Encyclopédie anarchiste/Débâcle - Défense révolutionnaire
DÉBÂCLE. n. f. Au sens propre, la débâcle est la conséquence d’une élévation de la température qui, en provoquant le dégel, brise la glace qui recouvre les rivières. Cette rupture partage la glace en une quantité innombrable de glaçons qui, flottant à la dérive, sont parfois très dangereux. Au sens figuré, la « débâcle » est synonyme de déroute, de désordre, de confusion. La « débâcle » d’un gouvernement, c’est-à-dire l’impuissance de celui-ci à faire face à une situation de fait. La « débâcle » d’une armée, c’est-à-dire l’abandon de la lutte et la fuite précipitée et confuse des troupes devant l’ennemi. « La débâcle du capitalisme ouvrira la route au Prolétariat ». « La Débâcle » : célèbre roman d’Emile Zola. Dans ce remarquable ouvrage, le grand écrivain décrit certains épisodes de la guerre de 1870 et plus particulièrement de la retraite de Sedan.
DÉBINAGE. n. m. Action de débiner, de dire du mal, de dénigrer. Le débinage est l’arme des faibles ou des sournois. Celui qui n’ose pas attaquer de front un individu agit par derrière, afin de lui nuire. Il cherche des concours extérieurs et par le « débinage » tente de créer un courant d’hostilité contre son adversaire. Le débinage est dangereux, car il se trouve toujours des gens pour prêter une oreille complaisante aux commérages et s’associer à une mauvaise action ; celui qui se livre au débinage n’hésite jamais à user du mensonge et de la calomnie lorsqu’il n’a rien à reprocher à sa victime. Il arrive parfois que le débinage n’est pas déterminé par la méchanceté ou le désir de nuire, mais simplement par l’insouciance d’un individu bavard. Il faut néanmoins se méfier des « débineurs », car le « débinage » a souvent de graves conséquences et est toujours malfaisant.
DÉBINER. verbe. Le dictionnaire Larousse donne « débiner » comme synonyme de « dénigrer », autrement dit chercher à nuire, à faire tort, apprécier péjorativement un geste ou un acte. Quiconque fréquente les milieux d’avant-garde a pu remarquer avec quelle facilité (indigne d’humains qui se présentent comme porteurs d’idées, de pensées, de doctrines destinées à rénover la face du monde) on y « débine » les militants qui ont une façon de se conduire ou de s’exprimer qui ne plaît pas au débineur. On est étonné d’entendre des anarchistes — c’est-à-dire des négateurs et des contempteurs de l’État et de ses institutions — qui s’affirment dépouillés des préjugés ou des habitudes vulgaires, porter sur telle façon de se comporter des jugements qui ne seraient pas hors de saison dans la bouche d’un procureur de la République ou d’un président de tribunal correctionnel. Qu’est-ce que juger un geste, apprécier une façon de se conduire ? C’est opiner que, se trouvant dans telles ou telles circonstances, on aurait agi, avec le déterminisme qui nous est propre, autrement que celui dont on qualifie les actions, lequel a agi, lui, selon son déterminisme personnel. Or, celui qui juge ou apprécie omet de dire cela ; si bien que son appréciation ou son jugement est entaché de « débinage », de nature à nuire ou à porter tort à un camarade, dont le seul crime est d’avoir un tempérament différent du sien.
Il n’y a pas que des « débinages » se rapportant à des actions individuelles ; il y a aussi des « débinages » de méthodes, de tactiques ; d’œuvres de nature à porter tort également à ceux qui les emploient ou s’y adonnent.
D’ailleurs, une façon de se conduire, une manière d’agir, un rejet, une réalisation sont anarchistes dès lors qu’ils n’ont pas recours à l’appui de l’État ou à l’intervention d’une autorité gouvernementale quelconque, dès lors qu’ils n’ont pas en vue, et dans aucun sens, la domination ou l’exploitation. « Débiner » un camarade, chercher à lui porter tort dans ce qu’il est ou ce qu’il fait, simplement parce que l’on ne comprend pas ou ne parvient pas à s’assimiler son déterminisme, son tempérament, son caractère, ce n’est pas seulement faire acte d’anti-camaraderie, c’est montrer qu’on est un ignorant.
DÉBROUILLAGE. n. m. Action de se débrouiller, de se tirer facilement d’affaires, de sortir d’embarras, etc., etc…Si on le considère au point de vue social comme moyen d’existence, le débrouillage est un pis-aller ; il peut donner des résultats positifs à l’individu, mais il ne saurait résoudre le problème du collectif. Les débrouillards sont nombreux dans la société bourgeoise et il est facile à comprendre que dans une organisation sociale où le capital est tout-puissant et où le travail est un esclavage, quantité d’individus refusent de se soumettre à la terrible loi et aux effets de l’exploitation et cherchent à se « débrouiller » pour subvenir à leurs besoins. Il ne nous appartient pas de rechercher et de juger les formes diverses du débrouillage et de critiquer ceux qui s’en servent. Ce que nous croyons, c’est qu’il n’offre pas des possibilités de vie supérieures à celles des ouvriers, qu’il ne libère pas l’individu des contraintes sociales et qu’il n’est nullement un facteur d’évolution ou de révolution. En tenant compte des exceptions, nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que le « débrouillage » ne nourrit pas son homme, surtout dans la classe ouvrière. Dans la bourgeoisie, c’est différent ; la bourse, la banque, le commerce, l’industrie, sont des terrains propices à être exploités par les débrouillards ; mais il faut alors se livrer à des spéculations malpropres et user de procédés que combattent les Anarchistes.
En un mot, il n’est pas plus anarchiste de vivre du « débrouillage » que de vivre en travaillant et ce serait une grave erreur de croire que l’on se soustrait à l’exploitation et à l’autorité en se débrouillant. À condition de ne pas nuire à son prochain, chacun organise sa vie comme il l’entend, mais une société libre ne peut être bâtie que par le travail de tous et nous avons la ferme conviction que le débrouillage disparaîtra avec le capitalisme qui l’engendre.
DÉBROUILLAGE. Des bourgeois qui défendent leurs privilèges et des pseudo-bourgeois qui se croient à l’avant-garde du mouvement social parce qu’ils parlent dans des « meetings » ou écrivent dans des feuilles avancées, ont reproché ou reprochent encore à des individualistes anarchistes de chercher à « se débrouiller », autrement dit à retirer le plus qu’ils peuvent du milieu humain actuel, en lui laissant le moins possible de leur effort. Ceux qui font de tels reproches oublient de quelle façon est cimentée la « société ». Ils oublient qu’elle repose sur un contrat social imposé et unilatéral, qui noie l’unité constituante, forcée de le subir, dans un océan de réglementations et de vexations contradictoires et insupportables. Reprocher à un anarchiste de « se débrouiller » dans un pareil conglomérat, c’est comme si on reprochait au serpent d’échapper à qui le poursuit en se raidissant et en prenant l’apparence d’une branche d’arbre, ou à la seiche de s’entourer d’un nuage d’encre noire pour désorienter ses ennemis. Qu’on se rende compte de la situation de l’anarchiste dans le milieu humain actuel : antiautoritaire, il est entouré de tous côtés par toutes sortes de membres de partis politiques ou économiques qui ne croient pas possible que les hommes s’entendent sans lois et sans maîtres. À ces partis se rattachent force miséreux et déshérités du sort, dont la mentalité ne diffère pas de celle des possédants et des monopoleurs. On comprend que des camarades se refusent à donner tout leur effort à perpétuer un tel milieu et qu’ils s’insoucient de sa prospérité, de son équilibre économique, etc… Dans aucun cas, un anarchiste ne peut avoir intérêt à ce que vive un milieu où le « contrat social » est imposé par un autocrate, un groupe, une majorité ou le plus grand nombre, sans possibilité de résiliation pour l’unité individuelle. C’est un cercle infernal dont l’individualiste cherchera à s’évader au plus tôt, relativement tout au moins. C’est un milieu dont il faut hâter au plus tôt la décomposition, la démoralisation, la pourriture, la crevaison enfin. Vouloir se préoccuper du bon fonctionnement d’une société pareille, participer à son existence régulière, c’est tout bonnement — affirment les « débrouillards » — faire gestes de dupes ou actions de complices.
Il y a donc des camarades qui se débrouillent et donnent le moins de leur soi au milieu humain actuel, se livrant à une besogne irrégulière, sanctionnée ou non par l’autorité, pour se tirer d’affaires économiquement, refusant de faire, des heures durant, acte de présence dans un chantier, une usine ou ailleurs pour concourir à une production souvent inutile, dont ils ne profitent pas dans la majorité des cas. Qui peut sérieusement les en blâmer ?
Reste la question de la « dignité » personnelle dans le choix du procédé de « débrouillage ». Mais c’est là affaire d’appréciation personnelle, qui regarde l’anarchiste qui se débrouille personnellement, et nul autre. Il est parfois comique de rencontrer chez certains anarchistes des scrupules quand il s’agit de s’en prendre aux bourgeois, alors que ceux-ci en montrent si peu quand on menace de toucher à leurs privilèges ou à leur coffre-fort. Peut-être est-ce plus désespérant que comique, après tout. — E. Armand.
DÉCADENCE. n. f. (du latin cadencia, de cadere, tomber, commencement de la ruine, de la dégradation, de la destruction, d’un édifice, d’une organisation, d’un peuple, d’un État, d’une civilisation. La décadence des lettres, des arts, de la science.
« Quand la décadence d’un État a commencé il est rare qu’elle s’arrête. » (Raynal). L’Histoire du monde nous offre le spectacle de nombreuses décadences au cours des siècles passés. Il semble que lorsqu’une nation ou une fraction de l’humanité est arrivée à un certain degré de connaissance et de culture, elle a usé toute sa sève, toute sa force et qu’il faut qu’elle disparaisse pour faire place à des forces plus jeunes, plus neuves qui, à leur tour, prennent en mains le flambeau et poursuivent la marche en avant sur la route de la civilisation. On pourrait considérer comme une fatalité historique la décadence de certains peuples qui occupèrent, à différentes époques, la première place dans le monde, et qui s’écroulèrent pour ne laisser d’eux qu’un pâle souvenir. Et pourtant cela s’explique. Lorsqu’un peuple a fourni plusieurs siècles de travail physique et intellectuel, lorsqu’il a dépensé une somme considérable d’énergie pour conquérir une place dominante sur la terre, lorsqu’il a donné sa force et sa puissance pour enrichir le domaine artistique, littéraire, philosophique et social de l’humanité ; alors, pareil au vieillard qui s’éteint après une vie de labeur, ce peuple s’éteint lentement pour que d’autres achèvent l’œuvre commencée.
S’il est vrai que les décadences préparent les éléments des nouvelles civilisations, elles sont cependant une source de souffrances pour les générations précipitée ; dans ces périodes de destruction et d’enfantement. La société mourante veut lutter contre le destin implacable qui la poursuit ; elle ne veut pas mourir et, dans la fièvre de l’agonie, elle combat l’avenir qui couve en elle et qu’elle voudrait étouffer. Il en résulte des catastrophes. La folie s’empare des hommes. Secoués par la soif de vivre, ils se livrent à tous les débordements, à toutes les incohérences d’un être malade qui voit approcher l’heure fatale et qui veut jouir des quelques instants qui lui restent encore à vivre ; et la décadence, ignorante des mesquineries et des petitesses humaines, se poursuit parfois pendant des siècles et des siècles, jusqu’au jour où les vieilles associations s’écroulent sous le poids du passé et sombrent dans le néant le plus profond, laissant le passage libre pour les sociétés nouvelles. Est-il besoin de rappeler la décadence des grands empires égyptiens, perses, chinois et plus près de nous dans l’histoire, la décadence de la Grèce et la décadence romaine ? Que de richesses matérielles, intellectuelles, artistiques furent accumulées par les générations successives qui ne prévoyaient pas la chute vertigineuse d’une civilisation arrivée à son apogée et qu’elles croyaient étayée sur de solides fondations ! Tout cela fut emporté alors que ces peuples paraissaient s’être élevés au plus haut degré de perfectionnement social et que rien de supérieur ne semblait possible dans l’organisation du monde.
