Aller au contenu

Encyclopédie anarchiste/Physicisme - Plagiat

La bibliothèque libre.
Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Libraire internationale (p. 2039-2050).


PHYSICISME n. m. Pour expliquer les phénomènes qu’ils étudient, les biologistes et les médecins tendent de plus en plus à abandonner le terrain purement chimique. Ils font appel à la physico-chimie, à la physique, à la mécanique. Ainsi se développe progressivement la conception que, depuis des années, j’ai systématisée sous le nom de physicisme biologique.

J’insiste sur ce point. Le physicisme n’est pas une hypothèse, en vue de l’esprit. C’est une méthode de recherche positive, dont les résultats acquis conduisent à une sorte d’identification du « vivant » et du « nonvivant », des « êtres » et des « choses ». Devant ses conquêtes, disparaît l’idée d’inertie. Inversement, nulle loi d’exception ne s’applique à l’organisation. Les structures, les fonctions, les mouvements sont justiciables des mêmes procès et des mêmes énergies dans le règne biologique et dans le règne minéral. Je ne reviendrai pas ici sur ces aperçus et les faits sur lesquels ils s’appuient, les ayant largement exposés dans de nombreux articles et mémoires, et surtout dans le Dictionnaire de biologie physiciste et dans Les Horizons du Physicisme (Maloine, éditeur). Il suffira d’ajouter que chaque jour apporte à ma conception, d’ailleurs entrevue parallèlement par d’autres investigateurs, un nouvel appoint de travaux confirmatifs, dont l’ensemble permet déjà d’entrevoir l’étonnante fécondité d’une telle orientation.

C’est ainsi que le docteur Jules Regnault, dont le nom, — popularisé par l’opération qu’il pratiqua sur lui-même en 1912, — est attaché à de nombreuses recherches scientifiques poursuivies depuis près d’un tiers de siècle, vient de publier un ouvrage remarquable sur les Méthodes d’Abrams (Maloine, éditeur, 1927), qu’il a contrôlées, étendues, mises au point.

Albert Abrams, médecin américain d’origine israélite, mort à San Francisco en janvier 1924, a consacré toute sa carrière à l’étude des réflexes viscéraux, c’est-à-dire des réactions organiques inconscientes provoquées par des excitations nerveuses. Il en a tiré une première méthode thérapeutique, la spondylothérapie, qui emploie dans un but curatif les réflexes déterminés par des actions physiques variées, — froid, pression, courant de haute fréquence, percussion, — portant sur des points convenablement choisis au voisinage de la colonne vertébrale. Puis, il est arrivé à la médecine dite électronique, en constatant que les diverses maladies présentent une polarité caractéristique de leur énergie, dont certains réflexes, peuvent être utilisés comme « détecteurs ».

Abrams et Regnault considèrent l’économie comme un système vibrant formé d’une juxtaposition de champs électro-magnétiques. A chaque maladie répond une fréquence vibratoire déterminée, et l’expérience montre qu’en faisant traverser l’organisme par un courant de haute fréquence à période oscillatoire variable, certains rythmes provoquent des phénomènes de résonance dont on peut tirer parti pour agir sur les tissus et détruire l’état morbide. « Chaque objet, dit Abrams, a une certaine période naturelle de vibration. Si nous approchons d’un objet une source de vibration de même rythme vibratoire que lui, la vibration forcée de l’objet atteint une amplitude telle, qu’elle peut le briser ou le détruire entièrement. » C’est pour cette raison, ajoute J. Regnault, qu’un chanteur puissant, après s’être rendu compte de la note donnée par un verre de cristal, le brise facilement en poussant cette note au-dessus du verre. Par les méthodes d’Abrams, on obtient le même effet destructeur sur les cellules morbides. Il y a là, sans doute, l’une des plus notables indications curatives sur les maladies néoformantes, tuberculoses et cancers. Mais c’est également une curieuse démonstration, sur le « vivant », du physicisme biologique. Et cette démonstration prend un intérêt sans précédent de l’ingéniosité des dispositifs expérimentaux que le docteur Abrams, puis le docteur J. Regnault, — plus physicien que le « physician » américain, — ont dû successivement imaginer et perfectionner.

J’ai dit ailleurs (Horizons du Physicisme) que les lois physiques sont strictement valables pour les êtres organisés, et j’en ai cité plusieurs exemples typiques. D’après Jules Regnault, la théorie des quanta serait aussi applicable aux organes. On sait que Max Planck appelle « quanta » les quantités d’énergie minima nécessaires pour produire un effet. N’importe quelle quantité faible ne suffit pas forcément à déclencher un phénomène ; et d’autre part, une quantité plus forte que le quantum n’agit pas davantage que lui. Aussi, la Nature procède-t-elle par bonds, ce qui expliquerait les mutations brusques étudiées par Hugo de Vries. Cette loi du « tout ou rien » s’applique à la posologie des extraits organiques. Si, à une poule chaponne, on greffe quelques centigrammes de testicule, elle reste chaponne. Rien n’apparaît jusqu’à ce que la dose atteigne 0 gr. 45. Alors, explosent subitement les attributs du mâle. Une dose plus forte ne donne pas plus : la dose minima est en même temps la dose optima, c’est-à-dire la plus favorable à l’accomplissement du phénomène. Pezard a obtenu les mêmes résultats quand il a injecté du suc testiculaire frais (Les méthodes d’Abrams, p. 177).

Si l’on ajoute à ces données, toutes plus ou moins nouvelles, les travaux de J. Vallot, G. Sardou et Maurice Faure relatifs à l’influence des tâches solaires sur les accidents aigus des maladies chroniques ; ceux de Faure sur les recrudescences de morts subites provoquées par la même cause ; ceux de Jules Regnault, de Maurice Roblot, de Franck-Duprat, de Al. Bécédéef, sur les influences cosmiques (Côte-d’Azur médicale, avril 1927), les miens, sur l’action du tourbillon terrestre et des vibrations telluriques sur l’organisation et la morphologie des animaux et des plantes (Côte-d’Azur médicale, 1924-1927), on se rend compte de l’importance croissante des considérations physiques dans l’élucidation des déterminismes biologiques. On s’aperçoit en outre que les êtres, les choses et les mondes, apparaissent aux yeux du physicien comme des juxtapositions de champs de force, — probablement de champs électromagnétiques. L’activité mécanique dérivée de ces champs de force constitue la Vie, et celle-ci est universelle, puisque inhérente à la nature même du Tout et de ses parties ; éternelle comme l’univers auquel nous ne pouvons assigner ni premier commencement, ni fin ultime ; et solidaire en vertu des inévitables influences mutuelles des champs de force.

Cette « grande vérité » du Physicisme peut seule servir de substruction, pour les esprits éclairés de notre époque, à un credo philosophique et à une morale objective. Sa mise à jour aura été, en dehors de toutes les vaines agitations de la fourmilière, la formidable révolution humaine du xxe siècle de notre ère. Elle a déjà sa phalange d’apôtres et de disciples groupés autour de notre ami F. Monier, le penseur des Lettres sur la Vie. Ce groupe d’esprits généreux et avertis, — j’ai nommé l’Association internationale biocosmique, — n’est encore qu’un jeune arbrisseau, mais gonflé de sève, en pleine croissance ; et demain, peut-être, ses rameaux élargis abriteront l’humanité d’un tutélaire ombrage. — Albert Mary.


PHYSICO-CHIMIE, PHYSICISME BIOLOGIQUE. Longtemps, physique et chimie restèrent séparées. La première, disait-on, étudie les propriétés générales des corps, les phénomènes superficiels et passagers qui n’altèrent pas leur structure intime ; la seconde étudie les phénomènes profonds qui modifient leurs qualités constitutives et permanentes. Ainsi, la chaleur, phénomène physique, n’enlève pas aux corps leur individualité propre : leurs caractères primitifs reviennent dès qu’elle a disparu. Quand l’oxygène et l’hydrogène se combinent pour donner de l’eau, le fait s’avère d’ordre chimique, au contraire, car il suppose une durable métamorphose. Présentement, la physique est définie la science des transformations de l’énergie, la chimie celle des transformations de la matière. Mais les barrières établies entre elles disparaissent graduellement ; dans certaines branches particulières, leur fusion est un fait accompli. Une science jeune, qui déjà compte à son actif d’importantes et nombreuses découvertes : la physico-chimie, étudie les phénomènes que peuvent également revendiquer le chimiste et le physicien. Toutes les recherches chimiques effectuées par des procédés physiques, celles d’un Curie, d’un Perrin, d’un Millikan par exemple, rentrent dans son domaine. Théorie électronique de la matière, structure intime de l’atome, mouvement brownien et, d’une façon générale, ce qui concerne la dynamique intra-atomique, voilà les sujets qui, à l’heure actuelle, retiennent de préférence son attention. Et, si elle doit nous arrêter, c’est à cause de ses résultats théoriques, plus remarquables encore que les applications pratiques, pourtant prodigieuses, dont elle est la source. Dès aujourd’hui, la physico-chimie permet de répondre à ces questions, considérées par les philosophes comme essentiellement métaphysiques : qu’est-ce que la matière, d’où vient notre univers et quelle sera sa destinée, comment naissent et meurent les mondes ? En un mot, au problème longtemps énigmatique de l’origine première, elle fournit une solution. Preuves, entre bien d’autres, que l’inconnaissable des positivistes n’est tel que provisoirement et, qu’avec un peu de patience, la raison appuyée sur l’expérience déchirera les voiles dont s’entourent métaphysique et religion. Mais la presse, qui parle complaisamment des effets pratiques de la radioactivité, ne dit pas que les récentes découvertes physico-chimiques rendent absolument inutile l’hypothèse d’un dieu créateur. De plus les esprits ne sont pas habitués à concevoir les phénomènes cosmiques comme se déroulant, non en ligne droite, mais sur le modèle d’un cercle fermé. Ils ne comprennent pas que la mort de mondes vieillis provoque infailliblement la naissance de mondes nouveaux ; sans qu’on puisse parler d’origine première ou de fin ultime, car il s’agit des phases successives d’un processus circulaire qui se répète indéfiniment. Dans Face à l’Éternité, puis dans la préface du livre de G. Kharitonov, Synthanalyse, j’ai insisté sur ces idées, sachant d’ailleurs qu’elles étaient trop neuves, trop contraires aux conceptions traditionnelles, pour être comprises immédiatement.

