fédération d’industrie remplaçait celle des métiers. À partir de ce moment, la C.G.T. est composée des Fédérations nationales d’industrie et des Unions départementales. Ce système serait parfait si, en fait, les Fédérations, organes centralisateurs, ayant leur siège à Paris, ne jouaient pas un rôle par trop dominant, si les Unions locales n’étaient pas réduites à un rôle social subalterne et si les Unions départementales, organes de décentralisation sociale, correspondaient à un besoin économique réel au lieu d’être des délimitations politiques sans valeur, déterminée dans le domaine économique.
Le programme minimum, avant de recevoir la sanction du Congrès Confédéral de Lyon en 1919, subit le feu de la critique de la minorité, qui commençait à regrouper ses forces une seconde fois. Dès qu’il fut exposé su Cirque d’Hiver, il fut violemment attaqué et il fallut toute l’habileté de Merrheim pour le faire accepter — si on peut dire — aux travailleurs parisiens.
Ceux-ci sentaient que ce programme, mi-politique, mi-économique n’était pas un programme spécifiquement syndical. Ils comprenaient que pour le réaliser, il fallait compter sur le pouvoir, composer avec lui, collaborer avec l’État dans toutes sortes de Commissions, d’organismes et s’asseoir en face des patrons dans des organismes mixtes, travailler à la constitution des monopoles d’État et faire de l’État un patron privilégié, bien qu’il soit doublement tyrannique, politiquement et économiquement, et incompétent par-dessus le marché.
Les travailleurs sentaient que tout ce programme qui ne pouvait, à part quelques questions réellement d’ordre ouvrier et placées là tout exprès pour faire accepter l’ensemble, devenir une réalité qu’avec le concours des Pouvoirs publics, dont la C. G. T., serait un rouage économique autant que politique.
C’était l’abandon de toute la doctrine, de toute l’action confédérale confirmées sans cesse par les Congrès de Limoges, de Bourges, d’Amiens, de Marseille, de Toulouse et du Havre. C’était, après le divorce retentissant, le mariage avec la démocratie. C’était aussi l’abandon de l’action directe pour la pratique forcée de l’action parlementaire et de l’action compromettante avec les Pouvoirs publics.
C’était la rectification générale du tir confédéral qui jetait la C. G. T. dans les bras de la démocratie. Depuis 1919, cette politique n’a fait que s’accentuer et la C. G. T. est devenue un appendice du Gouvernement.
Les syndicalistes révolutionnaires eurent un tort, celui-ci : s’en prendre aux hommes, à leurs trahisons, à leurs reniements, au lieu de dresser immédiatement en face du programme minimum leur propre programme. Cette besogne ne fut accomplie qu’en 1921 pour le Congrès de Lille, par le Comité Central des Syndicats révolutionnaires. C’était trop tard. La scission était inévitable.
C’est donc, comme je le disais plus haut, pour défendre ce programme que, disciplinées dans l’action, toutes les fractions de la C. G. T. décidèrent de suivre le mot d’ordre de grève générale qui devait être lancé le 21 juillet 1919.
Comme il fallait s’y attendre et malgré une intense et générale propagande, ce programme ne rencontra pas l’adhésion unanime des travailleurs. Sentant le fiasco, s’exagérant peut-être aussi le péril, la C. G. T. capitula sans combattre, ce qui est bien pis que à être vaincu en se battant. L’histoire de ces événements est mal connue. Elle ne le sera sans doute jamais.
Ce fut peut-être une satisfaction mesurée donnée aux désirs de lutte des travailleurs et un moyen de pression sur le pouvoir ; ce ne fut peut-être aussi, hélas !, qu’une capitulation de plus entre les mains de la bourgeoisie. Le saurons-nous jamais ?
Une chose au moins est certaine : c’est que devant la déroute du colosse confédéral, qui représentait plus de 2 millions de travailleurs, la Bourgeoisie, un instant apeurée, reprit confiance en elle-même. Le hasard des consultations électorales ayant amené au Pouvoir la partie la plus réactionnaire de la Bourgeoisie, celle-ci prépara la destruction de la C. G. T., sans considération de la politique suivie par celle-ci pendant la guerre et jusqu’alors.
Ce fut la lutte de classe, reprise par le capitalisme réactionnaire contre une C. G. T. qui voulait collaborer à tout prix et, malgré les humiliations renouvelées, n’y parvenait pas.
La résolution votée par le Congrès Confédéral de Lyon marquait adroitement tout cela. Elle était rédigée si habilement que, si ce n’était l’esprit connu de ses auteurs, pas un minoritaire syndicaliste n’eût pu ne pas la voter. Celle de la minorité recueillit cependant 312 voix, qui grossirent rapidement.
Quelle que soit la longueur de cette résolution de la C. G. T., il faut, pour la clarté de ce qui va suivre, pour la compréhension des événements présents, la reproduire en entier. La voici :
« Émanation directe des forces ouvrières organisées, le Congrès Confédéral proclame à nouveau, avec une conviction renforcée par toute l’expérience passée comme par l’effroyable catastrophe qui a désolé le monde, que l’idéal syndicaliste s’accomplira seulement par la transformation totale de la société.
« Issue de la lutte de classe, expression complète de la situation faite au Prolétariat, s’inspirant pour son action et dans son objet de la défense des intérêts professionnels et du développement complet des droits du travail, l’organisation ouvrière répète que son but essentiel est la disparition du patronat et du salariat. La lutte de classe, elle la constate comme un fait dont elle entend tirer toutes les conséquences.
« Cette lutte ne pouvant prendre fin qu’avec la suppression de toutes les classes, de tous les privilèges économiques et sociaux, elle doit aboutir à une organisation nouvelle de la collectivité. Participation égale de tous aux charges et aux droits que les rapports des hommes font naître, tel est le principe initial sur lequel le mouvement ouvrier entend instaurer un régime nouveau ; il réalisera celui-ci, suivant ses conceptions propres avec les organismes qu’il aura lui-même créés et dont le caractère essentiel doit être de donner aux forces de la production la direction et le contrôle de l’économie collective : créateur de toutes les richesses, élément qui commande l’activité sociale, le travail entend être tout parce que les autres facteurs de la Société ne sont que ses subordonnés ou ses parasites.
« Ainsi, sans qu’aucune équivoque puisse être possi'ble, le syndicalisme déclare qu’il est dans son origine, son caractère présent, son idéal permanent, une force révolutionnaire.
« Imprégné de ces principes et de ce but, le Congrès Confédéral de Lyon rappelle et reprend les termes de la résolution d’Amiens qui déclare :
(Ici texte complet de la motion d’Amiens déjà transcrit.)
« Le Congrès estime en outre nécessaire de dire que cette déclaration ne se borne pas à affirmer, pour un moment donné, de façon provisoire et révisable, la neutralité des organisations professionnelles à l’égard des Partis ou des Écoles, des doctrines ou des philosophies, mais qu’elle proclame de façon permanente cette conception fondamentale de l’action syndicale qui est l’action directe.
« Il ne peut laisser croire par contre que cette action trouve son expression exacte et exclusive dans des actes de violence ou de surprise, ni qu’on la puisse considérer comme une arme pouvant être utilisée par des groupements extérieurs au syndicalisme.
« C’est parce qu’ils sont producteurs que le Syndicat appelle à lui tous les travailleurs et c’est l’utilisation de la force qu’ils tiennent de leur fonction productive qui est la puissance de l’organisation ouvrière.
« Plus que toute autre force sociale présente, il produit ce fait essentiel qui est la conséquence fatale de l’activité collective moderne : le recul de la politique devant l’économie.
« Continuer la production pour satisfaire les besoins des hommes, l’accroître pour mettre à la disposition de tous une plus grande somme de richesses consommables, ainsi se traduisent ses préoccupations auxquelles la situation mondiale résultant de la guerre donne une gravité formidable.
« Le mouvement ouvrier affirme qu’il doit et qu’il peut y répondre, mais il déclare aussi que tout effort dans ce sens n’est plus conciliable avec le maintien de l’état actuel ; l’appel au travail, auquel, les travailleurs sont prêts à répondre, ne peut se comprendre désormais qu’avec la reconnaissance totale des droits du travail.
« Le mouvement syndical ne peut être que révolutionnaire ; puisque que son action doit avoir pour effet de libérer le travail de toutes les servitudes, de soustraire tous les produits à tous les privilèges, de mettre toutes les richesses entre les mains de ceux qui concourent à les créer.
« Cette conception, réalisée par l’effort des travailleurs, se fera suivant les modalités du Travail lui-même constituant l’ordre nouveau, basé non sur l’autorité ; mais sur les échanges, non sur la domination, mai sur la réciprocité, non sur la souveraineté, mais sur le contrat social.
« L’action quotidienne du Syndicat est une préparation à ce renversement des valeurs.
« Toute manifestation de la force ouvrière, tend, en effet, à l’heure présente, à la conclusion des contrats. Ce serait une erreur profonde d’y voir une collaboration ; les conventions collectives, qu’elles s’étendent d’un atelier, ou à toute une région, ou à une corporation sur toute l’étendue du territoire, possèdent une valeur de transformation, parce qu’elles limitent l’autorité patronale, parce qu’elles ramènent les relations entre employeurs et employés à un marché qui encourage l’effort, sans apaiser l’énergie, puisque le travail n’y trouve pas la reconnaissance à tous ses droits, mais la satisfaction d’amoindrir l’absolutisme patronal en introduisant, dans l’atelier ou l’usine, le contrôle d’un puissance non assujettie à l’exploitation du patronat, d’une force d’émancipation : Le Syndicat.
« S’inspirant du même esprit qui l’a déjà amené à réclamer des mesures efficaces contre la vie chère, démonstration même du gâchis économique dans lequel se débat la Société, le Syndicalisme déclare qu’il entend faire un effort pour aboutir aux solutions nécessaires, non dans un intérêt égoïste, mais dans le ferme désir de trouver une solution satisfaisante pour la collectivité.