Après cette terrible et meurtrière guerre de 1914, la civilisation que nous subissons n’est-elle pas prête à s’éteindre comme se sont éteintes les civilisations précédentes ? Depuis la chute du grand empire romain, aucune secousse aussi formidable que celle qui agite en ce moment le vieux monde n’a été ressentie. Ce n’est pas une lutte de nation à nation, ce n’est pas une bataille de peuple à peuple, de race à race qui bouleverse l’humanité moderne ; mais c’est bel et bien une organisation puissante qui est arrivée au point culminant de la trajectoire, une civilisation qui est en décadence et qui se défend et qui ne veut pas céder la place.
Les guerres qui déchirent les populations, les révolutions qui éclatent aux quatre coins du globe, ne sont que des incidents de cette décadence. La civilisation capitaliste se meurt, elle doit disparaître. Elle ne le veut pas. Qu’importe ; idéologiquement le capitalisme a vécu ; pratiquement il ne se maintient que faiblement en équilibre comme un danseur de cirque sur sa corde. Son agonie peut être longue ; mais ni l’habileté, ni l’adresse des politiciens ne peut la sauver de la débâcle. Arrivée à son apogée, la société moderne ne repose plus que sur des illusions. Les illusions sont fragiles et demain elle sera précipitée dans le vide. Entraînés dans le tourbillon d’une situation désaxée, les hommes auront à se défendre contre l’imprévu des événements. La lutte qui s’engage en ce vingtième siècle est la lutte entre la bourgeoisie qui représente la civilisation d’hier et les forces productrices du monde qui représentent la civilisation de demain. Nous avons dit plus haut que le capital et la bourgeoisie ne pouvaient pas sortir victorieux de cet immense conflit du passé contre l’avenir. Il est possible de prolonger de quelques heures, de quelques jours parfois la vie d’un agonisant ; il est impossible de lui rendre la vie, de lui donner l’éternité. Le rôle social et historique du capitalisme est terminé et c’est à ce moment que s’ouvrent de larges perspectives pour les anarchistes et les communistes libertaires. Quoi qu’on en dise, l’établissement d’un organisme viable, aussi élémentaire soit-il, exige de la méthode et de la compétence et l’Anarchiste doit s’attacher à rechercher les formes pratiques qui permettront à l’humanité d’évoluer rapidement vers la civilisation que représente, à nos yeux, le communisme libertaire.
Le Révolutionnaire est l’homme qui dans les grandes périodes historiques conserve tout son sang-froid, toute sa présence d’esprit, toute sa logique, toute sa raison et sait, au cours des événements catastrophiques inhérents à toutes les époques décadentes, tracer le chemin qui mène à la liberté.
La société bourgeoise est décadente, parce qu’elle ne répond plus aux besoins et aux aspirations de l’humanité. « Le vêtement qui habille un enfant ne saurait être porté par un adulte. L’humanité fut cet enfant. Aujourd’hui elle est adulte. Faudrait-il donc qu’elle supportât encore les maillots et les langes, sous prétexte que ceux-ci furent utiles autrefois ? Ses chairs sont fermes, ses membres robustes, ses muscles solides ; elle veut marcher seule, aller où bon lui semble, circuler selon sa fantaisie. Elle ne veut plus de maîtres, plus de tyrans. » (Sébastien Faure, La Douleur Universelle, p. 418).
Voilà clairement définies en quelques lignes les aspirations de l’humanité. Les Anarchistes seront-ils à la hauteur de la lourde tâche et sortiront-ils vainqueurs de la bataille gigantesque qu’ils ont engagée contre toutes les forces de décadence ? Nous ne pouvons aujourd’hui que l’espérer ; l’avenir dira que nous avions raison.
DÉCADENT. adj. Ce qui est en décadence. Ce qui périclite. Tomber en décadence, c’est-à-dire perdre progressivement sa force, son énergie, son pouvoir. « Le Mouvement Décadent » formé vers la fin du xixe siècle par une catégorie de littérateurs et d’artistes symbolistes, en opposition à la rigidité littéraire et artistique des Parnassiens. Verlaine et Mallarmé furent les maîtres des « Décadents ».
DÉCENTRALISATION. n. f. La Centralisation est une des nombreuses plaies dont sont victimes les populations modernes et, malheureusement, loin de s’améliorer, le mal ne va qu’en s’aggravant. La décentralisation est devenue une nécessité absolue et, cependant, on ne remarque pas que les hommes qui président aux destinées des peuples soient enclins à s’imprégner de cette vérité que la centralisation est néfaste et qu’elle ne peut produire que des erreurs et les abus.
La décentralisation est le facteur le plus important de la liberté collective et individuelle. Politiquement et économiquement aucune évolution ne sera possible tant que subsistera cette autorité brutale qu’exerce le centralisme.
Tous les rouages sociaux sont corrompus par la centralisation industrielle, commerciale, politique et administrative des états modernes. En France, le législateur a cru, en votant la loi du 10 août 1871 sur les Conseils Généraux et celle du 5 avril 1884 sur l’organisation communale, donner une certaine autonomie aux communes et décentraliser administrativement les institutions secondaires du pays. Nous savons trop qu’aucune loi n’est opérante en cette matière, que les difficultés de décentralisation ont des causes profondes, et que ce n’est pas dans les Parlements qu’il faut chercher les remèdes propices à résoudre cette question.
Francis Delaisi dans son ouvrage de vulgarisation « La Démocratie et les Financiers », nous montre que le monde est dirigé par une poignée d’hommes tout puissants qui sont à la tête de tous les grands organismes financiers et industriels. Ce sont ces quelques individualités qui contrôlent tous les rouages des sociétés et ce sont eux qui tiennent entre leurs mains la vie et la mort des peuples. Or la décentralisation ne pourra devenir effective que lorsque l’on aura détruit la puissance de ces ploutocrates. La décentralisation ne peut être que le fruit de la Révolution.
Au lendemain de la catastrophe qui entraînera la chute du régime capitaliste, il faut se garder de tomber dans les mêmes erreurs révolutionnaires précédentes et ne pas pousser à la centralisation mais à la décentralisation. Décentralisation ne veut pas dire désordre, et les anarchistes comprennent qu’il est indispensable à une Société de s’organiser sur des bases solides pour être viable. Or l’exemple démontre que la centralisation a toujours été un facteur de désagrégation et non pas d’organisation et, d’autre part, qu’elle a été incapable d’assurer le bonheur des peuples. Par décentralisation nous entendons l’organisation sociale de la base au faîte, et non pas du faîte à la base. La liberté absolue des peuples ne peut pas venir d’en haut, mais d’en bas et elle ne peut se maintenir et se perpétuer que si les hommes, conscients de leurs devoirs et de leur force, refusent d’abdiquer en faveur d’une minorité qui dirige tout l’organisme social.
Décentralisation économiquement et politiquement, telle est la tâche à laquelle doivent se livrer les travailleurs. Ils doivent acquérir les compétences indispensables pour diriger, chacun dans sa branche respective, le monde de demain. Lorsque la richesse n’appartiendra plus à quelques-uns, mais à tous, lorsque la terre et la machine auront été reprises par les travailleurs, et que la décentralisation se sera opérée par la révolte des opprimés contre leurs oppresseurs, la liberté et l’égalité se réaliseront dans une société fraternelle.
DÉCHANTER. verbe. Au sens propre « déchanter » signifie : chanter en partie ou encore chanter faux ou mal. Ce mot est peu usité au sens propre et est, surtout dans le langage courant, employé au sens figuré pour signaler le changement d’avis ou de sentiment d’individus vaniteux et prétentieux. « Faire déchanter quelqu’un », c’est-à-dire : lui enlever les espérances ou les prétentions qu’il avait conçues, lui faire baisser le ton et le rendre plus traitable.
DÉCHÉANCE. n. f. Déchoir, être abaissé, avili. Tomber dans une situation moins avantageuse que celle que l’on occupait primitivement. La déchéance d’un individu, d’un monarque, d’une société, d’un État, d’une civilisation.
La déchéance, au sens bourgeois du mot, emprunte différentes formes. Il y a d’abord la déchéance commerciale qui est prononcée en vertu des articles 168 et suivants du Code pénal, contre tout commerçant ne faisant pas « honneur » à sa signature. Pourtant la bourgeoisie se moque magistralement de cette déchéance, et lorsque ses intérêts le guident sur cette route, le commerçant n’hésite jamais à se laisser déclarer en faillite, car au bout d’un certain temps « la déchéance » est prescrite et le voleur légal, redevenu honnête homme, peut recommencer ses forfaits.
La déchéance d’un prince, d’un monarque est parfois la conséquence d’un coup d’État et souvent l’effet d’un soulèvement populaire. La déchéance du roi Louis XVI fut prononcée par la Convention, elle fut définitive car le peuple grondait et en avait assez du régime monarchiste. Celle de Napoléon Ier offre le spectacle le plus répugnant de la lâcheté et de la bassesse des courtisans. Ce fut le 3 avril 1814 que le Sénat qui s’était courbé si humblement devant Napoléon s’empressa de prononcer sa déchéance et celle de sa famille ; mais lorsque l’Empereur revint au mois de Mars suivant, il retrouva pour plier le genou devant lui tous ceux qui avaient été les premiers à le déclarer déchu de ses droits et de ses titres.
Plus près de nous nous avons la déchéance de Guillaume II, ex-empereur d’Allemagne, qui à la suite de la guerre meurtrière de 1914 fut obligé d’abandonner la couronne, et de céder la place à l’organisation républicaine. Espérons que bientôt la monarchie ne sera plus qu’un vestige du passé et qu’une fois prononcée universellement, les peuples se mettront à l’ouvrage pour prononcer la déchéance du capital.
Mais la déchéance ne se manifeste pas seulement dans les classes privilégiées, et bien des individus appartenant aux classes opprimées se dégradent et s’avilissent. N’est-ce pas une déchéance que de se livrer à la boisson et de se laisser dominer par ce vice terrible qui cause tant de ravages dans les populations ouvrières ? N’est-ce pas une déchéance de prêter, tel le policier, le gardien de prison, son concours au capitalisme pour lui permettre d’exploiter le prolétariat ; n’est-ce pas déchoir que de tirer sur les hommes en grève lorsque l’on a revêtu l’uniforme militaire ?
Par ses vices, par ses crimes, par ses orgies, la bourgeoisie est plongée dans une période de déchéance, et si nous voulons remplacer le régime capitaliste par une société idéale, il faut s’élever, s’agrandir, être meilleurs que nous le sommes et apposer à la déchéance du capitalisme l’évolution progressive du prolétariat manuel et intellectuel.
DÉCHRISTIANISATION. n. f. Malgré la propagande anticléricale, malgré les efforts des libres-penseurs militants et convaincus — et il n’en manque pas sur la planète — les milieux d’avant-garde en général et les groupements anarchistes en particulier sont loin d’être « déchristianisés ». Je ne parle pas seulement ici du mariage à l’église, du baptême, de la première communion et autres fariboles sacramentelles que des anarchistes acceptent encore — les uns pour avoir « la paix chez soi » — les autres parce qu’ils s’imaginent « avoir eu » les prêtres (on m’a donné cette explication, un jour). A la vérité, cette forme de ruse (?) va à l’encontre de son but, puisqu’en agissant ainsi, les mécréants démontrent qu’ils ne peuvent faire finalement fi de l’Église.
Mais ce n’est pas de cette « déchristianisation » — là que je veux écrire. Je reproche aux anarchistes de trop considérer le globe terraqué comme « une vallée de larmes », de trop « mépriser la chair ». Dans les publications anarchistes, on ne parle pas assez de se récréer, de s’amuser, pas assez de la joie de vivre, des jouissances de l’existence quand on ne la considère plus comme un lieu d’expiations.
Il se peut que les lignes ci-dessous dérangent toutes les idées admises jusqu’ici par les anarchistes marxistes et proudhoniens, communistes et individualistes. Il se peut que je fasse erreur. Mais comme je ne me suis jamais dit infaillible, que je me contente modestement de présenter des thèses et de poser des problèmes, cela n’est pas bien important.
