Encyclopédie anarchiste/Pacifisme - Pain

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 3p. 1902-1912).


PACIFISME, PACIFISTE. Le néologisme « Pacifiste » fut, lancé après 1900, par Émile Arnaud, un théoricien de la paix, président de la Ligue internationale pour la Paix et la Liberté. Le substantif « Pacifisme » existait déjà. Il correspondait à « Pacifique ». Le Pacifisme, dit le Congrès de Munich de 1907 est : « Le groupement d’hommes et de femmes de toutes nationalités qui recherchent les moyens de supprimer la guerre, d’établir l’ère sans violences et de résoudre par le droit les différents internationaux ». Le Pacifisme, dit Sève, dans son cours d’enseignement pacifiste, n’est que l’application de la morale aux relations des peuples. Il est, comme la morale, basé sur le respect de la personne humaine.

Aujourd’hui, le mouvement pacifiste manifeste moins d’unité qu’avant la guerre. En dehors de l’union des Sociétés de la paix, sous l’égide de laquelle se réunissaient tous les anciens Congrès, nous avons l’action internationale démocratique pour la Paix, fondée par Marc Sangnier, l’Internationale des résistants à la Guerre, la ligue internationale des femmes pour ! a Paix et la Liberté, l’Union des associations pour la Société des Nations. Recherchant une définition qui puisse s’appliquer à tous les mouvements et toutes les théories au moins aussi hardies dans leur opposition à la guerre que le vieux mouvement de la Paix, mais n’excluant pas ceux qui professent une condamnation de la guerre encore plus intransigeants et plus catégorique, et des méthodes de lutte plus énergiques, nous appelons Pacifisme : « l’ensemble des doctrines condamnant le principe de la guerre, préconisant l’application de la morale aux rapports entre les peuples, poursuivant l’abolition des guerres, la solution des conflits internationaux par des moyens pacifiques, tendant à l’instauration d’un régime de paix internationale permanente. »

Tandis qu’un « Pacifique » peut se contenter de désirer la paix pour lui-même et son pays et peut croire que cette paix sera assurée par les méthodes que préconisent les Nationalistes, le « Pacifiste » condamne l’idée de violences entre États, affirme que les relations entre les Peuples doivent être soumises à des principes moraux ou à des normes juridiques, veut la paix, non pas seulement pour sa patrie, mais pour le monde entier : Paix par le respect du droit, par le développement de la solidarité ou par la fraternité et l’amour.

Cette définition englobe donc les tendances pacifistes les plus diverses ; les unes condamnant la guerre défensive, les autres admettant le droit de légitime défense pour les États ; les unes condamnant l’idée de Patrie, les autres conciliant le Patriotisme et l’esprit international ; les unes considérant comme possible l’établissement d’un régime de droit et de Paix dans l’État Social actuel, les autres tenant comme improbable l’abolition des guerres tant que le Capitalisme ne sera pas abattu, ou bien tant que la division de l’Humanité en Nations n’aura pas disparu.

On peut être Pacifiste en partant du point de vue internationaliste, sur les droits et devoirs des peuples, sur la solidarité qui les lie ou doit les lier, considérer que la Paix permanente sera le résultat de l’organisation de rapports de justice entre les Nations. On peut être Pacifiste en se plaçant au point de vue individualiste. La doctrine métapolitique et supranationale de Foilin, envisage surtout une modification des rapports des individus avec les États, condamne la guerre et le service militaire comme comportant l’asservissement de l’individu au groupe, tient la méconnaissance des droits primordiaux des individus, l’excès des pouvoirs accordés aux organismes d’autorité, la croyance à la fiction des intérêts nationaux, comme les principales causes des guerres. On peut être pacifiste en partant du point de vue humanitaire et évangélique. L’anarchiste chrétien Tolstoï envisage surtout les rapports des hommes entre eux, s’oppose à la guerre parce que contraire aux principes de l’amour du prochain et au devoir absolu qui en découle : le respect de la vie. Selon Tolstoï, la violence ne cessera que lorsque les hommes refuseront d’y coopérer.

On peut enfin professer un Pacifisme synthétique à la fois individualiste et solidariste, à la fois internationaliste et humanitaire, proclamer que la justice doit dominer les rapports entre les hommes, entre les peuples et les relations de l’État et des individus. On peut préconiser à la fois la résistance populaire énergique à la guerre, le refus collectif ou individuel d’y coopérer et l’effort pour l’organisation de la Paix.

Toutes les théories pacifistes répudient la guerre en tant que moyen de règlement des différends entre les Peuples ; toutes s’opposent au bellicisme, à la politique impérialiste, au culte de la force, à la haine entre les peuples, à l’oppression des peuples faibles par les peuples forts, aux diverses formes du despotisme international. Mais il semble que nous devions mettre en évidence les idées dominantes du pacifisme moderne, celles qui rallient le plus souvent la majorité dans les Congrès de la Paix, celles qui inspirent l’effort des pacifistes constructeurs. Elles se résument en deux affirmations essentielles :

a) Les Rapports entre les Nations sont régis par les mêmes principes généraux de droit et de morale que les rapports entre individus.

b) Pour protéger la vie et la liberté des peuples, il faut étendre sur le plan international les institutions qui protègent la, vie et la liberté des hommes à l’intérieur des Nations.

Ce dernier principe ne signifie pas que l’on doive transporter dans le domaine international les iniquités et les abus que l’organisation nationale présente plus ou moins dans tous les pays mais seulement que les solutions que l’homme a réalisées ou qu’il aspire à réaliser dans la Cité doivent s’élargir et s’étendre jusqu’à l’ensemble de la Civilisation. Les Peuples ont à peu près les mêmes droits et les mêmes devoirs dans l’Internation que les individus et les familles dans la Nation. Ils ont le droit essentiel de vivre eu travaillant.

Tout différend entre Nations, non résolu à l’amiable, doit être réglé par la voie juridique. Nul n’ayant le droit de se faire justice lui-même, aucune Nation ne peut déclarer la Guerre à une autre. L’autonomie de tout pays est inviolable ; le droit de libre disposition des peuples est inaliénable et imprescriptible. Les Nations sont solidaires les unes des autres.

Sur le plan juridique, la méthode d’organisation de la Paix consiste à prévoir le règlement juridique obligatoire de tout différend non résolu a l’amiable, élaboration d’un Code international public complet réglant les obligations et droits des États, la mise hors la loi de toute guerre et de toute préparation de la Guerre, donc l’interdiction des forces militaires nationales.

Sur le plan politique, les Pacifistes avaient toujours préconisé une fédération des peuples comportant : un organe législatif, un organe judiciaire et un organe exécutif. La plupart des Pacifistes constructeurs considèrent que la Société des Nations actuelle doit être transformée. Il faut qu’elle réunisse dans son sein toute l’Humanité ; qu’elle acquière une autorité souveraine au moins sur les questions de la Paix et tous les moyens propres à imposer ses décisions (la souveraineté des États doit donc être considérablement limitée ; elle doit évoluer dans un sens plus démocratique). Le Congrès de Valence de 1926 préconisait l’établissement du suffrage populaire international ; un parlement international doit être l’émanation directe des peuples. La Paix ne sera instituée dans le monde que le jour où sera substitué à la souveraineté absolue et désordonnée des États la souveraineté de la loi internationale votée par un parlement international économique et politique.

Sur le plan économique, les Pacifistes préconisent le libre échange, l’établissement d’une charte internationale définissant les droits et les devoirs des Nations relativement à leurs rapports économiques, et les droits de l’Internation ; le contrôle de la répartition des matières première, l’internationalisation de certaines richesses naturelles, de certains territoires et de certaines voies de communications. La Ligue Internationale des femmes pour la Paix et la Liberté envisageait qu’aux trois pouvoirs classiques : législatif, exécutif et judiciaire, fût ajouté un pouvoir économique.

En résumé, les Pacifistes les plus hardis préconisent l’institution d’un Sur-État ; il faut que chaque Nation limite son indépendance aux questions qui n’intéressent pas l’ensemble de la communauté humaine.

Les deux problèmes sur lesquels les Pacifistes sont le plus divisés sont celui des sanctions et celui de la défense nationale. Un ancien Congrès proclamait que les sanctions exécutives des décisions arbitrales ne devaient jamais avoir le caractère d’une guerre.

Beaucoup de pacifistes modérés envisagent la nécessité de guerres de sanctions collectives contre un agresseur. D’autres condamnent tout principe de sanction. La plupart sont d’accord pour admettre les sanctions économiques et financières.

Les partisans du « Sur-État » préconisent souvent l’institution d’une force armée internationale ; de nombreux pacifistes condamnent autant une force militaire au service de la Société des Nations qu’une force armée nationale.

Selon un point de vue intermédiaire, il faut distinguer entre l’armée et la police. Si l’on admet certaines mesures de police, pourquoi en laisser le monopole aux États nationaux ?… Pourquoi ne pas les internationaliser ?… Une police internationale aiderait à contrôler le maintien du désarmement ; elle devrait avoir un caractère préventif et ne prendre les armes que lorsqu’il s’agirait de protéger la vie.

En tout cas, il faut distinguer l’idée de sanctions en général et l’idée de sanctions par les armes. Les moyens coercitifs dont disposerait une autorité mondiale puissante sont très divers.

Les plus justes sanctions sont celles qui frapperaient non pas un peuple en bloc, mais les individus coupables et responsables : gouvernements rebelles, chefs de bandes irrégulières, fabricants d’armements clandestins, provocateurs à la guerre, auteurs de la publication de fausses nouvelles, etc… Selon une tendance nouvelle, l’individu doit devenir sujet de droit international. Certains droits fondamentaux des hommes doivent être proclamés et protégés ; certaines obligations du citoyen du monde envers la communauté mondiale doivent être précisées.

