Encyclopédie anarchiste/Droits de l’homme - Duel
DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (Déclarations des). On sait que l’Assemblée nationale de 1789 a intitulé Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen l’ensemble des principes qu’elle reconnaissait comme les bases nécessaires de toutes les institutions humaines. Ces droits primitifs, naturels, imprescriptibles, les philosophes les avaient dès longtemps définis : l’Assemblée se bornait à les déclarer.
Aussi bien, l’histoire avait-elle enregistré maintes « déclarations des droits ».
Au Moyen-Age, l’affranchissement des communes avait permis, sous le nom de « reconnaissances » ou de « concessions », de « franchises », d’ « usages », de « privilèges », la confirmation de certains droits acquis antérieurement (vestiges du droit romain ou coutumes locales), et la reconnaissance d’autres droits jusqu’alors réservés à une minorité privilégiée (royauté, noblesse, clergé, particuliers, corps constitués).
Au xvie siècle, la Réforme avait eu, en Angleterre et en Hollande, ses pétitions et ses « déclarations de droits ».
Mais la République des « Insurgents » américains eut l’honneur d’évoquer, la première, les Droits de l’Homme en tête de la Constitution d’un État.
I. Déclaration de 1776 : — La Déclaration de l’Indépendance américaine, rédigée au nom des « Insurgents » par T. Jefferson, J. Adams, B. Franklin, R. Sherman et R.-P.-R. Livingston, fut adoptée à l’unanimité, le 4 juillet 1776, par les représentants des treize colonies unies de l’Amérique du Nord.
Elle rappelait les « droits inaliénables de l’homme » dans les termes que voici :
« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes :
« Tous les hommes sont créés égaux ;
« Ils sont doués par leur créateur de certains droits inaliénables ;
« Parmi ces droits se trouvent : la liberté et la recherche du bonheur.
« Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés.
« Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir, et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. »
La Déclaration américaine fut ainsi la première à fonder la Constitution d’un État sur les bases essentielles de toute démocratie, qui sont la souveraineté nationale et le droit à l’insurrection.
II. Déclaration de 1789 : — La Révolution française — on vient de le voir — n’eût donc ni l’initiative de la Déclaration des Droits de l’Homme, ni la primeur de son utilisation politique.
La Déclaration américaine était connue en France et en Europe dès avant 1789. Certains Cahiers, en particulier les Cahiers de la Noblesse, avaient même exprimé le vœu qu’une déclaration analogue fût rédigée par les États-Généraux qu’on allait réunir. Une Déclaration des Droits à l’usage du peuple français était imposée à l’Assemblée nationale par l’attente de tous les esprits cultivés. Le peuple de Paris allait montrer bientôt qu’il était prêt, au besoin, à l’exiger par la violence.
Le Tiers-État — c’était la bourgeoisie de l’époque — montrait à l’égard des « Droits de l’Homme » beaucoup moins d’enthousiasme que tels nobles idéalistes ou que le populaire excédé par les abus. Sans doute, demandait-il l’abolition des privilèges dont jouissaient, parfois à ses dépens, le roi, les nobles, le clergé. On connaît la brochure célèbre publiée par l’abbé Siéyès, en janvier 1789, et dont le titre résumait les aspirations des bourgeois en trois brèves formules :
« Qu’est-ce que le Tiers-État ? — Tout.
« Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? — Rien.
« Que demande-t-il ? — À y devenir quelque chose. »
Mais ce « quelque chose », sous la plume de Siéyès, n’était qu’une litote : le Tiers, qui croyait être tout dans la nation, voulait devenir tout dans l’État. Il entendait non seulement conserver, mais accroître indéfiniment les avantages matériels déjà considérables que lui avaient acquis des siècles d’une lutte obstinée. Quant aux droits de l’ouvrier, il n’en avait cure. Et lorsque, dix ans plus tard, sous le Directoire, il se trouverait suffisamment « nanti » par les dépouilles des nobles et du clergé, il adhérerait sans vergogne aux propos du cynique Fouché, déclarant qu’il n’y avait plus « qu’à arrêter la marche d’une Révolution désormais sans but, depuis qu’on avait obtenu tous les avantages personnels qu’on pouvait prétendre ». Le Tiers-État voulait faire la Révolution, mais à son bénéfice exclusif.
Ce fut donc malgré l’hostilité plus ou moins avouée du Tiers, que l’Assemblée nationale, entraînée par le comte de Montmorency et par le comte de Castellane, décida de placer en tête de la future Constitution du Royaume, un bref exposé des principes qui devaient en inspirer les dispositions.
La lutte, au sein de l’Assemblée, fut longue. Divers projets avaient été proposés. Le 12 août, la rédaction fut confiée à une Commission de cinq membres. L’un d’eux, le comte de Mirabeau, député du Tiers, quoique noble, présenta le travail commun dans la séance du 17. Mais ce premier projet fut rejeté.
Sur la proposition du marquis de la Paulette, l’Assemblée décida que de nouveaux projets seraient élaborés dans les bureaux. Enfin, après un second débat, la Déclaration, qui avait été repoussée tout d’abord en séance secrète par 28 bureaux sur 30, fut imposée par les tribunes en séance publique et votée à la majorité des voix.
Elle avait eu pour principaux rédacteurs le général marquis de La Fayette, le prince de Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun, l’abbé Siéyès et l’avocat Mounier, député de Grenoble. Elle se compose d’un préambule, œuvre de Mounier, et de 17 articles. Placée en tête de la Constitution du 3–14 septembre 1791, elle resta en vigueur jusqu’à la révolution du 10 août 1792, qui abolit la royauté.
Voici le texte intégral de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :
« Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :
« Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des Droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme :
« Afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ;
« Afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique en soient plus respectés ;
« Afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
« En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les Droits suivants de l’Homme et du Citoyen :
« I. — Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
« II. — Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
« III. — Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
« IV. — La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.
« V. — La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
« VI. — La loi est l’expression de la volonté générale : tous les citoyens ont le droit de concourir, personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.
« VII. — Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis, mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant ; il se rend coupable par la résistance.
« VIII. — La loi ne doit établir que les peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.
« IX. — Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
« X. — Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.
« XI. — La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
« XII. — La garantie des Droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.
« XIII. — Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
« XIV. — Tous les citoyens ont le droit, par eux-mêmes ou par leurs représentants, de constater la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
« XV. — La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
« XVI. — Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution.
« XVII. — La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »
Par cette Déclaration solennelle qui eut en France et en Europe un immense retentissement, l’Assemblée nationale entendait faire table rase de l’ancien régime ; elle voulait, en outre, instituer une société toute nouvelle dont les bases essentielles devaient être la souveraineté nationale, la séparation des pouvoirs, l’égalité et la liberté des citoyens.
La partie négative de cet audacieux programme, celle qui consistait simplement à détruire, l’Assemblée nationale l’exposa dans la Constitution de 1791, en rappelant brièvement les abus qu’elle supprimait :
« L’Assemblée nationale, voulant établir la Constitution française sur les principes qu’elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l’égalité des droits.
« Il n’y a plus ni noblesse ni pairie, ni distinctions, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse, ou qui supposaient des distinctions de naissance ; ni aucune autre supériorité que celle des fonctionnaires publics dans l’exercice de leurs fonctions.
