Aller au contenu

Encyclopédie anarchiste/Gâchis - Gisement

La bibliothèque libre.
Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 855-865).


GÂCHIS n. m. (de gâcher). Au sens propre on appelle gâchis une espèce de mortier composé de chaux, de sable, de plâtre ou de ciment, délayé dans l’eau et employé généralement dans la bâtisse. On emploie ce mot par extension pour désigner quelque chose de confus, d’embrouillé : « Le gâchis social, le gâchis politique. »

Il en est qui, adversaires de toute transformation sociale, se signalent comme les défenseurs de l’État bourgeois et de la société capitaliste, prétendent que la révolution ne peut être que le gâchis, c’est-à-dire le désordre, et affirment avec une certaine outrecuidance que l’organisation autoritaire de la bourgeoisie est une manifestation de l’ordre le plus parfait.

Il faut être ou aveugle ou le plus parfait des crétins, à moins d’être intéressé et profiter de l’état social actuel, pour tenir un tel langage, car la société moderne, surtout depuis la guerre de 1914, nous offre le spectacle du plus profond gâchis. Ce gâchis est tel que les dirigeants de la bourgeoisie et du capitalisme en sont eux-mêmes débordés et ne savent plus de quelle façon sortir du bourbier dans lequel ils se sont enlisés. Le gâchis politique, le gâchis parlementaire, le gâchis économique, dans tous les domaines de l’activité, c’est la confusion la plus obscure, et ce gâchis total, absolu, est le résultat de l’appétit toujours grandissant des classes dirigeantes qui se laissent entraîner dans les aventures les plus périlleuses. A la faveur de ce gâchis, il faudrait que la classe ouvrière sût se livrer en bon ordre à l’attaque de la citadelle capitaliste déjà ébranlée, pour se libérer d’un seul coup de ses maîtres et de ses oppresseurs, et organisa enfin une société nouvelle illuminée par la liberté.


GAFFE n. f. La gaffe est un instrument composé d’un manche d’environ deux mètres de long et d’une pointe métallique munie d’un ou de deux crocs et dont se servent les marins pour pousser les embarcations, pour accrocher, accoster ou aborder.

Populairement, ce mot s’emploie fréquemment comme synonyme de « maladresse », « d’erreur ». Faire une gaffe, c’est une gaffe qui est cause de tout ce trouble. Il ne fait que des gaffes. Personne n’est à l’abri de faire des gaffes, car chacun peut se tromper. Lorsqu’elle n’engage que l’individu qui la commet, la gaffe est excusable ; elle l’est moins lorsqu’elle engage tout un groupe, toute une association ou toute une organisation. Et c’est pourquoi un homme qui se trouve à la tête d’un organisme quelconque doit toujours, avant d’accomplir un geste ou un acte, en mesurer tous les effets, toutes les conséquences, afin de ne pas faire de gaffes et entraîner, dans son erreur, toute une collectivité.

Il ne faut jamais oublier que les gaffes, commises à certaines époques par des hommes qui dirigeaient le mouvement prolétarien, furent fatales à la classe ouvrière. Sans remonter à 1914, où l’attitude de certains chefs ne peut pas être qualifiée de gaffe, mais de crime, nous trouvons, dans l’histoire sociale d’après-guerre, un nombre incalculable de gaffes sincèrement commises qui déterminèrent la désunion des classes travailleuses. Faisons donc en sorte d’en faire moins à l’avenir, en profitant des exemples et des expériences du passé, et la tâche que nous avons à cœur de mener à bien nous paraîtra plus légère.


GAGE n. m. Le gage est un objet que l’on donne à un créancier en garantie d’une dette, d’un emprunt, etc…

Le prêt sur gage est autorisé par la loi, « et, à défaut de payement à l’échéance, le créancier peut, huit jours après une simple signification au débiteur (ou au tiers bailleur de gage), faire procéder à la vente publique par le ministère des agents de change ou des courtiers ». Des dispositions spéciales ont été prévues par la loi en ce qui concerne les gages immobiliers.

En certaines villes, la municipalité fait elle-même office de prêteur sur gage, par l’intermédiaire de ses « Monts de Piété ». Dans les périodes de crise, de chômage, il est pénible de voir les misérables se détacher d’objets qui leur sont parfois, non seulement chers et utiles, mais indispensables, et les offrir en gage, en échange des quelques francs qu’on leur prête avec intérêts et qui leur permettront, pendant quelques jours, de ne pas crever de faim.

Il n’est pas besoin de dire que les prêteurs sur gage ne travaillent pas gratuitement et que, d’ordinaire, ils ne prêtent leur argent qu’à un taux usuraire.

On emploie également le mot gages comme synonyme de salaire, appointement (voir ces mots), mais plus particulièrement en ce qui touche le personnel domestique. Dans ce sens, le mot gages ne s’emploie qu’au pluriel. Avoir de bons gages. Être satisfait de ses gages.


GAIN n. m. (de gagner). Le gain est le profit, le bénéfice réalisé dans une affaire, une entreprise, ou encore l’avantage obtenu sur un concurrent ou un adversaire. Un gain considérable ; un gain licite ; un gain médiocre ; le gain d’une bataille ; avoir gain de cause ; être âpre au gain.

L’amour du gain, qui anime un grand nombre d’individus, est une des causes primordiales des batailles continuelles que se livrent les hommes. La course vers la fortune qui permet, à celui qui la possède, toutes les jouissances, fait de l’humanité un vaste champ de carnage où les humains, semblables à des bêtes féroces, se déchirent et se dévorent mutuellement.

Les économistes bourgeois prétendent que le gain est un facteur d’énergie, qu’il concourt au développement économique de la société et qu’il est une source de génie, que c’est grâce à lui que l’homme poursuit ses recherches, que c’est pour obtenir les avantages d’un gain matériel qu’il étudie, qu’il découvre et qu’enfin il part à la conquête du monde. Rien n’est plus faux, à notre avis. Nous n’ignorons certes pas, qu’en ce qui concerne le commerce, la finance ou l’industrie, l’appât du gain n’est pas étranger à leur développement, mais n’oublions pas que ni le commerce, ni l’industrie ne sont des facteurs d’évolution sociale et que, ordinairement, le véritable artisan du progrès, le chercheur, le savant, travaille sans aucun esprit de lucre, et que ses découvertes, dont il ne bénéficie matériellement que rarement et dans une faible mesure, sont presque toujours accaparées par les spéculateurs qui s’enrichissent honteusement du travail et de la pensée d’autrui.

Non, l’appât du gain ne fait pas jaillir la lumière et, en aucun cas, il n’est un facteur de civilisation. Au contraire, l’appétit insatiable des capitalistes, l’amour du gain toujours plus grand, plus considérable, les pousse dans des aventures guerrières dont la classe ouvrière paie tous les frais. C’est pour que leurs maîtres accumulent des gains considérables, que les travailleurs sont contraints de produire pendant de longues heures, pour des salaires de famine, et de se faire tuer sur les champs de bataille, lorsque leurs exploiteurs, pour arrondir leurs gains, cherchent des débouchés dans les pays coloniaux ou à l’étranger. Le gain, en réalité, c’est le produit du vol licite, du vol légal et, au sens propre du mot, il ne peut être moral.

Tant qu’une société, quelle qu’elle soit, même si elle se réclame de tendances, de principes socialistes ou révolutionnaires, admettra ou permettra le « gain », la question sociale ne sera pas résolue. Ce n’est que lorsque tous les organismes des vieilles sociétés bourgeoises seront détruits et que l’industrie travaillera pour satisfaire les besoins de tous et non pas pour satisfaire aux exigences immodérées d’une minorité de ses semblables, que la révolution sera un fait accompli. Le gain ne sera plus alors le fruit d’une spéculation ou d’une exploitation, mais le résultat d’un travail profitant à toute la collectivité humaine.


GALÈRE n. f. (de l’italien Galera). Navire de guerre des anciens, à un, deux ou trois rangs de rames. Les plus petits de ces navires avaient, à chaque rang et de chaque côté, dix rames ; les plus grands en avaient cinquante. En France, les premières galères furent construites sous le règne du roi Charles IV. Le mot galère est aujourd’hui usité comme synonyme de « bagne ». Cela tient à ce qu’il fut un temps où les forçats accomplissaient leur peine sur les galères. « C’était, dit le Lachâtre, la peine la plus communément usitée. Les femmes ne pouvaient être condamnées aux galères. On commuait cette peine tantôt en une détention à temps ou à perpétuité, le plus souvent en celle du fouet et du bannissement. Voici comment s’exécutait cette peine : les condamnés, après avoir été préalablement fustigés et flétris, étaient transférés dans une prison jusqu’à ce qu’ils fussent en nombre suffisant pour former une chaîne. On leur passait alors un anneau de fer au cou, un autre au bas de la jambe ; on reliait ces deux anneaux par une chaîne qui tenait, d’une part, à l’un des poignets, de l’autre à la grosse chaîne, à laquelle les galériens étaient attachés deux à deux, l’un à droite, l’autre à gauche. Ils marchaient ainsi à pied, de ville en ville, sous la garde de chiourmes, jusqu’au lieu de leur destination où, étant arrivés, on les détachait de la grosse chaîne pour les enchaîner dans la galère, chacun à son banc. En 1748, les navires à rames ayant cessé d’être en usage dans la marine, les galériens furent employés aux travaux des ports et des arsenaux. »

De nos jours, il ne reste donc plus des « galères » que le nom. Les forçats ne sont même plus employés dans les arsenaux, mais expédiés dans de lointaines colonies pénitentiaires et livrés, sans contrôle, à la brutalité des gardes-chiourmes. (Voir les mots bagne, travaux forcés, forçat).