Sur la question de la « Défense Nationale », le point de vue des Pacifistes intégraux, gagne chaque jour du terrain. Le vieux principe « les Nations ont, comme les individus, le droit de légitime défense », est chaque jour battu en brèche. Le président du bureau international de la Paix, Henri Lafontaine, écrivait, dans un rapport destiné au Congrès d’Athènes de 1920 : « L’assimilation entre le droit de légitime défense de l’individu et celui d’une collectivité nationale est tout à fait erronée. Pour l’individu, il n’y a, le plus souvent, d’autres alternatives que de périr ou de frapper son adversaire, et encore l’individu attaqué trouve-t-il des moyens de défense au sein de la collectivité dont il fait partie. Il n’en est pas de même pour une collectivité nationale ; en cas d’attaque directe ou suspectée, elle peut subir des dommages, mais elle n’est pas menacée de mort. Les Peuples, à de rares exceptions près, ont survécu aux aventures guerrières, même les plus tragiques.

Selon une résolution votée par ce Congrès, il faut faire disparaître du pacte de la Société des Nations toute disposition qui permet à un État ou à un groupe d’États, en vertu d’une décision prise par lui ou par eux, et fût-ce pour leur propre défense, de recourir à la force armée, toute décision de cette nature devant appartenir à une autorité internationale. Le Congrès français de Valence, réunissant des organisations pacifistes très diverses, alla plus loin et se prononça en faveur du refus de servir en cas de guerre. Il condamna totalement la légitime défense guerrière et défendit contre la loi le principe de l’objection de conscience.

Loin de nous l’idée de prétendre que tous les pacifistes ou presque condamnent toute guerre, même défensive. C’est pourquoi nous préférons réserver l’épithète de « pacifiste intégral » à ceux dont l’opposition à la guerre ne comporte aucune réserve.

Mais, tandis qu’avant la guerre de 1914, la plupart de ceux qui condamnaient le devoir de défendre son pays par les armes se plaçaient à un point de vue religieux ou à un point de vue révolutionnaire (Tolstoïsme ou Hervéisme), sans parler du point de vue Anarchiste, aujourd’hui, nous voyons des hommes qui, sans être des Extrémistes en politique, sans s’inspirer d’aucun mysticisme religieux, professent une opposition totale à la guerre, fondée sur des principes moraux purement rationnels et sur un idéal démocratique. La majorité de ces Rationalistes ne condamnent pas la défense légitime individuelle, mais refusent d’y assimiler la défense légitime nationale, qui atteint tant d’innocents et provoque des maux plus grands que ceux qu’elle a pour but d’éviter.

Aujourd’hui, étant donné le caractère moderne des guerres, l’accroissement formidable du nombre des victimes que provoqueront les armes chimiques et microbiennes, toute défense par la guerre sera nuisible à l’intérêt public, tant de la communauté humaine que de la Communauté nationale.

La différence des points de vue sur la défense nationale entraîne une différence sur l’idée de désarmement.

L’ensemble des vrais pacifistes a comme idéal le désarmement total des Nations (sauf peut-être une minorité modérée qui se contenterait de la réduction jointe à un pacte d’assistance mutuelle). La plupart des Pacifistes considèrent, dès à présent, le désarmement comme un facteur de sécurité et d’apaisement moral. Mais les plus hardis acceptent l’idée du désarmement uni-latéral, et croient à la vertu de l’exemplarité (voir le mot Paix). Pour hâter le jour où toutes les Nations auront abandonné leur armement, condition nécessaire d’une véritable fédération du Monde, il faut qu’un ou plusieurs peuples donnent l’exemple.

Comme conclusion nous exprimerons le vœu et l’espoir que le mouvement pacifiste continue a s’orienter dans la voie d’un pacifisme intégral et synthétique, préconisant à la fois la pression populaire la plus énergique contre le déclenchement des guerres et l’effort, pour l’institution d’un régime de Paix permanente. Le seul point de vue pouvant séparer le Pacifisme internationaliste et démocratique du Pacifisme anarchiste est que, selon ce dernier, la Paix permanente exige l’abolition complète de l’État. Il nous semble qu’elle exige seulement la limitation du pouvoir des États Nationaux. Ce pouvoir doit être limité : d’une part, par les droits de la Communauté mondiale organisée ; d’autre part, par le respect de certains droits primordiaux des individus.

Les anarchistes doivent, en tous cas, se demander si toutes les critiques qu’ils dirigent contre l’État National s’appliqueraient à un État fédéral mondial. Faisons aussi remarquer qu’on ne peut appeler le mouvement pacifiste en général « Pacifisme bourgeois ». Les solutions qu’il préconise, notamment sur le plan économique, s’inspirent souvent beaucoup plus de la pensée socialiste que de la pensée libérale. La composition des Congrès comporte un élément croissant de Socialistes, de syndicalistes, de socialisants. Nous ne parlons pas de l’internationale des résistants à la guerre chez laquelle les adversaires du régime social sont en grande majorité. Le Congrès démocratique international pour la Paix, à Bruxelles, proclamait que la diminution de la puissance capitaliste, l’accroissement de l’influence des classes laborieuses sont des facteurs importants de paix.

Les mouvements internationaux nouveaux insistent beaucoup plus que le Pacifisme ancien sur les liens entre la. question Sociale et la question Internationale. Remarquons d’ailleurs que les solutions pratiques préconisées par l’internationale Socialiste se rapprochent, souvent des propositions du mouvement pacifiste proprement dit. De plus, il n’y a rien dans la Doctrine Pacifiste orthodoxe, sous sa forme hardie, s’opposant à l’idée que le triomphe de son programme sera le résultat de la victoire politique des classes ouvrières. Toutefois, il semble à la majorité des théoriciens du Pacifisme qu’un régime de Fédération mondiale doit pouvoir réunir des pays dont le système politique et Social est très différent et n’exige donc pas l’abolition complète du régime capitaliste dans le monde entier.

Mais sur de nombreuses revendications, notamment sur l’idée de désarmement et celle d’arbitrage, les Pacifistes démocrates socialisants, les pacifistes professant le Socialisme révolutionnaire et les anti-militaristes anarchistes peuvent se trouver d’accord et agir en commun, même si sur l’idéal final ou sur la solution complète leurs idées sont divergentes. — René Valfort.

PACIFISME. « Pacifiste, mais non passiviste ». Cette formule comporte, sans doute, un jeu de mots, mais elle exprime aussi, bien nettement, clairement, et sans la fatale équivoque qui embrouille toujours cette question cardinale, le point de vue qui doit être celui, de tout homme digne du nom d’homme.

C’est la formule même de la morale humaine, qui n’a rien de commun avec le passivisme prêché par Tolstoï et ses disciples, passivisme qui n’est qu’un écho lointain de l’abdication bouddhique, véhiculée en Occident par le Christianisme et la morale évangélique.

Quant à l’élimination réelle, radicale, organique, de ce fléau : la guerre, il ne faut pas perdre de vue que « le problème de la guerre et de la paix c’est la question sociale elle-même » et que « c’est seulement en supprimant l’organisation antagonique qui nous régit que nous pourrons abolir les effets nécessaires. » (Réponse à l’Enquête de la revue Cœnibiumsur la guerre, janvier 1913). Tout le reste n’est que verbiage, illusion et fumée, que palliatifs ou expédients. Si nous voulons organiser la paix internationale, il faut que nous organisions d’abord la paix économique ; il faut que le régime individualiste du « chacun pour soi » et du droit quiritaire ait fait place enfin au droit social, au droit réel, et a une organisation rationnelle, amicale et vraiment humaine de la vie économique, base et fondement de la vie publique. C’est dans ce sens seulement qu’une action psychologique peut être réellement d’une efficacité durable, d’une efficacité définitive. Et c’est dans ce sens que nos efforts doivent s’orienter méthodiquement, si nous voulons fonder la paix. — Paul Gille.

PACIFISME (Organisation et Mouvement). Nous avons cité dans notre précédent article, comme organisation pacifiste internationale : L’Union des Associations pour la Société des Nations, Le Bureau International de la Paix, organe Central de l’Union des Sociétés de la Paix, L’Action Internationale démocratique pour la Paix, La Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté, l’Internationale des Résistants à la Guerre. C’est la première de ces fédérations qui est la plus puissante numériquement ; en Angleterre, notamment, sa section nationale comprend trois millions de membres. La tendance moyenne de ce mouvement est plus modérée que celle des autres groupements internationaux pour la paix, le pacifisme qui y est exprimé est souvent le pacifisme officieux, où l’influence gouvernementale et les préoccupations politiques se font sentir. Il y a même une minorité participant aux Congrès de cette Union internationale, dont l’opposition au principe de la guerre est trop tiède pour qu’elle puisse se dire pacifiste. Mais il y a aussi, groupée dans cette association, une tendance de gauche ; et souvent des résolutions émanant de ces assises ont émis des vœux assez hardis sur le désarmement, sur l’extension des pouvoirs de la S.D.N., sur l’arbitrage obligatoire et la révision des traités, etc…, mais pourtant, dans l’ensemble, cette organisation représente le pacifisme bourgeois le plus opposé aux tendances anti-militaristes et révolutionnaires.