« Il n’y a plus ni vénalité ni hérédité d’aucun office public.
« Il n’y a plus, pour aucune partie de la nation ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Français.
« Il n’y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers.
« La loi ne reconnaît plus ni vœux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution. »
L’œuvre positive définie par la Déclaration de 1789 embrassait tous les droits dont l’Assemblée nationale entendait garantir la jouissance aux citoyens français.
On en trouve le plan général au titre I de la Constitution de 1791, intitulé : « Dispositions fondamentales garanties par la Constitution » :
« La Constitution garantit, comme droits naturels et civils :
« 1o Que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents ;
« 2o Que toutes les contributions seront réparties entre tous les citoyens également, en proportion de leurs facultés ;
« 3o Que les mêmes délits seront punis des mêmes peines, sans aucune distinction de personne.
« La Constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils :
« La liberté à tout homme d’aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté ni détenu que selon les formes déterminées par la Constitution ;
« La liberté à tout homme de parler, d’écrire, d’imprimer et publier ses pensées, sans que ses écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d’exercer le culte religieux auquel il est attaché ;
« La liberté aux citoyens de s’assembler paisiblement et sans armes en satisfaisant aux lois de police ;
« La liberté d’adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement.
« Le pouvoir législatif ne pourra faire aucune loi qui porte atteinte et mette obstacle à l’exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre et garantis par la Constitution. Mais comme la liberté ne consiste qu’à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui, ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre les actes qui, attaquant, ou la sûreté publique, ou les droits d’autrui, seraient nuisibles à la société.
« La Constitution garantit l’inviolabilité des propriétés ou la juste et préalable indemnité de celles dont la nécessité publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice.
« Les biens destinés aux dépenses du culte et à tous services d’utilité publique appartiennent à la nation, et sont dans tous les temps à sa disposition.
« La Constitution garantit les aliénations qui ont été ou qui seront faites suivant les formes établies par la loi.
« Les citoyens ont le droit d’élire ou choisir les ministres de leurs cultes.
« Il sera créé et organisé un établissement général de secours publics pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes et fournir du travail aux pauvres valides qui n’auraient pas pu s’en procurer.
« Il sera créé et organisé une instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard des parties d’enseignement indispensable pour tous les hommes, et dont les établissements seront distribués graduellement dans un rapport combiné avec la division du royaume.
« Il sera établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens, et les attacher à la Constitution, à la patrie et aux lois.
« Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume. »
Qu’est-il advenu de ces projets grandioses ? On peut, sans trop d’impertinence, poser aujourd’hui la question. On sait, en effet, qu’après un siècle et demi de luttes politiques, d’émeutes sanglantes et d’inutiles révolutions, les citoyens français attendent encore la réalisation de leurs droits. Le sublime idéal de 1789 a reçu de l’historien un cruel démenti. Mais son échec était fatal. Les grands révolutionnaires, ceux du moins qui gardaient la foi dans l’œuvre entreprise, avaient fait, selon le mot de l’un d’entre eux, « un pacte avec la mort ». Ils ne pouvaient, hélas ! contraindre la victoire. On ne transige pas avec la ruse, la peur, l’hypocrisie, la trahison !… Mais si le succès leur échappa, ils tinrent leur serment et surent mourir.
Il ne faut point leur imputer à crime d’avoir conçu une Cité de rêve, comme si les lois de l’État suffisaient à réformer les mœurs. Maîtres de leurs pensées, ils les voulurent idéalement belles. Mais le cœur des ambitieux leur échappait, où régnait l’égoïsme, le seul tyran qu’on ne pût « raccourcir ». Ils eurent l’honneur, et ce sera leur gloire, de tracer l’ébauche d’une société moins inique, laissant à l’avenir la tâche peut-être surhumaine de l’édifier, pierre après pierre, dans la douleur et dans l’effort.
La Déclaration de 1789 a inspiré à des degrés divers toutes les Constitutions françaises jusques et y compris la Constitution bonapartiste de 1852. Des rédactions différentes en furent parfois adoptées. Nous croyons intéressant de les mentionner ici.
III. Déclaration de l’An I (ou de 1793). — Dès les premières séances de la Convention nationale, une Commission fut chargée de préparer un projet de Constitution de la République. L’élément girondin y dominait. Elle comprenait : Siéyès, Thomas Payne, Brissot, Pétion, Vergniaud, Gensonné, Barère, Danton et Condorcet, avec Barbaroux, Fauchet et quelques autres pour suppléants. Condorcet présenta son rapport les 15 et 16 février 1793. Mais la lutte engagée entre la Montagne et la Gironde ne permit pas à l’Assemblée de le discuter.
Après la chute des Girondins, le Comité de Salut public, auquel on adjoignit cinq membres, reçut la mission de rédiger un nouveau projet.
Hérault de Séchelles en fut le principal rédacteur. Élaboré en six jours, amendé et adopté par le Comité en une séance, le projet de Constitution fut présenté à la Convention le 10 juin et voté le 24. Ébauche improvisée pour les besoins d’une crise politique, la Constitution de 1793 fut appelée plaisamment par son auteur Hérault de Séchelles « un impromptu républicain ». Siéyès ne voulait y voir qu’ « une table des matières ».
Soumise avec la Déclaration qui lui servait de préambule à la ratification des Assemblées primaires, elle fut acceptée par le corps électoral. Mais elle ne put être appliquée. Le 10 octobre 1793, l’Assemblée décréta que « le Gouvernement provisoire de la France serait révolutionnaire jusqu’à la paix » et que « la Convention serait elle-même le centre unique du Gouvernement ».
La Déclaration de 1793 resta donc lettre morte, comme la Constitution dont elle n’était que la préface.
Voici le texte de cette Déclaration :
« Le peuple français, convaincu que l’oubli et le mépris des Droits naturels de l’Homme sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables ;
« Afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du Gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie ;
« Afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de la liberté et de son bonheur ; le magistrat, la règle de ses devoirs ; le législateur, l’objet de sa mission.
« En conséquence, il proclame en présence de l’Être suprême la déclaration suivante des Droits de l’Homme et du Citoyen :
« I. — Le but de la société est le bonheur commun ! Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles.
« II. — Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété.
« III. — Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.
« IV. — La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale ; elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ; elle ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la société ; elle ne peut défendre que ce qui lui est nuisible.
« V. — Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics. Les peuples libres ne connaissent d’autres motifs de préférence, dans leurs élections, que les vertus et les talents.
« VI. — La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui : elle a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait.
« VII. — Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes ne peuvent être interdits.
« La nécessité d’énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme.
« VIII. — La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés.
« IX. — La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent.
« X. — Nul ne doit être accusé, arrêté ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. Tout citoyen, appelé ou saisi par l’autorité de la loi, doit obéir à l’instant ; il se rend coupable par la résistance.
« XI. — Tout acte exercé contre un homme hors des cas et sans les formes que la loi détermine, est arbitraire et tyrannique ; celui contre lequel on voudrait l’exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force.
« XII. — Ceux qui solliciteraient, expédieraient, signeraient, exécuteraient ou feraient exécuter des actes arbitraires sont coupables et doivent être punis.