Si, dans un tube de verre, où passe un courant électrique, on pousse le vide jusqu’à une pression comprise entre 1/100.000e et 1/1.000.000e d’atmosphère, toute colonne lumineuse disparaît ; par contre, la paroi opposée à la cathode s’échauffe et s’illumine d’une lueur verdâtre ou violette. Crookes, le premier, observa ces phénomènes en 1886. Des rayons sont émis par la cathode, qui semblent constitués par des particules de matière transportant de l’électricité négative et animées d’une extrême vitesse. Au voisinage de la cathode, les molécules de gaz restées dans le tube seraient décomposées en ions positifs, absorbés par la cathode, et en ions négatifs qui, projetés en ligne droite, constituent les rayons cathodiques. La vitesse des particules ainsi projetées est de 40.000 à 60.000 kilomètres par seconde ; elle varie d’après la différence de potentiel qui, dans le tube de Crookes, existe entre les deux électrodes. Ainsi le rayonnement cathodique apparaît constitué d’éléments infimes, arrachés aux atomes des corps. Ces constatations devaient conduire à la théorie électronique de la matière et au problème de la structure de l’atome. Les découvertes d’Henri Becquerel, un peu plus tard, puis de M. et Mme Curie aboutirent à des conclusions de même ordre. Après de minutieuses recherches, Henri Becquerel résumait ainsi ses observations, en 1896 : « L’uranium et tous les sels d’uranium émettent un rayonnement invisible et pénétrant qui produit des actions chimiques, photographiques et décharge à distance les corps électrisés. Ce rayonnement paraît avoir une intensité constante, indépendante du temps et n’être influencé par aucune cause excitatrice extérieure connue. Il paraît donc spontané. Il traverse les métaux, le papier noir et les corps opaques pour la lumière. La plaque photographique et l’électroscope forment les bases des deux méthodes d’investigation pour étudier le nouveau rayonnement. La propriété radiante est liée à la présence de l’élément uranium : c’est une propriété atomique, indépendante de l’état moléculaire des composés. Les corps frappés par le rayonnement nouveau émettent eux-mêmes un rayonnement secondaire qui impressionne une plaque photographique. » On découvrit ensuite que le thorium et ses composés provoquaient des phénomènes identiques. Puis M. et Mme Curie remarquèrent que certaines chalcolites et certaines pechblendes étaient deux à quatre fois plus actives que l’uranium. « Il devenait dès lors très probable, déclarait Mme Curie, que si la pechblende, la chalcolite, l’antunite ont une activité si forte, c’est que ces substances renferment, en petite quantité, une matière fortement radioactive, différente de l’uranium, du thorium et des corps simples actuellement connus. J’ai pensé que s’il en était effectivement ainsi, je pouvais espérer extraire cette substance du minerai par les procédés ordinaires de l’analyse chimique. » En juillet 1898, Curie et sa femme annonçaient qu’ils avaient trouvé un corps quatre cents fois plus actif que l’uranium ; ils l’appelèrent polonium. En décembre de la même année, on apprenait qu’ils avaient extrait de la pechblende un corps neuf cents fois plus actif que l’uranium, et célèbre aujourd’hui sous le nom de radium. Depuis, on a isolé d’autres éléments radioactifs. Le radium dégage spontanément de la chaleur, de l’électricité, une lumière visible dans l’obscurité ; il produit des effets chimiques, provoque la luminescence de certaines substances, émet un triple rayonnement invisible. Tous les sels de radium dégagent une substance inconnue, qui se comporte comme un véritable gaz et produit, en se détruisant, de l’hélium, le plus léger des gaz après l’hydrogène. Dès lors, il apparut extrêmement probable que toute matière pondérable était d’origine électrique. (Voir article Matière.) Et l’on put concevoir comment naissent, meurent et renaissent les substances tangibles qui constituent l’univers observable. Bien des retouches seront apportées, sans doute, aux conceptions de G. Kharitonov. Il est même possible que l’origine et la fin des mondes soient expliquées par un processus différent. Il aura eu le mérite de démontrer, à l’aide d’arguments purement scientifiques, que les univers se succèdent sans fin, éternellement. Et je me félicite d’avoir contribué de toutes mes forces à la publication de sa Synthanalyse. Les travaux de Millikan et d’autres chercheurs célèbres conduisent, d’ailleurs, à des conclusions pareilles. « Que faut-il considérer comme commencement et comme fin ? Le cycle est fermé et pour cette raison comporte autant de commencements que de fins ; on peut dire que le commencement est une fin et la fin un commencement. » En vertu de lois inflexibles, la matière se désagrège et retourne aux éléments impondérables d’où elle était sortie, mais c’est pour renaître de ses cendres, tel le phénix dont parlaient les anciens. A l’angoissante question du premier et du dernier jour du Cosmos, nous pouvons apporter une réponse claire : « Si l’homme, écrit Kharitonov, pose une telle question, il est évident qu’elle est la suite de la contemplation des phénomènes qui l’entourent : il voit que chaque phénomène sur la terre a son commencement et sa fin. Ce n’est pas tout, l’astronomie lui montre que les étoiles sont aussi soumises à cette loi. Enfin, nous voyons, par tout ce qui nous entoure, qu’un corps organisé et limité dans l’espace est aussi limité dans le temps de son existence organisée. En examinant le genre humain, nous découvrons : qu’il fut un temps où il apparut sur la terre et qu’un temps viendra où il disparaîtra ; que la longévité du genre humain est déterminée par le remplacement d’une génération par l’autre. Il est évident que les hommes parurent sur notre planète lorsque les conditions correspondantes y naquirent. Quand les conditions changeront, le genre humain disparaîtra. Mais si les conditions dans lesquelles nous vivons sur la terre étaient constantes, l’existence du genre humain n’aurait pas de fin. Cela veut dire que la variété des conditions est la cause principale de l’apparition et de la disparition de la vie organique. C’est ce qui a lieu relativement au Cosmos. On peut comparer les univers séparés aux races humaines et. l’univers des univers au genre humain. Les mondes se forment, naissent et meurent ; les races apparaissent et disparaissent. Mais l’univers des univers n’a ni commencement ni fin, car les conditions dans lesquelles il existe sont invariables. L’éternité des conditions engendre la constance des formes. Voilà pourquoi l’univers des univers n’a jamais connu de naissance et ne connaîtra jamais la mort. » Un retour éternel, qui n’a rien de commun avec celui des spirites et des théosophes, tel serait l’inflexible destin des soleils et des mondes. A mon avis, l’homme pourra le rompre, s’il arrive, grâce à la science, à dominer les forces cosmiques dont notre terre est le produit. Au jeu aveugle des énergies naturelles, se substituerait alors la finalité éclose dans son cerveau. Et notre espèce, ou une autre plus intelligente, remplacerait les dieux morts à la tête de l’univers. Le physicisme biologique se propose de répondre, lui aussi, à un problème considéré, jusqu’à présent, comme foncièrement métaphysique, celui de la vie. Nous n’insisterons pas, le lecteur devant trouver, à l’article Plasmogénie d’amples renseignements sur ce sujet. Stéphen Mac Say s’occupe, avec beaucoup de dévouement, de l’Association Biocosmique qui s’intéresse aux plus mystérieuses recherches biologiques. Ajoutons que deux savants ont cru, ces dernières années, avoir résolu le problème des origines de la vie. Le silence s’étant fait, depuis, sur leurs découvertes, nous ignorons absolument ce qu’elles valent et n’en parlons qu’à titre documentaire. Le docteur G.-W. Crile, pouvait-on lire dans le Daily Mail du 10 décembre 1930, « un savant renommé de l’Association Clinique de Cleveland, a réalisé une créature vivante dans un tube à essais, « sans aucun parent » !… Des tissus cérébraux provenant d’un animal fraîchement tué furent réduits électriquement en cendres. De ce résidu, certains sels et d’autres éléments furent obtenus. À cette substance furent ajoutés de la protéine et divers principes chimiques. Le tout fut traité électriquement et aux yeux des savants apparut une chose douée des caractères d’une cellule vivante de protozoaire. Cette « chose » possédait le pouvoir de procréation par fusion ou divisions cellulaires. » On a de même annoncé qu’avec du protoplasma extrait de divers minéraux, tels que la craie, les roches calcaires, la poussière d’éponges, l’huile de foie de morue, W. Morley Martin, un Anglais, parvenait à produire des animaux vivants. Au dire de ce savant, la substance protoplasmique serait chose éternelle, indestructible, dont ni le temps ni le feu ne peuvent avoir raison. Nous manquons de renseignements pour nous prononcer sur les recherches du docteur Crile et de W. Morley Martin. Sont-elles sérieuses, ne le sont-elles pas ? Nous l’ignorons ; et, en pareil cas, la prudence s’impose. Nous savons, toutefois, que la raison et l’expérience arriveront, un jour, à nous éclairer pleinement. — L. Barbedette.