La doctrine permanente du Bureau international de la Paix se confond à peu près avec le programme constructif développé dans notre précédente étude. Il est impossible de préciser la puissance numérique de ce mouvement pacifiste, vu qu’il comprend, à côté des Sociétés de la Paix proprement dites, beaucoup de groupes n’ayant pas la paix pour unique but. De plus, aux Congrès qu’il organise, de nombreux militants indépendants participent aux travaux collectifs. Ces travaux sont ceux des techniciens de la paix, des vieux doctrinaires auxquels s’adjoignent, selon les pays où se tiennent les Congrès, des éléments plus jeunes et plus hardis. Ce mouvement a eu une influence dans l’évolution des idées ; il n’a pas de force directe et continue pour l’action. Pendant la guerre, il fut peu actif. La majorité de ses membres considérait qu’il ne fallait pas préconiser une paix à tout prix, mais une paix fondée sur la justice et l’organisation du droit ; ce furent des Wilsoniens seconde manière. Il serait injuste tout de même d’oublier qu’il y eut parmi les représentants du pacifisme traditionnel une minorité importante, sinon de pacifistes intégraux, du moins de Wilsoniens première manière, partisans de la paix de conciliation et traités de défaitistes. En France, notamment, ce fut l’attitude du secrétaire de la délégation permanente des Sociétés de la Paix, Lucien Le Foyer. Selon lui, le jusqu’auboutisme internationaliste était une déviation du pacifisme traditionnel. La véritable interprétation de la doctrine pacifiste classique consistait à admettre la défense nationale mais à la réduire à la protection de l’indépendance du pays. Ce droit s’arrêtait quand l’indépendance du pays n’était plus menacée. Il fallait donc non pas prolonger la guerre en ajoutant à la défense du sol d’autres buts de guerre, mais, au contraire, être prêts à tout moment à négocier.

Quant à l’instauration d’un régime de paix organisée, il convenait de la poursuivre par des méthodes de paix et. non par la guerre et la violence. Le principe « nul n’a le droit de se faire justice soi-même » persistait, même lorsqu’une guerre était déclenchée.

Sans nous rallier à cette doctrine, puisque elle admettait quand même la défense nationale guerrière, constatons la hardiesse qu’elle manifestait à ce moment-là et remarquons que plus conséquents avec leur conviction, étaient ceux qui professaient à la fois le pacifisme — but et le pacifisme — moyen. Il est incontestable, sans le moindre excès d’optimisme, que l’expérience de la dernière guerre a dessillé bien des yeux, et qu’aujourd’hui, si un nouveau conflit se déclenchait, ceux qui auraient l’attitude de Le Foyer ou de la minorité de la Ligue des Droits de l’Homme seraient plus nombreux, et que ceux qui adopteraient l’ancien point de vue majoritaires seraient moins nombreux.

L’Action Internationale Démocratique pour la Paix est le mouvement international créé après la guerre par Marc Sangnier. Si ses fondateurs sont catholiques, ses militants appartiennent à des tendances religieuses et philosophiques très diverses. On rencontre même dans ses Congrès une jeunesse étrangère socialisante et parfois anarchisante. Sur la construction de la paix, son programme s’apparente à celui de l’ancienne Union des Sociétés de la paix. Mais il insiste sur deux points particuliers : l’Importance de la Préparation Psychologique de la Paix, le Rôle des Grandes Forces Spirituelles du Monde dans cette Préparation Psychologique, d’une part ; et d’autre part le lien entre le développement de la démocratie politique et économique, au sein des divers pays et le développement de la Paix Internationale. « L’idéal de l’action internationale démocratique pour la paix est un idéal de paix totale : Paix entre tous les individus et tous les milieux sociaux comme entre tous les peuples et toutes les races. Dans les rapports des uns comme des autres, elle exclue le recours à la violence. Estimant toutefois que la Paix est inséparable de la justice, elle affirme que la paix ne sera vraiment stable que le jour où, par des réformes appropriées, on aura remédié aux injustices politiques, sociales et internationales dont souffre l’Humanité. »

Ces formules de la Charte de l’Action internationale démocratique pour la Paix sont, certes, interprétées différemment, selon les tendances sociales de ses membres. Pour les uns, jeunes républicains, la justice sociale nécessite un ensemble de réformes très hardies. Pour d’autres, socialistes et coopérateurs, elle nécessite l’abolition complète du régime capitaliste. Remarquons aussi que condamner le principe de la guerre civile, ce n’est nullement s’opposer à la grève générale et autres méthodes pacifiques de luttes de classes. Quant à la violence révolutionnaire, ceux des pacifistes qui admettent la guerre défensive n’assimileront pas toujours la résistance par la force à un Gouvernement oppresseur, à une guerre offensive. Et, même parmi les Pacifistes intégraux, condamnant, toute guerre internationale sans réserve, beaucoup, comme Félicien Challaye, feront une distinction s’il s’agit de la lutte sociale.

« Il (le pacifiste intégral) pourra participer à la révolte contre un oppresseur, si de cette révolte peut, évidemment, résulter l’allégement de certaines souffrances. On peut, par exemple, être pacifiste, et participer à une insurrection contre des Gouvernements assez criminels pour précipiter leur peuple dans un conflit armé. La guerre civile, la guerre sociale sont essentiellement différentes de la guerre étrangère. C’est la guerre entre peuples, seulement, qu’interdit le pacifisme intégral tel qu’il est ici défini. » (Félicien Challaye : La Paix par le Droit, novembre 1931.)

Certains des Congrès du mouvement de Marc Sangnier, comme celui de Bierville ont eu un grand retentissement dans l’opinion publique. Il en fut de même parfois de l’action de la « Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté ». Ce mouvement fut fondé en pleine guerre ; et ses membres travaillèrent à la fois à hâter la fin du conflit et à préparer un régime de Paix durable. Sa doctrine de Pacifisme constructif est plus hardie, plus radicale, que celle des mouvements dont nous venons de parler. Cette ligue demande, dès à présent, le désarmement total. Elle s’oppose autant à l’armée internationale qu’au Blocus. Elle tend à un régime politique et économique mondial organisant non seulement la paix dans le sens d’absence de guerre, mais aussi une solidarité très étroite limitant l’indépendance des peuples aux questions qui ne touchent pas l’intérêt de la communauté humaine. Au point de vue social, ce mouvement proclame le bien-fondé de la plupart des revendications révolutionnaires, mais préconise l’emploi de méthodes de lutte non violentes. Une de ses déclarations condamne toute guerre offensive aussi bien que défensive.

Ce groupement international, qui vaut moins par le nombre que par la grande activité et la hardiesse dans l’action, se rapproche donc sur beaucoup de points de l’internationale des Résistants à la Guerre.

C’est parmi « les Résistants à la guerre » qu’on trouva le plus d’anarchistes. On peut dire que sa doctrine constitue une synthèse du pacifisme constructif et de l’antimilitarisme proprement dit. Nous croyons devoir citer textuellement la déclaration qui fut adoptée par la. première Conférence internationale en 1921. « La » guerre est un crime contre l’humanité. Pour cette raison, nous sommes déterminés à n’aider ni directement : en servant de quelque façon dans l’armée, la marine, ou les forces aériennes, ni indirectement : en fabriquant ou manipulant consciemment des munitions ou autre matériel de guerre, en souscrivant à des emprunts de guerre, en employant notre travail de façon à libérer d’autres en vue du service militaire. Nous sommes résolus à n’accepter aucune-espèce de guerre, agressive ou défensive, nous rappelant que les guerres modernes sont invariablement présentées par les Gouvernements comme défensives.

« Les guerres pourraient se placer entre trois sortes : a) Guerre pour la défense de l’État ; b) Guerre pour conserver l’ordre de la Société existante ; c) Guerre en faveur du prolétariat opprimé.

« Nous sommes convaincus que la violence ne peut réellement pas conserver l’ordre, défendre notre foyer ou libérer le prolétariat. En fait, l’expérience a montré que, dans toutes les guerres, l’ordre, la sécurité, et la liberté disparaissent et que, loin d’en bénéficier, le prolétariat en souffre toujours le plus. Nous maintenons, cependant, que les Pacifistes sérieux n’ont pas le droit de prendre une attitude purement négative et doivent lutter pour la suppression de toutes les causes de guerres. »

Dans d’autres motions, l’Internationale des Résistants à la Guerre demande un régime fondé sur le principe pacifiste de coopération pour le bien commun. « On remarquera que les Résistants à la guerre, ou du moins la majorité d’entre eux, condamnent la guerre civile comme la guerre étrangère. Toutefois, ne croyons pas que ce point de vue signifie la confiance exclusive dans les méthodes légalistes, démocratiques et réformistes. Beaucoup parmi eux, peut-être la plupart, veulent la révolution sociale par l’action directe du Prolétariat ; mais. ils croient à la plus grande efficacité des méthodes non violentes de lutte : grève générale, non coopération, refus de servir, boycottage. etc., etc…

Ils nient que dans les méthodes de Gandhi, rien ne soit applicable à l’Occident et rappellent que plus le Prolétariat conquiert la vraie force, moins il a besoin d’user de violence. Si certains résistants sont non-violents en partant d’un point de vue religieux ou éthique, d’autres le sont en partant d’un point de vue réaliste et pratique.

Tout en croyant au grand avenir du mouvement des résistants à la guerre, à son influence profonde sur les progrès futurs de la paix, nous lui reprochons de ne pas distinguer suffisamment, dans ses doctrines, entre la question des guerres internationales et le problème de la guerre sociale. On peut, selon nous, rendre impossibles les guerres proprement dites avant d’avoir solutionné la question sociale. On peut aussi abolir les conflits meurtriers sans avoir supprimé toutes leurs causes. Le régime le plus propice à l’établissement de la justice entre les hommes sera la Fédération mondiale politique et économique, ayant désarmé les nations militairement et économiquement.