« XIII. — Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
« XIV. — Nul ne doit être jugé et puni qu’après avoir été entendu ou légalement appelé, et qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement au délit. La loi qui punirait des délits commis avant qu’elle existât, serait une tyrannie ; l’effet rétroactif donné à la loi serait un crime.
« XV. — La loi ne doit décerner que des peines strictement et évidemment nécessaires : les peines doivent être proportionnées au délit et utiles à la société.
« XVI. — Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
« XVII. — Nul genre de travail, de culture, de commerce, ne peut être interdit à l’industrie des citoyens.
« XVIII. — Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre, ni être vendu ; sa personne n’est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnaît pas de domesticité ; il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie.
« XIX. — Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété, sans son consentement, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
« XX. — Nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à l’établissement des contributions, d’en surveiller l’emploi et de s’en faire rendre compte.
« XXI. — Les secours publics sont une dette sacrée. La Société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
« XXII. — L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens.
« XXIII. — La garantie sociale consiste dans l’action de tous pour assurer à chacun la jouissance et la conservation de ses droits ; cette garantie repose sur la souveraineté nationale.
« XXIV. — Elle ne peut exister, si les limites des fonctions publiques ne sont pas clairement déterminées par la loi, et si la responsabilité de tous les fonctionnaires n’est pas assurée.
« XXV. — La souveraineté réside dans le peuple ; elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable.
« XXVI. — Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais chaque section du souverain assemblé doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté.
« XXVII. — Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres.
« XXVIII. — Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.
« XXIX. — Chaque citoyen a un droit égal de concourir à la formation de la loi et à la nomination de ses mandataires ou de ses agents.
« XXX. — Les fonctions publiques sont essentiellement temporaires ; elles ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs.
« XXXI. — Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.
« XXXII. — Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique ne peut, en aucun cas, être interdit, suspendu ni limité.
« XXXIII. — La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.
« XXXIV. — Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.
« XXXV. — Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
IV. Déclaration de l’An III (ou de 1795). — Le 17 Floréal An III (6 mai 1795), la grande « Terreur » étant close, la Convention nomma une commission pour réviser les lois révolutionnaires. Cette commission comprenait onze membres : Lesage (d’Eure-et-Loir), Daunou, Boissy d’Anglas, Creuze, Latouche, Berlier, Louvet, La Réveillère-Lépeaux, Lanjuinais, Durand-Maillane, Baudin (des Ardennes) et Thibaudeau. Elle rejeta unanimement la Constitution de 1793 dont certaines dispositions paraissaient, aux réacteurs de l’époque, « contraires à l’ordre social ».
Le 5 Messidor An III (23 juin 1795), Boissy d’Anglas présenta un projet à la Convention qui, après une longue discussion, adopta le texte définitif le 5 Fructidor (22 août 1795).
Soumise à l’approbation du corps électoral, la Constitution de 1795 fut acceptée par 914.853 voix contre 41.892. Elle était précédée de la Déclaration que voici :
« Le peuple français proclame, en présence de l’Être Suprême, la déclaration suivante des Droits et des Devoirs de l’Homme et du Citoyen :
« I. — Les Droits de l’Homme en société sont la liberté, l’égalité, la sûreté, la propriété.
« II. — La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui.
« III. — L’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. L’égalité n’admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoir.
« IV. — La sûreté résulte du concours de tous pour assurer les droits de chacun.
« V. — La propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
« VI. — La loi est la volonté générale exprimée par la majorité ou des citoyens, ou de leurs représentants.
« VII. — Ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché. Nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
« VIII. — Nul ne peut être appelé en justice, accusé, arrêté ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi et selon les formules qu’elle a prescrites.
« IX. — Ceux qui sollicitent, expédient, signent, exécutent ou font exécuter des actes arbitraires, sont coupables et doivent être punis.
« X. — Toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de la personne d’un prévenu doit être sévèrement réprimée par la loi.
« XI. — Nul ne peut être jugé qu’après avoir été entendu ou légalement appelé.
« XII. — La loi ne doit prononcer que des peines strictement nécessaires et proportionnées au délit.
« XIII. — Tout traitement qui aggrave la peine déterminée par la loi est un crime.
« XIV. — Aucune loi, ni criminelle, ni civile, ne peut avoir d’effet rétroactif.
« XV. — Tout homme peut engager son temps et ses services ; mais il ne peut ni se vendre ni être vendu ; sa personne n’est pas une propriété aliénable.
« XVI. — Toute contribution est établie pour l’utilité générale. Elle doit être répartie entre les contribuables en raison de leurs facultés.
« XVII. — La souveraineté réside essentiellement dans l’universalité des Citoyens.
« XVIII. — Nul individu, nulle réunion partielle de citoyens ne peut s’attribuer la souveraineté.
« XIX. — Nul ne peut, sans une délégation légale, exercer aucune autorité, ni remplir aucune fonction publique.
« XX. — Chaque citoyen a un droit égal de concourir, immédiatement ou médiatement, à la formation de la loi, à la nomination des représentants du peuple et des fonctionnaires publics.
« XXI. — Les fonctions publiques ne peuvent devenir la propriété de ceux qui les exercent.
« XXII. — La garantie sociale ne peut exister, si la division des pouvoirs n’est pas établie, si leurs limites ne sont pas fixées et si la responsabilité des fonctionnaires publics n’est pas assurée.
« I. — La déclaration des Droits contient les obligations des législateurs ; le maintien de la société demande que ceux qui la composent connaissent et remplissent également leurs Devoirs.
« II. — Tous les Devoirs de l’Homme et du Citoyen dérivent de ces deux principes gravés par la nature dans tous les cœurs : ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît ; faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir.
« III. — Les obligations de chacun envers la société consistent à la défendre, à la servir, à vivre soumis aux lois et à respecter ceux qui en sont les organes.
« IV. — Nul n’est bon citoyen s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux.
« V. — Nul n’est homme de bien s’il n’est franchement et religieusement observateur des lois.
« VI. — Celui qui viole ouvertement les lois se déclare en état de guerre envers la société.
« VII. — Celui qui, sans enfreindre ouvertement les lois, les élude par ruse ou par adresse, blesse les intérêts de tous ; il se rend indigne de leur bienveillance et de leur estime.
« VIII. — C’est sur le maintien des propriétés que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail et tout l’ordre social.
« IX. — Tout citoyen doit ses services à la patrie et au maintien de la liberté, de l’égalité et de la propriété, toutes les fois que la loi l’appelle à les défendre. »
V. Déclaration de 1848. — La Constitution républicaine de 1848 avait été rédigée par une commission qui comprenait MM. de Cormenin, Marrast, rapporteur ; Lamennais, Vivien, de Tocqueville, Dufaure, Martin (de Strasbourg), Coquerel, Corbon, Thouret, Woirhaye, Dupin, Gustave de Beaumont, de Vaulabelle, Odilon Barrot, Pagès (de l’Ariège), Dornès et Victor Considérant.
