Encyclopédie anarchiste/Fisc - Fonds
FISC n. m. (du latin fiscus, panier). Les anciens mettaient leur argent dans une sorte de panier appelé fiscus, de là l’origine du mot fisc, qui signifie maintenant : trésor. Le fisc est une des institutions de L’État. C’est l’appareil chargé de la perception des impôts votés par le Parlement ; c’est l’institution qui centralise les revenus d’une nation. Le fisc est l’organisme le plus important du ministère des finances, et par extension, le plus ferme soutien de l’État bourgeois, puisque en exécutant les lois financières, c’est lui qui assure les ressources d’une nation. Tyrannique et impitoyable, pour ceux qui ne peuvent se défendre, c’est-à-dire les petits, il est d’ordinaire assez indulgent pour les « gros », qui échappent assez facilement aux exigences de cette administration. Rien de plus naturel du reste, si l’on admet qu’en régime capitaliste, toutes les charges d’un État doivent retourner en fin de compte sur le dos des masses productrices. Les droits du fisc sont très étendus et ont été dénoncés par tous les hommes d’esprit libéral. J.-B. Say, le célèbre économiste français du xixe siècle, disait : « C’est une chose toute naturelle que chaque homme prenne l’esprit de son état ; et c’est en même temps une chose assez fâcheuse quand ce même esprit pèse sur la société. La position des agents du fisc, depuis le ministre des finances jusqu’au dernier employé, les rend perpétuellement hostiles envers les citoyens. Tous considèrent le contribuable comme un adversaire, et les conquêtes que l’on peut faire sur lui comme légitimes. Il arrive même que les employés trouvent, à vexer le redevable, une certaine satisfaction d’amour-propre, un plaisir analogue à celui que ressentent les chasseurs, lorsqu’ils réussissent, par force ou par ruse, à se rendre maîtres du gibier. Cet esprit de fiscalité se traduit le plus souvent par l’interprétation judaïque des lois de finances dans les instructions ministérielles ou les règlements auxquels elles donnent lieu, de sorte que le législateur ne saurait trop bien préciser sa pensée. Il est, en outre, surexcité par le système qui proportionne tout ou partie du traitement des fonctionnaires au montant des recettes, et c’est un grand malheur. »
J.-B. Say se trompe, lorsqu’il s’imagine que dans une certaine mesure, le législateur peut améliorer le régime fiscal ; il faut, pour cela, supposer un législateur libre, et indépendant, non soumis aux fluctuations de la politique et détaché de tout intérêt économique. Nous savons que c’est impossible. Les débats financiers d’une assemblée législative sont généralement les plus mouvementés, car ce sont eux qui déterminent les revenus nécessaires à l’État et répartissent les charges de chacun. Or, chaque législateur est l’agent indirect d’un groupe d’électeurs, et son mandat est subordonné à l’attitude qu’il prend en certaines circonstances. Si, politiquement, il est possible au député de biaiser, financièrement, cela lui est plus difficile, car, lorsqu’il est question d’argent, lorsqu’il faut ouvrir son portefeuille pour alimenter les caisses du fisc, le plus conciliant des électeurs devient rébarbatif et jamais il ne pardonnerait à son représentant de ne pas avoir tenté d’amoindrir ou d’alléger sa participation aux charges de l’État. Si l’on sait qu’un gouvernement est le représentant politique des puissances économiques, et que le Parlement n’est qu’un composé — à part de rares exceptions — d’hommes de paille de la bourgeoisie, on comprendra que ni le gouvernement, ni le parlement, ne veulent contrarier la classe dominante, dont ils sont chargés de défendre les intérêts, et que, sous forme d’impôts (voir ce mot) directs ou indirects, ils puisent leurs ressources là même où se trouve le moins d’argent : dans le peuple. C’est donc le peuple qui est la principale victime du fisc, bien que les apparences laissent croire que c’est la bourgeoisie qui est la plus touchée, car c’est elle qui reçoit généralement les feuilles du percepteur ; cela ne doit cependant pas nous tromper, puisque nous ne pouvons ignorer que tous les impôts directs sont répartis par le commerçant ou l’industriel à son compte frais généraux et que c’est le consommateur qui paie tout cela.
Où le fisc se montre particulièrement avide, c’est lorsqu’il fait sévir contre les malheureux. Alors, il n’a plus de mesure. Qu’un travailleur se refuse à payer l’impôt sur le salaire, qu’il ne trouve pas de fonds pour payer une amende, et c’est la saisie ou la prison. Combien de pauvres bougres ont déjà vu vendre leurs quelques meubles aux enchères publiques, parce qu’ils ne pouvaient soustraire de leurs maigres salaires la forte somme exigée par l’agent du fisc ? Combien de travailleurs n’ont-ils pas payé, par des jours de prison, le « crime » de n’avoir pas d’argent ? Non seulement le régime fiscal est arbitraire, parce que c’est la classe productrice qui en fait tous les frais, mais le fisc est l’administration la plus cruelle à l’égard des infortunés. Et il ne semble pas que cela aille en s’améliorant, bien au contraire ; huit ans après la guerre, le fisc se montrait d’une cruauté sans précédent, au point de faire exercer la contrainte par corps à ceux qui ne pouvaient payer les amendes civiles ou politiques auxquelles ils avaient — à tort ou à raison — été condamnés.
Nous ne croyons pas en conséquence, que le législateur puisse apporter un remède à cet état de chose. De tout temps, les lois fiscales ont avantagé les possédants, et il en sera ainsi tant qu’il y aura des lois, des impôts, des imposants et des imposés, des travailleurs et des parasites, des exploiteurs et des exploités, en un mot un régime capitaliste. Les démocrates, les socialistes, les libéraux, peuvent échafauder des monuments de lois fiscales, ils ne changeront rien, sinon les apparences ; car l’égalité économique ne peut sortir d’un parlement. Chaque année, la même comédie recommence dans les assemblées législatives ; chaque année les mêmes paroles sont prononcées et le peuple paie toujours au fisc, à la sueur de son front, pour entretenir le char de l’État. Et il en sera ainsi jusqu’au jour où il fera sauter et le char et le parlement.
FLAGORNER v. On n’est pas exactement fixé sur l’étymologie de ce verbe et de ses dérivés : flagornerie, flagorneur. Peut-être, comme le suppose Littré, la syllabe fla, qui semble se rattacher à flatter, a été une des causes qui lui ont fait prendre son sens actuel. Mais si l’origine du mot est obscure, son sens est bien clair. Flagorner, c’est flatter souvent et bassement. On flagorne quelqu’un. On se flagorne mutuellement avec d’autres.
La flagornerie est un moyen d’exploitation de la vanité humaine. Sont des flagorneurs en puissance tous les complaisants, les courtisans, les flatteurs, les adulateurs « qui vivent de bassesse et d’intrigue » (P.-L. Courier), car, pour réussir, ils sont obligés de répéter de plus en plus souvent et toujours plus bassement leurs complaisances, leurs courtisaneries, leurs flatteries, leurs adulations. « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute », a dit La Fontaine. Mis en goût par un premier succès et son ambition grandissant, le complaisant devient facilement un courtisan. Celui-ci, pour arriver, doit être un flatteur, et il ne réussit complètement qu’en se livrant à la flatterie répétée et sans mesure, c’est-à-dire à la flagornerie.
La vanité humaine a des formes nombreuses et étendues. Elle est le fond principal de cette sottise dont la mesure donnait à Renan l’image de l’infini (Voir Sottise). Elle ouvre un vaste champ à la flagornerie. Aussi fait elle que « la société n’est proprement qu’un commerce de mensonges officieux et de fausses louanges, où les hommes flattent pour être flattés » (Fléchier). Dans cette société, la flagornerie trouve des ressources illimitées. Il n’en faut pas moins une certaine adresse pour réussir dans ce métier ; il faut autant de ruse que d’absence de scrupules. Le vaniteux n’est pas toujours un imbécile, un lourdaud qu’on « achète » par quelque grosse flatterie. Il peut être aussi un puissant qui se vengera cruellement s’il voit qu’on s’est moqué de lui. Les flagorneurs les plus marquants se recrutent parmi ce qu’on appelle les « gens d’esprit » ; ils exploitent à la fois la vanité des puissants et la sottise publique. Les puissants sont leurs « patrons », du latin « patronus », comme on appelait déjà dans la Rome antique ceux qui protégeaient ces « parasites » appelés « clientis (clients), hommes à tout faire pour leurs protecteurs », gens de finance et de gouvernement. Ces « gens d’esprit » appartiennent généralement à la corporation aussi nombreuse qu’indéterminée des « gens de lettres » (Voir Lettres). En raison de la publicité indispensable au plein rendement de leur besogne, ils écrivent dans des livres, revues, journaux, prospectus, et ils pérorent encore plus qu’ils n’écrivent, au parlement, à l’Académie, au théâtre, au radiophone, dans les réunions publiques, partout où ils peuvent avoir un auditoire. Ils flagornent en haut les prétendues élites dirigeantes (voir Élite) ; en bas, la foule ignorante que leur démagogie entretient inlassablement dans l’illusion de sa souveraineté. Ils sont des acarus qui vivent sur les hontes et les misères sociales.