Mais, n’oublions pas ce fait essentiel : que des hommes professant des conceptions sociales très différentes ou des idées diverses sur le problème de l’emploi de la force en période révolutionnaire, sont d’accord pour condamner sans réserve toute guerre entre peuples et préconiser la résistance active, collective, au meurtre collectif et à sa préparation.

Quant à la guerre sociale, sans vouloir nous prononcer sur le problème délicat de la défense contre la violence contre-révolutionnaire, nous croyons devoir rappeler que, même lorsqu’il y a vacance de la légalité, il ne doit jamais y avoir vacance de la morale ; et que, s’il y a une religion qui doit être respectée par les adversaires des dogmes, c’est la religion de la vie humaine, c’est le dogme du respect de la vie. — René Valfort.


PACTE n. m. (du latin pangere, pactum, fixer). Pacte est synonyme de contrat, d’accord, de convention ; il implique l’idée d’une association, consentie au moins de façon explicite. Dans les sociétés autoritaires, le lien d’union entre individus est d’ordre extérieur, c’est en définitive la contrainte qu’exerce l’autorité gouvernementale, c’est la peur des sanctions légales, la peur du gendarme. Ceci reste aussi vrai qu’il s’agisse de la Russie des Soviets ou de la République française que de l’Italie de Mussolini et de l’empire du Japon. La force tel est l’ultime argument dont on use contre qui se décide à désobéir. D’ailleurs l’on ne saurait parler de pacte au sens véritable, l’État imposant ses volontés aux individus sans préalable discussion, sans même se soucier de leur consentement tacite. Toutefois, pour rendre leur joug supportable et n’être pas victimes du mécontentement général, les autorités surajoutent, dans une certaine limite, l’intérêt à la force et se prétendent les défenseurs vigilants du bien-être commun. Les réactionnaires les plus notoires, les représentants attitrés du capitalisme et de la bourgeoisie, même les rois et les dictateurs se disent guidés par le seul intérêt du pays. Mensonge impudent, ces gens-là estimant que tout va bien lorsqu’ils sont satisfaits. Faussement ils confondent la prospérité générale avec celle de leur classe ou de leur caste ; le peuple doit se contenter du bonheur de ses maîtres. Mais les anti-autoritaires peuvent se réjouir d’une transformation qui enlève aux chefs leur auréole divine et les replonge dans la commune humanité. Elle est de date trop récente pour que les effets en soient très sensibles ; à de certains indices, l’on peut, néanmoins, juger que le prestige de l’autorité ira sans cesse diminuant. Et Lénine avait raison d’estimer la disparition de l’État inévitable dans l’avenir. Regrettons que ses fougueux disciples, pas plus que les autres docteurs en marxisme des différents pays, n’aient suffisamment étudié l’évolution historique du concept d’autorité. Le commandement, au sens antique du mot, n’est qu’un anachronisme ; c’est à un travail de coordination et d’adaptation que se ramène aujourd’hui le rôle du chef d’entreprise, je ne dis pas du propriétaire, parasite inutile qui souvent n’exerce pas la direction effective. Ainsi, même dans nos sociétés anarchistes, l’intérêt se substitue à la contrainte extérieure. Pourquoi dès lors l’utilité ne pourrait-elle servir de base unique aux pactes et contrats divers ? Il s’agit, pour les libertaires, d’accélérer une transformation dont le germe préexiste dans notre monde contemporain. Sans recourir à la contrainte, le lien utilitaire permet de créer des associations solides entre individus. Syndicats et groupements professionnels s’inspirent de cette idée, quand ils ne consentent pas à n’être qu’un marchepied pour de rusés politiciens. L’avantage de l’intérêt, c’est qu’il cadre avec la mentalité du grand nombre et n’exige pas une perfection exceptionnelle de la part des individus. Pierre Besnard est à consulter sur ce sujet. Mais, au-dessus du pacte qu’engendre l’intérêt, nous plaçons celui qui résulte de la communauté d’idéal ou de l’amitié. Parce qu’ils aspirent vers un but identique et qu’un rêve commun guide leurs pas, des hommes s’associent que ne rapprochaient ni le tempérament ni la profession. Nombreux furent, au cours de l’histoire, les groupements de ce genre que suscitèrent la politique et la religion. Ce fut pour le malheur du genre humain parfois et, dans l’enthousiasme de maints adhérents, l’intérêt tint une large part. Pourtant l’héroïsme de plusieurs s’avère manifeste ; et l’on pourrait utiliser, pour le bien de l’espèce, une force dont elle eut à souffrir fréquemment. Le lien associatif réside alors dans l’idée ; et nul besoin d’une autorité centrale ni de sanctions pour que le groupement puisse subsister. Les quakers sont organisés d’après ce type. Répondant à une très intéressante question posée par Marguerite Deschamps, dans la Revue Anarchiste, au sujet du respect des contrats, Madeleine Madel écrit à leur sujet : « Lorsque, dans une réunion de cette société, on a à prendre une décision intéressant le groupe, ce n’est ni par la majorité, ni par la minorité, ni par un individu — vous entendez bien —, c’est par l’unanimité que la décision doit être prise. Voilà qui en dit long sur les méthodes de discussion approfondie et courtoise qui sont pratiquées, sur la bonne volonté et la claire raison de ceux qui y participent, car presque toujours on parvient, en effet, à cette unanimité. Lorsque le cas se produit où elle ne peut être atteinte, aucune décision intéressant la totalité du groupe n’est prise, et il appartient à chaque membre de se déterminer individuellement selon son inspiration propre. Et on ne chicane pas un membre si sa détermination ne correspond pas exactement à ce que tel autre membre désirerait. On se fait confiance réciproquement ; on fait confiance à l’idée qui anime le groupe tout entier. » Madeleine Madel ajoute que, lorsqu’un adhérent n’est plus d’accord avec l’esprit du groupe, il s’élimine assez rapidement de lui-même, l’atmosphère étant, désormais, pour lui, irrespirable. Le milieu, cher à E. Armand, dont les membres ne songeraient pas à rompre brutalement, sans préalable avis, un contrat qui leur vaut personnellement des avantages, n’apparaît donc pas impossible. Toutefois, dans l’état présent, des associations de ce genre n’obtiendront jamais une extension bien considérable ; seules peuvent attirer les masses, celles qui se fondent sur l’intérêt. La même observation est applicable aux groupements qui se fondent sur l’amitié. A ceux-là vont mes prédilections personnelles, car j’estime que rien n’est supérieur, pour rendre la vie agréable et féconde, à de solides et durables affections. Mais la fraternité qui me plaît repousse toute contrainte, toute inégalité, tout conformisme, quels qu’ils soient. Hiérarchie, obéissance, autorité sont des mots qu’elle ignore ; c’est au cœur, éclairé par la raison, qu’elle demande d’harmoniser les volontés. En fondant la Fraternité Universitaire, au début de 1921, c’est une association de ce genre que je me proposais d’établir. Voici d’ailleurs ses principes : « Placée au-dessus des écoles et des partis, la Fraternité Universitaire demeure ouverte aux volontés droites et aux cœurs généreux sans distinction de croyance ou de position. Ignorante de toute hiérarchie comme de toute contrainte, elle ne connaît d’autres règles que celles de la confiance et de l’amitié. Les formules stéréotypées, les cadres rigides ne sauraient être son fait ; elle entend s’adapter incessamment aux conditions nouvelles du devenir social. » Contrairement à ce que son titre semblait indiquer, elle s’adressait à tous les intellectuels, non aux seuls universitaires. Mais il fallut pratiquer une rigoureuse sélection, basée sur le caractère, le genre de vie, les dispositions du cœur et de la volonté. Onze ans de pratique m’ont persuadé qu’une sévère sélection morale peut contrebalancer l’absence de sanctions. Axel-A. Proschowsky n’a pas tort de compter sur l’eugénisme pour opérer cette sélection, plus tard ; de nouvelles découvertes d’ordre psychologique ou biologique pourront encore faciliter singulièrement la tâche de ceux qui nous suivront. Dès aujourd’hui, elle est possible quand on s’y applique sérieusement. L’absence de sanctions ne saurait d’ailleurs signifier qu’on se laisse brimer passivement, qu’on renonce au droit de légitime défense, en cas d’attaque injustifiée. Aux libertaires, à qui répugne l’emploi de la contrainte pour faire respecter pactes et contrats, il reste, en conséquence, la ressource d’appuyer ces derniers sur l’utilité, s’il s’agit du grand nombre, sur la communauté d’idéal ou sur l’amitié s’ils traitent avec des individus soigneusement choisis. Quand les trois éléments, ou deux d’entre eux au moins se trouvent réunis, le lien associatif devient particulièrement fort. Espérons qu’une transformation s’opèrera, peu à peu, dans l’ensemble des mentalités, qui permettra de donner l’amour pour base à tous les rapports entre humains. — L. Barbedette.