PHYSIQUE n. f. (du grec phusis, nature). Alors que la mathématique a pour objet des créations abstraites de l’esprit, la physique, dont la chimie est aujourd’hui inséparable, étudie des réalités extérieures et sensibles, les phénomènes du monde inorganique. Et, comme ces réalités s’imposent à nous, il est indispensable de recourir à l’expérience pour les connaître scientifiquement. C’est Bacon qui, répudiant les conceptions finalistes chères à la physique de son temps, eut le mérite de proclamer avec force qu’il fallait renoncer à imaginer un monde conforme à nos désirs, pour observer les phénomènes avec précision et impartialité. La nature ne livre ses secrets qu’à ceux qui l’interrogent ; elle reste indéchiffrable pour quiconque s’en détourne et ne l’écoute pas. Descartes demandait, au contraire, que la méthode de la physique soit calquée sur celle des mathématiques. Persuadé que l’univers, en son fond, est quantité pure, que les données qualitatives dépendent du corps et des organes des sens, il accordait au raisonnement déductif une place de premier ordre. Toutefois, l’expérience conservait un double rôle : c’est elle qui posait les problèmes et c’est elle qui permettait de choisir entre les différentes solutions offertes par le calcul mathématique. Longtemps, la tendance expérimentale l’emporta. Si les mathématiques sont commodes pour formuler avec précision les lois découvertes, remarquait Newton, la découverte elle-même est le résultat de l’observation. Au cours des xviii- siècle et xixe siècle, beaucoup de physiciens s’attachèrent à l’étude des faits, à la découverte de phénomènes encore ignorés, se bornant à transformer, dans la mesure du possible, les lois qualitatives en lois quantitatives d’un usage plus facile pour les applications pratiques. Puis l’on s’aperçut qu’il s’agissait, en bien des cas, de mouvements et d’ondes ; à l’origine du son, comme de la lumière, comme de certains phénomènes électriques, on trouve les vibrations d’un milieu approprié. Ainsi nous arrivent du soleil, sous forme ondulatoire, lumière, chaleur, électricité et peut-être cette force mystérieuse qu’on nomme l’attraction. Tout se meut, rien n’est inerte, au sens où l’on employait autrefois ce mot. Dès lors la mesure intervient pour déterminer les fréquences, les amplitudes, etc. ; la mécanique acquiert une importance primordiale et les formules algébriques se multiplient. Certaines parties de la physique ont aujourd’hui un caractère mathématique très accentué. Mais, comme le faisait déjà remarquer Leibniz, les mathématiques comportent une multitude de combinaisons possibles, seule l’expérience permet de distinguer celle qui est réelle de celles qui ne le sont pas. « Les limites mêmes, écrit Meyerson, entre ce à quoi nous devons attribuer une existence dans le sens physique, et les concepts qui ne sont que d’essence mathématique, nous sont inconnues ; parmi ceux que nous classons, à l’heure actuelle, dans cette dernière catégorie, il peut certainement y en avoir qui demain serviront à des explications en matière de physique. Par le fait, MM. Weyl et Eddington, dans leur tentative d’élargir les cadres de la théorie formulée par M. Einstein en y englobant les phénomènes électriques, ont manifestement recouru à une telle transformation du mathématique en physique. Ces tentatives, ou des tentatives plus hardies peut-être encore dans l’avenir, sont-elles destinées à réussir, c’est-à-dire à prévaloir dans l’esprit des hommes compétents et à s’installer à demeure dans la science ? Cela dépendra de la force explicative de ces déductions et, plus encore sans doute, de la manière dont pourra s’établir l’accord entre leur aboutissement et les résultats d’expériences nouvelles. Donc, en définitive, tout dans cet ordre d’idées dépend de la marche du savoir expérimental, rien n’étant prévisible a priori. » Ainsi l’expérience gardera toujours une place nécessaire en physique : nous avons précisé son rôle à propos de l’observation (voir ce mot). Il nous reste à montrer comment de la constatation des faits l’esprit s’élève à l’affirmation des lois. Déterminer la cause des phénomènes, c’est-à-dire leur antécédent nécessaire et suffisant, telle est la principale préoccupation des sciences physiques ; cette détermination accomplie, l’on peut exprimer les rapports qui relient antécédent et conséquent, formuler des lois. On suppose alors que chaque événement requiert des conditions précises, que, dans des circonstances identiques, les mêmes antécédents seront toujours suivis des mêmes conséquents. Le principe du déterminisme soutient l’édifice des lois physiques. Mais la découverte des causes est difficile. Nos sens ne perçoivent pas le lien causal ; ils nous présentent des successions de faits, sans nous renseigner sur la nature des rapports qui les unissent. J’attribue à la chaleur l’ébullition de l’eau, la dilatation du fer ; l’expérience me montre seulement des phénomènes qui se succèdent, en aucune façon je ne saisis l’action de la chaleur, soit sur l’eau, soit sur le fer. De plus, chaque conséquent est précédé d’une multitude de faits qui s’enchevêtrent et s’amalgament ; rien ne distingue la cause véritable noyée au sein des autres antécédents. Et nous sommes incapables de réaliser un vide complet où chaque phénomène, introduit séparément, produirait les effets qui lui sont propres. L’isolement total d’un antécédent est, pour nous, chose irréalisable en pratique ; mais grâce au raisonnement, des expériences successives permettent d’aboutir, par élimination, à la coïncidence solitaire entre le phénomène-cause et le phénomène-effet. « Or, si une coïncidence, même répétée, constante et variée, ne suffit pas dit Rabier, à prouver rigoureusement la causalité, quand cette coïncidence se produit au milieu de coïncidences multiples, c’est-à-dire quand l’antécédent et le conséquent sont mêlés et confondus dans une pluralité d’autres phénomènes, au contraire, un seul cas de coïncidence solitaire suffit à prouver un lien de causalité. Là, en effet, où un seul antécédent est donné, on ne saurait douter que cet antécédent ne soit la condition déterminante du phénomène. L’exclusion de tous les autres antécédents a exclu la possibilité de toute autre hypothèse. » C’est à réaliser la coïncidence solitaire que visent et les tables de Bacon et les méthodes de Stuart-Mill. L’on aboutit à des rapports que l’esprit généralise, en vertu du principe d’universel déterminisme. Mais alors que, dans les sciences peu avancées, les lois restent, en général, d’ordre qualitatif, en physique et en chimie, elles dépassent, habituellement, ce stade pour devenir quantitatives. On ne se borne plus à décrire les phénomènes et à énoncer l’influence qu’ils exercent les uns sur les autres : à dire, par exemple, que l’aiguille aimantée dévie sous l’action d’un courant électrique ou d’un autre aimant. Grâce à une analyse quantitative minutieuse, à un dosage rigoureux des éléments en présence, le rapport causal peut s’exprimer en langage mathématique. Nous sommes alors renseignés sur ce que deviennent les facteurs mis en jeu dans les séries de faits successifs ; et les prévisions indispensables au technicien s’obtiennent avec une grande facilité. Ainsi, grâce aux formules algébriques, l’ingénieur calculera avec toute la précision désirable les résultats que l’on peut attendre d’une machine électrique ou thermique donnée. La méthode des variations concomitantes est d’un grand secours pour lier les intensités qualitatives à des rapports numériques. Repérées selon une échelle métrique, les qualités sont, à chaque instant, traduites en chiffres. Le lien causal se réduit au rapport qui unit les éléments quantitatifs de la cause aux éléments quantitatifs de l’effet. Et l’on n’a plus qu’à trouver la fonction appropriée, le mot fonction étant pris au sens mathématique, dans le nombre prodigieux de celles que renferment l’analyse et l’algèbre. Pour établir la formule de la loi, fréquemment l’on fait, d’ailleurs, abstraction d’irrégularités minimes, mais systématiques, qui croissent ou décroissent d’une façon méthodique. C’est la preuve que la loi est inexacte ; elle peut, néanmoins, être d’un grand secours dans la pratique et demeurer à titre de loi approchée. D’un emploi continuel dans l’industrie, les lois approchées se trouvent à l’origine de presque toutes les découvertes importantes. Lorsque les erreurs systématiques décroissent progressivement, en fonction de certaines circonstances, on a une loi limite. La loi de Mariotte, par exemple, devient d’autant plus exacte que l’on s’éloigne davantage de la pression et de la température critiques, c’est-à-dire de la pression et de la température requises pour la liquéfaction des gaz. Quant aux erreurs qui se distribuent sans ordre, dans des limites assez étroites et toujours les mêmes, elles ne prouvent rien contre l’expression mathématique de la loi. Elles proviennent seulement de l’imperfection de nos procédés, du manque de précision de nos expériences. Et, grâce aux formules mathématiques, surtout aux équations différentielles et aux représentations graphiques, nous saisissons mieux le passage de l’état initial à l’état final dans les transformations diverses de la causalité. Etude de toutes les formes possibles de relations, les mathématiques apparaissent à la dernière étape de la méthode des sciences physiques ; elles ne rendent pas l’expérience inutile, elles la précisent et la clarifient seulement. Aussi la déduction joue-t-elle un rôle sans cesse accru. Sans doute les principes, qui lui servent de base, ne sont pas l’expression pure et simple des données expérimentales, mais ils ne sont, en aucune façon, arbitraires ; Duhem a tort de prétendre qu’on ne saurait les dire vrais ou faux. Ils reposent sur un fond expérimental évident ; ce qui reste hypothétique, c’est l’extension universelle qu’on leur donne. Mais, considérés à leur juste valeur comme des règles que l’esprit peut transformer, les principes sont d’un grand secours en physique. « Bacon, écrit le professeur Bouasse, nous dit qu’il ne faut point attacher des ailes à l’entendement, mais, au contraire, du plomb qui le retienne et l’empêche de s’élancer de prime saut aux principes les plus élevés. C’est qu’en effet la tentation est forte, après quelques expériences, de chercher un système a priori, duquel on pourrait ensuite déduire tous les faits par simple raisonnement… ; c’est ainsi qu’ont procédé tous les anciens, c’est la cause de l’échec piteux de théories audacieuses comme celle des tourbillons de Descartes, et de tant d’autres que nous voyons apparaître triomphalement pour s’effondrer, après quelques mois ou quelques années. Leurs auteurs ont anticipé à l’excès sur l’expérience ; ils n’ont pas su choisir, parmi l’infinité des propositions générales contenant tous les faits connus, le vrai principe, celui qui interprète exactement la nature. Mais, pour nombreuses que soient les erreurs, l’audace est parfois couronnée de succès. Après avoir étudié le levier, la poulie, les machines simples peu nombreuses alors connues, et avoir exactement énoncé les lois particulières auxquelles elles obéissent, l’on a remarqué, vers 1620, que toutes ces lois étaient des cas particuliers d’une règle plus générale, à savoir : ce qu’on perd en force, on le gagne en déplacement. Toutes les machines inventées depuis, et le plus souvent même en se laissant guider par ce principe, machines dont le nombre se chiffre par milliers, y satisfont exactement. Assurément pas plus du temps de Galilée que du nôtre, on ne saurait donner une démonstration générale et a priori du principe du travail. C’est évident, puisque la démonstration a priori de sa vérité exigerait que l’on connût ce qu’il renferme, et tous les jours nous lui trouvons des applications nouvelles. L’énoncé de ce principe a donc été une heureuse divination ; il s’applique à tant de faits, il éclaire tant de problèmes que douter actuellement de sa certitude serait folie. A la vérité, les découvertes du siècle dernier ont prouvé qu’il n’était pas assez général ; on l’a complété par une nouvelle et heureuse divination, on en a fait le principe de la conservation de l’énergie, qui, jusqu’à présent, domine la science. » Rendue possible par l’existence de principes généraux, la déduction, qui est la forme explicative par excellence, permet de donner à la physique un caractère plus rationnel, plus cohérent. Les acquisitions inductives particulières sont rattachées les unes aux autres ; les lois sont groupées et hiérarchisées en système ; l’ensemble devient un tout organique qui se rapproche de l’unité. Excellente pour l’exposition didactique et utilisée dans l’enseignement pour ce motif, la déduction nous laisse tout ignorer par contre, des tâtonnements et des efforts qu’exige chaque découverte. Aussi se surajoute-t-elle à l’expérience et à l’induction sans les supprimer ni les reléguer au second plan.

