Encyclopédie anarchiste/Syllabus - Symbolisme
SYLLABUS (LE). Syllabus, mot latin signifiant sommaire. En droit canonique, il est employé comme synonyme d’énumération succincte des points décidés dans un ou plusieurs actes de l’autorité ecclésiastique.
Le Syllabus qui fut publié, en décembre 1864, par le Pape Pie IX, à la suite de l’Encyclique Quanta Cura, est un recueil de quatre-vingts propositions latines. Résumé de toutes les allocutions consistoriales, lettres et encycliques prononcées et écrites par ce Pontife depuis 1846, il reprend, sans y ajouter le moindre commentaire, toutes les condamnations formulées contre les doctrines et les sociétés modernes. Le texte latin peut se traduire ainsi : « Résumé des principales erreurs de notre temps qui sont signalées dans les allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques de Notre Très Saint Père le Pape Pie IX. »
Ce document qui montre, dans une forme indirecte et négative, mais extrêmement claire, la doctrine politique et sociale de l’Église catholique, mériterait d’être reproduit en entier. Mais comme il ne sied point d’abuser de l’hospitalité qui nous est accordée, nous nous bornerons à donner, de ce document, les passages essentiels que nous ferons précéder d’un extrait de l’encyclique qui l’accompagnait.
a) Extrait de l’Encyclique Quanta Cura :
« … Il vous est parfaitement connu qu’aujourd’hui il ne manque pas d’hommes qui appliquent à la société civile l’impie et absurde principe du Naturalisme, comme ils l’appellent : ils osent enseigner que « la perfection des gouvernements et le progrès civil exigent absolument que la société humaine soit constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la religion que si elle n’existait pas, ou du moins sans faire aucune différence entre la vraie religion et les fausses. » De plus, contrairement à la doctrine de l’Écriture, de l’Église et des saints Pères, ils ne craignent pas d’affirmer que « le meilleur gouvernement est celui où l’on ne reconnaît pas au pouvoir l’obligation de réprimer, par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la tranquillité publique le demande ». En conséquence de cette idée absolument fausse du gouvernement social, ils n’hésitent pas à favoriser cette opinion erronée, on ne peut plus fatale à l’Église catholique et au salut des âmes, et que notre prédécesseur d’heureuse mémoire, Grégoire XVI, appelait un délire, savoir que « la liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme, qu’il doit être proclamé et assuré dans tout État bien constitué ; et que les citoyens ont droit à la pleine liberté de manifester hautement et publiquement leurs opinions, quelles qu’elles soient, par la parole, par l’impression ou autrement, sans que l’autorité ecclésiastique ou civile puisse limiter ce droit. »
« Quand la religion est bannie de la société civile, quand la doctrine et l’autorité de la révélation divine sont rejetées, la vraie justice ou plutôt la vraie notion de la justice et du droit humain s’obscurcit, se perd, et la force matérielle prend la place de la justice et du vrai droit. Qui ne voit, qui ne sent très bien qu’une société soustraite aux lois de la religion et de la vraie justice ne peut avoir d’autre but que d’amasser, d’accumuler des richesses et, dans tous ses actes, d’autre loi que l’indomptable désir de satisfaire ses passions et de se procurer des jouissances ? Voilà pourquoi les hommes de ce caractère poursuivent d’une haine cruelle les ordres religieux, sans avoir égard aux immenses services rendus par eux à la religion, à la société et aux lettres. Non contents de bannir la religion de la société, ils veulent l’exclure de la famille. Enseignant et professant la funeste erreur du Communisme et du Socialisme, ils affirment que « la société domestique ou la famille emprunte toute sa raison d’être du droit purement civil et, en conséquence, que de la loi civile découlent et dépendent tous les droits des parents sur les enfants, même le droit d’instruction et d’éducation ». Tous ceux qui ont entrepris de bouleverser l’ordre religieux et l’ordre social, et d’anéantir toutes les lois divines et humaines, ont toujours fait conspirer leurs conseils coupables, leur activité et leurs efforts à tromper et à dépraver surtout la jeunesse. Voilà pourquoi le clergé régulier et séculier, malgré les plus indubitables et les plus illustres témoignages rendus par l’histoire à ses immenses services est, de leur part, l’objet d’atroces et incessantes persécutions, et pourquoi ils disent que « le clergé étant ennemi du véritable et utile progrès dans la science et la civilisation, il faut lui ôter l’instruction et l’éducation de la jeunesse… »
b) Syllabus. Des principales erreurs de notre temps, signalées dans les allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques de Notre Très Saint Père le Pape Pie IX.
I. — Panthéisme, naturalisme et rationalisme. — On doit nier toute action de Dieu sur les hommes et sur le monde. — Toutes les vérités de la religion découlent de la force native de la raison humaine ; d’où il suit que la raison est la règle souveraine d’après laquelle l’homme peut et doit acquérir la connaissance de toutes les vérités de toute espèce. — La foi du Christ est en opposition avec la raison humaine, et la révélation divine non seulement ne sert de rien, mais elle nuit à la perfection de l’homme. — L’Église non seulement ne doit, dans aucun cas, sévir contre la philosophie, mais elle doit tolérer les erreurs de la philosophie et lui abandonner le soin de se corriger elle-même.
III. — Indifférentisme, latitudinarisme. — Le protestantisme n’est pas autre chose qu’une forme diverse de la même vraie religion chrétienne, forme dans laquelle on peut être agréable à Dieu, aussi bien que dans l’Église catholique.
IV. — Socialisme, communisme, sociétés secrètes, sociétés bibliques, sociétés clérico-libérales. — Disons, pour nous résumer, que ces sortes de pestes sont fréquemment frappées de sentences formulées dans les termes les plus graves, par exemple dans l’Encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1846, dans l’allocution Quibus quantisque, du 20 avril 1849, dans l’Encyclique Quanto conficiamur moerore, du 17 août 1863.
V. — Erreurs relatives à l’Église et à ses droits. — L’Église n’est pas une vraie et parfaite société pleinement libre ; elle ne jouit pas de ses droits propres et constants que lui a conférés son divin Fondateur ; mais il appartient au pouvoir civil de définir quels sont les droits de l’Église et les limites dans lesquelles elle peut les exercer. — L’Église n’a pas le pouvoir de définir dogmatiquement que la religion de l’Église catholique est uniquement la vraie religion. — L’Église n’a pas le droit d’employer la force ; elle n’a aucun pouvoir temporel direct ou indirect. — L’Église n’a pas le droit naturel et légitime d’acquérir et de posséder.