Après avoir examiné la question à fond, je me demande si les réformateurs et les révolutionnaires anarchistes et sociaux ne se sont pas trompés en présentant comme but de réformes ou de révolutions la solution du problème économique, refoulant ainsi et mettant au second plan la satisfaction de ceux des instincts individuels et collectifs qui sont les plus anarchiques.
Je pense quant à moi que s’ils s’étaient préoccupés en premier lieu d’exalter ce qui rend agréable et joyeuse à vivre la vie quotidienne — s’ils avaient cherché d’abord à glorifier l’allégresse, la joie, la volupté de vivre — s’ils avaient enseigné aux hommes que vertu ou morale est conséquence ou synonyme de plaisir ou jouissance et non plaisir ou jouissance synonyme de travail ou de peine, je pense que « la révolution » marcherait d’un pas plus rapide qu’elle ne le fait.
Je pense que si les éducateurs, les animateurs, les stimulateurs, les initiateurs d’avant-garde avaient incité les hommes à jouir d’abord de la vie, à ne lui attribuer de valeur que dans la mesure où elle procure la satisfaction des sens, nous serions très proches d’une révolution, d’une révolution qui exclurait toute possibilité d’une rétrogradation vers l’anarchisme.
Au contraire, réformateurs et conservateurs sociaux rivalisent pour décrire ou à peu près la vie comme une manifestation de production ou de consommation ; à les en croire, le problème de la vie économique devra être résolu avant qu’on s’occupe du problème de la distraction ou de la récréation (j’entends par « distraction et récréation » l’ensemble des jouissances qui excluent la peine). Comme le travail nécessaire à la vie économique, le travail à peine occupe ou fatigue considérablement l’unité humaine lorsqu’il est placé en premier lieu, il ne reste pour ainsi dire plus de temps pour qu’elle puisse se récréer ou se distraire tout son saoul, en toute franchise.
Supposons que disparaissent les préjugés engendrés par cette idée que la distraction et la récréation doivent céder le pas à la peine et au travail — supposons que les hommes fassent une révolution afin que le plus clair de leurs énergies créatrices ou inventives soient consacrées — en dehors de toute contrainte ou de toute loi ou de toute morale religieuse ou laïque à la satisfaction de leurs besoins ou de leurs appétits récréatifs — je pose en thèse que le but de cette révolution correspondrait tellement à l’aspiration générale, universelle que le travail nécessaire à la vie économique, devenant un aspect ou une conséquence des réalisations et des jouissances générales, — s’accomplirait sans qu’il y ait besoin de contrainte.
La question a été à peine effleurée jusqu’ici. Le travail est considéré comme quelque chose de « supérieur », de sacré, à accomplir coûte que coûte, d’abord. Je rêve d’une humanité où le travail aux fins économiques se placera à la suite de l’assouvissement des activités de distraction ou de récréation. Dans une humanité où prévaudra cette mentalité, on n’accumulera plus, comme dans la société actuelle, pour se procurer des plaisirs ou des jouissances accessibles seulement à des privilégiés, que la fortune place au-dessus de la morale courante.
Il y a beaucoup trop de restricteurs, de refouleurs, de limitateurs, de modérateurs parmi les réformateurs et les révolutionnaires. La société pour l’établissement de laquelle ils nous demandent de nous donner tom entiers, être et avoir, ressemble trop à la vallée de larmes christiano-capitaliste. Il est trop souvent question de devoirs, de peine, de labeur. Qu’on nous propose une fois pour toutes une l’évolution en vue d’instaurer un milieu social où, sans contrôle gouvernemental ou étatiste, sans obstruction ou surveillance archiste, la distraction et la récréation passeront eu première ligne. Voilà qui serait faire œuvre de « déchristianisation » véritable. — E. Armand.
DÉCHRISTIANISATION. Faire cesser d’être chrétien ; enlever la qualité de chrétien. On pourrait penser qu’en notre siècle de science et de progrès le Christianisme n’est plus un danger. Ce serait une erreur car l’Église est encore puissante et c’est un devoir que de s’attacher à en amoindrir les effets. La déchristianisation est donc une œuvre qu’il faut poursuivre.
Le christianisme repose sur une erreur ; il est possible qu’à une certaine période de l’histoire il ait eu son utilité, mais de nos jours il est périmé et ne répond à aucun besoin social, sinon à celui de la bourgeoisie qui l’utilise pour asservir le peuple et le maintenir en esclavage.
« Nous nions le christianisme, comme nous nions les théories générales scientifiques du passé, comme nous nions la politique du passé, comme nous nions le régime des républiques d’Aristote ou de la monarchie de Louis XIV… Persuadé que la religion de l’Avenir ne sera pas la synthèse chrétienne, nous croyons que le respect superstitieux qui s’attache encore à la religion du passé est un des plus grands obstacles aux progrès de tout genre que la Société doit faire » (Pierre Leroux).
En effet, le Christianisme, par son idéologie, par ses pratiques, perpétue ou cherche à perpétuer un état de chose qui n’est plus en rapport avec les aspirations du peuple ; d’autre part, il s’est sensiblement éloigné de la doctrine de Jésus et « celui » qui prêcha sur la montagne se refuserait à servir de base à la comédie qui se joue depuis des siècles autour de son nom. La déchristianisation est donc une œuvre d’utilité et de salubrité sociales.
Pourtant il faut être juste et « rendre à César ce qui appartient à César ». Le christianisme n’est pas seul à corrompre la neutralité collective. Toutes les religions ont une part égale de responsabilité dans le désordre moral et intellectuel des humains, Juifs, protestants, etc., etc., sont également les victimes des exploitants de la crédulité populaire, et déchristianiser les uns, sans libérer les autres du dogme qui pèse sur eux et les écrase serait un travail inachevé. Il faut combattre toutes les religions quelles qu’elles soient ; il faut ouvrir à la lumière tous les cerveaux plongés depuis si longtemps dans l’obscurité, sans omettre les religions modernes, les religions terrestres que sont le nationalisme et le parlementarisme.
DÉCISION. n. f. Action de décider, de prendre une résolution ; ce qui est décidé. Avoir de la décision, c’est-à-dire être prompt à prendre un jugement, à résoudre une question embarrassante. « Si l’on manque le moment « décisif », surtout en révolution, on court fortune de ne jamais le retrouver ». Il faut avoir le courage de prendre des décisions lorsque le besoin s’est fait sentir, et surtout appliquer ces décisions lorsque c’est nécessaire. Manquer de décision, c’est partir à l’aventure et échouer dans toutes ses entreprises. Une décision claire et logique est toujours préférable à des résolutions embrouillées prises par un nombre incalculable d’individus. Les anarchistes doivent savoir être décisifs et hardis et être capables, au moment opportun, de prendre les décisions que comportent les événements.
DÉCLAMATION. n. f. Action de déclamer ; traduire en paroles une pièce de théâtre ou de littérature ; réciter à haute voix. Le mot déclamation est peu usité pour signifier simplement la lecture à haute voix d’une pièce de vers ; on l’emploie surtout pour désigner l’art de débiter et de jouer une œuvre théâtrale, et plus particulièrement la tragédie. Ce terme sert aussi à signaler la recherche, l’affectation, l’usage de phrases pompeuses dans le discours, et il est toujours péjoratif lorsqu’on l’applique dans ce sens. « Ce discours n’est qu’une ennuyeuse, une plate déclamation » (Lachâtre). En dehors de la scène, il faut donc se garder d’user de la déclamation, car un discours, simple, clair et précis obtient toujours de meilleurs résultats et produit une impression plus avantageuse que tout l’art déclamatoire que l’on peut posséder.
DÉCLASSÉ. adj. S’emploie pour les personnes et les choses. Ce qui est sorti de sa classe, ce qui sort du rang qu’il occupait. La bourgeoisie, et surtout la vieille noblesse, considère comme un « déclassé » celui qui, abandonnant les vieilles traditions, s’allie avec une personne appartenant à une classe « inférieure » ; et naturellement on considère comme inférieurs ceux qui travaillent. On peut cependant constater que l’usage de rester enfermé dans les cadres établis par la tradition se perd, et que les « déclassés » deviennent de plus en plus nombreux. L’évolution et le progrès en sont la cause.
La classe ouvrière, elle aussi, a ses « déclassés ». Ce sont tous ceux qui, sortis de son sein, n’hésitent pas à se livrer à la bourgeoisie et à défendre ses intérêts.
DÉCLENCHER. verbe. La clenche est une des pièces du loquet qui tient la porte fermée et le mot déclencher signifie : lever la clenche pour ouvrir la porte. Ce mot est surtout employé au sens figuré où il acquiert une signification plus ample qu’au sens propre. « Déclencher » la guerre, c’est-à-dire profiter de certains événements pour mettre fin à une ère de paix et ouvrir une période de sanglantes batailles. Le carnage de 1914 fut déclenché par la tourbe des capitalistes ambitieux et avides. Lorsque leurs intérêts particuliers sont en jeu, les capitalistes n’hésitent jamais à déclencher un mouvement guerrier dans l’espoir de retrouver l’équilibre, mais il arrive parfois que leurs espérances sont déçues et qu’à la suite du carnage se déclenche la Révolution.
Ce fut ce qui se produisit en Russie et en Allemagne. Las d’être courbé, le peuple se révolta et chassa les maîtres : mais il ne sut pas profiter entièrement de son geste et il faudra « déclencher » d’autres révolutions encore à travers le monde pour libérer définitivement l’humanité.
DÉCLIN. n. m. Ce qui touche à sa fin : ce qui arrive à son terme. Le déclin du jour ; le déclin de la vie. S’emploie également pour signaler la perte de l’influence exercée par un état, un gouvernement etc., etc.… L’empire est à son « déclin » ; le déclin d’une civilisation. On se sert aussi du mot « déclin » comme synonyme de diminuer. Le « déclin de la fièvre » pour la diminution de la fièvre. Tout ce qui monte est appelé à redescendre, et le capitalisme qui s’est élevé avec rapidité est arrivé aujourd’hui à son point culminant. Chaque heure, chaque minute qui s’écoule, précipite sa chute ; il est à son déclin et déclinera jusqu’au moment où, complètement affaibli, il s’écroulera sous la poussée et le choc des parias qu’il a asservis durant des siècles.
DÉCOMPOSITION. n. f. Action de séparer les parties d’un corps composé ; dissocier un tout formé de plusieurs éléments. En chimie, la décomposition a pour but de séparer les principes d’un composé ; elle diffère de l’analyse en ce sens que celle-ci détermine les proportions de ces principes. Le mot « décomposition » est parfois synonyme de « altération » ou « putréfaction ». On dit un corps en décomposition ce qui, dans son esprit, signifie la même chose qu’un corps en putréfaction.
De même qu’en chimie la décomposition morale d’un corps social est souvent indispensable pour déterminer sa valeur. Lorsqu’il est difficile à l’esprit humain de saisir toute l’étendue d’un sujet, il le décompose et arrive avec moins de difficultés aux résultats attendus et espérés. Au point de vue social, la décomposition morale et intellectuelle est donc un facteur de clarté. Tel sujet, tel objet qui nous apparaissaient sous un certain angle, change de physionomie à la décomposition. En décomposant la société moderne, et en s’attaquant à certaines institutions qui en forment les bases, on a plus de chance d’en ébranler les assises, car si elle offre une certaine résistance dans son tout, elle présente une certaine faiblesse dans ses parties.
DÉCORATION. n. f. Ce qui sert à embellir, à orner. La décoration d’un salon, la décoration d’un jardin. En peinture comme en sculpture, ou en tout autre partie, la décoration est un art utile et agréable. Au théâtre, la décoration offre de véritables services. Dans le sens théâtral, on emploi plutôt le mot « décors » que « décoration » ; sa signification est la même. Pour décorer en certaines occasions des salles ou des appartements, on a recours à la fleur et à la tapisserie. Le décorateur doit avoir du goût, de l’intelligence, l’esprit de perspective, en un mot des connaissances multiples pour être un véritable artiste. On donne aussi le nom de « décoration » aux médailles et rubans que distribue journellement le Gouvernement ou ses ministres aux individus qu’ils veulent honorer. Avoir une décoration est une marque de dignité pour les ignorants et les ambitieux. La décoration a été instituée pour récompenser le mérite, mais outre qu’elle est souvent donnée sans aucune raison, il en est fait un tel abus qu’il y aura bientôt plus d’individus décorés que d’autres. Il y a des gens qui sont avides de décorations et qui accomplissent des bassesses pour en obtenir. C’est la vanité qui guide ces malheureux imbéciles qui veulent avoir quelque chose qui les signale à leurs semblables. En France, il y a environ soixante-dix ordres différents de décorations. La plus recherchée et la plus honorifique est celle de la Légion d’honneur qui fut instituée par la loi consulaire du 19 mai 1802, pour récompenser les services civils et militaires.
