Encyclopédie anarchiste/Mammifère - Manœuvre
MAMMIFÈRES. adj. et subs. (du latin mamma, mamelle et ferre, porter : qui porte des mamelles). Les mammifères nous intéressent tout particulièrement parce qu’ils forment la classe animale à laquelle nous appartenons nous-mêmes et que leur étude nous permet de comprendre l’évolution de l’homme depuis des temps considérables et qu’elle nous permet également d’entre-voir les grandes lois biologiques qui se manifestent dans l’évolution de la vie à la surface du globe. Cette connaissance peut nous guider pour éviter certaines erreurs et nous permettre de construire plus sûrement notre édifice social.
Les mammifères se caractérisent principalement par une température constante : 39° pour la plupart d’entre eux, 37, 5° pour l’homme (oiseaux 42° à 44°) ; un épiderme souple, adipeux, couvert de poils ; le développement embryonnaire effectué dans l’organisme matériel et enfin la nutrition des petits par une sécrétion fournie par des glandes cutanées appelées mamelles.
L’origine des mammifères n’est pas exactement déterminée, comme d’ailleurs la plupart des origines concernant l’apparition des diverses classes animales et même celles concernant la formation des grands embranchements du règne animal. Que le transformisme s’impose actuellement à tout esprit débarrassé de mysticisme, cela ne fait aucun doute pour qui exige de ses propres représentations mentales des processus intellectuels cohérents, coordonnés, liés dans l’espace et dans le temps, conformes aux données objectives de l’expérience et de l’observation. La démonstration de l’évolution d’un humain depuis l’œuf jusqu’à la sénilité est l’argument sans réplique par quoi le déterministe triomphera toujours des explications spiritualistes. Mais s’il est encore possible de suivre ontogéniquement l’évolution d’un être il est bien difficile de retrouver toutes les formes phylogéniques ayant précédé cet être depuis les premières ébauches de la vie à la surface de la terre jusqu’à sa forme actuelle.
Trois études différentes permettent néanmoins de jeter un peu de lumière sur les ténèbres du passé et de retrouver, dans ses grandes lignes, l’évolution compliquée des êtres organisés. Ce sont : la morphologie et l’anatomie comparée, qui étudient la conformation intérieure et extérieure des êtres vivants ; la Paléontologie qui s’intéresse aux restes fossilisés des animaux disparus ; l’embryologie, qui observe les différentes transformations de l’être vivant depuis la simple cellule initiale jusqu’à la forme parfaite de l’adulte.
Ces trois études se basent sur la ressemblance des caractères observés, sur le rapprochement évident des formes ; sur des comparaisons favorables à des ramifications, des descendances, des parentés plus ou moins voisin es ou éloignées.
La Morphologie et surtout l’Anatomie comparée groupent les mammifères actuels en une douzaine d’ordres renfermant des différences assez grandes soit comme aspect, soit comme mœurs. Alors que la classe des oiseaux présente une certaine fixité, des types assez voisins les uns des autres, les mammifères, par leur facilité d’adaptation à des milieux très variés, se sont diversifiés considérablement au point de ne plus même se ressembler morphologiquement, tels les chauve-souris, les baleines ou les chevaux.
Au bas de l’échelle des mammifères, les Monotrèmes, qui vivent seulement en Australie (l’Ornithorynque, au bec de canard et l’Échidné, couvert de piquants) pondent des œufs qu’ils couvent ensuite. Leur température varie entre 25° et 28° et les petits sont allaités par la mère. Les Marsupiaux (Kanguroo d’Australie, Sarigue d’Amérique) mettent au monde un embryon à peine formé, lequel placé par la mère dans une poche placée sous son ventre où se trouvent les mamelles, termine ainsi sa croissance. Ces deux groupes d’animaux, par leur constitution, rappellent certains caractères des reptiles et des oiseaux et nous montrent quelques types intermédiaires entre les ovipares et les vivipares.
Les Insectivores (Taupe, Hérisson, Musaraigne, etc.) beaucoup plus répandus à la surface des continents, sont des mammifères nettement caractérisés, à température constante élevée et à développement placentaire.
Les Chiroptères (Chauves-souris, Vampire, etc.) sont des insectivores adaptés au vol. Leurs formes sont assez particulières et constituent un des aspects curieux des possibilités de variations des mammifères.
Les Carnivores sont trop connus pour en parler ici. Il en est de même des Rongeurs dont quelques-uns, tels le lapin et surtout le rat disputent à l’homme, parfois avec succès, le droit à la vie.
Les Pinèdes (Phoques, Otaries, Morses) se sont adaptés à la vie marine, ainsi que les Siréniens (Lamantin, Dugong) et les grands Cétacés (Dauphin, Cachalot, Baleine). Ces animaux marins ne paraissent point avoir la même origine. Il est possible que les cétacés dérivent de quelques reptiles nageurs du secondaire, tandis que les Siréniens, descendraient plutôt des protongulés du tertiaire inférieur.
Les Édentés (Fourmiliers, Tatous, Paresseux), ne sont pas classés nettement et leur ascendance reste problématique. Les Proboscidiens se réduisent aux seuls Éléphants d’Afrique et d’Asie. Les Ongulés présentent plus de variétés et le Rhinocéros, le Cheval, le Bison, le Chameau, le Cerf, la Girafe sont assez différents les uns des autres ainsi que l’Hippopotame, le Gnou et le Sanglier.
Les Primates se divisent en trois sous-ordres : les Lémuriens, vivant surtout à Madagascar ; les Simiens, répandus dans toute la zone tropicale, s’écartent peu des régions chaudes. Quelques formes sont intermédiaires entre les Lémuriens et les Singes comme les Ouistitis et possèdent des griffes. D’autres Singes (Platyrrhiniens) ont le pouce peu séparé de la main, les narines écartées, la queue prenante. Tels sont les Alouates, les Sapajous, les Sakis de l’Amérique du Sud. Les Catarrhiniens comprenant les Babouins, Mandrills, Macaque, Magot et enfin les anthropoïdes dont l’Orang-Outang des îles de la Sonde, les Gibbons de l’Inde, le Chimpanzé et le Gorille d’Afrique. Le dernier sous-ordre des Primates est uniquement constitué par les Hominiens peu différents, anatomiquement, des anthropoïdes.
La Paléontologie retrouve des traces de Mammifères dès le début du Secondaire, dans le Triasique. C’étaient de tout petits animaux, probablement insectivores, vivant sur les arbres. Leurs ancêtres probables doivent être cherchés parmi les Théréodontes (sous-ordres des Théromorphes), sortes d’intermédiaires entre les reptiles nettement caractérisés et les Mammifères du Secondaire. Les Théréodontes descendaient probablement eux-mêmes des Rhynocéphales, lesquels provenaient sans doute des Stégocéphales vivant à l’époque Pesmienne dans le Primaire. Ces sortes d’animaux mi-reptiles, mi-batraciens, de formes assez diverses (serpent, lézard) ont précédé les grands Reptiles du Secondaire, contemporains des petits mammifères arboricoles.
Remarquons ici que l’on trouve des traces d’Insectes du genre Blatte, ainsi que des Scorpions dans le Silurien, ce qui montre l’ancienneté prodigieuse des animaux à respiration trachéenne. Remarquons également que, tandis que les Mammifères comptent tout au plus 3.000 espèces environ sur les 272.000 espèces animales connues à ce jour les arthropodes en comptent 209.000, et les insectes 180.000 à eux seuls. On voit qu’au cours des siècles la variation ne s’est point effectué de la même manière, ni dans le même temps, chez les différents animaux.
Les oiseaux sont postérieurs aux Mammifères car leur ancêtre possible l’Archéoptéryx, de la taille d’un gros corbeau, ne se rencontre que dans le Jurassique supérieur. C’était un animal étrange avec un squelette de Reptile, une queue de Lézard emplumée, des mâchoires dentées, et des plumes nettement formées jusque sur les jambes terminées par des pattes griffues. À cette époque le Jurassique contenait déjà plus de 25 espèces de Mammifères de la taille du Rat et du Glouton et se rapprochant des Monotrèmes actuels. C’était l’époque des Reptiles gigantesques, maîtres incontestés de tous les continents, dont quelques-uns, tel l’Atlantosaurus des Montagnes Rocheuses, atteignaient les dimensions colossales de 36 mètres. Jusqu’alors la température paraît avoir été à peu près égale sur la surface terrestre mais à partir du Crétacé les saisons commencent à se former et l’évolution se précise alors en faveur des Mammifères. Par leur température interne régulière et élevée ces derniers purent se maintenir et s’adapter à des températures extérieures très diverses tandis que la faune reptilienne disparaissait et ne se maintenait désormais que sous les tropiques avec des dimensions bien réduites.
Un autre facteur de triomphe des Mammifères fut le développement exceptionnel de leur cerveau, particulièrement du cerveau antérieur le télencéphale. Cette écorce cérébrale est constituée par deux régions assez indépendantes l’une de l’autre : le rhinencéphale et le néopallium. La première centralise toute l’activité olfactive de l’animal, la deuxième centralise la sensibilité visuelle, auditive et tactile. Alors que chez les Poissons le néopallium est excessivement réduit, chez les Reptiles il augmente d’importance, tandis que chez les Mammifères il se développe considérablement en proportion de la régression du rhinencéphale.