« Cette réorganisation industrielle, ce retour à l’équilibre ne peuvent pas être obtenus par les palliatifs que propose ce Pouvoir. le régime actuel repose trop sur la défense des profits particuliers pour qu’on puisse attendre de lui les solutions qui s’imposent.
« L’impuissance de la classe dirigeante et des organisations politiques s’affirme de jour en jour plus forte, plus forte aussi apparaît constamment la nécessité pour la classe ouvrière de prendre ses responsabilités dans la gestion de la Société.
« Le mouvement syndical a dû ainsi envisager les solutions qui s’imposent sans délai. Il n’en saurait trouver de plus urgentes, de plus nécessaires, que la nationalisation industrialisée sous le contrôle des producteurs et des consommateurs, des grands services de l’Économie moderne : les transports terrestres et maritimes, les mines, la houille blanche, les grandes organisations de crédit.
« L’exploitation directe par la collectivité des richesses collectives, la mise sous son contrôle des fonctions et des organismes qui commandent les opérations industrielles de transformation de ces richesses et de leur répartition, sont une condition essentielle de la réorganisation que nous voulons poursuivre. Mais constatant L’impuissance politique et le caractère même du Pouvoir, nous ne songerons pas à augmenter les attributions de l’État, à les renforcer, ni surtout à recourir au système qui soumettrait les industries essentielles au fonctionnarisme avec son irresponsabilité et ses tares constitutives, et réduirait les forces productives au sort d’un monopole fiscàl.
« Les résultats déplorables que l’on a pu constater dans le passé et qui se manifestent tous les jours, sont une condamnation suffisante de ce système. Par la nationalisation, nous entendons confier la propriété nationale aux intéressés eux-mêmes : producteurs et consommateurs associés.
« Faisant confiance à la C. G. T., les Syndicats Confédérés déclarent : que l’action ouvrière se doit de se développer sur ce plan, pour réaliser le plus rapidement possible ces buts immédiats.
« Le Congrès de Lyon proclame à nouveau le droit inaliénable des peuples de se déterminer eux-mêmes exprimant sa profonde sympathie à la Révolution russe, il proteste contre toute tentative d’interventions armées en Russie et contre le blocus réduisant un peuple à la famine, parce que coupable de s’être révolté contre ses oppresseurs.
« Le Congrès, soucieux d’affirmer sa solidarité effective à l’égard du Peuple russe, charge le Bureau Confédéral de demander aux organisations syndicales des transports, de faire que leurs membres se refusent de transporter armes et munitions destinées aux armées de Koltchack et de Denikine.
« Le bureau Confédéral est chargé égaiement de transmettre cette même proposition au Bureau Syndical International pour que ce dernier internationalise, cette action.
« Le Congrès réclame que soit mise en application le plus rapidement possible, la résolution votée à Amsterdam qui concluait et l’envoi d’une délégation ouvrière en Russie.
« Enfin, le Congrès exprimant la volonté unanime de la classe ouvrière, condamnant la politique réactionnaire des pays de l’Entente, exige que la paix soit conclue avec la Révolution russe. »
Comme on peut s’en rendre compte, cette résolution est parfaite. Toutes les affirmations de lutte de classe des Congrès antérieurs s’y retrouvent, renforcées ; l’affirmation de la valeur constructive du syndicalisme, sa capacité de gestionnaire y sont exposées avec un rare choix d’expressions ; les monopoles et le rôle de l’État y sont sévèrement condamnés, de même que la collaboration des classes.
Quelle contradiction avec le Programme minimum du Cirque d’Hiver, que cette résolution condamne en fait !
C’est ce que comprirent les syndicalistes révolutionnaires, c’est pourquoi, ils votèrent contre cette résolution, au nombre de 312.
Néanmoins, ils attendirent le Bureau Confédéral et la C. E. à l’œuvre, après que la majorité eût refusé à la minorité la représentation à laquelle elle avait droit à la C. E.
Le glissement Confédéral continue ; la lutte de classe fait de plus en plus place à la collaboration. Seul le Conseil Économique du Travail est institué.
Le Bureau Confédéral et une délégation de la C. G. T. assistent à la Conférence de Washington, bien que Jouhaux ait donné sa démission de délégué suppléant à la Conférence de la Paix, après le meurtre de Lorne, le 1er mai 1919. Le Bureau International du Travail, dont la constitution a été acceptée par l’Internationale d’Amsterdam en juillet 1919 concentra à peu près tous les efforts de la C. G. T. et de l’Internationale, l’une et l’autre attachées à faire triompher la conception démocratique de la Société des Nations, dont elles rêvent, utopiquement, en régime capitaliste, de faire une Société des peuples.
Et ce sont les grandes grèves de 1920. — Si celles des métaux de 1919 furent un échec, en juin, celles de 1920, tout au moins la dernière, furent un désastre. Ce fut la dislocation de la C. G. T. après une défaite sans précédent.
Pourtant en février 1920, l’heure de la Révolution passa sans qu’il se trouvât une C. G. T. pour la saisir.
À la suite de l’augmentation du coût de la vie qui atteignit des proportions jusqu’alors inconnues, un mouvement général de relèvement des salaires extrêmement puissant se dessina, à la tête duquel marchaient les cheminots, dont la Fédération comptait à ce moment 360.000 membres.
Sous la pression des Syndicats parisiens, impulsés par Lévéque, la Fédération fut obligée d’engager une action générale amorcée sur le P.-L.-M. à la suite d’une punition infligée au camarade Campanaud frappé dans l’exercice de son droit syndical.
Le P.-L.-M. déclencha la grève générale qui fut immédiatement suivie par les Syndicats parisiens (tous réseaux) et s’étendit rapidement à toute la province.
Du 23 février au 1er mars 1920 toute l’activité du pays est arrêtée. La Fédération des Cheminots a été obligée de lancer l’ordre de grève générale, malgré elle, à tous ses adhérents. Le mouvement est splendide. Tour à tour, toutes les corporations se solidarisent avec les cheminots. La C. G. T. est elle-même entraînée dans la lutte. Elle va donner l’ordre de grève générale lorsque, le 27 février, une délégation de la Fédération des Cheminots se rend discuter avec Millerand, Président du Conseil, et Le Trocquer, ministre des Travaux publics, alors que les militants cheminots sont arrêtés depuis le 25.
Composée de Dubois, de Sotteville, de Le Guennic, de Rennes, de Coudun, de Paris-Est, cette délégation met fin à la grève brusquement, en concluant un accord qui ne sera pas respecté par la suite.
Le mouvement des Cheminots est assassiné et la C. G. T. ne lance pas l’ordre de grève générale. Et pourtant, pris à l’improviste, le gouvernement, qui ne disposait d’aucun approvisionnement ni en vivres, ni en essence pour utiliser ses camions était vaincu. Tous les espoirs suscités par cette grève, partie sur une question de droit syndical, avec pour objectif immédiat le relèvement des salaires, mais qui avait rapidement élargi ses objectifs, et posait, tout à coup, tout le programme défini à Lyon, étaient à terre et, avec eux, ceux du prolétariat de ce pays.
Comme il fallait s’y attendre, le gouvernement ne tint pas ses promesses et maintint les révocations. Il cherchait une revanche, comme après la grève victorieuse des postiers, en 1909.
Mettant à profit le temps qui lui était ainsi accordé par cette accalmie, il constitua des stocks de vivres, de matières premières, d’essence, et lorsqu’il fut prêt, il provoqua la classe ouvrière.
De profonds changements, venaient de se produire dans l’orientation de certaines grandes fédérations, notamment chez les Cheminots. Après avoir enlevé presque toutes les Unions de Réseau, les syndicalistes révolutionnaires enlevaient aux réformistes la direction fédérale, au fameux Congrès du manège Japy, fin avril 1920.
C’est de ce Congrès que partit ce qu’on a appelé « l’ultimatum de San Remo ».
Sur la proposition du Syndicat de Paris-Rive Droite, dont Blacher fut le porte-parole, le Congrès adressa un message à Millerand, Président du Conseil, pour le mettre en demeure de respecter l’accord du 27 février. Et chose curieuse, les réformistes, Bidegarray en tête, ne furent pas les moins ardents, à réclamer l’envoi de cette mise en demeure au Gouvernement. Nous aurions dû être plus clairvoyants, sentir que cet empressement subit de nos adversaires était extraordinaire, qu’il cachait quelque chose.
Nous n’eûmes pas le temps de réfléchir. Le vote fut enlevé avec rapidité. Le refus était voulu, l’occasion cherchée par le gouvernement était trouvée. Le Congrès poursuivant ses travaux à Aubervilliers le déclara le lendemain avec, comme objectif : La réalisation de la nationalisation industrialisée.
Mal comprise des cheminots, incomprise à peu près par le grand public, cette revendication n’était pas propice à exalter les enthousiasmes. Autant la grève de février avait soulevé vigoureusement les travailleurs et intéressé le public, autant celle de mai les laissa indifférents.
Si le P.-L.-M., l’Ouest-État, le Midi, le P.-O., suivirent le mot d’ordre de grève, il n’en fut pas ainsi de l’Est et surtout du Nord, dont les dirigeants surent habilement duper le personnel.
On tenta sans succès, d’isoler ces Réseaux et la C. G. T. prit bientôt la direction du mouvement, encore que cette entrée en ligne de la C. G. T. ait donné lieu par la suite à de nombreuses et passionnées polémiques.
Le Cartel des Transports (ports, docks, marins) entre en ligne, sans modifier la situation. Une deuxième vague doit suivre. Ça ne marche pas. Il y a au sein de la C. G. T. des opposants dont Merrheim est le chef.
Après huit jours de lutte il apparaît que la grève sera écrasée si elle n’est pas généralisée par la C. G. T. J’en fais la demande à la C. G. T. après discussion avec Griffuelhes, qui est de mon avis. Elle n’est pas accueillie. On remplace le Bureau fédéral des Cheminots, obligé de se cacher pour se soustraire à l’arrestation. Il y a deux Bureaux, qui se contrecarrent. Et la deuxième semaine de grève marque l’échec du mouvement. Un Comité fédéral extraordinaire se réunit le 16 mai 1920, la C. G. T. y assiste, ainsi que les représentants Fédérations. C’est plutôt un Comité Confédéral.
