Encyclopédie anarchiste/Mercanti - Métallurgie
MERCANTI s. m. du latin mercans, mercantis, marchand.
Marchand dans les bazars d’Orient et d’Afrique, ou à la suite des armées en campagne. Bas commerçant, profiteur de la guerre.
Ce mot n’était guère usité avant la guerre de 1914–1918 : il existait cependant l’esprit mercantile, c’est-à-dire l’amour excessif du gain. La guerre ayant désaxé le commerce puisque la consommation dépassait la production, les marchands de toutes catégories tant que durèrent les hostilités, alors que les hommes s’entretuaient et mouraient par millions, réalisaient des bénéfices inouïs, faisant des fortunes en quatre ou cinq ans.
L’acheteur, individu ou collectivité, était immanquablement détroussé par les marchands. Et ceux-ci s’attirèrent comme un qualificatif de mépris, celui de mercantis… Vengeance anodine qui n’empêchait pas les spéculateurs de perfectionner leurs agissements et d’étendre leur champ de rapine.
D’ailleurs, le commerce étant l’art de faire payer 6 francs ce qui en a coûté 4 et d’acheter 4 ce que l’on vendra 6, ne saurait « déchoir » parce que l’on a fait payer 6 ce qui ne coûtait que 2 francs. Il y a là seulement une question de proportion et d’appétit qui ne change rien an principe et souligne seulement davantage l’absurdité des échanges par voie mercantile. Ne vivons-nous pas à une époque où l’intermédiaire arrive toujours à tirer son épingle du jeu – une épingle d’or très souvent – tandis que le producteur se débat dans les difficultés et la gêne. Puisque le commerce est le vol autorisé, le mercanti n’est, après tout, qu’un commerçant un peu plus voleur que ses confrères.
MERCENAIRE adj. et subst. (du latin mercenarius, même sens, fait de merces, salaire). Qui se fait pour le gain, pour un salaire convenu : labeur mercenaire, occupations mercenaires. Les sociétés humaines, en détournant l’effort productif de ses voies droites et légitimes, en l’assujettissant au service de la force, de la jouissance oisive et de l’ambition, en monopolisant ses fruits entre des mains privilégiées, ont fait du travail (voir ce mot) une tâche avilie et mercenaire. Elles en ont voilé le but naturel et tari les joies normales. L’équilibre est constamment faussé entre le quotient d’énergie exigé du producteur et la part qui lui revient des richesses obtenues.
Les conditions mercenaires dans lesquelles s’accomplit le labeur ont fini par en faire perdre de vue au plus grand nombre l’objet véritable. Le travail humain, écarté de sa ligne simple et logique, donne bien davantage l’impression d’un sacrifice incessant à quelque Moloch-Argent, entité insatiable, que d’une œuvre utilitaire rythmée aux exigences des besoins. Le gain, le salaire sont au premier plan du travail des masses laborieuses ; c’est vers eux que l’effort est tourné comme s’ils étaient son unique fin. La plupart des hommes en sont venus à ne plus regarder dans leur besogne autre chose que cet aboutissement ; plus d’activité qui ne soit monnayée : l’effort est tout entier mercenaire. Dépouillé de sa nécessité directe et de sa grandeur native, corrompu par une philosophie frelatée qui en « justifia » les déviations, il se traîne, lui aussi, parmi les mensonges conventionnels du social.
On appelle troupes mercenaires les troupes étrangères dont on achète le service ; cette qualité peut s’étendre aux troupes indigènes. Dès l’antiquité empires et républiques commerçantes de la Méditerranée, colonies phéniciennes, ioniennes, Athènes même, la république romaine enfin firent appel à des auxiliaires thraces, gaulois, asiatiques, celtibériens, etc. La Rome impériale, après avoir levé des légions sur les terres asservies par ses conquêtes, enrôla des mercenaires empruntés aux peuplades barbares riveraines. Jusqu’au moyen-âge d’ailleurs routiers et condottieri, brabançons et navarrais vinrent chercher solde auprès des maîtres des nations. Reîtres et lansquenets allemands, compagnies suisses passaient tour à tour des bannières des évêques ou des rois de France sous les pavillons des princes impériaux. Ces marchés de soldats s’étendirent, chez nous, jusqu’au seuil de la Révolution française sous forme de gardes attachés aux palais royaux. Tels les Suisses d’argent qui furent le rempart de la cour du dernier des Capets.
L’introduction de l’esprit démocratique dans la vie moderne a modifié le caractère des armées. Le xixe siècle a marqué une tendance toujours plus accentuée à répudier les armées de métier, les troupes vénales rendues suspectes d’ailleurs par quelques trahisons célèbres. Il leur a substitué les armées nationales, de souche évidemment populaire, les nobles se réservant les hauts grades et les bourgeois aisés s’achetant des remplaçants. Puis les républiques sont venues, proclamant l’obligation militaire générale, instituant le service dit obligatoire. Elles ont amené dans les casernes multipliées les différentes couches sociales, séparées néanmoins par le choix des armes, car cavalerie, artillerie, sont demeurées le refuge de l’aristocratie et de sa jeunesse fortunée, embrigadant quelques gars dociles des campagnes, l’infanterie ouvrant ses rangs aux contingents massifs de la ville et des champs.
Mais le développement de l’industrialisme a donné naissance à de fréquentes revendications collectives des travailleurs rassemblés dans les ateliers et les usines. Cessant par moment, d’ensemble, le travail, les salariés se sont mis en grève. Ces mouvements, parfois violents au point de donner des inquiétudes aux patrons, aux manufacturiers, ont provoqué, de la part des gouvernements, des meures « d’ordre ». Contre les ouvriers révoltés on a appelé, au secours des gendarmeries débordées, les soldats détournés de leur rôle officiel. Mais, d’abord docile et prompt à servir la répression, le peuple sous l’uniforme a fini par prendre conscience de la solidarité qui l’unit au travailleur luttant pour le pain quotidien. Il s’est, çà et là, refusé au rôle de briseur de grève. En dépit des mensonges qui troublent ses affinités de classe et d’une discipline qui châtie durement ses élans, l’armée du service obligatoire a cessé d’être la sauvegarde assurée de l’ordre privilégié. On se méfie de ses répugnances croissantes, on craint ses fraternisations susceptibles de s’amplifier en complicités révolutionnaires…
Et la bourgeoisie régnante revient, par l’extension de sa police, par la création de gardes mobiles – corps salariés – par d’alléchantes primes d’engagement et de rengagement qui entraînent la formation d’importants noyaux de militaires payés au sein même des troupes régulières, la bourgeoisie revient, pour sa suprême défense, aux groupes mercenaires. Ultime carte d’une classe favorisée qui range ses derniers esclaves autour du butin amoncelé. La mesure ne la sauvera pas des crises et de la, défaite finale. Comme l’empire romain décadent, confiant sa garde aux guerriers sans âme du mercenariat, le capitalisme verra fléchir, à l’heure critique, le dévouement payé des défenseurs qui ne retiennent à ses côtés que des intérêts momentanés et d’ailleurs équivoques. Les mercenaires retarderont peut-être sa chute. Ils marqueront de quelques pauses sanglantes la marche douloureuse du prolétariat. Mais ils ne sauveront pas le régime que minent de foncières incompatibilités et dont la forme agglomère, facticement, l’organisme. – Lanarque.
Par analogie, mercenaire se dit de ce qui a pour essence, pour mobile ou pour but un intérêt sordide, servi par une basse flagornerie ; il désigne des manœuvres intéressées, parfois soudoyées : âme mercenaire, louanges mercenaires.
Hist. ecclés. : Se disait de prêtres qui n’étaient attachés à aucune paroisse.
Au fig. Homme intéressé, facile à corrompre pour de l’argent : « les ambitieux qu’on loue tant sont des glorieux qui font des bassesses, ou des mercenaires qui veulent être payés » (Fléchier),
Histoire : Guerre des mercenaires : guerre terrible que Carthage eut à soutenir en Afrique contre ses troupes mercenaires, qui s’étaient révoltées parce qu’elles n’étaient pas payées. Elle eut lieu pendant l’intervalle de la première à la deuxième guerre punique (241-238). Mathos et Spendius furent les principaux chefs des rebelles ; Amilcar, chargé de les combattre, réussit à enfermer dans un défilé un corps d’insurgés, et les fit tous massacrer à mesure qu’ils en sortaient ; de 40.000 hommes, pas un n’échappa. On nomma cette guerre la Guerre inexpiable, à cause des fureurs auxquelles elle donna lieu. G. Flaubert s’en est inspiré pour écrire Salammbô.
MÉRIDIEN n. m. (du latin meridianus ; de méridies, midi). On appelle méridien tout cercle passant par les pôles et croisant perpendiculairement l’équateur. Un méridien divise donc le globe terrestre en deux parties égales, dans un sens opposé à l’équateur.
D’après la théorie tirée par Newton de la loi de l’attraction universelle rattachée à la rotation de notre planète autour de son axe passant par le pôle nord et le pôle sud, la terre doit représenter un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles et renflé à l’équateur. Pour plus de simplicité représentons-nous la terre comme une sphère parfaite ; le diamètre de cette sphère étant suffisamment prolongé percera le globe en deux points appelés les pôles de la terre ; celui tourné vers l’étoile polaire (alpha de la petite Ourse) s’appellera le pôle nord, l’autre sera le pôle sud. La ligne qui joint les deux pôles l’un à l’autre (diamètre de notre sphère) constitue l’axe de la terre ou ligne des pôles.
Considérant l’axe terrestre, par le centre de notre planète, menons un plan qui lui soit perpendiculaire. Ce plan divisera la sphère en deux parties égales dont chacune renfermera un pôle. Ce grand cercle qui divisera le globe en deux hémisphères est l’équateur. Un plan quelconque passant par les axes terrestres, donc par les pôles du globe, et croisant perpendiculairement l’équateur constituera un méridien. Il s’en suit qu’il y a autant de méridiens que l’on peut concevoir de points sur l’équateur par lesquels on puisse faire passer une ligne passant par les deux pôles ou, en d’autres termes, tout cercle passant par les deux pôles est un méridien. Tout objet sur la terre a son méridien, il suffit de faire passer par un des pôles la ligne partie de lui et de la ramener à cet objet en passant par l’autre pôle ; le méridien change évidemment quand l’objet n’est pas immobile : le méridien de l’homme se déplace avec lui.
L’équateur de notre globe a été divisé en 360 parties ou mieux en deux fois 180 degrés ; par chacun de ces points de divisions on a fait passer un méridien en comptant 180 méridiens à l’est et 180 à l’ouest, à partir d’un méridien initial choisi comme méridien d’origine. En numérotant les méridiens dans chaque sens, est et ouest, de 0 à 180, à partir du méridien d’origine, on obtient une première détermination d’un point à la surface de la terre. Mais comme il ne suffit pas de savoir qu’un point se trouve sur un méridien déterminé pour connaître sa position exacte il a fallu imaginer une seconde ligne sur laquelle il se trouve également. Cette deuxième ligne c’est un parallèle. Un parallèle correspond à une ligne imaginaire parallèle à l’équateur et perpendiculaire à la ligne des pôles. Les méridiens ont été divisés à partir de l’équateur et de part et d’autre de celui-ci en 90 parties égales et par chacun de ces points de divisions on a fait passer un parallèle. La position d’un point à la surface de la terre est donc déterminé exactement quand on sait sur quel parallèle et sur quel méridien il se trouve. Sa position sera donc à l’intersection du parallèle et du méridien ; nous avons ainsi les coordonnées géographiques d’un point. (Voir latitude et longitude.) Jadis chaque nation choisissait comme méridien d’origine celui qui passait par l’observatoire de sa capitale. Cette façon de faire était une source de confusions regrettables pour la comparaison des longitudes. Une entente internationale entre les différents États a, depuis, mis fin à ce désordre et une réforme heureuse a décidé que désormais on compterait les longitudes à partir du méridien de Greenwich (Angleterre), choisi comme méridien d’origine. À cette unification nécessaire a correspondu l’unification de l’heure sur toute l’étendue du globe.
La mesure exacte de la terre et la détermination de sa forme ont, avons-nous dit, conduit les savants à admettre que la terre a la forme d’un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles et renflé à l’équateur. La forme du méridien n’est donc pas un cercle mais celle d’un ellipsoïde dont le petit axe dirigé suivant la ligne des pôles a environ trois centièmes de moins que le grand axe dirigé suivant le diamètre de l’équateur. Si la terre était rigoureusement sphérique, un arc de méridien joignant deux points de la terre par un nombre déterminé de degrés de latitude aurait partout la même longueur. La mesure d’un arc de méridien doit donc nous renseigner non seulement sur la forme exacte de notre globe, mais encore nous donner les dimensions de celui-ci.
Ces mesures furent entreprises de tout temps.