Quelle que soit la décoration dont on est gratifié par un gouvernement ou un homme d’Etat quelconque, cela n’implique pas la valeur d’un individu et n’ajoute rien à son mérite. L’homme intelligent trouve de suffisantes satisfactions dans l’utilité de son travail ou de son œuvre, sans rechercher un plaisir ridicule à porter à sa boutonnière un morceau de ruban d’une certaine couleur, et il est de vrais savants qui, pleins de modestie, refusent catégoriquement d’accepter aucun signe « honorifique », se distinguent ainsi des ambitieux vulgaires.
DÉCOUVERTE. n. f. Action de découvrir ; de trouver une chose qui était ignorée, inconnue. Parvenir à percer l’obscurité de certains sujets. La découverte d’un pays, d’une mine. Une découverte scientifique. L’Amérique fut découverte en 1492 par le Gênois Christophe Colomb. Lorsqu’il décida de traverser l’Atlantique dans la direction de l’Ouest pour aborder aux rivages inconnus, de l’Inde, Christophe Colomb fut accueilli par la moquerie générale ; avec une pauvre flottille composée seulement de trois grandes barques, il partit pourtant le 3 août 1492 et, quelques mois plus tard, l’Amérique était découverte.
C’est aux découvertes successives de la science que nous devons le progrès. La nature indifférente possède en son sein des richesses incalculables, mais il faut que le génie humain les découvre ; ce n’est qu’à force de travail et de recherche que l’on arrive à percer ses secrets. La conquête de l’air, la T.S.F., autant de découvertes qui devraient être utiles à l’évolution de l’humanité, mais qui, hélas, sont bien souvent mises au service de la mort, et non de la vie. Les nombreuses découvertes qui ont illustré la fin du dix-neuvième et le vingtième siècle devraient permettre aux hommes de vivre libres et heureux. Mais les hommes se déchirent entre eux et passent leur temps à s’entre-tuer au lieu de s’unir et de s’aimer. Malgré l’ambition d’une fraction de l’humanité, qui profite en ce moment de la presque totalité des découvertes, le temps travaille à la régénération du monde, et l’heure est proche où les découvertes ne seront pas exploitées au bénéfice d’une portion, mais de l’humanité tout entière.
DÉCRASSER. verbe. Enlever la crasse ; nettoyer l’ordure qui se pose sur le corps ou sur les vêtements. Se décrasser au savon ; prendre un bain pour se décrasser. Au sens figuré : libérer un individu de ses préjugés ; lui donner une instruction, une éducation ; le sortir de l’ignorance dans laquelle il est plongé, lui donner du relief, le former, le façonner. D’un être rude et grossier, faire un homme bien élevé et sociable. « Nous étions de grands ignorants et de misérables barbares quand les Arabes se décrassaient. » (Voltaire). En France, lorsque la noblesse était encore puissante et qu’une famille bourgeoise achetait un titre ou une charge, qui donnait la noblesse, on disait qu’elle se « décrassait ».
Ils sont nombreux les individus à décrasser en ce monde. Voltaire écrivait déjà à son époque que « ce monde est une fort mauvaise machine qui a besoin d’être décrassée » et le travail n’a pas encore été accompli. La grande Révolution a passé, suivie de celles de 1830, de 1848, de 1871, et chacun de ces soulèvements ont enlevé un peu de la crasse qui s’accumulait depuis des années. Ce ne fut pas suffisant, et il faut continuer. Il ne faudrait pas s’imaginer que, seule, la bourgeoisie est responsable de l’état de choses que nous subissons. Le peuple a aussi une grande part de responsabilité dans le régime social qui nous est imposé. Le peuple se lave physiquement, mais intellectuellement et moralement il commence seulement à se décrasser. Son cerveau est encore encrassé de mille et mille préjugés qui le tiennent lié au passé et aux vieilles traditions, et ce sont tous ces facteurs rétrogrades qui entravent l’évolution.
Les croyances spirituelles s’effacent peu à peu. La crasse religieuse disparaît petit à petit, mais la crasse politique prend sa place et il faudra que le peuple prenne un bon bain pour retirer cette couche épaisse qui obstrue son intelligence. C’est en se décrassant que le peuple pourra acquérir le bonheur et là liberté. Qu’il se hâte, car personne ne se chargera de le décrasser s’il ne se livre pas lui-même à cette besogne.
DÉCRÉPITUDE. n. f. Affaiblissement général de toutes les fonctions organiques d’un individu ou d’une société. La décrépitude est le dernier état, l’extrémité de la vieillesse pour un individu, et du déclin pour une société. Tous les vieillards ne sont pas atteints de décrépitude ; on peut vivre très vieux sans passer par cet état. Les causes de décrépitude sont ordinairement la faiblesse, la maladie, les mauvais soins, les privations, etc…, et son caractère est l’affaiblissement des fonctions de l’économie. Sans pour cela jeter le discrédit sur les vieillards, nous pensons cependant que, parvenu à un certain âge, le corps a besoin de repos et que le travail ne doit être exécuté que par la jeunesse. La vieillesse peut nous prodiguer les conseils utiles acquis au cours de l’existence par l’expérience de la vie, mais c’est à la jeunesse, source de force et d’avenir, qu’il appartient de forger l’outil social qui assure à chacun une somme de bonheur et de bien-être. S’il en était ainsi, la décrépitude serait un accident excessivement rare, car les hommes ne se tueraient pas au travail et nous n’assisterions pas au terrible spectacle de vieillards malades et infirmes incapables de répondre aux nécessités organiques de leur individu. D’autre part, si l’humanité était rénovée, — et elle le sera un jour — sans en exclure le plaisir et la joie, l’orgie et le vice disparaîtront d’eux-mêmes et nous ne serons plus dirigés comme nous le sommes aujourd’hui par des vieillards séniles, ignorants des besoins du peuple et attachés aux traditions du siècle passé.
Si on considère les hommes qui nous gouvernent en cette fin du vingtième siècle, nous pouvons avoir de sincères espérances. Représentants directs de la bourgeoisie et du capital, ils tombent eux-mêmes en décrépitude comme tomberont en décrépitude le capital et la bourgeoisie.
DÉCRET. n. m. Le décret est un acte, un arrêt, une décision du Pouvoir exécutif ayant pour but d’assurer le fonctionnement des services publics et l’exécution des lois. Le décret est donc un complément de la loi, et se différencie de cette dernière de ce fait que les lois sont votées par les Assemblées législatives, tandis que les décrets sont rendus par les chefs d’État ou de Gouvernement.
Il y a en France plusieurs catégories de décrets. La Constitution de 1875 accorde au Président, de la République le pouvoir de rendre des décrets dits « décrets gouvernementaux ». De même que les décrets spéciaux ou individuels, qui ne sont en réalité que des ordonnances et règlements d’ordre administratif, les décrets gouvernementaux sont contre-signés par un ministre. En général, dans la promulgation d’un décret, bien qu’il le signale, le chef d’État ne fait office que de paravent et le décret est toujours rendu à la demande du ministre qui en est l’auteur responsable. Il arrive parfois, lorsqu’un Gouvernement se trouve en difficultés, qu’il réclame du Parlement l’abandon de ses pouvoirs et l’autorisation de rendre des décrets ayant force de loi. C’est ce que l’on appelle les décrets-lois. Lorsque le Parlement répond favorablement à cette demande, le chef du Gouvernement est alors pourvu d’une puissance qui en fait un véritable autocrate, ses actes n’étant même plus soumis au contrôle des Assemblées législatives. Nous savons fort bien que la loi est une chose néfaste en elle même et qu’il n’y a rien de bon à attendre d’un Parlement ; il n’est cependant pas inutile de souligner que lorsqu’un Parlement abandonne les prérogatives qui lui ont été transmises par le peuple naïf et confiant, il abuse du pouvoir qu’il détient, et s’il agit ainsi c’est qu’aux époques de difficultés et de trouble, il n’a pas le courage de prendre ses responsabilités et préfère se livrer entièrement à un homme d’État qui exerce alors librement sa dictature.
Comme tout ce qui émane du Gouvernement, un décret ne peut jamais être bienfaisant pour le peuple. Les Gouvernants sont placés à la tête d’un État par une poignée de gros industriels et de gros financiers dont ils sont les jouets et les complices, pour défendre la bourgeoisie et le capital, et leurs fonctions consistent à prendre les mesures les plus propres à maintenir les privilèges des classes possédantes. En conséquence les classes opprimées n’ont rien à attendre des gouvernants et de leurs décrets. Il arrive également qu’un Gouvernement prenne sous son entière responsabilité la publication d’un décret sans en avoir obtenu l’autorisation préalable du Parlement. Nous avons vu, en France par exemple, que le Gouvernement n’hésita pas, en 1914, à décréter la mobilisation générale et que, devant le fait accompli le Parlement ne protesta même pas contre cet abus qui, cependant, jetait dans la mêlée et dans la mort des millions d’individus. Quelle confiance peut-on alors accorder à ces Assemblées législatives qui prétendent représenter la majorité du peuple, agir en son nom, veiller au respect des volontés populaires et qui laissent à quelques hommes la puissance de disposer à leur gré de la vie de toute une génération. De même que le peuple abandonne sa force entre les mains du député qui lui ment et qui le gruge, le député abandonne la sienne entre les mains des gouvernants. Il n’y a pas à chercher de vice de forme dans cette manière de procéder, c’est la forme elle-même qui est viciée ; le décret est une conséquence, une résultante du régime d’autorité et quelle que soit son étiquette monarchiste, ou républicaine, il faudra détruire le régime pour s’en libérer.
DÉDUCTION. n. f. (du latin deducere, extraire). Conséquence d’un raisonnement. Action qui consiste à inférer par le raisonnement ou par l’esprit une chose d’une autre ou de tirer une conclusion d’un fait général pour l’appliquer à un fait particulier. Exemple : Examinant les sociétés à travers les âges et considérant qu’elles se sont toutes écroulées sous le poids de l’autorité, nous pouvons conclure, c’est-à-dire : tirer cette « déduction » que l’autorité est néfaste à la vie des sociétés. La déduction très employée dans les sciences mathématiques n’est pas moins utile dans les autres sciences, en sociologie et en histoire. C’est de la déduction que l’on peut tirer les motifs et griefs qui nous permettent d’échafauder les critiques contre les régimes qui sont imposés aux collectivités ; c’est par la déduction que les historiens sont arrivés à plonger dans l’obscurité du passé, et d’effacer tous les mensonges des diverses religions, et c’est par la déduction que nous pouvons raisonnablement envisager l’avenir.
DÉFAILLANCE. n. f. Affaiblissement. Perte partielle des sens et du mouvement. Tomber en défaillance, c’est-à-dire tomber en syncope. La défaillance a pour cause un affaiblissement physique et est le signe précurseur de maladies graves à moins qu’elle ne soit due qu’à la vieillesse, à la fatigue ou à l’excès de travail. Dans ce cas, un repos assez complet remet de l’ordre dans l’organisme et les troubles disparaissent.
Le mot défaillance est employé assez fréquemment comme synonyme de découragement. Exemple : « Tout homme est sujet à la défaillance », pour « tout homme est sujet au découragement ».
Dans le mouvement social il est peu de militants dévoués et sincères qui ne soient pas passés par ces heures de trouble, de doute, de découragement, de défaillance, et cela se comprend. La route à parcourir est couverte de ronces, et la côte est rude à gravir. Lorsque l’on jette un regard en avant et que l’on constate tout le chemin qu’il y a encore à parcourir, on est pris parfois par la lassitude et l’on désespère de ne jamais arriver au but.