VI. — Erreurs relatives à la Société civile, considérée soit en elle-même, soit dans ses rapports avec l’Église. — La doctrine de l’Église catholique est opposée au bien et aux intérêts de la société humaine. — En cas de conflit légal entre les deux pouvoirs, le droit civil prévaut. — L’Église doit être séparée de l’État, et l’État séparé de l’Église.
VII. — Erreurs concernant la moralité naturelle et chrétienne. — Les lois de la morale n’ont pas besoin de sanction divine, et il n’est pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d’obliger. — Il est même permis de refuser l’obéissance aux princes légitimes et même de se révolter contre eux.
X. — Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne. — À notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État à l’exclusion de tous les autres cultes. — Le Pontife romain peut et doit se réconcilier avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne.
Empressons-nous de dire que ce document eut, à l’époque de sa publication, un retentissement si considérable que le gouvernement impérial interdit aux évêques de le publier par voie de mandements. Bon nombre d’écrivains catholiques — et non des moins réputés — n’hésitèrent pas à ranger le « Syllabus » parmi les documents ex-cathedra, c’est-à-dire revêtus de l’autorité infaillible conférée aux décisions souveraines des pontifes de Rome. Faut-il souligner également combien il aggravait encore l’opposition que l’on savait déjà flagrante, irréductible, entre l’Église catholique et la société moderne ?
Remontons, en effet, à la Révolution française et voyons, par exemple, en quels termes le pontife de l’époque, Pie VI, appréciait cet événement si considérable.
Dès le 29 mars 1790, Pie VI, dans une allocution consistoriale, condamne ouvertement la Révolution française, ainsi que les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme. Ne qualifie-t-il point de « décrets sacrilèges » la suppression des dîmes, la nationalisation des biens ecclésiastiques, l’admission des non-catholiques à toutes les fonctions civiles et militaires ? « N’est-ce pas, dit-il, faire œuvre satanique que de reconnaître à l’homme le droit de manifester librement sa pensée ? » Ne proteste-t-il pas, avec véhémence, contre un « vain fantôme de liberté », en déclarant que le gage de la félicité publique est « dans le lien d’une obéissance aux rois universellement consentie, car les rois sont les ministres de Dieu pour le bien et les défenseurs de l’Église » ? Et, le 10 mars 1791, s’élevant, à nouveau, contre le « droit chimérique » que constitue la liberté de pensée, il affirme, avec plus de force encore, « qu’il est insensé d’établir parmi les hommes l’égalité et cette liberté effrénée qui n’aboutissent qu’à renverser la religion catholique ».
Le 17 juin 1793, Pie VI, toujours, brandit, une fois de plus, ses foudres vengeurs pour blâmer la Convention d’avoir aboli la royauté « le meilleur de tous les gouvernements » et déclare qu’il est insensé d’avoir transporté l’autorité publique dans les mains du Peuple, absolument incapable, dit-il, de suivre aucun plan de conduite sage et raisonnable. La devise : Liberté, Égalité ? Il la condamne sans rémission. La liberté, « qui ne tend qu’à corrompre les âmes et à dépraver les mœurs » ; l’égalité, nom non moins illusoire, propre tout au plus à détruire l’harmonie sociale en détruisant le principe d’autorité !
Est-il permis de supposer, un instant, que ce langage fut particulier à Pie VI ? Entendez ses successeurs.
Pie VII, en 1800, réclame, dès son avènement, la suppression de la « licence effrénée de pensée, de paroles, d’écrits et de lectures ». Léon XII, à son tour, en mars 1826, anathématise francs-maçons et jeunesse universitaire, coupables de tendre au renversement « des pouvoirs légitimes ». Grégoire XVI, au lendemain de la Révolution de 1830, s’élève contre la doctrine du libéralisme, condamne les catholiques libéraux, leur reproche amèrement d’adhérer à cette « maxime fausse et absurde de la liberté de conscience, de la liberté des opinions, de la liberté de la presse surtout (la plus funeste, la plus exécrable de toutes) ». On le voit : tous ces illustres représentants de Dieu sur terre n’ont eu d’autre souci, d’autre préoccupation que de s’opposer au développement des principes humains énoncés par les grands révolutionnaires du XVIIIe siècle. Pie IX, par son « Syllabus », ne faisait que suivre la politique fidèlement observée par ses prédécesseurs et, s’inspirant de ce fait historique, on peut hardiment avancer que le « Syllabus » n’est point la doctrine d’un pape, d’un seul, mais bien la doctrine de toute la papauté, avant et après Pie VI ! Pourrait-on, en effet, nous citer un Pape qui ait désavoué le « Syllabus » ? Si quelques évêques, à l’époque où il parut, lui furent hostiles, tous, de nos jours, sont unanimes à l’approuver sans réserves. Lisez ce curieux Manifeste publié, par l’Épiscopat français, le 10 mars 1925, contre les lois laïques, et vous constaterez qu’il n’est qu’une adaptation du texte de 1864 aux circonstances et aux nécessités du moment.
Arrivons à Léon XIII — « le pape libéral, ami des ouvriers » ! — N’a-t-il point formulé un corps de doctrine où, avec une souplesse et une habileté qu’on rencontre rarement, il condamne les principes de 1789 ainsi que la démocratie telle que la conçoivent la Société moderne et tous les hommes qui ne se paient point de mots ? Le Socialisme ? « Peste mortelle qui conduit la société humaine à sa perte » ; « doctrine diabolique qui tire son origine des conceptions empoisonnées des novateurs du XVIe siècle ». — La propriété ? « Invention divine et inviolable » qui, pour détourner le fléau du socialisme, possède une vertu qui ne se trouve ni dans les lois humaines, ni dans la répression, mais dans… la salutaire influence de l’Église !