Si, pendant l’énorme durée du Secondaire (plus de 400 millions d’années d’après Carl Stœrmer), les Mammifères se sont peu différenciés ; si, dans le Crétacé, une certaine homogénéité existait encore, dans l’Éocène ancien diverses variations importantes commencent à se préciser, variations déterminées par le genre de vie, principalement l’alimentation. Déjà les Créodontes, ancêtres des Carnassiers, les Condylarthres, ancêtres des Ongulés et peut-être des Siréniens, les Pachylémuriens dont le nom indique les descendances ultérieures, offraient des différences appréciables et très marquées. Chaque ordre s’écarte considérablement de sa forme primitive. La vie marine, terrestre, arboricole, aérienne, modifie la morphologie des Mammifères. En plein Crétacé un petit groupe d’insectivores s’était déjà séparé des autres Mammifères tout en conservant les caractères primitifs des Marsupiaux et se rapprochant des Créodontes. C’étaient les Ménotyphlas, actuellement vaguement représentés par les tupaïas vivant d’insectes et de fruits dans les arbres de la Malaisie et se rapprochant des Lémuriens. Dans le Paléocène de l’Amérique Centrale on trouve les restes des deux branches de Primates : les Lémuriens et les Tarsoïdés déjà différenciés. Ils ont ensuite émigré en d’autres régions et les Lémuroïdés, aujourd’hui localisés principalement à Madagascar, dans le sud de l’Inde et dans l’Afrique Orientale, ont peu évolué depuis ces époques lointaines. Les Tarsoïdés, réduits actuellement aux Tarsiers de la Malaisie étaient représentés à cette époque par six genres dont l’un : Anaptomorphus Homonculus, a été regardé par Cope comme l’ancêtre commun à tous les singes. Rémy Perrier admet que c’est dans l’Amérique Centrale que s’est effectuée la séparation des singes en Platyrrhiniens et en Catarrhiniens, lesquels ont émigré dans l’ancien monde et ont continué leur évolution en diverses directions. Il est assez difficile de suivre cette évolution et cette migration mais dans le gisement des Siwaliks, au pied de l’Himalaya, on trouve déjà des types très nettement différenciés d’anthropoïdes dont le fameux Dryopithécus, duquel descendait le genre Palœosimia d’où proviendrait l’orang-outang ; le genre Palœopithhécus ayant abouti au Gorille et le genre Sivatherium ancêtre possible des Hominiens.
Les découvertes de la Préhistoire diminuent chaque jour l’écart entre l’homme et ses ancêtres arboricoles. Les hommes de Mauer, de Néanderthal, de la Madeleine nous montrent l’évolution et les transformations progressives de la morphologie hominienne vers les types humains actuels.
Si l’on compare les résultats des liaisons établies par la paléontologie entre les divers échelons de l’animalité mammalogique du crétacé jusqu’à l’homme actuel ; si l’on tient compte de l’insignifiance des recherches souvent accidentelles et nullement en rapport avec l’immensité des espaces non encore fouillés ; si l’on tient également compte des causes nombreuses de disparition des fossiles et des bouleversements géologiques (effondrements de continents, éruptions volcaniques, incendies, etc.) détruisant toute possibilité de recherches, il faut véritablement reconnaître que la paléontologie, malgré ses nombreuses lacunes, a tracé une généalogie fort satisfaisante des Mammifères et de l’Humanité. Quelques points restent encore bien obscurs, tels le, ou les lieux d’origine du genre humain et son unité ou sa pluralité originelle. Le premier point ne peut encore se résoudre par une affirmation basée sur quelques certitudes. On trouve des restes d’Hommes fossiles en différents endroits situés en Afrique, en Europe et en Asie, englobant une vaste région presque circulaire encore inexplorée. La majorité des naturistes paraît pencher pour l’origine asiatique de l’Humanité, mais il est également possible qu’elle ait eu lieu ailleurs et peut-être en plusieurs endroits différents ce qui soulève la question de l’origine monophylétique ou polyphylétique du genre humain. L’Anatomie comparée nous montre une certaine unité dans les races humaines peu compatibles avec les ascendances diverses ayant engendré les anthropoïdes actuels : Gorilles, Chimpanzés, Orang-Outangs, etc.
Peut-être les hominiens, descendant d’un anthropoïde très répandu, très migrateur, voisin des Dryopithécus, se sont-ils formés en diverses régions de la Terre. Ce sont là, au fond des questions secondaires dont les diverses solutions paraissent peu susceptibles d’ébranler l’origine animale de l’homme.
L’Embryologie nous montre les processus évolutifs des mammifères non seulement très voisins les uns des autres mais encore très semblables aux premiers stades de développement des diverses classes de vertébrés. On sait que l’Ontogénie d’un être vivant répète, très brièvement, la phylogénie de ses ascendants. Edmond Perrier a donné à ces faits le nom de Loi de Patrogonie. Cette évolution ne saurait d’ailleurs être totalement comparable à celle de ses ancêtres, car nous voyons les germes d’animaux inférieurs se suffire immédiatement dans la lutte pour la vie alors qu’aucun embryon de Mammifère ne pourrait y parvenir. Si donc cet embryon passe par des formes rappelant quelque peu celles d’animaux beaucoup plus primitifs, si des organes apparaissent et disparaissent dans cette évolution accélérée (par exemple les fentes branchiales, l’appendice caudal de l’embryon humain) il ne peut en un temps aussi réduit repasser par toutes les formes apparues successivement pendant la colossale durée des temps géologiques. La Tachygenèse elle-même, ou accélération embryogénique, ne pourrait expliquer la rapidité de cette évolution et la suppression de la plupart des formes phylogéniques intermédiaires. Il faut plutôt admettre que la cellule germinative des Mammifères actuels diffère chimiquement des cellules germinales primitives des vertébrés et des invertébrés et que, soustraite aux influences primitives, elle se développe dans des conditions différentes, produisant alors des formes différentes. Le développement embryogénique ne reproduit donc nullement la forme adulte des ascendants, mais reproduit leurs ébauches embryonnaires très voisines les unes des autres correspondant à des conditions analogues de leur évolution.
L’Embryologie comparée permet de rapprocher tous les vertébrés entre eux beaucoup plus que de tout autre embranchement du règne animal ; de suivre leur évolution embryonnaire et de reconnaître chez les Mammifère placentaires trois dispositions particulières les répartissant en trois séries comprenant, premièrement, les Rongeurs, les Insectivores et les Chiroptères ; deuxièmement, tous les autres groupes sauf les Lémuriens ; troisièmement, les Lémuriens et les Primates. Ce qui confirme, en somme, toutes les autres données concernant l’origine et la parenté de l’Homme.
Cette évolution remarquable aboutissant finalement à l’épanouissement de l’intelligence humaine peut paraître plus ou moins surprenante. On ne manquera pas de faire remarquer que les mêmes causes extérieures ont agi sur les mêmes animaux et que leurs profondes divergences restent bien mystérieuses. On peut trouver en effet que les Oiseaux, par exemple, ont également une température élevée et mènent une vie arboricole et aérienne favorable au développement du néopallium. On peut objecter encore que les autres Mammifères et principalement les Anthropoïdes ont une existence arboricole, possèdent des mains et se rapprochent considérablement des hominiens sans atteindre leur évolution intellectuelle. On pourrait tout aussi bien comparer l’évolution si intéressante des insectes, pourtant très éloignée de la nôtre, et rechercher les causes des divergences aussi profondes chez les différentes espèces animales. On ne peut, ici, rechercher ce qu’il y a, au fond, de commun entre tous les êtres vivants malgré leurs grandes différences apparentes ; ni préciser l’unité de l’intelligence (qui n’est qu’une fonction de la vie) dans tout le règne animal.
Ce qui a favorisé l’Homme, c’est précisément un ensemble de faits réalisés partiellement par d’autres animaux mais réunis circonstanciellement en son espèce. C’est ainsi que la vie arboricole développa, nous l’avons vu, des facultés visuelles, auditives et tactiles. Les bruits de la forêt éveillèrent l’attention ; les difficultés des déplacements développèrent l’agilité, l’adresse, la précision. La mémoire plus fertile permit des représentations plus étendues et des associations de sensations beaucoup plus compliquées. La curiosité s’accrut en proportion de l’extension des possibilités d’adaptations nouvelles. La station verticale accéléra cette évolution ; elle détermina le perfectionnement de la main, laquelle suppléant de plus en plus à la mâchoire, dans de multiples actes vitaux, libéra les muscles faciaux de maints efforts violents. La station verticale nécessitant beaucoup moins d’efforts des muscles soutenant ta tête, le crâne moins comprimé atteignit un développement plus grand. Enfin la vie sociale engendra la nécessité de l’échange des impressions et facilita l’apparition et le fonctionnement du langage articulé. Il est aussi probable que la formation intra-utérine des jeunes êtres favorisa peut-être le développement anormal de certains organes (le cerveau entre autres) aux dépens des autres.