Si l’on considère maintenant les résultats auxquels ont abouti les recherches des physiciens, ils apparaissent merveilleux. Jamais le génie inventif ne s’est montré plus fécond qu’au xixe et xxe siècle. Ampère découvrit les lois de l’électromagnétisme ; Fresnel soutint la théorie des ondulations en optique ; Arago fit progresser l’étude des phénomènes lumineux et des phénomènes électriques ; Faraday attacha son nom a des travaux de premier ordre en électricité ; Niepce inventa la photographie ; avant Edison, Charles Cros, qu’on refusa de prendre au sérieux, imagina le phonographe ; Fulton appliqua la vapeur à la navigation ; Gramme, un simple ouvrier, a rendu pratique et facile l’utilisation, aujourd’hui considérable, des forces électromotrices ; Morse réalisa le télégraphe électromagnétique inscripteur de dépêches ; Graham Bell trouva le téléphone magnétique. Nous ne saurions donner la longue liste des inventeurs qui se sont illustrés depuis 130 ans. Néanmoins, rappelons encore qu’en 1895 Rœntgen dotait l’humanité des rayons X ; qu’en 1896 Henri Becquerel découvrait le rayonnement spontané de la matière et les faits de radioactivité ; qu’en 1898 M. et Mme Curie parvenaient, après de patientes recherches, à extraire le radium. Par ailleurs, l’Allemand Hertz démontra, en 1890, qu’il existait des ondes électriques analogues aux ondes lumineuses, et Branly, quelques années après, trouva un détecteur capable de les rendre perceptibles. De cette double découverte sortit la télégraphie sans fil. Au point de vue théorique, Maxwell, conduit par l’analogie des formules mathématiques qui les représentent, a ramené à l’unité les lois de l’optique et celles de l’électromagnétisme ; Louis de Broglie a supposé que le rayonnement de l’énergie éclairante se produisait quand l’atome libère des électrons, peut-être des électrons spéciaux, les photons, animés de mouvements vibratoires ; Einstein, qui occupe une chaire à l’université de Berlin, édifia, pendant la guerre, sa « théorie de la relativité », l’une des plus belles constructions de la pensée humaine, malgré les critiques qu’on peut lui adresser. L’histoire de la physique témoigne d’un effort continuel pour simplifier l’extrême complexité des phénomènes. Actuellement, si les chercheurs continuent à cultiver la science pour elle-même et si les découvertes s’avèrent importantes et nombreuses, le public s’arrête surtout à l’aspect pratique de la physique et de la chimie. « La période actuelle est arrivée, écrit Millikan, période extraordinaire de développement et de fécondité, période qui voit de nouveaux points de vue et même des phénomènes entièrement nouveaux se succéder si rapidement sur la scène de la physique, que les acteurs eux-mêmes savent à peine ce qui s’y passe, période pendant laquelle aussi le monde du commerce et de l’industrie adopte et adapte à ses propres besoins, avec une rapidité sans précédent, les plus récentes productions des laboratoires du physicien et du chimiste. Ainsi, le monde pratique des affaires s’empare des résultats de ces recherches d’hier qui ne se proposaient pas d’autre but que d’accroître un peu notre connaissance de la structure intime de la matière, et qui servent aujourd’hui à décupler la portée du téléphone ou à produire six fois plus de lumière qu’autrefois pour la même dépense d’énergie électrique. » Hélas, les découvertes scientifiques peuvent faire le malheur de notre espèce autant que son bonheur ! Grâce aux progrès de la physique et de la chimie, c’est par millions qu’on a tué les hommes pendant la guerre de 1914-1918 ! Aujourd’hui, c’est à la fabrication des gaz asphyxiants que s’intéressent de préférence les savants officiels. Comment ne pas maudire une science qui décuple sans arrêt la puissance des engins de mort ! Mais à qui la faute ? En elle-même la science n’est qu’un instrument ; elle ne devient bonne ou mauvaise qu’en vue des fins pour lesquelles on l’utilise. La faute incombe aux professionnels de la haine, aux prêtres, aux moralistes grassement payés par l’Etat, à tous ceux qui, de façon sournoise ou brutale, retardent l’avènement d’une ère de fraternité. — L. Barbedette.

PHYSIQUE (culture physique). Méthode consistant, grâce à un ensemble d’exercices physiques appropriés, à développer harmonieusement l’être humain, tout en lui assurant un meilleur équilibre physiologique. Si un doute subsistait sur l’utilité et l’opportunité de la culture physique, il suffirait, pour être édifié, de comparer l’ensemble de nos contemporains aux magnifiques spécimens que les statuaires antiques nous ont légués. Nombreux sont ceux qu’une grotesque adiposité caractérise, cependant qu’un aussi grand nombre s’efforce de dissimuler par des artifices vestimentaires, vainement correctifs, une disgrâce anatomique où la cachexie a imprimé son sceau. Quant aux rares privilégiés arborant une esthétique de bon aloi, le dénombrement en est facile…

Ces déviations morphologiques sont regrettables en ce que, d’abord, elles accusent un écart déplorable entre la monstrueuse anomalie qu’elles réalisent et ce type de beauté idéale qui, autrefois, constituait la règle générale ; ensuite, parce qu’elles sont corrélatives d’une réduction très sensible de vitalité organique. Or, le vieil adage qui enseigne qu’un corps sain abrite un esprit parfaitement équilibré atteste que la décadence physique atteignant l’humanité dans la plupart de ses membres risque fort de se vérifier par une insuffisance mentale consécutive. Il y a donc urgence, pour le sociologue soucieux et avisé, à réagir énergiquement contre les causes, nombreuses, hélas ! de cet effondrement physico-mental, s’il tient à ménager les possibilités futures d’une organisation sociale qui exige de l’ensemble de ses composants un épanouissement général de toutes leurs facultés.

Il n’est pas téméraire d’affirmer, d’après les données scientifiques actuelles, que, trônant au sommet de la hiérarchie causale, un concept erroné de l’hygiène générale, malheureusement triomphant, intervient pour une part très importante dans cette décadence. Alimentation fantaisiste et vicieuse, toxicomanie polymorphe ; hydrophobie et aérophobie associent leurs funestes interventions et concourent à poursuivre l’œuvre désagrégeante. Renforçant cette ligue malfaisante, le sédentarisme entre en scène à son tour, parachevant supérieurement ce tragique dénouement.

C’est un fait que l’homme répudie de plus en plus l’effort. L’incessant perfectionnement des moyens de locomotion mécanique le soustrait au sport si salutaire de la marche. Le développement permanent et progressif du machinisme, le réduisant ou à une passivité totale ou à une spécialisation professionnelle anormale ; l’activité exclusivement intellectuelle qu’exigent d’innombrables professions ; l’oisiveté quasi-absolue d’un nombre important de privilégiés ; le confort ennemi de l’émulation et de l’effort musculaire, etc. ; bref, de multiples facteurs conduisent à cette carence de l’activité physique générale, si utile en soi, par l’effervescence vitale qu’elle alimente.

De ce qui précède, allons-nous récuser le progrès matériel et ses contingences et aboutirons-nous à cette conclusion qu’il n’y a de salut que dans un retour à la vie ancestrale, comme seule capable de nous rendre la vigueur perdue et le bien-être physiologique si gravement compromis ? Ce serait une absurdité !

Les moyens de transport rapide, outre qu’ils permettent une liaison plus étroite entre les différents groupements humains épars sur le globe, peuvent contribuer à réduire les causes de mésintelligence qui ont suscité, au cours des siècles, tant d’antagonismes. Ils coopèrent à cette édification mutuelle sur les innombrables phénomènes d’ordres divers qui se déroulent sur chaque point de la planète et accroissent sans cesse le bagage encyclopédique. Enfin ils assurent, avec la réalisation de mille autres bienfaits, une plus intelligente répartition des richesses terrestres. Le machinisme (voir ce mot), odieux parfois, en ce qu’il est aujourd’hui un instrument d’asservissement aux mains de castes insatiables, peut et doit devenir le véritable organe de libération de l’humanité entière en réduisant pour chacun au minimum l’indispensable somme de travail fastidieux. Non, la civilisation, dans ce qu’elle a de meilleur et de plus élevé, nous apporte trop de joies pour que nous désirions remonter à la nuit primitive. Le problème de régénération corporelle comporte, heureusement, d’autres solutions, et des remèdes actuels que nous allons étudier.

La fonction étant créatrice de l’organe et son rythme commandant en définitive ses possibilités, l’intégralité de cet organe, la plénitude de ses moyens sont sous la dépendance du mouvement fonctionnel. Un parallélisme étroit contrôle et régit cette solidarité, un pendule commun règle l’amplitude de leurs oscillations. Il convient donc de restituer aux organes humains, sous peine de voir s’accentuer leur décrépitude, l’activité appropriée à leur destination première, à leur raison spécifique.

Les anciens l’avaient fort bien compris Chinois, Indous, Perses, Grecs et Romains, ces derniers et avant-derniers surtout, moins éloignés que nous cependant d’une existence naturelle, mais prévoyant le danger d’une expectative portée à la hauteur d’un principe, instituèrent des méthodes d’éducation physique, dont la valeur, si nous en jugeons par les œuvres splendides enfantées par le génie des Praxitèle, des Polyclète, des Lysippe, ne le cédait en rien aux méthodes actuelles les plus éclairées. Palestres, thermes, gymnases étaient assidûment fréquentés par une foule avide de maintenir en bonne harmonie l’élégance des formes et le bien-être physique. L’invasion des barbares pulvérisant les civilisations grecques et romaines, puis le moyen âge obscurantiste vinrent étouffer ces élans vers l’utile et le beau. Après plus de mille ans d’interruption, le xixe siècle s’illustra par une rénovation des principes culturistes. Avec Iahn en Prusse, Ling en Suède, puis Amoros en France, réapparurent les exercices corporels. En deçà et au delà du Rhin, la gymnastique d’agrès prévalut. Mieux avisé, le Docteur Ling s’inspira des exigences anatomiques pour rationaliser l’exercice.

Puis ce furent les sports athlétiques qui, avec leur brutal esprit de compétition et leur hantise des performances, dépassèrent le but érigé par l’éducateur éclairé. Pratiqués avec modération et une intelligente progression, expurgés de leur pratique de violence, les sports sont d’excellents moyens de développement et d’entretien physique. Mais ils ne sont guère accessibles qu’à la jeunesse, parce qu’ils nécessitent généralement des endroits spécialement aménagés et fort éloignés de l’habitat de chacun. Et parce que, surtout, ils exigent une préparation physique préalable, si l’on ne veut pas qu’ils risquent d’être plus dangereux qu’utiles. Mais il est facile de pallier à ces inconvénients de l’âge et du lieu, en s’imposant quotidiennement et méthodiquement, chez soi, un nombre déterminé d’exercices variés. Le résultat tangible est une régénération partielle ou totale, selon les cas, pour ceux atteints d’insuffisances fonctionnelles. Pour les rares privilégiés pourvus d’une impeccable santé, c’est la garantie d’un rassurant statu quo.