Pour donner l’idée de la flagornerie dans ses variétés, rien ne vaut les exemples dont l’histoire abonde. Un des plus caractéristiques est dans le réseau d’intrigues qui se forma, il y a quelques vingt-cinq ans, autour d’un nommé Chauchard, qui avait fait fortune dans la camelote d’un grand magasin. Ce Chauchard fut certainement l’imbécile le plus intégral de son époque, et une nuée de parasites vécurent de l’exploitation de son incommensurable vanité. Il n’est pas certain que tout ce qu’on a raconté à propos du personnage soit vrai ; c’est en tout cas vraisemblable. On attribue entre autres à certain ministre ce mot renouvelé du danseur Vestris : « Il y a eu trois grands hommes au xixe siècle : Napoléon, Pasteur et Chauchard ». Chauchard crut que c’était arrivé et fit du ministre son légataire universel. Si le mot n’est pas certain, il est digne du ministre qui décora ce calicot enrichi et qui fit entrer au Louvre la collection de « croûtes » appelée « donation Chauchard ». Flagorneurs ministériels et académiques ne manquèrent pas, à ce nouveau M. Jourdain qui, lorsqu’il recevait ces gens, en les payant fort cher, avait l’air d’un maître d’hôtel égaré parmi les invités de son maître. Paris s’amusa fort des funérailles carnavalesques de Chauchard ; mais ce jour-là, ce ne fut pas le « pauvre mort » qui fut le plus grotesque ; la dignité ministérielle et académique laissa son dernier reflet dans cette chienlit.
Comme a dit Larousse : « De tout temps, les princes ont eu des courtisans, les gens en place des complaisants et les riches des flatteurs ». Tous, courtisans, complaisants, flatteurs, furent des flagorneurs. Et Larousse a ajouté : « Capitulation devant les mauvais instincts, perte de tout respect de soi-même, de tout sentiment de pudeur, recours à l’intrigue, à de basses et viles complaisances pour obtenir une fortune et des honneurs. Ce sont là les caractéristiques de ces espèces. »
Les courtisans de Denys le Jeune faisaient semblant d’être myopes comme lui. Ceux d’Alexandre portaient la tête penchée, pour l’imiter. Anaxarque, le philosophe, entendant gronder le tonnerre, disait au même Alexandre : « Fils de Jupiter, n’est-ce pas toi qui as tonné ? »
Philippe, roi de Macédoine, avait perdu un œil ; Clésophus parut devant lui avec un emplâtre sur le même œil. Quand Philippe fut blessé à une jambe, Clésophus boîta.
Un comte de Saxe était si gros que son abdomen débordait sur la table. Ses courtisans se bourraient le ventre de fourrures pour paraître aussi gros que lui.
Un astrologue avait dit à Charles IX qu’il vivrait autant de jours qu’il pourrait tourner de fois sur un talon dans l’espace d’une heure. Tous les matins, ce roi se livrait à cet exercice, et les gens de cour, jeunes et vieux, des généraux, des magistrats, faisaient comme lui.
Le duc d’Uzès répondait à Louis XIV, lui demandant quand sa femme accoucherait : « Sire, quand vous voudrez ! ». Le même, de qui la reine voulait savoir l’heure qu’il était, faisait cette réponse : « L’heure qu’il plaira à Votre Majesté ». Un chimiste du xviiie siècle qu’un roi avait visité, faisant une expérience devant lui, dit : « Sire, ces deux gaz vont avoir l’honneur de se décomposer en présence de Votre Majesté ». Le duc d’Uzès aurait ajouté : « Si Votre Majesté le permet ».
Le maréchal La Feuillade faisait brûler jour et nuit des lampes aux pieds de la statue de Louis XIV, place de la Victoire.
On confondait souvent, au xviie siècle, les mots gros et grand. Louis XIV ayant demandé que l’Académie déterminât exactement leur sens, Boileau lui dit : « Votre Majesté n’a rien à craindre. La postérité distinguera toujours Louis le Grand de Louis le Gros ». Le même Boileau, sous prétexte d’imiter Pindare, écrivit pour flatter Louis XIV l’Ode sur la prise de Namur. On lui doit aussi des vers comme ceux-ci :
Grand roi, cesse de vaincre ou je cesse d’écrire.
Puisqu’ainsi dans deux mois tu prends quarante villes,
Assuré des beaux vers dont ton bras me répond,
Je t’attends, dans deux ans, aux bords de l’Hellespont.
C’est en vivant dans une atmosphère constante de flagornerie que les puissants de la terre en sont arrivés à croire qu’ils étaient des êtres exceptionnels, issus de la divinité qu’ils représentaient, et comme le plus souvent ils n’étaient que de pauvres hommes physiquement dégénérés, superstitieux, ignorants, inaccessibles à tout sentiment qui n’était pas celui de leur puissance, on comprend qu’ils aient suivi les voies d’une domination sans limites où les poussaient les flatteurs, conseillers criminels, et où ils s’engagèrent presque tous. Ils ne seraient pas longs à compter ceux qui ne rêvèrent pas de gloire militaire et d’un vaste empire, ceux qui ne désirèrent, pas voir toutes les têtes courbées devant leur autorité, ceux dont le caprice admit que quelque chose fût impossible. C’est certainement un flagorneur qui a dit que le mot « impossible » n’est pas français. Dans tous les pays, ce sont les flagorneurs de l’esprit national qui ont créé la sauvagerie nationaliste. Pour en revenir aux puissants, c’est en vain que la nature leur rappelait qu’ils n’étaient que des hommes ayant à satisfaire les nécessités les plus basses, soumis plus que quiconque aux maladies, en raison d’hérédités lamentables et appelés comme tous à mourir, car :
La garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend point nos lois.
Tout cela ne suffisait pas à leur montrer combien monstrueuse et ridicule était leur prétendue divinité. Ils n’admettaient pas que :
Si grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes ;
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes.
On leur prêtait le pouvoir de guérir les maladies contre lesquelles la science humaine était impuissante. Les rois d’Angleterre et de France guérissaient, disait-on, les écrouelles. Voltaire a raconté à ce sujet que le roi Louis XI avait fait venir auprès de lui, pour le guérir des suites de son apoplexie, celui dont on a fait saint François de Paule. Ce saint demanda de son côté au roi la guérison de ses écrouelles. Les deux augures furent aussi impuissants l’un que l’autre à se soulager mutuellement.
Que pouvait-on espérer de raisonnable et de sensé d’un Denys l’Ancien se laissant convaincre par le flagorneur Damoclès, qu’il était plus grand poète que Phrynicus, Stésichore et Pindare ? Il ne pouvait être que ce qu’il fut : tyran de Syracuse. De même d’un Caligula qui fit battre de verges le mime Pâris ne lui répondant pas assez vite que lui, Caligula, chantait mieux que Jupiter ? Il fut le plus cruel et le plus stupide de tous les empereurs romains.
Aucun roi n’a été aussi bassement flatté, et entouré de flagorneurs si nombreux et si habiles que Louis XIV. L’adulation ne suffit pas de son vivant. Après sa mort, grâce à Voltaire, s’établit la mystification du Siècle de Louis XIV (voir Plutarquisme), qui continue encore aujourd’hui, entretenue et renouvelée par des écrivains d’ancien régime. Intelligence médiocre, âme de cabotin avide de bruit et de flatterie, caractère égoïste jusqu’à l’inhumanité, Louis XIV, comme presque tous les rois, a devant l’histoire cette excuse qu’il fut spécialement dressé pour être un sot malfaisant. On sut remarquablement développer et exciter ses mauvaises passions, étouffer celles qu’il pouvait avoir de bonnes. Lui-même ne put s’empêcher de remarquer que « parmi les courtisans il est beaucoup d’intrigants et peu d’amis ». Il ne sacrifia pas moins les amis aux intrigants. Exemple : la disgrâce de Colbert et la fortune de Chamillard qui devint ministre parce qu’il se laissa gagner au billard par le roi !… Devenu vieux, Louis XIV ne devait pas se faire ermite, comme le diable ; il se livra aux jésuites, ce qui fut pire. Ses courtisans ne purent moins faire qu’en exagérant dans cette voie. Aucune cour n’afficha plus de vertu hypocritement effarouchée en pratiquant plus de vices que la sienne. Elle fut la cour où triompha Tartufe, c’est tout dire.
Cachez ce sein que je ne saurais voir,
disait le saint homme ; il n’en fourrageait que mieux sous les jupes.
