Encyclopédie anarchiste/Fer - Financier

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Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 808-819).


FER n. m. (du latin ferrum). Le fer est un métal d’un gris bleuâtre. On le rencontre combiné soit avec du souffre, du nickel, de la magnésie, etc…, dans presque toutes les formations géologiques. Sa densité est de 7, 8, c’est-à-dire qu’il pèse 7, 8 fois plus que l’eau et qu’un mètre cube de fer pèserait 7.800 kilos. Le fer fond à la température de 1.500°, et bout à celle de 2.400°. C’est un métal très résistant quoique très malléable. Il est connu depuis la plus haute antiquité. Son symbole chimique est Fe.

Les minerais qui contiennent du fer sont traités dans les hauts fourneaux par le charbon, et produisent la fonte. Cette fonte, débarrassée de son excès de carbone et de ses impuretés par le puddlage, donne le fer. La fonte n’est, en réalité, autre chose qu’un carbure de fer contenant 95 p. 100 de fer et 2 à 5 p. 100 de carbone.

L’acier est un fer combiné avec une faible quantité de carbone ; il s’obtient soit en carburant le fer dans la proportion de 1,5 p. 100, soit en décarburant la fonte. Par la décarburation de la fonte, on obtient l’acier naturel ; par la carburation du fer, on obtient l’acier de cémentation. L’acier est plus dur que le fer ; on le rend plus dur encore par la trempe. On obtient encore différents aciers en incorporant divers métaux au fer.

En outre, le fer entre dans de nombreux alliages et se trouve en un mot à la base de toute l’industrie métallurgique. Est-il besoin d’énumérer ses diverses utilités ? Nous ne le pensons pas. Chacun sait aujourd’hui les usages que l’on fait du fer, et il est devenu si indispensable à l’industrie moderne, que différents groupes de capitalistes internationaux se disputent le contrôle et le monopole de cette matière.

Les gisements de fer sont surtout exploités en Angleterre, aux Etats-Unis, en Allemagne et en France, et la production en serait probablement suffisante si elle était employée à des fins utiles. Mais une grande partie de cette production sert à la fabrication d’engins de meurtre : navire de guerre, obus, canons, etc…, et tout naturellement, au détriment des objets de nécessité publique. D’autre part, s’il est des puissances qui manquent totalement de fer, il en est d’autres qui sont susceptibles d’en exporter. En 1921, l’Angleterre a produit 6 millions de tonnes de fer. L’Allemagne, 5 millions. En 1920, l’Amérique en a produit 68 millions de tonnes, et en 1922, la France a produit 20 millions de tonnes, cependant que l’Italie a du mal à élever sa production à plus de 400.000 tonnes. On peut dire que la production totale du fer est contrôlée par les Américains, les Allemands, les Anglais et les Français, et que ce sont eux qui disposent à leur guise de cette matière de première nécessité. Nous avons dit, d’autre part, que les intérêts du capitalisme étalent divisés quelles que soient les apparences. Nous savons que pour le pétrole et le caoutchouc, les Anglais et les Américains se font une guerre acharnée. En ce qui concerne le fer, l’unité est loin d’être réalisée sur le terrain capitaliste. Avant la guerre, ou plutôt au début de la guerre, les capitalistes allemands escomptant la victoire de leurs armées, espéraient pouvoir s’approprier le bassin de Briey, qui est un des plus riches bassins miniers du Nord-est de la France, et de cette façon, concurrencer avantageusement l’Angleterre et l’Amérique. Le plan fut déjoué par l’entrée dans le conflit de ces deux puissances. L’Allemagne fut vaincue, et aujourd’hui les intérêts de l’industrie lourde allemande sont intimement liés à ceux de la France.

Les gros capitalistes français craignent autant que les gros capitalistes allemands la concurrence anglo-américaine. Aussi ont-ils engagé la bataille. Le « Cartel de l’Acier » ayant à sa tête Schneider et Thyssen, de Wendel et Krupp a été réalisé vers la fin de 1926, dans le but de lutter contre les prétentions et les menaces anglo-américaines. Certains économistes démocrates ont considéré la réalisation de ce cartel comme un événement historique susceptible d’assurer la paix en Europe. C’est une erreur.

Le Cartel de l’acier démontre simplement que la haine est un sentiment inspiré au peuple par le capitalisme en raison directe de ses intérêts. Cette haine se déplace selon les besoins de la cause. Hier, on poussait à la haine de l’Allemand, demain on poussera à la haine de l’Anglais, et le « Capital » fera battre le peuple français ou allemand contre l’Angleterre ou l’Amérique, pour le fer, s’il le juge utile.

Un autre danger, encore plus immédiat que celui de la guerre, découla du « Cartel de l’Acier », qui va s’étendre, dit-on, à toute l’Europe Centrale ; c’est que ce monopole international, dont les dirigeants auront seuls autorité pour fixer les prix, permet une surenchère dont souffrirait nécessairement la classe ouvrière. Ce danger fut signalé en ces termes dans le grand journal démocrate allemand, le Vorwaerts : « La classe ouvrière allemande, moins que tout autre, parce qu’elle est dans sa plus grande partie employée dans l’industrie de transformation, ne devra jamais sous-estimer le danger que représente pour elle la mainmise de puissants groupements internationaux sur le monopole de certaines matières premières. Pour l’industrie de transformation, la matière première est un des principaux facteurs du prix de revient. Toute augmentation ou toute exagération du prix de la matière première équivaut à mettre sur le pavé de grandes masses d’ouvriers. C’est pourquoi il est nécessaire de s’opposer par tous les moyens possibles, à une trop grande tension des prix, provoqué par de tels monopoles internationaux… »

« …Des offices de cartel nationaux et internationaux devront être créés, pour éviter que ces organisations purement capitalistes n’assurent leurs bénéfices qu’en faisant supporter aux consommateurs et aux ouvriers le poids de tous les risques ».

Nous voyons que le dilemme reste entier en ce qui concerne le fer et toutes les autres matières premières, et que la monopolisation ou autrement dit : le centralisme capitaliste menace le prolétariat d’abord en tant que producteur en le contraignant au chômage, ensuite en tant que consommateur, ne lui permettant pas de se munir de ce qui est indispensable à la vie. Et, pour couronner cet arbitraire, la guerre reste toujours là, au cas où les divers groupes de capitalistes n’arrivent pas à s’entendre et à concilier leurs intérêts particuliers.

La course au fer, au caoutchouc, et au pétrole sont les trois dangers les plus immédiats. Il ne semble pas que la classe ouvrière se rende compte du péril. La guerre marocaine de 1926 n’eut d’autres causes que la possession du sol marocain par divers groupes de capitalistes avides d’en exploiter les richesses souterraines. En régime capitaliste, le fer et l’acier, qui ne devraient servir qu’à la fabrication de machines et d’outils, qui pourraient être une source de richesse et de fécondité pour l’humanité, sont des sources de carnage et de destruction. Et cela, pour l’unique raison qu’ils sont en la possession d’une poignée de parasites qui dirigent le monde.

Il n’y a pas de palliatifs à un tel état de choses. La puissance économique du monde est dirigée par un capitalisme avide qu’il faut abattre, si l’on veut que cela change. Il n’y a pas d’autre remède que la révolution pour atteindre ce but. C’est au peuple de la faire, s’il ne veut pas être écrasé et être livré au plus terrible des esclavages.


FERMAGE n. m. Le fermage est la redevance, le loyer, qu’un locataire d’un bien ou d’une propriété agricole doit verser au propriétaire pendant toute la durée du bail fixé d’un commun accord entre le locataire et le propriétaire. Le locataire s’appelle le fermier.

Le fermier peut se comparer au tâcheron, avec cette différence qu’il a beaucoup plus de risques que celui-ci. En effet, un tâcheron accepte de faire à la tâche un travail déterminé, alors que bien souvent dans les contrats de fermage, le fermier s’engage à verser à son propriétaire, soit en argent soit en nature, une valeur supérieure à ce que la terre et sa ferme lui rapporteront. Il est à la merci d’une bonne ou d’une mauvaise récolte et, ayant toutes les charges de la ferme, il n’en a pas les bénéfices. Le fermage, qui, au lendemain de la Révolution française, devait s’éteindre par suite de la répartition de la terre entre les petits paysans, s’étend aujourd’hui de plus en plus. La terre devient une industrie comme l’automobile ou l’aviation, et est exploitée par des puissances d’argent qui en tirent des ressources incalculables. D’autre part, les descendants de la vieille aristocratie française achètent à prix d’or toute la terre qui se trouve à vendre et la grosse bourgeoisie ne dédaigne pas non plus cette catégorie de revenus. Cependant, ni la bourgeoisie, ni l’aristocratie ne consentent à abandonner la ville pour la campagne ; ils afferment donc leurs propriétés agricoles pour une somme déterminée, à charge pour l’affermataire, s’il veut réaliser des bénéfices, de fournir un rendement, une production supérieure à la valeur du fermage.

Il est évident que l’affermateur cherche à retirer de son exploitation le plus large revenu possible, et le fermier qui ne possède ni terre, ni bétail est contraint d’accepter toutes les conditions, aussi onéreuses soient-elles, qui lui sont imposées. Il en résulte que, la plupart du temps, le fermier ne travaille uniquement que pour son propriétaire, car une fois qu’il a payé son fermage, il ne lui reste plus rien. Et c’est ainsi que, toute son existence, il arrachera des richesses à la terre, sans jamais en profiter, sans jamais avoir à lui un petit lopin.

Il y a plusieurs catégories de fermiers : les gros et les petits. Les gros sont naturellement du côté des propriétaires et exploitent également les petits. C’est dans l’ordre des choses. Le petit fermier, quoi qu’il fasse, ne peut être qu’écrasé en régime capitaliste ou tout s’achète avec de l’argent. La Révolution française, en distribuant la terre, n’a pas aboli la propriété, et il était inévitable qu’à la longue cette terre retournât aux possédants de la richesse sociale. Le « fermage », tel qu’il s’exerce dans nos pays démocratiques, démontre qu’une révolution qui repose sur le principe de la propriété et qui laisse subsister après elle la puissance d’argent, est une révolution incomplète, puisqu’elle laisse la possibilité d’acquérir et de reconstituer ce qu’elle entendait détruire. Le fermage : c’est la féodalité, et l’affermateur est un véritable seigneur qui ne fait rien et qui n’a d’autres soucis que d’encaisser le produit du travail des autres.