La physiologie nous enseigne qu’une masse musculaire en action est le siège de phénomènes congestifs (afflux sanguins) consécutifs à l’effort suscité. Les parties intramusculaires témoignent d’échanges intensifs inaccoutumés. L’oxydation profuse active les combustions, et l’élimination résiduelle s’organise avec une ampleur inconnue de la masse assoupie. L’activité, lorsqu’elle est méthodiquement dosée en fréquence et en tonalité, en intensifiant le phénomène de la nutrition, accroît la section musculaire et sa puissance dynamique, laquelle se traduit par une aptitude croissante à l’effort. La graisse parasitaire qui enrobe les fibres musculaires ne résiste pas au traitement. C’est donc en soumettant alternativement ou simultanément, d’après les nécessités anatomiques et physiologiques, les différents organes à des exercices spécifiques qu’il est possible de régénérer les anormaux et de cuirasser les autres contre la déchéance.

Évidemment — nous ne saurions trop le répéter — la culture physique n’est pas une panacée. Dans bien des cas, elle serait inopérante sans le concours des autres modalités hygiéniques. Mais leur combinaison énergiquement appliquée garantit le succès de cures inespérées.

La ptose gastro-intestinale, par exemple, si fréquente aujourd’hui, résulte d’un relâchement de la paroi musculaire abdominale, agent normal de contention des viscères stomaco-intestinaux ; elle est facilement réductible par l’application d’exercices abdominaux conjugués avec un régime alimentaire rationnel. La constipation la plus rebelle est justiciable du même traitement.

L’exercice respiratoire provoque les plus heureux effets. Il soumet le diaphragme à une gymnastique très active et exerce une véritable suroxygénation du sang. Mais il faut veiller à ce que les inspirations profondes soient suivies d’expirations totales assurant une contractilité fréquente et régulière des alvéoles pulmonaires. L’alternance non respectée expose aux dangers de l’emphysème (Docteur Lewy).

D’après le Docteur Pauchet (Restez Jeunes), l’exercice respiratoire stimule vigoureusement la thyroïde qui régit le métabolisme. Elle accroît la capacité thoraço-pulmonaire considérablement. Chez le sédentaire, dont les poumons fonctionnent au ralenti, les inspirations réduites n’insufflent de l’air pur que dans les régions intermédiaires. Les alvéoles de la base et des sommets ne connaissent ainsi le contact généreux du gaz vital. Etonnons-nous de la fréquence des lésions tuberculeuses observées dans ces régions déshéritées, qu’une abondante aération préserverait.

Les flexions et rotations du tronc assouplissent le corps et renforcent les muscles thoraciques et abdominaux. Ils exercent un véritable massage de l’estomac et du foie qui remédie à bien des défaillances de ces organes. La moelle épinière, ainsi que toutes les ramifications nerveuses qui s’irradient de l’axe central, bénéficient de ces divers mouvements.

Toute une gymnastique savante s’ingénie à corriger maintes déviations du squelette, des atrophies musculaires congénitales ou acquises, qu’une thérapeutique officinale n’avait fait qu’aggraver.

L’être humain n’a donc pas de meilleur serviteur que la gymnastique. Pour l’enfant et l’adolescent, elle est génératrice de vigueur, de souplesse, de santé, de joie, de beauté. Elle est, pour l’adulte, rectificatrice de malformations imputables au professionnalisme déformant, comme aussi de mille autres tares. Elle assure au vieillard une jeunesse prolongée et recule à l’extrême les limites de la vieillesse. Elle prépare un déclin sans décrépitude, la fin normale d’une lampe qui s’éteint.

La culture physique doit être pratiquée au grand air ou dans une pièce copieusement aérée et, si possible, ensoleillée, Qu’importe la saison ! Le nudisme — que l’accoutumance rend si aisé et si agréable — est de rigueur ou, à défaut, l’appareil vestimentaire le plus restreint (caleçon, culotte courte, ample et légère). Ceci pour permettre aux pores de la peau et aux glandes sudoripares d’accomplir leur tâche respiratoire et éliminatrice. Le corps entraîné s’adapte volontiers aux basses températures, surtout lorsqu’il est animé de mouvements rapides et ininterrompus. Ablutions totales, lotions circonstanciées, douches, laits, etc., s’intercaleront ou succèderont à chaque séance pour débarrasser l’épiderme de ses sécrétions toxiques. Dans leurs intervalles, les exercices seront accompagnés, puis suivis, de vigoureuses frictions concentriques à la main nue, puis au gant de crin. Leur action stimulante procurera les plus heureux effets.

L’heure du lever est préférable pour l’accomplissement de ce programme. Il précédera le petit déjeuner pour ne pas gêner la digestion. Mais, à défaut, n’importe quel moment de la journée peut être adopté dès l’instant qu’il sera antérieur aux repas.

Un nombre respectable d’ouvrages traitant de l’éducation physique constituent, par les enseignements qu’ils renferment, une véritable encyclopédie culturiste. Ils guideront le profane vers une initiation profitable et quintessenciée. Nous citerons, au hasard parmi d’autres non moins intéressants, ceux du Professeur Demeny, de Müller, du Commandant Hebert, du Professeur Desbonnet, du Docteur Ruffier, de Sandow, du Docteur Pagès, du Docteur Chauvois, du Docteur Pescher, etc., etc.

Nous accorderons cependant une mention spéciale à « Mon Système », de Müller, dont la formule inspirée de la gymnastique de Ling, résume les enseignements gymniques tout en les émaillant de judicieux principes d’hygiène. « Mon Système » sera le vade-mecum des non initiés.

Comme tout ce qui concerne la culture du moi, la pratique de la culture physique exige du postulant une volonté constante et tendue (mais elle a, en vertu de lois déjà citées, de bienfaisantes répercussions sur cette même volonté). Elle n’offre pas l’attrait des jeux de plein air, l’agrément des sports d’équipes par exemple. Le reproche le plus sérieux qu’on puisse lui faire est de manquer de gaîté. Mais si l’on met en balance le petit inconvénient que cela comporte et les immenses avantages qu’elle procure, le grief s’évanouit. D’ailleurs quiconque s’accorde régulièrement sa séance matinale d’assouplissement finit par en ressentir l’impérieux besoin et trouve, à l’accomplir, une réelle satisfaction. Et puis « Paris vaut bien une messe », disait Henri IV, exprimant par là qu’il serait malséant de reculer devant une chose relativement désagréable si elle est une source de profits.

Il serait souhaitable que l’enseignement pédagogique, qui n’aborde qu’avec une extrême timidité les importantes questions d’hygiène, assimilât à ses programmes l’initiation gymnique. Elle s’inspirerait profitablement des préceptes de la « Méthode Müller » et surtout de la « Méthode Hébert » qui joint l’utile à l’agréable.

Lorsque l’humanité entière sera conquise aux principes culturistes et ralliée aux autres formules d’hygiène, les innombrables fléaux pathogéniques qui l’accablent ne seront plus que souvenirs historiques, errements des époques où fleurissait une civilisation encore enlisée dans la barbarie. — J. Meline.

Ouvrages recommandés. — Mon Système (Müller). — Le Code de la force ; Guide pratique d’éducation physique ; Les sports contre l’éducation physique (G. Hébert). — L’entraînement respiratoire par la méthode spiroscopique (Dr J. Pescher). — Soyons forts (Dr Ruffier). — Les dessanglés du ventre ; La machine humaine, anatomie (Dr Chauvois). — Ma méthode ; Manuel de culture physique (Dr Pagès). — Gymnastique suédoise (André et Kimlim). — La rééducation. respiratoire et les sports respiratoires (Sandow). — Restez jeunes ; L’éducation physique de l’enfant (Dr Pauchet). — Pour rendre nos enfants souples et gracieux (Lebigot et Coquerelle), etc., etc.


PLAGIAT n. m. On appelle communément plagiat le fait de « s’approprier la pensée d’autrui » (Larousse). « Quand un auteur vend les pensées d’un autre pour les siennes, ce larcin s’appelle plagiat. » (Voltaire.) Le plagiat est une des supercheries de « l’industrie littéraire », et l’une des plus graves, mais il n’est pas la plus grave. Celui qui s’approprie le bien d’autrui et qu’on appelle un « voleur » est souvent excusable, par exemple lorsqu’il n’a pas d’autre moyen d’assurer sa subsistance. Il est moins excusable lorsqu’il recherche un superflu ou obéit à des nécessités qui ne sont que conventionnelles. Il ne l’est plus du tout lorsque, ne se contentant pas de s’approprier le bien d’autrui sans nécessité véritable, il cherche, en outre, à discréditer et à ridiculiser sa victime, tel Tartufe voulant mettre le bonhomme Orgon hors de chez lui.

Les plagiaires ne sont pas des voleurs ordinaires ; ils n’ont pas l’excuse de la faim, même s’ils vivent de leur plume, car ils pourraient et ils devraient vivre d’autre chose, s’ils voulaient tenir leur plume avec toute la dignité désirable. (Voir Gens de Lettres). Les nécessités de l’homme de lettres, ou de celui qui se prétend tel, sont toutes conventionnelles et de l’ordre de la vanité ou de la cupidité. C’est par vanité ou pour s’enrichir, le plus souvent pour les deux, et non parce qu’ils ont faim, que tant de geais déshonorent la profession des lettres en se parant des plumes du paon.

« Il est assez de geais à deux pieds comme lui,

Qui se parent souvent des dépouilles d’autrui,

Et que l’on nomme plagiaires »

a dit La Fontaine. Dans la plupart des cas, ils sont simplement indélicats et leur faute est d’autant plus vénielle qu’elle ne tarde pas à être découverte et à leur rapporter plus de ridicule qu’ils n’en ont tiré de considération. Comme le geai de la fable, le plagiaire de cette sorte se voit :

    « …………… bafoué,
        Berné, sifflé, moqué, joué,
Et par messieurs les paons plumé d’étrange sorte. »

Ceux-là sont les simples plagiaires, trop simples pour être très malfaisants, qui se bornent à « coudre dans leurs rapsodies de longs passages d’un bon livre avec quelques petits changements » (Voltaire.) Mais il y a ceux qui ne se contentent pas de se parer des plumes du paon et se permettent de les tailler, de les arranger, de les adapter à leur façon, défigurant ainsi malignement les auteurs qu’ils ont dévalisés. Ceux-là ajoutent à l’indélicatesse la muflerie ; ils pratiquent un véritable banditisme artistique. Ce sont des tripatouilleurs et des vandales. (Voir Tripatouillage et Vandalisme.) Ils sont d’autant plus méprisables que leurs supercheries les font réussir auprès du public ignorant ou indifférent. Ils trônent parfois à l’Académie, sont des « chers maîtres » dans les revues et les journaux, pontifient dans les assemblées littéraires et artistiques. Or, il y a au bagne quantité de gens qui n’ont pas fait pire qu’eux et sont certainement plus excusables.