Il décide de laisser les Cheminots continuer la lutte seuls et de les soutenir pécuniairement. Le mouvement se traîne. Les défections sont chaque jour de plus en plus nombreuses. C’est la fin, l’échec après 20 à 30 jours de lutte, selon les centres.
25.000 révocations et licenciements de cheminots sanctionnent cette défaite, dont les causes sont multiples. Le gouvernement a trouvé sa revanche. Il la tient et bien. La C. G. T. se disloque et c’est le Congrès d’Orléans, pour la liquidation de la situation. Il marquera aussi l’orientation sans cesse plus à droite de la C. G. T., l’abandon désormais total du programme du syndicalisme confirmé par tous les Congrès Confédéraux.
À la faveur de l’emprisonnement des militants cheminots, Bidegarray a pu reprendre la tête de la Fédération des Cheminots. Pour mettre le sceau à sa victoire, le Gouvernement a inventé le coup du complot contre la sûreté de l’État. Cette affaire viendra aux Assises en mars 1921 et se terminera par un acquittement triomphal.
C’est alors que les dissensions entre les fractions de la minorité se feront jour. Il est patent que le parti communiste non encore officiellement formé, a agi sur les événements de mai par le Conseil du Comité pour la reprise des relations internationales. Il continue sa pression sur la minorité syndicaliste, qui vient au Congrès d’Orléans de donner une adhésion de fait à « l’Internationale Communiste ». Adhésion toute sentimentale qui aura les plus graves conséquences.
Les Syndicalistes sentent, au sein des C. S. R, la tutelle qu’on veut leur imposer. Ils se dressent contre les hommes de Moscou : Monatte, Monmousseau, Rosmer, Souzarine, Loriot, etc. C’est la première bataille qui se livre pour l’indépendance du syndicalisme révolutionnaire. Le Bureau des C. S. R. est battu et je suis appelé à remplacer Monatte au Secrétariat général ; Fargues occupe le Secrétariat administratif.
Mais, avant notre entrée en fonctions, une délégation a été nommée pour représenter les C. S. R. au Congrès constitutif de l’Internationale Syndicale Rouge (I. S. R.). Elle est composée presque exclusivement de partisans de la subordination du syndicalisme. Seuls Sirolle, Gourdeaux, Albert et Claudine Lemoine font figure d’opposants. La délégation, hétéroclite, est déjà disloquée en trois parties au moins à son passage à Berlin et subjuguée à peu près totalement par les éléments communistes.
Elle manifestera son incompréhension totale de la Révolution et ne fera aucun effort pour la voir qu’elle est. Ce sont alors d’ignobles chantages exercés sur les délégués restés fidèles. Et après s’être divisée, au Congrès de l’I. S. R., la délégation, précédé de Tomasi — qui sera désavoué par tactique par ses amis — rentre en France. Et c’est le Congrès Confédéral de Lille. Entre mai et juillet, les militants syndicalistes du C. S. R. ont fait une grosse besogne, ils abordent le Congrès de Lille, après avoir redressé le mouvement minoritaire et mis debout un programme qui sera opposé à Lille, trop tard hélas !, au programme de la C. G. T. Ils ont aussi renforcé considérablement leur action et conquis un nombre imposant de Syndicats de province. De 312 à Lyon, 585 à Orléans, leurs forces atteindront à Lille 1350 voix.
Le Congrès minoritaire voit participer à ses débats plus de 1100 Syndicats. C’est l’apogée. Le Bureau Confédéral sent la défaite. Il ne s’en tirera que par la violence, en faisant matraquer par des gens à sa solde, les délégués de la minorité. Des coups de revolver sont tirés. Il y a des blessés. Le Gouvernement parle d’interdire la continuation du Congrès. Il est visible que la majorité, stimulée par le Pouvoir, cravachée par les hommes du démocratisme social cherche la rupture. La minorité, quoique divisée en elle-même, ne se prête pas à cette besogne. Le Congrès continue. Une fois de plus — et ç’eût dû être la dernière — Jouhaux et ses amis triomphent.
La division s’accentue cependant entre les fractions de la minorité et au Comité Confédéral de septembre, une réunion extraordinaire du Comité Confédéral de septembre est convoquée.
La C. G. T., de son côté, brusque les choses. Dumoulin reprend sa motion d’exclusion. Il l’aggrave et somme les délégués de le suivre. Il ne triomphe qu’à une voix de majorité. À toute force, il est patent que la majorité confédérale veut la scission. Elle veut aussi dissoudre les C. S. R., ce que refusent les délégués minoritaires au C. C. N. après délibération du Comité Central.
La situation empire. Les exclus sont plus nombreux qu’avant Lille. La minorité tout entière se solidarise avec eux. La scission est désormais inévitable. C’est à ce moment que se tient le Congrès de l’U. D. de la Seine où Monmousseau prononce son dernier discours à peu près syndicaliste et tente déjà sa conversion communiste. Il n’y parviendra pas et devra s’incliner après l’intervention du Bureau des C. S. R.
Mais le malaise augmente. Il faut clarifier la situation. Une Conférence des Unions départementales est convoquée en novembre. Elle marque le désaccord sans cesse plus profond des partisans composant les C. S. R. et décide la convocation d’un Congrès auquel seront convoqués tous les Syndicats du pays pour protester contre la décision qui frappe d’ostracisme la moitié au moins des Syndicats du pays. 1550 Syndicats y participeront.
Ce Congrès se tiendra fin décembre 1921. Sa première tâche sera de désigner une délégation qui aura charge d’informer la C. G. T. de la tenue de ce Congrès et de son importance.
Elle se rend au siège confédéral, 211, rue Lafayette, où elle ne rencontre que Lapierre, secrétaire adjoint de la C. G. T. qui a mission de ne pas discuter et ne reçoit la délégation que par courtoisie.
Bien que prévenus, Jouhaux et Dumoulin sont absents, en délégation internationale.
Après une discussion qui fut parfois tragique, Lapierre accepte cependant de convoquer la C. E. de la C. G. T. et de donner une réponse pour le soir à 6 heures et par écrit.
Ne recevant aucune communication, le Congrès décide d’envoyer à la rue Lafayette une délégation restreinte pour connaître la réponse. J’en fais partie avec Monmousseau, Fourcade, Carpentier, Gauthier.
Nous trouvons portes closes. Le Congrès attend impatiemment notre retour. Nous rentrons immédiatement, et nous apprenons, par un communiqué que la C. G. T. considère que les organisations qui participent au Congrès se sont placées en dehors de la Centrale Nationale. C’est, on ne se le dissimule pas, la rupture. C’est alors que, mis au courant, le Congrès décide que la C. G. T., dont les Syndicats présents constituent la majorité, continue sur la base de ses statuts constitutifs définis à Amiens en 1906. La destitution du Bureau Confédéral est prononcée. Ce n’est d’ailleurs qu’une décision de pure forme. Il y a, en fait, deux C. G. T., sinon officiellement, du moins en réalité.
En effet, le Congrès ne peut échapper à la nécessité, inéluctable d’ailleurs, de désigner, un Bureau Confédéral et une Commission Exécutive provisoires.
Totti, Cadeau et Labrousse sont appelés à ce Secrétariat provisoire. Pendant deux mois encore, on essayera sans succès de recoller les morceaux. Ce sera en vain. On ne pourra y parvenir, la C. G. T. s’y opposera chaque fois. Il faudra bon gré, mal gré, se décider à considérer la scission comme réalisée. La C. G. T. U., un moment arrêtée dans son recrutement et sa propagande par le souci de renouer les rapports entre les deux grandes fractions du syndicalisme, prend maintenant un rapide essor, encore que la lutte des tendances ne se soit pas ralentie à l’intérieur.
Après deux Comités Nationaux, au cours desquels s’y affronteront avec force les défenseurs du syndicalisme et ceux du Parti Communiste, il fut décidé qu’un Congrès Confédéral Constitutif aurait lieu à Saint-Étienne en juillet 1922.
La tension internationale entre le Bureau et la C. E. provisoires de la C. G. T. U. et les Bureaux de l’Internationale Syndicale rouge et de l’Internationale Communiste est à l’état aigu.
À Paris, quoi qu’on en dise, les syndicalistes font tout pour empêcher une rupture totale, soit par des conversations avec les délégués des Exécutifs russes, soit par des propositions concrètes à ces Exécutifs, dont les plus importantes seront soumises par Griffuelhes à Lénine, Zinoview et Lozovsky. Ce fut en pure perte. Les russes restèrent intransigeants. On peut dire, aujourd’hui, sans crainte d’erreur, que la rupture leur incombe et à eux seuls.
Les dernières propositions du Bureau provisoire contresignées par un certain nombre de membres les plus influents de la C. E. n’eurent pas davantage de succès.
Parallèlement à cette action, se déroulait sur le plan national l’offensive du Parti communiste et de ses alliés syndicaux, le tout sous la direction de Frossard, mandataire de l’Exécutif de Moscou, dont il appliquait d’ailleurs les ordres avec une mollesse qui lui sera reprochée par la suite.
Par sa conduite, en ces circonstances tragiques, Frossard n’en aura pas moins assumé de redoutables responsabilités. Pour n’avoir point rompu à temps avec ceux qui dirigeaient l’offensive, après l’avoir souvent annoncé pour avoir tantôt paru céder, tantôt semblé résister, il fut un des hommes qui facilitèrent grandement la mainmise du Parti communiste — dont il dirigea d’ailleurs l’offensive à Saint-Étienne — sur la C. G. T. U.
Entre temps, la C. G. T. U. fut sollicitée de participer à une Conférence convoquée par les Centrales syndicales non adhérentes à Moscou ou à Amsterdam. Sous réserve que la C. G. T. russe serait invitée, la C. E. décida, sur la proposition des syndicalistes communistes, que la C. G. T. U. participerait, à cette Conférence à titre d’information.