C’est ici qu’il convient de remettre au point le fameux concept : la fonction crée l’organe. La fonction étant essentiellement le jeu vital d’un organe (son effet) il semble paradoxal d’affirmer qu’un effet puisse exister avant sa cause. Or, ce n’est pas ainsi qu’il faut entendre les choses. Quelle que soit la manière dont nous cherchions à nous expliquer l’origine de la vie, il faut admettre qu’elle a débuté par une forme infiniment plus simple que toutes celles que nous connaissons actuellement. Cette « forme », ce mouvement, cet organe de vie, issu du fonctionnement universel, créa par ses réactions immédiates avec le milieu, la fonction vitale. Chaque mouvement vital, conquérant le milieu extérieur, a bien constitué ainsi la fonction vitale, mais toute variation de ce milieu se présentant avec des particularités nouvelles a déterminé dans l’organisme ancien (donc sans organe nouveau) une réaction nouvelle (donc une fonction nouvelle exécutée tant bien que mal par un organisme ancien) laquelle modifiait alors cet organisme ancien. Si la modification persistait il y avait apparition de réactions nouvelles, création d’organes nouveaux agissant hors de l’influence objective. On peut dire que la fonction est une réaction de la substance vivante contre le milieu, déterminée tantôt par le milieu lui-même (apparition de la fonction ou réaction avant l’organe) tantôt par la substance vivante (l’organe existe alors avant la fonction). Les biologistes mécanistes tels que Lœb et Bohn ont démontré que les réactions de la matière vivante s’effectuaient très souvent sans finalisme aucun, que parmi ces multiples réactions ainsi créées, seules celles qui favorisaient la conservation de l’être pouvaient aboutir, par la sélection, à la formation d’organes nouveaux. Cela permet de relier correctement le Darwinisme au Lamarckisme ; de libérer celui-ci de sa tendance finaliste et de donner un sens intelligible à la sélection naturelle qui, sans cela, explique très bien la disparition des organes mais nullement leur apparition.
Ce rapide exposé de l’évolution des Mammifères peut nous aider grandement dans l’établissement de nos concepts philosophiques et sociaux. L’origine animale de l’homme, les causes de son évolution physique et intellectuelle, ses luttes ancestrales, ses lentes acquisitions morales, sa formation sociale, ses multiples hérédités forment autant de repères nous permettant de comprendre les difficultés des transformations rapides que nous voudrions réaliser. Mais loin de nous mener vers un pessimisme inhibiteur le spectacle de cette évolution prodigieuse d’animaux mi-batraciens, mi-reptiles aboutissant à l’homme sensible, généreux, curieux et inventif est au contraire fort satisfaisant. La rencontre d’humains de proie ou de types grégaires, mystiques ou primitifs ne doit point nous étonner outre-mesure, car nous savons que la vie grégaire fut nécessaire à l’éclosion de l’Humanité ; que l’ignorance et la peur furent à son point de départ et qu’elle ne dût son triomphe dans la lutte pour la vie qu’à son audace et son esprit conquérant.
Son évolution animale nous montre des causes d’apparence insignifiante engendrant des conséquences très importantes. C’est ainsi que si les Mammifères étaient restés dans la plaine ils n’auraient point acquis leurs facultés intellectuelles, mais d’autre part s’ils n’avaient point ensuite vécu dans la Savane ils n’auraient point dépassé le niveau des anthropoïdes actuels. Cela nous montre l’utilité de certaines formes sociales passées mais nous indique également la non moins grande utilité de changer d’habitudes, de mœurs, de milieu si nous voulons nous transformer et évoluer dans d’autres directions. Les grandes différenciations des Mammifères nous indiquent également les dangers de toute spécialisation exclusive déformant les êtres, les modifiant en types distincts et séparés, presque étrangers les uns aux autres. Enfin l’unité anatomique et embryogénique des Hominiens nous fait entrevoir des possibilités d’entente, de compréhension et peut-être d’harmonie entre les hommes sur le plan intellectuel et moral.
Connaissant les possibilités de transformation des êtres vivants nous pouvons agir sur notre milieu, l’orienter vers notre concept social plus équitable, mieux équilibré, plus rationnel, plus avantageux pour l’ensemble des humains.
Le Mammifère du Crétacé évolue et doit encore évoluer vers l’Age de Raison et c’est notre intérêt de l’y aider. ‒ Ixigrec.
Ouvrages a consulter. — La Genèse des espèces animales (L. Guénot). — Les mammifères et leurs ancêtres géologiques (O. Schmidt). — Un problème de l’Évolution (Vialleton). — La place de l’homme dans la série animale (R. Périer, « revue philosophique » 1929). — L’Embryologie comparée (L. Roule). — La Terre avant l’apparition de l’homme (F. Priem). — La Descendance de l’homme (Darwin). — Hist. de la création des êtres organisés (Haeckel). — Philosophie zoologique (Lamarck). — Traité d’anatomie comparée pratique (C. Vogt et E. Young). — Traité de Zoologie (Claus). — Les mammifères tertiaires (tome II des Enchaînements du monde animal : A. Gaudry). — La Genèse de l’homme (de Paniagua). etc. Et les ouvrages mentionnés aux mots : darwinisme, évolution, homme, terre, transformisme, etc.
MANDAT, MANDANT, MANDATAIRE. n. m. (du latin mandatum, chose mandée). On donne le nom de mandat à une délégation d’une durée variable donnée, dans des circonstances généralement déterminées, par un individu, une collectivité, un gouvernement ou un groupe de gouvernements, à un tiers ou à plusieurs personnes, pour les représenter au sein d’une assemblée chargée de définir des droits, d’examiner ou de défendre des intérêts, d’arbitrer un conflit, etc…
C’est ainsi que les membres, d’un syndicat, d’une coopérative, d’une société quelconque, se réunissent en assemblée générale et, à la majorité ou à l’unanimité, désignent l’un ou plusieurs des leurs pour les représenter dans une assemblée ou un Congrès. Ils indiquent, généralement, dans quelles conditions, ils désirent être représentés. Ces conditions constituent le mandat, c’est-à-dire le caractère de la délégation qu’ils donnent à leur mandataire et que celui-ci accepte de ses mandants.
Un député tient son mandat de la majorité absolue ou relative, de ses électeurs ; son mandat, c’est le programme sur lequel il a été élu. Il conserve le mandat le plus longtemps possible et il oublie, en général, son programme le lendemain de son élection.
Il en est, malheureusement, souvent de même pour les mandataires des organisations ou sociétés de tous ordres. Le délégué oublie la fonction qui lui est confiée et ne tient compte que de son désir personnel, qui se confond trop souvent avec sa satisfaction individuelle ou son propre intérêt. Le seul moyen d’obtenir du mandataire le respect de son mandat, c’est de le contrôler sévèrement et de ne lui confier qu’une délégation ayant un but très précis et une durée limitée. Si les députés pouvaient être « révoqués » dès leur premier abandon de programme, ils agiraient avec moins de désinvolture.
Ce qui est vrai pour les députés, l’est d’ailleurs, en général, pour tous ceux qui savent conserver les mandats et les délégations longtemps, sans se soucier de l’avis de leurs mandants.
Les gouvernements mandatent leurs représentants dans les conférences internationales politiques, économiques et financières pour y défendre l’intérêt national.
L’après-guerre nous a valu un nombre incalculable de conférences de cet ordre et l’institution d’un organisme international : La Société des Nations où les représentants des gouvernements discutent toutes les grandes questions qui nécessitent un examen commun. La Société des Nations, elle-même, donne des mandats à certaines puissances de premier rang, qui exercent le gouvernement de pays coloniaux, ou de zones de pays ex-belligérants qui sont placés sous l’autorité de la Société des Nations, pour éviter des conflits entre grands pays.
Il y a, enfin, différentes formes de mandats : juridiques et judiciaires. Par exemple, un homme peut donner mandat à un autre de le représenter en justice, dans un arbitrage. Un tel mandat prend le nom de « pouvoir ».
Le juge instruction dispose également de mandats. Ce sont : les mandats d’arrêt et de perquisition, les délégations judiciaires et les commissions rogatoires. Il donne même, parfois, un mandat en blanc, qui est la véritable lettre de cachet moderne. Muni d’un tel mandat, un policier quelconque peut arrêter n’importe qui, pour n’importe quoi et même sans prétexte, raison ni motif. Aujourd’hui, on arrête même sans mandat et en masse, par raison d’État.
Les mandats d’arrêt et de perquisition sont exécutés par la police, soi-disant sous la responsabilité du juge. En réalité, la police opère sans contrôle, comme elle l’entend et ne rend compte que de ce qu’elle veut.
Si un juge donna mandat à la police pour enquêter, entendre des témoins, etc., etc. ce mandat prend le nom de délégation judiciaire. Lorsqu’un magistrat doit recueillir le témoignage d’une personne habitant hors de son ressort, il peut faire entendre le témoin par le juge d’instruction du ressort dont dépend l’intéressé. C’est ce qu’on appelle la commission rogatoire.
En résumé, les magistrats usent largement du mandat et les policiers en abusent plus largement encore, c’est ce qui explique tant d’affaires scandaleuses, tant d’atteintes portées à la liberté individuelle. ‒ Pierre Besnard.
MANICHÉISME. n. m. (rad, manichéen, de Manès ou Manichée). Le manichéisme a été l’une des hérésies les plus importantes du christianisme, si toutefois on peut le classer parmi les sectes chrétiennes. Son fondateur, Manès, Mani ou Manichée, naquit en Perse, vers 218 de l’ère vulgaire. On le représente comme un homme austère, doué d’une vaste érudition. Les uns veulent qu’il ait été prêtre, les autres médecin ; on assure même qu’il peignait fort agréablement. Haï des chrétiens, parce qu’hérétique, mal vu des persans qui le considéraient comme chrétien, il parvint à se maintenir jusqu’en mar 277 (d’autres disent jusqu’en 274) époque où la légende veut qu’il ait été écorché vif sur l’ordre du roi de Perse, Varahram Ier. Mani avait visité l’Inde et était entré en relations étroites avec les prêtres de Bouddha.