PAGANISME n. m. (du latin paganus, paysan, villageois). Quand les chrétiens commencèrent à prévaloir dans les villes, ils appelèrent païens ceux qui restaient fidèles aux anciens cultes de l’empire, voulant signifier par là que ces derniers ne se recrutaient plus qu’à la campagne. En 368, Valentinien employa ce terme dans un édit, pour la première fois. Et bientôt il servit à désigner tous ceux qui n’étaient ni chrétiens ni juifs. De païens on tira paganisme, un mot qui s’appliquait, non plus aux individus, mais à leurs croyances. Étroitement associées à l’histoire de Rome, ces croyances s’étaient modifiées au cours des siècles. Pour les anciens Italiotes, les dieux n’étaient pas des êtres vivants, unis entre eux par des mariages ou la parenté, c’étaient des abstractions vagues, dépourvues de réalité, qui personnifiaient les forces de la nature ou les phénomènes, soit terrestres, soit célestes. De bonne heure on fit des emprunts sérieux à la religion étrusque, Mais c’est l’influence hellénique qui modifia le plus profondément le vieux culte romain. On identifia les dieux nationaux avec les divinités venues de Grèce, moins rustiques et ennoblies par de poétiques aventures ; seuls les noms traditionnels furent conservés, les légendes se modifièrent, et bientôt tout l’Olympe hellénique s’installa dans la Ville Éternelle. Les fidèles ne reconnurent plus les antiques objets de leur adoration et le résultat fut un déclin rapide du sentiment religieux. Dès le début du iie siècle avant notre ère, on traduisit en latin les écrits du philosophe grec Evehmère pour qui les dieux n’étaient que des hommes marquants, divinisés par la crédulité populaire. C’est par esprit politique, à titre de frein indispensable pour subjuguer la multitude, que les hommes éclairés continuèrent d’assister aux cérémonies religieuses ; ils sacrifiaient aux dieux, non par esprit de foi, mais afin de remplir le premier devoir de tout bon citoyen. Comme les bourgeois actuels vont à la messe, sans croire le plus souvent, pour encourager le peuple à écouter les boniments d’un clergé réactionnaire. Auguste tenta de ranimer le zèle religieux des romains : il rouvrit de nombreux temples, ressuscita des sacerdoces tombés en désuétude, remit en honneur des rites démodés. Lui-même remplissait avec conscience son rôle de grand pontife ; et c’est pour lui plaire que Virgile, dans son Eneide accorda une si large place à la mythologie. Cette restauration ne parvint pas à jeter des racines profondes ; elle développa l’hypocrisie chez ceux qui voulaient plaire au maître, mais ne ralentit point la décadence du sentiment religieux. Rome aura d’ailleurs un dieu plus vivant que Jupiter Capitolin en la personne de l’empereur. Moins original dans le fond que dans la forme, ce nouveau culte, essentiellement politique ne fut qu’une transformation de la vieille religion de l’État, base organique de la cité. On continua d’adorer Rome en la personne de celui qui symbolisait sa puissance. Quant au peuple, incapable de se satisfaire du culte officiel, trop sec, trop dépouillé de conviction, il se tourna vers les dieux de l’Orient, dont les prêtres apportaient l’espérance aux cœurs ulcérés par les misères d’ici-bas. En s’attribuant la destruction de la vieille religion nationale, à laquelle personne ne croyait plus, le christianisme s’est vanté d’un miracle facile. S’il dut lutter pour la conquête des cerveaux, ce fut contre des sectes orientales qui s’adressaient comme lui aux déshérités. Le culte de Cybèle fut introduit à Rome pendant la seconde guerre punique, pour obéir, croyait-on, à un oracle des livres Sibyllins ; ceux d’Isis, d’Osiris, de Mithra, d’Attis, de Sabazios etc., recrutèrent par ailleurs de nombreux fidèles. En vain le Sénat s’inquiétera-t-il de l’introduction de certaines religions étrangères et fera-t-il mettre à mort des milliers d’hommes et de femmes pour avoir participé aux Bacchanales ; en vain les cultes égyptiens seront-ils persécutés par Auguste et Tibère, l’astrologie chaldéenne proscrite par d’autres empereurs, les dieux d’Orient s’installeront à Rome en vainqueurs. Caligula permit le culte d’Isis ; Vespasien se montra favorable aux rites nouveaux ; Commode fut initié aux mystères de Mithra ; Héliogabale était grand prêtre d’une divinité orientale ; Alexandre Sévère adorait tout ensemble Jésus et Apollonius de Tyane. Les chrétiens confondront ces sectes dans une égale haine, dans un même mépris ; leurs fidèles seront tous des païens ; et la persécution sévira contre eux, sous les empereurs chrétiens, avec autant de vigueur que contre les partisans de l’ancienne religion nationale. Sur les ruines du christianisme nous voyons de même aujourd’hui se multiplier les petites Églises et les superstitions apportées d’Orient. Spirites, occultistes, théosophes, au mysticisme souvent exacerbé, sont en passe de détrôner le dogmatisme des théologiens. Tant il est vrai que se répètent, presque pareils, les phénomènes qui président à la naissance et à la mort de toutes les religions.