Ératosthène exécuta la première mesure astronomique de la longueur d’un degré méridien entre Alexandrie et Syène au iiie siècle avant l’ère chrétienne et trouva – en supposant la valeur du stade égale à 158 mètres, chose, dont on n’est pas certain – pour la circonférence de la terre : 250.000 stades, ce qui équivaut en chiffres ronds à 39.500 kilomètres. Deux cents ans plus tard, Posidenius exécuta entre Rhodes et Alexandrie une mesure de degré analogue, mesure qui, fixe la circonférence du globe avec une exactitude allant jusqu’à 1/20e. Au ixe siècle de notre ère les Arabes exécutèrent des mesures de degrés où la circonférence de la sphère ressortit avec une exactitude de 1/25e. Il fallut attendre jusqu’au début du xviie siècle, après la longue période d’obscurantisme religieux et d’anémie intellectuelle qui s’appelle le moyen âge, pour arriver à une nouvelle mesure d’arc en Europe, par Fernel en France. En 1615, Snellius applique pour la première fois la méthode exacte de géodosie dite de « triangulation » en mesurant la longueur d’un arc de méridien entre Alkimaar et Bergen. En 1669, le savant géomètre Picard mesura le côté d’un triangle entre Malvoisière et Amiens et trouva un résultat de 57.060 toises (une toise égale 1 m. 95) pour la longueur d’un degré. Mentionnons, les mesures de degré des astronomes Cassini et Lahire, en 1680 et 1718, qui conduisirent à ce curieux résultat que les longueurs de degrés devaient augmenter du nord au sud, c’est-à-dire des pôles à l’équateur. Deux expéditions célèbres, celle de La Condamine et Bouguer en Amérique du Sud et celle de Maupertuis et Clairaut en Lapenie, qui furent les premières à travailler vraiment d’une façon scientifique, eurent lieu pour connaître la forme exacte de notre terre qu’on commençait à ne plus croire parfaitement sphérique. Les premiers mesurèrent la longueur d’un degré d’arc sur le plateau de Quite dans l’État de l’Équateur et obtinrent pour résultat 56.753 toises ; les seconds trouvèrent sur la glace du golfe de Toméa, par 66 degrés de latitude nord, une étendue de 57.437 toises, c’est-à-dire 684 toises de plus dans le nord que sous l’équateur. Cette mémorable expédition confirma la théorie pressentie par Newton qui voulait que la terre tut un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles et montrait que la longueur d’un degré de méridien augmente à mesure que la latitude géographique s’accroît, par conséquent dans la direction des pôles : Il ne nous est pas possible de donner, même en raccourci, un aperçu des multiples et importantes mesures de degrés effectuées au cours du xviiie et du xixe siècle par les savants les plus éminents pour étudier la véritables figure de la terre. Nous nous contenterons de mentionner la seconde grande mesure de degrés faite en France à la fin du xviiie siècle et qui servit à la réforme du système des poids et mesures (voir système métrique). L’Académie des Sciences chargea les astronomes Méchain et Delambre de mesurer le grand arc de méridien entre Dunkerque et Barcelone ; le résultat de ces travaux établit que le quart du méridien terrestre était égal à 10 millions de mètres ; la précision des mesures actuelles a fait rectifier ce dernier chiffre. Aujourd’hui les travaux nombreux et précis des savants portent à admettre que la terre a la forme d’un géoïde et que « le demi grand axe de l’ellipsoïde terrestre, c’est-à-dire le rayon de l’équateur du globe a pour valeur 6.377.000 mètres ; le demi petit axe, c’est-à-dire la distance d’un des pôles au centre de la terre a pour valeur 6.356.510 mètres. L’aplatissement a pour valeur 1/297°. Ce qui donne pour circonférence du globe : 40.054.000 mètres. La superficie de la terre, est donc de 510 millions de kilomètres carrés et son volume équivaut à 1.083.260 millions de kilomètres cubes. » (D’après Alph. Berget. La vie et la mort du globe. Paris 1927.)
Astronomie : Lunette méridienne : Instrument se composant d’une forte lunette astronomique pourvue d’un réticule à micromètre et mobile autour d’un axe horizontal disposé de façon que la lunette puisse se mouvoir dans le plan du méridien du lieu, qu’elle parcourt dans sa partie visible. La lunette méridienne est toujours accompagnée d’une horloge sidérale et elle sert à fixer la position d’une étoile sur la voûte céleste en faisant connaître les éléments fondamentaux nécessaires pour établir cette position, c’est-à-dire sa déclinaison et son ascension droite, coordonnées astronomiques correspondant aux coordonnées géographiques : latitude et longitude.
Service méridien d’un observatoire : Consiste à observer les astres et les planètes à leur passage au méridien et de comparer les heures et les distances zénithales de ces passages à celles que la théorie prévoit. Son but est de fournir des éléments incessants d’observations et de déterminer aussi exactement que possible la position précise des étoiles qui sont classées dans les catalogues d’étoiles.
Méridienne d’un lieu : Plan déterminé par la verticale d’un lieu et la ligne des pôles. On donne aussi le nom de méridienne à tous les points de la surface du globe qui sont situés dans le plan d’un même méridien, parce que midi arrive au même instant sur tous les points situés dans ce plan.
Géométrie : Méridienne : Section que fait, dans une surface de révolution, un plan passant par l’axe de cette figure.
Faire sa méridienne : Sieste faite vers le milieu du jour dans les pays chauds ; par extension, fauteuil sur lequel on s’étend pour faire sa sieste. – Charles Alexandre.
MÉRITE n. m. (latin meritum, chose méritée). Au sens général le mérite c’est ce qui rend digne d’estime ou de considération, c’est la valeur. Aussi parle-t-on des mérites d’un objet, d’un instrument, d’une plante, d’un animal. Le même terme s’applique aux qualités physiques ou intellectuelles de l’homme ; fréquemment il est question, dans la conversation ou dans les livres, du mérite d’un écrivain, d’un artiste, d’un orateur etc, C’est pour apprécier la valeur et le savoir des jeunes gens que l’Université a établi des examens d’ailleurs très mal compris en général. De même que la vigueur physique peut s’apprécier objectivement, de même le mérite intellectuel semble aisément constatable à l’ensemble des hommes. Il en va autrement lorsqu’il s’agit du mérite moral. Au point de vue moral le mérite suppose un accroissement volontaire de perfection ; c’est une notion connexe à celle de la responsabilité. L’homme qui pratique le bien verrait croître ses mérites ; la pratique du mal au contraire le diminuerait. Ainsi compris le mérite apparaît comme une entité métaphysique invisible pour l’homme et perçue seulement par Dieu et les esprits désincarnés ; en d’autres termes c’est une création imaginaire des prêtres et des philosophes. Mais de théologique cette idée devait devenir positive comme tant d’autres. L. Barbedette a soutenu que le mérite moral était mesurable tout comme les dispositions physiques ou les capacités intellectuelles ; il pense qu’un jour il existera des laboratoires spéciaux pour l’étude et le développement des qualités morales. À l’aide de piqûres, d’instruments, de procédés scientifiques ordinaires, on pourra modifier les tendances, opposer ou faire naître les passions, traiter les dispositions mentales dépendantes à l’heure actuelle dans ce qu’on nomme la morale. Une telle conception heurte trop les idées courantes pour être admise de sitôt. Néanmoins des expériences ont déjà été faites en ce sens ; elles ont donné de bons résultats.
Pour le plus grand nombre des moralistes, le mérite demeure l’entité occulte des théologiens. En obéissant aux prêtres, en leur donnant beaucoup d’argent, le catholique s’imagine ainsi des mérites invisibles, des grâces célestes qui lui vaudront une éternité de bonheur. Mais comme beaucoup veulent une récompense dès ici bas, les gouvernements ont créé des titres, des médailles, des rubans pour les citoyens méritants. Il va sans dire que, par citoyen méritant, l’autorité entend, l’homme servile toujours disposé à obéir aux chefs ou l’esprit rusé qui dupe les autres et les exploite. On anoblissait avant la Révolution ; sous la République, les hommes politiques disposent de kilomètres de ruban rouge, vert ou violet. L’industriel, le financier, le négociant qui surent amasser une fortune, en volant selon le code, finissent en général dignitaires de la Légion d’honneur ; de même l’écrivain respectueux de la tradition et de l’ordre établi. On voit ce qu’il faut entendre par mérite au sens des autorités actuelles, c’est le comble de l’immoralité, le sacrifice de l’indépendance à des intérêts inavouables, la platitude devant les exploiteurs de l’humanité. Presse, écoles, églises, opinion ne reconnaissent et n’honorent naturellement que ce mérite-là.
MESURE n. f. (du latin mensura). Mesurer une grandeur, c’est la comparer à une grandeur de même espèce prise comme unité. Le but primitif, et encore le but principal de cette opération, est de procurer aux hommes les enseignements nécessaires à l’identification des objets dont ils parlent, dont ils font usage ou qu’ils échangent entre eux. Le nombre des qualités soumises à la mesure, la précision exigée de celle-ci, croissent avec le progrès des sociétés.
Du jour où l’homme ne vit plus seulement de chasse et d’élevage, mais cultive la terre, le besoin de mesures de longueur et de superficie se fait sentir. C’est dans la vallée du Nil et dans les contrées comparables comme fertilité que prit naissance la géométrie. Dès que se développa le commerce, d’autres mesures furent indispensables. Selon M. Martin, inspecteur des poids et mesures de Grande-Bretagne, c’est alors qu’il devint indispensable d’avoir une mesure de capacité permettant d’acheter ou de vendre des marchandises, céréales, boissons, etc. La nécessité des mesures de poids ne se fit sentir que beaucoup plus tard avec les progrès de la civilisation, quand les hommes commencèrent à faire des affaires avec les pays voisins, pour les métaux et autres matières qui ne peuvent s’échanger exactement à l’aide de mesures de capacité.
Pour que les unités de mesure pussent fournir en toutes, circonstances les données requises pour la reconnaissance des objets énoncés, il était utile que chacun des contractants les eût à sa disposition. Il est donc naturel que les dimensions du corps humain aient servi de base pour l’établissement des unités de longueur ; leur avantage c’était que chaque homme les possédait sur lui partout où il allait et que, quand il le fallait, la moyenne des mesures prises sur plusieurs individus, donnait l’unité avec assez d’exactitude pour l’époque.
« La mesure principale prise sur le corps humain se prêtait particulièrement à la subdivision. La longueur du pied était presque la sixième partie de la hauteur d’un homme ou de la distance d’une extrémité à l’autre des bras étendus. La distance du coude à l’extrémité des doigts (coudée égyptienne de six palmes) était environ une fois et demie la longueur du pied. La longueur de l’extrémité du pouce était environ la douzième partie du pied, et celle du poing fermé environ le tiers. Chacune de ces mesures pouvait être fixée avec autorité comme mesure étalon et les autres pouvaient s’y référer. »
L’unité de capacité elle-même, équivalente à la pinte en de nombreux pays, fut, sans doute basée sur les besoins du corps humain ; elle représentait, pense-t-on, la quantité de boisson nécessaire à un repas.
Dès que les sociétés furent mieux organisées, les étalons de mesure durent être définis avec plus de précision. Au British Museum, on conserve des poids du temps de Nabuchodonosor, poids portant la mention de garantie de membres du sacerdoce. À Rome, les poids étaient frappés au sceau de l’État.
De nos jours une convention du 20 mai 1875 oblige 28 États qui se sont entendus pour adopter comme unité de longueur une barre métallique dite mètre déposée au Bureau international des poids et mesures, au Pavillon de Breteuil. Chaque pays adhérent en possède une copie et, périodiquement, on vérifie par comparaison avec le prototype que la longueur de celle-ci n’a pas varié. La barre déposée au Bureau de Sèvres, représente, environ, la dix-millionième partie du quart du méridien terrestre. (Voir système métrique.)
Les comparaisons faites jusqu’ici ont montré qu’il était infiniment probable que la longueur de la barre-type n’avait subi, avec le temps, aucune modification. Cependant, comme nos connaissances physiques actuelles jettent quelque doute sur la pérennité de la matière, on a jugé prudent d’adjoindre aux étalons métalliques d’autres susceptibles de contrôler leur invariabilité. « La fixité, dans le temps, de l’unité métrique déjà bien assurée par les remarquables propriétés du platine iridié dont sont faits le prototype international et ses témoins, avait trouvé un premier contrôle dans la détermination du rapport des longueurs d’onde fondamentales au mètre. Le Comité International des Poids et Mesures a voulu, cependant, se prémunir encore contre les possibilités d’une variation ultérieure de ce rapport, et pour cela constituer un troisième terme de comparaison par l’établissement et la détermination d’étalons en quartz cristallisé, substance offrant toutes garanties de stabilité et d’inaltérabilité. » En fait, la longueur dé référence, au lieu d’être un objet matériel serait la longueur d’onde d’une lumière monochromatique, celle de la raie rouge du Cadmium.
Une fois définie l’unité de longueur, on a intérêt à en faire dériver toutes les autres. On constitue ainsi un système de mesures rationnelles, tel que notre système métrique, qui, depuis le développement de la science et de l’industrie, est complété par le système C. G. S. dont les unités sont : une unité de longueur, le centimètre ; une unité de masse, le gramme ; une unité de temps, la seconde.