Quelles étaient donc les doctrines des manichéens pour qu’elles leur aient valu les persécutions de l’Église ? On retrouve dans le manichéisme des influences gnostiques ‒ ce sont les principales ‒ mésopotamiennes, perses, bouddhiques. Deux principes coexistent éternellement : l’un bon (symbolisé par la lumière) et appelé prince de lumière, l’autre mauvais (symbolisé par les ténèbres) et dénommé Prince de ce monde, Satan et aussi Matière. La Matière, ayant subi le rayonnement de la lumière, voulut s’élever jusqu’à elle et il y eut guerre entre les deux éléments. En vain pour contre-balancer les efforts de la Matière, le bon principe ou Dieu créa-t-il l’homme primitif (spirituel) ; ce dernier fut vaincu et emprisonné dans la Matière. L’homme actuel a été créé par le principe mauvais de même que sa descendance : l’humanité, soumise aux mêmes tentations que lui. Le salut est en la connaissance de la vraie science, apportée par le prophète Mani ; cette Connaissance a été diffusée parmi les hommes par l’histoire de Jésus-Christ, purement symbolique, d’ailleurs.
Dans la pratique, plus radicalement, plus austèrement que le christianisme, le manichéisme place le salut dans le renoncement, l’abstention.
Le fait de considérer Jésus comme un symbole et non comme un vivant mena les manichéens à nier le mystère de l’Incarnation et celui de la Résurrection, à tenir comme nul le sacrement de la communion, le pain et le vin ne pouvant être la chair et le sang d’un fantôme ; les manichéens avaient en aversion les représentations de la croix, ils tournaient en dérision la fable de la vierge-mère et plus tard le culte qui lui fut rendu ; ils niaient la résurrection de la chair. Le bon ne pouvant se lier avec le mauvais, ils rejetaient le mariage et combattaient vigoureusement la procréation ; ils ne mangeaient pas de viandes, ils ne consommaient pas de vin ; à part les poissons et les reptiles ils ne tuaient pas les animaux ; l’enfer et plus tard le purgatoire sont considérés comme des inventions insensées ; c’est sur terre que l’âme subit son enfer qui durera jusqu’à ce que des incarnations successives (qui peuvent être animales) l’aient purifiée et délivrée de sa prison de chair.
Les manichéens menaient une vie en apparence très austère, ils se glorifiaient de mener l’existence des apôtres. Leurs adversaires prétendaient que cette sévérité d’attitude cachait des mœurs relâchées au point de vue sexuel et la pratique de l’homosexualité. Il y avait deux catégories distinctes d’adeptes : les néophytes ou « auditeurs », les initiés ou élus ou « parfaits ». Ceux-ci seuls, en somme, renonçaient au plaisir, au travail, au mariage ; connaissaient la signification réelle des symboles doctrinaires ; les autres suivaient de loin, renonçaient à moins, ne connaissaient qu’imparfaitement.
Il est évident que la doctrine de la coexistence du bien et du mal, leurs principes étant considérés comme égaux en force et en puissance, était aux antipodes de la doctrine prêchée par le christianisme, qui croyait au triomphe final de l’Église, de Dieu, du principe de l’autorité sur celui de la rébellion. La chute de l’homme est le résultat de sa désobéissance, elle n’est qu’un accident ; il n’y a jamais lutte égale entre les deux adversaires, Dieu tolère Satan et, théoriquement, chaque fois que la désobéissance entre sérieusement en lutte avec l’obéissance, c’est celle-ci qui remporte la victoire.
C’est sans doute ce qui explique l’opposition féroce de l’État romain aux progrès du manichéisme qui avait envahi la Perse, le Tibet, la Chine, le Turkestan et comptait de nombreux sectateurs dans le sud de l’Italie et la province d’Afrique (Saint Augustin a été manichéen pendant huit ans). Les gouvernants de l’Empire considérèrent le manichéisme comme une sorte d’anarchisme (plus redoutable, certes, que le christianisme), qui devait logiquement conduire ses adeptes à l’abandon de tous leurs devoirs de citoyens et d’hommes, comme une importation étrangère ne pouvant convenir à des Romains. C’est le point de vue auquel se place Dioclétien dans son terrible édit (vers 300) qui prononce contre les manichéens les pénalités les plus dures. Les édits de Valentinien Ier et de Théodose Ier ne furent pas moins sévères. On considéra le manichéisme comme écrasé au ive siècle.
On a contesté que les manichéens aient réellement admis le dualisme absolu et éternel du bon et du mauvais, l’existence infinie de deux Dieux s’équivalant. Toujours est-il que l’Église a toujours combattu les manichéens avec la dernière rigueur. Ils n’admettaient pas les livres de l’Ancien Testament, ils n’acceptaient les Évangiles qu’en se réservant le droit d’y faire les coupures ou les changements qui pouvaient les mettre en harmonie avec leurs opinions particulières. Ils considéraient Orphée, Zoroastre, etc., comme de véritables prophètes, la raison et le verbe leur apparaissaient comme se trouvant chez tous les hommes, devant produire partout les mêmes effets, répandre partout la même clarté ; aussi le nombre des écrits à consulter s’étendait-il bien au-delà des livres canoniques.
Le Jésus du manichéisme est purement gnostique, c’est un ange du Principe ou Dieu bon, chargé de délivrer les âmes engeôlées par la Matière ou le Dieu mauvais.
Les édits des empereurs romains n’avaient pas anéanti le manichéisme. Il demeurait assoupi, latent, dans l’empire byzantin, chez les Slaves. On le retrouve en Arménie, vers le milieu du viie siècle (ses adeptes s’appellent alors Pauliciens), en Bulgarie ; mais voici qu’il fait tache d’huile dès la fin du xe siècle, on signale des manichéens ou Cathares (du grec katharos, pur), en Champagne. Du xie au xiiie siècle, l’église cathare, la pure, la véritable, se dressera contre l’église romaine, « la synagogue de Satan » en Italie, en Sardaigne, en Espagne, en Aquitaine, dans l’Orléanais (en 1017, Robert le Pieux fera tenailler et brûler treize cathares à Orléans), à Liège, dans le nord de la France, en Flandre, en Allemagne, en Angleterre, en Lombardie, en Lorraine et jusqu’en Bretagne. À vrai dire, la lutte entre les deux églises n’atteint d’acuité que dans la France du Sud-Ouest et l’Italie du Nord. Comme Albi est le principal centre de l’hérésie, les manichéens sont connus sous le nom d’Albigeois.
Il semble qu’il y ait eu une certaine différence entre le manichéisme, doctrine d’austérité, et l’albigéisme, représenté comme une doctrine de vie facile. On a souvent opposé les vaudois, qui menaient une existence ascétique, aux albigeois, tenus pour dissolus. À la vérité l’austérité n’était exigée que des initiés ou parfaits ; la masse des fidèles ou auditeurs pouvaient vivre selon leurs instincts et leur bon plaisir, surtout dans cette nouvelle phase du manichéisme ; il suffisait qu’un parfait plaçât les mains sur la tête d’un croyant pour effacer toutes ses impuretés ; cela s’appelait « la consolation », mais comme elle ne pouvait être dispensée qu’une seule fois dans le cours de l’existence, l’auditeur n’avait généralement recours au parfait qu’à l’article de la mort.
L’albigéisme régnait en maître dans tout le Languedoc ; il comptait seize églises ou diocèses dont les principaux se trouvaient dans la région qui s’étend entre les Cévennes, les Pyrénées et la Méditerranée. Il y avait des évêques cathares et on a même prétendu, sans preuves, qu’il a existé un pape cathare. À Toulouse, les catholiques en étaient réduits ou peu s’en faut à se cacher. Le pape Innocent III organisa une croisade contre les Albigeois et appela les seigneurs du nord de la France à y prendre part. « Il faut que les malheurs de la guerre ‒ écrivait Innocent III, 1207 ‒ les ramènent à la vérité ». Cette guerre fut sauvage, atroce. Elle débuta par une boucherie à Béziers (1209) ; les Français du Nord exterminèrent la population : dans une seule église, ils égorgèrent sept mille personnes, des femmes, des vieillard, des enfants ; après quoi, Béziers, mis à sac, fut totalement détruit par l’incendie. Dix ans plus tard, de semblables horreurs se répétèrent à Marmande, et de sang-froid : « on tua, dit un contemporain, tous les bourgeois avec les femmes et les petits enfants ».
Vingt ans durant, le Midi fut mis à feu et à sang, sans que l’hérésie cessât de subsister. Pour achever de la détruire, le concile de Toulouse, en 1229, créa les inquisiteurs de la foi, dont les moines Dominicains assumèrent la charge. Le roi de France reçut comme récompense de l’assistance prêtée à l’Église le comté de Toulouse.
Quant aux cathares, force leur sera de se dissimuler désormais ; ils cessent d’être un danger pour l’Église, dans tous les cas. Après le xive siècle, on n’en trouvera plus guère. S’il en existe encore, c’est vraisemblablement en pays slaves ou aux États-Unis. ‒ E. Armand.
MANIE. n. f. (grec mania, folie). Manie est un des plus vieux mots de la médecine mentale. On le trouve employé par les plus anciens médecins de l’Antiquité : Hippocrate, Celse, Galien, etc. Comme la matière elle-même à laquelle se rapporte le mot, sa signification a varié à l’infini. Encore utilisé par les aliénistes d’il y a un siècle comme Pinel, Esquirol, Marc et tant d’autres pour signifier tout uniment la plupart des formes de la folie, surtout celles qui s’accompagnent d’un désordre considérable dans les pensées et dans les sentiments, d’agitation, d’excentricités incohérentes, il a été peu à peu restreint exclusivement à une seule forme mentale caractérisée par un désordre général des idées et des sentiments. Il est encore utilisé aujourd’hui dans la description des maladies du cerveau (voir Psychiatrie). J’en donnerai une idée sommaire.