Le plagiat était, dans le droit romain, le crime de « celui qui débauchait ou recélait des esclaves, achetait sciemment une personne libre, ou enlevait des enfants » (Bescherelle). Le plagiaire (plagiarus, de plaga, plaie, coup) était condamné au fouet pour avoir commis le crime de plagiat. Martial, satirique romain, ayant fait un rapprochement entre le plagiaire et celui qui méritait le fouet de l’opinion publique pour s’être approprié les pensées d’autrui, il semble qu’il y ait eu là l’origine de l’application des mots plagiat et plagiaire à la friponnerie littéraire et, par extension, à celle de l’art. Car cette sorte d’industrie s’exerce aussi dans les beaux arts et les arts appliqués. Les Pierre Grassou, dont Balzac a conté la fortune, abondent dans le monde de la peinture, et il est plus facile de gagner des millions en pillant chez un musicien une quelconque Ramona qu’en s’appropriant une œuvre littéraire. Le plagiat est plus difficile à déceler en art qu’en littérature.

Michelet a fait un des derniers emplois du mot plagiaire, suivant la définition antique, en appelant ainsi les Jésuites qui enlevaient les enfants à leurs mères. (Du prêtre et de la femme.) Le crime de plagiat, dans le sens du droit romain, a disparu de la loi moderne depuis la suppression légale de l’esclavage. Il ne subsiste que le crime d’enlèvement d’enfants, puni par les articles 354 et suivants du Code pénal français actuel. Le plagiat, dans son acception moderne, est considéré par le Code comme une atteinte à la propriété, sous le titre de « contrefaçon littéraire et artistique », et assimilé à la contrefaçon industrielle. C’est un délit qui relève des articles 425 et suivants du Code pénal. En fait, pour que le juge sévisse, il faut qu’il y ait justification d’un préjudice matériel résultant de la contrefaçon. Un plagiaire peut très bien être acquitté, bien qu’ayant commis le plagiat le plus manifeste, s’il est établi qu’il n’est pas résulté un préjudice de son larcin ; il peut même faire condamner celui qui, publiquement, lui a appliqué l’épithète de « plagiaire » bien qu’il la méritait, le mot étant un outrage, suivant la décision de la Cour de Montpellier du mois de mai 1929.

On était plus sévère, jadis, pour les voleurs littéraires. Au moyen âge, un nommé Fabre d’Uzès, qui s’était approprié les œuvres d’Albertet de Sisteron, après la mort de celui-ci, et les avait publiées sous son nom, fut pris et fustigé suivant la « loi des empereurs ». Depuis, la loi s’est faite plus indulgente. On a vu tant de personnages faire leur fortune académique par des larcins de cette espèce, qu’on est devenu beaucoup plus complaisant. Il y a à peine quelques années, on a décoré de la Légion d’honneur M. Ferdinand d’Orléans, duc de Montpensier, qui avait publié sous son nom et sous le titre : Notre France d’Extrême-Orient, avec une belle préface de M. le Myre de Vilers, député de la Cochinchine, un ouvrage pillé dans celui de deux fonctionnaires, MM. Russier et Brenier, intitulé : L’Indochine française. Sous Louis-Philippe, Eugène Bareste avait été décoré et chargé par le gouvernement d’aller « rechercher les choses homériennes », à la suite de la publication qu’il avait faite d’une traduction allemande de l’Iliade et l’Odyssée qu’il s’était appropriée. M. Arsène Houssaye fut honoré des faveurs ministérielles quand il publia une Histoire de la peinture flamande et hollandaise dont le texte et les planches étaient empruntés à d’autres. Le gouvernement de Louis-Philippe avait une excuse, il ignorait les plagiats révélés plus tard ; mais ceux qui ont décoré le duc de Montpensier n’ignoraient pas qu’il n’était qu’un plagiaire de la plus laide catégorie. Un autre plagiaire royal fut Joseph Bonaparte, ex-roi des Deux-Siciles et d’Espagne, qui fit rééditer sous son nom un poème historique d’un nommé Lorquet sur Napoléon. L’histoire fut racontée sous le titre : Le roi couvert des dépouilles du poète.

Au xviiie siècle, l’académicien Ripault Désormeaux devait ses travaux historiques à Dingé. Petit Radel avait fait paraître, avec sa signature, des notices de Teillac. Dupré de Saint-Maur, voulant avoir des droits à l’Académie Française, publia une traduction du Paradis Perdu, qui était de l’abbé de Boismorand. Au xixe siècle, un prétendu orientaliste, Langlés, a fait sa réputation en plagiant de nombreux ouvrages, ceux entre autres de Galland. L’académicien Etienne a plagié une pièce de collège, Conaxa, dans la comédie Les Deux Gendres. Louis de Bacher, membre de l’Institut, prit intégralement un de ses ouvrages dans un de ceux du comte de Neny. Certaines œuvres de Victor Cousin sont d’autres auteurs que lui. La traduction de Thomas Reid, signée de Th. Jouffroy, fut le travail de Garnier. Les éloges académiques prononcés par Dacier furent écrits par des secrétaires. Baour Lormian a publié, sous son nom, des ouvrages de Buchon et de Lamothe-Langon, celui-ci fabricant d’apocryphes et mystificateur professionnel. La vanité et le lucre, dans lesquels Quérard voyait les mobiles de ces usurpations de réputation, se sont ainsi manifestés trop souvent parmi l’engeance académique. Et la tradition persiste. De nos jours, le maréchal Foch, avec ses mots historiques, et M. Pierre Benoît, dans ses romans, l’ont brillamment continuée.

Il y a relativement peu de plagiats au sens littéral du mot, c’est-à-dire d’appropriation textuelle de la production d’autrui. Il faut être un prince, pour qui « tout ce qui est national est nôtre », pour la pratiquer avec la désinvolture d’un Bonaparte ou d’un Montpensier. Mais le plagiat qui va du simple emprunt plus ou moins déguisé jusqu’au tripatouillage le plus éhonté est innombrable.

S’il n’y a pas une unique origine à la pensée comme à l’espèce humaine, il y a une unité de la pensée des hommes. Il n’est pas douteux que son expression est limitée et que depuis longtemps elle a presque tout dit de ce qu’elle avait à dire. Elle a même tout dit, si l’on en croit La Bruyère, depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et ils sont tous des plagiaires. Malgré ce, cette pensée, ou du moins ce qui est présenté comme tel et n’en est pas une infâme caricature, n’a pas arrêté sa production et prétend toujours apporter du nouveau. De plus en plus, l’humanité parle et écrit. Elle n’a jamais fait tant de discours, imprimé tant de livres et de journaux qu’aujourd’hui. Aussi, chaque jour découvre-t-on que l’idée, le récit, la mélodie, le tableau, la statue, le monument qu’on croyait de l’invention de tel ou tel auteur, a existé avant lui, qu’il n’a fait que recommencer mieux ou plus mal l’œuvre d’un prédécesseur, et on découvre aussi que toujours plus en arrière, ce prédécesseur en avait eu d’autres. On a ainsi établi des chaînes, des filiations d’œuvres dont les sources sont toujours plus reculées vers une origine qui semble avoir été celle d’un système de pensée commun à tous les hommes, quels qu’aient été le lieu et l’époque de leur apparition sur le globe. Comment contester cette origine quand on retrouve sur les plateaux du Tibet, parmi des populations qui n’ont jamais eu aucune relation avec le monde occidental, les fables des Contes de Perrault ? (Voir Littérature.) Est-il une seule pensée de la philosophie la plus moderne qui ne se retrouve pas dans les lointaines Védas composées il y a plus de cinq mille ans ? Les migrations ne suffisent pas à expliquer cette origine puisque, dans le monde entier, les mêmes légendes, à peine déformées par les différences de milieux et de mœurs, se répètent chez les peuples de races les plus diverses.

Mais il y a à distinguer entre ce que Corneille appelait des « concurrences », qui sont les rencontres d’idées communes à l’espèce et font qu’un La Rochefoucauld dira, cinq mille ans après un ancien brahmane : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement », et le plagiat que La Rochefoucauld a très probablement commis en prenant cette idée dans Cervantès, après que Cervantès lui-même l’eût prise à un de ses devanciers. Il y a entre les deux choses tout ce qui constitue ce que S. Zweig, dans son ouvrage sur Freud, a appelé : la création, « ce don de voir des choses archi-vieilles et immuables comme si jamais ne les avait illuminées l’étoile d’un œil humain, d’exprimer ce qui fut dit mille fois avec autant de fraîcheur virginale que si jamais la bouche d’un mortel ne l’avait prononcé ».

Il y a aussi à distinguer entre le plagiat consistant à prendre les idées des autres pour en faire une œuvre nouvelle, leur donner des développements plus complets, une forme plus parfaite, pour les mettre en lumière et les répandre alors qu’elles étaient perdues, cachées dans une gangue obscure, et le plagiat appropriation vulgaire de celui qui se croit très habile en déposant son nom, comme une crotte, sur le livre, le tableau ou la symphonie d’un autre. Les hommes qui disparaissent laissent à ceux qui les suivent un héritage de pensée et d’art comme ils leur laissent tous les produits, toutes les richesses de leur travail, de leur invention, de leur habileté, pour qu’à leur tour ils les fassent valoir et les perfectionnent avant de les transmettre à leurs successeurs. C’est la marche du progrès. C’est par elle que nous ne vivons et que nous ne pensons plus dans les formes de notre lointain ancêtre des cavernes. Mais Descartes n’a pas plus inventé le « je pense, donc je suis », que Cicéron disant, avant lui : « Vivere est cogitare », et que les constructeurs des palaces actuels n’ont inventé le ciment et le verre dont ils se servent. Piron a dit spirituellement :

« Nos aïeux ont pensé presque tout ce qu’on pense
Leurs écrits sont des vols qu’ils nous ont fait d’avance.
Mais le remède est simple, il faut faire comme eux :
Ils nous ont dérobés, dérobons nos neveux. »

C’est la bonne formule pour prouver que nos aïeux ne nous ont pas laissé un héritage inutile parce que nous le gaspillerons.