En ces heures de défaillance, il faut se détourner et contempler non pas le chemin à parcourir, mais celui parcouru ; il faut se souvenir que, depuis des années et des années, des hommes comme nous ont eu le courage de lutter pour défricher le terrain que nous foulons ; il faut se rappeler que des savants sont restés penchés sur leurs cornues, analysant la matière pour arracher ses secrets à la nature et rendre notre vie un peu moins rude et un peu plus belle ; il ne faut pas oublier que des philosophes ont blanchi sur leurs livres pour dépouiller l’existence de ses mensonges et de ses erreurs et rendre possible l’évolution de l’humanité. En ces heures de défaillance, qui sont inhérentes a la lutte terrible que nous menons, il faut se dire que si le chemin est encore bien long, la plus grande partie en a été couverte par le passé et qu’il est.de notre devoir de continuer à avancer toujours sans nous arrêter jamais. La vie est éternelle dans le temps et dans l’espace, et si l’individu ne peut comprendre l’infini, la vie cependant ne se poursuit qu’en se donnant, et les générations futures bénéficieront de l’héritage que nous leur léguerons. La vie, c’est la lutte, c’est la bataille, pour le bien-être, pour la liberté, pour l’amélioration toujours accentuée du bonheur, pour la libération des hommes. La défaillance, c’est un peu de mort qui nous envahit. Il faut se dresser contre elle. Il faut, s’imprégner de la puissance et de la force de ceux qui, jusqu’à leur dernier souffle, ont tout donné dans le combat grandiose qui divise l’humanité, et comme eux, sans défaillance, travailler à préparer des jours meilleurs.
DÉFAITISME. n. m. Le « défaitisme » est né durant la grande guerre « du Droit et de la Civilisation » et il est tout un symbole. Qu’on en juge par la définition qu’en donne le Larousse : « Pendant la grande guerre, opinion et politique de ceux qui manquaient de confiance dans la victoire, ou qui estimaient la défaite moins onéreuse que la continuation de la guerre ». En conséquence, nous pouvons déduire de cette définition que le mot défaitisme est purement national, car s’il est vrai que ceux qui doutaient de la victoire française avaient tort, puisque la France fut victorieuse, les défaitistes allemands avaient raison. Ce qui n’empêchait du reste pas les autorités germaniques d’emprisonner et d’exécuter ceux qui se permettaient de douter de la victoire allemande. En second lieu nous dit le Larousse « ou ceux qui estimaient la défaite moins onéreuse que la continuation de la guerre ». La guerre est terminée depuis bien des années déjà et nous pouvons constater que ceux qui étaient, durant le carnage, accusés de « défaitisme » n’étaient pas dans l’erreur. La défaite eut été moins onéreuse que la continuation de la guerre.
Un simple regard impartial sur la situation de la France victorieuse et nous serons fixés.
Avant la guerre, et avant la victoire, la richesse sociale de la France, s’il faut en croire les économistes bourgeois, était d’environ trois cents milliards de francs et sa dette qui datait encore de la guerre de 1870-1871, de trente-cinq milliards de francs. Or, la France victorieuse a vu sa richesse sociale baisser du tiers, de ce fait que pendant quatre ans et demie toute la production s’est évaporée en fumée sur les champs de bataille, et sa dette a augmenté dans de telles proportions qu’elle atteint un chiffre supérieur à sept cents milliards de francs.
À cette perte sèche, il faut naturellement ajouter un million 500.000 morts, plus le grand nombre de blessés arrachés à la production ; il est vrai que « l’homme » ne compte pas pour le capital et qu’il n’est considéré que comme chair à canon.
Eh bien ! Ce sont ceux qui prévoyaient cette débâcle économique et financière qui étaient accusés de défaitisme. Or, le fait est là, dans sa tragique brutalité : aucune guerre ne peut être avantageuse pour une nation victorieuse ou vaincue.
On pouvait penser que les hommes sur qui pèsent la lourde responsabilité de la guerre, seraient éclairés à la lumière de la réalité et que, devant l’étendue du désastre qu’ils avaient causé, ils conserveraient le silence ; on pouvait espérer qu’ils reconnaîtraient l’erreur profonde qu’ils avaient commise en accusant de « défaitisme » les esprits assez clairvoyants pour prévoir ce qui allait arriver et que le « défaitisme » allait mourir à l’aube de la paix.
Il n’en fut rien ; il n’en est rien. Le défaitisme existe toujours ; il est devenu un spectre que brandit le Gouvernement lorsqu’il se trouve en difficulté, et les mêmes hommes qui ont accumulé les crimes monstrueux de la boucherie, poursuivent leur œuvre en accusant de « défaitisme » ceux qui ont « l’audace » de les critiquer et de les combattre.
Cependant, si les populations se sont laissées griser pendant la guerre par des mots vides de sens, il n’en sera pas toujours de même ; et le défaitisme pourrait bien triompher. Défaitistes ; les anarchistes le sont, si le défaitisme consiste à lutter contre toute guerre, défensive ou offensive, ce qui est la même chose ; défaitistes, ils le sont pour abolir un régime d’abjection qui provoque le massacre de toute une génération ; ils le sont également pour affirmer qu’il ne peut rien sortir de bon, de juste et de beau du capitalisme qui engendre la guerre et la mort.
Les défaitistes seront de plus en plus nombreux et le capitalisme en a étendu le nombre, par sa guerre et par son après-guerre. Il a pensé consolider ses assises dans le sang de l’humanité ; il s’est trompé et n’est arrivé qu’à ébranler plus fortement ses bases ; il chancelle aujourd’hui et recherche un équilibre qu’il ne trouvera plus. La situation est désaxée. Le capitalisme a recours à des moyens extrêmes pour allonger sa vie ; peine perdue et inutile, il est condamné. Il a créé le défaitisme, le défaitisme l’écrasera.
DÉFAUT. n. m. Absence, manquement, vice, imperfection physique ou morale. Ce qui est contraire à la vertu, à la perfection. « Avoir de grands défauts. » Le mot « défaut » s’applique aux personnes et aux choses ; on dit d’une œuvre imparfaite, défectueuse, qu’elle est pleine de défauts. Ce drap est tissé sur un métier usagé et est rempli de « défauts ». C’est en vain que l’on chercherait des qualités à cet homme, il n’a que des défauts.
« Ils rachètent ces défauts, par de grandes connaissances et par de grandes vertus. » (Voltaire.)
En jurisprudence, le mot défaut signifie, manquement. Faire défaut à un jugement, c’est-à-dire ne pas se présenter après avoir reçu l’assignation judiciaire. Être condamné par défaut, ; être condamné sans avoir plaidé, sans être présent au jugement. On a toujours la faculté de faire opposition à un jugement, rendu par défaut, lorsque celui-ci vous est signifié. Être en défaut ou être pris en défaut s’emploie couramment pour signaler le manquement à ce que l’on devait faire.
DÉFECTION. n. f. Action de faire défaut, d’abandonner une lutte, un parti, une action, à un moment imprévu. La défection est une lâcheté, car elle met en difficulté celui qui comptait sur un concours extérieur et qui se trouve seul pour accomplir l’acte projeté. La défection est le propre des individus qui n’ont pas le courage de s’affirmer, qui promettent tout ce qu’on leur demande et qui sont absents à l’heure où leur présence escomptée serait indispensable. Il faut toujours se garder de prendre des engagements lorsque l’on ne se sent pas la force et l’énergie de les tenir. La défection dans le mouvement révolutionnaire peut avoir des effets funestes. En période de calme, chacun peut se réclamer de révolutionnarisme et ce n’est que dans les époques troublées et lorsque l’ardeur de la lutte exige que chacun fasse abandon d’un peu de lui-même que l’on peut juger de la sincérité du révolutionnaire. Hélas ! Quantité de ceux que l’on pouvait considérer comme des amis ne répondent pas à l’appel lorsque l’heure est venue de se dépenser, et la défection de ces révolutionnaires de pacotille, peut déchaîner des désastres. Et c’est pourquoi les Anarchistes n’ont pas confiance en ces partis politiques qui ne réclament de leurs adhérents qu’un bulletin de vote, car ils savent que l’on ne peut compter sur tous les électeurs naïfs qui pensent accomplir une œuvre révolutionnaire en déposant dans l’urne démocratique un morceau de papier plus ou moins rouge. Leur défection est certaine ; aussi, est-il plus sage d’être peu nombreux, mais résolus, que d’être nombreux et écrasés parce qu’abandonnés au dernier moment par une majorité de moutons.
DÉFENSE NATIONALE. n. f. La Nation nous dit le Larousse, est une « réunion d’hommes ayant une origine et une langue communes, ou des intérêts longtemps communs ». Notre conception de la nation n’est pas la même (Voir Nation), il nous semble ridicule de prétendre que les intérêts des différents éléments qui composent la nation française sont identiques. Pour nous la nation ne se présente que sous la forme d’une minorité d’oligarques, issue de la famille capitaliste, tenant courbé sous le joug économique et politique la grande majorité de la population d’un territoire déterminé. S’il arrive que les intérêts de cette minorité soient en opposition avec ceux d’une minorité appartenant à un territoire étranger, on déclare alors que la nation est en danger. Il faut la défendre et l’on organise ce que l’on appelle la « défense nationale ».
Nous avons tenté de démontrer par ailleurs (voir capitalisme) que la grande majorité des populations étaient exploitées sous toutes les formes par un capitalisme qui de jour en jour centralisait sa puissance, et que les intérêts de cette population étaient diamétralement opposés a ceux de ce capitalisme. Par quelle aberration ces peuples consentent-ils à donner leur vie, à se livrer à la défense nationale, alors qu’ils ne peuvent espérer en tirer que la misère et la mort ? Cela dépasse l’imagination d’un homme qui pense sagement et sainement. C’est cependant un fait indéniable que les hommes se précipitent dans la guerre meurtrière pour défendre une nation au sein de laquelle ils ne sont que des esclaves.
La défense nationale est habilement et adroitement organisée par les hommes qui ont la charge de diriger les nations au plus grand profit des intérêts capitalistes. Jamais on ne verra des chefs du Gouvernement avouer que la guerre entreprise est une guerre offensive ; elle. est toujours défensive, quelles que soient les causes qui l’ont déterminée et les ignorants se laissent prendre naïvement au stratagème puéril qu’emploient les représentants du capitalisme pour entraîner le peuple dans le carnage.
Lorsqu’une nation entre en guerre, voici de quelle façon on pose au peuple la question qui est résolue d’avance : « Notre pays vient d’être attaqué par des barbares ; nous vivions en paix dans la sérénité de notre labeur. Nous n’avions aucune ambition. Chacun était heureux. Allons-nous laisser envahir nos hameaux, nos villages, nos villes ? Allons-nous laisser détruire toutes les richesses accumulées par nos ancêtres ? Allons-nous laisser les tyrans nous arracher notre liberté ? Allez-vous laisser vos femmes et vos enfants être les innocentes victimes de nos ennemis qui veulent conquérir votre pays ? Et la population naïve, répond par le sacrifice. Elle ne veut pas qu’on lui dérobe les richesses accumulées, elle ne veut pas qu’on lui arrache sa liberté et elle va défendre la nation, et elle se prête, elle se livre, elle se donne a la défense nationale. Et il en est ainsi dans tous les pays où défendre son pays, défendre sa nation est un devoir.
Mais demandons au pauvre garçon de ferme de la Beauce ; au pauvre pâtre qui, pour quelques sous par jour, un bout de pain noir et du fromage mène une vie solitaire et perdue, dans ses montagnes ; demandons à l’ouvrier d’usine qui durant 8 ou 10 heures par jour et cela pendant des années et des années, jusqu’à la mort, trime et végète devant les hauts-fourneaux qui le brûlent ; demandons à toute cette agglomération de parias, à toute cette armée de plébéiens des champs et des villes, ce qu’ils ont, eux, des richesses accumulées par les ancêtres ; demandons-leur où elle est leur liberté, où elle est la nation qu’ils défendent, ce qu’elle leur a donné, le bénéfice, l’avantage qu’ils ont à se battre de tel ou tel côté de la barricade ; demandons-leur pourquoi ils défendent la nation, ce qu’elle représente à leurs yeux. car enfin, pour tout abandonner, pour tout quitter : femme, enfants, père, mère, amante, pour préférer la mort à la vie, pour se donner ainsi entièrement, sans protester, pour répondre par le mot : présent à l’appel de la patrie, pour consentir à se livrer corps et âme à la défense de la nation, il faut se faire une idée grandiose de la nation, il faut qu’elle soit une source de joie, de bonheur, d’allégresse et d’amour ; il faut qu’elle soit le temple de la bonté, de la justice, de l’égalité, de la fraternité ; il faut que seule, cette nation puisse nous donner tout ce à quoi nous rêvons, nous aspirons, et que nulle autre au monde ne puisse réaliser notre rêve et notre idéal.