Le maniaque se présente aux yeux de l’observateur comme un malade en proie à une agitation incohérente, agitation portant sur les paroles et sur les gestes. Il représente le fou tel que l’imagination vulgaire se l’imagine : un être gambadant, criant, faisant des discours sans aucune suite à la cantonade, le vêtement dans un désordre absolu, souvent malpropre et déchiré, violent par simple brusquerie sans y mettre la moindre méchanceté intentionnelle, manifestant par son attitude les états émotionnels les plus variés et les plus opposés, d’une minute à l’autre : colère, raillerie, gaîté ; religiosité, mégalomanie, érotisme. Le geste est en rapport avec l’état d’âme momentané, ce qui fait du maniaque une sorte de cabotin jouant tous les rôles possibles avec une rapidité de cinéma. Dans le fil des discours on ne saurait remarquer la moindre association logique ou rationnelle. Une idée naît d’un regard, d’une sensation et la succession en est si rapide que le malade n’a pas même le temps de former une phrase compréhensible. Mettez tous les mots du dictionnaire dans une boîte agitez-les et sortez-les les uns après les autres à la queue leu-leu, vous avez l’image des discours du maniaque, et en même temps des idées.
Cet état a quelque chose d’impressionnant bien qu’il ne soit qu’un orage, un tumulte, une tempête, et ne corresponde pas à une destruction profonde et définitive du fonctionnement cérébral. Il ne s’accompagne pas de fièvre, Il dure parfois fort longtemps, des mois et même des années sans qu’on ait le droit de dire qu’il ne guérira pas. Dans certains moments d’accalmie, si l’on interroge le malade, on s’aperçoit, que son intelligence est toujours aussi vive, la mémoire est intacte et, lorsque le maniaque guérit, il a une souvenance parfaite de tout ce qui s’est passé ; il ne perd pas la notion des traitements qu’on lui a fait subir, ni des violences qu’il a pu subir de la part d’agents inhumains.
L’internement de ces malheureux s’impose naturellement à raison du désordre où ils vivent et où ils plongent tout ce qui les entoure.
Telle est la manie aiguë. Il lui arrive de devenir chronique, quand les facultés s’affaiblissent, alors les malades sont plongés pendant de longues années dans un état de déchéance où ils n’ont presque plus rien d’humain, vivant dans la saleté, dans le gâtisme, couverts d’oripeaux burlesques. La manie ne tue point. On voit de vieux maniaques de 70 ans. Leur mort est accidentelle et due aux seuls progrès de l’âge.
Il me faut mentionner cependant une autre variété de manie extrêmement fréquente, tout en conservant les caractères ci-dessus décrits, c’est la manie intermittente. Si beaucoup de maniaques n’ont qu’un seul accès de manie dans leur vie ; il en est d’autres chez lesquels il y a récidive et les récidives sont parfois si fréquentes que les malades ont très peu de vie libre. Dans d’autres circonstances, on voit la manie alterner avec la mélancolie. Le contraste est frappant. Très vite, presque du jour au lendemain, on voit le maniaque se calmer et tomber dans un état de tristesse absolue avec mutisme complet, inertie, refus de s’alimenter, etc. Puis, après des mois ou des années de dépression, voici que l’agitation recommence pour redevenir mélancolie. Elle est ce qu’on appelle la folie circulaire. Elle n’est en somme que l’exagération des états émotionnels que nous subissons tous dans le cours de la vie où se succèdent sans désemparer des humeurs joviales ou tristes suivant les contingences où nous sommes mêlés.
Autres manies. — Le mot de manie a une autre acception, plus commune, plus populaire, non moins importante que la précédente, du pur point de vue de la psychologie. On désigne par là certaines habitudes devenues inconscientes, comme les tics, variables de fréquence et d’intensité, que l’on acquiert tout doucement sans s’en apercevoir et dont on se débarrasse avec plus ou moins de peine. Nous sommes tous des tiqueurs parce que nous sommes tous des imitateurs, sorte d’état simiesque qui ne fait que reproduire la grande loi du mimétisme à laquelle sont assujettis tous les êtres vivants.
Le propre de ces « manies » est de s’installer sournoisement, de s’incorporer au psychisme sans qu’il en soit apparemment troublé, de se reproduire avec un parfait automatisme. Pour en prendre conscience il faut le vouloir ou y être invité et alors on se heurte aux difficultés du « pli pris » pour se guérir. Il y a des manies ridicules, qui sont uniquement affaire de mode, dont les gens intelligents, sérieux et avides de tuer toutes les servitudes se débarrassent avec un léger effort, mais il est d’autres maniaques qui subissent sans protester la tyrannie pendant toute leur vie sans faire le moindre geste pour récupérer leur liberté. Il faudrait des volumes pour retracer et critiquer toutes les manies (geste, toilette, costume, ritualisme religieux ou laïque, reproduction automatique « parce que cela s’est toujours fait », etc.), dont l’humanité restée animale encombre sa marche. Ces manies prennent parfois une forme tout à fait obsédante, pénible, cruelle même, et constituent de vraies psychoses conscientes et irrésistibles que nous retrouverons à l’article Obsession. De ce nombre seront la dipsomanie, la folie du doute, la pyromanie, l’onomatomanie, la manie homicide, la manie suicide, etc. Tous ces états reproduisent un prototype curieux qui sera décrit plus loin.
Pour en revenir aux manies vulgaires, je dirai un mot des bases psychologiques sur lesquelles elles s’échafaudent. J’ai dénommé la loi d’imitation, le mimétisme, elle est à la base de cet autre phénomène capital qu’on appelle la contagion mentale et la suggestion.
L’imitation est partout dans la nature comme une sorte d’attraction réciproque en vue d’uniformiser, d’égaliser, d’équilibrer ce qui est inharmonique. On ne saurait nier que l’harmonie vaut mieux que le désordre et que l’attraction universelle, loi d’équilibre, s’applique aux êtres vivants. L’équilibre parfait n’existe point ; il semble que ce serait la fin de tout, mais la tendance à l’obtenir est constante. L’égalité produite, on est ramené à l’allégorie de l’âne de Buridan. Toute conception de liberté disparaît, encore qu’en deçà de cette équation parfaite, la liberté reste dans le domaine des illusions. Les influences mutuelles sont énormes, intentionnelles ou non. Quand, à l’imitation de Socrate, nous plaidons une idée avec ardeur, conviction, et quand finalement nous faisons capituler un adversaire nous avons forcé et réalisé l’imitation dont nous nous sommes proposés comme types. Nous avons déguisé notre liberté du nom de discussion ; en fait nous avons été déterministes et déterminés. On voit ainsi que le modeste phénomène naturel du mimétisme se retrouve dans toutes les formes les plus élevées de l’activité humaine.
Une autre base de l’imitation d’où procèdent les manies repose sur l’état de faiblesse mentale plus ou moins accentuée dès la naissance. Faible résistance aux influences s’appelle suggestibilité. L’état émotif accentué prépare les voies à l’imitation et à l’emprise des adversaires. La puissance du suggestionneur se traduit objectivement par la réduction de l’état d’inertie, de passivité du suggestionné.
La contagion mentale existe, elle est continuelle, banale, dans la vie de chaque jour. C’est la lutte entre les malins et les sots, entre les politicards, les bons bergers et les gens de foi.
Relisez Darwin et ses beaux travaux sur le mimétisme, généralisez et vous concevrez la psychologie des foules, le mysticisme, la contagion de la folie, le triomphe de l’habileté, de la force contre la faiblesse, et l’individualisme vous apparaîtra comme un refuge relatif.
Des monomanies. — Un dernier mot sur les états psychiques désignés par des termes où entre en composition le mot de manie. Il y a un siècle toutes les folies étaient rangées sous la seule rubrique de monomanie, qui désignait ce qu’on appelait les folies partielles, c’est-à-dire celles auxquelles ne participait pas l’entendement tout entier. Le monomane ambitieux par exemple était lucide sur tous les points qui ne touchaient pas à sa marotte de grandeur. Un monomane mystique pouvait être un habile citoyen, très maître de soi, quand il n’était point sur le terrain de ses hallucinations religieuses, etc.
La classification était simpliste. Le bloc des monomanies a été dissous. Seules ont été conservées les obsessions (voir ce mot). Quant aux autres, elles ont pris place pour la plupart dans le grand groupe des psychoses systématiques, à évolution lente, progressive, aboutissant à une transformation complète de la personnalité et à la démence. Il en sera parlé à l’article psychiatrie. ‒ Dr Legrain.
MANIFESTATION. n. f. (latin manifestatio). C’est un de ces mots fréquemment employés dans le langage courant et dont la signification est assez vague. Il indique en général l’action de produire au dehors, de rendre apparent, évident, manifeste, un caractère, des sentiments, une œuvre d’art, etc. Parmi ces extériorisations nous intéresse surtout le mouvement, la démonstration par lesquels une ou plusieurs personnes, un comité ou une foule expriment publiquement leurs désirs, leurs volontés, leur satisfaction ou leur réprobation. Le but de telles manifestations, concertées ou non, est d’attirer l’attention sur quelque objet ou desiderata, et de provoquer des mouvements d’opinion publique.
Les manifestations artistiques, littéraires, industrielles, commerciales, etc., sont des spectacles, des exhibitions, des expositions d’art, de science, de machines, de produits, etc., etc. tenant à la fois de l’attraction et de la publicité commerciale.