Dans Humanum genus, encyclique publiée le 20 avril 1884, ce pape libéral déclare « qu’il ne peut admettre que le pouvoir vienne du peuple, pas plus qu’il ne croit à l’amélioration des hommes par les institutions ». Et enfin, dans Immortale Dei, parue le 1er novembre 1885, il présente Le Syllabus comme de nature à fournir une direction sûre au milieu des erreurs contemporaines et, une fois de plus, il condamne les libertés modernes, la liberté de conscience et de la presse, l’instruction laïque, le mariage civil, la séparation des Églises et de l’État.
Nous voici à l’aurore du XXe siècle. Le même pontife occupe toujours le trône de Saint-Pierre. Parvenu à la vingt-cinquième année de son pontificat, Léon XIII publie une sorte de testament où il précise sa doctrine en lui donnant une forme définitive. Que nous apporte ce testament qui n’ait été déjà proclamé, ressassé cent fois par les devanciers de l’auteur ? Condamnation de la Réforme et de la philosophie du XVIIIe siècle d’où découlent le Rationalisme et le Matérialisme. Réprobation véhémente du laïcisme, de l’esprit d’insoumission et de révolte des classes populaires. Anathématisation des sectes socialistes. L’Église dépositaire exclusive de la Vérité, de toutes les vérités et qui ne peut que flétrir la liberté accordée indifféremment à la vérité et à l’erreur, au bien et au mal. — Rien, on le voit, qui n’ait été dit déjà !
Et Pie X ? Interrogeons, sur ce point, le « grand démocrate-chrétien », le Silloniste Marc Sangnier. Il avait feint la réconciliation de son Église (car il est catholique avant tout !) avec le libéralisme, mieux : avec le socialisme ! Pie X eut tôt fait de l’exécuter, lui et ses disciples. Ils ne firent d’ailleurs aucune difficulté pour se soumettre et se démettre !….
Benoît XV continue la tradition sacrée ! Il s’élève contre les pauvres qui ont l’audace de s’attaquer aux riches ; il déplore la fréquence des grèves, condamne les « erreurs socialistes » et reprend les séculaires attaques contre « l’appétit désordonné des biens périssables », « la lutte des classes », « le laïcisme », « l’absence de hiérarchie entre les hommes », « le culte de la science », etc…, etc….
Et pour finir, parlons un peu de Pie XI, notre Saint-Père. Depuis qu’il occupe le trône de St-Pierre, toute occasion lui fut bonne pour parler au monde.
Après ses encycliques sur l’Éducation et sur le Mariage, il a donné, le 3 mai 1932 (Caritate christi compulsi) son opinion sur les épreuves présentes du genre humain, en même temps qu’il nous proposait son remède à la crise.
L’opinion du Pontife ? Le monde retrouvera sa quiétude, les peuples leur prospérité, la crise économique sera révolue, la paix régnera entre les nations… dès que les gouvernants et les sujets seront redevenus les fils soumis de l’Église catholique et romaine. Voilà la trouvaille !
Il met, ce brave pape, dans le même sac, les gouvernements laïcs, les écoles populaires, les universités, les sociétés secrètes, les factions socialistes et communistes. Il préconise même contre celles-ci, « un front unique et solide » !
Son remède à la crise ? Prières et pénitences !
L’Église, par l’organe de son porte-parole le plus éminent, ne se penche sur les humbles, sur les travailleurs, que pour les exhorter à la résignation, que pour les inciter à se soumettre docilement à l’autorité de leurs détrousseurs !
Et lui aussi déclare sentencieusement, que « la liberté, la solidarité, l’amour de l’humanité et de la science, en un mot, toutes les plus nobles affirmations de la conscience moderne, ne sont que des idoles. Il proclame que « les individus, les familles, les nations, doivent à Dieu un culte officiel, une soumission de l’intelligence. Que l’église catholique laisse à chacun la liberté d’être républicain (Il ne dit pas toutefois si c’est à la manière de Combes ou de Castelnau !), royaliste, impérialiste, mais elle ne laisse pas la liberté d’être socialiste, communiste, anarchiste, ces trois sectes étant condamnées par l’Église… »
Donc, aucune objection, aucune contestation n’est permise. De 1789 à nos jours — pour ne s’en tenir qu’aux temps modernes — la permanence de la doctrine politique de l’Église apparaît évidente. Pie XI, en lançant son Syllabus au monde en une sorte de défi, n’a fait que s’inspirer des immuables principes qui constituent toute la structure de cette formidable et malfaisante organisation qu’est l’Église catholique. Le Syllabus condamne radicalement la conception moderne des droits de la conscience. C’est, selon lui, une maligne erreur que d’admettre les protestants aux mêmes droits politiques que les catholiques. Est-ce que les pères de la Compagnie de Jésus — les jésuites — à qui l’on attribue d’ailleurs la paternité des principales propositions de ce fameux document, ne persistent pas à enseigner que la coercition et la répression sont un devoir sacré, dès qu’on en a la puissance ou qu’on l’acquiert ?
Pie XI rejoint Saint-Paul, l’auteur de l’Épitre aux Romains, où l’on trouve cette formule célèbre du droit divin des puissances de la terre : « Que toute âme soit soumise aux pouvoirs supérieurs. Car il n’y a point de pouvoir qui ne vienne de Dieu, et ceux qui existent ont été établis par lui, de sorte que celui qui s’oppose au pouvoir résiste à l’ordre de Dieu. » Il rejoint Bossuet, qu’on n’accusera pas d’ignorer la doctrine chrétienne, qui, invoquant également l’autorité du fondateur du Christianisme, déclare : « Que quiconque condamne la servitude, condamne en même temps le Saint-Esprit qui ordonne aux esclaves, par la bouche de Saint-Paul, de demeurer en leur état et n’oblige point leurs maîtres à les affranchir. »
L’Église qui n’a point condamné en principe l’esclavage, pas plus qu’elle ne l’a aboli en fait, est bien dans son rôle historique en prêtant tout son appui aux Régimes d’oppression et en s’opposant, par voie de conséquence, au développement des doctrines de libération et de rédemption humaines. Les adulateurs et les complices des Constantin, des Napoléon, des Mussolini, des Hitler et de tous les tortionnaires des peuples ne sauraient, en même temps, favoriser l’affranchissement de l’individu !
Le mot est d’une justesse profonde : « Le Catholicisme peut être considéré comme une théorie de direction sociale greffée sur une doctrine de renoncement individuel. » L’homme est ainsi détourné des choses, des biens de la terre et livré, pieds et poings liés, à la domination de l’Église. Toute l’œuvre de la papauté a été fondée sur ce calcul on ne peut plus logique.