Signalons que depuis une loi du 2 avril 1919, l’unité de force a été changée. Cette unité, le Sthène, est la force qui, en une seconde, communique à une masse égale à une tonne, un accroissement de vitesse de un mètre par seconde. Comme unité de force tolérée demeure le kilogramme-poids ou kilogramme force, force avec laquelle une masse de un kilogramme est attirée par la terre. Le kilogramme poids est pratiquement égal à 0.98 centisthène.
On dit quelquefois qu’il n’y a science que des choses mesurables. Cela serait vrai de la science parfaite, si elle était possible, mais non de la science qui se fait ; ou, si l’on veut, on doit reconnaître des degrés dans la mesure.
Toutes les grandeurs sont-elles mesurables, comparables a une autre de même espèce prise comme unité ? Nullement. Deux conditions sont indispensables. Pour qu’au nombre exprimant une mesure corresponde un caractère fixe et défini d’une grandeur, il convient que celle-ci soit, au préalable, analysée qualitativement et réduite à la simplicité.
Il faut, comme première condition, que deux corps, objets de mesure équivalents à un troisième par rapport à la propriété étudiée, soient encore équivalents, par rapport à la même propriété, vis-à-vis de tout autre corps. Cela ne se réalise pas pour certaines grandeurs complexes et mal définies. Sous le nom de dureté nous comprenons à la fois la résistance à la rayure et la résistance à la déformation. Si l’on mesure la dureté des différents corps à l’échelle de Mohs (rayures) ou à la bille de Brinell (surface de l’empreinte laissée par une bille d’acier de 10 m/m de diamètre sous 3.000 kg.), le classement n’est pas le même. La dureté, grandeur susceptible de plus et de moins, est sujette à l’appréciation et non à la mesure. Cette simple appréciation est cependant une connaissance scientifiquement indispensable à l’industrie. Au contraire, deux corps qui produisent le même effet sur une balance se comportent de même vis-à-vis d’un peson à ressort. La grandeur poids est mesurable.
Une seconde condition est encore obligatoire : l’additivité. « La juxtaposition de plusieurs corps semblables doit permettre de constituer un système équivalent, par rapport à une propriété donnée, à un autre où cette propriété est plus développée. »
Par exemple une longueur de 22 centimètres peut être constituée par l’adjonction de 22 éléments de un centimètre. La longueur est mesurable. Au contraire une température de 22° ne peut être obtenue par la réunion de 22 corps à un degré. La température n’est pas directement mesurable, au sens strict du mot. On ne peut même pas dire qu’une température est le double ou le triple d’une autre. C’est pour cela, par exemple, que la réfrigération devient de plus en plus coûteuse à mesure qu’on se rapproche du zéro absolu. B. Brunhes disait que la difficulté qu’il y aurait à descendre de 10° à 5° absolus est du même ordre que celle qu’il y aurait à obtenir à l’autre bout de l’échelle une température double (comme chiffre) de la plus haute température obtenue jusqu’ici.
Mais la température est repérable ; on peut en effet la caractériser d’une façon univoque par l’intermédiaire d’une propriété mesurable qui varie dans le même sens ; par exemple la dilatation d’une barre de métal, d’un gaz, d’une colonne de mercure.
Les grandeurs qui satisfont à la deuxième condition sont des extensivités. Celles qui se comportent comme la température sont des intensités.
Nous voyons que notre connaissance des grandeurs comporte des degrés : Appréciation, repérage, mesure. Et tous ces modes de connaissance d’une précision croissante et tous utilisables peuvent être qualifiés de scientifiques. En fait, les sciences les plus complexes, la biologie, la sociologie, la psychologie ne sont pas celles qui nous intéressent le moins et si elles ne sont guère encore accessibles à la mesure mais seulement à l’appréciation ce n’est pas une raison pour les considérer comme restant en marge de la science et pour manifester trop de scepticisme à l’égard des enseignements qu’elles nous offrent aujourd’hui. – G. Goujon.
MESURE — Les hommes se sont toujours efforcés de connaître leur milieu de vie pour s’y adapter et surtout pour l’adapter à leurs besoins.
Ils ont connu ce milieu, grâce il leurs organes des sens ; à leurs oreilles, à leurs yeux, etc. Mais ces organes ne leur ont permis d’avoir que des connaissances imparfaites et fragmentaires. « L’œil, par exemple, ne perçoit pas la dixième partie du spectre lumineux ; s’il pouvait distinguer les radiations émanées de tous les êtres vivants en raison de leur température, il les verrait clairement pendant la nuit. L’être que nous percevons est une forme fictive créée par nos sens. Si nous parvenions a le contempler tel qu’il existe réellement entouré de la vapeur d’eau qu’il exhale, du rayonnement que sa température engendre, ce même être nous apparaîtrait sous l’aspect d’un nuage aux changeants contours. » (Dr Gustave Le Bon.)
Même dans le domaine qui leur est accessible, nos organes des sens nous induisent souvent en erreur ; lorsque nous nous ennuyons le temps nous paraît plus long ; si, avec notre main, nous voulons comparer les poids d’une boîte de carton et d’une balle de plomb, nous risquons fort de nous tromper car les objets plus gros paraissent plus légers que les objets de même poids, mais plus petits, etc.
Il est un premier moyen de nous préserver contre les erreurs dans les rapports que nous font nos organes des sens, c’est d’éduquer ces organes. Par l’exercice nos sens se perfectionnent : « Un marin distingue la forme et la structure d’un navire sur la mer, quand le passager ne voit encore qu’un point trouble et informe. Un Arabe dans le désert distingue un chameau et peut dire à quelle distance il se trouve, alors qu’un Européen ne voit absolument rien. » (Dr E. Laurent.)
Il est d’autres moyens de nous garder contre les erreurs et d’accroître nos connaissances ; ce sont d’abord : le contrôle du rapport d’un organe des sens par le rapport d’un autre organe (ou de plusieurs) : l’œil, par exemple, en nous renseignant sur la nature d’un objet peut nous prémunir contre l’illusion de poids que nous venons de signaler ; la comparaison plus minutieuse grâce au calcul et à l’expérimentation : Jean et Pierre ont chacun un sac de billes, ils voient bien qu’ils en ont autant ou presque autant, en les comptant ils seront plus exactement renseignés ; ces mêmes bambins viennent à l’école en suivant des sentiers et des chemins différents, quel est celui qui a la plus longue distance à parcourir ? Pierre est convaincu que c’est lui, mais Jean fait observer que sur son chemin à lui il y a des arbres, des maisons, une mare, etc. qui attirent l’attention, distraient l’esprit et font paraître plus court le temps passé a parcourir ce chemin comme aussi ce chemin lui-même, enfin nos bambins, pour la même raison, décident de mesurer leur chemin, comme ils ont mesuré le contenu de leurs sacs de billes ; chacun d’eux comptera le nombre de pas qu’il doit faire pour venir à l’école. Ces deux cas suffisent pour nous montrer que la mesure est une opération imaginée par l’homme pour rendre ses comparaisons moins imprécises et moins subjectives.
Mais l’on ne passe pas tout d’un coup de l’imprécision à la précision, de la subjectivité à l’objectivité… Imaginons que les enfants, dont nous parlions tout à l’heure, réalisent leur projet et que Pierre et Jean nous disent le lendemain combien chacun d’eux a fait de pas pour venir à l’école ; si les nombres sont quelque peu rapprochant nous resterons dans le doute, car nous savons que le pas du premier est plus (ou moins) long que celui du second. Nous arriverions à un peu moins d’imprécision si un seul de ces enfants, s’efforçant de marcher d’un pas égal, comptait le nombre de pas qu’il doit faire pour parcourir chacune de ces deux distances, la mesure en ce cas serait ainsi moins subjective que dans le cas précédent. Cette mesure serait pourtant loin d’être précise, il est difficile de marcher d’un pas égal, surtout s’il se trouve un bout de chemin accidenté, pierreux ou creusé d’ornières. En définitive, les mesures naturelles – le pas, le pouce, le pied, la brassée, la poignée, la pincée etc. – suffisantes pour certaines nécessités de la vie pratique et qui, à cause de cela, sont encore utilisées journellement, n’apportent qu’une documentation tout approximative. Et leur précision devient de plus en plus insuffisante à mesure que la civilisation se développe.
Un progrès fut réalisé par l’étalonnage de ces mesures naturelles. Si, pour en revenir à notre exemple, ni Pierre, ni Jean ne peuvent marcher d’un pas exactement égal, ils peuvent convenir de couper une baguette de la longueur du pas de l’un d’eux et de s’en servir d’instrument de mesure. Si nous négligeons les erreurs subjectives résultant d’un emploi plus ou moins attentif et habile de cet instrument, nous pourrons dire que Pierre et Jean vont pouvoir comparer objectivement, grâce à cet instrument de mesure, les distances qu’ils ont à parcourir pour se rendre en classe. Ils pourront même prêter leur baguette à quelques camarades désireux de suivre leur exemple. Si quelques-uns de ces derniers sont pressés, ils pourront encore imaginer de couper d’autres baguettes, chacune de ces baguettes ayant, aussi exactement que possible, la même longueur que la baguette primitive. Celle-ci sera ainsi devenue une baguette étalon qu’on pourra utiliser comme instrument de contrôle pour la confection de baguettes analogues.
Il est possible aussi que, dans un autre lieu, d’autres enfants, plus grands ou plus petits, imaginent d’autres mesures naturelles, qui pourront être les mêmes que celles imaginées par le groupe précédent mais qui pourront aussi être différentes. Ce pourra être, par exemple, non plus la longueur du pas mais celle de l’avant-bras et de la main étendue qui servira de mesure pour les longueurs… Dans ce cas encore les nécessités de la vie groupale amèneront les individus qui veulent se comprendre, œuvrer ensemble ou échanger, à éclairer et régulariser leurs données et leurs comparaisons, bref à étalonner une mesure choisie. La fantaisie de chacun ne peut apporter la rigueur nécessaire aux échanges, il faut qu’un accord intervienne sur une mesure-type et que la convention acceptée devienne d’observation courante. Discipline finalement bienfaisante et qui, si l’on en pénètre intelligemment les vertus, peut être amiable, tacite, libérée de la contrainte d’une codification tyrannique. Mais là encore il apparaît que la vie sociale n’est pas possible sans une certaine restriction de la liberté, sans un certain effort de chaque individu pour se mettre à la portée des autres en adoptant même langage, mêmes mesures, mêmes mœurs, etc.
Imaginons maintenant que deux enfants appartenant à nos deux groupes différents se rencontrent et évaluent des longueurs, l’un en pas, l’autre en coudées ; les nombres qui exprimeront ces longueurs ne permettront pas des comparaisons précises puisqu’ils s’appliqueront à deux unités de mesure différentes et nos deux enfants devront choisir entre ces deux unités de mesure ou en imaginer une troisième.
Pour les mêmes raisons les hommes vivant en société ont, successivement, utilisé des mesures naturelles ; puis créé des étalons de mesure ; enfin – dans un effort pour plus d’objectivité, de simplicité et de logique – recherché un système international de mesures.
Pour faire comprendre un autre aspect du progrès dans le choix des unités de mesure nous pouvons prendre à nouveau des enfants en exemple. Il suffit de les observer dans leurs jeux. Comptent-ils toujours les longueurs, qu’ils doivent mesurer dans certains jeux (billes, bouchons, etc.), en pas ? Ceci devient impossible lorsque les longueurs à comparer sont inférieures à un pas, il leur faut alors imaginer d’autres unités de mesure : pied, pouce, etc., qui leur permettent de mesurer avec assez de précision et de rapidité. De même la ménagère qui fait sa soupe n’emploie pas la même mesure naturelle pour mesurer le poivre (pincée) que celle qu’elle utilise pour la mesure du sel (poignée). Pour satisfaire tout à la fois leurs besoins de précision et de rapidité dans la mesure, les hommes vivant en société emploient, suivant les cas, des unités différentes de mesure dont les unes sont dites unités principales et dont les autres sont des unités secondaires : pour les longueurs l’unité principale est le mètre mais si je mesure la largeur d’une planche, par exemple, j’exprimerai le plus souvent cette dimension en centimètres ; le centimètre est l’une des unités secondaires de longueur.