Xavier Marmier a vu, à Saint-Pétersbourg, les cahiers d’écriture de Louis XIV enfant. Dès l’âge de cinq ans, on lui faisait écrire, répétées de nombreuses fois, des phrases comme celle-ci : « L’hommage est dû aux rois ; ils font tout ce qui leur plaît ». Louis XIV n’eut jamais une belle écriture, ce qui aurait été indigne de lui, mais on sait comment il fit régner son « bon plaisir ». Plus tard, il devait écrire lui-même pour l’instruction de son fils : « Je possède la fortune de mon peuple en toute propriété. » S’il avait eu une hésitation à écrire ça, son confesseur, le jésuite Tellier, l’eût rassuré en lui apportant cet avis de docteurs en Sorbonne : « Tous les biens de ses sujets étaient à lui en propre ; et, quand il les prenait, il ne prenait que ce qui lui appartenait. »
Si, comme a dit Saint Simon, Louis XIV était né bon et juste, ses éducateurs se chargèrent de lui faire perdre ces qualités, indignes, elles aussi, d’un roi de la tradition. S’il alimenta des échos de ses amours, la chronique scandaleuse du temps, c’est surtout parce qu’il n’y eut autour de lui, parmi les plus grands, que des gens lui offrant leurs femmes ou leurs filles. Un seigneur de Villarceaux, sollicitant une charge pour son fils, proposait en même temps au roi, sa nièce pour maîtresse. Si l’on en croit Dion Cassius, flatteur d’Auguste, le monstrueux privilège appelé droit de cuissage, qui a été un des plus odieux de la société féodale et qui s’exerce encore hypocritement dans la société actuelle, aurait été établi par flatterie pour les puissants, et ne résulterait nullement de leur violence. L’origine en serait dans le droit que le sénat de Rome aurait offert à César « de coucher avec toutes les dames qu’il daignerait honorer de ses faveurs ». La mentalité des courtisans de Louis XIV, entremetteurs de la prostitution des femmes de leurs maisons, confirme l’exactitude de cette explication du droit le plus révoltant.
Il n’était pas de sentiment de dignité, d’honneur ou d’amitié qui résistât chez les courtisans devant la possibilité d’une quelconque faveur. Un duc de Gesvres était un des intimes du surintendant Fouquet. Quand le roi fit arrêter ce ministre, il en chargea d’Artagnan. Le duc de Gesvres pleura de douleur, non de la disgrâce de son ami, mais de ce qu’il n’avait pas été chargé de l’arrêter !… Lorsque le clergé parvint à faire révoquer l’Édit de Nantes, grâce à l’influence déterminante des jésuites, voici comment Bossuet salua ce parjure de ce crime de Louis XIV : « Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis ; poussons jusqu’au ciel nos acclamations et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente pères dirent autrefois dans le concile de Chalcédoine : « Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques : c’est le digne ouvrage de votre règne, c’en est le propre caractère ! ». » Massacres, spoliations, proscriptions, voilà ce qu’un flagorneur religieux trouvait de plus digne pour caractériser le règne de Louis XIV, et ce flagorneur était Bossuet « l’aigle de Meaux », une des « lumières de l’Église » !…
Louis XIV ayant été opéré d’une fistule à l’anus, tout le monde à la cour voulut avoir sa fistule et offrir son derrière au bistouri des chirurgiens qu’on assaillait. Mais ce qui montre plus que tout le degré de basse servilité où était capable de tomber cette prétendue élite de la noblesse, c’est le privilège de « porter le coton », qui était consacré par le brevet d’affaires permettant d’assister le roi et de lui présenter le torche-cul quand il était sur sa chaise percée !…
Finissons-en avec ces mœurs qui sentent plutôt mauvais et avec Louis le Grand — pauvre Boileau ! — en citant ce mot du maréchal Villeroy, aussi pitoyable maréchal que cynique courtisan : « Il faut tenir le pot de chambre aux ministres tant qu’ils sont en place, et le leur verser sur la tête quand ils n’y sont plus. » C’est, en style lapidaire, tout le secret de la réussite des flagorneurs. Celui qui reste fidèle à l’infortune et ne sait pas, à propos, lancer le coup de pied de l’âne, ne réussit pas dans la vie qu’ils ont faite.
Louis XV fut encore plus mal élevé que son aïeul. Les « grands hommes », les savants, artistes, éducateurs, tous « intellectuels d’élite » ne manquèrent pourtant pas, si nous en croyons l’histoire, à la fin du « grand siècle » qui vit l’adolescence de ce roi. Barbier, qui « idolâtrait » Louis XV enfant au point d’écrire dans son Journal ceci : « … Il a pris de l’émétique, ce qui a fait une évacuation charmante », ce Barbier peu suspect par conséquent de médisance, écrivait aussi : « On commence à craindre que le caractère du roi (alors âgé de treize ans), ne soit mauvais et féroce », et il racontait comment le roi avait tué lui-même, sans autre motif que son caprice, une biche blanche qui venait manger dans sa main. « On a trouvé cela très dur », dit Barbier. Mais n’avait-on pas fait tout ce qu’il fallait pour que le futur Louis XV arrive à cette dureté ? A six ans, on lui donnait le divertissement de voir réunis dans une vaste salle un millier de moineaux au milieu desquels on lâchait les oiseaux de la fauconnerie qui tuaient tout. Et le jeune prince s’amusait fort de l’affolement des moineaux, de leurs cris de détresse, de leur agonie et de la vue du sang. Comment s’étonner que Louis XV eut une si violente passion pour la chasse, qu’il y participa plus de cent fois par an, et qu’en vingt-cinq ans il tua lui-même plus de deux mille six cents cerfs ? Comment s’étonner aussi que cette férocité se soit exercée jusque sur des enfants qui lui étaient livrés pour de sadiques plaisirs ? Comment s’étonner enfin de cet égoïsme qui lui faisait dire : « Après moi, le déluge » ? Le déluge, ce fut la Révolution qui sortit de la misère du peuple et des turpitudes dirigeantes qu’une aristocratie décadente et pourrie rendait encore plus odieuses. Les plus clairvoyants la voyaient arriver et l’annonçaient, cette Révolution ; les flagorneurs du régime s’appliquaient à la nier.
Napoléon, qui singea Louis XIV dont il envia la prétendue grandeur étant sans doute bien peu sûr de la sienne, ne manqua pas non plus de flagorneurs. Il les recherchait pour s’entendre dire qu’il était un « grand homme », et il les payait cher. Cyniquement, il leur disait qu’il les savait à vendre, mais l’espèce n’ayant aucune pudeur en était flattée. C’est sur Napoléon Ier qu’a été écrite ce que Larousse appelle « la plus complète monographie du courtisan » : les Mémoires de M. de Beausset, préfet du palais impérial. Dans ces Mémoires, il est écrit qu’il n’y avait à la cour de Napoléon que des gens et des choses adorables. M. de Beausset était tellement enchanté de son maître, qu’il lui trouvait, entre autres qualités, la « modération », la « franchise politique » et « une bonhomie qui s’infiltrait dans tous les cœurs ». D’autres Mémoires, ceux de Mme de Rémusat, disent ce qu’il faut penser de tout cela. M. de Beausset va jusqu’à dire que Napoléon fut dépourvu d’ambition : « S’il eût été ambitieux, serait-il tombé sur l’homicide rocher de Sainte-Hélène ?… » On est désarmé devant cette ingénuité, et elle est certainement sincère, car les Mémoires de M. de Beausset ne parurent qu’en 1827, en un temps où Napoléon ne pouvait plus rien pour lui. Celui-là, au moins, avait gardé la reconnaissance des bienfaits reçus ; il ne « vidait pas le pot de chambre » sur la tête de son maître vaincu.
Les rois plus ou moins constitutionnels du xixe siècle eurent aussi des flagorneurs sous les espèces de ces courtisans, que P.-L. Courier a si vigoureusement cinglés du fouet de sa satire. Ils ne manquèrent pas non plus autour de Napoléon III et des aventuriers, gens de sac et de corde, qui perpétrèrent avec lui le crime du 2 décembre.
On a raconté que Guillaume II, le sinistre kaiser qui mena l’Allemagne à la guerre de 1914, traitait ses courtisans de « vieux ânes… vieux cochons », et ces fantoches, sanglés dans leurs uniformes étincelants, harnachés de plumes et de panaches, étaient tous fiers de ces grossièretés familières, elles étaient pour eux de nouveaux brevets de noblesse.
Aujourd’hui, les flagorneurs pullulent autour des puissances d’argent, souveraines sur toutes les autres, dans les cénacles académiques, les salons littéraires, les boutiques d’art, à la Bourse, dans les ministères, dans les journaux, partout où s’étale la vanité. Ils opèrent publiquement. Leurs flagorneries emplissent des colonnes de papier. Pour le profit de leurs « patrons », ils pétrissent, façonnent, dirigent l’opinion, suivant les indications qu’ils en reçoivent. Ils ont développé et étendu leurs procédés avec les moyens modernes de publicité. A la platitude devant les maîtres distributeurs de sportule et de décorations, ils ont ajouté le chantage quand ils n’obtiennent pas assez vite satisfaction. Ils se donnent alors des airs indépendants, audacieux, qui font plaisir aux « démocrates », bons imbéciles qui vous disent : « Croyez-vous qu’un Louis XIV aurait supporté de telles façons ?… » Ils retombent vite sur les genoux lorsqu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. C’est ainsi que le personnel de ce qu’on appelle la « démocratie » s’enfonce peu à peu dans la vase des reniements et des compromissions aussi sales que ceux d’ancien régime.
Le flagorneur, parasite malfaisant, est le produit naturel du milieu de décomposition sociale que forme l’élite dirigeante. Il se développe dans ce bouillon de culture comme le microbe dans un organisme infecté, comme l’asticot sur la charogne. Le jour où une véritable élite se manifestera et prendra sa place, il n’y en aura plus pour les flagorneurs, les larbins, les lèche-bottes, ceux qui ont l’échine trop souple et les genoux trop ployants. Ils disparaîtront avec les faux-croyants, faux-intellectuels et avec les exploiteurs, les dictateurs, les surhommes qui, dans toutes les branches de l’activité humaine, imposent la tyrannie de leur imbécillité et de leur puffisme. Seul le véritable mérite sera honoré suivant les services qu’il rendra ; seuls recevront l’hommage de la reconnaissance publique ceux qui auront travaillé pour tous les hommes, et cet hommage sera simple et digne dans une société où chacun aura retrouvé sa dignité. — Edouard Rothen.