Dans l’industrie, un usinier peut prétendre fournir un travail quelconque représentant une certaine valeur ; dans le fermage, le propriétaire ne peut rien invoquer, sinon sa propriété. Il gagne de l’argent sans rien faire. C’est logique, puisque nous sommes en société capitaliste.

Faut-il dire que la situation précaire du fermier rend plus misérable celle du simple travailleur des champs ? Tiraillé par les exigences du propriétaire, le fermier devient à son tour exigeant en ce qui concerne ses ouvriers. Pour arriver à boucler son budget, il demande à ceux qu’il emploie, de longues heures de travail pour de maigres salaires, et cela explique peut-être l’abandon de la terre par la jeunesse campagnarde. Si le fermage n’était pas une honteuse exploitation, il est probable que la culture ne manquerait pas de bras, ainsi qu’on se plaît à le dire.


FERMENTATION n. f. Transformation qui s’opère dans les matières organiques, dans les corps, dans les liquides placés dans des conditions déterminées et mises en présence d’un agent spécifique (ferment). La fermentation du jus de raisin produit du vin ; la fermentation des liqueurs contenant du sucre donne de l’alcool.

Au figuré : agitation de l’esprit, excitation. La misère du peuple est un ferment de révolte. Les passions se déchaînent à la suite d’une longue fermentation, provoquée par l’insolence des puissants à l’égard des malheureux. Les facteurs de fermentation révolutionnaires sont nombreux au sein de la société capitaliste, et sont alimentés par l’arbitraire qui régit les sociétés modernes. De même qu’un liquide fermenté fait parfois éclater le flacon qui le contient, l’injustice, ferment de haine, fait éclater le populaire, qui déborde des cadres de la légalité pour obtenir ce dont il a besoin. C’est alors la révolution qui était en fermentation et qui se déchaîne, entraînant avec elle et derrière elle tout le flot des parias et des opprimés.


FERTILITÉ n. f. (du latin fertilis, fertile). État, qualité de ce qui est fertile, abondant, fécond. Ce qui produit beaucoup. La fertilité d’un champ, d’un pays, d’une campagne. « Cette contrée doit sa richesse à la fertilité de son terrain ». Les pays de craie et de pierre calcaire sont beaucoup moins fertiles que ceux d’argile et de cailloux vitreux (Buffon). La terre intelligemment exploitée serait suffisamment fertile pour nourrir tous ses habitants ; et, s’il existe des hommes qui sont dans le plus complet des dénuements, c’est que sa fertilité est entravée par les accapareurs, les spéculateurs et les oisifs.

Au figuré : qui produit abondamment. La fertilité d’un écrivain ; la fertilité d’une matière, d’un sujet, c’est-à-dire qui prête au développement. Une grande fertilité d’esprit ; la fertilité de l’imagination. Au figuré et surtout en ce qui concerne le travail de l’intelligence, fertilité est synonyme d’abondance et de fécondité, mais ne suppose pas qualité supérieure. Il est quantité d’écrivains et de littérateurs qui sont très fertiles, mais dont la qualité de l’œuvre est détestable. Il est peu d’individus qui produisent beaucoup et bien, et des hommes possédant une fertilité semblable à celle d’un Voltaire ou d’un Hugo sont excessivement rares.


FERVEUR n. f. (du latin fervor, chaleur). Zèle, ardeur, pour les exercices de piété, de dévotion et de charité. Prier avec ferveur. La ferveur n’est pas, comme on pourrait le croire, une manifestation de la sincérité de celui qui s’y livre, et les marques de dévotion ne sont souvent que de l’hypocrisie. En matière religieuse, lorsque la ferveur est sincère, elle signale alors un fanatisme étroit et un esprit rétrograde.

Au figuré, on donne le nom de ferveur à toute ardeur extrême, aux sentiments qui portent au dévouement de soi en faveur d’une chose, d’un objet, d’une idée. Étudier avec ferveur. Défendre une idée avec ferveur, avec passion. Combattre avec ferveur ; lutter avec ferveur. Soutenir une cause avec ferveur. La ferveur est une qualité qui appartient à la jeunesse, car lorsque l’on avance en âge on acquiert un esprit de modération, et la ferveur se refroidit. C’est sans doute la raison pour laquelle les grands mouvements historiques et sociaux furent en tous les temps déclenchés par des hommes jeunes. La ferveur n’est cependant pas un signe et une preuve de vérité, et l’on peut avec ferveur — c’est ce qui se produit fréquemment — se dévouer pour une cause injuste et erronée. Il est donc sage, avant de se jeter dans une bataille quelconque, de s’assurer de son utilité, pour ne pas agir aveuglément et sans but.


FÉTICHISME n. m. (de fétiche). Les fétiches sont des idoles grossières, des animaux, des pierres, des arbres, auxquels la superstition et la crainte prêtent une certaine puissance, et qui sont adorés comme des dieux par les « sauvages ». Le fétichisme est le culte des fétiches. Le fétichisme est très répandu en Orient, et surtout dans le centre de l’Afrique, parmi les populations nègres. S’il est vrai que « le fétichisme est la première religion des hommes encore dans l’enfance de l’intelligence » (Virey), il faut en conclure que l’intelligence de l’humanité prise en son ensemble n’a que peu sensiblement évolué, car les peuples modernes sont tout autant que les peuples des premiers âges imbus de fétichisme. Les fétiches ont changé, mais l’esprit d’adoration est resté le même. Quelle différence y a-t-il entre ce chrétien civilisé qui adore l’image de la vierge, ou qui égrène son chapelet, et ce nègre du Dahomey qui réclame l’assistance d’un petit monstre en pierre pour chasser les génies invisibles et malfaisants ? Y a-t-il plus d’intelligence chez ce juif moderne qui se couvre, pour faire ses prières, d’une écharpe appelée taleth, et dont il embrasse les franges avec adoration, que chez cet habitant de l’Asie centrale qui n’a pas encore été touché par les progrès de la science ? Chez les uns comme chez les autres, ce fétichisme est une marque indélébile d’ignorance. Cette adoration aveugle des fétiches déborde même des cadres de la religion. Le peuple est imbu de fétichisme et ses superstitions se manifestent également sur le terrain politique et social. Il n’adore plus les fleuves, les rivières et les morceaux de bois, mais il se découvre avec piété devant un morceau de chiffon. Le drapeau est un fétiche devant lequel il courbe le genou, et pour lequel il s’est fait, se fait et se fera encore tuer. « Ce qui distingue le fétichisme de l’idolâtrie, nous dit le Larousse, c’est que les idoles ne sont, au moins pour la partie éclairée de leurs adorateurs, qu’une représentation de la divinité, un symbole au-dessus duquel plane l’esprit divin ». Question de nuances sans aucune importance en regard du résultat. Que le fétiche soit considéré comme une divinité ou comme le représentant ou le symbole de cette divinité, le fétichisme n’en est pas moins absurde, ridicule, et la vénération d’un être ou d’un objet dont le pouvoir est purement imaginaire est un facteur de régression sociale.

Le culte des fétiches subsiste encore dans les nations qui se parent d’un vernis de civilisation, et c’est ce qui permet toutes les spéculations honteuses de la religion et de la politique qui visent au même but : l’asservissement du peuple. Il faut combattre tous les fétichismes, ce sont des sources d’abrutissement et d’esclavage.


FEU n. m. (du latin focus, foyer). Le feu est un phénomène calorique ou lumineux produit par la combustion de certains corps. Un feu de charbon, un feu de paille, un feu de bois. Selon la légende, c’est Prométhée qui, après avoir dérobé le feu du ciel pour animer l’homme formé du limon de la terre, enseigna à celui-ci l’usage du feu. Le feu était considéré par les anciens comme possédant des facultés créatrices, et était adoré par un grand nombre de peuples. Les Perses en faisaient la base de leur religion et lui vouaient un véritable culte. Le soleil était à leurs yeux le symbole du feu pur, ils le saluaient chaque matin et, dans leurs sanctuaires, ils entretenaient un feu sacré qui ne devait jamais s’éteindre.

Les usages du feu sont multiples, et son utilité n’est plus à signaler. Pour obtenir du feu, on était obligé, dans le passé, de battre le briquet. Le progrès de la chimie a mis fin à cet exercice. Depuis 1809, le feu s’obtient avec facilité par le frottement des allumettes chimiques.

Allumer du feu, attiser le feu, faire du feu, un grand feu, un beau feu. Le feu ne procure pas seulement de la chaleur, il procure aussi de la gaîté. Dans certaines régions, les fêtes populaires sont toujours agrémentées par un feu de joie autour duquel chante et danse la population. Les feux d’artifices, par leurs effets agréables et pittoresques, sont également une source de réjouissance. Hélas ! le feu n’est pas toujours à la portée du pauvre, et il existe des malheureux qui, faute de ressources, n’ont pas de feu, l’hiver, pour alimenter leur foyer. Être sans domicile, sans logis, être sans feu ni lieu :

Mais moi, grâce au destin, qui n’ai ni feu ni lieu,
Je me loge où je puis et comme il plaît à Dieu.

Boileau.

Incendie, embrasement. Il y a le feu ; le feu est à tel endroit ; les pompiers ont lutté durant deux heures contre ce feu. Faire feu, c’est-à-dire tirer, se servir d’une arme à feu, d’un revolver, d’un fusil, d’un canon. S’emploie aussi comme synonyme de chaleur : les feux de l’été.

Locutions proverbiales : Mettre sa main au feu, c’est-à-dire affirmer être certain. Il n’y a pas de fumée sans feu.