Mais le paganisme ne disparut pas aussi rapidement que beaucoup le supposent ; longtemps il conserva des adhérents parmi les intellectuels, dans l’aristocratie, parmi les habitants des campagnes. Et là encore le parallélisme apparaît saisissant entre l’agonie de l’antique religion romaine et l’agonie du christianisme dont nous sommes actuellement les témoins. En philosophie, l’école néoplatonicienne d’Alexandrie s’efforça de réconcilier le paganisme avec la raison. Plotin, son plus illustre représentant, passa vingt-six ans à Rome ; magistrats, sénateurs, nobles matrones se pressaient pour l’entendre. Son langage obscur, mais éloquent, son visage inspiré, ses allures de messager des dieux lui conféraient un prestige extraordinaire. Il laissa, en mourant, un nombre prodigieux de disciples qui propagèrent sa doctrine dans tous les rangs de la société : Porphyre est le plus connu d’entre eux. Chargée de subtilités grecques, la philosophie de Plotin justifiait toutes les fables mythologiques ; elle ne se détachait du paganisme que pour y revenir par une voie détournée, selon un procédé qu’ont imité depuis les apologistes chrétiens. Au faîte de toutes choses, Plotin mettait un principe indivisible et indéfinissable, l’Un ou le Bien : ce dernier engendrait l’Intelligence qui n’avait d’autre fonction que de se penser et qui contenait en elle-même les idées ou archétypes des choses ; de l’Intelligence naissait l’Ame du monde qui produisait à son tour l’espace et les êtres qui le remplissent. L’Un, l’Intelligence, l’Ame sont les trois hypostases, éternelles, infinies, mais néanmoins inégales d’un même Dieu qui sort de son unité pour penser et pour agir. La magie est utile car ses incantations et ses filtres réveillent les attractions par lesquelles l’Ame gouverne le monde ; et le sculpteur qui crée une œuvre belle fournit à cette même Ame un réceptacle où elle se repose avec prédilection. Plus tard, Jamblique enseignera comment on entre en communication directe avec les dieux par la théurgie, les sacrifices, les conjurations. Au cinquième siècle, la philosophie plotinienne brillera encore à Athènes avec Proclus. De son côté, la poésie continua de s’inspirer de la mythologie païenne. Ce sont les dieux d’Homère et de Virgile que chante Claudien, c’est à la victoire de Jupiter sur les Géants, à l’enlèvement de Proserpine qu’il s’intéresse, à une époque où le christianisme est définitivement victorieux. Aux empereurs, il tient un langage plein d’encens idolâtrique et de réminiscences païennes. Il représente Théodose prenant son vol vers l’azur céleste, comme autrefois Romulus, et allant s’installer au sommet de l’Empyrée. À Honorius qui a déjà persécuté durement le paganisme, il ne parle que des dieux antiques, sentinelles protectrices de l’empire et de son chef. Dans ses manifestations les plus importantes, la littérature était encore fidèle, en plein cinquième siècle, à la tradition mythologique ; et, dans les écoles où l’on étudiait les beaux textes de l’époque classique, les habitants de l’Olympe, aux légendes si gracieuses et si intimement mêlées à l’histoire de Rome, tenaient toujours une place de premier ordre. Philosophes, poètes, rhéteurs, grammairiens furent d’ardents défenseurs du paganisme. Il trouva aussi un appui solide dans l’aristocratie. Les familles sénatoriales étaient restées fidèles aux anciennes cérémonies et aux croyances traditionnelles. Cinq d’entre elles seulement étaient chrétiennes, quand Symmaque demanda le rétablissement de l’autel de la Victoire, enlevé du Sénat par ordre de l’empereur. Aussi la noblesse se fit-elle la protectrice des écrivains qui célébraient le vieux culte. Elle regarda avec dédain les foules qu’on entraînait au baptême et accusa les princes chrétiens d’être les auteurs de tous les maux dont souffrait l’État. Ses immenses domaines, ses légions d’esclaves et de clients, la richesse de ses palais, les hautes dignités que ses membres exerçaient souvent, lui assuraient un prestige considérable. Si Théodose n’osa pas appliquer en Occident les décrets qu’il avait rendus concernant la fermeture des temples et l’expulsion des pontifes, c’est qu’il redoutait ses protestations. Symmaque, l’un de ses représentants les plus illustres, est resté comme le défenseur type du paganisme expirant. Sa remarquable éloquence, ses rares qualités d’écrivain, les hautes fonctions qu’ils avait obtenues et remplies avec intégrité lui valaient la confiance du Sénat. Devenu pontife, il apportait une exactitude scrupuleuse à l’exercice de ses fonctions, multipliait les sacrifices pour apaiser la colère des dieux, ranimait le zèle de ses collègues moins ardents. Se montrant plus logique en cela que nos académiciens ou nos ministres réactionnaires actuels, qui font l’apologie du catholicisme, mais s’abstiennent d’ordinaire, d’en observer les rites et d’en pratiquer la morale. C’est pour ne point trahir les traditions romaines et la mémoire de leurs ancêtres que la majorité des patriciens continuaient de se soumettre aux prescriptions religieuses d’autrefois. Ils estimaient que la cause de Rome était indissolublement liée à celle du paganisme, comme maints patriotes de chez nous supposent que le catholicisme est un facteur essentiel de la prospérité nationale. Les gens des campagnes restèrent attachés au culte ancien pour d’autres motifs. Ignorants, grossiers, presque incapables de penser parfois, ils avaient conservé une foi entière aux dieux que leurs pères adoraient ainsi qu’à la puissance des sorciers et des magiciens. Depuis longtemps la population laborieuse des villes était chrétienne, que l’on rencontrait toujours à la campagne des temples où fumaient les charbons du sacrifice, des effigies sacrées que vénéraient les habitants ; aux arbres, aux sources, chers aux divinités champêtres, on continuait d’apporter des fleurs et d’autres présents. Bacchus et Pan n’étaient pas oubliés ; Satyres et Dryades séjournaient encore dans la profondeur des bois. Dans bien des campagnes les pratiques ancestrales furent défendues pied à pied par les paysans ; le culte nouveau ne l’emporta qu’après une lutte prolongée. Malgré l’Église devenue toute-puissante, le paganisme subsista en plus d’une contrée ; et, dans beaucoup d’autres, il se modifia seulement. On continua de craindre et d’invoquer les anciens dieux transformés en puissances mauvaises, en démons ; leurs noms intervenaient dans les formules magiques, les imprécations et les serments ; une vertu secrète s’attachait, croyait-on, à leurs effigies. Les imaginations se détachaient avec peine des fantômes qui les avaient émues durant des siècles. Même dans les villes, les vestiges du paganisme subsistèrent nombreux. Au grand scandale des pèlerins, Rome retentissait, à certains moments de l’année, de chants utilisés autrefois par les idolâtres. Les luttes et les courses du cirque, les spectacles du théâtre restèrent, à l’époque chrétienne, fidèles à maintes traditions léguées par les païens. Des citoyens s’entretuaient certains jours, pour le plaisir de la foule, dans plusieurs villes italiennes, à Ravenne et à Orvieto par exemple ; cela en plein moyen âge. Pétrarque raconte qu’en 1346 il vit recommencer à Naples les spectacles du Colisée. Sans les violentes persécutions dont il fut l’objet de la part des empereurs chrétiens, le paganisme aurait subsisté à l’état, non de superstition, mais de véritable culte. Dès 341, un édit prohiba les sacrifices, et cette défense fut renouvelée, avec peine de mort, en 353 et 356 ; la même peine fut portée, par Théodose, en 385 contre les aruspices, en 392 contre ceux qui pénétraient dans un temple. Un édit de 408, complété par plusieurs autres d’Honorius, marqua la fin officielle de l’antique religion nationale. Mais, au milieu du vie siècle, ses partisans restaient assez nombreux et assez hardis, à Rome même, pour vouloir restaurer le Palladium et ouvrir le temple de Janus. Le paganisme devait d’ailleurs prendre sa revanche en fournissant de nombreux éléments au christianisme et en transformant sa physionomie première au point de la rendre méconnaissable. Au lieu de retrancher les fêtes traditionnelles, qui interrompaient la monotonie du labeur quotidien, l’Église les adopta, se bornant à remplacer les dieux de l’Olympe par le Christ ou les saints. Elle permit que des agapes fraternelles deviennent l’équivalent des anciens repas sacrés. La procession de la Chandeleur fut substituée aux Lupercales, celles des Rogations aux Ambarvales ; le culte de la Vierge Marie fit oublier celui des déesses, et l’on a dit qu’il avait plus fait pour le triomphe du christianisme que la main de fer des successeurs de Constantin, De nombreux temples furent transformés en églises ; on conserva souvent les anciens pèlerinages, en édifiant des chapelles ou des monastères là où se trouvaient les idoles ; la hiérarchie des dieux fut remplacée par celle non moins compliquée des saints. Nous n’en finirions pas de signaler les emprunts de toutes sortes que le christianisme fit au culte païen. Instruments liturgiques, ornements sacerdotaux, usage des cierges, de l’encens, etc., sont des legs des anciennes religions. Au moins par son aspect extérieur, le catholicisme actuel se rapproche plus du paganisme que du culte célébré par les chrétiens des temps apostoliques. Le parti pris des historiens bien-pensants est incapable, aujourd’hui, d’étouffer la vérité. Il existe à Luxeuil une collection remarquable de tombeaux gallo-romains du second et troisième siècles. Les personnages en relief qui les décorent, tiennent à la main des objets symboliques, en particulier des vases qui rappellent les emblèmes du culte eucharistique. Des prêtres avaient naturellement écrit de gros volumes pour démontrer qu’il s’agissait de tombes chrétiennes. En quelques pages, publiées par la Revue Archéologique, j’ai prouvé que les sarcophages gallo-romains de Luxeuil étaient ceux de très authentiques païens, qui n’avaient pu adopter les symboles eucharistiques, ne les connaissant pas. Tous les chercheurs sérieux m’approuvèrent, à commencer par Houtin ; pas un prêtre n’entreprit de réfuter mes arguments. Dès qu’un savant impartial s’avise de contrôler les dires du clergé, il aboutit à des conclusions désastreuses pour l’orthodoxie. C’est d’ailleurs ouvertement que le pape Grégoire le Grand conseillera aux missionnaires anglo-saxons de s’inspirer des coutumes païennes. — L. Barbedette.


PAIN n. m. (du latin panis, même signification). Convenons de suite qu’il y aurait trop à dire sur ce simple mot d’une syllabe en quatre lettres s’il nous fallait interpréter ici toute la signification qu’on attache à ce mot, pain. On la trouve, d’ailleurs, dans les dictionnaires, car le mot pain revient sans cesse dans la conversation de ceux qui s’en nourrissent et sous la plume des écrivains. On vit par le Pain ; on lutte pour le Pain.

Au début de la vie, ne se pose-t-elle pas déjà pour nous la question du pain ? C’est encore, à peu près partout, le premier souci des hommes pour lesquels la fameuse sentence :

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front… » n’est pas une vaine formule.

Si « l’espérance est le pain du malheureux », il ne suffit pas à le sustenter. Ce n’est pas avec ce pain là qu’il lui faut envisager l’avenir lorsque, par son travail, il doit gagner son pain et celui de la famille. Il nous paraît plus sage, pour l’homme et pour la femme, tout nouvellement unis par l’amour, d’examiner en face en pleine raison sainement, leur situation et de n’infliger la vie qu’à bon escient, c’est-à-dire de ne pas faire un malheureux à qui le pain fera peut-être manque. Nécessairement, il faut bravement affronter le problème du pain et le résoudre. Quand il y a de la misère pour deux, n’est-il pas criminel de l’augmenter pour qu’il y en ait pour trois ? Si la faim est la triste perspective des exploités, ceux-ci n’ont-ils point le devoir de s’assurer, en ne comptant que sur eux-mêmes, le pain quotidien, plutôt que de le demander en vain chaque jour, à genoux, en disant : « Notre Père qui êtes aux cieux, donnez-nous notre pain quotidien. »

Il faut du pain ! … Qu’il soit de seigle ou de froment ; qu’il soit blanc on noir ; qu’il soit frais ou rassis, il est pour le plus grand nombre des humains de nos contrées le plus indispensable des aliments… Or, ce n’est pas la Terre qui le refuse à l’homme ; c’est l’Homme qui ne sait pas se le procurer… Ce n’est pas le terrain qui manque pour ensemencer où il faut le blé, le seigle, le sarrazin. Pas plus que ne manque, sous divers climats appropriés, le terrain humide tout prêt à recevoir le riz, ce pain des Asiatiques qui devient aussi celui des Africains. Enfin, le pain et nous comprimons avec lui tout ce qui est un produit de la Terre et aliment primordial à l’entretien de la vie des êtres qui l’habitent — doit et peut être en suffisance pour tous. Il appartient donc à ceux qui ne s’en peuvent passer d’exiger qu’il en soit ainsi et de s’organiser pour qu’il n’en soit pas autrement.

La terre est vaste, elle est féconde, mais il faut qu’on l’ensemence, qu’on la cultive et, suivant les climats, suivant les lieux, il faut plus ou moins de travail, plus ou moins d’efforts. Nous pouvons dire maintenant qu’il faudra toujours moins d’efforts à mesure que les hommes sauront s’entendre, s’organiser, se comprendre, s’entraider, s’adapter aux méthodes nouvelles de culture intensive : merveilleux concours apportés à leur bonne volonté, à leur coopération, par les progrès de la science, pour l’engrais nécessaire et adéquat et du machinisme, pour l’outillage centuplant le rendement en diminuant la fatigue du travailleur.

Il ne s’agira pas toujours de se conformer avec résignation aux préceptes religieux « de gagner son pain à la sueur de son front ». Tout est à transformer pour le bien de tous. Aujourd’hui, nous savons parfaitement que ce ne sont pas ceux qui ont cultivé, récolté les biens de la terre qui en ont profité. On sait aussi que le pain noir fut toujours pour le serf attaché à la glèbe, trimant dur, du lever au coucher du soleil et que le pain blanc fut pour celui qui ne travaillait pas et ne manquait de rien pour manger et boire avec son bon pain de froment.