Ainsi ce sont les besoins de la vie pratique, surtout sociale qui sont à l’origine de la mesure et qui ont tout d’abord, et avant toutes autres causes, provoqué un perfectionnement des moyens de mesure. Mais la mesure a acquis aussi, peu à peu, une importance considérable à l’égard des recherches scientifiques. « Les rapports entre les phénomènes, rapports dont la découverte est l’objet même de la science, sont le plus souvent tellement marqués par divers facteurs connexes, qu’il est nécessaire, pour les mettre en lumière, d’une mesure délicate. Ce n’est qu’en mesurant deux phénomènes dans des circonstances différentes qu’on peut établir si leurs variations sont concomitantes, et par conséquent s’il existe entre eux une certaine relation. » (Claparède). « La mesure n’est au fond qu’un artifice employé par l’intelligence humaine pour s’aider dans l’analyse délicate des phénomènes complexes. » (Decroly). On ne mesure pas pour le plaisir de mesurer mais pour analyser, pour voir s’il y a, ou s’il n’y a pas, une relation – et laquelle –entre deux phénomènes. « Il n’y a pas de science sans mesure. » (Ch. Féré). Comme Goujon, nous croyons que cette affirmation est un peu trop catégorique. Certes, pour être réellement mesurable, les grandeurs doivent obéir aux lois d’équivalence et d’additivité et il est des phénomènes, ceux de conscience par exemple, qui sont des qualités, c’est-à-dire des valeurs plutôt que des grandeurs, qui ne peuvent se réduire à un continu homogène et n’ont par conséquent rien de quantitatif. Les sciences les plus complexes doivent se contenter du repérage, indiqué par Goujon ; de la sériation, ou mise en ordre d’un groupe de grandeurs discontinues et des mesures indirectes. Ainsi que l’indique Goujon la température n’est pas mesurable mais repérable bien qu’une loi sur les unités de mesure (2 avril 1919) veuille définir l’unité de mesure des températures.
Les savants ne sont pas d’accord en ce qui concerne la mesure du temps. « Le temps psychologique n’est pas continu parce que les instants qui le composent sont formés de phénomènes perçus l’un après l’autre. » (Euriques). Cependant « nous avons la sensation du rythme de certaines séries acoustiques que nous appelons isochrones ; les différentes séries de sons, que nous percevons comme isochrones, nous fournissent des mesures de temps comparables entre-elles, et nous amènent ainsi, bien qu’avec une exactitude restreinte à une même appréciation des durées égales, et, par conséquent, à, une même mesure naturelle du temps. » (Euriques). L’accord des horloges entre elles – des horloges de précision s’entend – et avec les observations astronomiques, nous paraît prouver la possibilité de la mesure du temps physique. Le langage populaire ne s’embarrasse pas de toutes ces difficultés et de toutes ces distinctions ; le commerçant parle du « poids » de ses marchandises alors que pour le savant il s’agit, en réalité, de leur « masse ». Le poids d’un corps est une grandeur qui varie selon la latitude et l’altitude ce mot « poids » doit éveiller en nous l’idée de l’attraction des corps par la terre. La masse ou quantité de matière des corps est par contre une quantité invariable qui ne dépend ni de l’altitude, ni de la latitude. Des savants eux-mêmes emploient le mot mesure lorsqu’il s’agit en réalité d’une sériation, d’une comparaison aussi objective que possible, c’est ainsi que l’on parle de la mesure de l’attention, de la mémoire, de l’intelligence, etc.
« Dans les mesures proprement dites, le choix arbitraire de l’unité est en principe indifférent, mais il est indispensable d’arriver à une convention uniforme, afin que les chiffres donnés par différents expérimentateurs soient comparables, sinon la confusion serait extrême. Cela est cependant difficile pour deux raisons. En premier lieu, il ne convient pas d’employer la même unité pour des grandeurs très différentes de la même propriété, sans quoi les mesures seraient exprimées par des nombres ayant trop de chiffres figuratifs. Pour éviter ce premier inconvénient, on peut prendre des unités différant dans le rapport de 1 à 1000 ; de cette façon les confusions ne sont guère possibles. On emploie ainsi pour les longueurs le kilomètre, le mètre et le micron ; pour la quantité de chaleur la grande et la petite calorie.
Une seconde difficulté résulte de traditions anciennes difficiles à déraciner.
Jusqu’à la Révolution on employa, en France, des mesures qui présentaient deux inconvénients principaux : 1° une confusion extrême : un même mot pouvait désigner plusieurs unités de valeurs différentes ; 2° les subdivisions des différentes unités n’étaient pas en rapport avec notre système de numération qui était et est encore décimal. En 1790, la Constituante adopta un projet d’unification des unités de mesure. De 1792 à 1799 un arc du méridien de Paris, entre Dunkerque et Barcelone fut mesuré, on en déduisit la longueur totale du méridien et la quarante millionième partie de cette longueur fut prise pour unité de longueur et reçut le nom de mètre. Le mètre servit de base à toutes les autres unités du nouveau système dit système métrique et ce système dit aussi système des poids et mesures – à tort car les poids sont des mesures, comme les longueurs, les surfaces, etc. – employa le système décimal pour les multiples et les sous multiples.
Ce n’était pas là le terme du progrès. En 1881 un congrès d’électriciens adopta le système C. G. S. ayant pour bases le centimètre, le gramme et la seconde. Un troisième système connu sous le nom de système M. K. S. prend comme unités de mesures le mètre, le kilogramme et la seconde.
Enfin une loi sur les unités de mesure, du 2 avril 1919 (Journal officiel, 4 avril 1919) impose un nouveau système, dit système M. T. S., parce qu’il a comme unités fondamentales le mètre, pour les longueurs ; la tonne, pour les masses et la seconde, pour le temps. Cette loi était justifiée par les progrès scientifiques et industriels ; l’énergie électrique, par exemple, est aujourd’hui de vente courante et exige l’emploi d’unités spéciales qu’il était utile de fixer comme l’étaient les unités de longueur, de surface, de volume, etc. De cette loi qui n’apportait nul changement à notre système monétaire, nous extrayons le tableau des unités principales :
Longueur. L’unité principale de longueur est le mètre. L’étalon pour les mesures de longueur est le mètre, longueur définie à la température de 0 degré par le prototype international en platine iridié qui a été sanctionné par la conférence générale des poids et mesures, tenue à Paris en 1889, et qui est déposé au pavillon de Breteuil, à Sèvres.
L’unité de longueur, de laquelle seront déduites les unités de la mécanique industrielle, est le mètre.
Masse. L’unité principale de masse est le kilogramme. L’étalon pour les mesures de masse est le kilogramme.
L’unité de masse, de laquelle seront déduites les unités de la mécanique industrielle est la tonne, qui vaut 1000 kilos.
Temps. L’unité principale de temps est la seconde. La seconde est la fraction 1/86400 du jour solaire moyen.
L’unité de temps, de laquelle seront déduites les unités de la mécanique industrielle est la seconde.
Électricité. Les unités principales électriques sont l’ohm, unité de résistance, et l’ampère, unité d’intensité de courant, conformément aux résolutions de la conférence des unités électriques, tenue à Londres en 1908.
L’étalon pour les mesures de résistance est l’ohm international qui est la résistance offerte à un courant électrique invariable, par une colonne de mercure à la température de la glace fondante, d’une masse de 14, 4521 grammes, d’une section constante et d’une longueur de 106.300 centimètres.
L’ampère international est le courant électrique invariable qui, en passant à travers une solution de nitrate d’argent dans l’eau, dépose de l’argent en proportion de 0,00111800 grammes par seconde.
Température. Les températures sont exprimées en degrés centésimaux.
Le degré centésimal est la variation de température qui produit la centième partie de l’accroissement de pression que subit une masse d’un gaz parfait quand, le volume étant constant, la température passe du point 0° (température de la glace fondante) au point 100° (température d’ébullition de l’eau), tels que ces deux points ont été définis par la conférence générale des poids et mesures de 1889 et par celle de 1913.
Intensité lumineuse. L’unité principale d’intensité lumineuse est la bougie décimale dont la valeur est le vingtième de l’étalon Violle.
L’étalon pour les mesures d’intensité lumineuse est l’étalon Violle, source lumineuse constituée par une aire égale à celle d’un carré d’un centimètre de côté prise à la surface d’un bain de platine rayonnant normalement à la température de solidification, conformément aux décisions de la conférence internationale des électriciens, tenue à Paris en 1884 et du congrès international des électriciens, tenu à Paris en 1889. »
Nous avons cité intégralement ce tableau pour en tirer quelques remarques. D’abord la loi a suivi, avec assez de retard même, des progrès dans la mesure résultant de progrès industriels et commerciaux comme aussi des accords scientifiques internationaux réalisés par des savants. La loi sur les unités de mesure a sanctionné des mesures adoptées, tout comme la loi sur les syndicats ouvriers a sanctionné des libertés conquises par la classe ouvrière.
Une deuxième remarque s’impose. Alors qu’on s’est efforce et qu’on s’efforce encore de montrer aux écoliers la logique du système métrique en faisant dériver les unités des mesures de surfaces, de volumes, de capacités, de poids, et des monnaies, d’une seule unité principale, le mètre, dont la longueur serait elle-même déterminée avec précision par notre globe, le tableau précédent ne laisse pas apparaître un tel enchaînement. C’est que cet enchaînement était en grande partie artificiel et que ses données étaient légèrement inexactes : un décimètre cube d’eau, aux conditions indiquées ordinairement ne pèse pas tout à fait un kilogramme ; la différence est inférieure à un trentième de gramme mais n’en existe pas moins. Ainsi les unités des mesures de poids, de masse, etc., sont indépendantes de l’unité des mesures de longueur. Ce n’est pas tout. En mesurant le méridien on a commis des erreurs, de nouvelles mesures seraient sans doute plus précises ; mais cependant on ne pourrait pas affirmer trouver la mesure de ce méridien à un dix millionième près ; or, on peut construire actuellement des mètres qui ne différeront du mètre déposé au pavillon de Breteuil que d’une quantité inférieure à un dix-millionième de la longueur de ce dernier et cette construction peut être faite en bien moins de temps qu’il n’en faudrait pour recommencer la mesure d’une fraction suffisante du méridien de Paris. La définition du mètre par une barre type est donc plus précise. L’unité de mesure initiale ne peut qu’être arbitraire et ceci est sans importance, l’essentiel est que cette unité (le mètre pour les longueurs) « puisse être réalisée par des types comparables entre-eux et dont chacun reste comparable à lui-même ».
Un autre gros avantage de nos systèmes actuels, c’est que les multiples et sous-multiples des unités principales suivent la méthode décimale – ce qui n’est vrai que parce que notre système de numération est décimal – les multiples de l’unité portent les noms de l’unité précédés des préfixes : déca (da, en abrégé) qui veut dire dix ; hecto (h) = 100 ; kilo (k) = 1.000 ; myria (ma) = 10.000 ; hectokilog (hk) = 100.000 ; méga (rn) = 1.000.000. Les sous-multiples portent les préfixes : déci (d) = 0,1 ; centi (c) = 0,01 ; milli (m) = 0.001 ; décimilli (dm) = 0,0001 ; centimilli (cm) = 0,00001 ; micro = 0,000,001.
Cette multiplicité des multiples et des sous-multiples s’explique par le perfectionnement de nos appareils et de nos méthodes de mesure. Pour des mesures qui diffèrent tellement, nous employons des appareils différents ; par exemple, pour les longueurs le fil d’Invar sert à mesurer le kilomètre, le palmer est employé pour mesurer le millimètre et on mesure les microns avec l’appareil à franges de Fizeau.
Les méthodes de mesure peuvent être divisées en deux catégories : les mesures directes qui sont celles dans lesquelles on applique directement la définition de la mesure, c’est-à-dire dans lesquelles on recherche le nombre de corps unité qu’il faut juxtaposer pour constituer un système équivalent à la grandeur étudiée ; les mesures indirectes sont celles qui ne satisfont pas à cette condition. Nous faisons directement la mesure d’une longueur ; nous faisons une mesure indirecte lorsque nous calculons une surface après avoir mesure ses dimensions. Il est des mesures plus indirectes encore « consistant à ramener la mesure d’une grandeur à celle d’une autre qui soit une fonction déterminée de la première, c’est-à-dire qui lui soit rattachée par une loi dont nous connaissions la formule exacte. Parfois même, on est obligé de superposer l’intervention de plusieurs lois ».
La mesure se compose ainsi souvent de deux opérations : l’une physique, expérimentale, accompagnée de dénombrement ; l’autre qui est un calcul, l’application d’une ou de plusieurs formules. Ces deux opérations entraînent des erreurs que l’on s’efforce de rendre aussi minimes que possible, au moyen de procédés opératoires et de calculs, souvent fort compliqués et que nous ne pouvons exposer ici.
En pédagogie l’emploi de la mesure – qui est plutôt une sériation – a surtout pour but de parvenir à une appréciation moins subjective du rendement scolaire et de la valeur des procédés didactiques. L’emploi des tests (voir ce mot) est cependant encore loin d’être généralisé bien que les examens actuels soulèvent depuis longtemps des critiques nombreuses. Nous sommes encore éloignés de ce que Claparède a appelé « l’école sur mesure » (voir au mot : École). La plupart des ouvrages qui traitent de ces sujets s’adressent à des spécialistes de la pédagogie et sont ignorés de la grasse masse des instituteurs. J’en signalerai quelques-uns à la fin de cette étude ne pouvant m’attarder sur un sujet ardu qui n’intéresserait que peu de lecteurs de l’Encyclopédie.
Je serai presque aussi bref en ce qui concerne l’emploi de la mesure par l’enfant. Actuellement à l’école primaire quelques défauts sont à signaler.