Violence, ardeur, dans les sentiments et les passions. « Sondez bien votre cœur, et voyez s’il est possible d’éteindre le feu dont il est consumé » (J.-J. Rousseau). Le supplice du feu. Supplice qui consistait à brûler les individus qui étaient accusés de crimes contre la religion. On brûlait en même temps les livres ou les écrits qui gênaient les autorités ecclésiastiques.

La religion catholique, non contente d’avoir supplicié par le feu des milliers d’êtres humains, promet aux infidèles les tourments de l’enfer et les condamne au feu du purgatoire.

Au figuré : générosité, courage, ardeur ; entretenir le feu sacré de la liberté. Manquer de feu. Feu !… Ordre par lequel on oblige les militaires à tirer sur… En joue ! Feu ! Le feu de la guerre. A côté de tous les bienfaits qui peuvent en résulter, le feu a dans son histoire des pages noires. Ce sont celles de la guerre, des guerres, qui depuis des siècles et des siècles ravagent l’humanité. Faut-il donc, quelle que soit la répugnance que l’on puisse avoir pour la violence, user des mêmes moyens que nos oppresseurs, et les obliger par le feu et par le sang à desserrer l’étau de fer dans lequel ils étreignent le peuple ? C’est parce que la bourgeoisie et le capital le veulent, que le monde est une vallée de larmes, et ce sont eux qui seront responsables des incendies qui s’allumeront demain. Car du peuple jaillira le feu qui éclairera l’aube de la liberté…

FEU (Le). — Roman vécu, dû à la plume d’Henri Barbusse, le célèbre écrivain français, qui sut traduire en termes simples et émouvants les affres et les souffrances du soldat durant la guerre de 1914. C’est une œuvre sociale d’une valeur littéraire incontestable et d’une haute portée morale.


FIASCO n. m. (d’origine italienne). Échouer complètement dans une entreprise. Faire fiasco : c’est un fiasco, un véritable fiasco. La guerre de 1914 fut pour les peuples « vainqueurs » comme pour les peuples « vaincus », un fiasco retentissant. Les mouvements ouvriers aboutissent bien souvent à un fiasco ; cela tient à la division qui règne en maîtresse dans les rangs prolétariens et à la mauvaise organisation des travailleurs. La politique qui se glisse dans toutes les associations de prolétaires est un facteur de fiasco, et neuf fois sur dix, lorsque les travailleurs échouent dans leurs luttes, c’est qu’ils se laissent conduire par de mauvais bergers, pour qui la classe ouvrière n’est qu’un moyen propre à satisfaire toutes leurs ambitions.

Toutes les tentatives d’affranchissement aboutiront à des fiascos, tant que la classe laborieuse ne s’inspirera pas de cette vérité contrôlée par l’expérience : que de sa force seule dépend son avenir, et que sa libération est subordonnée à sa volonté de se détacher de l’emprise patronale. Toutes les victoires politiques sont des fiascos, malgré les apparences. Seules les conquêtes économiques comptent dans la vie des travailleurs. Nous en avons un exemple frappant si l’on considère l’organisation actuelle de la Russie, où la victoire politique de la classe ouvrière n’en est pas moins un fiasco au point de vue économique.


FIDÉLITÉ (du latin fidelis, de fides, foi). La fidélité est la constance dans les affections. C’est aussi l’exactitude à remplir ses engagements. Dans ces deux cas tout au moins, il s’agit bien d’une qualité précieuse, et non d’un préjugé. Une amitié fidèle est une amitié que ni le temps, ni l’adversité, ne peuvent affaiblir. Il n’est pas de plus grand réconfort au cours d’une existence tourmentée. Un amour fidèle est un amour qui domine toutes les circonstances de la vie et, malgré les ans et les déceptions, demeure attaché à son objet. Qui donc ne souhaiterait d’être aimé ainsi ? La fidélité a un idéal, c’est la lutte persévérante à son service, malgré les obstacles qui s’opposent à sa réalisation. Lui préférerait-on le caprice des snobs ou le mercantilisme des « girouettes » ? Quant au respect de la parole donnée, il est la condition indispensable de l’harmonie dans une société libre. Le loisir peut, en effet, demeurer sans grand inconvénient à la merci de la fantaisie, non la production industrialisée. La lutte collective, par vastes associations, pour la conquête quotidienne du maximum de bien-être, avec le minimum d’efforts, comporterait — sous peine de misère générale à bref délai — l’observation stricte de dures règles de présence et de travail, imposées non par l’arbitraire, mais par l’inéluctable nécessité. Qu’un trop grand nombre de travailleurs ne se fassent pas de l’observation de ces règles un cas de conscience, et ce serait, inévitablement, d’abord le gaspillage et la gêne, les tâches rendues plus longues ; ensuite, la révolte légitime des bonnes volontés contre l’insouciance et le parasitisme ; finalement, le recours à des moyens de force — c’est-à-dire à l’autorité — pour la préservation de la sécurité publique, les citoyens trouvant, une fois de plus, meilleur bénéfice à se replacer sous le joug de lois sévères, qu’à continuer de subir dans une liberté toute théorique, les licences de leurs voisins.

Le mot fidélité est employé fréquemment pour désigner la qualité de ce qui est de bonne foi, ou conforme à la vérité. On dit, par exemple, d’une personne qu’elle est un témoin fidèle, lorsqu’elle décrit, sans en altérer le caractère et la portée, avec le souci dominant de la réalité des faits, les événements auxquels il lui a été donné d’assister. Voici une vertu d’autant plus digne d’estime qu’elle est plus rare. C’est, en effet, un travers commun à beaucoup trop de gens que de décrire les choses — non telles qu’elles sont — mais telles qu’ils voudraient qu’elles fussent pour le mieux de leurs convenances personnelles. Ceci n’aboutit qu’à faire perdre du temps au monde, car l’illusion masque la réalité, mais ne la modifie point, et, tôt ou tard, la vérité se révèle à tous les yeux, tel le soleil dissipant les brumes.

Dans le code du mariage, le mot fidélité se rapporte à l’obligation légale faite aux conjoints, mais tout particulièrement à la femme, de n’avoir de rapports sexuels qu’entre eux, à l’exclusion de toutes autres personnes. Et voici, en raison des circonstances qui président aux épousailles, un cas où la fidélité mérite incomparablement moins notre admiration que dans ceux qui précèdent. Certes, c’est un droit absolu pour des amants brûlant d’un amour unique, de se vouer l’un à l’autre sans partage. C’est encore leur droit de se jurer — imprudemment ! — un amour éternel, et de s’efforcer de tenir parole.

Mais, dans le mariage légal, il n’est pas question de cela. La loi n’exige aucun serment de ce genre, et ne s’inquiète pas des motifs qui ont pu déterminer deux êtres à s’unir. Ils peuvent se détester dans quarante-huit heures, et se tromper en pensée tant qu’ils le voudront, elle n’en a cure.

Ce qu’elle sanctionne — et c’est la le méprisable de la chose — c’est un véritable contrat d’achat, par lequel une femme — qui agit parfois contre son désir, et sera tenue dorénavant d’obéir à son mari — se résigne à n’appartenir qu’à lui, en échange d’une garantie de protection et d’entretien, quelle que soit la conduite future de l’époux, quels que puissent être, par la suite, ses propres sentiments, tant que n’aura pas été rompu par la mort, ou par la décision de magistrats indifférents en l’occurrence, le lien qui les a réunis.

Il ne s’agit plus du don joyeux de soi-même, de la part de gens qui se sont accordés longuement, sans cesser de s’appartenir, mais bien de l’acceptation passive d’une chaîne que l’on sera contraint de subir encore, même lorsqu’elle n’inspirerait plus qu’un dégoût profond.

Tout ceci se trouve, évidemment, en fonction des conditions actuelles de la propriété, de la responsabilité paternelle, et des dispositions concernant l’héritage. Aussi n’y a-t-il pas lieu de jeter la pierre à ceux qui s’y soumettent, surtout lorsqu’ils réduisent, en fait, l’alliance à une formalité d’assurance sociale, et à une simple cérémonie conventionnelle. Mais il n’est pas inutile de souligner que, si la fidélité sexuelle librement consentie n’a rien de ridicule et peut-être un élément de bonheur à deux, celle qui est imposée par la force, même en accomplissement de certaines nécessités économiques, n’est qu’un vestige d’esclavage. — Jean Marestan.


FIDUCIAIRE (du latin fiducia, confiance). Ce mot a une popularité relativement récente, et ce n’est que depuis la « paix » qu’il a pénétre dans le peuple. Ce mot « se dit, nous enseigne le Larousse, de valeurs fictives fondées sur la confiance de celui qui les émet ». La monnaie fiduciaire ; la circulation fiduciaire. En principe, chaque billet de banque mis en circulation par un gouvernement est une valeur fictive, et doit avoir son équivalent en or dans les caisses du Trésor. C’est-à-dire que si un État a une encaisse or de 5 milliards de francs, il ne doit pas y avoir une circulation fiduciaire supérieure à 5 milliards de francs, de manière à ce que les détenteurs de billets soient en mesure de les échanger à leur gré contre la valeur équivalente en or. On comprendra donc facilement que la circulation fiduciaire repose uniquement sur la confiance d’une population, car si celle-ci est supérieure à l’encaisse or et que la population en réclame — ainsi qu’elle en a légalement le droit — le remboursement, l’État serait accule à la plus sombre faillite.

Avant la guerre, il y avait déjà dans de nombreux pays une circulation fiduciaire supérieure à l’encaisse or de l’État, mais cette monnaie fictive s’est accrue, pendant et après la guerre, dans de telles proportions, qu’elle a déséquilibré toute l’organisation économique du système capitaliste et les gouvernants de plusieurs nations sont obliges de recourir à des pis aller pour tenter de retrouver une stabilité, tout au moins provisoire.