On sait également que le citadin qui ne cultive pas la terre, mais qui produit pour satisfaire à d’autres besoins, utiles à tous, se voit mesurer sa portion de pain et n’a pas droit à la bonne qualité de ce pain parce qu’il est un salarié et que ce système d’esclavage, le salariat, consiste à lui laisser la liberté de travailler ou non pour un salaire de famine, parfois et, en tout cas, toujours insuffisant : Cela a trop duré. Cela doit avoir une fin.

Ce n’est pourtant pas qu’on ait manqué de promettre à Jacques Bonhomme d’être un jour le libre producteur jouissant de son travail. Il s’aperçoit assez que ceux-là : les prometteurs, l’ont trompé en lui faisant entrevoir qu’il aurait « plus de beurre que de pain ». Le dégoût lui vient enfin de tous les politiciens présents et futurs et l’heure viendra où il comprendra finalement que l’association libre pour la production des biens de la terre et l’entente libre avec les producteurs des villes pour le libre échange de leurs produits mutuels, succèderont au système stupide des antagonismes, au régime odieux, de l’Autorité et de la Propriété !

Nous croyons préférable de laisser de côté les innombrables dictons et proverbes se rapportant au pain.

Pourtant, quelques-uns sont à noter :

« L’homme ne vit pas seulement de pain. » C’est juste. Il faut à l’homme de quoi apaiser sa faim qui se manifeste douloureusement et que le pain peut satisfaire, mais il faut encore qu’il puisse apaiser la faim du cœur, du cerveau, de l’esprit, des sens. La faim du cœur s’apaise par le pain de l’affection, de l’amitié, de la sympathie, de l’amour. La faim du cerveau, par le pain des connaissances, des recherches, de la réflexion, du raisonnement. La faim de l’esprit et de la pensée par le pain de l’éducation, des arts, des agréments spirituels. La faim des sens par le pain de l’exercice, des sports, le culte de la beauté, le goût des voyages, la prédilection, pour toutes les manifestations de joie, de courage, d’émotion, qui charment, réjouissent, passionnent et apaisent les sens. Évidemment tout cela sans abus du régal d’un sens aux dépens des autres. C’est ce que fit bien comprendre Octave Mirbeau, par sa pièce, les Mauvais Bergers, lorsque son héros, revendiquant pour ses camarades, réplique au patron qui semble le taxer d’exagération parce qu’il demande une bibliothèque : « Nous ne voulons pas seulement du pain, nous avons droit, comme les riches, à de la beauté ! » Le pain de l’esprit est aussi nécessaire que le pain du corps, à tout individu normal.

Le dicton : « Liberté et pain cuit » qui signifie : « Le bonheur consiste dans l’indépendance et l’aisance » nous convient également et nous l’avons démontré dans le monde ouvrier en adoptant la fameuse devise du syndicalisme d’avant-guerre. Bien-être et Liberté. Leur conquête mérite nos efforts associés.

Panem et circenses (du pain et des spectacles) fut une revendication facile à satisfaire à l’époque où les jouisseurs de la Rome antique avaient à si vil prix, la conscience tranquille dans l’orgie criminelle de la décadence, par l’abrutissement et les goûts cruels du Peuple.

Le pain et sa fabrication ont des origines qui remontent jusqu’aux Égyptiens. Sa fabrication fut-elle plus ancienne encore ? Cela n’est pas le plus intéressant pour nous. Nous avons mieux à savoir sur le pain.

Ce que nous aimons à constater, c’est que ce minimum de besoin pour tous ne fut pas toujours — tant s’en faut — à la disposition des êtres humains qui en avaient le plus besoin. Le pain manqua souvent à la plus intéressante partie de l’Humanité.

L’Histoire nous énumère les misères du peuple qui manquait de tout puisqu’il manquait de liberté et de pain. On se souvient que malgré les fastes et les somptuosités de Versailles, la pauvreté était grande parmi les gens du Peuple, dans la capitale du royaume de Louis XIV. Et dans les campagnes les paysans se traînaient sur les genoux pour chercher et manger certaines racines, affirme un écrivain anglais de l’époque. Les sujets du Grand Roi manquaient de pain, si l’on ne manquait de rien dans les châteaux et les palais des privilégiés. Un peu plus tard, sous l’un des règnes suivants, une princesse trouva très drôle que le Peuple manquât de pain et elle s’écria tout naturellement : « S’il n’a pas de pain, qu’il mange de la brioche ! » Cruelle inconscience !

Peu de temps après, une fois de plus, le Peuple manquait de pain, parce que les arrivages de grains étaient pillés avant d’atteindre la capitale ou accaparés par certains profiteurs des misères publiques ; les femmes du Peuple de Paris s’en allèrent alors à Versailles pour en ramener le Boulanger, la Boulangère et le Petit Mitron. En même temps, vite, haut et court, furent pendus par la Justice expéditive du Peuple en révolution, quelques-uns des accapareurs des blés ou farines.

C’est ainsi que débuta la Révolution Française. Qu’on ne l’oublie pas ! D’autres révolutions eurent les mêmes débuts.

Mais, depuis, l’accaparement a continué et il n’a pas pris fin. Sous forme de vie chère, les abus criminels des profiteurs se perpétuent et les misères s’accroissent parmi les travailleurs. Et cela d’autant mieux qu’une crise financière arrive toujours succédant à des opérations crapuleuses de profits et d’agio. Le pain est toujours d’un prix plus élevé le matin qu’il n’était le soir. Une presse infâme, au service des plus offrants, se charge de démontrer cyniquement que tout est pour le mieux : le prix du pain, disent les journaux, a diminué de 0 fr. 05 le kilo… C’est parfois exact. Mais il avait alors augmenté de 15 ou 20 centimes auparavant. Les scandales se suivent et les poursuites aboutissent à l’oubli.

Il y a, de plus, des combinaisons formidables qui semblent faites exprès pour engendrer des calamités, des catastrophes, en attendant mieux. Des paysans, gros propriétaires aiment mieux donner leur blé aux bestiaux que de le vendre aux minotiers. Des boutiques de boulangerie sont vendues ou revendues, chaque année, avec des bénéfices énormes. D’autres sont achalandées, restaurées de façon extraordinairement luxueuses, éblouissantes. Des dallages, des mosaïques à l’intérieur ; du marbre et des dorures à l’extérieur… Que de milliers et de milliers de francs gaspillés en poudre aux yeux ! Mais le pain est toujours plus cher et le pain est toujours plus mauvais ! On se plaint un peu, mais la Révolte dort. Le chômage, dans toutes les époques de misère, dans toutes les crises économiques s’accentue et prend des allures inquiétantes, menaçantes même. Il faut secourir les chômeurs, coûte que coûte, car la révolte gronde et la Révolution peut apparaître. Des milliers de chômeurs, c’est la rafale terrible que craignent les jouisseurs ; ils ne peuvent plus fermer les yeux ni se boucher les oreilles. Ils voient l’innombrable foule qui s’avance, ils entendent les hurlements terribles des moutons qui sont devenus des loups.

Le souvenir des canuts de Lyon au siècle dernier se dresse en leur pensée. Ils croient entendre les affamés crier : Du travail ou du pain ! et d’autres : Du plomb ou du pain !

C’est de l’Histoire cela et ce fut sans doute enseigné aux Bourgeois, fils de Bourgeois et Parvenus qui se prétendent républicains, mais non pas à la manière de ceux qui, jadis, chantaient et dansaient la Carmagnole devenue aujourd’hui, et depuis longtemps subversive en ses mâles couplets, tel celui-ci :

Que faut-il au Républicain (bis)
Du plomb, du fer et puis du pain (bis)
Du plomb pour se venger ;
Du fer pour travailler ;
Et du pain pour ses frères…
Vive le son !… Vive le son
Et du pain pour ses frères…

    Vive le son
    Du canon !

Et cela chatouille désagréablement le sens de l’entendement des profiteurs de toutes sortes, maîtres ou valets, qui ne vivent et ne jouissent de la misère des autres qu’autant que durent l’abrutissement et la résignation, par l’ignorance et la lâcheté de ceux qui souffrent si longtemps avant de comprendre, de s’éveiller et de se révolter. Or, tout arrive, même la Révolution sociale pour établir un régime de Justice vraie, de Liberté réelle, d’Entente fraternelle entre tous les exploités du monde, tous les gueux de l’univers : ils sont le nombre, ils sont la Force !

Le Pain pour tous, à la façon dont nous l’avons compris et dont nous nous efforçons de le faire comprendre, c’est déjà ce que conçoivent des millions de malheureux sur la terre, victimes de l’Exploitation, de l’Autorité. Ah ! s’ils s’entendaient !…

On n’arrête pas le murmure
D’un peuple quand il dit : « J’ai faim ! »
Car c’est le cri de la nature :
Il faut du pain ! Il faut du pain !

Tous les pays ne sont pas aussi vastes que l’Inde et aussi peuplés de fanatiques pour subir comme eux des famines formidables et horribles. On a peine à se rendre compte que 90 % des habitants de ce pays fertile ne mangent pas à leur faim.

« Sur trois cents millions de paysans répandus à travers toute l’Inde, il y en a bien quarante millions, surtout dans les États des Princes, qui ne peuvent s’offrir plus d’un repas par jour. Et quel repas ! Le plus souvent de la farine de millet, délayée dans de l’eau. Car ceux qui cultivent du riz le conservent pour le vendre. C’est la famine déguisée, juste de quoi ne pas mourir. Quant à la plupart des autres, il est rare qu’ils mangent à leur faim. Cet immense peuple d’une intelligence particulièrement vive, au passé glorieux, à l’antique civilisation, ne vit guère mieux que les peuples les plus barbares du Centre de l’Afrique. Peut-être même vit-il moins bien, puisque sa religion lui interdit de tuer, il n’a pas la ressource de la chasse. » (L’Inde contre les Anglais, par Andrée Viollis.)