Elle fut votée le 4 et promulguée le 12 novembre. Elle était précédée d’une Déclaration des Droits ainsi libellée :
« En présence de Dieu et au nom du peuple français, l’Assemblée Nationale proclame :
« I. — La France s’est constituée en République. En adoptant cette forme définitive de gouvernement, elle s’est proposé pour but de marcher plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation, d’assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la Société, d’augmenter l’aisance de chacun par la réduction graduée des dépenses publiques et des impôts et de faire parvenir tous les citoyens, sans nouvelle commotion, par l’action successive et constante des institutions et des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être.
« II. — La République Française est démocratique, une et indivisible.
« III. — Elle reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives.
« IV. — Elle a pour principes la liberté, l’égalité, la fraternité. Elle a pour bases la famille, le travail, la propriété, l’ordre public.
« V. — Elle respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne, n’entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n’emploie jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple.
« VI. — Des devoirs réciproques obligent les citoyens envers la République et la République envers les citoyens.
« VII. — Les citoyens doivent aimer la patrie, servir la République, la défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l’État en proportion de leur fortune ; ils doivent s’assurer, par leur travail, des moyens d’existence, et, par la prévoyance, des ressources pour l’avenir ; ils doivent concourir au bien-être commun en s’entr’aidant fraternellement les uns les autres et à l’ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l’individu.
« VIII. — La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail et mettre à la portée de chacun l’instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler.
« En vue de l’accomplissement de tous ces devoirs, et pour la garantie de tous ces droits, l’Assemblée nationale, fidèle aux traditions des grandes Assemblées qui ont inauguré la Révolution française, décrète, ainsi qu’il suit, la Constitution de la République… »
VI. La Déclaration de 1789, comme celles qui furent inspirées par le même idéal, a eu sur la mentalité du peuple français une influence durable et profonde dont il convient d’apprécier impartialement les effets.
Elle produisit un phénomène de vertige mental. Jusqu’en 1789, en effet, on n’avait défendu ou revendiqué en France que des « droits particuliers », « concrets », « limités » à « certains individus » ou à « certaines collectivités » : c’étaient les droits des nobles, les droits des clercs, les droits des gens de robe, les droits des bourgeois ou des marchands (quincailliers, bouchers, boulangers, corroyeurs, etc.) ; c’étaient aussi, mais les plus négligés de tous, les droits des ouvriers, des « compagnons ».
Disciples des « philosophes », les révolutionnaires de 1789 et des Assemblées suivantes considérèrent, non plus tel ou tel citoyen, telle ou telle collectivité d’individus, clairement et spécifiquement désignés, qu’on pouvait coudoyer tous les jours dans les rues, de qui on connaissait les besoins, les aptitudes et les aspirations, mais l’ « homme », l’homme tout court, c’est-à-dire une entité abstraite, sans nom, sans rôle social défini, un être de raison que personne n’avait rencontré nulle part.
Cette généralisation, pour excessive qu’elle fût, avait, au point de vue spéculatif, l’avantage de supprimer radicalement les classifications établies. Elle affola les imaginations. Un délire sacré s’empara des esprits. Un fanatisme d’un genre inconnu gonfla les cœurs. Dès lors, la politique parut ignorer les cas d’espèce. Elle ne s’intéressa plus qu’à l’universalité des humains, pris en bloc, à tous les hommes de toutes les conditions, de tous les peuples, de toutes les races, de toutes les couleurs, de tous les temps. Ce fut sublime et enfantin. Les politiciens, en quête de fructueux mandats électoraux et de grasses prébendes officielles, s’emparèrent des « droits imprescriptibles » comme fait le chasseur d’un miroir à alouettes et, à l’aide de vagues promesses, de formules pompeuses mais vides, où les « principes immortels » revenaient comme un leit-motiv, ils dupèrent, pendant plus d’un siècle, le peuple, qui semblait fasciné. Devant l’urne électorale, on ne fut plus serrurier, maçon, couvreur, mais « citoyen ». Au lieu de militer pour ses intérêts personnels, on s’enflamma pour l’idéologie des « clubs », des comités. On fut républicain ou monarchiste, clérical ou laïque, radical ou opportuniste, socialiste ou communiste, libéral ou fasciste. L’ex-compagnon boucher négligea ses droits de boucher ; l’ex-compagnon zingueur délaissa ses droits de zingueur ; l’ex-compagnon charron passa condamnation de ses droits de charron. L’ouvrier, frustré mais aveuglé, sembla préférer des théories générales à ses intérêts corporatifs immédiats. On se passionna pour des mythes ; on se battit pour des chimères ; on mourut pour des abstractions. Les Français, Don Quichottes éternels, que les croisades avaient promus jadis « soldats de Dieu », devinrent, par la grâce des « Droits de l’Homme », les « soldats de la liberté ». Leur devise fut : « La fraternité ou la mort ! » Ils semèrent de leurs os les champs de bataille du monde. Leurs sacrifices, pourtant, restaient vains. Ils sapaient les « abus » ; mais sur leurs cadavres immolés à la justice, les abus renaissaient aussi nombreux, avec de nouveaux noms. Ils proclamaient les « immortels principes » ; mais, eux disparus, les « droits » qu’ils avaient consacrés de leur sang étaient « soigneusement roulés dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts ». Durant plus d’un siècle, des millions de Français — des ouvriers, pour la plupart — moururent pour l’idéal. Quant au profit, ce fut le bourgeois qui l’obtint.
En effet, tandis que les champions de l’idée pure succombaient sans retour, l’ex-maître boucher, l’ex-maître zingueur, l’ex-maître charron, le bourgeois, le « patron », n’oubliait point ses anciennes « franchises » et, par tous les moyens, s’efforçait de les rétablir. Dans la société issue de la Révolution, la noblesse, le clergé avaient perdu leurs privilèges. Et c’était justice. Mais le bourgeois — c’est-à-dire le propriétaire, le commerçant, l’industriel, le financier, surtout — désormais tout puissant, régnait sans contrôle sur la cité nouvelle.
On connaît le piquant tableau qu’a tracé de la France républicaine la plume acérée d’Anatole France :
« L’État pingouin était démocratique, trois ou quatre compagnies financières y exerçaient un pouvoir plus étendu et surtout plus effectif et plus continu que celui des ministres de la République, petits seigneurs qu’elles gouvernaient secrètement, qu’elles obligeaient, par intimidation ou par corruption, à les favoriser aux dépens de l’État, et qu’elles détruisaient par les calomnies de la Presse, quand ils restaient honnêtes. » (L’Île des Pingouins, p. 243.)
« Le nouvel État reçut le nom de chose publique, ou République. Ses partisans étaient appelés républicanistes ou républicains. On les nommait aussi chosards et, parfois, fripouilles ; mais ce dernier terme était pris en mauvaise part.
La démocratie pingouine ne se gouvernait point par elle-même ; elle obéissait à une oligarchie financière qui faisait l’opinion par les journaux et tenait dans sa main les députés, les ministres et le président. Elle ordonnait souverainement des finances de la République et dirigeait la politique extérieure du pays. » ( « L’Île des Pingouins », p. 173.)
Le témoignage d’un auteur sceptique, mais averti, semblerait-il suspect ? Détachons de la revue démocratique Les Cahiers des Droits de l’Homme, organe officiel de la Ligue du même nom, l’exergue suivant qui contient un aveu à retenir :
« Les Droits de l’Homme sont-ils proclamés ? Oui.