D’abord on ne mesure pas assez. Les enfants font trop de calculs sur les longueurs, les surfaces, etc., sans opérer de mesures effectives.
On veut, en ce faisant, aller vite et éviter toute perte de temps ; en réalité, on enseigne des notions qui sont mal assimilées et on ne forme pas l’esprit. Pour former l’esprit il faut être moins pressé et, sans vouloir faire passer les enfants par toutes les étapes du progrès, il est bon de procéder à une récapitulation abrégée. Il est utile que les enfants se rendent compte, en les employant, de l’inconvénient des mesures naturelles, même étalonnées, et avant de leur faire calculer des surfaces, il est utile de leur en faire mesurer (avec un centimètre carré en papier pris comme unité de mesure, par exemple).
Enfin il faut éviter d’enseigner des erreurs (nous en avons signalé quelques-unes au cours de cet article) et s’efforcer de bien faire comprendre quels sont les avantages principaux de notre système actuel de mesures. – E. Delaunay.
Bibliographie. — Sur la mesure en général, nous conseillons de lire : H. Le Chatelier : Science et Industrie ; Ch. Guillaume : Initiation à la mécanique.
Sur l’emploi de la mesure en psychologie et en pédagogie : Dumas : Traité de psychologie (1er vol.) ; Claparède : Psychologie de l’Enfant et pédagogie expérimentale ; Claparède : Comment diagnostiquer les aptitudes chez les écoliers ; Pressey : Initiation à la méthode des tests ; Deçroly-Buysse : Introduction à la pédagogie quantitative ; Binet : Les idées modernes sur les enfants ; Simon : Pédagogie expérimentale ; {{Mlle Rémy : Un essai d’enseignement sur mesure ; J. Gal : Des faits à l’idée. – E. D.
MÉTALLURGIE n. f. (et MÉTAUX) (du grec métallon : métal et ergon : ouvrage). Les métaux, à l’exception de quelques-uns tels que l’or, l’argent, le platine, ne se trouvent pas dans la nature à l’état natif ou pur. Ils se rencontrent à l’état de combinaison avec des agents minéralisateurs. Ces composés naturels se nomment minerais. L’art d’extraire le métal du minerai et de le rendre propre aux multiples usages auxquels il est destiné prend le nom de métallurgie.
Technique. ‒ On emploie actuellement deux traitements pour extraire les métaux : 1° traitement chimique, par voie sèche ou par voie humide ; 2° traitement électrique.
Le traitement chimique est de beaucoup le plus utilisé. Comme il est le plus anciennement connu, on est arrivé, par des améliorations successives, à le doter d’un outillage considérable parfaitement au point. Il a, d’autre part, l’avantage d’être le plus économique.
Le traitement électrique n’est pratiqué que dans les régions où le courant électrique coûte très bon marché, et pour certains métaux seulement. Mais quel que soit le traitement du minerai, chimique ou électrique, le métal fourni par la première opération – sauf pour la fonte grise – n’est jamais pur. Pour l’affiner on lui fait subir un ou plusieurs autres traitements, chimiques ou électriques, qui différent avec la nature du métal.
Le fer. – La métallurgie du fer (sidérurgie) est, de toutes, la plus importante étant donné qu’on utilise ce métal dans toutes les industries, dans des proportions variables mais toujours considérables.
La chimie indique que le fer est un corps simple, mais pratiquement, dans l’industrie, cette appellation est étendue aux métaux combinés dont le fer est l’élément essentiel. La combinaison, en proportions plus ou moins grandes, du carbone, du silicium, du phosphore, du soufre, du manganèse, du nickel, de l’arsenic, de l’antimoine, du chrome, etc… avec le fer en modifie les propriétés et donne naissance à des métaux absolument différents, classés dans deux groupes principaux : 1° les fontes ; 2° les fers et les aciers.
Les métaux renfermant des corps étrangers au fer dans des proportions assez fortes (2,5 p. 100 et plus) sont classés dans le premier groupe ; Ceux qui contiennent des proportions infimes de corps étrangers au fer, appartiennent au second groupe. Leurs propriétés sont totalement différentes.
La fonte se liquéfie à basse température sans passer par un état intermédiaire entre l’état solide et l’état liquide. Son point de fusion est d’environ 1200°. Elle n’est pas malléable, même à chaud, si bien que lorsqu’on veut modifier la forme d’une pièce en fonte il est indispensable de la faire fondre et de la couler dans un moule de forme appropriée à l’usage désiré.
À l’inverse de la fonte, les fers et les aciers connaissent un état intermédiaire entre l’état solide et l’état liquide. Lorsqu’on les chauffe, ils passent, bien avant d’atteindre leur point de fusion, à l’état pâteux où ils deviennent malléables et peuvent changer de forme sous un effort mécanique. Le point de fusion des fers et des aciers croît en proportion de la pureté du métal mais n’est jamais inférieur à 1500°.
Ces deux classes principales se subdivisent à leur tour en catégories ou spécialités. La première, celle des fontes, en : fonte grise et fonte banche ; la seconde, celle des fers et aciers, en : fers soudés et aciers fondus.
Fonte grise. – La fonte grise est appelée ainsi à cause de sa couleur qui varie du gris clair au gris foncé. Elle est particulièrement employée pour les pièces moulées de mécanique à cause de sa très grande fluidité lorsqu’elle est en fusion (1200°) ; pour la construction de certains appareils nécessaires à l’industrie chimique à cause de sa résistance (supérieure à celle du fer et de l’acier) aux agents chimiques ; à la construction des masses polaires de dynamos en raison de sa possession d’une certaine force coercitive. Sa teneur en carbone combiné est relativement faible (0,5 à 2 p. 100) s’étant séparé au refroidissement pour se former en graphite (1,3 à 3,7 p. 100). Elle contient également du silicium dans les proportions de 2 à 4 p. 100. Sa densité varie entre 6,8 et 7.
Fonte blanche. – De couleur blanc d’argent, cette fonte est lourde (densité 7,5 à 7,7) cassante et dure. Elle est impropre à l’usinage mécanique et sert presque exclusivement à la fabrication du fer et de l’acier. Son point de fusion est d’environ 1100°. Sa teneur en carbone combiné est de 2 à 3 p. 100 et en graphite de 0, 2 à 0,5 p. 100.
Fers soudés. – On comprend sous cette appellation les fers qui prennent naissance à l’état pâteux et ne sont pas totalement expurgés de leurs scories. Ils sont constitués par des grains formés isolément et soudés ensemble. Les fers soudés sont peu résistants et ne prennent pas la trempe. Leur teneur en carbone est de moins de 0, 5 p. 100.
Aciers fondus. – À la différence des fers soudés, les aciers fondus prennent naissance à l’état liquide et sont débarrassés de la totalité de leurs scories. Ils sont homogènes et très résistants, ils prennent la trempe. Leur teneur en carbone est de au moins 0, 5 p. 100. Les fers et les aciers fondus se substituent de plus en plus aux fers soudés.
Indépendamment de ces deux catégories principales, il y a les fontes spéciales obtenues par alliages telles que les ferro-siliciums (fer et silicium) les ferro-manganèses (fer et manganèse), les ferro-chromes (fer et chrome), les ferro-tungstènes (fer et acide tungstique), les ferro-nickels (fer et nickel), les ferro-molybdènes (fer et acide molybdène), les ferro-vanadiums (fer et oxyde de vanadium), les ferro-aluminium (rognures de fer et aluminium). Ces alliages servent presque exclusivement à la fabrication de l’acier dans lequel ils sont en combinaison dans des proportions déterminées, lui donnant ainsi des propriétés spéciales très intéressantes. Ces combinaisons de fontes spéciales donnent naissance à toute une gamme d’aciers fondus spéciaux. Lorsqu’on ajoute à l’acier un seul élément nouveau, il est dit ternaire ; lorsqu’on y ajouté deux éléments, il est dit quaternaire. Ainsi le ferro-nickel (ternaire), combiné avec l’acier augmente la résistance de celui-ci sans en augmenter la fragilité. La présence simultanée dé ferro-tungstène et de ferro-chrome dans l’acier (quaternaire) permet de le porter au rouge sans lui faire perdre de sa dureté ni de sa résistance ; cette propriété le recommande pour l’exécution de travaux où le frottement échauffe l’outil, soit par la vitesse, soit par la dureté. Cet acier quaternaire est appelé ordinairement acier à coupe rapide.
Le haut-fourneau. – Le fer est très répandu sur notre globe à l’état d’oxydes et de carbonates. L’extraction du métal s’obtient par la réduction de l’oxyde de fer par l’oxyde de carbone produit au moyen du coke dans le haut-fourneau. Le coke étant employé comme agent réducteur constitue donc une matière première dans la métallurgie du fer.
Comme nous l’avons dit plus haut on obtient pas le fer immédiatement après le premier traitement. La réduction du minerai de fer en haut-fourneau (traitement chimique) donne la fonte, produit intermédiaire entre le minerai et le fer.
L’oxyde de fer à réduire n’est jamais pur, il est toujours mêlé de matières argileuses (silicate d’aluminium impur), siliceuses ou calcaires selon la nature du gite et qui constituent ce qu’on nomme la gangue. Comme ces matières qu’il faut séparer du fer (oxyde de fer réduit) sont non-réductibles, la séparation ne peut s’opérer qu’en les transformant en substances fusibles susceptibles de s’écarter du métal par leur différence de densité. À cet effet, on ajoute au minerai les éléments qui manquent à sa gangue pour former des silicates plus fusibles (silicates d’aluminium et de calcium). La matière ajoutée prend le nom de fondant ; c’est l’argile pour les minerais calcaires et le calcaire pour les minerais argileux. Le mélange du minerai de fer et du fondant se nomme lit de fusion, et la gangue ainsi fondue s’appelle laitier.
Le haut-fourneau est un grand four vertical formé par deux troncs de cône réunis par leur base et formant une cuve de 15 à 30 mètres de hauteur selon l’importance de la production, et d’un petit cylindre placé à la partie inférieure : le creuset. L’ouverture dû sommet s’appelle gueulard, elle porte une trémie assurant l’ouverture et la fermeture du haut-fourneau et par laquelle sont introduits le coke, le minerai et le fondant ; Le tronc de cône supérieur le plus grand, constitue la cuve proprement dite ; le tronc de cône inférieur forme les étalages. Les cônes sont formés de deux parois entre lesquelles on place des fragments de briques afin de permettre la libre dilatation de la cuve. La paroi inférieure est faite en briques très réfractaires, la paroi extérieure est construite en maçonnerie légère et armée de cercles de fer à l’extérieur.
Lorsque le haut-fourneau est chaud (24 heures après l’allumage) on introduit par le gueulard, en couches successives, le coke et le minerai (celui-ci mêlé de fondant), puis on envoie de l’air chaud (800° environ sous une pression de 25 centimètres de mercure) par les tuyères qui débouchent immédiatement sous les étalages, dans l’ouvrage. Cet air chaud qui réagit sur le charbon au rouge en le portant aux environs de 2000° forme le gaz carbonique. Ce gaz rencontre bientôt du carbone en excès qui le ramène à l’état d’oxyde de carbone. Lequel oxyde traversant la couche de minerai le réduit tout en se transformant partiellement en gaz carbonique ; gaz carbonique qui rencontre de nouveau, en traversant la couche de charbon supérieure, un excès de carbone qui le ramène à l’état d’oxyde. Ces transformations successives du gaz carbonique en oxyde et de l’oxyde en gaz s’opèrent de couches en couches jusqu’à la hauteur du gueulard où les gaz constitués par un mélange d’azote, d’anhydride carbonique et d’oxyde de carbone sortent à une température d’environ 400° pour se rendre dans les appareils de récupération. Cela constitue la marche ascendante des gaz.
Les matières solides : minerai, fondants, coke, qui sont chargées de temps à autre, dessèchent dans la partie supérieure du haut-fourneau. Dans la partie inférieure de la cuve et au ventre s’effectue la réduction de l’oxyde de fer par l’oxyde de carbone. Dans les étalages où la température varie entre 1.600° et 1.700° le fer se combine au carbone en excès et donne la fonte, alors que le laitier se forme par la combinaison de la silice, de l’alumine et de la chaux. Le laitier, étant fusible à la température où l’on opère, descend dans le creuset avec la fonte à l’état de fusion et, plus léger que cette dernière, il surnage. Comme deux trous sont ménagés, l’un au fond du creuset, l’autre à un niveau plus élevé, il suffit de les délivrer de leur bouchon d’argile pour que la fonte s’échappe par le premier et les scories, plus légères, par le second. Cela constitue la marche descendante des matières solides.
Par ce traitement au haut-fourneau on obtient la fonte blanche et les fontes spéciales destinées, après affinage, à donner les fers et les aciers et la fonte grise de moulage. La nature de la fonte obtenue dépend essentiellement : de la composition chimique du minerai employé ; du lit de fusion ; de la température qui règne dans la zone de fusion et de la vitesse de refroidissement pendant la solidification.