FLAMBEAU n. m. Appareil servant à porter des bougies ou des chandelles. Un flambeau d’argent ; un flambeau de cuivre ; un flambeau richement ciselé. L’application du gaz et de l’électricité ont aboli l’usage des flambeaux. Flamme artificielle dont on s’éclaire dans les ténèbres. Sortir à la lumière des flambeaux.
Au figuré : ce qui guide, ce qui excite, ce qui anime. Le flambeau de l’esprit ; le flambeau de la critique ; le flambeau de la raison. La course des flambeaux : jeu de l’antiquité grecque dans lequel le vainqueur devait atteindre un but en portant un flambeau allumé. Ce jeu avait un caractère symbolique. Partis d’un certain point, les concurrents devaient atteindre une étape à laquelle ils remettaient leurs flambeaux à des partenaires. Ces derniers poursuivaient la route jusqu’à la prochaine étape et ainsi de suite jusqu’à l’arrivée au but final. Les flambeaux symbolisaient les idées ; les coureurs, les générations. C’étaient les lumières qui se transmettaient indéfiniment pour le triomphe de la civilisation. La bourgeoisie a cru devoir de nos jours s’emparer de ce symbole et le prostituer sur l’autel de la patrie. En France, une « Course du flambeau » est organisée chaque année entre Verdun et Paris afin de perpétuer l’image des atrocités guerrières et la haine de l’Étranger. Espérons que ces flambeaux n’arriveront pas à ranimer les vieilles rancunes inconscientes qui divisent les hommes et que seuls les flambeaux de la science éclaireront demain une humanité régénérée.
FLAMME n. f. (du latin flamma). Corps lumineux qui s’élève à la surface, combustion. La flamme d’une bougie ; la flamme d’une lampe ; une belle flamme ; une flamme légère ; un feu sans flamme. Le supplice des flammes. Périr dans les flammes ; se jeter dans les flammes. Le supplice des flammes, c’est-à-dire du bûcher, qui se pratiquait au moyen-âge, a disparu de nos jours. Les flammes de l’Enfer et du Purgatoire.
Au figuré, ce mot est employé dans une foule d’expressions. Mettre un pays à feu et à flammes : y porter la guerre, l’incendie, le détruire, l’exterminer. La flamme de l’amour, du génie, de la poésie ; c’est-à-dire, l’ardeur, la vivacité, l’éclat. Faire partager sa flamme.
La « Flamme du Souvenir » : « Feu sacré » déposé à Paris sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile, entretenu et ranimé chaque soir par des sociétés patriotiques françaises en souvenir du carnage de 1914. Les fauteurs de guerre estiment qu’il ne faut pas oublier l’horrible tuerie qui, durant près de cinq ans, ravagea l’Europe. Dans un autre ordre d’esprit, nous sommes également de cet avis. Mais ce souvenir ne nous rappelle pas uniquement les actes de barbarie germanique, mais tous ceux dont se rendirent coupables les classes dominantes de tous les pays. Et pour cela point n’est besoin de « flamme ». Le peuple qui a fait tous les frais de l’horrible fléau se souvient, et ne consentira probablement plus jamais un tel sacrifice.
FLÉAU n. f. (du latin flagellum, fouet). Le fléau est un instrument d’agriculture servant à battre le blé. Battre le blé au fléau. Le fléau n’est plus guère utilisé dans les pays industriels et de grande culture où l’on emploie des machines agricoles d’un rendement beaucoup plus grand et d’une production plus rapide.
Au sens figuré on désigne sous le nom de fléau, une grande calamité, un désastre, une catastrophe qui affligent le genre humain. La peste, le choléra, la guerre sont des fléaux.
Il fut un temps où les hommes s’imaginaient que les fléaux étaient des châtiments exercés sur une population par la « Providence ». Le fléau était considéré comme une vengeance des « Dieux ». Ces croyances stupides disparaissent de plus en plus dans les pays occidentaux grâce aux progrès réalisés par la science et à l’instruction et à l’éducation des grandes masses d’hommes. On sait aujourd’hui les causes déterminantes de certains fléaux et on les combat avec acharnement. Les fléaux disparaîtraient avec rapidité si toute l’activité des savants était orientée vers la réalisation du bonheur universel. Malheureusement une grande partie des découvertes scientifiques est prostituée au Capitalisme, ce qui retarde d’autant plus l’heure de la libération humaine. On sait, d’autre part, que certains fléaux, comme la tuberculose, par exemple, puisent leur germe dans les usines et les taudis insalubres, où fourmille une armée de travailleurs. On sait que si le prolétariat se nourrissait de façon normale, s’il habitait des logis aérés, ce fléau ne ferait pas ses terribles ravages ; on peut donc dire que la tuberculose est un fléau déterminé par un mauvais organisme social et que ses causes directes sont l’exploitation, le capital et la propriété. Il en est de même pour la guerre, pour la famine, qui font à travers le monde de sinistres ravages. Les fléaux humains ne sont pas combattus parce qu’ils sont provoqués par la rapacité de la classe dominante, qui spécule et vit sur la misère de la classe productrice. A part certaines catastrophes naturelles, la plupart des fléaux sont d’ordre social, et c’est donc en réformant, en transformant l’ordre social que l’on peut espérer leur disparition.
Il est, par conséquent, nécessaire que les hommes appartenant aux classes opprimées et qui sont les premières victimes des redoutables calamités qui pèsent sur le monde, s’organisent pour la lutte ; ce n’est que de l’union de tous les asservis que pourra sortir un jour une société débarrassée de tous les maux dont souffre aujourd’hui l’humanité et on éloignera les fléaux lorsqu’aura disparu l’exploitation de l’homme par l’homme.
FLIBUSTERIE n. f. (de flibuster qui signifie se livrer au métier de flibustier). On donna, au xviie siècle, le nom de flibustier à des aventuriers, des pirates, des corsaires qui opéraient dans les mers américaines et s’attaquaient particulièrement aux vaisseaux espagnols. Ils formaient une association et étaient alliés aux boucaniers, autre catégorie d’aventuriers, qui chassaient le bœuf sauvage en Amérique et se livraient au commerce des peaux. « Imaginez des tigres qui auraient un peu de raison, voilà ce qu’étaient les flibustiers », dit Voltaire. L’association des flibustiers disparut vers le commencement du xviiie siècle.
Par extension, on donne aujourd’hui le nom de flibustier aux voleurs, aux brigands, et la flibusterie est l’action de flibuster. Il est évident que les flibustiers du xviie siècle étaient peu intéressants et que leur action était condamnable, mais est-il plus logique de soutenir les flibustiers modernes ? Les guerres coloniales, les conquêtes que les gouvernements dits civilisés font sur des peuplades inoffensives qui ne demandent qu’à vivre en paix, n’est-ce pas de la flibusterie ? La seule différence qui existe entre les conquérants modernes et les flibustiers de jadis est que ces derniers risquaient leur vie, alors que ceux de nos jours risquent la vie des autres pour s’emparer des richesses et du bien d’autrui. A tout prendre, la flibusterie était plus courageuse hier qu’aujourd’hui.
FLUCTUATION n. f. (du mot latin fluctuatio, de fluctuare, flotter). Instabilité, mouvement de hausse et de baisse. S’emploie au propre et au figuré. La fluctuation d’un liquide ; la fluctuation des idées, des opinions. Agitation, variation, alternatives. La fluctuation des changes. Tant dans le domaine social que dans le domaine politique, économique, ou dans le domaine des idées, la guerre a ouvert une ère de fluctuation. Les peuples de la vieille Europe occidentale croyaient, en 1914, avoir atteint au suprême bonheur et se reposaient dans la quiétude. Les quelques incidents provoqués périodiquement par la lutte des classes ne troublaient pas profondément les esprits et chacun vivait avec cette certitude que c’en était fini des calamités et des catastrophes qui avaient ravagé les générations antérieures. La guerre est venue, le rêve s’est effacé et la réalité brutale est apparue aux yeux de tous. Cette lumière a désorienté le monde. Les formules de 1913 paraissent aujourd’hui erronées et, à la recherche de formules nouvelles plus adéquates à la crise née du désaxage universel, l’individu subit moralement, intellectuellement, politiquement et socialement les fluctuations d’une période troublée. Où allons-nous ? Devant la force et la puissance des événements, nous sommes entraînés dans un tourbillon, et il n’est pas toujours facile de reconnaître sa route. La Révolution russe, en laquelle les classes travailleuses du monde entier avaient placé toutes leurs espérances, a subi un recul formidable depuis 1918 ; elle aussi fut soumise à une quantité de facteurs économiques et moraux qui influèrent sur sa stabilité, et les fluctuations qu’elle traversa, qu’elle traverse encore, ne sont pas sans créer une certaine agitation dans les esprits. Chacun aujourd’hui, quelles que soient ses aspirations, est à la recherche de la vérité. L’individu est perdu. Il ne sait où s’arrêter, à qui s’attacher, à qui se confier. Balloté de droite et de gauche, il regarde, il tâtonne, brûlant le soir ce qu’il adorait le matin, combattant aujourd’hui ce qu’il défendait hier, et il suit le mouvement de fluctuation, prenant ainsi part à la danse furieuse qui s’est emparée de l’humanité. La période que nous traversons est révolutionnaire et c’est pourquoi nous assistons à tant de fluctuations. Le Capital, ou plutôt les capitalistes, ne sont pas moins désorientés que les travailleurs. La guerre a transformé le monde et la victoire du capitalisme s’avère incomplète et provisoire. Or, le capitalisme sait fort bien qu’une victoire incomplète est pour lui un danger, et dans la terreur d’une révolution détruisant tout un passé de vol et de brigandage, il cherche ses assises afin de pouvoir mener de front la lutte contre le prolétariat.