Nous allons, afin de bien déterminer la situation financière des divers états du monde, après la guerre, dresser un tableau indiquant leur encaisse or et leur circulation fiduciaire en 1923 :

PAYS MONNAIE ENCAISSE OR Circulation fiduciaire
France Franc 5.500.000.000 40.000.000.000
Allemagne Mark 1.200.000.000 520 quintillions
Belgique Franc 266.000.000 7.000.000.000
Brésil Milrès 128.000.000 5.000.000.000
Gde Bretagne Livre St. 4.000.000.000 10.000.000.000
Canada Dollar 800.000.000 1.000.000.000
Australie Livre St. 570.000.000 1.200.000.000
Espagne Peseta 2.500.000.000 4.300.000.000
Etats-Unis Dollar 15.000.000.000 10.000.000.000
Italie Lire 1.000.000.000 17.000.000.000
Japon Yen 3.000.000.000 8.500 000.000
Pays-Bas Florin 1.240.000.000 2.200.000.000
Suisse Franc 641.000.000 981.000.000
Turquie Livre t. 1.300.000.000 4.000.000.000

On remarquera que, seule, de tous les états du monde, la République des États-Unis d’Amérique du Nord a une encaisse or supérieure à la valeur des billets en circulation. Tous les autres pays et particulièrement ceux qui eurent à souffrir directement de la guerre ont une encaisse or terriblement inférieure à la somme de billets de banque jetés sur le marché par des gouvernements à court d’argent. Il en résulte fatalement un desaxage dans les finances publiques, et c’est le travailleur qui, le premier, souffre d’un semblable état de choses.

On s’étonnera peut-être, en constatant, sur le tableau que nous avons trace, l’énormité de la circulation fiduciaire de l’Allemagne en 1923. C’est qu’au lendemain de la guerre, l’Allemagne poursuivit une politique financière particulière. N’ayant que peu de dettes extérieures, elle considéra qu’elle pouvait jouer sur une monnaie dépréciée, jetée sur le marché pour les besoins de la cause, et de cette façon se libérer assez rapidement des lourdes charges contractées durant ce carnage. Cette opération accula le prolétariat allemand à la famine. La valeur du mark changeait avec une rapidité inconcevable en 1922. et entraînait une augmentation continuelle du coût de la vie. Cette augmentation était si rapide qu’un ouvrier qui, le samedi, touchait le salaire de la semaine écoulée, ne pouvait pas, le lundi, avec le nombre de marks qu’il possédait, acheter ce qui était nécessaire à la vie d’une journée. Il faut dire que la situation de l’Allemagne était exceptionnelle et voulue par les dirigeants. Car, si la situation fiduciaire joue directement un rôle sur la valeur des produits d’importation, en ce qui concerne les produits de provenance intérieure, un gouvernement qui a la faculté d’imposer une valeur à une monnaie fictive, aurait, s’il n’était pas intimement lié a toute entreprise financière commerciale et industrielle, la possibilité — et le devoir — d’imposer de la même façon le prix des marchandises.

Nous avons dit qu’en France, la circulation fiduciaire était, en 1923, de 40 milliards de francs. Si l’on ajoute à cette somme toutes les autres valeurs fictives lancées par l’état, et qui, n’ayant pas directement une puissance d’achat, peuvent être échangées contre des billets de banque, la circulation fiduciaire augmente immédiatement, et nous allons voir que la position financière d’un état ou d’un gouvernement est, de la sorte, subordonnée aux grandes entreprises d’exploitation financière ou industrielle.

En 1923, la dette française par tête d’habitant était de 8.250 francs, et la valeur du franc était de 80 francs à la livre sterling. A 40 millions d’habitants, la dette totale de l’État français était donc de 330 milliards de francs. Cette dette totale se répartit en dette à court terme et dette à long terme (voir le mot dette). Dans la dette à court terme, on comprend les Bons de la Défense nationale, les Bons du Trésor, dont le remboursement peut être exigé presque immédiatement par ceux qui les détiennent. Or, ces bons, directement ou indirectement, sont entre les mains des grosses associations financières ; et, selon l’attitude du gouvernement, ils les renouvellent ou en réclament l’échange contre des billets de banque qui ont une puissance directe d’achat. Lorsque l’État n’est pas en mesure de rembourser, il a recours à l’inflation, c’est-à-dire qu’il fait imprimer à nouveau de la monnaie fiduciaire ; mais on conçoit que ceci ne s’opère pas sans inconvénient, et que la panique s’empare assez rapidement de la population, lorsque la monnaie se déprécie. La haute finance spécule sur ce sentiment populaire, et la crainte de l’ouvrier ou de l’épargnant de voir la puissance d’achat de son argent s’affaiblir, permet à la finance et à l’industrie de tenir sous leur coupe les gouvernements, à quelque parti qu’ils appartiennent. D’autre part, un gouvernement ne peut se livrer à l’inflation sans le concours et la complicité des maîtres de la finance. En effet, comme nous le disons plus haut, la circulation fiduciaire repose sur la confiance ; or, la finance qui détient le monopole de la presse, qui a un pouvoir de propagande formidable, aurait tôt fait de briser cette confiance, si un gouvernement lui résistait. Et une population refusant les billets mis en circulation acculerait l’État à la banqueroute.

La population d’un pays est généralement impressionnée par la hausse ou la baisse de la devise nationale, sans saisir exactement les causes de ces fluctuations continuelles. Certains économistes démocrates conseillent la stabilisation de la monnaie pour mettre fin à la spéculation facilitée par une monnaie instable ; mais sur ce terrain, les groupes financiers ne sont pas d’accord, leurs intérêts étant différents et, impuissant, le peuple assiste à une bataille financière dont il paie tous les frais.

En réalité, si certains groupes de financiers sont adversaires d’une revalorisation ou d’une stabilisation de la monnaie, ce n’est que provisoire. Ils en seront partisans le jour où, avec cette monnaie dépréciée, ils auront acquis une plus grande puissance économique en la transformant en propriétés. Une revue française signalait en décembre 1926, le cas d’un syndicat financier international, qui se porta acheteur de 8 à 10 milliards de francs, ce qui provoqua la hausse de cette valeur de 50 p. 100.

« Quel est donc l’intérêt qui fait agir le syndicat international ? demandait cette revue. Il est peu probable que ce soit dans l’unique but d’améliorer la cote du franc sur le marché mondial, ou, d’autre part, de provoquer une crise économique, industrielle et commerciale en France ? C’est uniquement l’espoir d’une opération fructueuse qui l’a décidé à acheter ces masses de francs…

« Il est possesseur d’une masse considérable de francs, mais s’il fait monter notre devise en l’achetant, ne risque-t-il pas de l’anéantir au jour où il voudra dénouer l’opération ? »

D’autre part, cette masse de monnaie fiduciaire permet aux groupes de capitalistes qui la possèdent d’accaparer les richesses sociales, et l’on peut être certain qu’au jour où leurs opérations seront terminées, ils ne s’opposeront plus à la revalorisation ou à la stabilisation.

Ces vastes questions financières sont complexes et peu accessibles à l’esprit populaire qui n’en ressent que les contrecoups, sans en connaître les causes ; cependant, la large circulation fiduciaire nous aura démontré ceci : c’est que l’argent où la monnaie en soi n’a aucune valeur réelle, mais simplement une valeur spéculative. Lorsque le peuple s’inspirera de cette idée que la monnaie est une entrave à la vie, et que, loin d’améliorer les procédés d’échange, elle les complique, un grand pas sera fait vers l’organisation d’une société économique plus libre. Supprimer toute la monnaie, c’est permettre à chacun de vivre selon ses besoins, et c’est le but le plus près que nous devons atteindre.


FILATURE n. f. (de filer). Établissement où l’on transforme en fil, la soie, la laine ou le coton. Action de filer. La filature des textiles se divise en deux classes : celle de la laine et du coton, et celle de la soie. Avant d’être transformés en fil, la laine comme le coton doivent subir de nombreuses opérations. Le coton est d’abord soumis à l’action de certaines machines qui le débarrassent de ses impuretés ; il est ensuite étiré et transformé en ruban ; ce ruban est à nouveau étiré afin de l’amincir, et s’en va ensuite au métier à filer. La laine, elle, avant d’être livrée au métier à filer, doit être lavée, cardée et peignée.

La filature de la soie est une industrie particulière. Tout d’abord, le cocon est plongé dans l’eau bouillante, puis battu avec des rameaux de bruyère, pour accrocher l’extrémité du fil. Ces fils sont ensuite passés à la filière et débarrassés de la gomme dont ils sont imprégnés en les plongeant dans des bains d’eau savonneuse. Ils subissent ensuite le cordage sur des machines appelées moulins à tordre, et enfin, les écheveaux sont livrés au teinturier et au tisserand. Chaque cocon donne environ 300 mètres de fil de soie.

L’industrie de la filature entièrement liée à celle du textile, s’est formidablement développée depuis cent ans, grâce aux progrès du machinisme, et l’on est bien loin, aujourd’hui, de l’époque où l’on filait à la quenouille et au rouet. A présent, de puissantes usines se sont montées dans tous les pays, et plus particulièrement en France, en Angleterre, en Russie, dans lesquelles le coton, la soie et la laine sont traités mécaniquement et avec rapidité. Le développement de la filature et de l’industrie textile, comme du reste le développement de tout autre corps d’industrie a donné naissance à un prolétariat qui a à lutter contre les gros magnats de la laine, du coton et de la soie, qui entendent naturellement bénéficier de la plus grande partie — sinon de la totalité — des apports de la science ; et les grands centres textiles du Nord de la France, comme du Centre de l’Angleterre sont souvent agités par des mouvements qui dressent les travailleurs contre leur patronat. La filature, cette industrie si nécessaire, si indispensable à la vie de l’homme, ne sera vraiment prospère, elle ne répondra aux besoins de l’humanité, que lorsqu’elle sera entre les mains des travailleurs filant et tissant utilement pour le bien-être de tous.