Avec des alternatives d’audace insolente, d’acharnement impitoyable, de soumission et de temporisation calculée, la papauté a marché vers l’objet de ses rêves et de ses convoitises : le gouvernement universel et, en dépit des multiples et cuisants échecs qu’elle a subis au cours des siècles, elle n’a point renoncé à ses espérances scélérates d’asservir, un jour, hommes et choses à sa sanglante et implacable tyrannie ! — A. Blicq.
SYMBOLISME — Le mot symbolisme est né du verbe symboliser, exprimer par symboles. Le symbolisme est la représentation par des symboles des abstractions, idées, personnes ou choses qui n’ont pas une existence ou une apparence réelle. Le symbole (du latin symbolum) est « une figure ou une image employée comme signe d’une autre chose. » (Littré). Il est l’aspect concret de la représentation symbolique. La parole, l’écriture, tous les arts sont des symboles de la pensée ; ils donnent un corps aux idées, ils les traduisent plastiquement pour les rendre compréhensibles et communicables à l’intelligence et aux sens. On a symbolisé ainsi la conception toute abstraite de la fidélité dans l’image du chien. De même, l’agneau est le symbole de la douceur, le lis celui de la pureté, le serpent celui de l’éternité, le lion et le soleil ceux de la force et de la souveraineté, l’épée celui de la guerre, la croix celui de la foi chrétienne, le croissant celui de la foi musulmane, le sceptre celui de la royauté, le bonnet rouge celui de la liberté, le marteau et la faucille ceux de la dictature du prolétariat, etc… Flaubert admirait Buffon mettant des manchettes pour écrire. Il voyait là un symbole, celui de la méthode de travail de cet écrivain.
Tout est symbole dans le monde, et le domaine symbolique, aussi vaste que l’univers, n’est pas moins conventionnel, arbitraire et contradictoire suivant les interprétations, même lorsqu’elles ne sont pas seulement des images de rhétorique et sont présentées sous une forme précise et un sens généralement reconnu. Ainsi, il semble admis par tout le monde qu’un glaive est un instrument de meurtre et symbolise le combat, que la guerre est le meurtre collectif et que le but des armées est d’accomplir ce meurtre. Mais grâce à la rhétorique théologique et à son symbolisme spécial, le « Dieu des armées » qui commande à ses fidèles de massacrer, suivant les circonstances, les hérétiques, les Chinois, les Français, les Allemands, est le même Dieu qui dit d’autre part à tous les hommes sans distinction : « Tu ne tueras pas !… Aimez-vous les uns les autres !… Qui se sert de l’épée périra par l’épée !… etc… » De même il y a une « Armée du Salut » avec un état-major, des soldats, une devise : « Sang et Feu » et un emblème composé de deux épées entrecroisées. Mais il paraît que cette armée ne veut le Salut que par la paix et, lorsqu’elle chante, avec accompagnement de grosse caisse : « Debout, saintes cohortes, soldats du Roi des rois ! », ce n’est pas dans l’intention de faire couler « un sang impur », c’est seulement « pour exciter les forces spirituelles des balayeurs du monde moral voués au nettoyage des égouts de la civilisation » !… Pourquoi alors des épées quand il ne faut que des balais ? Et comment s’y reconnaître, si l’on n’est pas pétri de sophistications théologiques ?
C’est par le symbole, image matérielle de sa pensée, c’est par la métaphore, image littéraire de ses états de conscience, que l’homme s’exprime et se fait comprendre. Le symbole remplit le monde, il est né avec lui. L’homme en eut immédiatement besoin. Il le trouva autour de lui, répandu dans la nature, mais livré à toutes les subtilités des interprétations. Il fut clair quand la pensée fut claire ; il fut ténébreux quand la pensée fut ténébreuse. Le symbole scientifique fut précis : avec lui, trois fois un firent trois. Le symbole théologique fut absurde (Credo quia absurdum) ; avec lui, trois fois un ne firent qu’un ! Le symbole artistique et littéraire fut livré à toutes les fantaisies de l’imagination. Le réalisme l’éclaira des rayons de la vérité, l’idéalisme l’obscurcit de métaphysique. Le symbolisme shakespearien fit d’un nuage une belette, un chameau, une baleine. Le symbolisme dadaïste fit d’un tuyau de poêle une femme, un ver solitaire, un orgue de barbarie, etc… Les symboles eurent ainsi les significations les plus diverses, et parfois les plus ahurissantes, suivant leur emploi.
Pour les anciens, qui intégraient le divin dans la nature, le symbolisme était plus familier qu’aux hommes d’aujourd’hui. Les interprétations religieuses le firent de plus en plus mystérieux et impénétrable. La préhistoire eut ses manifestations symboliques dans l’architecture, dans les matières taillées, l’écriture, le dessin, la peinture des cavernes, dans les traditions orales devenues légendaires, transmises par les générations successives. Ce sont ces légendes qui ont fourni à Frédéric Creuzer les éléments de sa Symbolique, où il a expliqué le symbolisme primitif et sa place dans l’origine des religions antiques, principalement de la mythologie grecque. L’ouvrage de Creuzer a été complété par celui de Guigniant : Religions de l’antiquité.
Tous les deux établissent que les développements du symbolisme, dans les formes scientifiques les plus précises comme dans celles les plus vagues de l’art et de la littérature, ont eu leur naissance dans l’observation et l’interprétation des phénomènes naturels. Tant qu’il se confondit avec la nature, ne recevant que d’elle ses instincts, ses forces et les aspirations de sa conscience, l’homme rechercha des symboles naturistes. En s’écartant de la nature pour découvrir et atteindre un divin de plus en plus incertain et inaccessible, il perdit la clef des symboles. Malgré leur multiplication, et peut-être à cause d’elle, l’homme devint impuissant à représenter la diversité de la nature par la leur. A. France, en faisant cette constatation, y a vu la raison du peuple juif de se faire un dieu unique au milieu des peuples polythéistes « d’une imagination plus savante et d’une pensée plus philosophique ». Déjà l’observation et l’interprétation de la nature, de plus en plus obscurcies chez l’homme, ne s’étaient retrouvées que vaguement dans la mythologie grecque à partir d’Homère et d’Hésiode. Chez les latins, elles furent complètement éteintes après Lucrèce. Le christianisme fut l’aboutissement moderne de l’impuissance humaine devant les symboles de la nature.