Le mot galère est également usité à présent, au sens figuré, pour signaler une condition désagréable ou une situation pénible. Une vie de galère. Un travail de galère. Il n’est pas besoin d’aller au bagne pour voir des hommes condamnés à la galère perpétuelle. Face à la richesse insultante des riches, il est des êtres qui fournissent un travail au-dessus des forces humaines et mènent une véritable vie de galériens. Il faut avoir visité certaines contrées minières ou pénétré dans certaines grandes usines métallurgiques pour se rendre compte de ce que le capital exige de son prolétariat, en échange d’un salaire insuffisant pour vivre ; l’existence de certains manœuvres, qui travaillent sur les grands navires commerciaux, n’est pas non plus de beaucoup supérieure à celle des galériens de jadis ; à part les chaînes elle est à peu près identique. Que de chemin il reste encore à parcourir pour que la terre, qui est un paradis pour une minorité, ne soit plus une galère pour la grande majorité ! C’est au prolétariat, parce que c’est chez lui que se recrute le galérien, qu’il appartient de transformer tout cela. Avec un peu d’énergie, de volonté et de courage, il le peut ; mais il faut aussi pour cela qu’il se libère de tous les préjugés qui le tiennent, comme un galérien, rivé à la chaîne.


GALERIE n. f. (du latin galeria). On donne le nom de galerie à une pièce, ordinairement plus longue que large, et qui sert à donner des fêtes, des concerts, à réunir ou à exposer des tableaux et autres objets d’art. Les galeries d’un palais ; les galeries d’un musée ; une galerie de peinture. Au théâtre, on appelle galerie tout ce qui n’est pas le parterre. C’est un balcon fourni de banquettes pour les spectateurs. La première galerie ; un fauteuil de troisième galerie. On donne aussi le nom de galerie aux routes que les mineurs creusent au fond de la mine. On distingue plusieurs catégories de galeries. Une galerie inclinée qui suit le gîte, c’est-à-dire une masse de minerai, s’appelle enlevure, montagne, montage, etc. ; une galerie très inclinée prend le nom de fendue ; celle qui amène l’air dans tous les coins de la mine est la galerie d’aérage.

Au figuré, on donne le nom de galerie à ce que l’on considère comme l’assistance ; travailler pour la galerie, c’est-à-dire pour ceux qui observent, qui regardent. Il est quantité de gens qui ne vivent que pour la galerie et qui s’inquiètent toujours de ce que l’on pense de leurs gestes et de leurs actes. Ils empoisonnent ainsi leur existence. Il en est d’autres qui ont certaines attitudes pour la galerie et dont la vie est un éternel mensonge. C’est pour la galerie que nos politiciens se disputent durant des heures dans les parlements, car c’est toujours dans les coulisses que se traitent les grandes affaires politiques. La galerie, c’est le peuple, et le peuple se laisse tromper aisément. Les politiciens en profitent.


GALIMATIAS n. m. Discours confus, embrouillé, inintelligible. Le Lachâtre nous dit que ce mot provient « du quiproquo d’un avocat qui, plaidant en latin pour le coq de Mathias, à force de répéter gallus Mathiae, en vint à dire galli Mathias, ce qui fit rire tout l’auditoire, de manière que l’expression se conserva pour signifier un discours embrouillé ».

Rien n’est plus désagréable, pour un auditeur, que d’être obligé d’écouter un discours obscur, où les idées sont sans suite, les pensées développées sans aucun ordre, et qui est souvent inintelligible même pour celui qui le fait.

A celui qui veut propager une doctrine, qui cherche à faire partager ses sentiments ou ses opinions à ses semblables, la sincérité, la volonté et le courage ne suffisent pas ; il faut aussi de la clarté. « La profondeur donne à penser ; l’obscurité donne à deviner ; le galimatias est une attrape dont souvent l’auteur est la première dupe », dit Levis. Ayons donc soin, chaque fois que nous avons à charge de présenter au public nos idées, nos aspirations, nos espérances, de parler clairement, posément, simplement, afin d’être compris de tous et de toutes, pour que l’on ne puisse pas dire en nous écoutant : « Quel galimatias ! »

Laissons tous ceux qui se perdent dans la démagogie débiter leur galimatias et poursuivons notre chemin sans nous en écarter ; nous arriverons un jour à être entendus et compris, et on verra alors finir le galimatias, qui préside encore aujourd’hui aux destinées de l’humanité.


GALVANISME n. m. Moyen de développer de l’électricité dans les substances animales. C’est au docteur Louis Galvani, physicien, né à Bologne en 1737 et mort en 1798, que l’on doit la découverte du galvanisme, qu’il appelait, lui, l’électricité animale. C’est le hasard, qui fait tant de choses, qui lui valut cette découverte. En 1789, Galvani ayant disséqué des grenouilles pour en étudier le système nerveux, les avait suspendues à un balcon de fer, au moyen de petits crochets de cuivre, traversant les nerfs lombaires. Il s’aperçut que chaque fois que les nerfs touchaient le fer du balcon, les grenouilles, bien que mortes, éprouvaient des convulsions, et Galvani attribua ces convulsions à un fluide particulier. Volta démontra, par la suite, que ce phénomène n’était nullement dû à un fluide particulier et que l’on se trouvait simplement en présence de phénomènes électriques. C’est cependant grâce à la découverte de Galvani que Volta construisit sa pile, dite pile de Volta, et que les savants ont ensuite fait du galvanisme une science nouvelle.


GARANTIE n. f. Sûreté contre une éventualité quelconque ; ce qui garantit une chose. Engagement qui garantit les possessions d’un objet. Moyen de protection. Un acte de garantie ; un contrat de garantie. Constatation légale des matières d’or et d’argent. La garantie de ces métaux précieux est la marque ou poinçon dont sont revêtus les objets au titre légal.

La garantie individuelle est la protection que la loi est supposée assurer à chaque citoyen. Nous savons que cette garantie est une supercherie et que la liberté individuelle ou collective n’est nullement assurée par la loi et ceux qui sont chargés de l’appliquer ou de la faire respecter. Bien au contraire, les agents de l’État et plus particulièrement ceux de la police, peuvent impunément violer les prétendues lois de garantie, sans craindre les sanctions d’une « justice » asservie au capital et à la bourgeoisie. La police, comme presque toutes les institutions des sociétés modernes, ne sert de garantie qu’à la bourgeoisie contre le travailleur.

Taxe pour fond de garantie. — Selon la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, à défaut, par les chefs d’entreprise débiteurs ou par les sociétés d’assurances et syndicats de garantie, d’acquitter au moment de leur exigibilité les indemnités mises à leur charge à la suite d’accidents ayant entraîné la mort ou une incapacité permanente de travail, le payement en est assuré aux intéressés par les soins de la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, au moyen d’un fonds spécial de garantie alimenté par les centimes additionnels à la contribution des patentes.


GARROTTE n. f. (de l’espagnol garrote). Appareil de supplice employé en Espagne pour l’exécution des peines capitales. La garrotte fait mourir le patient par strangulation. La garrotte est composée d’une plateforme au centre de laquelle est fixé un poteau et, à ce poteau, un siège sur lequel est assis le condamné. Celui-ci a le cou pris dans un collier de fer réuni à une vis qui traverse le poteau. En serrant cette vis on ramène le collier vers le poteau et le condamné meurt étranglé. La garrotte est un supplice horrible. Il n’y a certes pas de critérium pour déterminer s’il est plus terrible que tous les autres supplices imaginés par les immondes valets de la bourgeoisie. La peine de mort, en soi, est une horreur et un crime. Que ce soit la guillotine, la chaise électrique, la pendaison ou la garrotte qui provoque la mort d’un homme, l’acte de supprimer par vengeance un être humain sans défense, est une lâcheté.

Nous connaissons l’antienne : « Il est des individus qui ne méritent pas de vivre, qui sont des dangers sociaux, et qui sont eux-mêmes chargés de crimes. Leur laisser la vie, c’est les mettre à charge de la collectivité, de la société et, en conséquence, il est préférable, à tous les points de vue, de les supprimer. » Philosophie d’imbéciles ou de jouisseurs, mais non d’hommes sensés ou raisonnables. S’il fallait garrotter tous les inutiles, tous les criminels, tous les assassins qui évoluent dans les hautes sphères de la finance, du commerce, de l’industrie et de la politique, il faudrait un nombre incalculable de bourreaux. Mais ce sont ordinairement les victimes inconscientes que l’on garrotte, alors que les véritables coupables jouissent en paix de la considération des hommes.


GAZ n. m. On donne le nom de gaz à tout corps invisible, élastique qui, sous l’influence de la pression atmosphérique, reste à l’état de fluide. Gaz d’éclairage ; gaz pauvre ; gaz à l’air ; gaz asphyxiant.

C’est bien à tort que l’on prête à l’ingénieur français Philippe Lebon l’invention des gaz d’éclairage. En réalité, dès 1667, les expériences du chimiste anglais Boyle avaient démontré la combustibilité des gaz provenant du bois et de la houille. Philippe Lebon ne fit que poursuivre les travaux de ses prédécesseurs et de trouver des applications pratiques d’utiliser les gaz pour l’éclairage. En France, on ne voulut pas l’entendre, et il alla porter ses découvertes en Angleterre et, lorsque ce système d’éclairage passa en France, il était déjà très répandu de l’autre côté de la Manche. Le gaz a rendu et rend encore d’immenses services, tant au point de vue domestique qu’au point de vue industriel ; mais l’utilisation du gaz, tout au moins en ce qui concerne l’éclairage et la force motrice, doit faire place à l’électricité, plus moderne, plus pratique et plus propre. Pour le chauffage, l’électricité, quant à présent, ne menace pas le gaz, mais il n’est pas douteux qu’avec le progrès, l’électricité sera le mode de chauffage de demain et que le gaz trouvera une autre utilisation.

Disons que les gaz d’éclairage et de chauffage sont des sous-produits de la houille.