« Sont-ils appliqués ? Non. »
Ce désintéressement total des pouvoirs publics français à l’égard des Droits de l’Homme ne doit pas surprendre outre mesure. La Constitution de 1875, qui régit présentement l’État français, ignore, en effet, officiellement les Droits de l’Homme et du Citoyen.
Faut-il conclure de cette ignorance officielle — qui fut certainement volontaire, de la part de nos derniers « constituants » — qu’une loi française peut, sans violer la Constitution, attenter aux Droits de l’Homme ? M. Léon Duguit, professeur de droit international à la Faculté de Bordeaux, a répondu négativement à cette question redoutable :
« La Constitution de 1875, a-t-il écrit, est la seule des Constitutions françaises où l’on ne trouve aucune mention, aucun rappel des droits inscrits dans la Déclaration de 1789. Dans ces conditions, on peut se demander si les règles de la Déclaration des Droits de 1789 ont cessé d’avoir force légale, positive, et si le Parlement pourrait, à l’heure actuelle, faire des lois portant atteinte aux droits naturels, individuels, de l’homme, sans violer les dispositions fondamentales de notre droit public ? Nous répondons : non, sans hésiter, et nous croyons fermement que toute loi contraire aux termes de la Déclaration des Droits de 1789 serait une loi inconstitutionnelle. (Léon Duguit : Manuel de droit constitutionnel, Paris 1918, p. 228.)
M. Léon Duguit « croit » qu’il en est ainsi. Mais il ne propose aucune raison à l’appui de sa « croyance ». Autant dire qu’elle ne vaut rien.
La question qui se pose, en fait, à l’heure présente, est celle-ci : Les Droits de l’Homme sont-ils respectés dans la législation française ? On sait que non.
Les lois injustes qu’on maintient en vigueur, les pratiques abusives auxquelles on reconnaît force de loi sont-elles inconstitutionnelles par cela seul qu’elles sont injustes ? On aimerait en être assuré, et pour chacune d’elles, par les juristes qui, « faisant autorité » dans les prétoires, inspirent aux juges leurs arrêts. Car les dispositions législatives et les pratiques administratives ou policières qui violent les Droits de l’Homme sont en France plus nombreuses qu’on ne le croit communément.
Tels sont, pour ne citer que les plus révoltants de ces « abus légaux » :
1o L’article 75 de la Constitution de l’An VIII, qui décide que les « agents du gouvernement, autres que les ministres ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leur fonction, qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État ». Cet article, instituant, en fait, l’irresponsabilité professionnelle des fonctionnaires de l’État, est en opposition avec les articles XV de la Déclaration de 1789 ; XXXI de la Déclaration de 1793 et XXII de la Déclaration de 1795 ;
2o L’article 10 du Code d’instruction criminelle qui arme les préfets des attributions les plus redoutables du pouvoir judiciaire, comme, par exemple, du droit de « se saisir eux-mêmes, en tous les cas, pour les crimes ou délits, flagrants ou non flagrants, pour les délits politiques comme pour les délits de droit commun » de délivrer des mandats, de faire arrêter et détenir, d’opérer des perquisitions et des saisies, de procéder à des interrogatoires, de faire, en un mot, tout ce que peuvent les juges « sauf prononcer eux-mêmes la condamnation. » (G. Clémenceau, Journal officiel, séance du 16 décembre 1904, et Garçon, Revue Pénitentiaire, 1901.) Cet article viole le principe de la séparation des pouvoirs énoncés dans l’article XVI de la Déclaration de 1879 ;
3o La pratique des arrestations dites « administratives » qui s’exerce à l’égard des voyageurs sans passeport, des filles publiques et des aliénés ou prétendus tels. (Loi du 30 juin 1838) ;
4o Les arrestations injustifiées et les détentions préventives, opérées par l’ordre de magistrats ineptes ou trop zélés et prolongées sans motif valable.
Il nous serait aisé d’allonger cette liste indéfiniment en citant les actes arbitraires, les passe-droits et les injustices caractérisées commises quotidiennement sur tout le territoire français. (Voir, sur ce sujet passionnant, l’article Droits de l’Homme (Ligue française pour la défense des).
Devant cette carence indéniable et systématique des gouvernements, insoucieux d’assurer la séparation des pouvoirs et le respect des droits individuels, les pensées libres ont le devoir d’en appeler aux principes formulés dans les Déclarations des Droits. Ces principes, qui sont la garantie suprême des individus contre l’État oublieux de la mission qu’il s’est donnée, nous tenons à les reproduire au terme de cet article, comme la plus logique et la plus opportune conclusion :
« XVI. — Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. » (1789.)
« XXXIII. — La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.
« XXXIV. — Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.
« XXXV. — Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » (1793.)
À chaque citoyen d’y recourir, dans toute la mesure efficace et selon les possibilités du moment. — Henri Beauvois.
DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (Ligue française pour la défense des). I. But de la Ligue : La Ligue française pour la défense des Droits de l’Homme et du Citoyen a été constituée, à Paris, le 4 juin 1898. L’action immédiate que se proposaient ses fondateurs (Ludovic Trarieux, Francis de Pressensé, Ferdinand Buisson, Gabriel Séailles, etc.), c’était, avant tout, la révision de l’affaire Dreyfus. Mais, dès leur premier manifeste, ils affirmèrent :
1o Que la Ligue s’appliquerait à faire vivre dans les mœurs et à réaliser dans les lois les principes de la Révolution française ;
2o Que toute personne dont le droit serait violé trouverait désormais auprès d’elle assistance et conseil. C’est vers ces deux buts que, sans arrêt ni défaillance, elle a tendu ses efforts.
II. L’œuvre de la Ligue en France : Depuis bientôt trente ans, par ses publications, par ses meetings, par ses interventions auprès des ministres et du Parlement, elle a tenu la conscience publique en éveil ; elle a combattu les conseils de guerre, les bagnes d’Afrique, le code militaire, les lois injustes ; elle a dénoncé les brutalités policières, les mensonges de la raison d’État, le scandale des instructions sommaires et des jugements de haine, les attentats à la liberté de pensée ; elle a défendu la légalité contre l’arbitraire des pouvoirs publics et contribué à redresser la législation française dans le sens de l’équité.
On connaît les campagnes retentissantes qu’elle a menées en France à l’occasion des affaires Dreyfus, Caillaux, Malvy. Grâce à la Ligue, Péan, N’Guyen Van De, soldats innocents, condamnés au bagne, ont été libérés ; grâce à la Ligue, la mémoire des lieutenants Herduin, Millant, du sergent Mercey, des soldats Maillet, Loiseau, Bersot, Santer, Gonsard, des civils Copie, Strimelle, Mertz, fusillés ; du lieutenant Louis Marty mort interné pendant la guerre de 1914 à 1918, a été réhabilitée.
On connaît moins la série innombrable des petits combats qu’elle livre tous les jours, dans tous les départements ministériels, en faveur des plus humbles victimes : étrangers menacés d’expulsion, pour qui elle obtient des permis de séjour ; fonctionnaires arbitrairement déplacés ou révoqués, à qui elle fait rendre leur emploi ; militaires ou civils injustement condamnés, qu’elle fait réhabiliter.