En est-il ainsi, et est-ce pour cela que la « défense nationale » arrive à recruter ses armées ? Hélas, non ; et le patriotisme ou le nationalisme du peuple ne repose jamais sur des réalités, mais sur des illusions. Qui n’a, pas lu l’œuvre magistrale d’Octave Mirbeau ? Dans ses Vingt et un jours d’un neurasthénique, le célèbre écrivain nous présente Joseph Tarabustin qui, à, la frontière espagnole va chaque soir faire son pèlerinage au dernier bec de gaz de France. Et en extase devant cet appareil d’éclairage, il cherche à faire partager à sa femme les sentiments de patriotisme qui se lèvent en lui, qui montent du plus profond de son être, et qui le remplissent de grandeur et de fierté.
Voilà en vérité ce que c’est que la nation ; c’est le dernier bec de gaz de France, c’est le dernier bec de gaz d’Allemagne, c’est le dernier bec de gaz d’Italie. C’est moralement pour ce symbole que les peuples se déchirent entre eux ; c’est à cause de ces préjugés que l’on arrive à enrôler dans les rangs de la défense nationale des millions de travailleurs qui se massacrent entre eux pour défendre, non pas la nation, mais les intérêt-particuliers des capitalistes nationaux. Il y a parmi cette foule d’inconscients qui se laisse mener passivement à l’abattoir, convaincue qu’elle remplit un devoir sacré, une minorité qui se refuse ou tente tout au moins de se refuser au sacrifice qu’exige la « défense nationale ». Elle est impitoyablement écrasée par les forces d’autorité, de répression, de violences, mises au service des institutions de la bourgeoisie. La défense nationale engloutit tout ce qui peut être un facteur de victoire et tous les hommes en vertu de ce principe : « La nation est en danger » doivent se donner entièrement aux exigences de la défense nationale.
La grande guerre de 1914-1918 éclaire d’une lueur brutale, aveuglante même, le mensonge — sur lequel repose cette formule. Même en se plaçant sur le terrain du nationalisme le plus large, il est impossible de légitimer cet acte monstrueux qui oblige un homme ou une population à aller se faire tuer pour défendre sa nation. Au sens bourgeois du mot, la nation n’existe pas et en conséquence la défense nationale est un leurre.
Prenons les uns après les autres les pays qui ont été entraînés dans la catastrophe de 1914. Où est-elle l’unité nationale de la France ? Est-ce que les Algériens, les Sénégalais, envoyés sur le front pour y défendre la « mère patrie » avaient une raison plausible pour se battre et se trouver plutôt d’un côté de la barricade que de l’autre ? Où est-il le patriote ou le nationaliste assez subtil pour soutenir cette thèse : que les Sénégalais devaient concourir à la défense nationale parce que leurs intérêts sont intimement liés à ceux des grands industriels et des grands financiers français. En vertu de quels principes et au nom de quel devoir national l’Autriche-Hongrie obligea-t-elle ses minorités. nationales à prendre part au conflit ? Si l’on excepte la contrainte, quelles raisons poussèrent les Tchèques, les Croates, les Slovènes, à défendre cette nation dont ils refusaient la nationalité et dont ils se séparèrent aussitôt que l’Empire écrasé fut incapable de les maintenir sous sa domination ? Sur quoi reposait le nationalisme polonais, alors que les habitants de la Pologne étaient répartis entre l’Allemagne, la Russie et l’Autriche et ne se libérèrent, politiquement qu’à la fin de la guerre ? Et les Irlandais qui, depuis le xiie siècle, mènent une lutte opiniâtre contre l’impérialisme britannique ; et les 300 millions d’Indiens qui sont asservis à la perfide Albion ; sous quelle forme se présentait à eux la « défense nationale », et n’est-ce pas simplement contraints et forcés que ces hommes prirent part à la lutte, animés par un sentiment de peur, mais non pas par un sentiment de nationalisme ?
La « défense nationale » est un bluff formidable, elle ne se soutient pas et ne résiste pas à l’analyse. Il n’y a, disons-nous plus haut, qu’une infime minorité qui a intérêt à défendre la nation, parce que pour elle, la nation représente la richesse, le bonheur, tous les privilèges, tous les droits, toutes les libertés ; cette minorité, c’est le capitalisme. Mais le capitalisme serait impuissant à se défendre lui-même et c’est pourquoi il a recours à toute la population du pays. Il a inventé la « nation en danger » et est arrivé à faire croire que chacun devait fournir son cerveau et son corps pour défendre la nation ; sur cette croyance des crimes monstrueux ont été accomplis. Peut-être est-il temps que cela cesse. L’horrible cauchemar que nous laisse la dernière guerre n’est-il pas suffisant pour nous rappeler que le peuple n’a rien à défendre sinon sa peau, et qu’il n’a rien à donner à la nation, qui, elle, lui prend tout ? Il n’a pas à s’occuper de « défense nationale » ; sa nation, elle est à bâtir, elle sera universelle ; mais auparavant, il faut détruire les barrières qui divisent les hommes ; il faut que les individus comprennent que la vie ne peut être belle qu’à l’abri de toutes tentatives belliqueuses, que les guerres, toutes les guerres sont engendrées par le capitalisme, et que la « défense nationale » est un préjugé atroce et terrible qui coûte chaque siècle à l’Humanité des millions d’êtres jeunes et vigoureux.
DÉFENSE LÉGITIME. Bien que le mot légitime veuille dire : « Ce qui a les qualités requises par la loi », dans le langage courant, il est employé comme synonyme de « juste » et de « équitable ». et il ne faut pas confondre, par conséquent, ce que l’on appelle « la légitime défense » avec la défense légitime. Le droit de légitime défense est consacré par l’article 328 du Code pénal qui dit : « Il n’y a ni crime ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de légitime défense de soi-même ou d’autrui. » Tout en reconnaissant à chaque individu le droit de se défendre lorsqu’il est attaqué, il ne peut être ignoré cependant, que ce droit de légitime défense qu’accorde la loi, est surtout une arme entre les mains des forces répressives. Il est tout naturel, et cela n’a pas besoin d’être consacré par un article du code, que l’individu qui se trouve en danger, use de tous les moyens a sa portée pour sauver sa vie, mais ce que nous savons, c’est que le droit de légitime défense est exploité avantageusement, par le policier qui a, de ce fait, droit de vie et de mort sur la personne qu’il est chargé d’arrêter, par le mari « trompé » qui n’hésite pas à se prétendre en droit de.légitime défense lorsqu’il abat le « complice » de sa femme, enfin par tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, attentent à la vie ou à la liberté de leurs semblables, il est remarquable que ce soit toujours la même catégorie d’individus qui légalement bénéficie du droit légal de légitime défense. Lorsque, arrêté au cours d’une manifestation, le manifestant est brutalement frappé par le policier, chargé, dit-on, de maintenir l’ordre, le policier est considéré comme étant en état de légitime défense ; il n’est donc pas excessif de prétendre que lorsque le manifestant se défend contre les violences policières, il est en état de défense légitime.
Naturellement, le droit de défense légitime n’est pas reconnu par la loi, au contraire. La magistrature sévit, sans aucune indulgence contre ceux qui ont le courage de résister à l’oppression de l’ordre établi, et c’est ce qui explique le nombre incalculable de malheureux qui gémissent dans les prisons et les bagnes capitalistes.
On peut considérer comme étant en état de défense légitime, tout ce qui s’oppose à l’arbitraire et à l’injustice. La société moderne n’est ni juste ni équitable, et tous les gestes, tous les actes qui ont pour but d’amoindrir les effets néfastes de l’injustice, engendrée par l’organisation sociale actuelle, sont des gestes et des actes de défense légitime. Le travailleur qui pour améliorer son sort, abandonne l’atelier et se met en grève afin d’obtenir une augmentation de salaire, ou une diminution d’heures de travail, est en état de défense légitime, contre son patron qui se refuse à répondre favorablement à ses revendications légitimes ; et lorsque le Gouvernement afin de soutenir le capitaliste contre le prolétaire, met son armée au service de la richesse, le travailleur n’est-il pas en état de défense légitime, lorsqu’il oppose la révolte et la violence à l’intervention gouvernementale ?
La défense légitime se manifeste selon les périodes et les événements de différentes façons ; elle est parfois collective, et parfois individuelle. Lorsqu’elle est individuelle, c’est que la collectivité reste passive devant l’attaque de ses oppresseurs, et il se produit alors qu’à la suite d’un crime social ou encore pour éviter une injustice, un homme se dresse hors du troupeau pour supprimer les responsables de mesures qu’il juge arbitraires et dangereuses pour ses semblables. Il ne nous appartient pas de démontrer l’efficacité ou l’inefficacité de ces gestes, mais ce que l’on peut affirmer c’est qu’ils.sont déterminés par l’attaque continue d’une partie la plus puissante de la collectivité humaine et qu’en conséquence, il doit être considéré comme un acte de défense légitime.
Nous disons plus haut que la défense légitime est tout ce qui s’oppose à l’arbitraire et à. l’injustice, et l’on peut donc classer, comme étant en état de défense légitime tous ceux qui se refusent à servir de matière à champ de bataille durant les guerres, celles-ci étant un véritable crime envers l’humanité. Il faut se défendre. La vie est une lutte constante et celui qui ne se défend pas est écrasé. Ce qui fait la faiblesse du peuple, c’est sa naïveté à croire qu’il est garanti durant toute sa vie par la législation qui, en vérité, loin de le défendre, l’opprime. Il lui faut donc s’il veut triompher lutter contre la loi, lutter contre ceux qui la font et ceux qui l’appliquent, lutter contre tous les rouages d’une société mal faite, en un mot, se défendre contre tout l’organisme capitaliste qui nous dirige et nous étreint.
Ce n’est ni la vengeance ni la haine qui nous guident, nous, anarchistes, dans notre conception de la défense légitime. « Ce qui est grand et beau se suffit à soi-même, et porte en soi sa lumière et sa flamme », a dit J.-M. Guyau ; c’est parce que nous savons que l’humanité ne sera régénérée que par la défense, que nous opposons aux forces coalisées du capital, que nous nous révoltons contre les crimes monstrueux d’un régime périmé et que nous trouvons une force suffisante pour résister à tous les assauts de nos adversaires. Nous sommes en état de défense légitime et nous y resterons jusqu’au jour où le capitalisme et ses rouages, fatigués de la lutte, nous permettront de prendre l’offensive pour élaborer sur leurs ruines une société de douceur et de fraternité.
DÉFENSE RÉVOLUTIONNAIRE. S’il est une question qui a une importance pour ainsi dire primordiale, dans le problème de la révolution, s’il est une chose qui a fait couler beaucoup d’encre, échafauder de multiples systèmes, et dire le plus de bêtises, c’est bien cette question de la Défense Révolutionnaire. Certes, pour d’aucuns, elle peut sembler puérile et comme subséquente à la révolte, car beaucoup d’esprits simplistes pensent que l’on perd son temps à vouloir solutionner ou tenter de solutionner certains problèmes avant que l’heure des réalisations n’ait sonné. Ils disent : « On aura bien le temps de penser à tout cela au moment où la Révolution éclatera. Occupons-nous pour l’instant de choses plus sérieuses. Quand nous serons en pleine révolution, des solutions surgiront qui s’imposeront d’elles-mêmes. N’y a-t-il pas une sorte de fatuité et d’illogisme à vouloir prévoir ce que pourrait être l’avenir ? Donnons notre temps au présent, cela seul importe. »
Eh bien ! nous pensons que, s’il faut laisser aux événements le soin de résoudre certains problèmes, nous pouvons, nous devons à la fois prévenir et même, prévenir certains maux qui pourraient advenir si nous nous laissions aller au gré de l’improvisation circonstancielle. Et nous pensons que « la défense révolutionnaire » est une chose trop grave pour que nous laissions au seul hasard le soin d’y pourvoir. Aussi, nous basant sur les leçons de l’histoire, en même temps que de la raison, voulons-nous étudier à fond ce problème, encore que nous regrettions d’être obligés de nous restreindre ; car ce n’est pas un article encyclopédique, mais un gros volume qu’il faudrait pour examiner minutieusement tous les côtés de la question.