A côté de ces gaz utiles à tous, il y a les gaz inutiles, les gaz criminels, destinés à détruire l’humanité, et que le génie malfaisant de l’homme a mis au service des dieux de la guerre. « Les gaz de guerre ou de combat, dit le Larousse, proviennent de substances diverses, les unes naturellement gazeuses, d’autres liquides ou solides, mais susceptibles de se volatiliser plus ou moins rapidement à l’air. Ils ont été utilisés sous forme de vagues, ainsi que dans les projectiles de tranchées, de canon et d’obusier. Parmi les substances employées, les unes sont suffocantes, déterminant la toux et la mort par asphyxie (chlore, brome, bromacétone, chlorosulfonate de méthyle, chloroformiate de trichlorométhyle, ou palite, phosgène, rationite) ; d’autres sont toxiques, agissant par arrêt d’un organe fonctionnel (acide cyanhydrique, chlorure de phénilcarbine) ; lacrymogènes, provoquant le larmoiement (chlorure et bromure de benzile, chloropicrine, iodacétone, acroléine) ; sternutatoires (éthylcarbazol, cyanure de diphénylarsine). Beaucoup de ces substances possèdent les pouvoirs suffocants et lacrymogènes ; le sulfure d’éthyle dichloré ou ypérite, est à la fois suffocant, lacrymogène et vésicant. Pour garantir le combattant, on a utilisé des masques protégeant les yeux et les voies respiratoires. »

On se garde bien, dans la grande presse, d’initier le peuple aux ravages qui résulteront de l’emploi des gaz asphyxiants en temps de guerre. On trouve, dans cette encyclopédie, au mot « désarmement » (pp. 527, 528, 529 et 530), des rapports officiels établis par des maîtres de la science pour la Société des Nations, et qui attirent l’attention des hommes d’État sur l’impossibilité matérielle qu’il y aurait à garantir les populations civiles contre ces gaz. Malgré cela on continue, dans toutes les grandes nations, à fabriquer des gaz asphyxiants, bien que sachant que leur emploi conduirait le monde à la ruine.

Contre de tels procédés de barbarie, prémédités, préparés consciemment par les forces mauvaises de la société, la classe ouvrière ne fait rien, parce qu’elle ignore et, ceux qui savent, se rendent complices, par leur silence, des crimes monstrueux qui se préparent.

Comment peut-il se trouver encore, dans des pays civilisés, en un siècle où les hommes savent lire, et surtout à une époque qui a été bouleversée par le plus terrible des cataclysmes pendant quatre ans et demi, des ouvriers qui consentent à fabriquer des gaz asphyxiants ? Comment peuvent-ils ne pas être troublés à la pensée que ces gaz sèmeront la mort sur leur passage, que leurs femmes, que leurs enfants en seront les premières victimes et qu’ils fabriquent eux-mêmes leur plus terrible outil de guerre ? Et comment comprendre que des chimistes, des physiciens, des savants, soient assez lâches pour mettre leur savoir à la disposition de minorités grisées par leurs appétits et qui n’hésiteront pas demain à détruire la moitié de l’humanité pour conquérir de nouveaux privilèges ? Si la classe ouvrière n’y prend garde, rien n’arrêtera ses maîtres, ses oppresseurs sur le chemin du carnage, et les gaz qu’elle fabrique ne serviront pas seulement en temps de guerre, mais aussi pour écraser le peuple lorsqu’il voudra se révolter et mener la lutte contre son patronat.


GENDARME n. m. (pour gens d’armes). Autrefois, homme de guerre ayant sous ses ordres un certain nombre d’hommes à cheval. C’est Charles VII qui, en 1445, institua le corps des gendarmes. De nos jours, le gendarme est un soldat policier chargé d’exercer une surveillance dans la campagne et sur les voies de communication, et de « veiller à leur sécurité ». Le gendarme est placé sous les ordres du ministre de la guerre, mais il dépend également, de par ses fonctions, du ministère de l’intérieur, de la justice et des colonies. Bref, c’est un homme à tout faire. Les officiers de gendarmerie sont également officiers de police judiciaire et, en conséquence, les auxiliaires directs du procureur de la République.

Le gendarme, tout comme le policier, est un précieux agent de l’État et un ferme défenseur de la propriété. C’est lui qui, sur les routes de France, fait office de flic et chasse, poursuit et arrête les chemineaux et les misérables. Les gendarmes se recrutent parmi les engagés ou les rengagés, ayant au moins trois ans de service ; la plupart sont des anciens sous-officiers et c’est assez dire ce que peut être leur mentalité. A Paris, le gendarme prend le nom de garde républicain. La garde républicaine compte trois bataillons d’infanterie et quatre escadrons de cavalerie. Ce sont les gardes républicains que les travailleurs trouvent en face d’eux dans les manifestations. Ce sont les gardes républicains, les gendarmes de Paris, qui viennent prêter main-forte à la police proprement dite, lorsque les ouvriers se révoltent contre leurs maîtres. Le gendarme est toujours sans pitié, et il faut le placer sur le même rang que tous les autres policiers. Il ne vaut pas mieux.


GÉNÉALOGIE n.f. (du grec genos, race, et logos, discours). La généalogie est la science qui a pour objet d’établir le dénombrement des ancêtres d’un individu, la filiation d’une famille jusqu’à son premier auteur. Dans la noblesse, en vertu d’un préjugé ridicule qui subsiste encore de nos jours malgré les progrès du démocratisme, un individu qui connaît ses origines lointaines et peut produire des titres les établissant, est considéré comme un être d’essence supérieure. Le roturier est celui qui ne connaît pas ses origines.

Voltaire a, sur la généalogie, écrit une page pleine de satire et d’ironie : « Aucune généalogie, dit-il, n’approche de celle de Mahomet ou Mohammed, fils d’Abdallah, fils d’Abd’-all-Moutabeb, fils d’Ashem ; lequel Mahomed fut, dans son jeune âge, palefrenier de la veuve Cadisha, puis son facteur, puis son mari, puis prophète de Dieu, puis condamné à être pendu, puis conquérant et roi d’Arabie, puis mourut de sa belle mort, rassasié de gloire et de femmes. Les barons allemands ne remontent que jusqu’à Vitikind, et nos nouveaux marquis français ne peuvent guère montrer de titres au delà de Charlemagne ; mais la race de Mahomet ou Mohammed, qui subsiste encore, a toujours fait voir un arbre généalogique dont le tronc est Adam, et dont les branches s’étendent d’Ismaël jusqu’aux gentilshommes qui portent aujourd’hui le grand titre de cousin de Mahommed. Nulle difficulté sur cette généalogie, nulle dispute entre les savants, point de faux calculs à rectifier, point de contradictions à pallier, point d’impossibilité qu’on cherche à rendre possible. Votre orgueil murmure de l’authenticité de ces titres ? Vous me dites que vous descendez d’Adam, aussi bien que le grand prophète, si Adam est le père commun ; mais que cet Adam n’a jamais été connu de personne, pas même des anciens Arabes ; que ce nom n’a jamais été cité que dans les livres juifs ; que, par conséquent, vous vous inscrivez en faux contre les titres de noblesse de Mahomet ou Mohammed. Vous ajoutez qu’en tout cas, s’il y a eu un premier homme, quel qu’ait été son nom, vous en descendez tout aussi bien que l’illustre palefrenier de Cadisha ; et que, s’il n’y a point eu de premier homme, si le genre humain a toujours existé, comme tant de savants le prétendent, vous êtes gentilhomme de toute éternité ? A cela, on vous réplique que vous êtes roturier de toute éternité, si vous n’avez pas vos parchemins en bonne forme. Vous répondez que les hommes sont égaux, qu’une race ne peut être plus ancienne qu’une autre ; que les parchemins auxquels on fend un morceau de cire sont d’une invention nouvelle ; qu’il n’y a aucune raison qui vous oblige de céder à la famille de Mohammed, ni à celle de Confutzée, ni à celle des empereurs du Japon, ni aux secrétaires du roi du grand Collège. Je ne puis combattre votre opinion par des preuves physiques, ou métaphysiques, ou morales. Vous vous croyez égal au daïri du Japon, et je suis entièrement de votre avis. Tout ce que je vous conseille, quand vous vous trouverez en concurrence avec lui, c’est d’être le plus fort. »

De nos jours, cependant, il ne suffit plus d’avoir un nom, et de connaître ses origines, pour briller dans le monde. La généalogie d’un individu ne suffit pas si cet individu n’est pas en puissance d’argent. Mais la bourgeoisie est encore tellement imprégnée de vieux préjugés, tellement jalouse de la vieille noblesse déchue, qu’elle n’hésite pas parfois à échanger son argent contre un titre de noblesse et à acheter une généalogie. Le travailleur, le plébéien, n’a pas besoin de connaître le nom de ses ancêtres ; il n’a pas besoin de fouiller le passé pour connaître ses ascendants. Il sait. Il sait qu’il a faim depuis toujours, que son père, son grand-père, son aïeul eurent faim et que, depuis la plus lointaine antiquité, dans tous ses ancêtres il fut honteusement opprimé et toujours dépossédé du fruit de son travail. Qu’importe le nom des esclaves qui le précédèrent. Ce furent des esclaves et c’est tout. Mais, si le peuple ignore le nom de ceux qui le précédèrent dans la souffrance et dans la misère, il a compris que ce n’est que par la révolte qu’il arrivera à transformer une société qui l’opprime et l’empêche de conquérir le bonheur. Et il sait que, demain, il triomphera de la bataille gigantesque qui se livrera et que toute la noblesse, toute la bourgeoisie, toute la ploutocratie verra son règne se terminer pour le plus grand bonheur des hommes.


GÉNÉRALISER verbe. Rendre général. Généraliser une idée, un principe, une doctrine, une opinion, une méthode. L’individu a toujours une tendance presque instinctive à généraliser. « Un enfant, dit Condillac, est naturellement porté à généraliser, parce qu’il lui est plus commode de se servir d’un nom qu’il sait que d’en apprendre de nouveaux ; il généralise donc sans avoir le dessein de généraliser et sans même remarquer qu’il généralise. » Quantité d’hommes sont, à ce sujet, comme des enfants. L’ignorance, la paresse, les entraînent à tout généraliser, sans même vouloir supposer que chaque chose, chaque objet, chaque être, a un caractère particulier qui mérite l’attention. Il ne faut pourtant pas porter « la particularisation » à l’absolu et tomber dans l’erreur contraire à la généralisation. En ce qui concerne les idées, les systèmes, et surtout dans la lutte sociale, on est parfois obligé de généraliser pour coordonner les efforts, les rapports d’individus à individus. L’absence de généralisation sur ce point supposerait l’égoïsme et l’individualisme le plus étroit et nuirait à ce que nous entendons par « organisation sociale ». En conséquence, nous pensons qu’il est indispensable de se former des idées générales reposant sur l’expérience et l’observation, en respectant toutefois les idées et le caractère particulier de chaque individu, si ces idées et ce caractère ne sont pas une entrave à la liberté et à la libre évolution de la collectivité.