Il y a, dans la marche des idées, une infinité d’états, comme entre le grain d’où sortira la fleur et la fleur qui tombera en pourriture. Il y a, parmi ceux qui les utilisent, le prestidigitateur qui en tire un brillant feu d’artifices, l’artiste qui en fait jaillir une source de profonde émotion humaine, ou le lourdaud entrant dans leur domaine à la façon d’un éléphant qui s’ébattrait dans un dépôt de porcelaines et s’oublierait dans tous les coins. A. France a dit fort justement : « Une situation appartient non pas à qui l’a trouvée le premier, mais bien à qui l’a fixée fortement dans la mémoire des hommes. » Il y a là la justification du plagiaire prestidigitateur et artiste, et la condamnation du plagiaire lourdaud. On a prouvé que sur six mille vers attribués à Shakespeare, quatre mille ne seraient pas de lui. Qu’importe si l’emploi que Shakespeare a fait de ces quatre mille vers, empruntés un peu partout, leur vaut une mise en valeur que leurs véritables auteurs, en les noyant dans un galimatias plus ou moins informe, ne leur ont pas donnée ! Est-il un plagiaire celui qui fait un collier royal de cent pierres précieuses ramassées dans cent ruisseaux du monde ? Ce qui fait l’importance et la valeur d’une œuvre, c’est souvent moins la nouveauté de la pensée qu’elle apporte que l’expression qu’elle donne à une pensée qui est celle d’un certain nombre. Le véritable plagiat n’est pas dans la rencontre inconsciente d’idées semblables, pas plus que dans la ressemblance de gens ayant la même couleur de peau, la même taille, la même forme de nez ; il est dans l’appropriation préméditée de la production d’un autre, dans le fait de prendre le visage d’un autre, et encore comporte-t-il des nuances suivant les cas.

De tout temps il y a eu des plagiaires. Dès qu’un homme a eu émis une idée, un voisin s’en est emparé et l’a répandue parmi d’autres qui ont prétendu en être les auteurs, et cette idée s’est rencontrée un jour avec celle semblable qu’un autre avait eue dans une autre région. L’antiquité a abondé en plagiaires de toutes sortes. Ils sont pour la plupart inconnus pour toujours parce que disparus de la mémoire des hommes avec ceux qu’ils ont plagiés. Mais il reste des exemples nombreux. Le « fumier d’Ennius », dont Virgile a fait sortir de si belles fleurs, a produit d’autres floraisons. Si certaines sont allées à l’oubli, d’autres sont demeurées avec toutes leurs couleurs. La Bible, ouvrage le plus ancien du monde judéo-chrétien, n’est faite que de plagiats et a alimenté d’autres plagiats. Ses premiers livres ont été formés de toutes les légendes universelles. Les Proverbes de Salomon ne sont que la transcription des préceptes égyptiens d’Amen-em-opé. Les Psaumes et le Cantique des Cantiques sont la transposition presque littérale des hymnes religieux et des chants d’amour égyptiens. (Couchoud : Théophile.) Une des plus belles images de l’Évangile, celle du Fils de l’homme qui n’a pas une pierre pour reposer sa tête, vient directement d’un discours de Tiberius Gracchus disant : « Les bêtes sauvages de l’Italie ont un gîte, une tanière, une caverne. Les hommes qui combattent pour l’Italie ont en partage l’air et la lumière, rien de plus. Ils n’ont ni toit ni demeure ; ils errent de tous côtés avec leurs femmes et leurs enfants… On les appelle les maîtres du monde, et ils ne possèdent pas une motte de terre. » Les textes des auteurs primitifs de l’Eglise ont été pillés dans les œuvres du paganisme, avant que l’Eglise cherchât à anéantir ce paganisme. De même que les basiliques, les allégories et les hymnes païennes sont devenues les premiers temples, la première peinture, la première musique chrétiens ; tous les dogmes, tous les symboles, toute la liturgie du christianisme sont plagiés de l’antiquité et dans des formes souvent bien inférieures.

Il n’est pas d’auteur antique qui ait échappé à l’accusation de plagiat. L’ignorance générale l’a favorisé au moyen âge, en même temps que le zèle des propagandistes religieux multipliait les « pieuses jongleries » de leurs tripatouillages. Dans les temps modernes, « bien des écrivains ne se sont pas bornés à glaner, ils ont moissonné dans les champs d’autrui », a dit Mayeul Chaudon. Montaigne a pris énormément à l’antiquité, à Sénèque et à Plutarque en particulier, et il l’a déclaré honnêtement. Dante, Rabelais, Shakespeare, Corneille, Pascal, Milton, Racine, Molière, La Fontaine, Bossuet, Voltaire, Rousseau, pour ne citer que les plus illustres, ont été les plus effrontés plagiaires du monde, si l’on appelle plagiat le fait de prendre une idée ou une situation déjà connue et d’en faire un chef-d’œuvre. On attribue à Shakespeare, qui n’a peut-être jamais existé que par l’œuvre portant son nom, cette réponse au reproche d’avoir pris une scène dans une pièce d’un autre auteur : « C’est une fille que j’ai tirée de la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne. » Molière disait : « Je prends mon bien où je le trouve. » A. Dumas voyait dans le plagiat, avec un certain cynisme, une « conquête » de l’homme de génie faisant « de la province qu’il prend une annexe de son empire ; il lui impose ses lois, il la peuple de ses sujets, il étend son sceptre d’or sur elle, et nul n’ose lui dire en voyant son beau royaume : « Cette parcelle de terre ne fait point partie de ton patrimoine. » A. Dumas, lui, étendait son propre patrimoine à toute l’histoire de la France qu’une centaine de « nègres » tripatouillaient pour son compte et dont il signait les élucubrations. Combien d’autres ont fait encore plus mal que lui ! Car le malheur est que le plagiat n’est pas toujours le fait de l’homme de génie faisant un joyau de ce qui était informe, mais qu’il est le plus souvent le fait de pillards sans talent autant que sans vergogne. Un certain Ramsay, qui avait copié mot pour mot des passages de Bossuet et avait été pris la main dans le sac par Voltaire, répondait insolemment « qu’on pouvait se rencontrer, qu’il n’était pas étonnant qu’il pensât comme Fénelon et s’exprimât comme Bossuet » !

Les pillards sont même sans politesse, poussant la muflerie jusqu’à injurier leurs victimes. Ils ne leur suffit pas de boire dans le verre des autres, ils crachent dedans. C’est ainsi que Castil Blaze, un des plus sots critiques musicaux qui aient existé, traitait Rousseau d’ignorant après avoir capté dans son Dictionnaire de la musique trois cent quarante deux articles et se les êtres attribués ! Le philologue Lefebvre de Villebrune, qui avait pillé 6.200 notes dans l’œuvre de Casaubon, injuria celui-ci dans sa traduction d’Athénée. Comme il faut de tout pour faire un monde, surtout celui des pillards littéraires, il y a aussi parmi eux des humoristes. Un Dominique de Hottinga a parlé des « longues veilles » que son travail lui a coûtées, dans une traduction de la Polygraphie de Trithème qu’il a volée à Collange. Un Lajarry ayant pillé, dans Andrieux, une pièce qu’il publia sous le titre : Saint Thomas, la présenta comme « une rêverie émanée de ses loisirs » ! Il y a enfin chez ces pillards, comme dans toutes les mauvaises compagnies, des moralistes, hypocrites raffinés, anormaux et pervertis, qui sont les plus nombreux et travaillent dans la vertu et la pornographie combinées ; les Louis de Bans et les Bacon-Tacon qui plagient la Fausseté des vertus humaines et des Discours sur les mœurs ! Le fin du fin de cette tartuferie est dans le cas de ceux qui, jugeant « infâmes » des Vénus au couvent, les écrivent et les éditent sous des noms supposés. Ainsi, sous le pseudonyme Le Cosmopolite, le duc d’Aiguillon fit imprimer un Recueil de pièces choisies parmi les plus licencieuses, entre autres le Bordel céleste d’un pauvre diable, Pierre le Petit, qui avait été pendu puis brûlé vers 1670 pour avoir commis cette impiété. Grands seigneurs et abbés de cour en faisaient leurs délices.

Le plagiat fut de mode à partir du xviie siècle. C’était une façon de se distinguer que de s’attribuer l’esprit des autres. Les gens du monde se faisaient passer volontiers pour les auteurs des écrits de plumitifs besogneux et anonymes qui couraient les ruelles et la Cour. Un nommé Richesource, qui avait pris le titre de « Directeur de l’Académie des orateurs philosophes », enseignait comment on pouvait devenir distingué en pratiquant le plagiarisme dont il définissait ainsi l’art : « celui de changer ou déguiser toutes sortes de discours, composés par les orateurs ou sortis d’une plume étrangère, de telle sorte qu’il devienne impossible à l’auteur lui-même de reconnaître son propre ouvrage, son propre style, et le fond de son œuvre, tant le tout aura été adroitement déguisé. » Un quatrain paru dans l’Almanach des Muses, en 1791, a jugé ainsi cette méthode :

« Quoi qu’en disent certains railleurs,
J’imite et jamais je ne pille.
— Vous avez raison., monsieur Drille,
Oui, vous imitez… les voleurs. »

Le xixe siècle a eu, comme les précédents, ses plagiaires plus ou moins coupables, plus ou moins cyniques, parmi ses grands hommes et surtout ses moyens et petits auteurs : Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Balzac, Alfred de Musset qui prétendait pourtant ne boire que dans son verre et avait dit sévèrement : « Voler une pensée, un mot, doit être regardé comme un crime en littérature. » Stendhal, Baudelaire, A. Dumas père et fils, Scribe, Sardou qui fit une enquête sur le plagiat « considéré comme un des beaux arts », E. About, Renan, A. France, Zola, Coppée, J. Lorrain, E. Rostand, etc. Parmi les plagiats ou rencontres d’idées et de situations que nous n’avons pas vus signalés, indiquons la parenté curieuse du sujet du Bal de Sceaux, écrit par Balzac, en 1829, et de celui de Horatio Sparkins, de Dickens, paru après. Par contre le David Copperfield, de Dickens, fut publié bien avant Jack, d’A. Daudet, qui paraît en avoir été directement inspiré. Il y a aussi une parenté frappante entre l’Aiglon, d’E. Rostand et certains épisodes des Mohicans de Paris, d’A. Dumas. M. Barrès semble avoir pensé au frère Calotus d’A. Rimbaud quand il a vitupéré les « accroupis de Vendôme », et M. P. Bourget paraît s’être un peu trop souvenu d’Hamlet quand il a écrit André Cornélis. M. Maurice Rostand, insupportable cabotin qui avait pillé Dickens, le plaignit quand il fut lui-même pillé ; double profit publicitaire, M. Louis Dumur a inventé un type, Un Coco de génie, qui pratique le plagiat quand il est en état de somnambulisme. C’est un aspect littéraire de la psychopathie.

Depuis 1670 que parut le premier ouvrage dévoilant les anonymes et les pseudonymes, celui de Fréd. Geisler, et depuis l’ouvrage d’Adrien Baillet, les Auteurs déguisés, le plagiat a été souvent dénoncé, ainsi que toutes les formes de supercheries littéraires. On a eu le Dictionnaire des ouvrages anonymes, par Barbier, en 1806-1808, puis les Questions de littérature légale, de Ch. Nodier, le Bulletin du bibliophile belge, de F. de Reiffenberg, et les Curiosités littéraires, de Lalanne.