Cette Conférence se tint à Berlin, le 12 juillet 1922 et jours suivants. La C. G. T. russe y avait délégué un de ses secrétaires, Andréieff. La minorité russe y était également représentée. Une grande discussion s’y produisit au sujet des persécutions en Russie et sur un motif futile, la C. G. T. russe se retira, en se solidarisant avec la fraction Vecchi de l’Union Syndicale italienne, que la Conférence avait refusé d’admettre.
Les travaux de cette conférence seront examinés plus largement dans la partie internationale. Sur la pression de la délégation française, elle prit la décision de tenter un dernier effort d’entente avec l’I. S. R. avant de constituer une Internationale, dont elle fixa toutefois les principes et dont elle définit la doctrine.
La délégation de la C. G. T. U. à Berlin : Totti, Lecoin et moi-même, rendit compte de son mandat par un rapport adressé au Congrès de Saint-Étienne.
Ce Congrès constitutif de la C. G. T. U. marqua le triomphe de la fraction communiste. Après six jours de débats extrêmement passionnés, les syndicats communistes triomphèrent par 749 voix contre 406.
Monmousseau et ses amis prirent la tête de l’organisation centrale du syndicalisme révolutionnaire français. Sentant le péril, les syndicalistes et les anarchistes constituèrent immédiatement un Comité de Défense Syndicaliste, avec mission d’entreprendre à nouveau le redressement du syndicalisme. J’acceptai d’en être le secrétaire.
La besogne s’annonçait d’autant plus difficile que les syndicalistes abasourdis par leur défaite ne surent ni s’organiser solidement, ni agir à bon escient.
Bientôt, de ce Comité qui portait tous les espoirs de la minorité de Saint-Étienne, ne vécut plus que la tête, à Paris ; la province boudait ou se désintéressait de son existence.
Le Comité de Défense syndicaliste n’en joua pas moins un rôle important.
Peu de temps après le retour de la délégation Confédérale du III{{}}e Congrès de l’I. S. R., après qu’on eût appris de source sûre que cette délégation, violant son mandat de Saint-Étienne, avait livré le syndicalisme français, pieds et poings liés à l’Internationale Communiste, le Comité fut sollicité de participer au Congrès constitutif de la II Association Internationale des Travailleurs. — Je m’y rendis avec A. Lemoine. — Ce Congrès, sur les travaux duquel je reviendrai plus tard, décida la constitution de l’Internationale Syndicaliste, après avoir pris acte des décisions scissionnistes du Congrès de l’I. S. R.
C’est alors, en janvier 1923, que les événements se précipitèrent en Allemagne, après l’envahissement de la Ruhr par Poincaré. Ces événements se développèrent rapidement. Les Partis Communistes français et allemand, la C. G. T. U., divers autres Partis communistes, les Conseils d’Usines de Rhénanie-Westphalie, réunirent une conférence à Essen.
Sentant le péril de laisser toute l’organisation aux mains des communistes, le Comité de Défense syndicaliste intervint immédiatement. Il fit une démarche auprès du Bureau Confédéral en demandant à participer activement à toute l’action et, aussi, à sa préparation. Le Bureau Confédéral repoussa notre concours.
Le gouvernement de Poincaré refit à ce moment le coup du complot et arrêta les membres du Comité d’action. Ce complot fut étayé sur un faux, qui prit le nom de faux de Hambourg, dont on ne saura jamais sans doute s’il fut l’œuvre de la police bourgeoise internationale ou celle de la Tcheka russe en Allemagne. Les relations de Radek avec le Préfet de Police de Berlin semblent plutôt de nature à faire pencher vers cette dernière hypothèse.
En tout cas, le complot s’effondra après la lecture en Haute Cour du réquisitoire introductif du Procureur général Lescouvé.
Les pseudo comploteurs furent tous libérés. Puis vinrent les grandes opérations d’Allemagne qui marquèrent à nouveau une tendance vers la prise du Pouvoir en Saxe et en Thuringe, mouvement auquel participa la C. G. T. U. qui assista à la Conférence de Francfort où fut dressé le programme d’action qui devait être exécuté par les participants.
Mal dirigé, ce mouvement finit par le triomphe de la réaction, malgré que les conditions de réussite aient paru un moment réunies.
Les gouvernements en partie ouvriers de Saxe et de Thuringe durent fuir devant les baïonnettes de la Reichswehr et, après le Congrès des Usines d’Allemagne, tenu à Chemnitz, et les sanglants événements de Hambourg, le mouvement de révolte allemand né de la faim, écrasé dans le sang, prit fin.
C’est à Bourges, en novembre 1923, que ces événements et tant d’autres, y compris la question de suprématie des communistes furent définitivement tranchés.
Pendant l’année syndicale 1923/1924, le Bureau de la C. G. T. U. et ses amis avaient considérablement renforcé leurs positions. En dépit d’une opposition trop tiède, trop timide, sans position doctrinale définie, qui se fit jour à la C. E. et gagna à elle deux membres sur quatre du Bureau : Marie Guillot et Cazals, les communistes gagnèrent un terrain considérable. Ils avaient conquis presque toutes les Unions départementales, sauf la Loire, le Rhône et les Bouches-du-Rhône, ainsi que toutes les Fédérations, sauf le Bâtiment et les P. T. T.
Malgré les efforts inouïs des syndicalistes, dont l’homogénéité ne fut d’ailleurs pas la vertu dominante, les communistes triomphèrent définitivement. Lozowsky était, nous assura-t-on, présent dans les coulisses. Si les groupements syndicalistes révolutionnaires avaient été plus actifs, s’ils avaient su où Ils allaient, Il peut se faire, que l’écrasement eût été moins brutal et qu’une réaction devînt possible. Ce ne fut pas le cas.
Après Bourges, où le triomphe du Parti communiste s’étala cyniquement, le Bureau Confédéral tenta d’enlever les derniers fortins syndicalistes.
Le Parti communiste entra alors carrément en bataille. Il était décidé à frapper un grand coup et, à cet effet, avec la complicité des dirigeants de la C. G. T. U. et de l’U. D. de la Seine, il organisa un grand meeting de provocation à la Maison des Syndicats, 33, rue de la Grange-aux-Belles, à Paris, qui eut lieu le 11 janvier 1924.
S’emparant sans vergogne du programme syndical, il démasqua toutes ses batteries.
Des camarades syndicalistes qui voulaient faire respecter le mouvement ouvrier et défendre son programme furent roués de coups. Des équipes de décrocheurs professionnels, aux gages du Parti communiste, jouèrent du revolver. Deux des nôtres : Poncet et Clos furent tués, une dizaine d’autres blessés.
La colère monta chez les syndicalistes et le jour des obsèques des victimes, auxquelles participèrent, de nombreuses délégations de province, se tint une Conférence de la minorité syndicaliste.
Une fois de plus, celle-ci manifesta son incompréhension, son impuissance, en ne se séparant pas immédiatement des communistes.
Le temps fut mis à profit par ceux-ci qui, à part le Rhône, enlevèrent tout ce qui restait de forces syndicalistes et coupèrent en deux la Fédération du Bâtiment.
Comprenant enfin qu’elle n’avait plus rien à attendre, la minorité syndicaliste, se réunit en Conférence les 1er et 2 novembre 1924.
Toujours par les mêmes raisons, elle ne sut pas prendre des décisions fermes. Elle convoqua et décida la constitution d’une organisation insuffisamment définie : l’Union Fédérative des Syndicats Autonomes de France.
Cette organisation qui eût dû recevoir l’adhésion de tous les Syndicats autonomes du Pays ne put remplir sa tâche et redresser un mouvement à côté de la C. G. T.
Délaissée par ceux-là mêmes qui la constituèrent, mais n’y adhérèrent jamais, elle mena une pauvre existence.
Son Bureau décida de convoquer une Conférence le 23 juillet 1925. Elle se tint à Saint-Ouen. 36 Syndicats y participèrent. La proximité des Congrès Confédéraux ne permit pas de prendre encore une position nette, surtout sur la question de l’Unité qui apparaît bien, maintenant comme la plus fameuse chimère du moment.
Il n’est pas besoin d’être grand prophète pour prédire que les Congrès des deux C. G. T. qui vont se tenir fin août, laisseront les choses en l’état et sanctionneront une scission qui apparaît comme irrémédiable avant longtemps.
À ce sujet, voici ci-dessous la position prise, sur cette question par l’U. F. S. A. qui reste, en dépit de ses maigres effectifs, la seule force syndicaliste de ce pays.
Je la reproduis en entier, parce qu’elle marque exactement la position du conflit, et qu’elle permettra aux hommes d’aujourd’hui, comme à ceux des générations de l’avenir, de se reconnaître dans l’histoire si compliquée du syndicalisme. Elle sera aussi de nature. à marquer le point de départ d’une nouvelle évolution du syndicalisme.
Declaration de la C. E. de l’U. F. S. A. aux Congrès Confédéraux d’août 1925
Les bouleversements provoqués par la guerre ont posé avec une force accrue, pour la classe ouvrière, le problème de la gestion de la Société par le Syndicalisme.
Ceci implique que les travailleurs doivent exprimer avec plus de clarté et d’objectivité, les désirs d’affranchissement qu’ils ont affirmé à toutes les périodes tumultueuses de l’Histoire.
La persévérance de ces affirmations, leur précision sans cesse plus grande depuis la publication du manifeste de 1863, prouvent avec évidence que la véritable tendance du Syndicalisme est l’organisation du travail et la gestion de la production.
En toute logique, la solution de ce problème qui se pose au sortir de la guerre avec une intensité jamais égalée, devait rapprocher les unes des autres les diverses fractions du syndicalisme dont le but est de supprimer le salariat, d’abolir le capital.
Or, fait extraordinaire, c’est le contraire qui s’est produit. Les tendances se sont heurtées violemment les unes contre les autres et, au lieu d’un renforcement de l’Unité syndicale, ce sont des scissions qui sont intervenues.
Il y a à cela des raisons profondes qu’il convient d’examiner, avant de reprendre la marche en avant.