GÉNÉRATION n. f. (du latin generatio, de generare, engendrer). Action par laquelle les êtres vivants se reproduisent et perpétuent leurs espèces. La génération des hommes ; la génération des insectes. « Le cheval est, dit Buffon, de tous les animaux celui qu’on a le plus observé, et on a remarqué qu’il communique, par la génération, presque toutes ses bonnes et mauvaises qualités, naturelles ou acquises. » Il en est de même pour tous les êtres vivants, hommes, bêtes, et même les plantes.

Il y a deux modes de génération : la génération agame, qui ne nécessite qu’un seul individu pour reproduire des descendants, et la génération sexuelle, où deux individus, de sexe différent se fondent et produisent l’œuf qui, en se développant, forme un individu ; mais que la génération soit agame ou sexuelle, les descendants héritent des caractères et des particularités de leurs parents, et il n’est pas concevable que la vie puisse être produite autrement que par la vie elle-même, qui se transmet perpétuellement de génération en génération. Il faut être imbu de croyance et de fanatisme, pour accepter les thèses des différentes églises qui prêtent à un Dieu tout-puissant la création des différentes espèces qui peuplent le monde. La science a depuis longtemps détruit une telle hypothèse, qui ne repose que sur l’ignorance, et démontré qu’il est absurde de croire à la génération spontanée, consécutive à la volonté d’un être suprême. « Nul animal, nul végétal, dit Voltaire, ne peut se former sans germe ; autrement une carpe pourrait naître sur un if et un lapin au fond d’une rivière, sauf à y périr. » L’être humain n’échappe donc pas à la grande loi de la génération et l’espèce humaine ne se conserve qu’en se reproduisant. Est-ce à dire que l’homme ne change pas et que, héritant des caractères physiques, moraux et intellectuels de ses ascendant, il est aujourd’hui ce qu’il était il y a dix mille ans ? Il n’en est pas ainsi : l’individu se transforme, non pas seulement au cours des siècles, en raison de révolutions brutales, mais chaque jour, au cours de sa propre vie, à tout instant de son existence. Il se transforme sans s’en apercevoir, de même que la maman ne s’aperçoit pas des transformations et du changement qui s’opère sur le bambin qu’elle voit tous les jours. Et c’est ce qui explique que l’individu d’aujourd’hui n’est pas absolument identique à celui d’hier et qu’il présente des caractères distinctifs avec l’individu d’il y a cent ans, d’il y a mille ans.

Si l’on admet que le descendant est l’héritier de l’ascendant, il faut, pour se conserver, qu’une race, qu’une espèce soit saine, qu’elle évolue physiquement comme moralement, sans quoi elle tombe en dégénérescence et se détruit d’elle-même. Et il en est de l’individu comme de la race. L’être sain, qui se reproduit, peut donner à la société un descendant utile, heureux, alors que le malade, l’ivrogne, l’alcoolique ne peuvent reproduire que des rejetons tarés, vicieux, qui traînent une vie misérable et sont une charge pour la collectivité. Sans pousser à l’absolu et demander, comme le faisaient les anciens, que l’on supprime à la naissance les individus difformes, nous pensons qu’en notre siècle de science et de progrès, l’homme devrait avoir assez de conscience pour savoir qu’il n’a pas le droit de jeter dans la vie des êtres qui, en raison de leur ascendance, sont voués à la souffrance continuelle et à la misère. La bourgeoisie, férocement égoïste, qui n’envisage nullement l’avenir, mais ne vit que dans le présent et cherche à conserver le plus longtemps possible, pour elle et ses descendants les plus directs, les privilèges acquis par des siècles de rapines et de crimes, profite de l’ignorance du peuple sur le problème de la génération. Elle favorise la reproduction dans les classes laborieuses qu’elle exploite honteusement car, pour la servir, il lui faut une génération d’asservis et d’esclaves. Le peuple, trop souvent hélas ! se laisse prendre dans les filets que lui tendent ses maîtres, et c’est ainsi que la génération présente, née de la guerre, vieille avant l’âge, semble être une fin de race, que l’on grise de promesses et qui se contente du pain et du cirque que lui accordent ses tyrans.

Nous avons dit, par ailleurs, que des civilisations aussi puissantes que la civilisation moderne se sont écroulées ; que la guerre, source d’esclavage et de misère, avait, en d’autres temps, dévasté des régions riches et prospères ; nous avons nous-même, pendant 52 mois, souffert de l’inconscience et de la folie qui s’étaient emparées de l’humanité. Allons-nous léguer à ceux qui nous succéderont demain, tout ce passé de larmes et de sang ? Il faut que le peuple sorte de sa torpeur et que, dans un sursaut d’énergie, il efface l’orgie d’hier pour ouvrir à la génération qui vient la route de la paix et de la liberté.


GÉNÉROSITÉ n. f. (du latin generositas). La générosité est le penchant qui pousse l’individu à secourir, à soutenir et à aider son prochain ; c’est une disposition à la bienfaisance et à la libéralité. La générosité ne consiste pas uniquement à aider pécuniairement son semblable ; on peut être généreux tout en étant pauvre, par la noblesse de l’esprit et par les sentiments louables qui nous animent.

La libéralité, d’ailleurs, n’est pas toujours de la générosité ; elle n’en est souvent qu’un artifice. Lorsque la bourgeoisie, dans ses fêtes de charité, dans ses expositions, fait semblant de secourir le malheureux, ce n’est pas par générosité qu’elle agit, mais par intérêt ; combien est plus noble la générosité du misérable qui partage son pain et sa souffrance avec un autre misérable, que celle de ce capitalisme taré et lâche qui ne sait faire le « bien » qu’en s’amusant.

La générosité n’est pas seulement la solidarité du porte-monnaie, c’est aussi la solidarité de l’âme ; c’est comprendre non seulement les souffrances physiques et matérielles, mais aussi les souffrances morales de ceux qui sont autour de nous, et chercher à les alléger par notre courage et notre énergie. Que de misères pourraient être soulagées si les hommes savaient être généreux et ne se laissaient pas pervertir par un égoïsme étroit et mesquin ! Que les libertaires donnent l’exemple de la générosité ; que partout, face à la bassesse et à la lâcheté, ils se dressent en hommes libres et généreux, et leur action sera féconde dans le présent et dans l’avenir.


GENÈSE n. f. (du grec genesis, origine, naissance). On donne le nom de genèse à l’ensemble des faits qui ont concouru à la formation de quelque chose. La genèse de la Révolution ; la genèse de la guerre ; la genèse d’un drame.

La « Genèse » est également le titre du premier livre du Pentateuque qui, en cinquante-deux chapitres, traite de la création du monde jusqu’à la mort du patriarche Joseph, c’est-à-dire durant une période de 2.700 ans environ. Ce livre, d’inspiration « divine », est bien à tort attribué à Moïse, le grand prophète juif, dont l’existence elle-même est douteuse ; mais de même que les chrétiens prêtent à Luc, à Marc ou à Jean la rédaction de leurs évangiles canoniques, les juifs crurent devoir, bien avant l’ère chrétienne, attribuer à Moïse un livre qui fait autorité dans la religion judaïque. Rien cependant n’est moins vraisemblable ; et même, en supposant que Moïse ait existé, il ne peut être l’auteur d’un ouvrage fabuleux, fantastique, tel que le Pentateuque, car il y a de telles contradictions dans cet ouvrage « d’inspiration divine », qu’il est impossible d’en attribuer la rédaction à un seul homme.

La création du monde est, dans la « Genèse », racontée de deux façons différentes. Dans le premier récit, « Dieu » est appelé « Elohim », dans le second « Jahveh ». On a donc donné le nom de « Elohiste » et de « Jehoviste » à chacun de ces récits. A titre de spécimen, nous donnons quelques passages de ces deux récits ; on remarquera que la création d’Eve, que le péché d’Adam n’existent que dans le récit Jehoviste.

Récit Elohiste. — I — 1. Au commencement, Elohim créa les cieux et la terre. 2. La terre était un chaos ; le souffle d’Elohim se mouvait sur les eaux. 3. Elohim dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. 4. Et Elohim vit la lumière, qu’elle était bonne, et Elohim sépara la lumière d’avec les ténèbres. 5. Et Elohim nomma la lumière jour, et les ténèbres nuit ; et il fut soir, et il fut matin ; un jour. 6. Elohim dit : « Qu’il y ait un firmament entre les eaux ! »… 9. Elohim dit : « Que les eaux qui sont sous les cieux se rassemblent et que le sec apparaisse. »… 11. Et Elohim dit : « Que la terre produise la verdure, l’arbre fruitier portant le fruit suivant son espèce. »… 14. Elohim dit : « Qu’il y ait des luminaires dans le firmament pour diviser le jour d’avec la nuit. »… 20. Elohim dit : « Que les eaux fourmillent de vie et que les oiseaux volent sur la terre. »… 21. Et Elohim créa les monstres marins et tous les êtres dont fourmillent les eaux, et tout oiseau ailé. 22. Et Elohim les bénit en disant : « Soyez féconds, multipliez et remplissez les eaux des mers, et que l’oiseau multiplie sur la terre ! »… 24. Et Elohim dit : « Que la terre produise des êtres vivants suivant leurs espèces. »… 26. Et Elohim dit : « Faisons l’homme à notre image » ; mâle et femme, il les créa. … 28. Et Elohim les bénit et il leur dit : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l’assujettissez ! » 29. Et Elohim dit : « Voici, je vous donne toute herbe portant semence et tout arbre qui a un fruit… pour votre nourriture. »

II — 1. Et furent achevés les cieux et la terre et toute leur armée. 2. Et Elohim acheva au septième jour son œuvre ; et au septième jour il se reposa. … 4. Ceci est les généalogies des cieux et de la terre, lorsqu’ils furent créés.