Au figuré : filature signifie suivre, espionner. « Prendre en « filature » un individu suspect ». La police prend généralement les individus en « filature » avant de les arrêter. Être filé, c’est-à-dire être suivi. Faites attention, prenez garde, vous êtes filé ; vous êtes pris en filature.


FILIATION n. f. (du latin filiatio, de filius, fils). Descendance en ligne directe de père en fils. On distingue trois espèces de filiations : la filiation légitime, la filiation naturelle et la filiation adoptive. La filiation est légitime lorsque l’enfant est né pendant le mariage, et qu’il a été régulièrement inscrit sur les registres de l’État-Civil ; dans tous les autres cas, la filiation est naturelle. La filiation des enfants naturels peut se justifier par l’acte de naissance ou par un acte de reconnaissance. Mais les enfants adultérins ne peuvent jamais se réclamer de leur ascendance paternelle. La filiation ne se justifie qu’au point de vue légal ; physiologiquement, qu’elle soit légitime ou naturelle, elle est aussi fictive que la filiation adoptive.

Bien que pour l’homme sensé jugeant un individu sur sa personnalité et non sur son nom, la filiation soit de peu d’importance, le peuple est encore imbu de certains préjugés en ce qui concerne la reconnaissance légitime des enfants, et un bâtard est encore à ses yeux un être méprisable, comme s’il était responsable des actes de ceux qui lui donnèrent le jour. Ce préjugé disparaîtra avec l’éducation du peuple.

Par extension, on emploie le mot filiation pour désigner la liaison, l’enchaînement d’une chose avec une autre. La filiation des mots ; la filiation des idées. « On voit chez les Grecs une belle filiation d’idées romanesques. » (Voltaire).


FILIÈRE n. f. Instrument utilisé dans l’industrie métallurgique pour étirer les fils mécaniques. Outil d’acier servant à fileter en vis.

Au figuré : suite d’épreuves à travers lesquelles on passe avant d’atteindre un certain but ou obtenir un certain résultat. Passer par la filière administrative. La filière judiciaire ; la filière parlementaire. La société capitaliste dans son organisation administrative, peut être comparée à un instrument percé d’un nombre incalculable de trous qu’il faut traverser avant de voir se réaliser ses désirs. Que ce soit pour obtenir un emploi ou une fonction administrative, judiciaire, diplomatique, il faut passer par la filière, et donner des preuves de respect pour tout ce qui compose la hiérarchie sociale. Elle est une garantie pour la classe bourgeoise qui évince, par les épreuves consécutives auxquelles elle soumet ses agents, tous ceux qui ne marquent pas des attaches profondes aux institutions modernes. La filière est un filtre qui éloigne de la direction de la chose publique toute individualité logique, intelligente qui ne veut pas se courber devant la routine monotone et stupide de l’administration. Seuls, peuvent passer à travers la filière les lâches et les pleutres, ou les hommes sans scrupules pour qui la fin justifie les moyens, et qui abandonnent leur personnalité pour satisfaire leurs ambitions.


FILLE n. f. (du latin filia). Enfant du sexe féminin. Nom que l’on donne à la femme qui n’est pas mariée ; une jeune fille, une vieille fille. Dans l’ordre familial : petite fille : fille du fils ou de la fille, par rapport à l’aïeul ou à l’aïeule. Belle-fille : bru ou fille née d’un premier mariage, par rapport à l’époux nouveau, lorsque l’un des premiers époux se remarie à la suite d’un décès ou d’un divorce. Qui est née à : les filles du désert ; les filles d’occident ; les filles de France.

Fille-mère : nom que l’on donne à une femme non mariée et qui a un enfant non reconnu par le père. La lâcheté et la bêtise humaine rendent la vie difficile à la fille-mère. En vertu de préjugés stupides, on lui reproche d’avoir écouté son cœur et de s’être donnée sans préalablement en avoir informé un officier ministériel. C’est bien la honte d’une société ou tout n’est qu’hypocrisie, de faire grief à une femme d’avoir un enfant, alors que l’homme qui commet l’infamie d’abandonner la mère et le petit continue à jouir de l’estime de ses semblables.

Fille publique ou fille de joie : femme qui s’adonne à la prostitution. N’est-ce pas une ironie d’appeler fille de joie ces malheureuses obligées de vendre leur corps et de se livrer au passant, quel qu’il soit, pour arriver à vivre ? La prostitution est un vice qui découle directement de la mauvaise organisation sociale, et la fille de joie est une victime de la société bourgeoise. La fille de joie a servi de trame à des romans, à des pièces de théâtre, à des chansons, et elle fut exploitée dans son corps et dans son esprit. En termes sanglants, brefs et brutaux, le célèbre chansonnier populaire Jules Jouy a, dans un poème intitulé « Fille d’ouvriers », décrit le calvaire de ces malheureuses. Edmond de Goncourt, le grand romancier, a, dans sa « Fille Élisa », tracé l’histoire d’une fille publique qui, dans un élan d’amour et de pudeur, tue son amant. L’œuvre de Goncourt est une violente protestation sociale. Est-ce suffisant ? Non. La prostitution, la vie de la fille publique sont étroitement liées à une société où tout se négocie, où tout s’exploite, même l’amour ; et ce n’est qu’en détruisant la cause du mal, que disparaîtront la prostitution et les filles publiques.

Filles soumises : les filles soumises sont des prostituées inscrites sur les livres de la police, et astreintes à une visite médicale à périodes fixées. Exploitées par les souteneurs, elles le sont également par les agents des mœurs, qui sont les véritables rois de la rue et spéculent sur leur autorité pour leur arracher soit de l’argent, soit des faveurs. Aussi répugnant que soit le commerce de la prostituée, il l’est encore moins que celui de cette police des mœurs, vivant sur le dos de la fille soumise, et se livrant à son exploitation, à l’abri des lois et avec l’appui de toutes les institutions sociales de la bourgeoisie.


FILM n. m. Bande pelliculaire, en usage dans les appareils photographiques. Le film sur lequel s’enregistrent les vues prises par l’appareil est formé d’un support transparent, souple, résistant, généralement en celluloïd, et portant une couche sensible photographique. Ce support ayant l’inconvénient d’être inflammable et de présenter ainsi de graves dangers, peut se remplacer par des préparations dérivées de l’acétate de cellulose, beaucoup moins combustibles.

On appelle film : le scénario photographique lui-même. Un beau film. Tourner un film, c’est-à-dire enregistrer une scène de cinéma.

La représentation des images sur l’écran ; l’étude des mouvements, par le ralenti, la coloration et le relief des images, font du cinéma, un art beaucoup plus vivant et riche de promesses que le théâtre.

L’art muet — ainsi qu’on le nomme — évolue sans arrêt et des expériences récentes permettent d’espérer la reproduction, non seulement de la voix — les personnages parleront — mais de tous les bruits, qui seront entendus des spectateurs. Les bruits seront enregistrés sur la bande pelliculaire comme sur un disque de phonographe, et répandus dans la salle par haut-parleurs.

Ainsi, pour le plaisir des yeux, des oreilles, le film créera des chefs-d’œuvre inouïs.

Mais qui peut dire tout ce que nous réserve l’application rationnelle du cinéma à l’éducation de tous : enfants dans les écoles ou foules dans les salles de spectacles ? Il y a beaucoup de réalisations dans ce sens déjà, mais les États sont toujours chiches de crédits pour l’enseignement. Seule une société qui aura tué la guerre et l’autorité sera assez riche pour mener cette œuvre jusqu’à ses ultimes limites. ‒ A. Lapeyre.


FILON n. m. Nom que l’on donne à un amas de matières contenu entre les couches d’une nature différente. Un filon d’argent ; un filon de houille. Découvrir un filon ; exploiter un filon. Les deux faces du filon s’appellent des solbandes, et les parois se nomment les épontes.

Au figuré, ce mot signifie avoir trouvé une combinaison agréable, avantageuse, sans danger. Avoir le filon ; c’est un mauvais filon. Il existe des gens qui sont toujours à la recherche du « filon ». Désintéressés de tout ce qui les entoure, agissant avec un égoïsme féroce, ils ne cherchent dans la vie qu’à satisfaire leur petite personnalité, même, s’il le faut, au détriment de leurs semblables. Il est évident que dans une organisation sociale basée sur l’autorité et sur le vol, il existe pour l’homme sans scrupule des filons à exploiter. On ne peut le faire sans nuire à son prochain. Tout se tient dans la société, et il est faux qu’un individu puisse se libérer, seul, de l’étreinte de celle-ci. Celui qui découvre un filon et qui, alors satisfait, se retire de la lutte constante, ininterrompue, que se livrent les exploiteurs et les exploités, prend consciemment ou inconsciemment position en faveur des premiers contre les seconds. On ne peut rester neutre dans la bataille sociale ; et, pour la classe ouvrière, pour le travailleur, il ne peut y avoir de filon, sinon celui de la Révolution sociale, qui assurera le bien-être et la liberté à tous les hommes.


FIN n. f. (du latin finis). Terme, extrémité, bout. Le commencement est la partie que l’on considère comme la première, la fin, celle que l’on considère comme la dernière. La fin de la guerre ; la fin d’un voyage ; la fin d’un livre, la fin du jour ; la fin d’une conspiration ; la fin d’un discours. « En toutes choses, il faut considérer la fin » (La Fontaine). Au figuré : le but que l’on se trace. « La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont plus capables d’un grand effort que d’une grande persévérance » (La Bruyère). Proverbes : « La fin justifie les moyens. Qui veut la fin veut les moyens ».

« La fin du monde ». D’après l’évangile, la fin du monde, c’est-à-dire la destruction de la terre et du genre humain surviendra à une époque indéterminée, et sera suivie par un jugement général et public. L’église avait déjà annoncé la fin du monde pour l’an 1.000, elle s’était trompée. Aussi, aujourd’hui est-elle plus sage et ne fixe-t-elle pas de date. De cette façon, elle ne craint aucune erreur et peut reculer cette fin du monde indéfiniment.