En la circonstance, profitant des alternatives de hausse et de baisse que subit le capitalisme, des fluctuations et du déséquilibre de l’état social, il serait heureux que les classes opprimées et asservies ne perdissent pas leur sang-froid. Certes, le problème est complexe, et il est compréhensible que l’homme sincère soit troublé devant la grandeur des événements. La révolution ne se fait plus aujourd’hui à coups de fourches et de pelles. La révolution moderne n’est pas une Jacquerie. Le capitalisme est outillé, puissamment organisé pour la bataille, il possède des armes d’élite, une armée formidable, autant de facteurs dont il nous faut tenir compte, qu’il nous faut étudier afin de n’être pas pris au dépourvu lorsque la lutte se manifestera violente. Ce sont tous ces problèmes qui provoquent des fluctuations dans les idées des masses laborieuses, et il n’y a pas lieu de s’étonner si les anarchistes, eux aussi, ont un mouvement sujet à fluctuations. Chaque jour apporte quelque chose de nouveau, et chaque jour, nous sommes donc contraints de réviser notre manière d’agir. L’application des anciennes méthodes de lutte ne répond plus aux nécessités présentes, et il est souvent difficile de concilier ses sentiments, ses aspirations avec les besoins pressants de la bataille. Mais qu’importent les fluctuations, si toujours et sincèrement on travaille pour atteindre le but poursuivi ! Lorsque l’heure viendra et que nous serons, de gré ou de force, jetés dans la mêlée sociale, unis dans le même désir, malgré les divergences idéologiques, les anarchistes useront de toute leur énergie pour mettre fin à un régime d’opprobre et d’autorité.
FOI n. f. (du latin fideo, engagement, lien). La foi est la croyance, la confiance aveugle en quelque chose. La foi religieuse ; mourir pour la foi ; croyance aux vérités de la religion. « La foi, dit Lachâtre, est la croyance que les faits et les préceptes présentés par les religions sont vrais et viennent de Dieu. Cette croyance n’est pas raisonnable, le plus souvent même elle est stupide, puisqu’elle admet des faits et des idées que la raison humaine ne peut jamais vérifier et que, très souvent, elle démontre être absurdes. Le musulman qui a la foi croit, par exemple, que Mahomet a fait un trou dans la lune lors de son voyage dans le ciel ; le chrétien, à ce propos, se rit de la bêtise du sectaire arabe ; à son tour, le chrétien qui a la foi croit que saint Denis porta sa tête entre ses mains, après avoir été décapité, chanta un cantique et fit une lieue dans cet état ; mais le fidèle mahométan trouve aussi que le chrétien n’a pas le sens commun. Comme on le voit la foi, théologiquement parlant, est une adhésion irréfléchie de la croyance à tout ce qui plaît aux prêtres d’enseigner. »
Disons de suite que la foi religieuse repose sur l’ignorance et que c’est sur cette ignorance que se sont échafaudées toutes les religions. La foi est un sentiment aveugle, qui ne se résiste pas à l’analyse et que refuse de discuter celui qui la possède. L’Église agit du reste intelligemment en interdisant toute discussion des articles de foi. La discussion, c’est la porte ouverte à la clairvoyance et au doute, et le doute c’est l’ébranlement de la foi. La foi, quelle que soit la religion qui l’inspire, suppose la croyance en un être suprême, supérieur, infaillible, qui préside aux destinées des hommes et est fondée en ce qui concerne les religions monothéistes sur la théorie de la révélation. Quelle est cette théorie ? Salomon Reinach nous l’enseigne brièvement dans son étude critique des religions : « En donnant l’être à nos premiers parents, Dieu leur enseigna par lui-même ce qu’ils avaient besoin de savoir ; il leur révéla qu’il est le seul créateur du monde, en particulier de l’homme ; qu’ainsi il est leur seul bienfaiteur et leur législateur suprême. Il leur apprit qu’il les avait créés à son image et à sa ressemblance, qu’ils étaient par conséquent d’une nature très supérieure à celle des brutes, puisqu’il soumit à leur empire tous les animaux. Il leur accorda la fécondité par une bénédiction particulière, et il fut bien entendu qu’ils devaient transmettre à leurs enfants les mêmes leçons que Dieu daignait leur donner. Malheureusement, les hommes, à l’exception d’un très petit nombre de familles, furent infidèles aux leçons divines et, abandonnant le culte d’un Dieu unique, tombèrent dans les égarements du polythéisme. Toutefois le souvenir d’un si haut enseignement ne se perdit pas entièrement. Ainsi s’explique que l’idée même d’une divinité tutélaire se retrouve, sous des formes diverses, chez tous les peuples. Ce n’est pas aux lumières naturelles de la raison, mais à la révélation seule que l’humanité est redevable de la connaissance de Dieu et de la religion ». Doctrine étrange, ajoute Reinach, qui a cependant pour elle l’autorité de tous les grands théologiens de l’Église.
Si l’on accepte les principes d’une telle théorie, si peu scientifique, rien d’étonnant à ce que l’on accepte également toutes les stupidités de certains dogmes. Si la promulgation de la loi mosaïque sur le mont Sinaï, si le long pèlerinage des juifs et leur séjour de quarante ans dans le désert semble une invraisemblance pour l’esprit éclairé, si l’histoire de la manne et des cailles qui tombent du ciel pour nourrir le peuple élu de Dieu paraissent inadmissibles à l’être sensé, cela est tout naturel pour l’homme touché par la foi. Tout naturel aussi : la naissance du Christ par l’intervention du Saint-Esprit, et la mort et la résurrection de Jésus. Et comme l’on comprend que l’Église ne veuille pas soumettre le dogme à l’analyse, de crainte de le voir s’écrouler ! Il faut croire, sans chercher à comprendre le pourquoi et le comment ; il faut accepter toutes les bêtises, toutes les niaiseries enseignées par les religions, sans quoi la foi serait bien vite ébranlée, mettant fin à l’ignoble spéculation des prêtres et de tous les princes de l’Église.
« L’Église possède à un degré supérieur, écrit Sébastien Faure, le sens pénétrant de ce qui plaît à la nature humaine ; elle a la connaissance approfondie de ce qui empoigne les imaginations ; elle a poussé très loin et à l’aide de moyens exceptionnellement favorables et qui lui sont propres, la pénétration des sentiments qui agitent, des émotions qui étreignent et des passions qui bouleversent les cœurs. Aussi a-t-elle pressenti, deviné, que pour faire la conquête de l’Humanité et pour n’avoir pas à défendre incessamment le bénéfice de cette conquête une fois réalisée, il ne suffisait pas de proposer d’imposer à la crédulité des foules la foi en un Dieu perdu dans l’épaisseur des nuées, entouré de Gloire, de Puissance et de Majesté, incompréhensible et mystérieux. Artiste génial ayant conçu et créée l’Univers, Géomètre prodigieux et incomparable, Architecte ayant tout merveilleusement calculé, mesuré, consolidé, équilibré. » (S. Faure, L’Imposture religieuse, p. 159). Et c’est alors que pour étayer cette foi, l’Église a construit une doctrine en groupant une foule de mensonges qui constitue le fond de la religion, de toutes les religions.
À partir du xviiie siècle, de nombreux penseurs ont cherché à combattre l’ignorance populaire perpétuée par l’Église et se sont attaqués à la foi, objet de toutes les impostures. Malgré les coups qui lui furent portés, l’Église est cependant sortie victorieuse, dans une certaine mesure, de la lutte grandiose qui lui fut et qui lui est toujours livrée par la science. C’est que la foi s’est profondément imprimée dans l’esprit de l’individu et que la paresse des hommes les entraîne plus facilement à accepter avec passivité ce qu’on leur enseigne que de rechercher par eux-mêmes la vérité. « Un homme qui reçoit sa religion sans examen, ne diffère pas d’un bœuf qu’on attelle », écrit Voltaire ; et il continue : « Cette multitude prodigieuse de sectes dans le christianisme — cela peut s’appliquer également à toutes les autres croyances — forme déjà une grande présomption que toutes sont des systèmes d’erreurs. L’homme sage se dit à lui-même : Si Dieu avait voulu me faire connaître son culte, c’est que ce culte serait nécessaire à notre espèce. S’il était nécessaire, il nous l’aurait donné à tous lui-même, comme il a donné à tous deux yeux et une bouche. Il serait partout uniforme, puisque les choses nécessaires à tous les hommes sont uniformes. Les principes de la raison universelle sont communs à toutes les nations policées, toutes reconnaissent un Dieu : elles peuvent donc se flatter que cette connaissance est une vérité. Mais chacune d’elles a une religion différente ; elles peuvent donc conclure qu’ayant raison d’adorer un Dieu, elles ont tort dans tout ce qu’elles ont imaginé au delà.