L’affinage a pour but d’éliminer la plus grande partie des corps étrangers que nous avons signalés plus haut et qui se trouvent dans la fonte en combinaison avec le fer. Il repose sur l’oxydation de ces corps par l’oxygène de l’air ou par les oxydes de fer, les impuretés étant plus oxydables que le fer. Ce traitement s’effectue selon différents procédés : le four Martin-Siemens, le convertisseur Bessemer et le traitement basique de Thomas et Gilchrist. Cet article est déjà trop technique pour que nous nous permettions de décrire chacun de ces procédés. Il nous suffira de signaler que l’amélioration qu’apportèrent au convertisseur Bessemer les anglais Thomas et Gilchrist en 1875, aboutissant à l’élimination du phosphore, a permis l’utilisation du minerai phosphoreux jusqu’alors inutilisable. Pour obtenir les aciers spéciaux on ajoute, dans des proportions déterminées, les éléments indispensables à la combinaison désirée.
Cuivre. – Le cuivre est, après l’argent, le meilleur métal conducteur de chaleur et d’électricité. Comme il est moins rare que l’argent, partant meilleur marché, on l’emploie chaque fois qu’on a besoin d’un bon conducteur calorifique ou électrique. Aussi est-il fait une grande consommation de cuivre, dans les industries électriques, la fabrication des chaudières, d’alambics, d’appareils de distillerie, de raffinerie, etc…
On rencontre le cuivre dans la nature, à l’état d’oxyde, de carbonate, mais surtout de sulfure. Le cuivre natif, très peu oxydé, est simplement soumis à la fusion dans un four à réverbère. À l’état d’oxyde le minerai est réduit par le coke en présence d’un fondant.
La métallurgie des minerais sulfurés est, pratiquement, plus compliquée. Voici quel en est le principe : le minerai est soumis successivement à des grillages et à des fusions répétés jusqu’à l’obtention d’un cuivre impur. Au cours des grillages, le soufre, l’arsenic, l’antimoine se trouvent partiellement brûlés. Le gaz qui se dégage pendant ces opérations est transformé ordinairement en acide sulfurique. Dans la fusion on ajoute au minerai grillé des produits siliceux dont le rôle consiste à se combiner à l’oxyde de fer, qu’il contient en faible proportion, pour former des silicates fusibles. La masse fondue se sépare en deux parties : une scorie formée par les silicates et de plus faible densité et la matte de sulfure cuivreux. Cette matte subit de nouvelles fusions jusqu’à l’obtention d’un cuivre noir qui est ensuite affiné ou purifié soit par électrolyse, soit par une nouvelle fusion.
Le cuivre pur est de couleur rouge ; son point de fusion est de 1085° ; à 2100° il bout ; sa densité est de 8.85. À l’air humide il se recouvre d’hydrocarbonate de cuivre appelé communément vert-de-gris. Après le fer, la fonte et l’acier, le cuivre est le métal le plus employé soit à l’état pur, soit en alliages. Les principaux alliages de cuivre sont les bronzes (cuivre et étain) et les laitons (cuivre et zinc).
Pour les autres principaux métaux qui viennent, par leur importance dans la vie industrielle, après le fer, la fonte, l’acier et le cuivre, nous nous bornerons à une simple énumération accompagnée de leurs propriétés essentielles.
Le Plomb. Le plomb est un métal gris bleuâtre, mou, très malléable, ductile. Il fond à 327° et bout à 1250°. Sa densité est de 11,2. L’Étain. L’étain est blanc d’argent avec reflet bleuâtre, c’est le plus fusible des métaux (point de fusion 232°). Son point d’ébullition est d’environ 2.170° et sa densité 7,22. Le Zinc. Le zinc est un métal d’un blanc bleuâtre qui fond à 412° ; sa densité est de 6,8. L’Aluminium. Métal blanc légèrement bleuté, fond à 650°. C’est le métal usuel le plus léger (densité 2,5). Il est ductile et malléable. Le Mercure. Liquide blanc et très brillant, il est l’un des métaux les plus lourds (densité 13, 51). Il se solidifie à -39°5 et bout à + 357°. Le Platine. Le platine est blanc lorsqu’il est aggloméré et noir lorsqu’il est en poudre. C’est le métal le plus lourd (densité 21,5), son point de fusion se situe aux environs de 1780°. Étant inoxydable et inattaquable par les acides il est très employé dans la chimie et la physique. L’Or. À l’état pur, métal jaune clair, il est mou et le plus ductile et malléable de tous les métaux. Sa densité est de 19,5. Il fond à 1065° et bout à 2800°. Comme le platine il est inoxydable. L’Argent. Métal d’aspect blanc éclatant qu’il doit à son grand pouvoir réfléchissant ; sa couleur véritable est jaune. Sa densité est de 10,5. Après l’or, il est le plus malléable et le plus ductile des métaux. Son point de fusion est de 962° et d’ébullition 1850°.
Alors que les minerais, et particulièrement le minerai de fer, sont répandus dans toutes les parties du globe, très peu de pays possèdent une métallurgie importante. Cela tient à deux facteurs : l’absence de houille en quantité suffisante et les difficultés d’accession pour l’exploitation.
Comme nous l’avons remarqué dans le chapitre précédent, la métallurgie emploie comme matière première non seulement le minerai, mais aussi le charbon. D’où la nécessité, pour produire les métaux dans de bonnes conditions, d’avoir abondamment dans une même région et la houille et le minerai. Comme cette condition n’est pas toujours réalisée par la nature, la métallurgie s’est développée surtout dans les grands bassins houillers et à proximité des grandes voies maritimes ou fluviales, le minerai allant à la rencontre de la houille parce que de moindre valeur. Il arrive même quelquefois que les hauts-fourneaux, les forges et les aciéries s’établissent dans des régions dépourvues de houille et de minerai, au voisinage de ports situés sur les grandes voies maritimes. La houille et le minerai matières encombrantes et de valeur relativement faible, ne sont transportés dans des conditions avantageuses et en grosses quantités que par voie d’eau, le transport par voie ferrée, outre qu’il est encombrant, est trop onéreux.
Il n’est guère que les États-Unis qui possèdent dans leur sous-sol la houille et les minerais nécessaires à leur métallurgie gigantesque. Les autres pays qui ont une métallurgie importante sont obligés d’importer soit la houille, soit le minerai qui leur manque en échange de l’une ou de l’autre de ces matières qu’ils ont en excès. C’est le cas pour l’Angleterre, l’Allemagne, la France, la Belgique. Aussi la métallurgie de ces pays s’est-elle établie auprès des grandes voies maritimes ou fluviales comme nous le verrons plus loin.
Nous avons déjà dit que le fer est le métal le plus usité à travers le monde. En 1925, la production mondiale de minerai de fer a été de 150 millions de tonnes, dans laquelle la part des États-Unis s’est élevée à 63 millions de tonnes, soit 42 %. Sur cette part il n’a été pour ainsi dire rien exporté. La métallurgie indigène fut tout juste approvisionnée par cette masse énorme de mineral.
La situation géographique des États-Unis et la disposition naturelle des richesses de leur sous-sol sont, peut-être plus encore pour la métallurgie que pour les autres industries, véritablement exceptionnelles. Les grands gîtes métallifères de Vermillon, de Mésabi, de Cuyana, dans le Minnesota, sont à proximité du Grand Lac Supérieur, comme d’ailleurs les gisements de Gogebic, de Marquette et de Ménominee, dans le Wisconsin, alors que les grands bassins houillers, qui s’étendent en une large bande ininterrompue depuis l’État de New-York jusqu’à celui de Tennessee, se trouvent à l’autre extrémité des Grands Lacs. C’est sur cette bande de 500 000 kilomètres carrés que s’est installée pour une grosse part la métallurgie américaine.
Le minerai du Minnesota vient se concentrer dans les ports de Two Harbourg, Supérieur City et, surtout, de Duluth aménagés spécialement pour le recevoir. D’autres ports également agencés à cet effet tels que ceux d’Asholand et de Marquette reçoivent le minerai du Wisconsin.
Les lacs américains n’ont aucune analogie avec ceux que nous connaissons en Europe ; ce sont de véritables mers intérieures dont la profondeur a permis aux États-Unis de construire toute une flotte de cargos de gros tonnage affectée spécialement au transport du minerai ou de la houille. Ainsi les minerais chargés à Duluth ou à Marquette – ports d’expédition – sont acheminés : par le lac Michigan, vers Milwaukee, Chicago, Gary ; par le lac Huron, vers Detroit ; par le lac Erie, vers Teledo, Sandusky, Cleveland, Buffalo, etc…, ports de débarquement du minerai et centres métallurgiques importants. Dans l’Alabama, le Colorado, le Texas, le Montana, il existe encore d’autres centres aussi bien avantagés que ceux que nous venons de citer.
Si la métallurgie américaine absorbe une grosse quantité de minerai, elle exporte très peu de fonte, de fer et d’acier – à peine 2 millions de tonnes – en proportion de sa production. Celle-ci est totalement résorbée par les industries mécaniques indigènes dont le rythme de production, s’accentuant d’année en année, n’est pas le moindre sujet d’effroi pour les industriels du vieux monde qui appréhendent d’être submergés sur leurs propres marchés nationaux par les quantités considérables des produits manufacturés de la métallurgie que les États-Unis expédient à destination des cinq parties du globe sous forme de machines-outils, agricoles, à écrire, outillage, automobiles, etc…
La France possède après les États-Unis, la plus grosse métallurgie du monde et elle tient la première place en ce qui concerne l’exportation des fontes des fers et aciers. En 1925, elle a exporté 710.000 tonnes de fontes diverses et 3 millions 160.000 tonnes de fers et aciers. La France n’a acquis cette situation privilégiée sur le marché métallurgique qu’à la faveur du traité de Versailles qui lui a fait retour, dans son domaine territorial, de l’Alsace-Lorraine avec ses riches minerais du bassin de Briey qui portent sa production extractive à 35.740.000 tonnes, soit 24 % de la production mondiale et un peu plus de la moitié de celle des États-Unis, après laquelle elle est la plus importante du monde.
Mais la France, si elle a beaucoup de minerai de fer, a, par contre, très peu de charbon ; elle doit le demander à l’Angleterre, à l’Allemagne et à la Belgique.
Naturellement la métallurgie française subit la loi économique commune, et ses hauts-fourneaux comme ses forges et aciéries se sont installés auprès des charbonnages ou aux environs des grandes voies maritimes et fluviales. C’est dans la région de l’Est – près de la frontière franco-allemande – que se trouvent les plus importants gîtes métallifères de la France. Les départements de la Meurthe-et-Moselle et de la Moselle sont les plus gros producteurs de minerai de fer avec les groupes de Nancy, Champigneules, Frouard, Pompey, Jœuf, Homécourt, Hayange, Briey, etc… Dans la région nancéenne il n’y a pas de charbon, mais ces hauts-fourneaux reçoivent les charbons allemands de la Ruhr et de la Sarre que leur apportent la flotte de péniches allemandes par les canaux de la Marne au Rhin et de la Sarre. Venues le ventre rempli de houille, ces péniches s’en retournent à leur port d’attache – Duisbourg, Dusseldorff, etc… – le ventre plein de ce minerai lorrain qui manque aujourd’hui à la métallurgie allemande. Le trafic dans les deux sens est considérable ; pour être moins intense, celui qui s’effectue sur le canal de l’Est est également important. Par péniches, le charbon belge descend le canal de l’Est à destination de tout le bassin de Briey. Au retour, les mêmes péniches remportent le minerai lorrain vers le centre métallurgique de Charleroi, en Belgique. En France, c’est surtout à la rencontre du charbon des bassins du Nord que va le minerai de l’Est. Là, la métallurgie, outre qu’elle y trouve le coke, est entourée d’industries de transformation capables d’absorber sa production Aussi s’est-elle fortement concentrée dans la région du Nord, à Maubeuge, Jeumont, Anzin, Valenciennes, Denain, Lille, Hazebrouck, pour ne citer que les centres les plus importants.
Plus bas sur la côte de la Manche, dans la région havraise, qui n’a ni charbon ni minerai, la métallurgie a dressé ses hauts-fourneaux et ses aciéries. C’est que là le charbon anglais arrive facilement par la mer tout comme le minerai normand situé plus bas sur la côte, dans le Calvados. Les gisements de Normandie (Caen) et de Basse-Bretagne (Redon) fournissent des minerais très riches en teneur et de grande pureté qui les font rechercher par la métallurgie anglaise spécialisée dans la production d’aciers spéciaux requérant des minerais purs. D’ailleurs ces deux gisements français, après avoir alimenté la métallurgie des régions havraise et nantaise et quelque peu celle du Nord, expédient l’excédent de leur production, par Nantes, à Cardiff et par Caen, à Newcastle, en Angleterre. Il est même une partie de ces minerais qui remonte jusqu’à Rotterdam, à l’embouchure du Rhin et descend celui-ci à destination de l’Allemagne.