« La misère de l’Inde n’est pas une opinion mais un fait », écrivait, il y a quelques années, J. Ramsay Mac Donald. Si l’on n’y voit plus guère de ces terribles famines qui firent tant de victimes au dix-neuvième siècle — 2 millions en 1899 — il y a encore des disettes causées, non pas toujours par des récoltes insuffisantes, mais par la nécessité pour les paysans de vendre ces récoltes, sans garder le nécessaire, il y a toujours des privations.

Nous pouvons ajouter qu’il y en eut plus qu’il n’y en aura. Les peuples de l’Inde ont assez d’avoir faim et ce n’est pas la domination anglaise qui pourra longtemps encore maintenir la misère, étouffer la révolte dans le vaste Empire en marche vers son indépendance prochaine.

D’autres peuples d’Asie, sans doute, ne tarderont guère à vouloir aussi semer et récolter pour eux.

Et pourquoi pas ? Qui sait si la colonisation barbare par les civilisés n’ouvrira pas la voie à l’expansion grandiose des idées de Bien-Être, de Liberté et de Fraternité des Peuples.

Le Pain et l’Indépendance pour tous, d’abord ; la fusion des races, la fin des religions, l’abolition de l’esclavage (y compris celui du salariat), l’anéantissement de toutes les dictatures (y compris celle du Prolétariat), voilà ce que nous croyons voir poindre à l’horizon des temps nouveaux, où personne ne manquera de pain. — Georges Yvetot.

PAIN. On a vu, par l’étude qui précède, la place que tient le pain dans les préoccupations populaires. Les foules ne le réclament aux heures de crise ou d’émeute avec cette insistance, il n’est devenu l’appel symbolique de la détresse qui s’insurge, que parce qu’il est, en France notamment, l’aliment principal des masses travailleuses. Aussi, quand on considère pour quelle proportion le pain entre dans la nourriture de millions d’êtres humains, ne peut-on se désintéresser de sa substance et de sa préparation, des éléments qu’il apporte en définitive à ceux qui attendent de lui la croissance, la réparation de leurs forces, l’entretien de la vie.

Il y a quelques décades encore, le pain des campagnes, pain naturel, fait de froment normal, justifiait pour une large part les espérances fondées sur ses propriétés. Mais la civilisation est venue qui vise à tout perfectionner (et qui, mal dirigée, aboutit d’abord à dénaturer). Et l’industrie qui s’emploie, sans le contrôle de l’affairisme, à satisfaire les besoins les plus absurdes. Et la chimie, aux prétentieux ersatz… Le « progrès » s’est penché sur le pain de nos pères. Ce bon pain bis, auquel pommes de terre et fromage faisaient un frugal cortège, et qui nourrissait sainement des gens besognant dur, qu’a-t-il gagné à tant de sollicitude ? Tout simplement de devenir un coquet mais dangereux pain blanc qui trahit aujourd’hui la confiance de ceux qui persistent à juger le Pain sur les vertus du passé. Car il y a un abîme entre le pain rustique du tour familial, entre le « pain de ménage » et le magma perfide qu’est le pain blanc de nos élégantes boulangeries…

C’est au moulin qu’on fait généralement remonter les prémisses de l’œuvre d’altération (nous verrons plus loin qu’elle s’étend jusqu’à la terre elle-même). En même temps que le discrédit frappait les lourdes meules aux lentes moulures — qui laissaient à nos farines le germe substantiel et une partie du son rafraîchissant — la science el la gourmandise vouaient le blé aux cylindres destructeurs, s’ingéniaient à des blutages raffinés. Broyeurs et trieurs perfectionnés livraient au boulanger une poudre appauvrie, d’une pâleur tout aristocratique… Mars nos tables s’agrémentaient de pain blanc !

Le pain blanc : pain mort qui a perdu les vitamines et les diastases de l’embryon, pain privé des matières grasses naturelles et des albuminoïdes, des sels minéraux contenus dans le germe et l’assise protéique, des éléments cellulosiques de l’écorce, bref, dépouillé de tout ce qui vivifie le corps et reconstitue les tissus, tonifie les organes et en facilite le jeu, pain réduit à n’être plus – ou presque — qu’ « une masse d’amidon de valeur alimentaire inférieure et provoquant des fermentations acides », source de dyspepsie et de décalcification. Le pain est passé à l’état d’aliment meurtrier, au point qu’on a pu obtenir (Dr  Leven, etc.) des cures de dyspepsies rebelles, de dermatoses même, par la suppression radicale du pain blanc. Certaines contrées (Angleterre, par exemple) en consomment relativement peu (100 à 150 grammes par personne et par jour). Mais les Français de toutes les classes sont restés de gros mangeurs de pain (400 à 500 grammes en moyenne), au point que cette habitude est regardée du dehors comme un trait national.

Toute une pléiade de docteurs et de savants, cependant, a lancé le cri d’alarme. Les Galippe et Barré, les Monteuis, les Lenglet, les Lumière, les Labbé, les Carton, les Durville, les Dumesnil (à qui j’emprunte ces documents et quelques citations) ont dénoncé « l’hérésie » et les méfaits du pain blanc. En France (Petit Journal, 1895), en Angleterre (pour le « standard bread » : Daily Mail, 1911), des campagnes de presse, malheureusement suivies de tentatives maladroites (farines diverses mêlées de son et d’éléments hétéroclites : pain de guerre avant la lettre) ont sombré dans le fiasco. A part quelques exceptions, et souvent par démagogie (Ami du Peuple), et des études dispersées (Quotidien, Œuvre, etc.), la grande presse d’aujourd’hui a trop de raisons pour refuser d’accueillir les arguments que les hygiénistes lui apportent. Des groupements naturistes, en France, en Suisse, etc., des publications (comme, chez nous, Naturisme, Régénération, La Revue Naturiste) ont, d’aucuns avec persévérance, poursuivi le procès nécessaire et travaillent encore à nous rendre un pain bis naturel, pain de farines de meules, débarrassées du gros son, mais conservant, avec le germe, l’énergie du grain vivant, l’assise protéique et les parties internes de l’enveloppe, un pain à la fois complet, nutritif et digeste…

Nous n’avons pu, dans ce bref aperçu, que signaler les déficiences résultant des procédés mécaniques de la minoterie moderne. Nous ne pouvons davantage exposer, dans toute leur ampleur, les maux causés dans l’organisme par l’ingestion de substances qu’une habile fabrication emprunte à la chimie (emploi de composés colorés pour le blanchiment, de bromates, de persulfates, etc., produits « améliorants » destinés à faciliter la panification, tous gaz ou sels toxiques). Nous ne ferons aussi que mentionner quelques-unes des altérations que la soif du gain, la passion des gros bénéfices, parfois aussi le désir de flatter la clientèle, n’a pas manqué d’introduire ici, comme en tant d’autres domaines (adjonction de talc pour « économiser » la poudre de blé, de sulfate de cuivre pour « régénérer » les farines vieillies ou avariées, de savon pour rendre onctueux les croissants, etc.). Ces fraudes se rattachent à la sophistication générale (voir ce mot) qui envahit toute La production, surtout industrielle, sans respect pour tout ce qui touche à l’alimentation… Nous ne ferons qu’effleurer quelques tactiques boulangères destinées à renforcer le poids (eau en excès, cuisson incomplète et brusquée, etc.) et le mépris de l’hygiène qui préside a la fabrication (fournils en sous-sol, poussières flottantes, eaux croupies ou polluées, ouvriers expectorant, etc.), négligences qui se poursuivent jusqu’à la livraison et véhiculent les contagions tuberculeuses ou typhiques. Nous passerons sur la présence, dans les farines mal travaillées ou truquées, des nielles et des ivraies, des succédanés de toute nature sur les moisissures des grains mal soignés, exposés, par surcroît, aux déjections des rongeurs et des chats. Nous ne remonterons pas davantage jusqu’aux errements — et aux calculs — d’une culture qui sacrifie la qualité au rendement et substitue aux variétés éprouvées des variétés médiocres, mais abondantes, qui ne choisit ni ne dose à bon escient ses engrais, conceptions qui nous valent, à la base, des carences (magnésium, chaux, etc.) ou des excès (potassium) que la biologie regarde comme pernicieux…

Ceux à qui le problème apparaîtra dans son importance consulteront avec fruit les ouvrages ou les études des auteurs précités. Ils accompagneront les efforts et vulgariseront les dénonciations motivées des publications et des hommes qui ne voient pas sans inquiétude le déclin précipité des races et luttent assidûment pour l’enrayer… Ils apprendront aussi que le premier coupable de l’effondrement vital du pain à notre époque est encore le consommateur qui réclame, comme un bienfait, qu’il lui soit servi du pain blanc. Et que son éducation, d’abord, est à faire. Ils réclameront ensuite que soit obtenue, par une organisation ad hoc des moulins, et « de concert avec la minoterie (intéressée à tenir compte des goûts du public) et sous le contrôle d’hygiénistes compétents, la farine normale ». Et ils exigeront que la réforme gagne la panification elle-même (locaux manipulations, traitement de la pâte, etc.) et les transports, et les précautions ménagères. Et ils pourront alors caresser l’espérance que le pain redevienne — et sous une forme plus élevée, plus complète encore et plus saine – « notre aliment fondamental ». — S. M. S.