« Si le principe dans lequel l’Univers s’accorde paraît vraisemblable, les conséquences diamétralement opposées qu’on en tire paraissent fausses ; il est naturel de s’en défier. La défiance augmente quand on voit que le but de tous ceux qui sont à la tête des sectes est de dominer et de s’enrichir autant qu’ils le peuvent, et que depuis les daïris du Japon jusqu’aux évêques de Rome, on ne s’est occupé que d’élever un pontife un trône fondé sur les misères des peuples, et souvent cimenté de leur sang. » (Voltaire, Avant-Propos à L’Examen important de Milord Bolingbroke). Pour pouvoir se livrer à la conquête du monde, pour pouvoir impunément exploiter les populations du globe, il fallait que l’Église, par l’affirmation ou la violence, inculquât une foi profonde à ses sujets. Ce n’est qu’à la faveur de l’obscurantisme le plus profond que les religions évoluèrent et arrivèrent à dominer le monde. La foi est le plus ferme soutien de l’oligarchie cléricale. Sans elle tout s’effondre ; elle est une entrave à la civilisation, et la civilisation s’oppose à l’erreur religieuse. C’est pourquoi l’Église combat la science, barre la route à toute tentative de recherches, à toute extension des connaissances humaines. La foi, à travers les âges, a été un ferment de crimes, de massacres, de pillages. La religion et l’Église les ont toujours excusés parce que c’est sur la foi que repose toute sa puissance.
Nous n’en sommes plus cependant aujourd’hui à l’époque moyenâgeuse et, grâce à une relative liberté de penser, acquise à la faveur des luttes sociales et des découvertes scientifiques, la foi est menacée. Il serait pourtant puéril de songer qu’elle est complètement éteinte. Le fatalisme religieux exerce encore une colossale influence, car l’individu est toujours imprégné des vieux préjugés ancestraux. Il faut poursuivre la bataille. Il faut éclairer les « fidèles » sur l’inconséquence de leurs croyances ; il faut leur démontrer combien est ridicule cette foi aveugle qui les guide et qui est si peu conforme à la raison et à la logique. Petit à petit, la lumière jaillira alors dans les cerveaux et la foi, en disparaissant, permettra d’atteindre plus rapidement à l’affranchissement du genre humain.
En dehors de la théologie, on donne le nom de foi à l’espérance fondée sur des doctrines philosophiques ou scientifiques auxquelles on accorde sa confiance. Avoir foi en la Révolution, c’est-à-dire confiance en la Révolution. Avoir foi en l’Anarchie. Perdre sa foi, etc…
FOLKLORE n. m. (de l’anglais folk, peuple, et lore, science). Ce mot, qui ne date que de 1846, signifie : la science des usages et des traditions populaires. L’étude du folklore s’appelle le folklorisme. S’il est vrai que le caractère d’une nation, d’une contrée, d’une région ne se manifeste que par les mœurs populaires, le folklore offre un intérêt primordial, tant au point de vue historique qu’au point de vue social. En recherchant les traditions, les usages, les chants, les poèmes, les jeux des générations écoulées, on arrive à reconstituer la vie des hommes du passé, ce qui est d’une grande importance, car c’est de la connaissance du passé que l’on peut espérer commettre moins d’erreurs dans l’élaboration de l’avenir. Si le mot folklore est relativement jeune, la science en elle-même est plus ancienne, et déjà vers la fin du xviie siècle, Percy et W. Scott, en Angleterre, se livraient à l’étude scientifique du folklore, ainsi que Herder et les frères Grimm en Allemagne. En France, le folklorisme ne date que du xixe siècle. Il faut citer, parmi les folkloristes distingués : Flauriel, Marmier, Sébillot, ce dernier auteur du Folklore de France. Nous possédons aujourd’hui en France une quantité de recueils folkloristes et plus particulièrement des chants et des poèmes populaires du passé d’un intérêt incontestable et d’une facture significative.
FOMENTER verbe (du latin fomentare). Au sens propre, ce mot signifie : Appliquer un médicament chaud ayant des propriétés fortifiantes ou adoucissantes. Employé au sens figuré, « fomenter » signifie exciter, préparer des troubles en sous-main. Fomenter la discorde ; fomenter la guerre civile. « Il y aura toujours des barbares et des fourbes qui fomenteront l’intolérance » (Voltaire). Ce mot est généralement pris en mauvaise part et couramment on accuse les révolutionnaires d’être des fomentateurs de troubles. En vérité, les révolutionnaires n’ont jamais nié ou caché leurs aspirations et ne sont pas choqués de « l’accusation » que l’on porte contre eux. Ils appellent le peuple à la révolte, c’est vrai, mais les véritables fomentateurs de guerres civiles, sont les privilégiés, les exploiteurs, les ploutocrates qui vivent de la misère humaine. Ce sont eux qui entretiennent et font durer l’arbitraire qui règne dans les sociétés capitalistes. Ce sont eux qui fomentent la pauvreté et perpétuent le mal au lieu de chercher à le guérir. Ce sont eux qui provoquent les guerres et tous les grands cataclysmes sociaux ; il n’y a donc pas lieu de s’étonner de ce que toutes ces inégalités soient un ferment de révolte, et lorsqu’à certaines époques la coupe déborde, il n’est pas besoin de fomentateurs pour que le peuple se révolte et monte à l’assaut de la citadelle bourgeoise.
FONCTION n. f. (du latin functio, même sens ; de fungi, s’acquitter). Exercice d’une charge. Acte par lequel on s’acquitte des obligations attachées à un emploi. Remplir ses fonctions. Entrer en fonctions. Une fonction civile ; une fonction militaire ; une fonction publique ; une haute fonction ; les fonctions syndicales. Dans le domaine de l’administration publique, il est à remarquer que si les hautes fonctions, les plus inutiles, sont grassement rétribuées, les fonctions « inférieures » assumées par les prolétaires qui assurent la marche et la vitalité d’une nation, sont payées misérablement. S’il fallait récapituler toutes les charges, tous les emplois, toutes les fonctions dont sont nantis un nombre incalculable de parasites et d’incapables, en régime capitaliste, il nous faudrait tout un volume. C’est le contribuable qui débourse, et c’est avec l’argent des impôts que l’on paye toutes les fonctions onéreuses et inutiles. Le régime bourgeois est une source de désordre ; c’est pourquoi les ressources d’un État sont englouties par des fonctionnaires dont on se passerait facilement. Dans une société bien organisée, le nombre des fonctions publiques serait réduit au strict minimum et seules subsisteraient celles indispensables à la vie économique et sociale de la collectivité.
FONCTIONNAIRE n. m. (de fonction). Qui remplit une fonction. Celui ou celle qui occupe un emploi dans une administration, ou un poste responsable dans une organisation politique ou sociale. Un fonctionnaire public ; un fonctionnaire syndical ; un fonctionnaire indélicat ; un haut fonctionnaire.
Dans le langage courant on donne le nom de fonctionnaire à tout individu qui remplit une fonction publique, c’est-à-dire qui est un agent appointé de l’État. Le nombre des fonctionnaires est formidable et le plus clair des ressources d’une nation est englouti par cette armée de parasites, composée, de par la fonction même, des plus fermes soutiens du régime capitaliste et des gouvernements qui le dirigent. Il est évident qu’une partie des fonctionnaires publics est indispensable à la vie de la collectivité, et nous pouvons citer parmi ceux-ci : les fonctionnaires des postes et des télégraphes, ceux attachés aux services des eaux, de l’électricité, de la volerie ; les instituteurs, professeurs, etc., etc… Mais à côté de ces fonctionnaires utiles nous trouvons ceux des douanes, des organismes financiers, militaires, policiers et, sans crainte de se tromper, on peut affirmer que les trois quarts des fonctionnaires n’apportent absolument rien à la collectivité en échange de ce qu’ils en reçoivent.
Nous disons que le fonctionnaire, et surtout le fonctionnaire socialement, économiquement inutile est le plus puissant soutien de l’État et du régime capitaliste. En effet la fin du régime capitaliste et par extension de l’État, marquerait également la fin du fonctionnarisme. On ne peut logiquement concevoir une société libre et débarrassée de toutes les plaies sociales que nous subissons dans les organisations étatiques modernes, sans qu’immédiatement se présente à notre esprit la suppression totale de certains organismes parasitiques néfastes en soi et inhérents au régime capitaliste.