D’autres gîtes métallifères de moindre importance sont disséminés à travers la France. On rencontre du fer dans le Centre, l’Ariège, les Pyrénées-Orientales, mais relativement peu de métallurgie dans ces contrées si l’on excepte, en Saône-et-Loire, le centre du Creusot, universellement connu qui reçoit une grande partie de son minerai de l’Est par le canal du Sud et par la Saône et son charbon des bassins de la Loire, par le canal du Centre.
Quoique première puissance exportatrice de fontes et d’aciers, la France n’épuise pas ses capacités de production métallurgique et vend annuellement à d’autres pays 9 millions de tonnes de minerai de fer qu’elle ne peut transformer sur place, faute de charbon. La France est donc également la première puissance exportatrice de minerai de fer.
À l’inverse de la France, l’Angleterre, qui possède dans son sous-sol une réserve prodigieusement riche de charbon, n’a pas suffisamment de fer pour sa métallurgie qui est dans l’obligation d’importer presque le tiers du minerai indispensable au fonctionnement de ses hauts-fourneaux. Malgré cela, l’Angleterre a su, grâce à sa situation géographique, à sa richesse charbonnière et à une organisation commerciale admirable, se doter d’une puissante métallurgie qui fut longtemps la première du monde, et qui, quoique actuellement au troisième rang, rivalise dans le domaine de l’exportation avec la métallurgie française en se classant immédiatement après elle par l’importance du tonnage.
En Angleterre la nature a disposé le fer près de la houille et les bassins houillers près de la mer, à l’exception de celui du Yorkshire qui s’en trouve à peine éloigné de 150 kilomètres. La métallurgie a donc pu, très tôt, se développer dans de bonnes conditions. Pour le minerai qui lui manque, 4 millions de tonnes en 1925, l’escadre importante des charbonniers anglais se charge de le drainer dans les pays, proches ou lointains, où elle dépose sa cargaison de charbon britannique. Ainsi, le minerai constitue-t-il pour cette flotte spécialisée un fret de retour avantageux.
De Suède, à Luléa et Stockolm, les charbonniers anglais, appelés aussi colliers, emportent vers Newcastle et Hull les minerais scandinaves riches et purs, mais trop abondants pour leur pays d’origine. De Caen, en France, encore vers Newcastle, ils emportent les minerais normands, et de Nantes, vers Cardiff, ceux de la Bretagne.
L’Espagne, qui extrait de son sous-sol 3 millions de tonnes de minerai de fer et en utilise à peine le sixième, fournit également un très avantageux fret de retour aux colliers anglais. Enfin, l’Algérie, démunie de charbon, reçoit celui de l’Angleterre en échange des beaux minerais du Zaccar et de l’Ouenza.
Tous ces minerais étrangers joints au minerai indigène, alimentent les centres métallurgiques d’Edimbourg, de Newcastle, de Middlesbrough, de Hull, sur la Mer du Nord ; de Glasgow, de Workington, de Withehayen, de Liverpool, de Cardiff, de New-Port sur l’Atlantique ; ainsi que les fiefs métallurgiques de Manchester, de Sheffield, de Nottingham, de Birmingham au Centre.
Toutefois, si l’Angleterre exporte presque autant de produits bruts de la métallurgie que la France, sa production totale est beaucoup moindre – à peine 8 millions de tonnes contre 14 millions pour la France.
En Europe, c’est l’Allemagne qui produit le plus de fontes et d’aciers après la France. Pour les exportations elle arrive après la France et l’Angleterre avec 3.250.000 tonnes. Par contre, depuis le traité de Versailles qui l’a amputée du gisement lorrain (celui-ci fournissait, avant-guerre, 80 % de la production allemande) au bénéfice de la France, l’Allemagne est le pays qui achète le plus de minerai de fer à l’étranger. En 1925, 11 millions et demi de tonnes.
Comme l’Angleterre, l’Allemagne possède plus de charbon qu’il n’en faut à ses industries. Ses bassins houillers de la Saxe et de la Haute-Silésie restée allemande approvisionnent le marché national. Le charbon de la Ruhr, après avoir alimenté la région rhéno-westphalienne, remonte, pour une bonne part, le cours du Rhin sur une magnifique flotte fluviale vers les centres métallurgiques français de la Meurthe-et-Moselle, par le canal de la Marne au Rhin. Pour une autre part le charbon de la Ruhr descend le Rhin vers Rotterdam et Anvers d’où de grands cargos le mèneront dans les pays scandinaves qui enverront, au retour, du minerai.
La métallurgie allemande s’est installée sur le bassin rhénan-westphalien dont Essen, Bochum, Gelsenkirchen et Dortmund sont les groupes les plus fameux ; en Saxe et en Thuringe dans les centres de Smalkalden, Zwickau et Saalfeld ; enfin, dans la partie de la Haute-Silésie restée allemande, dans les districts de Beuthen et de Gleiwitz.
Les États-Unis, la France, l’Angleterre et l’Allemagne sont les quatre grands pays de la métallurgie du fer – la plus importante, répétons-le – ; viennent ensuite le Luxembourg, la Belgique, le Canada, la Suède, l’Espagne, la Russie, la Tchécoslovaquie, l’Italie. En ce qui concerne les autres métaux, les États-Unis sont les plus gros producteurs pour : le cuivre (58 % de la production mondiale), le plomb (43 %), le zinc (60 %), l’aluminium (57 %), l’argent (30 %). Ils arrivent après l’Afrique du Sud (41 %) dans la production de l’or avec 15 % de la production mondiale.
La France produit peu de cuivre (0, 08 % de la production mondiale), peu de plomb (2 %), peu de zinc (2 %), pas d’or ni d’argent mais 6,6 % d’aluminium.
L’Angleterre a très peu de cuivre mais en reçoit de ses Dominions – le Canada en produit 3,4 %, l’Australie 2 % et les Indes Britanniques 2,5 %, toujours de la production mondiale. Faible productrice de plomb, l’Angleterre le trouve également dans ses colonies – Canada 3,5 %, Australie 6,6 %, les Indes 4 %. Sa production de zinc n’est guère supérieure à celle de la France, sa production d’aluminium lui est même inférieure (6 %). Si l’Angleterre ne produit ni or ni argent, ses colonies en sont largement pourvues (Afrique du Sud 41 % d’or, Australie 7 % d’or, 5 % d’argent, canada 4,6 % d’or, 7,7 % d’argent).
L’Allemagne produit du cuivre (3,3 %), du plomb (9 %), du zinc (15 %), de l’aluminium (10 %). La Belgique produit du zinc (12 %) et du plomb (3,5 %). La Norvège fournit aussi du zinc (2 %) et de l’aluminium (4 6 %). L’Espagne est un gros producteur de plomb (16 %). Le cuivre, plutôt rare en Europe, se trouve dans les deux Amériques ; outre les États-Unis avec leurs 58 % de la production mondiale, le Mexique donne 6 %, le Chili 8 %, le Pérou 4 %, la Bolivie 1 %, Cuba 1 %. En Afrique, le Congo en donne 2,3 %. Enfin le Japon produit près de 8 % de la production mondiale de cuivre. Le Mexique produit également 7 % de plomb, 4,5 % d’or et 36,7 % d’argent. Le Canada, la Suède, l’Allemagne (en Saxe), la Silésie, la Hongrie et la Nouvelle-Calédonie sont des régions productrices de nickel. La Russie, les Indes, la France, l’Allemagne, l’Angleterre, les États Unis possèdent du manganèse. Enfin, les Indes et les îles de la Sonde sont, avec les États Unis, les plus gros producteurs d’étain.
Les origines de la métallurgie sont entourées d’épaisses ténèbres ; elles remontent très loin dans la chaîne des siècles. Mais s’il est audacieux de leur fixer une époque, on peut affirmer que son histoire et son évolution sont intimement liées à celles de la civilisation et des progrès de l’humanité. Il n’a point été de sa faute si les hommes l’on trop souvent utilisée à des fins de destruction et de mort, alors qu’elle peut aussi bien donner et faciliter la vie de l’humanité.
Des préhistoriens ont prétendu que l’art d’extraire les métaux de leurs minerais fut pratiqué par les hommes entre les xive et xiie siècle avant notre ère. D’autres font remonter encore plus loin, dans la nuit des temps, la connaissance de sa pratique en Chine et aux Indes.
Sans vouloir prendre parti dans la dispute, on peut dire qu’il est hors de doute que les peuples civilisés de l’antiquité ont employé des outils de fer pour tailler la pierre de ces gigantesques monuments dont les siècles n’ont pas totalement effacé les traces, aussi bien que pour travailler la terre à laquelle ils demandaient leur subsistance, et surtout pour fabriquer des armes.
Une autre dispute met aux prises les savants préhistoriens. À savoir lequel des métaux fut le premier connu des hommes ? Autrement dit l’âge du bronze a-t-il précédé l’âge du fer ou lui fut-il postérieur ? Le choix, autant que l’affirmation, est difficile en pareille matière. Nous inclinons cependant à croire que la métallurgie du fer est antérieure à celle du bronze du fait que celui-ci, étant un alliage de cuivre et d’étain, deux métaux qui se trouvaient rarement dans les mêmes contrées, suppose une époque de navigation et de commerce très développée, ce qui n’était pas encore le cas. D’autre part le bronze n’a pas une résistance suffisante pour justifier la pérennité des monuments de l’antiquité. Il est par contre indéniable que le bronze ait eu les préférences des peuples primitifs pour certains usages en raison de son vif éclat, de son inoxydabilité à l’air et la facilité avec laquelle il se prête au moulage. Il fut certainement une des premières matières de troc entre les peuplades sous forme d’ornementations et d’objets à usage domestique.
Naturellement nous n’avons aucune notion de la technique métallurgique des peuples de l’antiquité, mais tout nous laisse supposer que son évolution fut très lente et que ses procédés ne différaient guère de ceux dont le moyen âge nous a laissé la trace. À cette époque le minerai était réduit dans des foyers de bois, à proximité des forêts, celles-ci fournissant le combustible des foyers et des forges installés tout près. Il se conçoit aisément qu’avec cette méthode la production était bien faible et que seuls les minerais riches en teneur de fer pouvaient être traités.
Ce n’est qu’au xive siècle qu’apparut en Allemagne l’appareil qui, en se perfectionnant à travers les siècles, devait devenir le haut-fourneau que nous connaissons aujourd’hui. Le stückofer, c’était le nom de l’appareil, n’était autre chose que l’ancien foyer recouvert d’une cuve de 3 à 4 mètres, par le haut de laquelle on introduisait les minerais et le charbon de bois afin qu’ils s’échauffassent progressivement avant d’arriver au cœur du foyer. Sa première utilité fut d’économiser du combustible, mais l’observation révéla qu’en activant le foyer par l’envoi plus rapide d’une quantité d’air supérieure, on obtenait un métal fondu en place de la traditionnelle loupe pâteuse qu’il fallait pétrir à la forge pour la débarrasser partiellement de ses scories, Le stückofer s’adapta à ce nouveau procédé et ainsi naquit la fonte propre au moulage, et avec elle l’artillerie et les boulets de fonte.
La méthode allemande se répandit rapidement dans son pays d’origine d’abord et ensuite en Angleterre, sans déranger toutefois la métallurgie des régions forestières où elle était établie, son combustible continuant à être le charbon de bois. Ce n’est que vers 1730 qu’en Angleterre on imagina de carboniser la houille pour la transformer en coke, nouvel aliment du haut-fourneau. La métallurgie du continent fut longue à faire une place à ce nouvel arrivant et l’Angleterre resta longtemps seule à bénéficier de ses avantages. La métallurgie conserva cependant l’usage du charbon de bois pour l’affinage.
Mais c’est surtout à la fin du xviiie siècle que nous découvrons les origines de la métallurgie moderne. Les perfectionnements apportés à la machine à vapeur et sa généralisation dans toutes les industries furent pour la métallurgie d’une importance capitale. Jusqu’alors elle avait été condamnée à la fabrication de pièces de dimensions réduites, faute d’avoir dans ses forges des organes propulseurs assez forts pour actionner de puissants marteaux capables, par leur poids et leur pression, de forger des masses volumineuses. La machine à vapeur va permettre à la métallurgie de créer pour ses forges un outillage puissant qui comblera cette lacune. Ce progrès a une importance considérable, mais la machine à vapeur va faire plus fort et plus grand. En s’introduisant dans toutes les industries, elle va transformer les rapports des hommes entre eux au point que le xixe siècle présidera une révolution universelle autrement importante que celle de la fin du xviiie siècle. L’ère de la machine commence, et avec elle celle du capitalisme. Dans la production, l’homme passe au second plan, il cède sa place à la machine qui va créer un tel besoin de métal, que la métallurgie sera d’abord débordée. Mais devant ces besoins et ces débouchés nouveaux, qui sont considérables, les métallurgistes sont contraints de rechercher des perfectionnements toujours plus grands à leur technique, en un mot, il leur faut adapter leur production au marché nouveau qui se constitue.