Récit Jehoviste — II — 4. Au jour que Jahveh Elohim fit la terre et les cieux. 5. Aucun arbuste n’était encore sur la terre, aucune herbe n’avait encore germé, parce que Jahveh Elohim n’avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d’hommes pour cultiver le sol. 6. Mais une nuée s’éleva de la terre et arrosa le sol. 7. Et Jahveh Elohim forma l’homme de la poussière du sol et souffla dans ses narines le souffle de vie. 8. Et Jahveh Elohim planta un jardin dans l’Eden et y plaça l’homme qu’il avait formé. 9. Et Jahveh Elohim fit pousser du sol tout arbre agréable, et l’arbre de vie au milieu du jardin et aussi l’arbre de la science du bien et du mal. … 15. Jahveh Elohim prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. 16. Et Jahveh Elohim ordonna à l’homme, en lui disant : « De tout arbre du jardin tu peux manger. » 17. Mais de l’arbre de la science du bien et du mal tu ne mangeras pas, car au jour où tu en mangeras tu mourras de mort. 18. Et Jahveh Elohim dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide qui lui corresponde. »… 21. Alors Jahveh Elohim fit tomber un profond sommeil sur l’homme, il prit une de ses côtes et enferma la place avec de la chair, 22. Et Jahveh Elohim forma le côté qu’il avait pris à l’homme, en femme, et il l’amena à l’homme…

III — 1. Le serpent était rusé par-dessus tous les animaux des champs et il dit à la femme : « Jahveh Elohim a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez aucun arbre du jardin ? » 2. Et la femme dit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. » 3. Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Elohim a dit : « Vous n’en mangerez pas et n’y toucherez pas pour ne pas mourir. » 4. Et le serpent dit à la femme : « Vous n’en mourrez pas… 5. Car Elohim sait qu’au jour où vous en mangerez vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Elohim, connaissant le bien et le mal. » 6. Et la femme… prit du fruit de l’arbre et en mangea, et elle en donna à son mari, près d’elle, et il en mangea… … 8. Et ils entendirent la voix de Jahveh Elohim qui parcourait le jardin à la brise du soir. Et il dit : « De l’arbre dont je t’avais défendu de manger, est-ce que tu en as mangé ? »… 12. Et l’homme dit : « La femme m’a donné du fruit de l’arbre et j’ai mangé. » 13. Et Jahveh Elohim dit à la femme : « Pourquoi as-tu fait cela ? » Et la femme dit : « Le serpent m’a séduite et j’ai mangé. » 14. Jahveh Elohim dit au serpent : « Puisque tu as fait cela, tu es maudit… tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras la poussière. 15. J’établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et sa race ; celle-ci t’écrasera la tête et tu lui blesseras le talon. » 16. A la femme il dit : « J’augmenterai la peine de la grossesse ; tu enfanteras dans la douleur. » 17. Et à l’homme il dit : « Tu mangeras dans la peine tous les jours de ta vie. … 19. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage, jusqu’à ce que tu retournes au sol d’où tu as été pris ; car tu es poussière et tu retourneras à la poussière… »… 22. Et Jahveh Elohim dit : « Voici l’homme est devenu comme l’un de nous pour la connaissance du bien et du mal ; mais maintenant qu’il n’étende pas sa main pour prendre de l’arbre de vie, manger et vivre éternellement. » 23. Et Jahveh Elohim l’expulsa du jardin de l’Eden pour qu’il cultivât le sol d’où il avait été pris.

Examinons tout d’abord une des contradictions essentielles de ces deux textes. Les versets 27 et 28 du texte élohiste nous disent que « Elohim créa l’homme à son image ; homme et femme, et les créa », alors que dans le texte Jéhoviste la femme est formée d’une côte prise sur l’homme. D’un côté Dieu bénit l’homme et la femme et leur dit de peupler la terre et de l’assujettir, alors que, dans le second texte, l’enfantement est pour la femme une punition à ses péchés. Il semble donc absolument impossible que le même auteur ait pu rédiger ces deux récits.

Poussons plus loin l’analyse de ces textes qui sont acceptés, non seulement par la religion juive, mais également par toutes les autres religions occidentales, et voyons sur quoi repose cette idée, d’un dieu créateur, d’un dieu tout-puissant, qui, depuis des siècles, domine le monde. Tout d’abord, le récit Jéhoviste nous apprend qu’à l’origine le serpent parlait, et il en était probablement ainsi de tous les autres animaux peuplant la terre ; de plus, il nous faut supposer qu’il avait des jambes et était constitué physiquement comme l’homme, puisque c’est sa séduction qui lui valut la peine infligée par Dieu. C’est peut-être une explication simpliste de la variété des individus, mais certains s’en contentent. Pour nous tout cela est, en vérité, un joli conte susceptible peut-être de distraire un enfant ; mais qu’au vingtième siècle, des êtres sains d’esprit, à ce que l’on prétend, soient encore attachés à de telles croyances, c’est ce qui nous paraît inconcevable.

D’autre part, nous ne voyons pas bien quelle est la puissance de ce Dieu qui dit : « Voici l’homme devenu comme l’un de nous par la connaissance du bien et du mal », et qui le chasse du jardin de l’Éden, de crainte que, mangeant du fruit de l’arbre de vie, il ne vive éternellement. Dans l’esprit comme dans la lettre, cela veut dire que si l’homme avait mangé du fruit de l’arbre de vie, Dieu se fût trouvé dans l’incapacité de punir l’homme par la mort.

En outre, le pluriel employé, dans le texte de la « Genèse », nous porte à croire qu’il ne s’agit pas d’un Dieu, mais de plusieurs « Dieux » et, par conséquent, de « Créateurs » multiples. Les juifs devaient, en effet, être polythéistes à l’origine et le mot Elohim lui-même nous le prouve. Elohim, en hébreu est, en effet, un pluriel dont le singulier est : eloah. Que devient alors cette idée d’un « Dieu » unique, puissant, d’un Créateur maître de toutes choses, maître du monde ?

Il n’est même pas besoin de se placer sur le terrain scientifique de l’origine des espèces pour détruire la Genèse ; elle se détruit elle-même, dans l’esprit d’un homme sain, par ses absurdités.

Signalons également que la « Genèse » n’est pas une création particulière des Juifs et que d’autres religions, bien antérieures au judaïsme, avaient imaginé la création du monde de façon fantasmagorique.

« Tous les peuples dont les Juifs étaient entourés, dit Voltaire, avaient une Genèse, une Théogonie, une Cosmogonie, longtemps avant que ces Juifs existassent. Ne voit-on pas, évidemment, que la Genèse des Juifs était prise des anciennes fables de leurs voisins ?

« Jaho, J’ancien dieu des Phéniciens, débrouilla le chaos, le Khautereb ; il arrangea Muth, la matière ; il forma l’homme de son souffle, Calpi ; il lui fit habiter un jardin, Aden ou Eden ; il le défendit contre le grand serpent Ophienée, comme le dit l’ancien fragment de Phérécide. Que de conformités avec la « Genèse » juive ! N’est-il pas naturel que ce petit peuple grossier ait, dans la suite des temps, emprunté les fables du grand peuple inventeur des arts ?

« C’était encore une opinion reçue d’Asie que Dieu avait formé le monde en six temps, appelés chez les Chaldéens, si antérieurs aux Juifs, les six gahambârs.

« C’était aussi une opinion des anciens Indiens. Les Juifs, qui écrivirent la Genèse, ne sont donc que des imitateurs ; ils mêlèrent leurs propres absurdités à ces fables, et il faut avouer qu’on ne peut s’empêcher de rire quand on voit un serpent parlant familièrement à Eve, Dieu parlant au serpent, Dieu se promenant chaque jour, à midi, dans le jardin d’Éden, Dieu faisant une culotte à Adam et un pagne à sa femme Eve. Tout le reste paraît aussi insensé ; plusieurs Juifs eux-mêmes en rougirent ; ils traitèrent dans la suite ces imaginations de fables allégoriques. Comment pourrions-nous prendre au pied de la lettre ce que les Juifs ont regardé comme des contes ? » (Voltaire, Le Tombeau du Fanatisme, ou l’Examen important de Milord Bolingbroke).

La Genèse est donc définitivement condamnée pour tout être sérieux, sensé, logique. Elle est condamnée par le raisonnement d’abord et par la science ensuite. L’Église, cependant, ne désarme pas et elle poursuit son œuvre de corruption intellectuelle. Pétrissant le cerveau des enfants, le bourrant d’anecdotes mensongères et ridicules, elle fait des bambins qui lui sont confiés des êtres incomplets, incapables de penser sainement et de se conduire librement dans la vie.

L’enfant est un petit être curieux et confiant. Dès son plus jeune âge il cherche à savoir et à s’expliquer tous les phénomènes de la vie. Son esprit éveillé le porte à questionner ; il veut savoir le pourquoi de toutes choses et est toujours porté à admirer ce qui lui paraît grandiose. C’est pourquoi il aime tous les contes de fées. Il admire la force et la puissance de ces êtres surnaturels, lui qui se sent si petit et si faible, et l’explication simpliste de la création du monde, qui lui évite de fouiller et de chercher, le satisfait pleinement. C’est la force de l’Église de savoir profiter de l’inexpérience de la jeunesse, et c’est pourquoi l’Église est dangereuse. Une fois que le poison a pénétré dans le cerveau d’un gosse, il est difficile de l’en extirper ; même lorsque l’enfant a atteint l’âge d’homme, un flottement, une incertitude subsistent, et cela engendre la crainte de l’inconnu qui est un facteur de lâcheté et d’esclavage. Gardons-nous donc nous-mêmes de conter aux enfants des histoires qui peuvent paraître inoffensives et cependant font des ravages. Tâchons, petit à petit, de leur expliquer les phénomènes de la vie, détruisons systématiquement toute idée légendaire de la création et nous arriverons rapidement à la genèse d’une ère nouvelle. — J. Chazoff.


GÉNIE n. m. Le génie est la plus haute expression de la supériorité intellectuelle caractérisée par des inventions, des découvertes, des œuvres philosophiques, scientifiques, littéraires ou artistiques, une action politique ou sociale qui intensifie notre connaissance de l’univers et contribue au progrès de l’humanité.

On a beaucoup divagué à propos du génie. Lombroso et ses disciples en ont fait un état anormal voisin de l’épilepsie et de la folie. Cette opinion ne faisait que justifier une vieille croyance.

Nihil est injenium sine aliqua stultitia, dit un proverbe latin ; il n’est pas de génie sans quelque grain de folie.