Les bouddhistes voulant « se perdre dans l’infini des choses » plutôt que dans un incompréhensible divin, recherchèrent la sagesse d’abord chez les animaux. Toute une représentation symbolique d’un admirable esprit et accessible à tous, résulta de la considération déférente et affectueuse de l’homme pour l’animal. Le serpent enroulé en cercle symbolisera l’éternité et l’éléphant fut le type de la sagesse. Le divin fut pour eux dans la nature sensible. Dieu était le soleil qui avait, par sa puissance, fait sortir l’homme et l’animal du limon de la terre comme il en faisait sortir les plantes. La pureté de cette naissance eut pour symbole, chez les Égyptiens, le bœuf Apis, né d’une génisse vierge fécondée par un rayon de soleil. Le même symbole fut encore plus poétiquement représenté dans la mythologie grecque par les amours de Jupiter, principe de l’air qui féconde le monde dans ses rapports naturels avec les choses. Du même principe de la nature fécondante se forma la légende de la Vénus Génitrix, déesse de la volupté et de la maternité, mère du monde, la « bonne mère » que la ferveur populaire continua d’adorer dans la Vierge Marie, sans souci de cette Immaculée Conception dont le dogme ténébreux est souillé par les odieuses mystifications du péché originel et de la nécessité de la rédemption. C’est ainsi que les « symboles sont indéfiniment extensibles ; d’abord simple fantaisie de l’esprit, puis dogmes religieux que le fidèle confesse sur le bûcher, — d’abord germes à peine perceptibles, puis végétations immenses, — ils obéissent à l’imagination qui les créa, qui les nourrit et qui peut, s’il lui plaît, leur faire envahir le ciel et la terre. » (E. Reclus).
Les dieux eurent toutes les formes naturelles avant de prendre celle de l’homme, quand son aberration mégalomane lui fit imaginer un Dieu à son image ! Le soleil symbole universel de la vie féconde, fut réduit aux figurations locales des Osiris, Jupiter, Bouddha, et de mille autres plus ou moins monstrueux, avant d’aboutir au Christ, vulgaire thaumaturge dont la charlatanerie religieuse annonce un prochain retour pour purifier le monde en jugeant les vivants et les morts ! Plus bas encore, la sottise humaine ravala le symbole solaire au point de le réduire à un Alexandre, un Justinien, un Louis XIV !….
Tant que la théologie, théorie spirituelle de l’asservissement de l’homme par l’homme, ne s’imposa pas, le symbolisme fut le langage universel des êtres et des choses, et c’est en remontant à cette source pure que Baudelaire a écrit :
« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers. »
Ce symbolisme naturiste a fait que dans toutes les grandes œuvres, comme celle d’Ibsen qui en est particulièrement inspirée, — l’idéal et la réalité se fondent, et que les principes et les passions se heurtent avec tant de véhémence par la transposition, dans l’humain, des forces naturelles et de leurs lois morales en lutte entre les courants arbitraires de la civilisation. Ce sont les symboles créés par les courants arbitraires qui nous font accepter, en nous les rendant familières, une foule de manières de faire et de penser que notre raison repousserait si nous les discutions. Nous sommes saturés de symboles, mais plus ou moins adultérés d’idéologie mystique, poétique, héroïque, ne correspondant plus que très relativement aux sentiments et aux sensations générales ou particulières de notre individu. C’est par les symboles que l’art exerce sa puissance, mais ce n’est qu’en dépassant la vie conventionnelle qu’il éveille en chacun de nous cette sensibilité si profondément cachée que parfois nous ne la soupçonnons pas (voir Sens esthétique).
Le symbolisme a suivi rigoureusement l’évolution humaine à travers les temps, les milieux et les mœurs. La préhistoire a eu ainsi des évolutions symboliques. Les temps historiques nous ont fait connaître des symbolismes védique, égyptien, hébraïque, hellénique, gréco-latin, scandinave, germanique, etc… Ils ont été étroitement mêlés à la formation des mythes et les ont propagés parmi les peuples. Le symbolisme est devenu anthropomorphique avec les religions qui donnèrent aux dieux la forme humaine. Il s’éloigna de plus en plus de la nature quand ces religions passèrent du polythéisme au monothéisme. L’incomparable grandeur du symbolisme grec vint de l’humanité de son polythéisme. Il libéra l’homme de la terreur des forces naturelles et de sa soumission passive à ces forces, lui faisant prendre ainsi conscience de lui-même, de sa vraie place dans la vie, non comme conquérant et dominateur de la nature et des autres hommes, mais comme individu libre, pouvant librement s’associer à eux selon son choix. « Connais-toi toi même » disait alors Socrate, et Diogène lançait son : « Ote-toi de mon soleil ! » à l’Alexandre-Soleil, maître du monde qui l’importunait de sa présence et de sa puissance. La splendeur du symbolisme grec éleva le mythe hellénique au-dessus de tous les autres. Ceux du Nord, par exemple, le scandinave et le germanique, gardèrent leur rudesse primitive et sauvage malgré ce que certains, un Goethe par exemple, voulurent leur communiquer de la sagesse grecque. Sans les Socrate, les Platon et leurs continuateurs latins, les Lucrèce et les Sénèque, le monde serait peut-être encore plongé dans la barbarie préhistorique à laquelle la brute fasciste cherche à le faire retourner.
Le mysticisme, produit de l’onanisme métaphysique, obscurcit de plus en plus le symbolisme par les mystères, les fantasmagories ésotériques, dionysiaques et orphiques qui passèrent d’Éleusis dans le christianisme par la voie du néo-platonisme. Le premier christianisme s’adapta au néo-platonisme pour se faire admettre, en attendant que sa puissance fut assise. C’était d’ailleurs une nécessité pour lui. De même que la cathédrale ne pourrait avoir, sous peine de s’écrouler, d’autre principe architectural que celui de la basilique antique, le dogmatisme chrétien, si « spiritualisé » qu’il prétendrait être, ne pourrait ne pas plagier le symbolisme païen sans demeurer indifférent à l’esprit humain. Il s’adapta, mais en truquant, en s’efforçant avec toujours plus d’audace d’extirper le naturel et la vie de ce symbolisme, de le livrer aux déchéances mortifères du mysticisme.