Que le désordre administratif d’un État, quel qu’il soit, nécessite le concours d’une nuée de fonctionnaires, ce n’est un mystère pour personne. Or, instinctivement et inconsciemment, le fonctionnaire, et plus particulièrement le fonctionnaire parasite, sait que la fin du régime capitaliste mettrait fin à sa fonction ; et comme, lié au présent, il n’envisage pas la possibilité d’utiliser son savoir ou ses compétences dans des emplois plus conformes aux nécessités collectives, il imagine que sa vie est intimement attachée à celle de l’État, et soutient et défend celui-ci qui lui imprime une mentalité réactionnaire et conservatrice. L’observation la plus simple, démontre que le fonctionnaire fut de tout temps à l’arrière de tous les mouvements sociaux et qu’il est adversaire de toute tentative de réforme violente, de révolution. Même dans ses organisations de classe — à part de rares exceptions — il se manifeste terriblement réformiste et réprouve toute action révolutionnaire ; il est vrai que l’État patron entretient cette mentalité par des mesures adroites qui font du fonctionnaire un esclave. Économiquement, ce qui maintient l’esprit rétrograde du fonctionnaire, c’est le régime des retraites qui lui est appliqué. Il abandonne la proie pour l’ombre. La perspective d’être à l’abri du besoin dans ses vieux jours l’écarte de toute lutte révolutionnaire et à mesure que les années passent et qu’il s’encrasse dans sa fonction, il est plus difficile de l’associer aux intérêts de ses frères de misère. D’autre part, la crainte d’être démissionné influe profondément sur la mentalité du fonctionnaire. Un fonctionnaire ne se considère pas comme le commun des travailleurs ; si un prolétaire quelconque perd son emploi, simplement il en cherche un autre ; il n’en est pas de même en ce qui concerne le fonctionnaire : lorsqu’il est révoqué il invoque certains « droits » qu’il aurait sur l’administration publique qui l’occupait, sans se rendre compte que ces « droits » supposent également des « devoirs ». Certes nous comprenons qu’il est une catégorie de fonctionnaires qui, une fois chassés de leur emploi, ont de grandes difficultés pour trouver le travail indispensable à leur existence ; par exemple les mécaniciens des chemins de fer, certains ouvriers des postes, etc., etc… ; mais il est un grand nombre de fonctionnaires, et c’est la majorité, dont les capacités sont utilisables dans l’industrie privée et dont la fonction n’offre aucune particularité. Ils restent cependant en dehors de toute l’activité sociale de leur classe. Un comptable du ministère des finances ou de tout autre organisme d’État ne s’associera pas avec les autres membres de la même corporation appartenant à l’industrie privée ; il ne débordera pas du cadre du fonctionnarisme et cela crée un esprit de corps profondément néfaste à l’évolution du mouvement social. Le capitalisme a tellement compris que le fonctionnaire était un facteur de conservation sociale, que presque toutes les grandes administrations privées adoptent de plus en plus le statut qui régit les fonctionnaires d’État, et s’attachent ainsi un personnel susceptible de battre en brèche les tentatives de libération prolétarienne. Les grandes entreprises bancaires se « fonctionnarisent » sans que le prolétariat en faux-col s’aperçoive qu’il est en train de forger les chaînes dont il ne pourra que difficilement se délivrer ; et même dans le prolétariat manuel, libre jusqu’à présent de l’entrave du fonctionnarisme la menace se fait sentir. Ne voyons-nous pas certaines grandes usines fonctionnariser son personnel ouvrier en lui assurant, sous certaines conditions, un travail continuel et la retraite pour les vieux jours ? Tiraillé par les besoins immédiats, l’assurance relative d’être à l’abri du chômage, et la perspective d’une croûte à rompre dans la vieillesse, semble une offre alléchante pour le travailleur ignorant les causes et les effets des manœuvres économiques et sociales du capitalisme. En se laissant fonctionnariser, le prolétariat s’amoindrit, s’affaiblit, se détruit en tant que classe ; il abdique son indépendance et, se faisant un agent inconscient de la machine bourgeoise, il éloigne l’ère des grandes transformations économiques.
Ce qui caractérise encore le fonctionnaire des autres exploités, c’est la hiérarchie à laquelle ils sont obligés de se soumettre et à laquelle également ils aspirent à appartenir. Tout comme à l’armée, en ce qui concerne les grades inférieurs, chez les fonctionnaires, les chefs ne se recrutent généralement pas en raison des compétences dont ils font preuve, mais en raison de l’ancienneté et des bonnes notes acquises durant le service. Tout naturellement, est considéré comme bon fonctionnaire celui qui accepte aveuglément le régime routinier et rétrograde de l’Etat et des gouvernements qui se succèdent, et comme les salaires varient selon la position que l’on occupe dans les cadres du fonctionnarisme, il va de soi que la grande majorité des fonctionnaires, dans la crainte de ne pas obtenir d’avancement, s’abstiennent de toute lutte sociale condamnée par les autorités comme révolutionnaire.
Cependant petit à petit, malgré les mesures prises par les maîtres, une minorité d’indisciplinés est née chez les fonctionnaires. Il est évident que l’action de cette minorité est hésitante, mais elle est servie par les événements économiques et par la désagrégation de l’État incapable de recouvrer sa stabilité d’avant-guerre. Il serait pourtant puéril d’espérer avant longtemps une action vraiment efficace des fonctionnaires. Bien qu’ils soient également touchés par les phénomènes économiques et sociaux, leur évolution sociale est plus lente que celle des autres exploités et ce n’est que lorsqu’ils auront compris que leur sort est étroitement lié à celui de toute la classe ouvrière, lorsqu’ils n’élèveront plus une barrière entre eux et les autres travailleurs, que s’écrouleront l’État et le Capitalisme dont ils sont l’un des plus puissants piliers.
Il n’y a pas que les organismes d’État ou les grandes entreprises capitalistes qui occupent des « fonctionnaires ». Toute organisation politique ou sociale a aussi les leurs. Bien qu’adversaire de ce qu’on appelle péjorativement le « fonctionnarisme », il faut cependant reconnaître qu’il est indispensable aux diverses associations d’individus d’avoir des fonctionnaires. Le travail administratif d’un groupement ne se fait pas tout seul et il est simpliste de prétendre poursuivre une œuvre en comptant uniquement sur le concours bénévole de certaines personnalités. On confond vraiment trop facilement, et plus particulièrement dans les mouvements d’avant-garde : fonctionnaire et fonctionnarisme. Certes il est utile de combattre dans les organisations syndicales ou révolutionnaires les fonctionnaires inamovibles qui considèrent leurs fonctions comme des sinécures, et manœuvrent bassement et lâchement pour conserver la place qu’ils occupent. Mais il faut également comprendre que toute organisation sérieuse a besoin d’avoir à son service des hommes qui, bien que sincèrement dévoués à la cause qu’ils défendent, ont une vie matérielle à satisfaire et que si tous leurs instants sont consacrés à une organisation, celle-ci a le devoir de leur assurer la subsistance.
Nous savons que bien des abus ont légitimé l’opinion répandue dans les masses travailleuses, à l’égard des fonctionnaires. Ce sont cependant les classes travailleuses elles-mêmes qui sont responsables de ce qui se passe. C’est au prolétariat à veiller à ce que ses fonctionnaires ne se transforment pas en petits rois, et c’est à lui à savoir, dans ses organisations, élaborer un statut le mettant à l’abri des fonctionnaires parasites et indélicats et du fonctionnarisme.
FOND n. m. (du mot latin fundus, même signification). L’endroit le plus bas d’une chose creuse. Le fond d’un sac ; le fond d’un abîme ; le fond d’un vase ; le fond de la mer ; le fond d’une bouteille. Dans la marine, la partie la plus basse de l’intérieur d’un navire : fond de cale. Partie la plus profonde d’une étendue d’eau. Couler à fond se dit d’un navire qui s’enfonce dans l’eau. Cette rivière a peu de fond pour : cette rivière est peu profonde.
Au figuré, le mot fond signifie : entièrement, profondément, radicalement. Aller au fond des choses. Étudier un sujet à fond. Pousser une question à fond. Le fond des idées ; le fond de la pensée. Les connaissances de cet individu sont superficielles et l’on s’aperçoit rapidement qu’il n’a pas de fond. De fond en comble, locution adverbiale qui signifie : totalement, entièrement. Ce qui constitue l’essentiel d’une chose : le fond d’une affaire, le fond d’un procès, plaider à fond, plaider sur le fond. Complètement : posséder une science à fond ; connaîtra son métier à fond. Le mot fond s’emploie également comme synonyme de « après tout », « en réalité ». Au fond, cette personne a peut-être raison de soutenir cette thèse.
Pour bien défendre une idée et la propager il est nécessaire de l’étudier et de la connaître à fond.
FONDAMENTAL adj. Le principal, l’essentiel. Ce qui sert de fondement, de base. Une maxime fondamentale ; une idée fondamentale ; une loi fondamentale ; une vérité fondamentale. Ce qui entrave l’évolution et la libération des travailleurs, c’est qu’aucun accord fondamental n’a pu être réalisé en ce qui concerne leurs aspirations politiques et sociales. Pour les anarchistes, la vérité fondamentale réside en ce fait que la société est divisée en deux classes bien distinctes qui se combattent ; l’une d’elles pour améliorer son sort misérable, et l’autre pour conserver les privilèges acquis au prix de crimes, de vols et de pillages. Tant que les exploités n’accepteront pas comme principes fondamentaux que leur intérêt est de s’unir en dehors de tout organisme politique qui ne crée que la confusion ; que, seuls, sur le terrain économique, ils sont susceptibles d’ébranler, de détruire et d’abattre les sociétés modernes ; que l’autorité est non pas un facteur capable d’engendrer la liberté, mais un facteur d’exploitation et de servitude ; les hommes resteront des esclaves et seront victimes des mauvais bergers spéculant sur leur naïveté et leur ignorance. La pierre fondamentale de l’édifice social que veulent construire les libertaires communistes, doit être la liberté. Sans la liberté aucune société ne peut assurer à la collectivité qui la compose le maximum de bien-être auquel a droit chaque individu. « Ni dieu, ni maître » : tel est le principe fondamental qui anime les anarchistes.