Pour la clarté de notre exposé, divisons en trois parties la défense révolutionnaire. C’est-à-dire : 1° Avant ; 2° pendant ; 3° après la révolution.
Avant la Révolution. — Partout existent des groupements qui ont pour but (soit par la propagande éducative, soit par l’agitation, soit par des actes appropriés aux circonstances), de fomenter dans la masse la colère, l’indignation, en un mot l’esprit de révolte qui doit se muer tôt ou tard en insurrection. Ces groupements révolutionnaires sont donc partie intégrante de la révolution, puisqu’ils, en assument pour ainsi dire la préparation.
Or, il est de fait que les classes dirigeantes ne sont plus, comme au siècle dernier, endormies par l’optimisme que pourrait leur conférer la détention du Pouvoir. Elles savent très bien, et les événements du passé suffiraient à le leur apprendre, que le sort des dirigeants est précaire ; que telle caste qui fut jadis toute puissante est aujourd’hui obligée de s’allier, pour ne pas la subir, à une classe qu’elle opprimait naguère. D’autre part, elles connaissent l’état lamentable du peuple et son mécontentement de jour en jour grandissant. Elles sont à même de constater que l’idée révolutionnaire fait journellement de grands progrès. Aussi, sont-elles prêtes à tout pour écraser au moindre mouvement les militants qui pourraient entraîner la masse à des actes décisifs. Elles savent qu’en écrasant les groupements révolutionnaires avant ou dès le début, d’un mouvement, elles écraseront en même temps la plus grande force dont la révolution pourrait disposer, puisque ce serait la force morale et populaire. Aussi emploient-elles des moyens divers pour décimer les groupements.
La provocation, le mouchardage (voir provocateur, mouchard), constituent des moyens préventifs.
Dans l’étude de ces deux mots, nous dirons comment on peut se prémunir.
Mais il y a les moyens de lutte contre-révolutionnaire. Ligues civiques, faisceaux, chefs de section, syndicats jaunes, etc., etc., composent toute une échelle d’organismes destinés à entraver la propagande ou à se débarrasser des militants révolutionnaires. Ce sont tous des groupements recrutés, organisés, armés, protégés et subventionnés — soudoyés serait plus juste — par les classes dirigeantes. Tout cela constitue un fascisme (voir fascisme) prêt à réprimer d’abord, à s’imposer ensuite et à opprimer enfin.
Les capitalistes, pour conserver leurs prérogatives matérielles, seraient prêts, malgré qu’ils préfèrent le régime hypocritement libéral que nous subissons, à instaurer une dictature militaire ou civile, plutôt que de voir leur prépondérance s’atténuer.
On sait, par les exemples d’Italie et d’Espagne comment, avant la prise du pouvoir, le fascio et les Somaten agirent à l’égard des organisations ouvrières de ces deux pays : assassinats, expéditions armées, assommades, etc.
Pareil mouvement s’organise en France : chemises bleues, jeunesses catholiques ou patriotes s’arment dans l’ombre, au su des gouvernants qui les tolèrent, et, si nous n’y prenons pas garde, la même aventure pourrait nous advenir.
Que faut-il faire pour défendre le mouvement révolutionnaire ?
Les uns nous disent : « Il faut organiser un parti de classe puissant et discipliné dont les cadres, sévèrement composés d’hommes intégres et éprouvés, imposeront leur décision et leurs mots d’ordre aux adhérents. Il faut que ces adhérents soient prêts à répondre immédiatement à tout appel et à obéir aveuglément aux ordres de ce Comité-Directeur. En un mot, il faut organiser une armée pré-révolutionnaire. »
D’autres avancent : « Il faut que toutes les organisations d’extrême-gauche envoient des délégués à une réunion commune qui constituera le front unique révolutionnaire, qui lancera partout ses mots d’ordre et qui organisera la riposte, voire même l’offensive et fera ainsi, de par l’unité révolutionnaire, de cette riposte ou offensive, un mouvement de grande envergure qui s’amplifiera vite en révolution. »
En ce qui concerne le « parti de classe », il a été dit et il sera dit dans les mots : armée, communiste (parti), militarisme et militarisation tout ce qui doit être objecté à cette thèse. Quant au « Comité d’action et d’unité révolutionnaire », nous savons par expérience qu’il ne rendrait rien du tout, sinon qu’il retarderait, entraverait et peut-être empêcherait toute défense utile. Trop de divergences théoriques, idéologiques et tactiques se feraient jour, trop d’incompatibilités se révéleraient ; les délégués passeraient leur temps à disserter, à ergoter, à discutailler… pendant que l’ennemi agirait autrement qu’en paroles. Un tel comité deviendrait, comme tous ses devanciers, un « Comité d’Inaction ».
Nous pensons que la défense révolutionnaire immédiate doit être organisée plus sérieusement, plus méthodiquement que des deux manières sus-indiquées. Il faut en revenir, qu’on le veuille ou non, aux groupes secrets. Groupements constitués par affinité des composants. Par maison, par rue, par quartier, par localité, par atelier, chantier ou entreprise, les révolutionnaires se connaissant bien, soit qu’ils aient vécu, travaillé ou milité ensemble d’une façon intime, formeraient de petits comités qui auraient pour but de défendre le mouvement. S’armer n’est pas la besogne la plus essentielle de la défense pré-révolutionnaire. Il faudrait se livrer à tout un travail pour ainsi dire technique : connaître la topographie des lieux dans lesquels ils vivent, des points de résistance possibles, connaître les armuriers locaux, et puis les adresses de tous ceux qui, à un titre quelconque, pourraient être dans l’action fasciste : flics, gendarmes, membres d’organisations réactionnaires, personnages influents, etc., etc. De façon qu’au premier acte fasciste on puisse ainsi riposter du tac au tac.
On peut être bien certain que les fascistes connaissent les adresses des principaux militants révolutionnaires et, qu’à la première occasion ils s’en serviront. Eh bien ! pour un des nôtres, un des leurs ; nous pourrons même pratiquer à leur détriment la politique des otages qu’ils prônent si. fort. Dans la lutte, il faut savoir employer toutes les armes disponibles. « Ou combattre par tous les moyens, ou périr » tel est le dilemme. Ces organismes secrets pourraient s’unir à d’autres du même genre pour assurer une unité d’action dans la localité, la région, etc. Ils auraient le mérite d’être composés de copains sûrs, sérieux et décidés à tout pour éviter qu’une dictature quelconque s’instaure, et même pour essayer de faire prendre tournure révolutionnaire à tout mouvement de riposte.
Il y aurait là une organisation sérieuse qui ne serait composée ni de bavards impénitents, ni de politiciens avides de pouvoir politique. Bien entendu, ici, nous exposons cela en bref, car il nous faudrait occuper un nombre de pages trop considérable si nous voulions définir dans tous ses détails une telle préparation de défense révolutionnaire. La fédération de ces groupes (qui pourrait prendre divers aspects) assurerait toute la puissance d’une action efficace, le caractère secret et affinitaire, en laissant ignorer à tous autres leur existence, lui donnerait la force de la spontanéité et de l’imprévu.
Pendant la Révolution. — Ici, nous touchons en plein au problème de la dictature. En effet, c’est au nom de la seule défense de la révolution qu’on prétend, dans certaine école révolutionnaire, instaurer une dictature provisoire.
On nous dit : « Si nous nous révoltons, les classes possédantes se défendront par tous les moyens. L’armée est à leur solde ; mais même si l’armée leur faisait défection, ils auraient un concours largement assuré de la part des gouvernants capitalistes voisins. Il nous faudra donc, dès le premier jour de la révolution, sitôt le gouvernement actuel dépossédé, accomplir notre coup d’état en nommant un gouvernement prolétarien qui aura à charge d’organiser une armée rouge disciplinée. Ce gouvernement aura des pouvoirs dictatoriaux et tous devront, sous peine des plus graves sanctions, y compris la peine de mort, obéir aveuglément aux commissaires du Peuple »
Nous voudrions bien, auparavant, qu’on nous dise ce qu’on entend par Révolution. Ce mot, s’il n’est accompagné d’un qualificatif n’a, pour nous, qu’une bien vague signification. Si cette révolution n’a pour but que de changer de place les gouvernants, si c’est uniquement l’accession au pouvoir d’un parti politique, quel qu’il soit, que vise cette révolution ; pour nous c’est une révolution politique, en un mot un coup d’état. Alors, mieux vaut dire tout de suite que nous n’en sommes pas ; que cette révolution n’est pas la nôtre.
La Révolution que nous voulons et pour laquelle nous militons aujourd’hui et nous combattrons demain de toutes nos forces, c’est la Révolution sociale. Qu’est-ce que cette révolution sociale ? — Celle qui aura aboli toute exploitation de l’homme par l’homme : patronat, militarisme, État. Celle qui substituera au gouvernement des hommes par les hommes, l’administration des choses par le producteur. Celle qui, à la place de la société autoritaire et centraliste instaurera la société fédéraliste libertaire.
C’est à la défense de cette révolution-là, et, de celle-là seulement, que nous voulons nous employer. Nous aurons donc à la défendre contre trois genres d’offensives : 1° celle des capitalistes et gouvernants actuels à l’intérieur ; 2° celle que ces gouvernants et possédants chassés pourraient tenter avec le concours de l’extérieur ; 3° celle de tous les politiciens arrivistes au faux-nez révolutionnaire qui tenteront à tout prix d’escamoter la révolution à leur profit.
La première offensive fait partie de la révolution ; c’est la révolution elle-même. Nous savons très bien que les capitalistes ne se laisseront pas déposséder sans résister, mais c’est l’action du peuple en révolte qui les chassera petit à petit. A l’offensive que pourraient tenter les capitalistes concentrés dans une région non touchée par la révolution, nous répondrons par une énergique défensive, et ceci touche à la deuxième manière puisque les provinces non révoltées ne feraient pas partie de la Fédération révolutionnaire, et qu’elles seraient, par conséquent, à l’extérieur de la révolution.
Supposons donc que, chassés du pouvoir, les possédants actuels se retirent dans quelque région réactionnaire ; que de là, ils demandent aide aux gouvernants étrangers, et que ceux-ci envoient des troupes pour mettre le peuple « à la raison ». Nous pourrions faire cette remarque, que rien ne prouve que nous serons les premiers en Europe à nous révolter, qu’il se pourrait qu’avant nous l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne aient accompli leur libération, qu’en ce cas nous n’aurions pas grand’chose à craindre. Nous pourrions aussi objecter qu’il se pourrait qu’une révolution déclenchée en France amenât les peuples voisins à imiter le geste. Mais nous voulons envisager la question comme si nous étions les premiers à nous insurger. Y a-t-il nécessité d’un gouvernement, de défense, d’une armée rouge obéissant à ce gouvernement et faisant partout respecter ses édits ? On nous dit : « Oui, il faudra une armée docile, disciplinée, organisée, entraînée encadrée, avec des états-majors solides, choisis par le Gouvernement prolétarien. Il faudra une préparation de plus en plus forte ; que tous les ouvriers soient astreints à cette obligation militaire. En un mot, il faudra décréter la mobilisation générale. »
Pourquoi tant de mesures dictatoriales ? Pourquoi une « mobilisation générale » du prolétariat ? — « Parce que, sans cela, beaucoup se refuseront à marcher contre les réactionnaires ; chacun voudra laisser cette besogne a son voisin. Il faudra donc obliger tous les ouvriers et paysans à marcher. »
Croit-on, par hasard, que c’est avec des soldats qui marchent, à contre-cœur que l’on assure une bonne défense ? Croit-on que « tout le monde » rechignera ? Si la révolution est faite par le peuple et pour le peuple ; si dès le début de ce mouvement, le prolétariat sent que c’est véritablement sa libération que la révolution lui apporte ; s’il est convaincu que ce n’est pas simplement un changement de maîtres qu’il subit, le peuple se dressera unanimement pour défendre sa liberté et sa vie.