Il y a des manifestations officielles ou officieuses qui sont des cérémonies dans lesquelles, avec déploiement d’apparat, les autorités tentent d’impressionner l’esprit des foules. Ce genre de manifestations (officielles, patriotiques, religieuses, etc.), entretenant l’admiration des notabilités dirigeantes ou influentes, le prestige des maîtres, contribue à fausser la mentalité collective, à entretenir la servilité, à perpétuer l’adhésion béate et passive des masses abusées et asservies. Répétées avec régularité, se déroulant dans un cérémonial adroitement combiné pour les rendre impressionnantes, faisant appel à des hommages pleins de solennité, maintes de ces manifestations finissent par devenir de véritables cultes. Elles trouvent dans la badauderie, l’impulsivité moutonnière, les tendances mystiques des masses d’hommes rassemblées un terrain admirablement préparé. Les rites proprement religieux se sont ainsi affirmés. Souverains et chefs d’État ont bénéficié de la pompe dont s’accompagnaient leurs contacts avec le peuple. La religion de la patrie, de ses emblèmes et de ses appareils, appuyée sur des manifestations périodiques et rythmées protocolairement, a pu étendre sur des millions d’individus son emprise malfaisante que couronnent des guerres imbéciles et sanglantes.
Citons, enfin, les manifestations populaires. L’usage tend ici à donner au mot de manifestation la signification plus étroite, plus précise de rassemblement d’une foule (soit dans une salle ou mieux encore dans la rue), clamant ses protestations, ses indignations et ses révoltes contre telle ou telle mesure des gouvernants et des politiciens, des despotes économiques qui régentent le travail et pèsent sur les besoins des besogneux. Pris dans cette acception de jour en jour plus répandue, le terme de manifestation évoque une grande masse populaire défilant dans la rue en cortège pacifique ou déferlant en flot tumultueux, chantant des refrains subversifs et révolutionnaires, poussant des cris de colère, huant les objets de son courroux, et, parfois, dégénérant en bagarres, s’attaquant aux propriétés ou aux personnes.
Autant les dirigeants des nations aiment affirmer, dans de fastueuses cérémonies leur pouvoir sur les multitudes accourus à leur appel, autant ils sont flattés d’y respirer l’encens et d’y voir prodigués les gestes d’adoration qui constituent un affermissement moral de leur autorité, autant ils craignent et redoutent les manifestations populaires issues du mécontentement, secouées d’indocilité, parfois ouvertement hostiles. Celles-ci ne sont-elles pas l’indice qu’un malaise latent, des impatiences sont prêtes à se transformer en révolte ouverte et active ?
La grande force morale qui consolide le règne des gouvernants et des exploiteurs, c’est le sentiment d’isolement et d’impuissance qu’éprouvent les exploités et les gouvernés. Pris individuellement, chacun des malheureux, des déshérités, des victimes de l’organisation sociale actuelle, exprimera son insatisfaction. Il dira ses griefs confus contre le sort qui lui est dévolu, son écœurement, son ressentiment même au spectacle de tant d’injustices qui l’atteignent, ira jusqu’à exprimer son désir de voir tout cela transformé, amélioré, mais il conclura sur une plainte ou un geste vague : là se bornera ce qu’il est capable de faire. Tout, d’ailleurs, dans les institutions et les mœurs, concourt à le châtrer de ses énergies et le premier soin des puissants est de verser les meilleurs soporifiques sur sa détresse résignée. « Je voudrais bien sortir de cet état, dit parfois, le pauvre hère, mais je n’y puis rien. Si je fais quelque chose, je serai seul. Mes frères de misère seront même contre moi. » Et il s’abandonne…
Mais, que sur l’initiative d’individualités remuantes, ou de groupes organisateurs ou que, sous l’impulsion d’une grande colère soulevée par une iniquité plus grave que de coutume, ces isolés se trouvent rassemblés, leur nombre fait disparaître la peur ; de se sentir arrachés à leur dispersion douloureuse, de percevoir qu’un même sentiment anime des centaines ou des milliers d’êtres comme eux, la résignation fait place à la révolte ; la terreur soumise s’efface devant l’audace, et celle-ci peut devenir révolutionnaire.
Les dirigeants connaissent cette psychologie des foules, cette volonté collective qui se dégage des manifestations populaires et peut susciter les plus importants événements sociaux.
On commence par manifester dans une salle, paisiblement assis, applaudissant à l’éloquence d’un orateur, votant des ordres du jour. On manifeste ensuite dans la rue sous la conduite de bergers ayant le souci de l’ordre public, ne voulant pas compromettre leur carrière politique dans un choc entre les forces populaires et le rempart du régime. C’est le cortège pacifique, avec musiques et drapeaux. Mais cela peut devenir, dans l’explosion d’une colère longtemps contenue et qui trouve soudain son écho dans la colère voisine, sous la surexcitation d’une injustice plus criante, ou la provocation de la police ou de l’armée, à la faveur de quelque autre événement ou circonstance, parfois secondaire, mais qui joue le rôle d’étincelle et met le feu aux poudres, la manifestation peut être le premier grondement de l’émeute imprévue et de la révolution qui couvait.
Les grandes révolutions politiques ou sociales n’ont pas débuté autrement que par des manifestations où le peuple prenait conscience, dans le coude à coude, de sa puissance collective. La prise de la Bastille fut précédée de manifestations dans la rue, surtout aux abords du Palais-Royal. Les journées révolutionnaires, comme celle du 10 août et d’autres, furent des manifestations populaires.
La première révolution russe, de 1905, fut marquée par la grande manifestation devant le palais du tsar, où le peuple encore confiant et disant naïvement sa misère, fut accueilli par la mitraille.
Les gouvernants savent très bien que le meilleur fondement de leur puissance est la crainte que le peuple éprouve en face des forces militaires, policières et judiciaires. Qu’une manifestation, se transformant en bagarre, prenne figure d’émeute, que le peuple se sente le plus fort, ne fût-ce qu’un moment, et c’en est fini de la terreur organisée, systématique, dans laquelle il se débattait, et le pouvoir politique entend sonner le glas de son autorité balayée.
Aussi ne faut-il s’étonner si le droit de manifestation populaire, au titre de doléances ou de réclamation, n’a jamais été admis, sous aucun régime, par les gouvernements. Quelle que soit l’étiquette politique ou constitutionnelle des pouvoirs, la manifestation populaire a toujours été considérée par eux comme une menace et un danger qu’il fallait écarter à tout prix, et cela d’autant plus que le malaise s’avérait sérieux et inquiétant. Toutes les forces répressives sont mises en jeu dès qu’il s’agit d’interdire une manifestation. On sait de quelle façon sauvage les policiers procèdent, par ordre, dans ces cas-là. Coups de matraques, arrestations, condamnations, fusillades guettent le peuple souverain. On connaît aussi la formule hypocrite qu’étale, le lendemain, la presse bourgeoise : « La police a du faire usage de ses armes », ce qui veut dire qu’on a assassiné des manifestants, la plupart du temps désarmés.
Un gouvernement ne se maintient que par la crainte qu’il inspire Enlevez cette crainte, et aucun pouvoir, politique ou autre, ne peut subsister. C’est pour lui une question de vie ou de mort. On tolère bien certaines manifestations, mais à contre-cœur et exceptionnellement, et sous réserves et avec garantie que « tout sera calme ». Et dans les centres, les quartiers ou les artères ne présentant aucun risque pour la stratégie de la répression officielle. Dans les grandes villes et surtout dans les capitales, le droit de manifestation populaire est presque toujours totalement et sévèrement prohibé.
Les partis politiques, même ceux d’opposition, n’usent que très rarement, et en l’entourant de restrictions, de la manifestation populaire, dont ils redoutent la portée et les conséquences imprévues. Ils sentent, instinctivement ou consciemment, que c’est une arme qui peut se retourner contre eux. La fureur populaire a toujours déplu et déplaira toujours aux maîtres d’aujourd’hui, d’hier ou de demain. On ne sait jamais’où elle s’arrêtera. Et il ne faut pas habituer le peuple à braver la férule et à prétendre tenir tête au pouvoir !
Certains camarades, surtout ceux qui fondent tous leurs espoirs sur l’évolution individuelle, méprisent plus ou moins les manifestations populaires. C’est, à mon avis, une erreur. La poussée des foules, longtemps souterraine et qui soudain explose, a autant de vertu révolutionnaire que la volonté patiente des individus. C’est elle qui est à l’origine de bien des transformations sociales. Et nous devons la plupart des quelques maigres libertés dont nous jouissons aux manifestations populaires. Si on ne nous les enlève pas toutes, c’est parce que les gouvernants craignent encore un peu le soulèvement des masses. Les manifestations demeurent un des meilleurs moyens que possèdent les exploités pour faire entendre leur voix, attirer l’attention sur leurs maux et sur leurs espérances, faire reculer les tentatives de réaction, et préparer l’avènement des libertés. ‒ G. Bastien.