En effet, les scissions quel qu’en soit le mécanisme, ne se sont pas produites fortuitement. À l’origine de chacune d’elles, doit se trouver une cause essentielle.
À notre avis, la cause première de toutes ces scissions réside dans l’abandon des principes fondamentaux du syndicalisme par certaines des fractions aujourd’hui rivales.
Ces principes sont condensés dans la charte du syndicalisme. Ce n’est pas par hasard que le Congrès d’Amiens la formula en 1906. Elle est l’affirmation synthétique de toutes les déclarations des Congrès ouvriers antérieurs. Elle résulte de l’observation attentive des faits sociaux, elle est la conséquence des luttes ouvrières et de leurs enseignements. Traduisant la pensée ouvrière, elle dicte au mouvement syndical, sa ligne de conduite dans le domaine immédiat en même temps qu’elle fixe les buts lointains à atteindre. Elle définit aussi le caractère exact du syndicalisme, détermine la valeur revendicative et la capacité révolutionnaire des Syndicats dans la lutte, l’organisation et la gestion.
On peut dire que la Charte d’Amiens contient six affirmations capitales qui constituent les fondements du syndicalisme, ce sont :
1° Affirmation d’Unité. — « La C. G. T. groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du patronat et du salariat. »
2° Affirmation de lutte de classe. — « Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression tant matérielles que morales, mises en œuvre par le capitalisme contre la classe ouvrière. »
3° Affirmation de la nécessité de la lutte quotidienne dans le régime actuel. — « Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. »
4° Affirmation de la capacité d’action révolutionnaire des Syndicats. Fixation de leur rôle social avant et après la révolution. — « Il (le Syndicalisme) prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le Syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de répartition, base de la réorganisation sociale. »
5° Affirmation d’autonomie et d’indépendance. — « Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation de salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le Syndicat. — Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à toute forme de lutte correspondant à ses conceptions politiques ou philosophiques, en se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le Syndicat, les opinions qu’il professe au dehors. »
6° Affirmation d’action directe et de neutralité envers les Partis et les groupements philosophiques. — « En ce qui concerne les organisations, le Congrès décide qu’afin que le Syndicalisme atteigne le maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des Sectes et des Partis qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivie en toute liberté la transformation sociale. »
Ces principes forment un tout. Il est clair, qu’en cessant de respecter l’un ou plusieurs d’entre eux, on ne pouvait que provoquer l’écroulement de l’édifice si péniblement construit et l’anéantissement du mouvement sur lequel il reposait.
C’est ce qui est arrivé, au moment même où l’Unité était plus nécessaire que jamais, alors qu’il était indispensable d’affirmer la valeur du syndicalisme, de préparer des cadres et de le diriger vers les buts à atteindre.
Personne ne contestera que les objectifs fixés à Amiens restent ceux d’aujourd’hui, puisqu’ils ne furent jamais atteints et correspondent toujours aux désirs et aux besoins des travailleurs. La besogne quotidienne et d’action révolutionnaire, de défense, de préparation, d’agitation, de transformation, reste identique et s’impose plus que jamais.
Cela suffit largement pour nous permettre d’affirmer avec raison, en dépit de toutes les expériences récentes — qui en sont plutôt la confirmation que l’infirmation — que la Charte d’Amiens conserve toute sa valeur doctrinale et que ses principes restent les seuls qui soient de nature à permettre au syndicalisme de retrouver son Unité et sa vigueur.
La preuve en est péremptoirement administrée par les faits suivants :
1° Dès qu’on a cessé de reconnaître que la lutte de classe est un fait indéniable, pour pratiquer ou tenter de pratiquer la collaboration continue du Travail et du Capital par en haut, on a créé une tendance qui ne permettait plus à la C. G. T. de grouper dans son sein, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du patronat et du salariat. Une partie d’entre eux en était exclue idéologiquement, moralement. Elle le fut bientôt matériellement. Il ne faut pas chercher ailleurs la cause de la première scission.
La confiance mise par la C. G. T. dans la démocratie et l’État bourgeois, pendant et après la guerre, pour réaliser une partie du programme syndicaliste était en opposition flagrante avec la Charte d’Amiens, qui rompait publiquement avec cette démocratie et son État et n’attendait rien que de l’action directe des travailleurs.
Il y a d’autres causes, mais celle-ci est l’essentielle. Les expériences, qui se suivent et se ressemblent quant aux résultats depuis mai 1924, prouvent et confirment avec éclat, en dépit de l’accentuation de cette politique, qui rencontre l’agrément du Pouvoir et du Parlement, que les militants de 1906 furent clairvoyants, qu’ils avaient pleinement raison.
Indubitablement, le premier divorce des fractions de la C. G. T. vient de là et non d’ailleurs. Il était inévitable, parce que les principes fondamentaux d’un mouvement sont au-dessus de la loi de la majorité et qu’ils doivent y demeurer. C’est du moins notre avis.
2° Lorsque le rôle révolutionnaire du syndicalisme, sa valeur revendicative, son indépendance, son autonomie fonctionnelle, sa capacité d’action furent contestés par un Parti et ses adeptes qui voulaient que le Syndicalisme rompît sa neutralité en faveur de ce Parti jusqu’à en devenir l’appendice, contrairement d’ailleurs à ce qu’affirmait Karl Marx lui-même à Genève en 1866, la deuxième scission, déjà en germe lors de la première, se produisit.
À ce moment, la C. G. T. U., pas plus que la C. G. T., ne pouvait plus grouper dans son sein, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du patronat et du salariat, même si ce principe directeur restait à la base de l’action de la nouvelle C. G. T.
Et ce fut la seconde scission, parce que, une fois encore, les principes fondamentaux du syndicalisme cessaient d’être respectés et qu’ils ne pouvaient être modifiés par une majorité inspirée extérieurement par le parti communiste. Il en eût été de même, s’il se fût agi d’un autre parti ou d’un groupement philosophique.
On peut donc dire, aujourd’hui, que les principes d’Amiens sont niés, dans leur intégralité, soit par l’une, soit par l’autre C. G. T. Faut-il en conclure que l’Unité est à tout jamais impossible ? Peut-être, hélas !, si on continue de tels errements.
Les conceptions nouvelles des deux C. G. T. basées de part et d’autre sur des principes opposés à ceux du syndicalisme, ont en effet donné naissance à des programmes, à des systèmes qui s’opposent dans presque toutes leurs parties à ceux du syndicalisme. Il est à craindre, dans ces conditions que ceux qui les défendent respectivement, ainsi que ceux qui les suivent, s’obstinent dans leurs erreurs et persistent dans la voie qu’ils ont choisie.
On peut donc redouter que les heurts des tendances s’aggravent au lieu de disparaître. Aussi, pour exprimer franchement notre pensée, nous n’apercevons en ce moment et ce jusqu’à ce que nos craintes soient dissipées, aucune possibilité sérieuse de fondre dans un même creuset les systèmes sociaux qui sont, à notre avis, appelés à s’opposer chaque jour plus violemment, jusqu’à l’application de l’un d’eux.
L’histoire nous enseigne que cette lutte se poursuivra, vraisemblablement, par delà cette application, s’exacerbera davantage encore, lorsque l’un des adversaires aura momentanément triomphé, même s’il jugule ses opposants.
En ce qui les concerne, les travailleurs groupés dans l’U. F. S. A. n’attendent rien de la démocratie. Ils savent que le développement de celle-ci signifie le maintien du Capitalisme dans ses privilèges et la continuation de l’asservissement du travail.
Aux prétendus droits du Capital, ils opposent les droits véritables du travail, qui ne peuvent trouver leur expression que par la libération des travailleurs, la suppression du capitalisme et du système qui le soutient et non dans une conciliation impossible des intérêts opposés.
Ils savent que l’État-patron oppresse ses ouvriers, ses employés, ses fonctionnaires doublement : politiquement et économiquement.
Aussi, considérant que la tendance de la démocratie, qui est d’étendre indéfiniment le champ d’action de l’État par l’extension de la politique des monopoles, conduira en fait à ce double asservissement un nombre sans cesse plus élevé de travailleurs, l’U.F.S.A. déclare que le Syndicalisme a pour devoir de revendiquer pour les Syndicats, la pleine autonomie dans l’organisation du travail, de tenter de détruire les hiérarchies arbitraires et incompétentes qui, dans les services publics, dominent les travailleurs et paralysent leur efforts ; de faire restituer aux intéressés eux-mêmes (par le contrôle syndical) les droits de régler les questions d’ordre technique et professionnel, d’enlever aux hommes politiques et aux partis qu’ils représentent la possibilité de s’ingérer dans le recrutement du personnel, en un mot de neutraliser à la fois la puissance malfaisante de l’État et celle non moins malfaisante du Patronat.
C’est une œuvre qui relève essentiellement de l’activité du syndicalisme, si ce dernier veut défendre hardiment les ouvriers contre les démocrates et s’opposer au triomphe de la démocratie, de la république des camarades, de la médiocrité et de l’irresponsabilité.
En monopolisant, l’État devient entrepreneur. Comme tel, il prétend être, à la fois, industriel ordinaire et patron privilégié. Or, comme industriel, il est incompétent et, comme patron, il est tyrannique.
Le syndicalisme doit donc se dresser et lutter contre les institutions composées de représentants de l’État, des patrons et des ouvriers, dont le but est d’acheminer l’ordre social vers la démocratie. C’est le rôle de ses groupements comme, demain, ce sera le rôle de ces mêmes groupements d’assumer les charges de l’organisation sociale.
Les travailleurs n’ont pas davantage foi dans leur soi-disant affranchissement par l’État et les Partis. Ils n’attendent rien que d’eux-mêmes et de leur action. Ils se refusent à reconnaître à un Parti le droit de parler en leur nom et à l’État d’administrer la chose publique à leur place. — Ils se souviennent, à ce sujet, des multiples enseignements des révolutions passées. — Ils n’ont oublié ni la façon dont le Conseil municipal de Paris accueillait leurs revendications en 1790, ni le vote de la loi Le Châtelier en 1791, par l’Assemblée constituante, ni les fusillades du faubourg St-Antoine en 1830, ni la faillite du socialisme d’État, avec Louis Blanc, en 1848.