« Redresseuse de torts » inlassable mais impartiale, elle se place au-dessus des sectes politiques et religieuses. Elle n’admet comme adhérents que les démocrates attachés aux principes de la Révolution française ; mais elle intervient pour toutes les victimes de l’injustice, quels que soient leur parti, leurs tendances, leurs antécédents.
Elle est intervenue, naguère, en faveur d’officiers catholiques, frappés disciplinairement pour être allés à la messe en uniforme ; puis, pour des pasteurs protestants molestés à Madagascar ; plus récemment, pour des instituteurs et des institutrices brimés à cause de leurs opinions. Elle est intervenue de même en faveur des condamnés de droit commun mis au ban de la société. Elle a mené campagne pour des communistes faussement inculpés de « complots ». Maintes fois, elle a pris la défense des militants libertaires. On n’a pas oublié les émouvants plaidoyers de Ferdinand Buisson, de Victor Basch, d’Henri Guernut, de Maurice Viollette, de Séverine, au procès de Germaine Berton. Après plusieurs démarches, elle a obtenu la libération anticipée d’E. Armand, condamné en 1918, par le conseil de guerre de Grenoble, à 5 ans de prison pour « complicité de désertion ». On connaît ses interventions en faveur de Sacco et de Vanzetti, condamnés à mort par la justice des États-Unis d’Amérique.
La Ligue, on le voit, par ces quelques exemples, ne fait point acception de personnes ; quiconque souffre l’injustice, qu’il se nomme Joseph Caillaux ou le bagnard no X…, par cela seul qu’il souffre l’injustice, est son client.
III. L’œuvre de la Ligue à l’extérieur : Les mêmes principes de justice et d’impartialité inspirent l’action de la Ligue à l’extérieur. Dans ses congrès, dans ses meetings, elle affirme que les nations, comme les individus, sont des personnes morales et que chaque peuple a des droits dont le respect s’impose à tous les autres.
Dès 1916, avant même que le Président Wilson l’eût rappelé dans ses propositions, la Ligue des Droits de l’Homme avait défendu le Droit des Peuples et demandé l’organisation d’une Société des Nations, fondée sur la justice et l’équité.
On n’a pas oublié ses campagnes pour l’Arménie et pour la Finlande. Dès le début de la guerre, elle revendiqua le droit à l’indépendance pour la Pologne, pour la Tchéco-Slovaquie, pour la Yougo-Slavie, pour toutes les nationalités opprimées.
Éprise d’impartiale justice, elle a défendu les populations en difficultés avec les Alliés ou avec la France : Irlande, Égypte, Albanie, Annamites, Indigènes de l’Afrique du Nord. Elle avait protesté, jadis, contre l’oppression de la Finlande par le gouvernement des tsars. Elle a protesté, depuis la révolution russe, contre l’invasion de la Géorgie par le gouvernement des Soviets.
La Ligue veut être, par-dessus tout, une Ligue de la Paix. Elle ne peut admettre qu’un État ait le droit de se faire justice par la force. Convaincue que la guerre, tout comme le pillage et l’assassinat, est un crime de droit commun, elle mène campagne depuis plus de vingt ans pour que les conflits internationaux, comme les différends des particuliers, soient réglés juridiquement, c’est-à-dire pacifiquement. Elle demande, pour la Société des Nations, le droit de poursuivre les manquements au pacte international et le pouvoir d’en châtier les auteurs.
« Point de justice sans réparation des injustices, a écrit Ferdinand Buisson, président d’honneur de la Ligue française, point de réparation des injustices sans une juste sentence des tribunaux autorisés à la rendre ; point de juges et de jugement possibles sans une Société des Nations qui prête main-forte à la justice et qui dispose souverainement des sanctions nécessaires pour faire exécuter ses justes décisions. »
IV. La Ligue Internationale des Droits de l’Homme : En vue d’organiser à l’extérieur l’œuvre de justice et de paix, la Ligue française des Droits de l’Homme a créé ou facilité la fondation, pour les autres nations, de plusieurs Ligues-sœurs. C’est ainsi que des Ligues des Droits de l’Homme, indépendantes dans leur action mais animées du même idéal et s’inspirant des mêmes méthodes, ont été constituées pour les pays suivants :
Albanie, Allemagne, Angleterre, Arménie, Autriche, Belgique, Bulgarie, Dantzig, Espagne, Géorgie, Grèce, Haïti, Hongrie, Italie, Luxembourg, Portugal, Pologne, Roumanie, Russie, Tchéco-Slovaquie.
Une Fédération, dont le siège est à Paris, leur sert d’agent de liaison sous le nom de « Ligue Internationale des Droits de l’Homme et du Citoyen ». Mme Ménard-Dorian en est la secrétaire générale.
Le IIIe Congrès de la Ligue Internationale des Droits de l’Homme, réuni à Bruxelles, les 26 et 27 juin 1926, a étudié plus spécialement la Constitution des États-Unis d’Europe dans l’esprit et dans le cadre de la Société des Nations.
V. Publications de la Ligue française : Au cours de ses campagnes, la Ligue française des Droits de l’Homme a édité une importante bibliothèque formée de nombreux tracts, brochures, comptes rendus sténographiques de Congrès. Nous en donnons ci-après un aperçu très sommaire.
Depuis 1900, elle publie régulièrement un Bulletin Officiel, devenu en 1920 une revue bi-mensuelle de grand format sous le titre : Les Cahiers des Droits de l’Homme. C’est, à l’usage des militants de la démocratie française, une source d’informations documentaires et un organe de combat.
VI. Administration de la Ligue française : La Ligue française des Droits de l’Homme, dont le siège est à Paris, 10, rue de l’Université (7e), comprend plus de 130.000 ligueurs, groupés en 1.800 sections locales et en 81 fédérations départementales.
Elle est administrée par un Comité Central élu par l’ensemble des ligueurs à la majorité absolue.
Tous les ans, un Congrès national contrôle l’action du Comité Central au cours de l’exercice écoulé, précise la doctrine de la Ligue sur les questions à l’ordre du jour et formule, pour l’année suivante, les directives que devront suivre ses militants.
Elle a eu successivement pour présidents :
MM. Ludovic Trarieux (1898-1903), Francis de Pressensé (1903-1914), Ferdinand Buisson (1914-1926), Victor Basch.
Le Bureau du Comité Central pour 1927 est ainsi composé : MM. Victor Basch, président ; A. Aulard, C. Bouglé, A.-Ferdinand Hérold, Mme Ménard-Dorian, Paul Langevin, vice-présidents ; Henri Guernut, secrétaire général ; Alfred Westphal, trésorier général.