MANIFESTE. (latin manifestus). Adj. Caractérise ce qui est clair, évident et n’appelle pas de longue démonstration : erreur, menteur manifestes. Subst. On désigne ainsi (il commençait, invariablement, jadis, par la formule manifestum est : il est manifeste, d’où son nom), en politique, l’exposé public des réclamations ou des motifs d’agir, adressé par un gouvernement à une ou plusieurs nations étrangères. Il est parmi les gestes qui précèdent les conflits guerriers et qui prétendent à les expliquer, souvent même à les justifier. Sous les intentions pacifiques qu’invoquent les pouvoirs dont il émane et les efforts tentés, prétend-on, pour prévenir le choc de la force brutale, se dissimule le plus souvent la duplicité de campagnes insidieuses, semées de faux et de provocations, qui ont préparé ou rendu inévitables des conflagrations attendues ou escomptées. Il procède ainsi de cet art ancien de circonvenir les peuples que la presse a si magnifiquement secondé, dans les temps modernes. La manifestation écrite qui, avant la déclaration de guerre et la rencontre des armes, s’annonce en éclaircissement, résume habilement, et transpose au besoin, les griefs et les contestations qui sont à la base de la mésentente ; l’adversaire se trouve être à point le responsable et le manifeste aux ombres réticentes exalte à souhait les spécieux facteurs d’intervention. Il convient donc d’y chercher davantage un savant enveloppement d’attitudes souvent indéfendables et le dernier palabre hypocrite avant les recours aux « arguments » de la force, bien plus que l’écho véridique des « droits » qui s’affrontent et qu’une ultime tentative pour prévenir la mise en branle des masses armées.
L’usage du manifeste est des plus anciens et c’en est vraisemblablement une forme ironique que l’envoi présomptueux, fait jadis par les Scythes à Darius, d’un rat, d’un oiseau, d’une grenouille et d’une flèche… Manifestes du roi et du parlement pullulèrent en Angleterre sous le règne tourmenté de Charles Ier. On ne les vit apparaître officiellement en France en tant qu’adresse aux nations en face d’une guerre imminente qu’au xive siècle. L’histoire cite volontiers chez nous le manifeste du duc de Brunswick, cette sommation insolente des coalisés de Coblentz qui provoqua le sursaut du 10 août. Pleins de fougue éloquente et de volonté révolutionnaire, les manifestes de la Convention tranchaient par leur chaleur sincère et leur allure droite avec les écrits, pétris d’astuce et de subtile diplomatie, des monarchies que ses principes nouveaux refoulaient… En 1859, après les guerres d’Italie, François Joseph d’Autriche, contraint à la paix, exposait les raisons de cette obligation dans son « Manifeste à mes peuples ». Roi de Prusse et empereur des Français, en 1870, lancèrent des manifestes où chacun expliquait le bien-fondé de son recours aux armes. En de multiples déclarations officielles, adressées à leurs nations respectives, les chefs d’États belligérants de la dernière « guerre du Droit » accumulèrent aussi les manifestes justificatifs où instigateurs progromistes, agresseurs, complices, supputeurs masqués prenaient figure d’innocentes victimes et se défendaient « d’avoir voulu cela ! »…
À l’intérieur, les prétendants au trône, les fauteurs de coups d’État, les aspirants au règne politique usèrent, à travers les siècles, de ces appels à la nation pour préparer le terrain à leurs tentatives, rendre l’opinion publique favorable à leurs desseins, galvaniser des cohortes de partisans. Les manifestes marquent la route du pouvoir de méthodiques apprêts, entretiennent, ravivent au besoin le prestige et la popularité. On connait les proclamations du premier Bonaparte, les exhortations et les harangues lapidaires qui jalonnent sa fortune de conquérant monomane. Des adresses de Napoléon le Petit, parant son front médiocre de l’auréole du nom, aux invocations épileptiques de la Ligue des Patriotes, aux plaidoyers cyniques des modernes « sauveurs » à la Mussolini, aux déclarations de principes de tous les politiciens en mal de chars et de fouets enrubannés, s’échelonnent rodomontades et suppliques, gestes et propos circonvenants. Habiles à impressionner le peuple de « raisons de salut public », à ramener, autour de formules renouvelées de gouvernement, invariablement « rédemptrices », une foi à la longue fléchissante, à rendre sympathiques des promesses de réformes enflées en boniments, florissent les manifestes du bien général dont il ne reste, la baudruche crevée, que les chétives grimaces de l’ambition…
Pour tenir à l’étiage le « moral » précieux de la nation, au cours de la longue « dernière », on ne manqua pas de faire une publicité à ce monument de lourde suffisance et d’avilissant renoncement qu’est le Manifeste des Intellectuels allemands, se rangeant aux côtés des guerroyeurs mégalomanes de l’Empire. Chez nous, d’ailleurs, n’attendant que l’occasion (qu’ils eussent au besoin provoquée) répondirent ‒ pendant grotesque ‒ d’aussi plates déclarations de loyalisme patriotique de la part de nos vedettes littéraires ou artistiques, des sommités de notre monde scientifique. Un concert monocorde de périphrases en fausset, une orgie de phantasmes amphigouriques exaltaient, de chaque côté des frontières, l’unilatéralisme d’une « civilisation » menacée. Et l’on voyait un Anatole France, l’historien de la Pucelle, supplier (derrière un Hervé et un Jouhaux) qu’on lui donnât une arquebuse pour bouter l’Allemand hors de France. Les manifestes des partis ‒ succédanés et renforts de ceux des États ‒ foisonnèrent pendant ces quatre années d’abdications et de reniements. Grands chefs, clercs et menus bergers, dans le dessein d’amadouer le « jugement de l’histoire », y délayèrent (phrases pompeuses sur les virilités défaillantes) leurs évidentes trahisons.
Les socialistes dirigeants, délivrés d’un Jaurès, venaient solennellement, par le canal des Guesde et des Thomas, prostituer au service des capitalismes en lutte, la doctrine de l’internationale des prolétaires, s’agenouillaient sur les fauteuils des ministères de guerre. Et ils n’avaient pas de peine à trouver, dans leur arsenal de démagogues et de rhéteurs, les doucereux propos magnifiant le sacrifice de l’agneau. Il n’est pas jusqu’à quelques-uns des nôtres ‒ mieux avertis, nous dit-on (lumière soudaine pour plusieurs) des contingences et de l’évolution ‒ qui ne lancèrent aux camarades de ce pays une explication de leur attitude, appel de fait à une participation active, destinée, selon eux, à sauvegarder l’étape de notre « civilisation supérieure » (voir Seize : Manifeste des Seize). Seul, sur tous ces manifestes d’acquiescement, normaux ou inattendus, retentissait dans le monde (trait d’union des hommes de paix demeurés dignes, réconfort des consciences éparses résolues à ne pas abdiquer) au-dessus de la mêlée, le manifeste de sauvegarde morale d’un Romain Rolland criant la survivance de l’idée humaine quand les doctrines s’inclinaient…
Dans les arts, la littérature, on appelle aussi manifeste la publication de nouvelles manières de voir, de modes d’expression encore inusités, qu’accueille avec méfiance ou mépris le public traditionaliste et les cercles prévenus. Tel le manifeste littéraire de l’école romantique. ‒ Lanarque.
MANNE. n. f. (de l’hébreu man ou mah ou de l’égyptien man). Un des livres de la Bible (l’Exode, Ch. XVI) raconte que les israélites, sous la conduite de Moïse, traversant le désert de Sin et manquant de vivres, murmurèrent contre Moïse et Aaron, disant regretter le pays des Égyptiens et leurs potées de chair. Alors l’Éternel entendit leurs murmures et leur envoya d’abord un plein camp de cailles rôties, puis il leur désigna comme du pain « une petite chose ronde, menue, comme de la blanche gelée sur la terre » et qui avait fait place, tout autour du camp, à une couche de rosée. Cette masse comestible (ce pain), fut appelé Manne : « et elle était comme de la semence de coriandre : elle était blanche et elle avait le goût des beignets au miel ». Selon la légende et les livres sacrés, les israélites s’en nourrirent pendant les quarante ans qu’ils restèrent au désert.
Cet aliment miraculeux et gratuit a donné son nom, par extension, à tout aliment abondant et peu coûteux ex. : La datte est la manne de l’arabe. La pomme de terre est la manne des ouvriers.
La manne est un suc découlant spontanément ou par incision de l’écorce de certains frênes. Les caractères en sont les suivants : couleur blanche jaunâtre, odeur particulière et nauséabonde, saveur sucrée, miellée, et cependant désagréable. Elle est composée d’un principe doux et cristallisable, qui est : la mannite, et d’une matière extractive et incristallisable ; mais ces principes varient suivant les diverses espèces de mannes, qui sont au nombre de quatre : la manne en larmes, la manne qéraci, la manne grasse et la manne de Calabre. La première, est la plus sucrée. La manne est employée dans l’art médical comme purgatif.
Manne de Briançon : très faiblement purgative, qui exsude des feuilles de mélèze, pendant les étés chauds, dans une partie des Haute-Alpes. Manne d’Alhagi, manne en petits grains, qui exsude d’une espèce de sainfoin de Perse. Manne liquide, matière gluante assez semblable à du miel blanc, que l’on récolte en Perse et en Égypte, sur les feuilles de divers arbrisseaux. (Faudrait-il voir là la source de cette manne dont parle la Bible ?). Même dans nos contrées, pendant la saison chaude, dans certaines conditions de température, les arbres de nos forêts : chênes, frênes, bouleaux, noisetiers, etc., produisent dans les premières heures du jour une matière sucrée qui apparaît sur les feuilles et que recueillent les abeilles. Cette sécrétion dite miellée, parfois assez abondante pour que les insectes y trouvent un appréciable butin, mais insuffisante pour que l’homme en puisse profiter directement, est vraisemblablement le correspond de cette « manne liquide » exotique. Manne d’encens : Encens choisi qui a la couleur de la belle manne.
Au figuré : se dit des aliments de l’esprit : La liberté est la manne des peuples.