On ne peut pas constater sans ironie qu’une religion appliquée avec tant de fureur à maudire et à détruire le paganisme, n’ait pu s’établir et se maintenir qu’en s’appropriant ses symboles, en les maquillant, en se livrant en somme à cette farce grossière consistant à baptiser carpe ce qui est volaille ! Les symboles que Hugues de Saint-Victor appela « la représentation allégorique d’un principe chrétien sous une forme sensible », et qu’effrontément l’Église déclara être de source et de vérité chrétiennes, ne furent que ceux du principe païen adaptés par l’industrie cléricale, avec parfois une incohérence inimaginable. La symbolique chrétienne s’est elle-même retrouvée, de l’aveu de ses auteurs, dans les légendes orphiques, dans les Métamorphoses d’Ovide, dans Virgile, dans cent autres qu’elle s’est annexés. Les dogmes et les symboles furent essentiellement platoniciens, tant que l’Église fut à la recherche de cette dogmatique qu’elle prétend lui avoir été « révélé » et sur laquelle elle disputa malgré cependant des siècles ! Ses premiers livres, Évangiles et autres, ne devinrent définitifs qu’après de multiples interpolations. Elle ne rejeta le néo-platonisme et ne brûla ce qu’elle avait adoré que lorsque, assurée de sa puissance, elle eut transformé les symboles d’indépendance de l’esprit en symboles de soumission, mais les ailes que ses anges portèrent dans le dos n’en demeurèrent pas moins à l’image de celles que l’enthousiasme platonicien donnait aux âmes pour les entraîner dans les cieux. A l’exemple des platoniciens, les Gnostiques avaient vu dans l’amour corporel et humain un symbole mystique de l’amour spirituel et divin. Ce symbole était devenu chrétien au point que les mouvements des sens et la volupté physique avaient été admis comme moyens d’épuration de l’âme et d’ascension vers le ciel ! Le Cantique des Cantiques était le symbole du mariage de Jésus avec l’Église. On n’avait pas encore fabriqué l’Immaculée Conception, et l’obscénité de la chasteté ecclésiastique, derrière laquelle Tartufe dissimulerait sa lubricité n’était pas encore un article de foi. Les cérémonies, les processions, les fêtes chrétiennes, continuaient celles de l’antiquité. Les cabiries, en l’honneur de divinités aussi nombreuses que mystérieuses, se retrouvaient dans les fêtes des « saints ». Le corybantisme, pratiqué par les païens dévots de Cybèle, survivait au point de produire aux XVI- siècle et XVIIe siècle de véritables épidémies d’hallucinations démoniaques chez les mystiques. La procession des cierges allumés, à la Chandeleur, perpétuait celle des Romains célébrant Proserpine le même jour de février. Le Carnaval, imité des bacchanales, des lupercales, des saturnales, se déroulait dans l’Église. L’office des ténèbres, dans la Semaine Sainte, rappelait celui des païens lamentant la mort de leurs dieux. A Vénus et à Cybèle pleurant sur les corps de leurs amants Adonis et Atys, on avait substitué Marie pleurant sur celui de son fils Jésus. La Fête-Dieu renouvelait les solennités à la gloire de Jupiter et d’Isis. Les Rogations répétaient les fêtes de Cérès. La Noël était la réjouissance de la naissance du Soleil dont Jésus n’était, après tant d’autres, qu’une incarnation. « Ainsi, le christianisme allait se chargeant sur son passage de toutes les fantaisies qui avaient précédé son avènement. » (Ph. Chasles).
Pour donner le change sur tout cela, on a inventé la symbolique chrétienne. Elle est le système de la forgerie catholique afin de dénaturer le symbolisme, de faire chrétien ce qui était païen. Cette symbolique est tellement compliquée que même ses initiés, ou prétendus tels, disputent à l’infini à son sujet sans pouvoir s’entendre. Huysmans, dans sa Cathédrale, en a donné une explication qu’on peut appeler rationnelle, parce qu’il l’a vue en artiste, en homme chez qui la mystique n’avait pas obnubilé le sens véritable de l’art, et non en théologien. Et il a constaté que l’explication théologique était parfois « bien tirée par les cheveux » et « bien obscure ». Lorsqu’il a dit que l’architecture romane énonce le « repliement » de l’âme, tandis que le gothique en est le « déploiement », il a fort bien compris la contrainte des forces naturelles dans le roman, alors qu’elles débordent au contraire dans le gothique avec le flot de la vie populaire échappée à la mystique pour faire de la cathédrale la maison du peuple plus que la maison de Dieu, le symbole de la prospérité communale dans l’épanouissement d’une nouvelle vie sociale, et non celui de la foi chrétienne. C’est ainsi qu’au fronton de la cathédrale de Chartres fut sculptée la figure de la Liberté. Huysmans n’a pas vu cette figure qu’avait reconnue Michelet mais il était trop averti par tout le naturisme débordant de la cathédrale pour ne pas savoir que son symbolisme était plus populaire que religieux, plus humain que mystique, et qu’il représentait par toutes les merveilles de son « microcosme » de pierres bâties et sculptées, de clochers, de flèches et de vitraux, toutes les espérances humaines refoulées pendant mille ans.