Prenons les exemples de l’Histoire : En 1792 quand Brunswick eut adressé à la Convention son insolent ultimatum, y avait-il une armée permanente ?
Que fit la Convention ? Elle décréta « la Patrie en danger » et fit un appel pressant à tous les citoyens pour défendre la Liberté contre les armées des tyrans coalisés. L’appel resta t-il vain ? Que non pas ! De toutes parts, sur les places publiques, des estrades avaient été dressées où l’on inscrivait les volontaires. Il y eut un élan d’enthousiasme indescriptible. En quelques jours, une formidable armée fut sur pied, cette armée de « sans-culotte », ainsi dénommée justement parce qu’elle n’était pas une armée de métier. Les chefs de cette armée de volontaires étaient-ils gens du métier ? Ceux qui en furent : Dumouriez, Moreau, Pichegru, Bonaparte, Bernadotte, finirent tous par trahir la révolution. Mais les Marceau, les Hoche, les Kléber, les Kellermann, les Desaix et autres, étaient-ils des gens rompus à la théorie ? — Non : le plus gradé de tous était sergent d’écurie ! Cette phalange de volontaires pourtant tint tête à toutes les armées étrangères ; mieux : elle les repoussa.
Pourquoi cette armée ne sauva-t-elle pas la révolution d’une façon définitive ? Pour plusieurs raisons.
La première, c’est que la mystique des individus existait encore. Il n’y avait pas bien longtemps que ces « sans-culotte » croyaient en la légende du « bon père, notre Roi ». Ensuite ce furent, leurs députés au corps législatif en qui ils placèrent. leur confiance, puis, enrôlés volontaires, ce fut en leurs généraux. C’est pourquoi nous voulons, dès aujourd’hui, dire hautement que le prolétariat ne se sauvera, que lorsqu’il ne comptera que sur lui-même pour ce faire ; qu’il ne doit pas attendre d’hommes ou de partis son salut, que c’est lui, et lui seul, qui le tient entre ses mains.
La seconde raison, c’est qu’il y avait à la tête de la révolution des hommes politiques ne se préoccupant que de faire prévaloir leurs théories politiques : lutte entre Girondins et Montagnards, d’abord ; lutte entre Montagnards ensuite ; lutte entre Robespierre et Barras après ; et que ces « politiciens » passaient leur temps à s’excommunier, à se lancer des injures, à s’envoyer à la guillotine au lieu de donner tout leur temps à l’unique défense de la République. Pendant qu’ils se livraient à ce travail « d’épuration », les armées de volontaires repoussaient les armées réactionnaires, mieux même : pénétraient à leur tour dans les pays voisins où elles instauraient ce qu’elles croyaient être la Liberté, mais qui n’était que le proconsulat de leurs généraux. Ceux-ci n’eurent pas de peine à devenir bientôt plus populaires que les pourvoyeurs de guillotine. Et quand Bonaparte tenta son coup d’État, il fut approuvé par tout un peuple las de l’incapacité de ceux qu’il avait mis à. sa tête. C’est pourquoi nous disons au peuple que lorsqu’il aura chassé ses maîtres actuels, il lui faudra empêcher que d’autres se mettent à leur place qui ne feraient, comme ceux-ci, que de la besogne de parti et non de classe.
La troisième raison que je veux indiquer, c’est que l’armée, en étant organisée par Carnot, prit figure d’armée permanente avec tous ses cadres, ses états-majors. Et que ces états-majors, ces généraux, avec leurs pouvoirs sur la troupe, entraînèrent celle-ci dans l’aventure napoléonienne qui leur assurait le maintien de leurs grades. C’est pourquoi nous sommes contre tout système militariste qui corrompt les chefs et avachit les subordonnés.
Si cette armée de volontaires avait été organisée sur le plan d’une armée provisoire ; si les sans-culotte étaient, restés, même à l’armée, des hommes ayant tous leurs droits ; si cette armée n’avait été considérée que comme un outil de défense, et si les soldats eux-mêmes avaient été chargés d’élire leurs chefs avec pouvoir de les révoquer ; si ces chefs n’avaient pas été autre chose que des délégués techniques, l’armée des sans-culotte serait restée libertaire, et elle se serait opposée aux factieux, elle se serait licenciée une fois l’ennemi repoussé du territoire, et les soldats seraient redevenus des producteurs ; ils auraient ainsi évité de gagner l’esprit militaire qui les portait à admirer leurs généraux d’abord et leur empereur plus tard.
Autre exemple : En 1871, le peuple de Paris tint deux mois devant les armées de Versailles. Et pourtant, il ne formait pas une armée de métier, il venait, de subir un siège long et déprimant. Pourquoi la Commune sombra-t-elle dans la dernière semaine de mai ?
Parce qu’il y avait un Gouvernement. Les fédérés nommaient eux-mêmes leurs chefs et leurs délégués au Comité Central de la Garde Nationale. Mais, d’autre part, les révolutionnaires qui composaient le Comité Central de la Commune contrecarraient toujours leurs desseins. S’agissait-il de faire une sortie ? La, Commune s’y opposait. Voulait-on détruire la Banque de France ? La Commune mettait son veto. Pendant deux mois ce fut une rivalité navrante entre les deux pouvoirs : civil et militaire. Le pouvoir civil, qui était gouvernement, destituait des généraux, en accusait d’autres de trahison et changeait tous les quinze jours son délégué à la guerre. Et c’est grâce à cette rivalité, qui amena une absence totale de décision dans la lutte, que les Versaillais purent rentrer dans Paris. C’est pourquoi encore nous disons au Peuple qu’il ne doit pas tolérer qu’un Gouvernement s’installe dans la révolution.
Nous aurons, enfin, à défendre la Révolution contre tous les politiciens au faux-nez révolutionnaire qui tenteront, par tous les moyens, d’escamoter la révolution à leur profit ou au profit de leur parti. Dès que la révolution éclatera, il nous faudra lui donner une impulsion libertaire. L’expropriation devra être immédiate. Il nous faudra détruire par le feu toutes les archives, actes notariés, cadastres, titres, valeurs, billets de banque. Tout cela qui constitue la force de l’État et de la propriété devra être anéanti immédiatement. Chaque prolétaire devra être armé. Les combattants seront uniquement des volontaires qui nommeront, eux-mêmes leurs chefs, étant bien entendu que chacun rentrera chez soi dès que le danger aura disparu. Les formations de combattants nommeront leurs délégués au comité de défense révolutionnaire qui n’aura d’autre attribution que cette défense.
Les comités de production et de consommation, sous quelque forme qu’ils soient organisés, sous quelque nom qu’ils soient désignés, auront seuls pouvoir de gérer la production et la consommation. Toute tentative d’instaurer un pouvoir politique ou central quelconque devra être combattue avec acharnement et par tous les moyens comme étant un acte contre-révolutionnaire. Car la révolution ne sera triomphante que du jour où tout danger d’autorité quelconque aura disparu.
Ces formations de combattants volontaires, administrées techniquement, par des chefs nommés uniquement par les combattants et révocables au gré de leurs mandants, auront à charge de défendre la Révolution contre les ennemis du dedans et du dehors. Nous avons confiance dans l’énergie du peuple, une fois que celui-ci se sera révolté et débarrassé de ses maîtres. Nous sommes persuadés que, à la première alerte, au premier appel qui lui sera lancé pour défendre ses conquêtes, il répondra par une levée en masse et que les volontaires seront nombreux, plus que suffisants pour repousser toute attaque des réacteurs de tout poil et de toute étiquette.
Après la Révolution. Et maintenant, faisons une deuxième supposition. Après un nombre de jours, de mois, ou même d’années, de bouleversements, de combats et de tâtonnements, la révolution sociale est enfin triomphante. Ayant repoussé toutes les attaques des réactionnaires du dedans et de l’étranger, déjoué toutes les tentatives d’instauration de pouvoir politique, même dictatorial, même sous l’étiquette prolétarienne, le peuple a enfin instauré une société à base fédéraliste libertaire. La vie s’organise petit à petit, les perfectionnements améliorent de plus en plus les conditions d’existence. Mais les capitalistes vaincus n’ont pas abandonné la partie. Dans l’ombre, avec la complicité des gouvernants voisins (il faut bien admettre qu’il y en aura encore pour pouvoir pousser à fond la démonstration) les capitalistes méditent une agression qui doit leur permettre de reconquérir leurs prérogatives. Au bout d’un certain laps de temps des armées étrangères envahissent une région conquise à la révolution. Alors c’est l’appel au peuple, la levée en masse, la réformation des corps de combattants volontaires. Les batailles sont dures, les volontaires qui ont déjà goûté au mieux-être se battent avec acharnement pour conserver ce mieux-être, pour ne pas retomber en esclavage, et aussi parce qu’ils savent quelle féroce réaction, quelle terreur blanche s’étendrait sur le pays au cas où ils seraient vaincus.
Le même processus d’organisation de défense que pendant la révolution se reproduirait. Y aurait-il besoin de dictature ? Non pas, puisque la première fois on s’en serait passé. Eh bien ! poussons plus loin encore l’hypothèse. Malgré la fougue, la vaillance, l’ardeur du désespoir ; après des combats obstinés, les révolutionnaires sont vaincus par les armes. Les capitalistes rentrent en maîtres dans la France. La révolution a-t-elle dit son dernier mot ? Le prolétariat est-il définitivement écrasé ? Non. Immédiatement les comités de production lancent un ordre de grève générale. Les capitalistes occupent les usines, les mines, les têtes de lignes de chemins de fer, les postes et le télégraphe. Seulement, dès la première bataille, les comités de production, qui avaient prévu la possibilité d’une défaite, avaient donné le conseil à, tous les ouvriers de rester tranquillement chez eux quand les vainqueurs entreraient, de ne plus se rendre au travail et de se tenir prêts à résister à toute invite ou réquisition des capitalistes.
Que pourront donc faire ces derniers devant cette inertie générale ? Prendre eux-mêmes les outils de travail ? Faire venir de la main-d’œuvre étrangère ? Ils seront d’abord obligés, pour conserver le fruit de leur victoire, d’avoir une armée, une police, une gendarmerie considérable. Ils s’occuperont ensuite de se disputer pour le rétablissement des propriétés, tout acte de propriété, toute archive, toute valeur ayant disparu dans les flammes révolutionnaires. La main-d’œuvre étrangère ne sera pas suffisante pour subvenir aux besoins de la production, des services publics, etc. Enverront-ils chercher par la police ou l’armée les ouvriers à. leur domicile ? Chaque ouvrier étant résolu à résister par les armes, au bout d’un certain temps ils devront y renoncer.
Que leur restera-t-il alors à faire ? Tout simplement à repartir d’où ils étaient venus, parce que devant la force d’inertie consciente du prolétariat, ils ne pourront pas profiter de leur victoire. La grève générale, avec résistance armée, aura vaincu les velléitaires d’autorité. Car la grève générale, appliquée consciemment, méthodiquement, est encore le moyen de combat le plus efficace du prolétariat si elle n’est pas lancée pour des fins politiques. Comme on le voit, par cette rapide ébauche, à quelque période qu’on se place de la révolution, on n’a que faire des politiciens, de leurs partis et de leur dictature.
Le prolétariat se défendra, se sauvera tout seul et ira vers sa libération totale sans le secours de ceux qui ont pour métier d’être des profiteurs de révolution. C’est pourquoi il faut affirmer que, seul, est véritablement révolutionnaire celui qui lutte pour l’instauration d’une société fédéraliste-libertaire. Ce n’est pas à coups de décrets qu’on se défend, c’est les armes à la main ! Ce n’est pas avec un Gouvernement qu’on accomplit une révolution ; c’est en les supprimant tous !