M. Victor Basch, élu président le 15 novembre 1926, a rappelé dans les Cahiers du 25 novembre les buts de la Ligue et défini en ces termes quelle doit être son action dans l’avenir :
« Défendre le droit des individus, à quelque parti qu’ils appartiennent, à quelque degré de la hiérarchie sociale qu’ils soient placés, et le défendre avec d’autant plus d’énergie que ce degré est plus humble ; — faire rendre au Droit, tel qu’il est inscrit dans la Loi, tout son suc de justice et travailler incessamment à adapter cette Loi à la réalité sociale et à la faire plus clémente et plus humaine ; — défendre le droit des peuples, de tous les peuples » à disposer librement d’eux-mêmes, à se développer librement, à harmoniser leur développement avec celui des autres peuples, de tous les autres peuples ; travailler passionnément à la cause sacrée de la paix ; — défendre inlassablement la démocratie ; défendre, dans cette démocratie, ce qui est conforme au fond dernier, au fond sacré de la personne morale et sociale, mais combattre inlassablement aussi la démagogie, qui n’est que la caricature de la démocratie vraie ; — défendre les droits de l’enfant et de la femme et prêter plus d’attention aux problèmes sociaux et donner aux concepts de liberté et d’égalité toute leur valeur et toute leur portée — voilà la mission de la Ligue.
« Elle est belle, elle est noble, elle est digne que l’on vive et que l’on agisse pour elle. Pour que nous puissions l’accomplir dans toute sa pureté, il faut que nous sauvegardions la Ligue de toute compromission avec la politique. La Ligue, nous l’avons dit, est à la pointe de la démocratie, elle en est la gardienne vigilante, la conscience vivante et organisée, une conscience, nous l’avons dit aussi, qui ne doit pas être inerme, qui ne doit pas se contenter de déplorer le mal quand il est fait, mais qui doit le prévenir et, quand il est là, le combattre jusqu’à ce qu’il soit terrassé.
« En ce sens, la Ligue fait de la politique et doit en faire. Mais en ce sens seulement. Tout ce qui touche à la politique proprement dite, à la lutte des partis, aux batailles électorales, tout ce qui serait une dérogation à ses principes en faveur d’un gouvernement même ami, doit lui rester étranger. Rappelons-nous le suprême conseil qu’à son lit de mort, nous a donné notre cher Gabriel Séailles : « N’ayons pas peur et ne faisons pas de concessions ». Rappelons-nous que la Ligue est une libre association de citoyens qui se préoccupent de la chose publique et qui surveillent avec vigilance ceux qui ont la charge de l’administrer. »
VII. Bibliographie sommaire : Voici les principales questions d’ordre général et les plus célèbres affaires particulières qui ont motivé les plus retentissantes interventions de la Ligue française et sur lesquelles des rapports documentaires ont été publiés, soit en brochures spéciales, soit dans les Cahiers des Droits de l’Homme :
Questions générales :
a) Liberté individuelle : Tarbouriech, Rapports au Congrès de 1905 (Bulletin officiel 1905) ; Chenevier : Pour la liberté individuelle (Cahiers 1922) ; G. Clemenceau : Les garanties de la liberté individuelle (Cahiers 1922) ; F. Buisson : La résistance à l’oppression (Cahiers 1921) ; C. G. Costaforu : En Roumanie ; Les crimes de la sûreté (1926) ; U. Triaca : Le fascisme en Italie (1927).‹
b) Liberté d’opinion : F. Buisson et E. Glay : Pour la liberté d’opinion des fonctionnaires (Cahiers 1922) ; F. Buisson : L’affaire Baylet et Fontanier (Cahiers 1922) ; H. Guernut : Pour les fonctionnaires (Cahiers 1923) ; F. Buisson : La liberté d’opinion (Cahiers 1923) ; Pour la suppression des lois scélérates (Cahiers 1925-1926).
c) Droit de propriété : Tarbouriech : Essai sur la propriété (Bulletin officiel 1904) ; Charles Gide : Le droit de propriété (Cahiers 1921).
d) Objection de conscience : F. Corcos : L’objection de conscience (Cahiers 1926) ; Pioch : Pour les objecteurs de conscience (Cahiers 1926) ; Voir délibérations et vœux du Comité Central (Cahiers 1926).
e) Amnistie : F. Buisson : L’amnistie (Cahiers 1920) ; Albert Chenevier : La loi d’amnistie (Cahiers 1920) ; Prorogation de la loi du 29 avril 1921 (Cahiers 1923) ; Un projet de loi (Cahiers 1924) ; Les principales dispositions de la loi d’amnistie (Cahiers 1925).
f) Droits des travailleurs : Un ligueur : Un projet de loi sur les assurances sociales (Cahiers 1921) ; Robert Perdon : Le monde du travail et les assurances sociales (Cahiers 1921) ; R. Picard : Les problèmes généraux de l’assurance sociale (Cahiers 1925) ; Sicard de Plauzoles : Le droit aux soins (Cahiers 1923). V. les résolutions du Comité Central (Cahiers, passim) et les vœux des Congrès.
g) Droits des femmes : Comité Central : Adhésion de la Ligue à la pétition des femmes françaises (Bulletin officiel 1907) ; Pour l’électorat et l’éligibilité (Congrès 1909) ; F. de Pressensé : Lettre en faveur des droits politiques (Bulletin officiel 1910) ; F. Buisson : Le suffrage des femmes et la Ligue (Cahiers 1920) ; Alice La Mazière : Le vote des femmes et le Sénat (Cahiers 1923) ; G. Malaterre-Sellier : Le suffrage des femmes (Cahiers 1924) ; Suzanne Grinberg : L’incapacité des femmes mariées (Cahiers 1925) ; Sicard de Plauzoles : La réglementation de la prostitution (Cahiers 1923) ; La situation des femmes kabyles (Cahiers 1924).
h) Droits des enfants : F. Buisson : L’école démocratique (Cahiers 1921) ; F. Buisson : Les droits de l’enfant (Cahiers 1921) ; F. Buisson : L’école démocratique (Cahiers 1922) ; Sicard de Plauzoles : Les droits de l’enfant (Cahiers 1923).
i) Droits des indigènes: Marius Moutet : Les droits politiques des indigènes algériens (Bulletin officiel 1917) ; Henri Guernut : La Ligue et les indigènes (Cahiers 1923) ; G. Brunschvicg : L’arbitraire en Tunisie (Bulletin officiel 1911) ; Henri Guernut : L’affaire Bach-Hamfa (Bulletin officiel 1912) ; Congrès de 1924.
j) Justice militaire : Général Sarrail : Plus de conseils de guerre (Cahiers 1924) ; Général Sarrail : La réforme de la justice militaire (1926).
k) Droits des étrangers : Moutet, F. de Pressensé, Baylet : La situation des étrangers en France (Bulletin officiel 1913) ; W. Oualid : Le droit d’expulsion (Cahiers 1925) ; Les conseils juridiques : Le droit de l’étranger (Cahiers 1925) ; Roger Picard : Les étrangers en France (Cahiers 1926).
Voir également, sur toutes ces questions et sur l’action de la Ligue, les résolutions du Comité Central (Cahiers, passim) et les vœux adoptés par les Congrès annuels.