Ils se rappellent que chacune de ces dates vit couler à flots le sang ouvrier et que le triomphe du prolétariat fut, chaque fois, rendu vain par les trahisons successives des Partis qui utilisèrent le levier populaire pour renverser une tyrannie et imposer la leur.
De telles expériences gardent les travailleurs pour l’avenir. Elles justifient aussi, et au-delà, leur fidélité aux principes du syndicalisme, à son action, aux buts qu’il poursuit.
L’U. F. S. A. croit d’ailleurs fermement que la situation est révolutionnaire ; économiquement, financièrement, politiquement et socialement. C’est pour elle, une raison de plus d’être fidèle à ses principes.
Pour parler net, elle ne voit de possibilité d’unité que dans l’action que les événements vont rendre indispensable. C’est donc de l’action seule, que peut, à notre avis, surgir l’organisation unique des travailleurs. C’est elle qui démontrera la nécessité d’employer les moyens d’action du syndicalisme et acheminera instinctivement les ouvriers vers leurs buts invariables d’affranchissement.
Par avance, l’U. F. S. A., en même temps qu’elle déclare la Paix à toutes les autres tendances du mouvement syndical et à leurs militants, est d’ores et déjà prête à collaborer avec les uns et les autres pour toute action qui aurait pour but la défense des intérêts ouvriers (salaires, 8 heures, vie chère, chômage, etc.,) ou qui tendrait à supprimer le salariat et à faire disparaître le patronat.
Elle est également prête à s’associer à toute action pratique et sérieuse dirigée contre la guerre, à la seule condition que cette action soit dirigée par les travailleurs et leurs organisations syndicales, même si celles-ci ne sont pas d’accord avec elle sur le caractère du deuxième stade d’une révolution qui doit normalement découler de cette guerre, dans les circonstances actuelles.
Pour conclure et se résumer, l’U. F. S. A. déclare :
1o Être prête à réaliser immédiatement l’unité organique par la reconstitution d’une seule C. G. T. basée sur les six affirmations capitales et de principe contenues dans la charte d’Amiens et rappelées d’autre part.
2o Être prête dès maintenant, à participer, comme force organique à toute action quotidienne, revendicative ou révolutionnaire dirigée contre le patronat et l’État bourgeois, jusqu’au jour où, conscients de leur vrai rôle social, les travailleurs groupés ou associés dans leurs syndicats, Unions, Fédérations, C. G. T. et Internationale uniques, reviendront d’eux-mêmes aux principes du syndicalisme et en assureront son triomphe définitif, en même temps que la libération du prolétariat, par la prise des moyens de production et d’échange et l’organisation sociale par la classe ouvrière.
Pendant ce temps que fait la C. G. T. ? Elle traverse deux périodes totalement différentes. L’une qui va de décembre 1921 à mai 1924 et l’autre, qui commence à cette dernière date et dont le cycle n’est pas encore achevé.
Pendant la première, elle est quelque peu désorientée, perd de ses effectifs. Malgré qu’elle ait tenté de se rapprocher du Pouvoir sous Briand, Poincaré l’écarte. Elle ne peut, quelque désir qu’elle en ait participer à la conférence de Gênes où la Russie reprend pour la première fois contact avec le monde diplomatique extérieur.
Peu après, presque à la même date, la Fédération Internationale syndicale tient son congrès à Rome, en 1922 Albert Thomas, y représente le Bureau International et participe aux travaux, ce qui a le don de mettre en colère Bourderon, qui quitte le Congrès. On y chante la louange de la Société des Nations et le Congrès syndical manifeste une répulsion aggravée pour la lutte de classe.
Après cette dure période de 1922 à 1924, la C. G. T. va connaître à nouveau les grâces du Pouvoir avec l’arrivée de Herriot et du Cartel des gauches qui viennent de triompher, en mai 1924, du Bloc national.
Le programme minimum de la C. G. T. se voit infliger la suprême injure d’être accepté par presque tous les candidats de ce Cartel aux élections de mai.
Le triomphe porte tout naturellement aux portes du Pouvoir les grands manitous confédéraux et fédéraux, qui s’installent un peu partout dans les Commissions instituées.
Mais les résultats réels se font attendre. Ni la nomination de Jouhaux comme représentant du Gouvernement au Conseil de la S. D. N. à Genève, ni celle de nombreux militants réformistes, par Painlevé, au Conseil National Économique et à l’Office national de la main-d’œuvre, pendant que d’autres entrent dans les conseils techniques de toutes sortes, ne permettent à la C. G. T. d’atteindre les buts qu’elle vise.
L’expédition du Maroc, qu’elle n’ose condamner formellement, les difficultés de tous ordres qui surgissent, les déboires causés par l’application du plan Dawes à l’Allemagne, la politique centriste de Painlevé tiraillé de gauche à droite, la rentrée politique financière de Caillaux ont tellement rendu la tâche de la C. G. T. difficile, que Jouhaux et ses amis regardent l’avenir avec effroi.
Il est à peu près certain d’ailleurs que le fiasco qui marquera la fin de l’expérience du Parti radical français, soutenu d’une façon intermittente par le parti socialiste, marquera aussi l’impuissance totale de la C. G. T. à concilier l’intérêt de classe avec l’intérêt général, les intérêts du Travail et ceux du Capital.
La désillusion qui s’en suivra chez les travailleurs, celle qui s’emparera d’eux après qu’ils auront constaté le néant des réalisations du parti communiste, surtout si les événements révolutionnaires forcent celle-ci à agir et à tenter d’appliquer son programme, ramèneront les ouvriers sur la route qu’ils n’auraient pas dû quitter : celle du syndicalisme, seule force de libération véritable.
Les Congrès des deux C. G. T. venant de prendre fin au moment même où je termine cette étude, il me semble impossible de n’en pas parler.
Ces Congrès ont été réunis à Paris à la même date (26 au 29 août 1925).
Dès sa première séance, celui de la C. G. T. U. qui se tenait au « Chaumont Palace » a désigné une délégation avec mission de proposer au Congrès de la C. G. T., réuni au « Manège Japy » de réunir les deux Congrès en un seul après les assises régulières des deux C. G. T. pour la réalisation de l’Unité Nationale.
De son côté, l’U. F. S. A. adressait une lettre à chacune des deux C. G. T. et à leur Congrès pour qu’une délégation puisse exposer le point de vue des autonomes sur l’Unité.
Le Congrès de la C. G. T. reçut la délégation de la C. G. T. U. et de l’U. F. S. A. le 2e jour.
C’est dans un silence absolu que Porreye, pour la C. G. T. U. et moi-même, pour l’U. F. S. A. nous donnâmes lecture des déclarations de nos organisations respectives.
Le Congrès prit acte et nous nous retirâmes.
Le lendemain le Congrès de la C. G. T. U. reçut le camarade Huart (Chaussure) qui vint lui donner connaissance du manifeste inséré d’autre part. De ces « négociations » nul résultat n’est sorti. La C. G. T. reste sur sa position. Son point de vue se résume en ceci : Unité chez elle.
Le refus formel de la C. G. T. a rendu inutiles toutes négociations. Plus que jamais l’Unité s’éloigne, quelles qu’en soient les nécessités.
Le congrès de la C. G. T. a précisé avec une telle clarté la ligne de conduite de ce groupement, sur le terrain de la collaboration des classes, de l’entente avec la démocratie, de la participation indirecte au Pouvoir, qu’il lui est impossible d’envisager une action commune le reste du prolétariat, comme il est désormais certain que celui-ci ne peut compter sur la C. G. T. pour une action de classe, quel qu’en soit le caractère.
Du côté de la C. G. T. U. le triomphe du parti communiste est total, l’asservissement du syndicalisme est complet et, à moins d’un concours exceptionnel de circonstances, il est certain que les syndicalistes ne pourront travailler en commun avec la C. G. T. U.
Reste l’U. F. S. A. seule avec son point de vue syndicaliste. Qu’en adviendra-t-il ? Je l’ignore. Les syndicats le diront.
Comme je le déclarais plus haut la situation reste inchangée.
Seuls les événements la solutionneront. Aux syndicalistes de savoir les utiliser.
Il me paraît nécessaire de faire remonter l’action internationale du mouvement ouvrier français à l’année 1862 qui marqua la première prise de contact des ouvriers français avec leurs camarades anglais, lors de l’Exposition universelle de Londres.
Cette prise de contact eut des lendemains féconds. La publication du manifeste dit « des Soixante » marqua une date importante du mouvement français, qui affirma le caractère de classe de son action.
Le retentissement de ce document — dont les conclusions, pour contradictoires qu’elles apparaissent aujourd’hui, firent sensation à l’époque — fut énorme.
Le recrutement des sociétés de résistance en fut considérablement augmenté. La répression brutale de la grève de la typographie parisienne accrut et surexcita l’agitation ouvrière.
Après avoir arraché le droit de coalition au gouvernement impérial apeuré par des conflits renouvelés, les travailleurs songèrent sérieusement à internationaliser leur action.
C’est en 1864 que fut constituée l’Association Internationale des Travailleurs, elle fut fondée à Londres le 28 septembre, après un meeting international tenu par les ouvriers au Saint-Martin’s Hall, en faveur le la Pologne martyrisée.
Constituée en 1865, la Section française, dont le siège était à Paris, rue des Gravilliers, participa au 1er Congrès de l’Internationale qui se tint à Genève en 1866.
Ce Congrès fut d’une haute tenue par ses discussions doctrinales et les décisions d’ordre pratique qu’il prit, notamment sur le principe de la réduction de la journée de travail à 8 heures, sur la suppression du salariat qui ne disparaîtra, disait-il, que par l’association coopérative des travailleurs. L’évolution de la grève générale qui fut faite à ce Congrès atteste que nos devanciers attachaient à cette forme de lutte une valeur certaine.