Il n’a pas davantage échappé à Huysmans que l’art appelé « chrétien » n’eut jamais de véritable beauté que par l’inspiration naturiste et humaine, et il a été amené ainsi à dénoncer la « démence » du symbolisme chrétien. Personne n’a protesté avec plus d’indignation contre les tartufes destructeurs des images « indécentes » dans la cathédrale, contre les stupides cagots colleurs de papier sur le ventre du petit Jésus pour voiler son « obscénité », contre l’art de « bedon et de bidet », qui fit, au XVIIIe siècle, « d’un bénitier une cuvette ». Personne n’a, avec plus de verve courroucée, accusé « l’ignominie » et la « honte » de la « cohue des déicoles » appartenant à la catégorie dite « article de Munich » qui se débite dans les boutiques « d’art pieux », et cette « mascarade la plus vile que l’on ait encore osé entreprendre des Écritures », que représente ce qu’on a appelé de nos jours le « nouveau » de l’art chrétien, avec ses Christ « montrant d’un air aimable un cœur mal cuit, saignant dans des ruisseaux de sauce jaune », et ses tableaux religieux, peints avec « de la fiente, de la sauce madère, du macadam » par des gens, « blêmes haridelles attelées à des sujets de commande pieux », qui peignent des Vierges comme ils peignent des Junons, décorant des chapelles comme ils décorent des cabarets. Il en est ainsi des arts plastiques comme de la musique (voir ce mot), dans leurs rapports avec la religion. A côté, la littérature pieuse est à l’avenant. Flaubert, qui la connaissait tout particulièrement, la trouvait « stupidifiante » par l’immensité de sa sottise, et il ajoutait : « Mes pieuses lectures rendraient impie un saint. » On comprend ce que peut être le symbolisme d’une telle « christolâtrie » ; il dégoûterait les plus arriérés Bassoutos. Aussi bien, comme l’a encore constaté Huysmans, la Renaissance a fait sombrer ensemble la symbolique et l’art religieux. Le naïf symbolisme des époques de foi n’est plus que la niaise symbolique des roublards exploiteurs de la foi, et d’une sottise aussi inesthétique qu’immorale. Les seules inspirations que la religion catholique a su apporter dans le symbolisme ont été celles des disputes théologiques sur la nature de Dieu et celle du Diable, et de la démonologie sortie, vers l’an mil, des monastères pour répandre la sorcellerie parmi les foules.
Un autre domaine où la symbolique est non moins pernicieuse que dans la religion, parce qu’elle y sert les mêmes buts et les mêmes intérêts, est celui des distinctions sociales, des castes et des classes où les individus sont parqués. Les préjugés nobiliaires y tiennent la plus grande place, tant il importait, jadis, pour chacun, de faire figure au-dessus des manants « sortis du pet d’un âne », et qu’il importe encore, aujourd’hui, de dominer les « espèces inférieures » méprisées des « gangsters » occupant les hautes sphères démocratiques. Rabelais a ri puissamment des faiseurs et des porteurs de blasons de son temps, « glorieux de cours et transporteurs de noms », avec leurs devises (symboles) qui n’étaient que des « paroles gelées ». Il leur opposait les vigoureux « mots de gueule » des « bons et joyeux pantagruélistes ». Il n’aurait pas moins ri des harnachements symboliques de tous ordres par lesquels le monde actuel s’accroche encore aux simulacres d’une dignité et d’un honneur perdus depuis longtemps, en admettant qu’ils aient jamais existé, et de la vaseuse rhétorique dont il accompagne sa fourberie.
Mais si le symbolisme a fourni abondamment de fétiches, de drapeaux, de déguisements, de catéchismes, de codes, le carnaval et la farce des turpitudes conventionnelles, s’il a alimenté de sophistications rhétoriciennes les entreprises de mensonge et d’exploitation humaine, il a aussi donné ses armes de défense à l’Esprit par les moyens de l’apologue, de la parabole, de l’allégorie, sous lesquels se sont couvertes toutes les ingéniosités et les audaces de la satire ou du simple bon sens en éveil contre les maléfiques influences. L’apologue a fleuri dès les premiers balbutiements humains. Tous les prophètes ont parlé par paraboles, tous les philosophes par maximes. Les paraboles des Évangiles sont bien connues. Les Maximes d’un Pythagore sont éternellement vivantes et actuelles ; notre prétendue civilisation a encore à apprendre d’elles à « ne pas attirer le feu avec une épée », à « ne pas mettre la lampe sous le boisseau », et à « s’abstenir des fèves », c’est-à-dire des suffrages des majorités qui font régner la démagogie. De même, depuis 2.000 ans, les insanités accumulées par les théologiens sur la divinité ont été d’avance balayées par cette image de Timée de Locre, identifiant Dieu avec l’univers tout entier : « Un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. » Comme l’a remarqué Voltaire : « En métaphysique, en morale (c’est-à-dire dans le domaine symbolique), les anciens ont tout dit. »
L’allégorie abonde dans la multiplicité des symboles dont l’antiquité grecque a pourvu l’humanité en répandant la sagesse de sa philosophie. La littérature du moyen âge a été en grande partie allégorique. Les symboles étaient alors nécessaires pour rendre claire l’expression d’un langage encore trop imparfait, mais l’allégorie l’était davantage pour faire entendre la pensée considérée comme subversive. Il l’a fallu à Érasme, à Rabelais, à Descartes, à tous ceux que l’Inquisition menaçait. Érasme trouvait ses symboles dans le monde des animaux et dans celui des fous pour attaquer les puissants, les rois qu’il comparait à « des aigles carnassiers, pillards, destructeurs, batailleurs, haïs de tous », et à des fous de carnaval qui, « dépouillés de leur couronne, apparaissent des faquins ». L’œuvre de Rabelais est d’une richesse allégorique inépuisable. Sa science comme sa conscience seront toujours bons à consulter tant que les hommes seront des moutons de Panurge.
Il serait intéressant d’examiner dans les arts et la littérature, plus que dans la religion, la place et le rôle du symbolisme. Si, dans la religion, son emploi a été régressif et funeste, il a été, en art et en littérature, progressif et bienfaisant. C’est par lui que le néo-platonisme est demeuré dans la littérature quand il a été rejeté par l’Église. Chez les poètes provençaux, puis chez les Italiens du moyen âge, ce néo-platonisme a été l’élément défensif de l’Esprit, le principe de la liberté de la pensée dressé contre les dogmatismes menaçants. C’est lui qui a inspiré le symbolisme de Dante sur lequel les scoliastes discutent toujours dans l’intention obstinée de concilier son esprit de vérité, de justice et de liberté, avec l’imposture papaline et l’Inquisition. Les symboles du néo-platonisme s’opposèrent de plus en plus à ceux du catholicisme médiéval grâce à la Renaissance. Celle-ci les fit passer dans Shakespeare et chez tous les esprits indépendants qui résistèrent au classicisme subordonné au pouvoir absolu. Ils sont dans le pré-romantisme. Ils se sont dressés contre le néo-catholicisme durant tout le XIXe siècle, et nous les retrouvons dans cette période appelée du Symbolisme qui a occupé les vingt dernières années de ce siècle et qui est née de la faillite romantique.