L’homme est un animal paresseux. Une chose le frappe particulièrement : la mort ; et comme bien souvent il ne s’explique pas ce phénomène, il en conclut que tout doit mourir. L’homme a cru pendant des milliers et des milliers d’années que le monde avait été créé pour lui, et par conséquent il ne concevait pas que, lui ayant un commencement et une fin en tant qu’individu, le monde pût n’avoir ni commencement ni fin. Sur l’ignorance, il fut aisé de bâtir toutes les religions, et il n’est pas étonnant que durant des siècles l’humanité ait été aveuglément dirigée par un être supérieur, d’une puissance surnaturelle. Il coule de source que, si l’on accepte le principe de la création, on accepte forcément celui de la fin. Les deux n’en forment qu’un seul. Admettre un commencement, c’est prétendre qu’à une époque aussi lointaine que puisse la calculer l’imagination humaine, rien n’existait, et qu’un jour, une heure, de ce rien fut créé le tout, par la simple volonté d’un « Créateur ». « Avec rien, on ne fait rien, on ne peut rien faire, nous dit Sébastien Faure dans son Imposture religieuse ; de rien, on ne fait rien, on ne peut rien faire, et l’inoubliable aphorisme de Lucrèce : ex nihilo nihil, demeure l’expression d’une certitude indéniable et d’une évidence manifeste. »

« Je pense qu’on chercherait en vain une personne douée de raison qui puisse concevoir et admettre que de rien on puisse tirer quelque chose, et qu’avec rien il soit possible de faire quelque chose. » (S. Faure, l’Imposture Religieuse, p. 22).

Et, en effet, cela est inconcevable. Logiquement, raisonnablement, il faut donc conclure que si rien n’a été créé, il n’y eut pas de commencement, qu’il n’y aura pas de fin, que le monde a toujours existé, qu’il existera toujours, mais qu’il subira indéfiniment des transformations.

L’espèce humaine n’est pas l’unique qui peuple la terre, et l’individu qui rapporte tout à soi et ne peut concevoir l’extinction de la race humaine sans y associer immédiatement la « fin du monde », ne se base pas sur la science et la raison, mais sur l’erreur et l’ignorance. Le globe a subi et subira encore des modifications. La forme de la vie n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, elle ne sera peut-être pas la même demain. « Il est difficile d’avoir toujours présent à l’esprit, écrit Darwin, le fait que la multiplication de chaque forme vivante est sans cesse limitée par des causes invisibles, inconnues, qui, cependant sont très suffisantes pour causer d’abord la rareté et ensuite l’extinction. On comprend si peu ce sujet, que j’ai souvent entendu des gens exprimer la surprise que leur causait l’extinction d’animaux géants, tels que le mastodonte et le dinosaure, comme si la force corporelle seule suffisait pour assurer la victoire dans la lutte pour l’existence. La grande taille d’une espèce, au contraire, peut entraîner dans certains cas, ainsi qu’Owen en a fait la remarque, une plus prompte extinction, par suite de la plus grande quantité de nourriture nécessaire. La multiplication de l’éléphant actuel a dû être limitée par une cause quelconque avant que l’homme habitât l’Inde ou l’Afrique. » (Darwin, L’Origine des espèces, pp. 395, 396).

L’homme qui prétend possible la destruction de la terre et du genre humain, raisonne comme aurait raisonné un mastodonte ou un dinosaure prétendant que tout allait finir parce que son espèce s’éteignait. Le mastodonte et le dinosaure ont disparu, le monde existe toujours, comme il existera encore si l’espèce humaine s’éteint à son tour. Il n’y a pas eu de commencement, il n’y aura pas de fin. Dieu n’a pas créé l’homme, il n’a pas créé la terre, il n’a rien créé, il ne peut rien détruire. Seule la nature indifférente, agit sans but, sans raison, parce que c’est sa nature d’agir, parce qu’elle est immense et que ce qui est immense n’a pas de but. « Si nos yeux, dit Guyau, pouvaient embrasser l’immensité de l’éther, nous ne verrions partout qu’un choc étourdissant de vagues, une lutte sans fin parce qu’elle est sans raison ; une guerre de tous contre tous. Rien qui ne soit entraîné dans ce tourbillon ; la terre même, l’homme, l’intelligence humaine, tout cela ne peut nous offrir rien de fixe à quoi il nous soit possible de nous retenir, tout cela est emporté dans des ondulations plus lentes, mais non moins irrésistibles ; là aussi, règnent la guerre éternelle et le droit du plus fort. » (Guyau, Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction. p. 52)

La vie de l’homme a un terme, comme elle a un commencement, mais la vie de la nature est éternelle et c’est parce que nous savons que la nature est infinie et indifférente, qu’après sa mort l’individu est entraîné, englouti par cette nature, que la mort de l’homme est la fin de « l’homme en soi », qu’il ne peut y avoir pour lui de jouissances ultra terrestres, de paradis ni d’enfer, qu’il entre dans le grand tout, que sa vie spirituelle est intimement liée à sa vie corporelle et matérielle, que nous voulons que durant son court passage sur le globe en tant que personnalité, en tant qu’individu fini, il partage avec ses semblables toutes les jouissances que peut procurer la nature. Incroyants, athées, nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas attendre l’illusoire jugement dernier, la fin du monde, pour gagner le paradis. La fin du monde ne vient jamais, ne viendra jamais, mais ce qui vient, c’est la fin de l’homme. Nous voulons qu’il goûte au bonheur durant sa vie, et à cette fin nous travaillons sans cesse pour voir se réaliser une société où l’humanité enfin rénovée sera infiniment heureuse.


FINALITÉ n. f. Doctrine philosophique qui reconnaît l’existence d’une cause finale et admet que tout ne se fait qu’en vue d’une fin voulue et déterminée. Sociologiquement, les anarchistes communistes ne peuvent pas, à notre sens, ne pas admettre une « cause finaliste », c’est-à-dire un but à atteindre. Pour nous, la finalité, sociologiquement, c’est la transformation, totale, complète, de la société moderne, et l’organisation d’une société nouvelle, élaborée sur les principes du communisme anti-autoritaire.

Considérant l’état d’évolution des sociétés modernes, et le temps nécessaire à réaliser une telle transformation, les négateurs de l’anarchisme communiste peuvent objecter que la vie humaine, que la vie d’une génération ne peut pas suffire à une telle entreprise, et que conséquemment une croyance finaliste est ridicule. Nous ne le pensons pas. L’individu a des besoins et des désirs immédiats, mais il a aussi des aspirations. La vie de l’homme est un tout ; elle ne se compose pas uniquement de nécessités matérielles, mais aussi d’espérances ; or, on peut considérer l’espérance humaine comme un voyage de l’esprit dans l’avenir. L’être imprécis, qui ne sait pas ce qu’il veut est aussi un être indécis dans la lutte, et si l’on juge que l’amélioration du genre humain ne peut être obtenue que par une lutte constante et méthodique, il est indispensable d’envisager un but, et de mener le combat pour essayer de l’atteindre et de s’en rapprocher.

D’autre part, nous pensons que l’individu a besoin d’un idéal. Cet idéal est ce que l’on peut appeler « la finalité ». Est-il intangible ? Ce n’est pas ce que nous affirmons, mais nous croyons que de cet idéal dépendent toute son action, toute son activité, et toute sa vie collective et sociale. Or, pour nous, anarchistes communistes, qui, sans nier la valeur individuelle, prétendons cependant que l’individu est le produit de la collectivité, qu’économiquement il sera toujours subordonné à cette collectivité, nous supposons que sa libération ne peut être que le résultat de la libération économique de toute la collectivité. De là à se tracer un but, il n’y a qu’un pas, et nous avons raison de dire que sans ce but la lutte est inexistante ou tout au moins différente. Et, en effet, l’individu estimant qu’il peut dans la société actuelle trouver un bonheur relatif mais satisfaisant, orientera son action autrement que celui qui juge différemment. L’homme guidé par un égoïsme particulier et personnel, qui n’envisage que le présent le plus immédiat, ne sera jamais un révolutionnaire, au sens que nous donnons à ce mot, mais un individualiste bourgeois n’hésitant pas à user de tous les moyens pour satisfaire aux besoins de son individu.

En vérité, chacun conçoit une finalité, c’est-à-dire une cause finale, un but. Un homme qui traverse la vie sans but est semblable à un animal dépourvu de toute intelligence. Selon nous, ce qui différencie l’homme de la bête, c’est justement que le premier se crée indéfiniment de nouveaux besoins matériels, intellectuels et moraux, et provoque ainsi l’évolution de l’humanité, alors que le second n’a apparemment que des besoins spécifiquement matériels. L’homme est sorti de la trivialité et de la bestialité parce qu’il a conçu une cause finale et que toujours il a cherché à l’atteindre. Plus cette cause finale, ce but, est généreux, plus il signale une conquête de l’esprit sur la matière, de l’intelligence sur la force brutale. Chimère, diront certains ! Mais non. La civilisation marche à pas lents, mais elle marche, et il nous faut espérer qu’un jour, las de se déchirer, les hommes fraterniseront et tendrement unis, vivront en paix dans un monde harmonique.

Poursuivront-ils un autre but, alors ? Qui sait !


FINANCE n. f. (du saxon fine, amende, et du vieux mot français finer, qui veut dire payer). Se dit de l’état de ceux qui s’occupent des revenus d’une nation ou qui traitent des grandes affaires d’argent. Un homme de finance. Être dans la finance. Les finances de l’État. Un ministre des finances. Gérer, administrer ses finances. Se dit aussi pour désigner l’état de fortune d’une personne. Somme d’argent, que dans le passé, on payait au roi pour la levée d’une charge. Bref, la finance est l’ensemble des questions et des opérations relatives à l’argent.