L’ouvrage le plus complet sur ces questions est : Les Supercheries littéraires dévoilées, se J. M. Quérard, paru en 1847 et réédité avec de nombreux compléments en 1869. Il demeure un précieux document pour les recherches bibliographiques. Depuis Quérard, d’autres ont dénoncé des plagiats plus modernes. M. G. Maurevert, entre autres, a composé le Livre des plagiats où il en a fait connaître de nombreux d’auteurs contemporains. Car l’industrie des plagiaires ne chôme guère, pas plus que celle de toutes les autres supercheries. Nous verrons, au mot tripatouillage, que ces supercheries se sont multipliées et ont pris un caractère inouï de banditisme littéraire, grâce à la fabrication cinématographique qui a supprimé tout respect de la pensée et tout scrupule d’art, faisant du milieu spécial où cette fabrication s’exerce une véritable foire d’empoigne et un laboratoire d’horreurs.

De plus en plus, les auteurs se pillent entre eux. C’est le plus clair de leur génie puffiste et publicitaire. Ça fait du bruit dans les journaux, il y a même des procès. Tous les morts-nés de la littérature et de l’art, devenus des « chers maîtres » avant d’avoir rien produit, les fournisseurs du snobisme actuel, les directeurs de conscience et d’esthétique du muflisme, vivent et prospèrent de l’industrie du plagiarisme. Rapetasseurs de vieilles savates, rongeurs de rogatons, collecteurs d’épluchures, ils ont le nez dans toutes les poubelles de l’histoire, les yeux et les mains dans toutes les œuvres des voisins. Ils sont les chiens à qui Edgar Poe voulait interdire l’entrée des cimetières parce qu’ils grattent et fouillent partout, profanent tout, pissent sur tout. Ils le sont cyniquement, pratiquant le plagiat comme moyen de réclame, D’ailleurs, on ne les prend jamais sans vert. Stendhal, qui, sous le pseudonyme de Bombet, avait pillé l’Italien Carpini pour faire sa Vie de Haydn, s’efforça de ridiculiser sa victime quand elle eut le mauvais goût de se plaindre. Aujourd’hui. M. Pierre Benoît a déclaré, en faisant une pirouette qui lui a gagné l’Académie Française, qu’il avait voulu « appâter les imbéciles ». Les imbéciles sont ceux qui ont dénoncé ses supercheries en faisant connaître les auteurs et les textes où il avait puisé, notamment dans V. Hugo. Aussi, le plagiat, plus ou moins aggravé de tripatouillage, est-il de plus en plus dans les mœurs, et on peut s’attendre à voir l’Académie Française décerner un jour prochain un Grand prix du plagiat. Il ne sera, d’ailleurs, pas plus immoral que ses Prix de Vertu !


Au plagiat, on peut rattacher le pastiche, imitation de la manière d’un auteur, quand il n’est pas d’intention satirique dans le but évident de faire ressortir, en les grossissant, les défauts de celui qu’il imite et qu’il n’est pas alors de la parodie. En musique, le pastiche fut nettement du plagiat et du tripatouillage lorsque des entrepreneurs prirent des morceaux de compositeurs divers et les « arrangèrent » pour en faire des œuvres nouvelles. Les plus cyniques de ces entrepreneurs furent deux musicastres, Lachnith et Kalbreuner qui firent, en 1803 et 1805, deux oratorios, Saül et la Prise de Jéricho, dont la musique fut pillée dans une douzaine d’auteurs. Lachnith poussait le cynisme jusqu’à s’écrier, pendant qu’on jouait des airs de Mozart qu’il s’était attribués : « Non, je ne ferai jamais rien de plus beau ! » Chargé d’adapter la Flûte Enchantée, de Mozart, pour l’Opéra de Paris, il en fit un salmigondis, sous le titre : Les Mystères d’Isis. Son compère Kalbreuner se chargea du tripatouillage de Don Juan, dans lequel il introduisit de la musique de sa façon. Le pastiche musical est pratiqué aujourd’hui d’une façon moins grossière, plus savante ; l’emploi de la pensée et de la manière d’autrui, habilement dissimulé, n’a plus que l’aspect de réminiscences. M. Saint-Saëns a été, sans l’avouer, le plus adroit pasticheur musical. Il a fait de l’Haendel, du Mozart, du Gluck, du Berlioz, du Liszt, du Wagner, et aussi du Meyerbeer, mieux que tous ces musiciens, comme les Pierre Grassou font du Raphaël, du Rembrandt, du Watteau, du Corot, du Daumier et même du Bonnat, mieux que tous ces peintres.

En littérature, on tient le pastiche en haute estime comme étant, dit-on, le signe d’une culture étendue, d’un esprit critique aigu, d’une souplesse de pensée remarquable. Et il convient admirablement à notre époque, dit-on aussi, parce qu’il est « la forme la plus rapide et la plus portative de la critique ». (M. F. Gregh). Il n’est plus la peine de perdre son temps à lire les grands ouvrages pour se faire une opinion sur eux ; le pastiche les sert concentrés avec leurs qualités et leurs défauts comme un Liebig littéraire. Il y a, nous semble-t-il, contradiction entre les qualités nécessaires aux faiseurs du pastiche, entre les connaissances étendues qu’il réclame, la préparation studieuse qu’il demande, le travail de lecture et de réflexion qu’il impose, et cette critique rapide et portative qui correspond plutôt aux formes trépidantes, bruyantes et vides de la littérature actuelle aussi pressée de n’arriver nulle part que la justice de Méphistophélès : avion, paquebot, auto, cinéma, reportage, machine à écrire, télégraphe, téléphone, tous moyens qui ne s’accordent guère avec le travail de bibliothèque et de pensée tranquille que cette littérature laisse aux « poussahs » littéraires. Le pastiche est, au contraire, de notre temps, un anachronisme. Il est de vieille formation scolastique. On dut l’enseigner au moyen âge, et même avant dans l’antiquité, pour imiter autrui. Il a été l’apocryphe qui, sous le couvert de cette imitation, a servi à répandre tant de falsifications de la pensée, comme nous allons le voir. Aujourd’hui encore, on enseigne le pastiche dans les collèges, ce qui explique sans doute que tant de professeurs excellent dans ce genre. Mais ce n’est pas une des moindres incohérences de notre époque « rationalisée » que d’apprendre à des jeunes gens dont on fera des officiers, des ingénieurs, des banquiers, des commis voyageurs, à imiter Boileau écrivant à Racine au sujet de sa lettre sur les Hérésies imaginaires, ou Maucroix déconseillant La Fontaine de continuer sa tragédie d’Achille !… Quoi qu’on en puisse dire, le pastiche n’a pas de vie originale ; il est un signe des temps de la décadence littéraire, des époques où la pensée, apeurée devant les réalités, se réfugie dans les superfluités rhétoriciennes. Notre temps s’attache au pastiche comme le xviie siècle s’attacha au gongorisme. Comment les littérateurs auraient-ils une pensée originale, alors qu’ils ne comprennent pas le fait social, redoutent ses conséquences, et s’efforcent d’être hostiles à la marée montante, irrésistible, d’un monde nouveau qui les emportera avec toute la vieille scolastique usée, vidée, finie, pour ouvrir devant les hommes les voies de la vie ?

Le pastiche est inoffensif tant qu’il ne se présente que comme un amusement littéraire d’une intention avouée par son auteur. Mais beaucoup de pastiches sont des apocryphes dont les auteurs ne se sont pas fait connaître, dont le but, a dit Quérard, a été de tout temps « soit le charlatanisme, soit la mystification », et qui multiplient la confusion dans l’histoire. C’est. ainsi qu’on a imputé à des poètes célèbres des poèmes qu’ils n’ont jamais écrits. La Batrachomiomachie, attribuée faussement à Homère, le Du Culex et le Du Ciris, qu’on a mis au compte de Virgile, sont des apocryphes. Des Lettres de Thémistocle, de Phalaris, d’Apollonius de Tyane, des Fables d’Ésope, ont été composées par le moine Planudes. L’Église a fait un usage exagéré de l’apocryphe pour les besoins de son opportunisme, pour appuyer de prétendues autorités ses décisions contradictoires. Il y a ainsi de faux ouvrages des Pères de l’Église, de fausses décrétales des papes, de faux traités des saints Ambroise, Athanase, Augustin, Bernard, une Histoire apostolique d’Abdias, un des soixante disciples de J. C. et premier évêque de Babylone, qui ont été fabriqués aux xve et xvie siècle. Erasme se plaignait, au xvie siècle, de ne posséder aucun texte des Pères de l’Église qui n’eût été falsifié. Les fraudes les plus grossières ont été inventées par des prélats et de simples moines. Eusèbe tenait pour authentique une lettre de J. C. à Abgar, roi d’Edesse ; en plein xixe siècle on répandait encore, dans les campagnes françaises, de prétendues lettres de J.C. !… D’autre part, les récits mythologiques sont pleins de soi-disant écrits d’Hermès, Horus, Orphée, Daphné, Linus et autres personnages légendaires n’ayant probablement jamais existé. L’écossais Mac Pherson inventa, au xviiie siècle, le barde Ossian qui fut un des héros du snobisme romantique. Sigonius publia, en 1583, un faux Cicéron, le Consolatio, que certains veulent encore tenir pour authentique. Il y eut de faux Pétrone, de faux Athénagore, de faux Catulle. On a vu depuis de faux La Fontaine, Sévigné, Corneille, Molière, Fénelon, Fléchier, Diderot, Condorcet, Walter Scott, Byron, etc., qui n’étaient que des pastiches, mais non avoués par leurs auteurs. Combien de ces choses fausses sont toujours tenues pour véridiques et continuent à faire autorité dans l’histoire littéraire et dans l’histoire tout court ! Si, de temps en temps, on découvre la mystification des lettres de Cléopâtre, de Marie-Madeleine, de Vercingétorix, de Clovis, fabriquées par un Lucas Vrin, ou d’une tiare de Staïtapharnés, ou de la peinture de Boronali, combien le plutarquisme (voir ce mot) ne se nourrit-il pas toujours d’ « apocryphités » dont personne ne conteste l’authenticité, et combien de fausses œuvres représentent l’histoire de l’art dans les musées !

Le pastiche, même quand il n’a pas les conséquences dangereuses de la mystification apocryphe et n’est que la forme élégante du plagiat, ne mérite pas plus d’estime. Il est le produit d’une société qui a peur de la pensée et s’efforce de se survivre dans la pérennité d’un passé momifié et périmé. — Edouard Rothen.