FONDATION n. f. (du latin fundatio fait de fundare, fonder, établir). Action de fonder, d’établir, de commencer. La fondation d’une ville, d’un édifice, d’un hôpital, d’une colonie. La fondation de Rome. La fondation de Paris a demandé plusieurs siècles.
En architecture on désigne sous le nom de fondation la base sur laquelle repose un édifice. De solides fondations ; des fondations qui s’écroulent. S’il est indispensable en architecture qu’un édifice soit construit sur de puissantes fondations, il en est de même lorsque l’on veut reconstruire l’édifice social. Les fondations du vieil ordre capitaliste sont rongées et ne tarderont pas à s’abattre, entraînant avec elles tout le régime qu’elles soutiennent. Aux travailleurs appartiendra alors la tâche de jeter les fondations d’un ordre nouveau. La maison qu’ils bâtiront vaudra ce que vaudront les ouvriers. La Révolution est un moyen ; ce n’est pas un but. C’est un outil dont l’ouvrier doit apprendre à se servir pour la fondation de la cité nouvelle. Sans nier les bénéfices recueillis par les diverses révolutions qu’ont fait les peuples depuis 150 ans, il faut reconnaître cependant que le but est loin d’être atteint. Espérons que la prochaine Révolution sera plus heureuse et que les travailleurs sauront élaborer la société future sur des fondations qui ne permettront pas le retour de l’esclavage et de l’exploitation de l’homme par l’homme.
FONDEMENT n. m. (du latin fondamentum, même signification). Ce qui constitue le fond, le soutien, l’appui, la base d’une chose, d’un objet, d’un sujet, d’une idée ; ce qui est la cause, le motif. Détruire les fondements d’une doctrine. Une accusation sans fondement.
En architecture le mot fondement a la même signification que : fondation (voir ce mot). Par extension, ce qui est à la base d’une entreprise, d’une affaire : « Nous avons jeté les fondements d’un grand commerce » (Voltaire). Les fondements d’un empire, d’une république, d’une monarchie. Saper les fondements de cette organisation malfaisante que constitue le régime capitaliste serait un bienfait pour l’humanité.
FONDERIE n. f. Usine où l’on fond les métaux. Il y a deux catégories de fonderies ; la première est celle où l’on transforme directement le minerai en fonte, et la seconde celle où la fonte est épurée et devient ce que l’on appelle fonte de seconde fusion. Une fonderie de fer, une fonderie de cuivre. Le développement de l’industrie métallurgique fait de la fonderie un des organes essentiels de l’activité économique du monde, et les progrès réalisés dans toutes les branches du mouvement rendent la fonderie indispensable à la vie des sociétés modernes. La fonderie ne transforme pas seulement le minerai brut en métal utilisable, elle transforme également ce métal en objets dont on ne peut plus aujourd’hui se passer, et l’arrêt des fonderies d’une nation provoque immédiatement une perturbation dans tout le domaine économique.
C’est grâce à la fonderie que l’on arrive à confectionner, à un prix relativement modique, une quantité d’objets d’utilité ménagère, en étain, en aluminium, en cuivre, etc., c’est elle qui permet le développement de l’industrie électrique et mécanique et, par extension, de toutes les autres industries. Malheureusement la fonderie ne produit pas que des choses utiles. Exploitée par le grand capitalisme, elle produit aussi des outils de meurtre et de carnage. Les canons, les obus, qui sortent en grande quantité et avec une rapidité effrayante de la fonderie déciment en quelques heures des populations entières ; c’est qu’hélas, en régime capitaliste aucune chose n’offre un caractère d’utilité complète et totale, et tout ce qui pourrait être une source de bienfaits devient, entre les mains de la ploutocratie, un facteur de méfaits et de malheurs.
La fonderie se trouve à la base de toute l’industrie métallurgique et est de nos jours exploitée par une minorité de grands magnats internationaux, maîtres absolus du marché mondial. En France, les maîtres fondeurs sont groupés en de puissants syndicats devant lesquels se courbent les gouvernants, à quelque couleur qu’ils appartiennent. Une des plus importantes fonderies de France est le Creusot, autrement dit les Établissements Schneider et Cie qui, rien qu’au Creusot et aux environs, occupent 20.000 ouvriers. « Le Creusot produit par an environ 100.000 tonnes de fonte, un million de tonnes d’acier dont 600.000 tonnes d’acier Martin, et un million de tonnes de laminés. » J. Poiret-Clément, qui a étudié particulièrement les usines du Creusot nous dit dans son étude sur les rois de la métallurgie, qu’en 1923 il y avait au Creusot « 4 hauts fourneaux de petite capacité dont 3 en activité ; 8 fours Martin, 2 de 40 tonnes et 6 de 60 tonnes, tout à fait modernes ; 2 fours électriques de 15 tonnes et plusieurs fours au creuset pour les aciers fins ; 2 fours électriques de 10 tonnes et de 5 tonnes pour pièces d’acier moulées ; 12 trains de laminoirs, laminant depuis 8 mm jusqu’aux plus grands diamètres, situés aux anciennes forges où fonctionne le fameux marteau-pilon de 100 tonnes ; 1 train blooming et un gros train à blindage avec machine réversible de 1.200 chevaux, situés aux grosses tôleries ; des fours à coke. »
En nous rapportant toujours à cette même étude nous voyons que cet outillage est loin de produire un travail utile. « Les travaux en cours actuellement (fin 1923) comportent la construction de 100 locomotives électriques pour le P.-O., de 120 locomotives à vapeur pour le P.-L.-M. et de 25 pour l’Est ; de turbines pour torpilleurs et différentes usines ; de 400 réservoirs de torpilles ; de 400 réservoirs d’avions de 400, 200 et 150 litres ; la fabrication de bombes d’aviation, d’obus de rupture de 130 mm (marine) et de blindage de navire porte-avion. »
Il est donc facile de constater par ce simple exposé qu’une bonne partie du métal fourni par la fonderie est utilisé pour des œuvres de mort, alors que le peuple aspire à la quiétude et à la paix. Mais la bourgeoisie et le capital sont les ennemis de la paix et les fonderies qui leur appartiennent ne préparent que la guerre. La paix ne sera plus un rêve, mais une réalité, que lorsque les travailleurs, refusant de fondre le métal qui les tuera, s’empareront des usines et, par la Révolution, aboliront le capitalisme qui perpétue un régime de boue et de sang.
FONDS n. m. (du latin fundus). Le sol d’une terre, d’un champ. Ensemencer un fonds ; cultiver un fonds, un bon fonds ; un mauvais fonds. Établissement de commerce : un fonds de boulanger ; un fonds d’épicerie, de charcuterie. Au pluriel ce mot s’emploie couramment comme synonyme de « capital » ou pour désigner une somme d’argent destinée à un certain usage. Mettre des fonds dans une affaire industrielle ; être démuni de fonds ; placer ses fonds en actions. Faire un appel de fonds. Être en fonds. Manger son fonds. Les fonds publics.
« On appelle « Fonds secrets », dit le Larousse, ceux dont l’emploi, en raison de leur destination (défense nationale, service diplomatique, police politique) ne doit pas être livré à la publicité et qui sont distraits du contrôle ordinaire des dépenses publiques. Ils sont actuellement inscrits au budget de l’Intérieur sous le titre de « dépenses de sûreté générale ». »
Autrement dit, ce « fonds secret » est une somme d’argent que le Ministre de l’Intérieur est autorisé à dépenser sans contrôle et aux fins qui lui semblent utiles. Est-il besoin de dire que cet argent alimente les caisses des organes de propagande favorables à un ministre, et que c’est grâce à cet argent que la presse bourgeoise garde le silence que lui achète le gouvernement sur certains incidents susceptibles d’émotionner le public. C’est avec l’argent des fonds secrets que sont payés les espions intérieurs et extérieurs, ainsi que les mouchards qui pénètrent dans les milieux d’avant-garde pour y recueillir des renseignements pouvant intéresser les maîtres du pouvoir. Les « fonds secrets » permettent aux gouvernants de poursuivre tranquillement leur travail abject de corruption. Ils achètent avec cet argent les âmes et les consciences de tous les lâches prêts à se vendre aux plus offrants et engraissent une armée de parasites pour lesquels on ne peut avoir que le plus profond mépris. « L’argent n’a pas d’odeur », dit un proverbe, et il importe peu à celui qui touche aux fonds secrets de commettre des bassesses ; mais à nos yeux, quel qu’il soit, il ne peut être qu’un être répugnant.
La bourgeoisie a bien organisé sa défense. La fin, pour elle, justifie les moyens, et tous les moyens, propres ou malpropres, susceptibles de consolider sa puissance, lui semblent bons. Pour lutter contre toute l’organisation bourgeoise, qui repose sur la finance, les révolutionnaires n’ont, hélas ! que leur sincérité, car chez eux les fonds manquent. Et pourtant l’argent est le nerf de la guerre. Ce n’est qu’avec lui que l’on peut intensifier la propagande et propager les idées de libération qui nous sont chères. Et c’est pourquoi, malgré la situation précaire des travailleurs, les libertaires sont continuellement obligés de faire des appels de fonds afin de pouvoir poursuivre leur action et éclairer les hommes sur tous les vices et infamies du capitalisme.