Le culte de l’argent et de la propriété ont donné à la finance une puissance formidable. C’est elle qui dirige le monde, c’est elle qui, dans la société bourgeoise, est le moteur de toute l’activité sociale. Le développement du commerce et de l’industrie capitalistes, les progrès du machinisme, l’intensification de la production ont encore ajouté à sa force et à sa puissance, car son sort est intimement lié à celui de ces deux formes d’exploitation bourgeoise. La concentration du capital s’accentue chaque jour, car les moyens et les procédés de production modernes sont tels qu’il n’est pas permis à la petite industrie de lutter contre la concurrence des puissantes organisations industrielles et, tout naturellement, la petite industrie s’éteint avec rapidité. Il en est de même en ce qui concerne le petit et le gros commerce, ou plutôt la petite et la grosse entreprise commerciale. Mais aux vastes entreprises il faut de gros capitaux, et quelle que soit la richesse d’un groupe d’individus, elle ne suffirait pas aux nécessités du mouvement industriel et commercial des sociétés modernes. C’est alors qu’entre en jeu la finance. Son rôle est de fournir au capitalisme les capitaux nécessaires à ses exploitations.

« Le développement de la production capitaliste, dit Karl Marx, enfante une puissance tout à fait nouvelle : le crédit, qui, à ses origines, s’introduit sournoisement comme une aide modeste de l’accumulation, devient bientôt une arme nouvelle et terrible de la guerre de la concurrence, et se transforme enfin en un immense appareil social destiné à centraliser les capitaux ».

Afin de bien faire comprendre le puissant facteur qu’est la finance, dans la société capitaliste, il nous faut souligner le passage que nous citons ci-dessus. Avant que la finance ne fût puissamment organisée, le développement industriel et commercial était subordonné à l’accumulation. L’accumulation est « l’augmentation graduelle du capital » d’un individu ou d’un groupe d’individus. « Mais il est évident, dit encore Karl Marx, que l’accumulation, l’augmentation graduelle du capital, au moyen de sa reproduction sur une échelle croissante, n’est qu’un procédé lent, comparé à la centralisation, qui, en premier lieu, ne fait que changer l’arrangement quantitatif des parties composant le capital social. Le monde se passerait encore du système des chemins de fer, par exemple, s’il eût dû attendre le moment où les capitaux individuels se fussent assez arrondis par l’accumulation, pour être en état de se charger d’une semblable besogne, que la centralisation du capital, au moyen des sociétés par actions, a accomplie pour ainsi dire en un tour de main. » (Karl Marx, Le Capital). La finance est donc en un mot l’organisation du crédit en faveur du capitalisme. Aucun capitaliste, en effet, ou aucun groupe de capitalistes ne seraient susceptibles, comme le fait si judicieusement remarquer le grand sociologue allemand, de se livrer à de grandes entreprises industrielles et commerciales sans le concours de capitaux extérieurs. Les capitaux disséminés sont impuissants ; centralisés, ils sont une force, mais une force surtout pour ceux qui les gèrent, qui les administrent, et c’est la finance qui remplit ce rôle. Nous disons donc que plus une société est industrialisée, et plus son commerce est étendu, plus la circulation de l’argent est nécessaire, plus sa centralisation est indispensable et plus le règlement des affaires exige — en société capitaliste naturellement — le concours de la finance.

Il fut un temps où le petit commerçant, le petit artisan, le petit paysan, qui avaient réalisé quelques économies, les conservaient jalousement au fond de leur « bas de laine ». Ce temps n’est plus. Aujourd’hui, et surtout depuis la guerre, chacun veut jouir brutalement, rapidement, et goûter les plaisirs que procure la richesse. C’est la course à l’argent, et la finance offre aux avides des possibilités de s’enrichir… ou de se ruiner. Avec l’espérance de toucher de gros dividendes, chacun se démunit de son pécule, le livre à la finance, qui en dispose, qui le gère, qui l’exploite. Du jour où l’individu s’est séparé de son argent pour le remettre entre les mains du financier, ce dernier devient à ses yeux un Dieu. Toucher à l’argent est un crime, toucher au financier en est un autre. Conçoit-on alors la puissance de cette organisation, qui est soutenue par tous ceux qui possèdent en leur portefeuille — et ils sont nombreux — une valeur de 100, de 1.000, ou de 10.000 francs ?

En 1896, Urbain Gohier écrivait un pamphlet sur l’argent, dont nous extrayons ces lignes :

« Le Parlement peut tout ; mais il ne peut toucher à l’argent. Les citoyens soumettent à mille investigations humiliantes tous les actes de leur vie et toutes les parties de leur foyer ; mais ils dissimulent leur argent avec une indomptable énergie. Ils ouvrent leurs caves et leurs magasins aux gabelous, aux rats de caves ; leurs habitations, leurs meubles, aux juges et aux mouchards ; ils déclarent leurs mariages, la naissance de leurs enfants, le décès de leurs proches, leurs ventes, leurs achats ; ils énoncent leurs voitures, leurs chevaux, leurs chiens, leurs billards, leurs bicyclettes ; placés pendant vingt-cinq ans sous la surveillance de la haute police, et numérotés sur des registres, comme des forçats, ils ne peuvent quitter leurs maisons sans avertir les gendarmes ; ils écrivent sur les feuilles du recensement leur confession générale. Mais le chiffre de leur revenu doit demeurer impénétrable… »

« …On a pu violenter ce qui leur restait de cœur et de conscience ; outrager leur Dieu, traquer leur religion, détruire leurs libertés essentielles, décimer leurs enfants : ils n’ont rien dit ; on a voulu mettre un impôt sur la rente et connaître le chiffre des fortunes : ils ont résisté. Leur corps n’a point de pudeur, et leur âme point de dignité ; ils ne gardent le respect ni de leur personne, ni de leur foyer ; mais ils respectent leur argent ; la dignité de leur argent, la pudeur de leur argent ne sauraient souffrir une atteinte. » Et c’est, hélas, vrai. Or, tout cet argent, est entre les mains de la finance. Il n’est donc pas étonnant que la finance soit chose sacrée et qu’elle exerce une influence considérable sur la vie économique des sociétés. »

Nous avons dit plus haut que la finance était étroitement liée au commerce et à l’industrie. C’est elle, en effet, qui engage dans les entreprises industrielles et commerciales de haute envergure les capitaux qu’elle recueille en se réservant, naturellement, une part de bénéfice. Est-il utile d’ajouter que c’est la part du lion ? D’autre part, la liaison est tellement étroite entre la finance, le commerce et l’industrie, que nous retrouvons à la tête de ces trois institutions les mêmes dirigeants, les mêmes groupes de capitalistes.

Dans l’étude de J. Poirey Clément, sur Schneider et le Creusot, nous lisons ceci : « Les grands industriels de la sidérurgie française, les Schneider et les de Wendel, ont compris que, malgré leurs capitaux personnels, ils devaient, pour se garantir dans leurs entreprises et donner de l’extension à celles-ci, s’appuyer sur les financiers. C’est pourquoi ils s’allièrent à l’Union Parisienne, cette autre banque du Comité des Forges, qui permit à Schneider la mainmise sur les entreprises minières et métallurgiques de l’Europe Centrale et aux de Wendel, déjà propriétaires des « Steinhohlenzeche », de Ham (Westphalie), d’acquérir le contrôle de la Hohenlohe Werke A. C., située en Silésie, dans les districts Nord et Sud de Kattowitz et designer un contrat avec H. Stinnes, pour le coke.

Ce qui se produit en France, se produit également dans les autres nations, sur la même échelle, car la finance n’a d’autre but que de centraliser, — nous l’avons déjà dit —, les capitaux, au profit et au bénéfice de certains groupes capitalistes. Comment s’opèrent ces bénéfices ? Chacun sait ce qu’est une société par actions. Les sommes sont souscrites dans le grand public par les établissements financiers et la répartition des bénéfices se fait chaque année, chaque souscripteur recevant une somme de dividende relative au nombre d’actions souscrites. En soi, l’opération n’a rien d’irrégulier ni d’amoral — si nous nous plaçons sur le terrain de la bourgeoisie — et serait honnête si elle s’accomplissait avec la simplicité signalée. Mais ce n’est pas ainsi que l’opération se traite. Toujours dans la brochure de Poirey Clément, nous puisons un exemple sur le trafic des requins de la finance : « Récemment, le capital des Etablissements Schneider et Cie, qui était de 50 millions, a été porté à 100 millions, par la création de 125.000 actions de 400 francs, dont une moitié est souscrite par divers groupes. (Lisez : réservée aux administrateurs et à certaines banques et firmes industrielles, qui recevront des titres, sans fournir de capitaux, et l’autre offerte aux actionnaires actuels à 1.150 francs, à titre irréductible ou à titre réductible, à raison d’une action nouvelle pour deux anciennes possédées, et ultérieurement, au public, à titre réductible, dans la mesure des disponibilités laissées par l’exercice des droits des actionnaires actuels). Ce qui revient à dire que l’augmentation de capital de 50 millions de francs équivaut à un apport de 25 millions de francs d’argent neuf, et qu’en réalité, si 50 millions de francs de titres ont été distribués, 25 millions de francs de ces titres ont été donnés à certaines banques ou à certains administrateurs, qui, sans avoir versé un sou, participeront à la répartition des bénéfices. C’est légal, c’est normal, il n’y a rien à dire, c’est l’escroquerie autorisée.

Si le commerce et l’industrie ont besoin de la finance pour exercer leur exploitation, la finance n’a pas moins besoin du commerce et de l’industrie, pour se livrer à ses louches entreprises. Dans l’organisation du vol légal, ces éléments d’activité capitaliste se complètent.

Il n’existe pas un individu, aussi dépourvu de bon sens, aussi naïf soit-il, qui consentirait, par exemple, à échanger un billet de 100 francs pour une somme de 50 francs. Pour faire accepter une telle opération à son client, la finance est obligée de se reposer sur le commerce et l’industrie et de faire entrer dans ses opérations le facteur marchandise. « Échanger, dit Karl Marx, 100 louis, je suppose, contre 100 louis, serait une opération assez inutile, le mouvement (argent-marchandise-argent) ne peut donc avoir une raison d’être que dans la différence quantitive des deux sommes d’argent. Finalement, il sort de la circulation plus d’argent qu’il n’en a été jeté ; la forme complète de ce mouvement est, par exemple (100 louis — 2.000 livres de coton — 110 louis) ; il aboutit à l’échange d’une somme d’argent, 100 louis, contre une somme d’argent 110 louis. » (Marx, Le Capital).