La Section française participa également au Congrès de Lausanne, en 1867.
Ce Congrès déclara en outre, que « l’émancipation sociale des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique et que l’établissement des libertés politiques est une mesure d’absolue nécessité ». Je pense qu’on pourrait aisément renverser les termes de cette formule sans qu’elle perdît ni de sa valeur ni de force, bien au contraire.
Cette affirmation valut à la Section française d’être poursuivie, sans que se ralentissent pour cela, et l’action et la propagande de l’A. I. T. en France.
Les Congrès suivants marquèrent une nette orientation vers le collectivisme. César de Paëpe, un militant belge de haute valeur, joua un grand rôle dans cette évolution de l’Internationale.
Les Congrès de Bruxelles (1868) et Bâle (1869) accentuèrent cette évolution. Ils affirmèrent que la « propriété collective est une nécessité sociale, que la société a le droit d’abolir la propriété individuelle du sol et de le faire rentrer à la communauté ».
Mais, toutes ces discussions sur des sujets aussi vastes firent apparaître de graves oppositions non seulement dans les Congrès, mais au sein du Conseil Général de l’Internationale.
Pendant que déclinait l’influence des « mutualistes » français et que celle de Karl Marx grandissait, une autre tendance, celle des « fédéralistes », naissait avec Bakounine.
Fédéralistes bakouninistes et étatistes marxistes allaient s’opposer avec vigueur. Ce fut le commencement des luttes qui se poursuivent encore aujourd’hui.
Marx et Bakounine étaient en complet désaccord à la fois sur la conception générale de la Révolution et sur le rôle des syndicats.
Les marxistes ne voyaient de possibilité de réalisation révolutionnaire que par l’institution d’un État prolétaire et la constitution du prolétariat en parti politique, tandis que Bakounine et ses amis, dont James Guillaume fut le commentateur brillant et la Fédération jurassienne l’organisme d’action vigoureux, déclaraient que la reconstitution sociale devait avoir pour base la Commune, ce qui correspond au rôle que nous assignons aujourd’hui aux Bourses du Travail ou Unions locales.
D’autre part, en ce qui concerne le rôle des syndicats les divergences n’étaient pas moins grandes. Comme les communistes d’aujourd’hui, et en complète contradiction avec ses affirmations de Genève en 1866, Marx déclarait que les syndicats étaient des organes de défense corporative et qu’à la défense des intérêts professionnels devait se limiter leur rôle. Waldeck-Rousseau eut en Marx un précurseur certain et on ne s’étonne pas qu’il ait cherché à enfermer les syndicats dans une légalité qui leur attribuait ce rôle restreint.
Quels que furent les efforts de Bakounine, d’ailleurs trop occupé par son action à travers tous les pays de l’Europe Centrale et moins homme de plume qu’homme de combat, Marx triompha.
Il réussit à se débarrasser de Bakounine et de ses amis, mais l’Internationale ne survécut pas à cette victoire qui n’est peut-être pas sans analogie avec celle des communistes de nos jours.
Ce fut la fin de la 1e Internationale, dont la force fut insuffisante pour arrêter la guerre franco-allemande de 1870-1871.
Elle n’en avait pas moins joué un rôle fort important. C’est de cette époque que date la véritable conscience de classe internationale.
Sa formule si claire, si nette : L’émancipation des Travailleurs doit être l’œuvre des Travailleurs eux-mêmes, définit admirablement le caractère de l’action ouvrière. Les enseignements de la 1e Internationale, son expérience, ne sauraient être oubliés. Ils forment la base de notre activité.
Elle donna d’ailleurs à la Commune des militants de valeur. Varlin est la figure ouvrière qui domine cette époque. On le considère comme le premier Secrétaire de l’Union des syndicats de la Seine.
Il faudra attendre longtemps avant qu’une nouvelle expérience de constitution d’un organisme de liaison devienne possible sur le terrain international.
C’est en 1901 que les syndicats allemands convoquent au Congrès de Copenhague les Centrales Nationales des autres pays. 12 organisations répondent à l’appel du Centre syndicaliste allemand.
Il ne sort pas de ce contact une Internationale, mais un Bureau de renseignements international dit « Secrétariat international des Centres Syndicaux Nationaux ». Le secrétariat en est confié à l’Allemagne qui le conservera jusqu’en 1914, avec Legien.
La C. G. T. qui vient de forger définitivement son Unité au Congrès de Montpellier, en 1902, donne son adhésion à ce Bureau.
Dès le début deux conceptions se heurtèrent fondamentalement : celle des Français qui voulaient une organisation vivante, combative ; l’autre, celle des Allemands qui ne voulaient faire du Secrétariat International qu’un organe de renseignements, de statistique, d’administration.
Les choses ne tardèrent pas à s’envenimer. À Dublin, en 1903, la C. G. T. française présenta un rapport sur l’antimilitarisme et la grève générale. Elle essayait de faire ainsi revivre l’esprit internationaliste qui animait là I Internationale. Ce fut en vain, le rapport ne fut ni lu, ni même distribué.
Ce rapport résumait d’ailleurs remarquablement les conceptions du syndicalisme français.
On y lit aussi cette affirmation d’antimilitarisme :
« L’État n’observe jamais la neutralité. Au moindre conflit, pour de simples menaces de grève, il mobilise l’armée et l’envoie sur le théâtre des événements contre les travailleurs. L’antimilitarisme doit être mis au premier rang des préoccupations des travailleurs organisés. C’est une besogne aussi indispensable et aussi urgente que celle qui consiste à rallier au syndicat les camarades inconscients. »
Le refus autoritaire de Legien de faire connaître ce rapport montre que l’Internationale n’est qu’un organisme administratif qui reste étranger à toute action de classe vraiment ouvrière et internationaliste.
Il faut peut être chercher dans la permanence de cet état d’esprit, l’une des causes essentielles de la faillite de la Deuxième internationale devant la guerre.
La C. G. T. continue de payer ses cotisations mais elle ne participe pas, en fait, à l’action du Bureau International.
La C. G. T., devant l’attitude hostile persistante du Secrétariat International, ne participe pas aux travaux de la quatrième Conférence qui se tint à Amsterdam, les 23-24 juin 1905, à l’ordre du jour duquel elle avait demandé à nouveau et avec insistance que figurent la grève générale, les 8 heures et l’antimilitarisme.
Le Secrétariat international décida, après consultation des Centres syndicaux Nationaux, tous défavorables à l’exception de la Hollande, que ces questions ne figureraient pas à l’ordre du jour.
Elles étaient, disaient ces Centres, de la compétence, des Congrès Internationaux du Travail et des Congrès Nationaux.
On voit quelle était l’étendue du fossé doctrinal qui séparait le syndicalisme français, libre de toute attache politique, avec les mouvements syndicaux des autres pays, tous plus ou moins corporatifs et liés avec les partis social-démocrates.
On pourrait croire que le syndicalisme français représentait dès cette époque — et représente encore — un mouvement anachronique par rapport aux autres mouvements de tous les pays. Il n’en est rien. Il a atteint une forme particulière, un stade plus évolué, parce que la France a passé par toutes les phases des révolutions politiques et que celles-ci ont démontré aux ouvriers français l’inanité de ces changements qui n’affectent que la forme de l’État et ne modifient en rien le contrat social, alors que les autres pays de l’Europe n’ont pas connu ces bouleversements répétés.
On a beau, de Moscou, tenter l’impossible pour que ce mouvement, jugé dangereux — à juste titre d’ailleurs — pour les politiciens et les Partis disparaisse, il n’en sera pas ainsi. L’avenir lui appartient, c’est lui qui, lorsque les Prolétariats de tous les partis auront perdu toutes leurs illusions politiques, toute leur foi dans les partis, triomphera en définitive.
En 1906, alors que les incidents du Maroc font craindre une conflagration, la C.G.T. délègue à Berlin, son secrétaire Griffuelhes. Il ne se heurte pas à un refus formel de Legien, mais il reçoit de celui-ci l’invitation d’avoir à s’adresser au Parti Socialiste.
Cette réponse permet de mesurer la valeur attribuée au syndicalisme en Allemagne.
Aussi, il est inutile de se demander comment le Secrétariat international accueillit l’idée qu’exprimée à Amiens, la Conférence des Bourses, à l’issue du Congrès Confédéral : « les travailleurs doivent répondre à toute déclaration de guerre par la grève générale. »
Depuis, certes, l’idée a fait son chemin dans tous la pays, on ne la considère plus, comme le disait dédaigneusement Legien, comme une ineptie générale. Mais au Congrès de Stuttgart en 1907, la C.G.T. devant l’hostilité toujours réservée à ses propositions ne s’en retirera pas moins du Secrétariat international où tout travail est devenu impossible. Elle participera cependant à la Conférence de Paris en 1909. Pendant le conflit du Maroc, en 1911, il y a échange de délégués entre la France et l’Allemagne sans que soient aplanies les difficultés originelles.
En 1912, le conflit balkanique et ses extensions possibles amenèrent la C. G. T. à convoquer un Congrès extraordinaire des syndicats qui vota la résolution suivante :
« Le Congrès confédéral extraordinaire de Paris rappelle que la raison d’être de la C. G. T. est de grouper en des organisations : syndicats, unions de syndical, fédérations corporatives, les travailleurs avides de conquêtes morales, matérielles, en créant entre-eux une communauté de pensée, d’action, d’où résultent a solidarité, une union sans lesquelles le progrès ne pourrait se réaliser.
« Qu’ainsi, la C. G. T. s’affirme comme le représentant naturel du prolétariat, puisqu’elle exprime ses désirs de mieux-être et de liberté et constitue l’organe par lequel elles doivent se réaliser, en exerçant son action par l’intermédiaire des groupements précités qui sont autant de foyers répandus à travers le pays, au sein desquels les travailleurs trouvent les éléments de leur activité.
« Que par là, la C. G. T. a été créée par la classe ouvrière pour synthétiser ses aspirations, les coordonner, en vue de leur assurer une force de rayonnement résultant de l’Unité d’organisation qui, dans l’autonomie de chaque groupement, puise une valeur plus grande.