Il est possible que, les forces humaines étant limitées, l’hypertrophie d’une ou de plusieurs facultés intellectuelles soit compensée, chez l’homme de génie, par la déficience des autres. Mais il est difficile d’avoir à ce sujet une documentation sérieuse. Les tares, apparentes chez l’homme de génie, qui est un point de mire, passent inaperçues chez la masse des hommes ordinaires. L’épilepsie d’un Dostoïevski frappe tout le monde ; mais il ne faut pas oublier que la presque unanimité des épileptiques n’ont rien de génial.

L’inspiration géniale a aussi fait dévier bien des auteurs. On l’a comparée à une hallucination.

Newton, génie lui-même, réfute cette opinion lorsqu’il nous dit que « le génie n’est qu’une longue patience » et qu’il a découvert la gravitation « en y pensant toujours ».

Il n’est pas d’ailleurs, lui non plus, dans la vérité. Certes, les découvertes géniales ne tombent pas du ciel comme une communication médianimique. Celui qui n’a pas étudié une science n’y découvre jamais rien. Mais, en revanche, on peut penser longtemps à une question sans y rien découvrir de nouveau. Il faut renverser l’assertion de Newton. Si Newton est un génie ce n’est pas parce qu’il a eu la patience ; il a, au contraire, eu la patience parce qu’il avait du génie.

Il n’est pas donné à tout le monde de poursuivre pendant toute une vie la solution d’un grand problème abstrait.

Le génie est inné : l’enfant l’apporte en naissant, sous l’influence de causes qui nous sont inconnues. L’hérédité, tout en y jouant un rôle, est insuffisante à le produire. D’abord il faudrait que le couple fût génial et non pas seulement un des deux conjoints ; condition en pratique irréalisable.

La plus haute instruction, la meilleure éducation ne sauraient donner du génie à qui n’en a pas. Néanmoins, si l’instruction ne donne pas de génie, elle est la condition indispensable de son développement. C’est ainsi qu’on trouve parfois dans la classe ouvrière des hommes extraordinairement doués qui, parce qu’ils ont eu le malheur d’avoir des parents pauvres, ne produiront jamais rien de grand. Il en est qui refont des découvertes déjà faites depuis des siècles, mais qu’ils ignoraient. Le monde stupide et barbare se moque d’eux et les traite volontiers de toqués ; ils auraient été de grands hommes si la société avait été plus juste.

La société actuelle ne fait rien pour le développement des génies. L’intelligence n’est estimée que de manière secondaire ; ce qui domine tout, c’est l’argent. Pour permettre le développement d’un génie, il faut donc, outre les dons naturels, des circonstances heureuses qui sont seulement le lot d’un petit nombre de privilégiés.

On dit souvent que les obstacles favorisent les génies. C’est une erreur grossière. Il est des génies qui triomphent en dépit des obstacles ; mais on oublie tous ceux qui sont vaincus et que, par suite, on ne peut connaître, car le génie, c’est le succès.

« Le peuple n’aime pas les sages ; il supporte plus difficilement l’aristocratie de la raison que celle de la naissance et de la fortune », a dit justement Renan.

Seul, l’homme de génie qui a conquis la gloire, les honneurs et l’argent s’impose au public. Mais encore, à moins que la spécialité de l’homme illustre ne la touche directement, — Pasteur qui guérit la rage, — la masse n’aime pas les supériorités. Lombroso s’est fait l’interprète de cette masse lorsqu’il impute aux hommes de génie tous les méfaits et tous les vices. D’après l’auteur italien, ils sont impérieux, égoïstes, cruels ; les rares femmes de génie avaient de mauvaises mœurs.

Il y a cependant une part de vérité dans ces opinions malveillantes. De même que le pouvoir politique a une influence détestable sur le caractère, le pouvoir moral de l’homme illustre a pour effet de le rendre parfois insupportable dans la vie privée. Grisé par sa popularité, le génie se croit facilement au-dessus de l’humanité et il a une tendance à traiter en esclaves le reste des hommes.

Tout en admirant les hommes de génie qui sont le ferment du progrès humain, il ne faut pas les adorer sans réserves.

D’abord il ne faut pas oublier que l’homme universellement génial n’existe pas. La plupart des grands hommes ne sont que de grands spécialistes. Pasteur, génial en bactériologie et en cristallographie, n’avait pu s’affranchir de la religion.

De tels hommes doivent être écoutés avec déférence dans la matière dont ils se sont occupés mais, pour le reste, leur opinion ne saurait prévaloir. Il ne faut pas croire en Dieu parce que Pasteur y croyait.

Dans la société de l’avenir, l’intelligence sera mise à la place occupée aujourd’hui par l’argent. L’instruction, donnée libéralement à tous les enfants, permettra l’éclosion en beaucoup plus grand nombre des hommes et des femmes de génie. — Doctoresse Pelletier.


GENRE n. m. (du grec genos, race). Le genre est le caractère commun que présentent plusieurs espèces. Le genre animal ; le genre végétal ; le genre humain. « La nature, dit Buffon, n’a ni classe, ni genre ; elle ne comprend que des individus ; les genres et les classes sont l’ouvrage de notre esprit. » C’est, en effet, l’esprit humain qui a groupé en classes, en genres, les diverses espèces d’individus ayant entre eux des ressemblances importantes. Le genre, cependant, n’est qu’une idée générale que l’on se fait des différentes espèces ayant des caractères communs, et l’on est obligé de le subdiviser en variétés qui deviennent genre à leur tour. Lorsque nous parlons, par exemple, du genre animal, nous supposons les différentes espèces d’animaux qui peuplent la terre ; mais ces différentes espèces présentent des caractères particuliers, ce qui nous oblige à dire que « le loup est une espèce du genre chien ; que le lion est un animal du genre félin », etc. Grammaticalement, le genre est la propriété que possède un mot pour désigner le sexe réel d’une chose, d’un objet, d’une personne ; le genre masculin ; le genre féminin. En français, il n’y a pas de genre neutre. Le mot genre s’emploie aussi comme synonyme d’affectation : « Se donner un genre. » On dit aussi un genre de marchandises pour une sorte de marchandises. Marchandises en tous genres. Se dit également d’un mode de style, ou d’une spécialité dans les arts : « Le genre épique ; le genre didactique », etc., etc.


GÉOGRAPHIE n. f. (du grec geo, terre, et graphein, décrire). Description de la terre sous tous ses aspects et sous tous ses rapports. La géographie est la science qui à pour objet l’étude et l’enseignement des différentes parties de la terre, tant au point de vue économique que politique ou historique. On appelle géographie physique la partie de la géographie qui traite de la terre sous le rapport du sol et du climat ; la géographie économique s’occupe de la production du sol et la géographie politique étudie la terre sous le rapport des races, des langues, des pays, etc. Quant à la géographie mathématique, elle décrit la place qu’occupe le globe relativement aux autres planètes.

La géographie serait donc une des sciences les plus complètes, puisqu’elle étudie, fouille, cherche tous les phénomènes de la vie et se propose, non seulement de les décrire, mais aussi, par extension, de rendre habitable notre planète par les victoires consécutives de l’homme sur la nature.

« La géographie, dit Lachâtre, est la science descriptive de la terre. Cette définition explique à la fois quelle est l’étendue et quelles sont les limites du domaine affecté à la géographie. La terre, toute la terre, sans rien omettre de tout ce qui lui appartient : sa figure et sa grandeur ; les lois qui la meuvent dans l’espace et dans le temps ; la disposition relative des formes variées et la nature diverse des éléments qui la constituent ; les phénomènes constants, périodiques ou accidentels de son existence ; la distinction des êtres organisés, adhérents ou mobiles qui la couvrent et se la partagent ; enfin sa possession par l’homme, avec les démarcations multiples dont il l’a empreinte, suivant les caractères physiques et moraux, les langages, les croyances religieuses, les coutumes traditionnelles, les nationalités politiques des populations sans nombre répandues à sa surface, et tout cela dans le présent et dans le passé. Voilà quel est le domaine de la géographie. »

Ce domaine est immense comme on voit, et l’on comprend que l’étude de la géographie soit nécessaire, voire indispensable à la connaissance de la vie. Car la vie ne se manifeste pas seulement sur le petit coin du globe où nous sommes nés ; de l’autre côté des monts et des océans, des hommes luttent aussi pour leur existence, pour arracher au sol, à la nature ce qu’il leur faut pour se vêtir, pour se nourrir et pour se loger. Or, s’il est vrai que l’harmonie ne peut naître que de la solidarité entre les humains, il faut connaître ces frères qui ne sont éloignés de nous que par la distance. C’est la géographie historique et politique du monde qui nous permet de nous rapprocher de nos semblables qui, vivant en d’autres contrées, soumis à des phénomènes atmosphériques différents, peuvent avoir d’autres mœurs, d’autres caractères, mais n’en sont pas moins des hommes qu’il faut étudier pour les faire bénéficier de nos connaissances et de nos progrès et profiter des leurs.

N’est-ce pas en parcourant le monde, attiré par ses travaux géographiques, que Kropotkine est devenu anarchiste ? Il suffit de lire son admirable ouvrage sur L’Entr’aide et son autobiographie Autour d’une vie, pour s’en convaincre. Et encore, dans son dernier ouvrage, L’Éthique, on aperçoit que c’est à la connaissance des hommes et des animaux qui peuplent la terre qu’il doit cette clairvoyance et cette haute philosophie humaine qui se dégagent de ses travaux. Il en est de même en ce qui concerne notre grand Élisée Reclus, que la bourgeoisie accapare maintenant qu’il est mort, cependant qu’elle le contraignit à mener une existence d’exilé. Pour nous, anarchistes, Reclus n’est pas seulement grand par ses travaux sur la philosophie anarchiste et sur la Révolution, mais surtout par le monument de connaissances qu’il a emmagasinées dans la Géographie Universelle et dans L’Homme et la Terre qui sont, à nos yeux, de véritables productions révolutionnaires, si l’on considère que la connaissance de la terre et de ses habitants est un facteur d’évolution et de transformation sociale.