MANNE. n. f. Grand panier de forme rectangulaire ou cylindrique, à fond plat, en osier ou bois et dans lequel on transporte des marchandises : pain, pâtisserie, fruits, poisson, vaisselle, etc. Manne (la) : Tableau de Nicolas Poussin, au musée du Louvre, représentant la scène biblique : ensemble d’épisodes rendus avec une maîtrise et une harmonie magistrales. ‒ A. Lapeyre.
MANŒUVRE. (bas latin manus-opera de manus, mains, et opera, œuvre). a) n. f. Action de régler, de diriger ou de vérifier le mouvement ou la marche d’un corps quelconque, d’un mécanisme, d’une machine, avec la main : manœuvre d’une pompe, d’une presse, etc., manœuvre maladroite, manœuvre habile, etc. Le mot manœuvre s’emploie surtout pour désigner la façon de réussir quelque chose qui paraît difficile à première vue : Ce n’est que par une manœuvre savante qu’il réussit ce tour de force, ou d’adresse.
On appelle aussi manœuvre l’exercice qu’on fait faire aux soldats : Aller à la manœuvre. Les grandes manœuvres sont des exercices où l’on simule à peu près la guerre, et qui durent généralement plusieurs semaines au cours desquelles les soldats quittent complètement la caserne avec tout leur « barda » et cantonnent dans les pays qu’ils traversent.
Au figuré, une manœuvre est le fait d’agir par des moyens détournés et souvent hypocrites, pour obliger quelqu’un à agir dans le sens où l’on veut le diriger, quelquefois pour le perdre, très souvent pour le tromper, toujours pour le maîtriser. Les gens qui veulent acquérir, ou conserver une certaine domination, un certain prestige se connaissent dans ce genre de manœuvre. Ils agissent ainsi là où une action franche, un ordre, ou la persuasion ne réussiraient pas à orienter les événements dans le sens qu’ils désirent. Quelquefois, ils intriguent dans votre entourage ; d’autres fois, ils vous tendent des pièges. Ainsi, par exemple, si vous êtes un libre-penseur actif et gênant pour eux, les curés iront trouver votre patron si vous êtes ouvrier, ou votre clientèle si vous êtes artisan ou commerçant, pour vous faire « remercier » de votre place ou nuire à vos affaires, ou vous obliger à vous abstenir de propagande. Ou bien, si vous êtes soldat et qu’un gradé vous poursuive de sa haine, ou un excellent ouvrier et que le contremaître veuille vous faire mettre à la porte, le gradé ou le contremaître sauront vous brimer et vous pousser par leurs provocations à commettre des actes très sévèrement punis par les règlements, afin de vous perdre, s’il le peuvent. Il y a mille et mille façons de manœuvrer les gens. Avec l’un, c’est une façon de faire qui réussit ; avec l’autre, c’en est une autre. La manœuvre, pour aboutir, doit toujours tenir compte du tempérament, des penchants et des points faibles de celui que l’on veut manœuvrer. Il est impossible, et inutile, d’énumérer ici toutes les manœuvres qui ont cours dans la société, mais on peut dire que, d’une façon générale, la manœuvre est presque toujours un traquenard tendu par la crapulerie des aigrefins à la simplicité, la loyauté, la franchise ou les bons sentiments des individus trop confiants.
Je veux, avant de finir, dire un mot de cette « Grande Manœuvre », qui consiste à faire accepter la guerre et toutes ses horreurs, avec gaieté de cœur, voire même avec entrain et enthousiasme, à des gens dont tous les sentiments profonds et souvent les vrais intérêts sont à l’opposé. Tout est mis en œuvre pour inculquer aux masses l’idée qu’il est non seulement nécessaire, mais digne, moral et glorieux de courir sus à « l’ennemi ». Journaux, brochures, gravures, récits, cinémas, etc., toutes les équipes qui fabriquent l’opinion s’y emploient avec insistance et frénésie. Toute l’habileté vendue ou à vendre est employée pour faire croire aux gens toujours influençables qu’ils auront mérite et avantage à la bonne marche de la guerre et qu’ils y trouveront honneur et profit, ou les deux. À l’un la considération, à l’autre de meilleurs placements pour ses capitaux, à un troisième un écoulement assuré de ses produits ; celui-ci en retirera une place honorable ou lucrative, celui-là ne connaîtra plus de chômage. Tous mêmes y réaliseront cet espoir cher de la sécurité définitive. L’occasion s’offre à eux, leur dit-on, « d’abattre le militarisme »… ou de faire la Révolution !
Plus qu’à ces manœuvres techniques où les militaires s’avèrent généralement d’une effrayante incapacité, nos gouvernants s’entendent à organiser ces « grandes manœuvres » publicitaires qui tritureront l’opinion et la rendront favorable à leurs desseins secrets.
b) N. m. — Ouvrier manuel n’ayant pas de profession définie et occupé dans toutes les branches du travail, aux besognes rudes ou malpropres, mais secondaires et vite apprises, par opposition à l’ouvrier qualifié, qui a fait, lui, un apprentissage et qui a un métier en main. C’est rarement à son incapacité naturelle que le manœuvre doit sa condition. La plupart du temps, par suite de la pauvreté de ses parents, il a du gagner son pain dès avant l’adolescence. Les siens n’ont pu payer pour son apprentissage et ils n’auraient pu même le nourrir pendant la durée de celui-ci. Il lui a fallu accepter les travaux les plus faciles pour toucher de suite un salaire. Et c’est sur ce plan que se déroulera sa carrière de besogneux. L’enfant de la misère sera toujours l’homme de peine, aux gros efforts, aux tâches rebutantes et aux maigres rétributions.
Car si l’existence de l’ouvrier qualifié est loin d’être brillante, celle du manœuvre est presque toujours précaire et infériorisée. Parce qu’il peut être remplacé rapidement par n’importe qui, le patron en profite pour le payer moins cher et ne l’embaucher que lorsque le travail presse. Le manœuvre connaît donc le chômage plus que quiconque, et, avec le peu d’agrément de sa profession, il arrive parfois à être vite dégoûté du travail, ce qui aggrave encore sa triste condition.
L’ouvrier qualifié lui-même, qui tire souvent orgueil de ses quelques connaissances et des avantages qu’elles représentent, n’a généralement que peu de sympathie pour le manœuvre et trouve très normal qu’il soit encore moins payé que lui. Il protesterait s’il en était autrement : « Ce ne serait pas la peine d’avoir fait deux ou trois ans d’apprentissage, lui entend-on dire, si je ne gagnais pas plus ». En réalité, le manœuvre fait un travail aussi indispensable que l’ouvrier qualifié et sa besogne est presque toujours plus dure, plus fatigante et plus ennuyeuse. Que chacun fasse le travail qui lui revient, c’est entendu, mais puisque tous deux ont les mêmes besoins, qu’ils soient placés devant les mêmes conditions d’existence.
Le syndicalisme a bien cherché quelque peu à rapprocher ces travailleurs, en les réunissant dans les mêmes organisations, et en leur apprenant à présenter des revendications communes, mais il est loin d’avoir complètement réussi et le même état d’esprit subsiste encore, ou à peu près, parmi ces ouvriers. Ne voit-on pas souvent, dans un même syndicat, manœuvres et ouvriers qualifiés, organisés ensemble, réclamer des salaires de 5 fr. de l’heure pour l’ouvrier qualifié, par exemple, et de 3 fr. 50 ou 4 fr. seulement pour le manœuvre ? N’est-ce pas un non-sens et une méconnaissance du syndicalisme ? Que le patronat établisse une échelle de salaires entre ses ouvriers, s’est son intérêt : cela lui permet de débourser moins en définitive et cette inégalité entretient toujours la division parmi son personnel.
Que les ouvriers n’arrivent pas toujours à l’en empêcher, cela se comprend, mais qu’ils réclament eux-mêmes le maintien de salaires différents, voilà qui est inadmissible.
Dans la grande industrie d’aujourd’hui, qui fait de plus en plus redescendre, à l’état de manœuvre, l’ouvrier qualifié, l’importance du manœuvre s’amplifie avec la transformation apportée dans beaucoup d’usines par le développement du machinisme et la rationalisation. De cette modification de son rôle, le manœuvre ne tire aucun avantage, mais l’ouvrier de métier est ainsi de plus en plus remplacé par le « manœuvre spécialisé », à moins qu’il ne devienne lui-même ce « manœuvre ». Ce sort nouveau, qui le touche au vif de ses intérêts immédiats, lui fera-t-il mieux comprendre l’injustice des catégories de salariés et se sentira-t-il davantage le frère du manœuvre ?
Le travail de chaque ouvrier, devenant de plus en plus limité à un seul genre d’exercice, ne comportant que quelques mouvements, toujours les mêmes, il arrive qu’en quelques jours seulement, quelques heures même, n’importe qui peut acquérir l’habileté suffisante pour exécuter ce qu’il aura à faire toute l’année et, parfois toute sa vie (voir machinisme). D’ailleurs si, au début, il lui manque la dextérité nécessaire, la machine, qui l’oblige à régler ses mouvements sur les siens, se chargera de la lui donner par force ; il devra la suivre, s’il veut conserver sa place.
Au lieu donc de disparaître, les manœuvres tendent toujours à devenir plus nombreux dans la grande industrie qui ne conservera qu’un chiffre infime d’ouvriers qualifiés et demandera surtout des serviteurs interchangeables de la machine. Les ouvriers ainsi ramenés au même niveau sauront-ils en profiter pour mieux se comprendre et mieux se défendre ? L’accroissement du chômage qui résulte de ces nouvelles méthodes de travail et qui est accepté mondialement sans sursaut sérieux ne permet guère d’augurer d’aussi heureux résultats. ‒ E. Cotte.