L’anglais Cort va d’abord trouver le four à puddler qui permettra l’affinage à la houille. Puis il inventera le laminoir à cannelures à l’aide duquel les loupes de fer, à l’état pâteux, seront transformées en barres de toutes formes et de toutes dimensions beaucoup plus rapidement, et économiquement, que par le martelage.
En 1830, la métallurgie expérimente – et adopte – l’emploi de l’air chaud dans les hauts-fourneaux écossais. Cette pratique va permettre d’élever le haut-fourneau progressivement de 10 mètres à 20 mètres de hauteur, partant, la production passera de 15 à 50 tonnes par jour.
À cette époque, la métallurgie anglaise est encore bien avancée dans la voie du progrès par rapport aux autres métallurgies continentales. Ces dernières n’abandonneront le charbon de bois et l’air froid qu’aux environs de 1840, au moment où les chemins de fer et les navires en acier en faisant leur apparition, accroîtront encore la demande du métal, en même temps qu’ils transformeront les rapports jusque-là établis entre les diverses régions du monde. Ces nouveaux moyens de transports auront une grosse influence sur la métallurgie. Elle pourra, avec leur concours, envoyer ses produits dans un rayon plus étendu et concurrencer les usines restées réfractaires ou qui n’ont pu, pour des raisons multiples, s’adapter aux progrès de la technique. C’est alors que, sous la poussée des faits, se produit la concentration pour réaliser les conditions optima de production. Les régions forestières sont désertées au bénéfice des bassins houillers où, désormais, la métallurgie puisera l’une de ses principales matières premières : le charbon transformé en coke ; au bénéfice également des régions avoisinant les grandes voies maritimes ou fluviales.
À partir de ce moment la technique se développe prodigieusement. Le marteau-pilon fait son entrée dans la forge et en modifie le caractère. Il pèse d’abord 1 000 kilos, puis, progressivement, la hardiesse humaine ira jusqu’à construire et utiliser des piliers de cent mille kilos. Les laminoirs subissent toute une série de modifications, et les hauts-fourneaux acquièrent une capacité de production de 100 tonnes par jour.
La métallurgie connaîtra une nouvelle révolution dans sa technique lorsque, vers 1860, l’anglais Bessemer et le français Martin trouvent, presque simultanément, le moyen d’obtenir de l’acier par fusion. Auparavant, les frères Siemens, en Allemagne, avaient inventé un four permettant d’atteindre de très hautes températures. Cette invention facilita d’ailleurs les travaux de Martin.
L’acier, plus résistant que le fer, eut rapidement fait de remplacer celui-ci dans de multiples fabrications. C’est ainsi que le fer fut totalement éliminé de la fabrication des rails et des bandages, et partiellement dans la construction mécanique, les tôles de marine, etc. La première, l’Allemagne construisit ses canons en acier fondu, dont la supériorité pendant la guerre de 1870 fut tellement marquée que, depuis, tout le matériel de guerre des nations est construit en acier fondu.
La presse hydraulique naquit à son tour du besoin de forger des lingots de plus en plus lourds, qui, même, dépassaient les 100 tonnes et pour lesquels les marteaux-pilons devenaient insuffisants ou leurs fondations se révélaient trop fragiles.
En 1879, un clerc de notaire anglais, Thomas-Gilchrist, allait de nouveau provoquer une révolution dans la technique métallurgique en trouvant le moyen de réduire le phosphore dans le convertisseur Bessemer par le procédé basique. Cette découverte rendit utilisable les minerais phosphoreux – tels ceux de la Lorraine – jusqu’alors impropres à la production de l’acier. Elle assura définitivement le passage de l’âge du fer à l’âge de l’acier.
Depuis cette époque jusqu’à la guerre 1914-1918, la métallurgie s’est enrichie de multiples perfectionnements qui ont accru sa production dans des proportions considérables, en même temps qu’ils en abaissaient le prix de revient. Ainsi la métallurgie a transformé des villes entières comme Essen, en Allemagne, le Creusot, en France, Birmingham, en Angleterre ; Pittsburg, aux États-Unis en vastes usines essentiellement métallurgistes.
En un siècle, quelles transformations de toutes sortes ? Car l’évolution technique en a entraîné bien d’autres, avec des conséquences sociales telles, que le contemporain du stückofer en eût été effrayé au seul énoncé.
Avant la machine à vapeur, le rayon d’action de la métallurgie n’allait que très rarement au-delà du centre où elle était établie. Les besoins étaient réduits et, à débouchés restreints production faible et technique stagnante. La machine à vapeur, en augmentant le nombre et la capacité des débouchés, élargit le marché et force la métallurgie à sortir de sa pratique routinière en cherchant des procédés de fabrication plus rapides et moins chers. La métallurgie, sous le fouet des nécessités, trouve cette nouvelle technique ; mais pour la mettre en pratique il lui faut des sommes fabuleuses bien supérieures aux ressources individuelles des Maîtres des Forges de l’époque. Allait-elle être arrêtée par un obstacle de cette nature ? Non pas ! Ce qu’un seul ne put faire, l’association le fit. Sous la forme de sociétés par actions, les entreprises se constituèrent par la réunion de capitalistes, quelquefois étrangers à l’industrie elle-même. Aussi a-t-on pu dire avec raison que l’industrie était la mère de l’un et de l’autre.
Alors, largement pourvue de capitaux, la métallurgie put abandonner les régions forestières pour s’installer sur le minerai ou la houille, avec un outillage nouveau et plus apte à la grosse production. La facilité des échanges, due au développement des chemins de fer et de la marine de gros tonnage, stimula autant qu’elle créa la production, car combien de produits n’auraient jamais vu le jour si les moyens de transports rapides et peu coûteux ne les eussent rendus utilisables. Si bien que les marchés, de régionaux devinrent nationaux. Et bientôt les cadres de la nation eux-mêmes se révélèrent trop étroits et la métallurgie réclama l’univers comme marché.
Il ne faut tout de même pas croire que cette évolution se soit accomplie sans à-coup. Bien des résistances furent à vaincre avant d’aboutir à la constitution des grandes entreprises et des puissants organismes de la métallurgie que nous connaissons aujourd’hui. Aussi nombreux se trouvèrent les rebelles à la tendance de double concentration capitaliste et industrielle, qu’il y en avait eus aux progrès techniques. Et l’on compta souvent plus de vaincus par la nécessité de se soumettre ou de disparaître, que de convaincus par les faits d’un caractère nouveau. Ce n’est donc que lentement que la métallurgie se développa dans le cadre national. Mais bientôt surgit une nouvelle difficulté. La coexistence de plusieurs grandes entreprises dans un même pays aboutissait à une concurrence effrénée dont bénéficiait le consommateur (c’est-à-dire l’industrie de transformation mécanique) et souvent la métallurgie étrangère.
C’est pour obvier à ce double inconvénient que naquirent les syndicats nationaux de production. Dans ces organismes chaque entreprise adhérente garde son autonomie intérieure mais se soumet à certaine réglementation : 1° Production maxima limitée ; 2° Zone de vente indiquée et strictement limitée ; dans cette zone l’entreprise jouit d’un monopole de fait ; 3° Prix de vente uniforme et fixé en commun. Ainsi – théoriquement – la concurrence est éliminée dans le cadre national puisque le consommateur rencontrera partout le même prix de vente, et dans sa région un seul fournisseur. Mais pratiquement le système s’avéra insuffisant en dépit des amendes qui frappaient les infractions au règlement susmentionné. Comme un retour en arrière n’eût point résolu le problème, c’est donc un pas en avant dans l’organisation que fit la métallurgie. Elle compléta le syndicat national de production par le Cartel de vente. Celui-ci s’interposa entre le producteur et l’acheteur ; il devint, nationalement, l’organe commercial de la métallurgie en même temps qu’il faisait de celle-ci une industrie nationale.
Pourvue de cette unité, la métallurgie se trouve en face de deux problèmes angoissants, dont les peuples ont payé et payeront encore de leurs souffrances et de leur sang la solution toujours temporaire.
Le premier de ces problèmes est celui de l’approvisionnement en matières premières : houille ou minerais, dont le sous-sol national est trop chichement doté par la nature. Le second est celui des débouchés, car rien ne sert de produire si l’on ne peut vendre pour amortir et faire fructifier les capitaux. Alors, identifiant les intérêts de la métallurgie, devenue industrie nationale, aux intérêts de la patrie elle-même, les Cartels, usant et abusant du pouvoir politique que leur confère leur puissance économique, exigèrent des gouvernements une politique de soutien qui, si elle leur est profitable, n’est pas sans peser lourdement sur les peuples. Pour se défendre contre la concurrence étrangère, les Cartels exigèrent d’abord l’édification d’un réseau de barrières douanières, qui leur fût accordé. Par un paradoxe ironique, à l’abri de ce réseau dont fut proclamée la nécessité pour la protection de la Nation, les Cartels vendirent leurs produits beaucoup plus cher à leurs nationaux qu’aux, étrangers, sûrs qu’ils étaient de ne pas être gênés par la production des autres pays métallurgiques. Cette opération qui consiste à vendre souvent très cher sur le marché national et à vendre souvent à perte sur les marchés internationaux porte le nom de dumping. Mais en même temps, les Cartels nationaux des pays industriels émettaient la prétention d’écouler l’excédent de leur production non absorbée par le marché national, dans les pays neufs et, par conséquent, peu industrialisés. Naturellement la conquête de ces débouchés nouveaux suscita une compétition exaspérée entre les différents Cartels nationaux. Toujours forts de leur puissance économique, à laquelle ils n’hésitèrent pas quelquefois à joindre leur capacité de corruption, ceux-ci firent entreprendre par leurs gouvernements respectifs des guerres de conquête coloniale, au nom de la toujours sainte patrie et de ses intérêts vitaux. À la vérité, il faut dire que la métallurgie ne fut pas seule à suivre cette voie : d’autres industries firent de même, et cette pratique donna naissance à ce qu’on a appelé le nationalisme économique auquel s’ajouta l’ambition d’accroître son patrimoine de pays à production complémentaire, ambition qui caractérise ce qu’on nomme ordinairement l’impérialisme. Les impérialismes et les nationalismes économiques se heurtèrent donc pour la conquête des matières premières et des débouchés jusqu’à aboutir, de conflit en conflit, à la conflagration générale de 1914. Sans être l’unique cause de la guerre mondiale, la métallurgie n’en a pas moins joué un rôle très important dans son déclenchement. La possession du Bassin de Briey qui assure aujourd’hui la première place à la métallurgie française après les États-Unis, a beaucoup plus, sa place dans la liste des buts de guerre que le trop fameux principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
La guerre de 1914-1918 fut une ère de grande prospérité pour la métallurgie. Si le problème de l’approvisionnement en matières premières se posa quelquefois tragiquement, la métallurgie n’eut pas à s’inquiéter de l’écoulement de sa production : la guerre, insatiable, absorbait tout ce qu’elle voulait bien lui donner pour ses canons, fusils, mitrailleuses, obus, tanks, avions, cuirassés, sous-marins, etc. Aussi bien, la guerre terminée, la métallurgie connut une crise de réadaptation qui, n’eût été la pauvreté des puissances, eût pu dégénérer à nouveau en conflagration générale à la suite des exigences de la métallurgie française qui entraînèrent l’occupation de la Ruhr.
En dépit de sa production gigantesque, et peut-être à cause d’elle, la métallurgie n’a pas retrouvé son équilibre. La facilité des échanges internationaux qui caractérise notre époque, a poussé la métallurgie à déborder le cadre national pour s’organiser, non pas internationalement, comme on l’affirme trop souvent par ignorance, mais par groupes nationaux. Ainsi le Cartel de l’Acier, de l’Étain, du Zinc.
Si cette nouvelle forme, ou plutôt ce nouveau stade de la concentration réduit les compétitions sur les marchés internationaux (matières premières, débouchés) il ne les supprime pas. À être moins nombreuses, les compétitions n’en sont que plus violentes et le conflit qui en sortira n’en sera que plus facilement universel.
Ainsi les hommes ont dompté la nature. Par leur génie et leur travail séculaire ils ont arraché ses secrets à la matière inerte et lui ont donné la vie. Par un tragique retour des choses de ce monde, la matière, devenue vivante par la main des hommes, s’est vengée sur eux de l’avoir tirée de son sommeil plusieurs fois millénaire en les y plongeant à sa place.
Fatalité ! disent les uns. Aberration monstrueuse ! répliquent les autres. La métallurgie, si elle sème la ruine et la mort, est capable de créer la joie et la vie.
C’est à cette dernière tâche que la partie éclairée du prolétariat mondial, lasse d’être la victime de son génie, entend se consacrer. Elle sait que la métallurgie ne soulagera la peine des hommes que lorsque ses matières premières et ses produits jouiront d’une libre circulation dans les artères de la société humaine.
Pour cela, il faut que cesse l’exploitation de l’homme par l’homme. Aussi poursuit-elle la destruction du régime capitaliste et l’avènement du travail libre dans uns société libre. Alors, et alors seulement, l’homme pourra être fier de sa métallurgie. – A. Guigui.