« Qu’il est reconnu par tous que la C. G. T. se présente comme l’interprète de la volonté des prolétaires organisés, que cette volonté se dégage du droit même qui appartient à chaque salarié de participer de façon effective à la vie confédérale.
« Par ces considérations, il apparaît qu’à aucun moment il ne peut exister entre les classes en opposition la moindre communauté de pensée et d’action.
« Mieux que tout autre événement social, une guerre fait éclater cette opposition, puisqu’il s’agit, pour la classe ouvrière, sans profit pour elle, de répondre à l’appel guerrier du Capitalisme en courant sus aux prolétaires, victimes inconscientes du Capitalisme voisin ; que, ce faisant, la classe ouvrière se prêterait à la plus criminelle besogne devant augmenter la force d’exploitation du capitalisme et affaiblir, pour de longues années, le mouvement ouvrier.
« Pour toutes ces raisons, le Congrès Confédéral déclare qu’il ne reconnaît pas à l’État bourgeois le droit de disposer de la classe ouvrière ; que celle-ci, majeure, entend poursuivre à son gré, dans les conditions déterminées par elle, au sein de ses organismes, son œuvre de propagande et de conquête.
« Qu’en s’acheminant vers sa libération, elle est résolue à ne rien sacrifier à une guerre ; qu’au contraire, elle est décidée à profiter de toute crise sociale pour recourir à une action révolutionnaire.
« D’où il résulte que si, par folie ou par calcul le pays au sein duquel nous sommes placés se lançait dans une aventure guerrière, au mépris de notre opposition et de nos avertissements, le devoir de tout travailleur est de me pas répondre à l’ordre d’appel et de rejoindre son organisation de classe pour y mener la lutte contre ses seuls adversaires : les Capitalistes.
« Désertant l’usine, l’atelier, la mine, le chantier, les champs, les prolétaires devront se réunir dans les groupements de leur localité, de leur région pour y prendre toutes mesures dictées par les circonstances et le milieu avec, comme objectif, la conquête de leur émancipation et, comme moyen, la grève générale révolutionnaire.
« Les délégués des organisations ouvrières estiment que les salariés, mis dans l’obligation d’aller à la guerre n’ont qu’une perspective : accepter les armes pour aller à la frontière massacrer d’autres salariés ou accepter la lutte contre l’ennemi commun : le Capitalisme.
« Sous l’empire des obligations imposées par nos dirigeants, les délégués, en faisant choix de la guerre sociale, c’est-à-dire de la révolte dés exploités contre les exploiteurs, considèrent agir en conformité de vœu et de pensée avec les travailleurs organisés des autres pays également soucieux de ne rien sacrifier à la cupidité des gouvernants, le mot d’ordre étant pour tous : À bas la guerre entre les Peuples ! »
Moins de deux ans après, les craintes du Congrès extraordinaire de Paris devaient être effroyablement confirmées, sans qu’il ait été possible d’éveiller à notre conception le Secrétariat International qui persistait à soutenir que la lutte contre la guerre n’était pas du ressort du syndicalisme et en laissait le soin aux partis social-démocrates.
Et en dépit des affirmations produites au meeting de la salle Wagram à la veille de la guerre par Sassenbach et Bebel, le cataclysme fondit sur nous, vertigineusement, en juillet 1914.
Ce fut, dans la faillite la plus lamentable qui soit, la fin de la deuxième Internationale syndicale.
Il y aura bien, à Londres en 1925, à Leeds en 1916, des Conférences interalliées, où on souhaitera la reprise des relations internationales, mais où, au fond, ne joueront que des nationalismes cachés représentés par des organisations syndicales ayant épousé le point de vue de leurs gouvernements respectifs.
La seule manifestation anti-guerrière, d’ailleurs extra syndicale, comme Merrheim tint à le préciser à Lyon, fut la Conférence de Zimmerwald, où Allemands, Suisses, Italiens, Français et Russes tentèrent de mettre fin à la guerre. La C. G. T. fut nettement hostile à l’action de Zimmerwald et c’est de toutes ses forces qu’elle s’opposa à la propagande pacifiste entreprise à ce moment.
Il faudra en arriver à la Conférence de Berne (5 au 9 février 1919) pour voir jeter à nouveau les bases d’une nouvelle Internationale syndicale. Les Belges et les Américains, plus chauvins encore que les autres, n’y assistent pas.
C’est à Berne que fut décidée la tenue du Congrès Constitutif d’Amsterdam (26 juillet au 2 août 1919) qui reconstituera sur des bases nouvelles l’organisme international qui entrera dans l’histoire sous le nom de Fédération syndicale Internationale d’Amsterdam. Les Allemands et les Autrichiens ont été invités, mais sont un peu tenus à l’écart. Il y a des relents de nationalisme qui flottent encore dans l’air d’Amsterdam.
Appleton des « Trades-Unions Anglaises » sera élu président ; Jouhaux (France) et Mertens (Belgique) vice-présidents ; Oudegeest et Fimmen (Hollande) secrétaires.
L’Internationale, ainsi reconstituée, ne comprend pas dans son sein toutes les Centrales européennes — l’Union syndicale italienne, la Confédération nationale d’Espagne, les indépendants d’Allemagne (F. À. U. D.) n’y adhérent pas. En Amérique, seule la Fédération Of Labor adhérera, puis se retirera. Aucune Centrale de l’Amérique du Sud ne donne non plus son adhésion. La Fédération syndicale internationale d’Amsterdam reste une organisation européenne où les représentants syndicaux de l’ex-Entente de guerre jouent les premiers rôles.
Elle ne tardera pas à entrer en conflit avec l’Internationale communiste d’abord, puis avec l’Internationale syndicale rouge. L’action réciproquement défensive de ces organisations amènera bientôt la scission dans presque tous les pays. La France en souffrira particulièrement, quoique n’ayant été atteinte qu’en dernier lieu.
L’action de la C. G. T. française avec Jouhaux inspirera celle de l’Internationale d’Amsterdam. Il n’est donc pas étonnant que la scission en France ait influencé si fortement la Fédération syndicale d’Amsterdam.
Toutes les tentatives d’Unité accomplies par l’I.S.R., insincères d’ailleurs, manœuvrières certainement, seront repoussées par Amsterdam qui poursuit, en liaison étroite avec le Bureau International de Genève et la deuxième Internationale socialiste, sa besogne démocratique dans toute l’Europe. Il est juste de dire que, par opposition, Moscou poursuit une autre action politique qui vise à atteindre des buts aussi exclusivement politiques et particuliers.
La bataille est loin d’être finie entre Amsterdam et Moscou. Il s’est formé dans le sein de la première de ces Internationales une aile dite de gauche, avec Fimmen à sa tête, qui poursuit la réalisation de l’Unité avec Moscou. Elle vient de recevoir l’aide d’une forte fraction des Trades-Unions anglaises à la tête de laquelle se trouve le propre président de l’Internationale d’Amsterdam, Purcell, qui a succédé à Thomas lorsque celui-ci devint ministre des Colonies dans le cabinet Ramsay Mac Donald.
C’est un fait assez extraordinaire pour qu’on le souligne. Il ne s’en suit pas que Moscou, même soutenu du dedans, triomphera d’Amsterdam et forcera les dirigeants hostiles à l’Unité sur les bases proposées par Losovsky à capituler.
Ces luttes menacent d’être terriblement longues et nul n’en peut prévoir la fin ni l’aboutissement.
L’Internationale d’Amsterdam, de même que la C. G. T. reste sur ses décisions du Congrès de Vienne en 1924, qui indiquent que les Centrales adhérentes à Moscou peuvent entrer à Amsterdam, mais ne veulent laisser aucune place aux discussions avec l I. S. R. dont la dissolution doit concorder avec la rentrée des Centrales à Amsterdam.
La Constitution de l’A. I. T. n’a pas rendu le problème plus simple et cependant le Congrès de décembre 1922 à Berlin n’avait pas d’autre issue s’il voulait rendre possible la coordination des forces non adhérentes ni à Moscou ni à Amsterdam.
Toutefois, il apparaît qu’avec un peu de compréhension, avec un peu de volonté éclairée, en raison de l’impossibilité d’action de chacune des Internationales, agissant séparément, on arrivera un jour, de part et d’autre, sous la pression des événements, à agir en commun pour certaines actions déterminées à l’avance.
Ce serait, sinon la solution idéale, du moins une solution meilleure qui permettrait, de faire face à l’adversaire capitaliste.
Il est à craindre que cette sorte d’unité d’action ne se réalise pas, tant l’opposition des programmes apparaît grande. Il se peut, en effet, qu’on ne puisse trouver une seule question susceptible de marquer le point commun de propagande ou d’action.
Dans ces conditions, il est à peu près certain que nous assisterons à la mise en application successive des deux programmes qui ne sont, ni l’un ni l’autre, spécifiquement syndicaux. On verra sans doute se réaliser d’abord le programme social-démocrate et, après un court laps de temps, les communistes l’emporteront. Si les syndicalistes, impuissants en ce moment, savent réagir à temps, la social-démocratie et le communisme seront les fourriers du syndicalisme.
C’est vraisemblablement à cette dernière hypothèse infiniment probable qu’il faudra s’arrêter.
L’action purement syndicale ne reparaîtra que plus tard. Quand ? Je l’ignore. Mais elle reparaîtra, parce qu’elle a des racines trop profondes dans le peuple pour être éliminée. Le syndicalisme représente l’avenir. Il triomphera en définitive, peut-être plus tôt qu’on le pense généralement. — Pierre Besnard.
P. S. — Je renonce à donner ici les caractéristiques des Congrès internationaux de Rome, de Vienne, pour la C. G. T ; de Moscou, pour la C. G. T. U. et de Berlin, pour le Comité de Défense syndicaliste. Cette étude déjà trop longue en serait trop alourdie. Les Congrès seront examinés lors de l’étude sur l’Internationale, c’est d’ailleurs leur vraie place. — P. B.