Il est regrettable que la géographie que l’on apprend dans les écoles primaires ne soit que de la géographie physique nationale et qu’on tienne les enfants presque ignorants de ce qui se passe chez nos voisins, ou dans les pays et régions assez éloignés. Mais la bourgeoisie, qui préside à l’instruction et à l’éducation de nos enfants, n’a-t-elle pas intérêt à faire ressortir les qualités de son pays, pour faire naître, dans l’esprit des petits, un nationalisme petit et mesquin ? Dans la mesure du possible, essayons de donner à nos petits les connaissances que leur refuse la bourgeoisie ; apprenons-leur la géographie ; faisons-les, par les livres, voyager à travers le monde, pour leur enseigner l’amour du prochain et en faire des hommes.


GÉOMÉTRIE n. f. (du grec géo, terre, et metron, mesure). La géométrie est la science qui a pour objet l’étude de la ligne, de la surface et du volume, c’est-à-dire l’étendue considérée sous tous ses aspects. Il y a plusieurs branches de géométrie ; d’abord la géométrie élémentaire, qui comprend la géométrie plane, et la géométrie dans l’espace, traitant des propriétés du cylindre, du cône et de la sphère. Dans un ordre plus élevé, nous avons la géométrie analytique, la géométrie infinitésimale, etc., etc.

La géométrie est la plus ancienne des sciences et a probablement pour origine l’observation des choses et des objets qui nous entourent. L’application de la géométrie est indispensable dans quantité de travaux et c’est pourquoi cette science est si répandue. Un architecte est un grand géomètre et l’architecture une application de la géométrie. C’est encore la géométrie qui vient à notre secours lorsqu’il faut arpenter un terrain et en fixer la figure sur le papier. Bref, nous avons recours à la géométrie à tout instant de la vie, lorsque nous voulons concevoir les volumes, les surfaces ou les lignes en dehors des corps auxquels ils appartiennent. C’est ce qui explique le nombre immense de géomètres dans le passé et dans le présent. Citons, dans l’antiquité : Archimède ; plus près de nous : Pascal, Liebnitz et Newton ; d’Alembert au xviiie siècle et, presque nos contemporains : Biot, Cauchy et Arago, qui se signalèrent par leurs études et leurs découvertes géométriques.


GÉRANCE n. f. (du latin gerere, faire, porter). Fonction de celui qui gère, qui dirige, qui conduit. Obtenir une gérance ; avoir la gérance d’un magasin, d’une entreprise industrielle, d’une coopérative ; la gérance d’un journal. Le gérant est un employé, un fonctionnaire, dirigeant une entreprise, une affaire, qui ne lui appartient pas en propre, pour le compte du ou des propriétaires. Commercialement il n’est pas responsable devant la loi et ne doit des comptes qu’aux propriétaires de l’affaire qu’il dirige. Il n’en est pas de même en ce qui concerne la gérance d’un journal, où le gérant est légalement le propriétaire et le premier responsable devant la loi.

En France, pour avoir droit et qualité pour remplir les fonctions de gérant dans un organe de presse, il faut être Français et jouir de ses droits civils. La demande d’autorisation de gérance doit être faite sur papier timbré et remise au bureau de la presse, à la préfecture de police.

Il va sans dire que la gérance des organes révolutionnaires et plus particulièrement des organes libertaires, est confiée à des camarades susceptibles de prendre les responsabilités inhérentes à la fonction et de revendiquer l’attitude du journal, lorsqu’ils ont à comparaître devant les tribunaux. La gérance d’un journal anarchiste n’est pas longtemps exercée par le même camarade, la bourgeoisie les emprisonnant les uns après les autres, et une gérance ne pouvant légalement être assumée par un prisonnier.


GERMINAL n. m. Dans le calendrier républicain, Germinal était le septième mois de l’année.

« Le peuple, a dit Michelet, se souviendra de la Convention, de la grande assemblée humaine, bienfaisante, de celle qui entreprit d’ouvrir l’ère de fraternité, de celle qui, d’un si grand cœur, prodigua son sang pour le droit. » Michelet peut ainsi juger de la Convention ; mais nous, malgré le recul de l’Histoire, tout en reconnaissant les bienfaits qu’elle eut en certains instants le désir d’accomplir, nous ne pouvons pas oublier que, par les erreurs de Robespierre, de Saint-Just et de leurs amis, c’est au sein de la Convention que se trama la terrible journée du 9 Thermidor, si funeste à la Révolution. La réaction thermidorienne était une provocation au peuple, et celui-ci, qui avait applaudi à l’exécution de Robespierre, s’aperçut bien vite que la fin du dictateur profitait surtout à la bourgeoisie qui l’avait préparée. Et le peuple des faubourgs se souleva. La journée du 12 Germinal, An III (1er avril 1795), fut sanglante. Le peuple fut vaincu. Mais, aujourd’hui, il se souvient encore des luttes et du sacrifice de ses aînés, et le mot « Germinal » symbolise pour lui toutes les espérances qu’il met en la Révolution libératrice, qui l’arrachera à l’esclavage imposé par ses maîtres et ses tyrans. Il nous faudra sans doute subir encore bien des journées terribles, mais nous vaincrons un jour parce que nous avons pour nous le droit et la raison, et aussi la force, et « Germinal » sera alors l’aube d’un printemps qui nous remplira de bonheur et de liberté.


GHETTO n. m. (d’origine italienne). Le ghetto est le quartier de Rome que le pape Pie VI, à la fin du xvie siècle, assigna aux Juifs habitant la ville, avec interdiction pour eux d’en sortir la nuit, sous peine de mort.

Écrire l’histoire des ghettos ce serait écrire l’histoire lamentable du peuple juif, depuis le triomphe du christianisme jusqu’à nos jours. Nous nous bornerons, ici, à en tracer brièvement les origines et les conséquences qui découlèrent de leur établissement.

En un âge de croyances, d’ignorance absurde et de fanatisme criminel, lorsque le cruel décret du pape Pie VI fut connu, chaque grande ville chrétienne de l’Europe qui comptait des Juifs parmi sa population les parqua dans des quartiers infects, leur défendant tout commerce avec les chrétiens, leur interdisant d’employer des domestiques catholiques et les obligeant à porter sur leurs vêtements des signes distinctifs qui les différenciaient du reste de la population.

Ce que fut, durant des années et des années, le calvaire gravi par le peuple juif, nomade et vagabond, est indescriptible, et il n’y a pas d’excuses aux mesures odieuses prises contre les Israélites.

Les ghettos ne tardèrent pas à se multiplier. Enfermés dans leurs camps, les Juifs essuyèrent les persécutions les plus cruelles, les plus humiliantes, les plus inhumaines ; et « comme l’homme est ainsi fait, dit Maurice Muret dans L’Esprit Juif, qu’il s’attache à ce pour quoi il souffre », ils perpétuèrent le judaïsme avec ses rites, ses coutumes, ses mœurs, qui sont encore de nos jours les mêmes que ceux des premiers âges.

Rien ne pouvait faire prévoir une amélioration au triste sort des Juifs, parqués dans leurs ghettos, lorsqu’un événement historique, indépendant de la volonté juive, vint changer la destinée de ce peuple de parias. La Révolution française passa, balayant de son souffle puissant les vieilles erreurs ancestrales. Elle jeta une lumière éblouissante sur ces pauvres êtres chargés de toutes les iniquités, de tous les opprobres et, en abolissant la féodalité, en libérant le peuple du joug seigneurial, elle libéra aussi les Juifs, qui purent enfin sortir de leurs ghettos, prendre les mêmes places et revendiquer les mêmes droits que les autres citoyens français.

Une révolution n’est jamais spécifiquement nationale, si l’on considère la révolution comme un événement, un accident qui remue les vieilles couches de l’état social. L’idée qui inspire une révolution franchit tous les obstacles, elle passe au-dessus des frontières et si, au xvie siècle, l’exemple de Pie VI fut malheureusement suivi par les autorités civiles et ecclésiastiques des autres nations, en 1789, l’ouverture des ghettos français précéda l’ouverture des ghettos étrangers.

Hélas ! la marche de la civilisation est terriblement lente, et certains pays, tels l’Allemagne, la Russie, la Roumanie, etc., se refusèrent à accorder aux Juifs les droits et les libertés dont bénéficiaient les autres nationaux. Cependant, on cessa de parquer les Juifs dans des quartiers spéciaux, sauf en Russie où un régime arbitraire subsista jusqu’en 1917.

« En Russie, où ils sont plus de 7 millions, les persécutions n’ont pas cessé, malgré les dispositions tolérantes d’Alexandre II (1855-1881). L’avènement d’Alexandre III fut marqué par des scènes de pillage, à la suite desquelles le ministre Ignatieff fit promulguer les lois dites provisoires de mai 1882, qui aggravèrent la condition des Juifs, déjà astreints à la résidence dans certaines provinces ; on leur interdit d’habiter hors des villes (par conséquent de se livrer à l’agriculture) ; on expulsa du pays ceux qui ne possédaient pas la nationalité russe. Ces lois, appliquées surtout depuis 1891, ont motivé une énorme émigration. Mais la situation devint encore pire sous Nicolas II, conseillé comme son père par le procureur du Saint-Synode, Pobedonoszew, que Mommsen a flétri du nom de « Torquemada ressuscité ». Avec la complicité tacite du gouvernement et la coopération active de la police, les Juifs suspects de tendances révolutionnaires furent assommés en foule à Kichineff, à Odessa, à Kiev, dans cent vingt autres villes ou bourgades. Des femmes et des enfants furent hachés en morceaux. L’Europe, qui avait laissé Abd-ul-Hamid massacrer en pleine paix 300.000 de ses sujets arméniens (1896), se contenta de ne pas applaudir à ces nouvelles tueries. Un homme de cœur, le comte Jean Tolstoï, ancien ministre de Nicolas II, réclama en 1907 l’égalité des Juifs russes devant la loi, et cela dans l’intérêt même de la Russie où les lois d’exception contre les Juifs perpétuaient la corruption et l’arbitraire. Ces lois d’exception n’ont disparu qu’avec l’autocratie (avril 1917). » (S. Reinach, Histoire générale des Religions, pp. 307–308)

Les ghettos russes ont donc disparu, et l’on pouvait espérer qu’à la suite du terrible carnage de 1914, qui fit couler tant de larmes et de sang, les hommes, unis dans un unanime désir d’amour et de paix, briseraient les barricades religieuses qui divisaient l’humanité.