Ce principe élémentaire du commerce donne, par son développement, naissance à une foule de combinaisons d’ordre financier, dont le profane n’a aucune idée. Cependant, il ne suffit pas à la finance de trouver des capitaux ; encore faut-il, pour que le mouvement de circulation d’argent et de marchandise s’opère régulièrement et produise une plus value, que ces capitaux soient utilisés industriellement ou commercialement.

« Le mouvement : vendre pour acheter, qui vise à l’appropriation de choses propres à satisfaire des besoins, écrit encore Karl Marx, rencontre, en dehors de la circulation, une limite dans la consommation des choses achetées, dans la satisfaction des besoins ». Ce qui revient à dire que pour vendre, il est indispensable que la production s’écoule indéfiniment, sans quoi la production s’arrête et les capitaux ne trouvent pas leur emploi. Et c’est alors que la finance, l’industrie et le commerce pénètrent dans le domaine politique, à la recherche de débouchés propres à satisfaire aux besoins d’écoulement des marchandises produites, lorsqu’il s’agit d’une surproduction nationale, ou encore pour acquérir des privilèges territoriaux dans des contrées possédant des richesses non encore exploitées.

Nous savons que les puissances d’argent, pour se livrer en toute liberté à leurs manœuvres, dépensent des sommes formidables et que ce sont elles qui dirigent, par l’intermédiaire d’hommes de paille, les grandes institutions d’une nation. Nous avons démontré, d’autre part, (voir Capital, Capitalisme), que la plupart des parlementaires étaient des agents de la finance et de l’industrie, et personne n’ignore que toutes les élections législatives ou municipales sont subordonnées à la propagande dont l’argent est le nerf principal. Pourtant, il est une chose qui pourrait gêner, dans ses opérations, le monde de la finance : c’est l’opinion publique. On peut acheter 100, 200, 500, 1.000, 10.000 personnes, on ne peut acheter toute une population. Cette population, il faut donc la tromper, l’aveugler de façon qu’elle ne se rende pas compte comment on la dépouille. Pour accomplir cette œuvre, la presse était tout indiquée, et elle remplit son rôle à merveille. La publicité financière alimente les caisses des grands journaux, à condition que ceux-ci se taisent sur le dessous des opérations auxquelles se livre la finance. On peut dire qu’en 1927, il n’y a pas en France et de par le monde, un seul journal quotidien qui puisse vivre par les ressources qui proviennent de sa vente et qu’il est obligé d’avoir recours à la publicité. Vers la fin de 1926, une petite révolution de palais éclata au sein d’un grand quotidien parisien, et ce journal publia une petite brochure, dans laquelle il tentait d’expliquer ce qu’est la publicité financière. Nous en extrayons ces lignes : « Publicité financière », est une expression vague, qui, dans le monde des journaux, en est venue à englober toutes sortes de publicité, bien différentes les unes des autres.

« Le tarif que vous voyez figurer quelquefois à la sixième page des journaux, pour les coffres-forts que louent les établissements de crédit, on appelle cela de la publicité financière.

« Or, ces réclames n’ont rien de financier. Pas plus que le tarif des différents genres de parapluies que vend un marchand. Elles sont payées par les établissements financiers, qui les font insérer, voilà tout.

« L’annonce des assemblées générales des grandes sociétés anonymes, la liste des numéros gagnants dans les tirages de valeurs à lots, on appelle cela de la publicité financière.

« Mais, qu’y a-t-il là de spécifiquement financier ? Rien…

… « C’est que, voilà : ces réclames sont assez fréquemment le moyen par lequel certaines entreprises, certains services publics, essayent de se concilier la presse, de façon à ce qu’elle ne s’avise jamais de signaler leurs abus.

« Autre danger : les textes de cette publicité, publiés quelquefois en placard, dans les annonces, quelquefois dans le Bulletin financier, peuvent, en exerçant d’adroites pesées sur les esprits, créer des courants favorables aux pires opérations de finance ou de politique.

« Ceux qui dirigent un journal, quelque avisés et vigilants qu’ils soient, ne peuvent pas être toujours sûrs de discerner les idées de derrière la tête de ceux qui payent ces insertions. »

Est-ce clair ? La finance, par le truchement de la publicité, asservit la presse. Mais cela ne lui suffit pas. Comme ce n’est pas une garantie suffisante, toutes les grandes entreprises de crédit ont leurs journaux à eux ; chaque groupe de gros financiers a son journal. Ayant dans des coffres l’argent de la population, ayant entre ses mains les principaux organes d’information et de propagande publique, est-il besoin de dire que la finance fait l’opinion publique, que c’est elle qui dirige la politique, et que les gouvernements, quelles que soient leurs couleurs ou leurs tendances, ne sont que les plats valets des puissants établissements de crédit et des vastes entreprises d’exploitation sociale ? Comment s’étonner alors, qu’un ministère, qu’un gouvernement, qu’un parlement, soit par essence même conservateur et qu’ils agissent dans l’intérêt du Capital ? Il fut des gouvernements qui tentèrent de résister à l’emprise de la finance sur la politique. Ils furent brisés. Même, s’il était possible de supposer qu’un gouvernement fût honnête, il serait dans l’incapacité absolue de faire quoi que ce soit ; car, immédiatement, se dresseraient contre lui toutes les forces coalisées du capital : finance, commerce et industrie, qui détiennent toutes les richesses économiques et actionnent tous les rouages de la machine sociale.

Les conséquences de cet état de choses sont désastreuses pour les classes asservies, cela se conçoit. Toutes les actions politiques d’un État, sont orientées vers la conservation des privilèges à ceux qui les détiennent et à la poursuite de l’exploitation de l’homme par l’homme. Les finances d’une nation qui, si la démocratie n’était pas un trompe-l’œil, un mensonge, une erreur, devraient être alimentées par ceux qui détiennent la fortune, le sont par les misérables travailleurs, honteusement exploités par les forces de régression sociale (Voir impôt). L’argent que recueille un gouvernement, en pressurant la classe ouvrière, ne sert, en sa grande partie, à perpétuer des institutions susceptibles de défendre et de soutenir les privilèges acquis par la rapine, le vol et l’assassinat. C’est pour la finance que sont entretenues, dans tous les pays du monde, des armées colossales. C’est pour la finance que s’organisent les expéditions coloniales. C’est pour la finance que se font tuer, sur les champs de bataille, des millions de travailleurs.

Monstre tricéphale qui a déjà englouti tant de générations d’êtres jeunes et forts, combien de temps encore le capital accomplira-t-il ses méfaits ? Le peuple n’en a-t-il pas assez et ne se résoudra-t-il pas bientôt à mettre fin, par la révolution, à cette triple aberration que sont le commerce, l’industrie et la finance ? Ce n’est, cependant, qu’à ce prix qu’il peut espérer vivre un jour libre et heureux au sein d’une société où le travail sera enfin libéré de tous les parasites inhérents au capitalisme. — J. Chazoff.


FINANCIER n. m. (de finance). Celui qui s’occupe de finance. Personne qui fait des opérations de banque, de bourse, qui spécule, qui traite des affaires d’argent. Un grand financier, un habile financier, un financier véreux, un riche financier. « Les financiers gouvernent la France », dit le Lachâtre. Il pourrait dire le monde. Et il ajoute : « La révolution a plutôt augmenté que réduit leur influence. Il n’y a plus de traitants, de fermiers, de maltôtiers ; mais il y a encore des capitalistes, des banquiers, des fournisseurs. C’est la haute finance et la grande propriété qui, à quelques exceptions près, occupent aujourd’hui, dans la hiérarchie sociale, la place de l’ancienne aristocratie. »

Nous avons vu, d’autre part, (voir les mots : banque, capitalisme, finance), l’influence exercée par l’argent dans le monde moderne ; il n’y a donc pas lieu d’être surpris si les financiers sont si puissants et si ce sont eux qui dirigent toute l’activité économique et politique d’une nation. Responsable de toutes les plaies sociales dont souffre l’humanité, le financier est un parasite qui crée du parasitisme, car il traîne derrière lui toute une armée d’inutiles qui ne donnent absolument rien en échange de ce qu’ils reçoivent de la collectivité. A mesure que se développe le capitalisme, les gros financiers sont de moins en moins nombreux et l’on peut dire que toutes les finances publiques ou privées sont de nos jours gérées par une infime poignée de magnats, véritables despotes, détenant en leurs mains les destinées du monde et jouant sur la paix ou sur la guerre des peuples, selon les intérêts des groupes de commerçants et d’industriels auxquels ils appartiennent.

Dans l’orbite de ces puissants seigneurs évolue toute une multitude de petits bourgeois, coulissiers, remisiers, etc…, véritables valets qui se contentent d’un os à ronger et sont toujours prêts à traiter les affaires plus ou moins louches qui n’intéressent qu’en second la haute finance. Les uns et les autres sont aussi néfastes, aussi dangereux. La vie du financier étant étroitement enchaînée à celle de l’ordre bourgeois, toute la gent financière est réactionnaire et conservatrice à l’excès. Malgré la hiérarchie qui existe dans le monde de la finance, un esprit de corps n’en existe pas moins au sein de cette horde, et si, parfois, par accident, un scandale éclate à la suite de l’abus d’un financier, trop rapace ou pas assez malin, immédiatement la solidarité joue, et l’impossible est fait pour étouffer ce scandale.

Essayer d’affaiblir le financier serait peine perdue. Il est le maître, avons-nous dit, le maître absolu de tout ce qui se décide politiquement, socialement et économiquement sur notre terre. Pour que sa puissance s’écroule, il faut détruire la finance et ses causes, et c’est alors seulement que le travailleur pourra, sous son talon, écraser le financier.