B) Affaires particulières :
Théodore Reinach : Histoire sommaire de l’affaire Dreyfus (1924) ; A. Chenevier : L’affaire Abbès-ben-Hammana (1909) ; A. Delmont : L’affaire Colombini (1914) ; G. Brunschvicg : L’affaire Péan (1914) ; François-Albert : Le procès Malvy (1919) ; L’affaire Malvy (Étude juridique (1918) ; Études documentaires sur l’affaire Caillaux (1918) ; Les interrogations de M. Caillaux (1918) ; F. Buisson : L’affaire Sacco et Vanzetti (Cahiers 1921) ; René-Bloch : L’affaire Landau (1922) ; P. Lœwel : Goldsky est innocent (1922) ; F. Corcos : Landau est innocent (1923) ; R. Réau : L’affaire Paul Meunier (Cahiers 1923) ; Henri Guernut : L’affaire Chapelant (1925) ; H. Guernut : Mertz et Copie (1926) ; H. Guernut : L’affaire Platon (1926) ; H. Guernut : L’affaire Strimelle (1926), etc.
On trouvera de nombreux détails sur l’action quotidienne de la Ligue en faveur des victimes de l’injustice et de l’arbitraire, dans les comptes rendus publiés, à la rubrique : « Nos interventions », par les Cahiers des Droits de l’Homme.
DUEL. n. m. (du latin duellum, formé de duo, deux, et de bellum, guerre).
Dans l’ancienne législature, le duel était un combat entre deux personnes dont l’issue était admise comme preuve juridique dans les questions douteuses. Ex. : lorsque deux individus se querellaient pour un objet ou un sujet quelconque et en appelaient à la justice pour régler le différend qui les divisait, il arrivait parfois que le magistrat, ne sachant en faveur duquel des plaignants se prononcer, leur ordonnait de se battre. Celui qui sortait victorieux du combat singulier était considéré comme ayant légalement raison. La force et l’adresse étaient des preuves convaincantes des droits que l’on avait sur l’adversaire.
Le Français, batailleur et querelleur par excellence, a toujours eu la manie du duel et celui-ci était si répandu au xvie siècle, que Montaigne écrivait : « Mettez trois François aux déserts de Libye, ils ne seront pas un mois ensemble sans se harceler et s’esgratigner ».
À différentes époques, de sévères ordonnances furent rendues et, plus particulièrement, par Louis XIV, pour mettre fin à ces mœurs ridicules. Elles n’eurent aucun effet, le duel subsista et il existe encore de nos jours.
En vertu des us et coutumes et des préjugés aristocratiques qui veulent que les insultes soient lavées dans le sang, ces messieurs de la bourgeoisie se battent en duel chaque fois qu’ils estiment avoir subi un affront. Drôle de conception de l’ « honneur », en vérité ; mais, comme en toutes choses, les possesseurs de la fortune sont des privilégiés qui peuvent tout se permettre et, si le duel est interdit par la loi, le duelliste bénéficie toujours de l’indulgence des magistrats.
Pour nous, il n’y a aucune différence entre le duel aristocratique et bourgeois, qui se pratique au Bois de Boulogne avec la complicité de la police, et celui du souteneur qui se pratique dans les rues obscures de la capitale. Nous n’avons pas cette subtilité qui consiste à trouver plus noble de s’entretuer au revolver et à l’épée qu’au couteau et s’il nous fallait chercher des excuses à ceux qui perpétuent de telles mœurs, toute notre pitié serait réservée pour l’ignorant et l’imbécile, et non pas pour le bourgeois qui se prétend instruit, éduqué, évolué et qui, en réalité, ne s’est pas libéré de la barbarie ancestrale. Il est vrai que ce n’est pas la raison qui dirige les hommes en notre siècle de science et de progrès et, si le souteneur est condamné lorsqu’il blesse ou supprime un de ses semblables, son geste est considéré comme un meurtre ; le bourgeois, lui, au contraire, est honoré lorsqu’il enfonce quelques centimètres d’acier dans la peau d’un autre bourgeois. C’est ce qu’on appelle en France la « justice » égale pour tous.
Le bourgeois, cependant, y met certaines formes, lorsqu’il décide d’assassiner un adversaire. À titre documentaire, nous empruntons au « Larousse », bien informé en matière de préjugés, certains articles du Code du duel : « Duel à l’épée : les lames doivent être lisses, droites, triangulaires, sans défauts. Les adversaires sont visités par les témoins avant le combat. Au commandement de : « Allez, messieurs ! », le combat commence ; il doit cesser au moment indiqué par les conventions, ainsi que toutes les fois que le directeur prononce le mot : « Halte ! ».
Duel au pistolet : les armes, inconnues aux adversaires, sont apportées, chargées et scellées, dans une boîte. Le directeur commande « Attention ! » puis : « Feu ! un, deux, trois ! ». Les adversaires doivent tirer entre les mots un et trois. La distance entre les combattants est de 16 à 24 mètres. Le nombre des balles à échanger ne dépasse pas normalement six (trois par adversaire). Lorsque l’un des adversaires est blessé « l’honneur est lavé », « l’honneur est sauf » ; n’est-ce pas charmant et ridicule ?
Il est bien rare, cependant, que, de nos jours, les duellistes se fassent beaucoup de mal, car, à la première éraflure le combat est arrêté par les témoins et ordinairement, après s’être quelque peu égratigné l’épiderme, les adversaires se réconcilient sur le terrain. Le duel n’est, bien souvent, qu’une source de publicité et en tous cas, quelles qu’en soient les causes, il n’est pas intéressant et les duellistes encore moins.
Combien plus terrible que ces mœurs d’opéra-comique est le duel que se livrent parfois notre sensibilité et notre raison. Ne sommes-nous pas en proie, anarchistes, à une lutte constante avec nous-mêmes et notre vie, par l’ambiance, par la contrainte que nous subissons, n’est-elle pas en éternelle contradiction avec notre pensée, nos désirs et nos espérances ?
Chaque fois qu’il faut se défendre contre la violence que nous combattons, qu’il nous faut répondre par les mêmes coups à ceux de nos adversaires, — si nous ne voulons pas succomber, — il se livre en nous ce duel profond qui met aux prises nos sentiments d’affection, de paix, d’amour et la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’opposer notre force à celle de nos ennemis.
Heureusement que l’instinct de conservation nous soutient et que notre raison sort généralement victorieuse de cette bataille intérieure ; sans quoi, nous serions bientôt écrasés, laissant le champ libre à tous les organismes de réaction et de domination sociale.
C’est un duel à mort que nous avons engagé avec la bourgeoisie ; les coups répétés que nous lui avons portés l’ont quelque peu ébranlée, ses assises ne sont plus aussi solides ; seule la façade résiste encore et conserve une apparence de puissance. Demain, la forteresse s’effondrera entièrement, mettant fin au duel que se livrent depuis des siècles les asservis et les oppresseurs, et les hommes, unis et heureux, pourront vivre enfin en toute fraternité.
DUEL (Le). — Pièce en trois actes de Henri Lavedan (1905). Dans cette pièce, d’une psychologie pénétrante, Henri Lavedan nous présente un prêtre et un savant qui se disputent l’âme d’une femme croyante et passionnée. Ces deux hommes sont frères mais, en raison de leurs idées opposées, ils avaient abandonné toute relation. Placés l’un en face de l’autre par le hasard, ils se livrent un terrible duel ; l’un, pour asservir une femme à la religion ; l’autre, pour la délivrer de l’emprise de Dieu et la rendre à la vie et à l’amour.
C’est un drame poignant, d’une réelle profondeur et marqué d’une remarquable impartialité.