Il n’en fut rien. Et malgré les progrès de la science, de la philosophie, qui eussent dû détruire le fanatisme, facteur d’esclavage et de cruauté, des ghettos se dressent encore en certaines contrées de l’Europe. On persécute, aujourd’hui comme hier, les Juifs en Roumanie, en Bulgarie, en Arménie, etc., etc.

Naturellement, les ghettos n’empruntent plus maintenant les mêmes caractères que ceux du passé, dont on a encore des vestiges dans les grandes villes d’Europe, où les Juifs persécutés de Pologne, de Roumanie, de Bulgarie, se sont réfugiés. Même dans les pays où ils sont les plus misérables, on n’oblige pas les Juifs à habiter un lieu déterminé, mais l’oppression crée un lien de solidarité entre les opprimés, et c’est d’eux-mêmes, alors, que les Juifs se groupent et forment des ghettos.

Il n’est pas possible de parler des ghettos, sans déborder un peu des cadres et rechercher quelles sont les causes de cet acharnement sur une catégorie d’individus ni meilleurs, ni plus mauvais que les autres. La cause moderne de l’oppression des Juifs est toute politique. L’antisémitisme n’est jamais sincère et si, par hasard, il l’est, c’est par stupidité. Politiquement, il s’explique et il est facile à comprendre.

De même qu’il y a des athées qui estiment qu’une religion est indispensable au peuple, il est des politiciens qui considèrent que l’antisémitisme est nécessaire pour distraire le peuple, l’occuper et l’empêcher de s’intéresser aux problèmes sociaux et économiques d’une actualité et d’une réalité souvent brutales. C’est à la faveur de l’antisémitisme que Nicolas II put gouverner son peuple ignorant. Lorsque, cependant, malgré la main de fer de la police, le peuple russe menaçait de se soulever, alors jésuitiquement on faisait circuler le bruit que les Juifs étaient cause de la misère ou de la famine, et le peuple, déchaîné, pénétrait dans les quartiers juifs, dans les ghettos, pillait et massacrait sans merci, sous l’œil complice des cosaques. C’est cette même politique qui inspire les gouvernants roumains à l’heure actuelle. Le Juif est un morceau de choix que l’on jette à la populace affamée. Mais le jeu est dangereux pour la bourgeoisie et elle peut être prise demain à son propre piège.

Bref, ces persécutions consécutives, qui se perpétuent depuis des siècles à travers le monde, ont donné naissance à un certain nationalisme juif : le sionisme, dont il nous faut dire quelques mots. Le sionisme repose sur l’idée de restauration de la nation juive. Nous savons que certaines tentatives antérieures à la guerre échouèrent et que, lorsqu’en 1896, le docteur Herzl publia son ouvrage L’État Juif, une division de tendances s’opéra au sein du mouvement sioniste, certains éléments estimant que seule la Palestine pouvait servir de refuge aux Juifs opprimés de Russie, de Roumanie et de Pologne.

Les causes de division ont aujourd’hui disparu, le traité de Sèvres ayant jeté les bases d’un foyer juif en Palestine. Quantité de révolutionnaires militent en faveur de cette réalisation. Nous pensons que c’est une erreur.

Nous comprenons le sentiment honorable qui anime certains propagandistes du sionisme. Ils souffrent moralement du sort douloureux de leurs frères opprimés de Roumanie, de Bulgarie, d’Arménie, etc. Ils veulent arracher des griffes des bourreaux les malheureuses proies de l’ignorance, de la lâcheté et de la méchanceté des hommes, et ils veulent rendre un peu de vie, un peu de soleil, un peu de liberté à ces déchets d’humanité en qui la douleur a annihilé toute force et toute volonté. L’intention est louable et il n’est pas un être sensible pour ne pas applaudir à un tel programme. Est-ce une raison suffisante pour fonder une nation juive ? Non.

Les Juifs sont persécutés, objectera-t-on. C’est vrai, mais ils ne sont pas les seuls et ils ne sont pas les plus nombreux. Leur sort n’est-il pas absolument identique à celui des nègres d’Amérique qui, eux non plus, ne jouissent pas des mêmes droits et des mêmes privilèges que leurs frères blancs. Les nègres ont, eux aussi, leurs ghettos dans la « libre » Amérique du Nord. Leur sort, comme celui des Juifs, est lié à celui de toutes les minorités nationales auxquelles est appliqué un régime spécial, et qui sont victimes d’un état social imparfait qui, cependant, s’améliore et se transforme chaque jour, grâce aux progrès de la civilisation.

Et puis, est-ce vraiment l’époque de fonder une nation, alors que tout nous appelle à l’internationalisme au sens le plus complet de ce mot ? D’autre part, l’oppression ne crée parmi les opprimés, qu’une affinité passagère, superficielle, qui disparaît avec la cause. Que les travailleurs juifs ne quittent donc pas leurs ghettos modernes pour partir dans des régions inconnues, où leur sort ne sera vraiment pas plus enviable.

Un fait subsiste cependant. Des hommes gémissent parce qu’il plaît à certains gouvernements de spéculer sur la bêtise humaine et d’élaborer leur politique sur l’antisémitisme, comme il a plu à d’autres gouvernants, hier, de spéculer sur le protestantisme. Allons-nous les abandonner à leur pénible condition ?

Quelle que soit leur religion, nous devons les défendre, les soutenir, les encourager dans la lutte qu’ils mènent contre la tyrannie et pour la liberté. A côté d’eux, près d’eux, nous devons être toujours, car leur bataille est notre bataille, leur vie est notre vie, leur mort serait notre mort. Travailleurs, nous avons nous aussi, en France, nos ghettos, et nous œuvrons chaque jour pour en ébranler les murailles. Que les prolétaires juifs viennent avec nous, ils nous aideront et nous les aiderons. Mais alors que nous sortons du plus terrible des carnages qu’ait enregistré l’Histoire, que les causes de cette effroyable guerre sont les frontières nationales qui séparent les peuples, il serait fou et criminel de penser à élever de nouvelles barrières et à fonder de nouvelles nations : ce serait alimenter la source de nouveaux conflits.

Que les Juifs opprimés sortent de leurs ghettos. La Révolution ne leur offre pas la Palestine, elle leur offre le monde libéré. Avec tous les hommes de cœur, avec tous ceux qui travaillent pour étancher leur soif d’idéal, avec tous ceux qui espèrent en une humanité meilleure, avec tous ceux qui pensent voir un jour se réaliser leurs rêves d’avenir, qu’ils viennent. Nous partirons ensemble à la conquête de la civilisation. — J. Chazoff.


GIROUETTE n. f. (du latin gynare, tourner). On appelle girouette une plaque légère, placée à une certaine hauteur, autour d’un axe vertical, pour indiquer la direction du vent. On donne aux girouettes des formes diverses, mais le plus souvent celle de la flèche, du coq ou du drapeau. La girouette tournant à tous les vents, au sens figuré on se sert de ce mot pour désigner une personne qui change fréquemment d’avis ou d’opinion. Nous ne pensons pas qu’il soit utile de rappeler les noms de tous les hommes politiques qui, durant ces trente dernières années, sacrifièrent leurs convictions à leurs intérêts et qui, véritables girouettes, se laissèrent guider par les vents de la politique. Certains de ces politiciens, débutant dans le socialisme pour finir dans la réaction, resteront célèbres. S’ils laissent leur nom à la postérité, ce sera plus en raison de la rapidité avec laquelle ils renièrent les idées qui les rendirent populaires et les firent sortir de l’obscurité, que par le travail utile qu’ils auront accompli durant leur existence.

La girouette proprement dite tourne d’autant mieux qu’elle est plus haut placée. En ce qui concerne les girouettes politiques, il faut qu’elles sachent tourner lorsqu’elles sont en bas pour pouvoir espérer se placer bien haut dans l’échelle sociale. N’est-ce pas le but de tous ceux qui quémandent les suffrages des électeurs naïfs, de gravir un jour les marches du Pouvoir ? Dans tout député, il y a l’axe de la girouette, et tous les parlementaires sont prêts, le cas échéant, à aller de la gauche à la droite, si cette évolution doit être pour eux source d’honneurs et de richesses.

Le peuple ne s’apercevra-t-il jamais que si les girouettes tournent au vent, les girouettes parlementaires, elles, ne donnent que du vent ?


GISEMENT n. m. On donne le nom de gisement aux masses de minéraux disposées en couches dans le sein de la terre. Des gisements de fer ; des gisements de houille. On distingue plusieurs catégories de gisements : 1° les gisements en couche, dont la formation s’est opérée au sein de l’eau ; 2° les gisements en filon, qui sont des crevasses remplies de matière utilisable ; 3° les gisements en amas, qui ont ordinairement la forme d’un œuf.

Nous savons que la terre renferme en son sein des richesses incalculables, et la géographie économique nous a enseigné tout le parti que l’on pouvait en tirer. Chaque contrée du globe possède des richesses particulières. Si l’Angleterre et l’Allemagne sont riches en gisements de houille, par contre la France tient la première place en Europe pour le fer, et les pays de l’Est, tels la Russie et la Roumanie, sont les plus fortes contrées pétrolifères d’Europe. Les États-Unis de l’Amérique du Nord, eux, dépassent de beaucoup les contrées d’Europe pour la production de la houille et du pétrole.

Cependant tous les gisements de matière utilisable que renferme la terre sont loin d’être exploités, et l’extraction de minéraux, indispensables à la vie de l’homme, pourrait s’intensifier, si elle n’était pas entravée par une organisation sociale dans laquelle les intérêts privés dominent les intérêts collectifs. C’est ainsi, par exemple, que la Russie, qui pourrait subvenir aux besoins pétrolifères de l’Europe, n’est pas en mesure d’exploiter tous les gisements qui se trouvent sur son territoire, parce que les moyens mécaniques lui manquent pour extraire le précieux liquide et que divers capitalismes nationaux se disputent les bénéfices qui pourraient résulter de cette exploitation.

Il en est des gisements, comme de toutes les richesses sociales de la terre. Entre les mains du capitalisme, la production est ralentie et c’est le peuple qui en souffre. Lorsque le travailleur sera maître de sa machine et que le peuple présidera lui-même à ses destinées, un rendement intensif de la production rendra chacun plus heureux et plus libre.