Le Symbolisme et son école. (Fin du XIXe siècle). — Nous n’en parlerons que d’une façon très sommaire, mais en les situant aussi exactement que possible.
De ce qui précède, on peut déduire que le mouvement symboliste, d’où est sortie l’école de ce nom, n’a nullement été le produit d’une fantaisie artistique et littéraire. Obéissant à de lointaines et constantes affinités, il a été une nécessité de l’esprit, une réaction contre l’enlisement romantique dans un conformisme de plus en plus asservi aux grossièretés des appétits bourgeois. Ce mouvement avait commencé avec le décadentisme, dans lequel on a affecté de ne voir que « la perversion de la sensibilité dans des raffinements morbides ». Certes, il y a eu beaucoup de cela dans le cas d’une foule de décadents, depuis Alfred de Musset qui :
« Chante la Syphilis sous les feuilles d’un saule ! »
jusqu’aux plus actuels futuristes, dadaïstes et surréalistes dont les manifestations ont conduit le décadentisme à la déliquescence, sans autre effet que « d’épater » les primates du snobisme. Mais le décadentisme a été, dans son principe, tout autre chose, et en particulier chez Baudelaire qui en a été promu le « théoricien » par l’hypocrisie académique et bourgeoise.
Le décadentisme a été la protestation d’une aristocratie véritable et légitime de l’esprit contre l’avilissement où il était entraîné sous prétexte de démocratisation. Il a été l’expression de la plus généreuse conception individualiste dans des rapports vraiment supérieurs entre les hommes, et d’une volonté d’opposition idéaliste, intellectuelle et morale, à l’encanaillement général aboutissant au muflisme. Avant Baudelaire, il avait été dans l’indignation de Michelet contre les « laideurs », la « brutalité grossière », l’ « emportement voulu de matérialité stérile » introduits dans l’art et la littérature, en même temps que dans les mœurs après 1830, lorsqu’eut été signée l’entente fraternelle de la religion catholique et de la religion de la banque. (Voir Romantisme.) Il avait été aussi dans les ripostes de Th. Gautier à l’hypocrisie des cafards moralistes, dans celles de Stendhal dénonçant le « bégueulisme » de ces mêmes cafards. Le décadentisme a été le labarum de tous les « poètes maudits » par la tartuferie bourgeoise contre les « poètes vendus » à cette tartuferie. Il a été dans Bouilhet, flétrissant chez A. de Musset :
« … l’homme grec dont les strophes serviles
ont encensé Xerxès le soir des Thermopyles. »
Il a été dans Gérard de Nerval, dans Barbey d’Aurevilly, dans Villiers de l’Isle-Adam, dans tous ceux qui furent de véritables artistes, malgré des conceptions d’art différentes. Il a été dans Flaubert, définissant le bourgeois « celui qui pense bassement », faisant retentir les échos de sa véhémence contre le muflisme, troisième évolution de l’humanité après le paganisme et le christianisme, et contre la bassesse des boutiquiers des lettres qui faisaient de leur plume « un alambic à ordures pour gagner de l’argent ».
Le décadentisme a été dans le dégoût profond soulevé chez tous les esprits généreux par la carence révolutionnaire qui laissait établir par la bourgeoisie un état social aussi arbitraire et corrompu que celui de l’ancien régime. En 1848, il a participé aux barricades. Durant les trente années de digestion bourgeoise qui ont suivi l’écrasement de la Révolution dans toute l’Europe, il a été dans la propagation des idées et des œuvres des Stirner, Darwin, Buchner, Hoeckel, Herbert Spencer, Marx, Bakounine, Proudhon, Nietzsche, Wagner, Dostoïevski, Ibsen, Tolstoï, E. Reclus, Kropotkine, qui entretinrent l’esprit révolutionnaire dans la pensée universelle, et en renouvelèrent et transformèrent les conceptions. Il en est sorti cet état d’anarchisme individualiste, philosophique et artistique qui commença, après 1880, la période dite du Symbolisme, période féconde en manifestations audacieuses et originales, mais trop intellectuelle, trop spéciale, qui ne pénétra pas suffisamment la masse sociale et fut emportée dans la débâcle des consciences lors de l’affaire Dreyfus. C’est alors que sévit le décadentisme pervers avec toutes les loufoqueries dont s’engoua un snobisme imbécile à l’instigation du muflisme déchaîné.
Dans le décadentisme, le « réprouvé » Baudelaire a apporté, non des « théories », mais, ce qui valait mieux, l’œuvre poétique la plus neuve, la plus riche de symboles, la plus émouvante par son humanité et la plus parfaitement belle par son art. Il a été l’esprit le plus ouvert, le plus compréhensif, le plus clairvoyant lorsque, presque seul, il a osé affronter « la Bêtise au front de taureau », déclarer la guerre à la sottise bourgeoise, à sa haine de l’intelligence, à sa xénophobie mesquine et sauvage. Sa critique d’art et de littérature a été la plus libre et la plus lucide contre tous les poncifs des écoles et les admirations serviles. Presque seul, il a défendu Wagner qu’on sifflait à Paris, en 1860, comme on avait sifflé Shakespeare et Shéridan en 1822, uniquement au nom de « l’honneur national » !… Il a soutenu Delacroix encore contesté par un public qui était, « relativement au génie, une horloge qui retarde ». Il a compris Daumier, alors que si peu le comprenaient, et il a vu en lui : « Un des hommes les plus importants, non seulement de la caricature, mais de l’art moderne. » Il a traduit Edgar Poe, autre « réprouvé » comme lui, déterminant un courant de curiosité de la pensée étrangère novatrice et indépendante des asservissements académiques. Baudelaire a été de toutes les écoles et il les a dépassées toutes. Il a été non seulement une voix nouvelle, mais aussi un monde nouveau par son étendue et sa complexité. Aussi, n’est-il pas un poète français, fût-ce Ronsard ou Hugo, dont l’œuvre ait, aujourd’hui, le rayonnement de la sienne dans le monde entier. Cela seul peut dispenser de répondre aux derniers cuistres qui crachent bourgeoisement sur lui et lui reprochent, à la suite de M. Lanson, son insensibilité et sa « volonté d’être malsain » !… Il est, comme a dit Paul Valéry, « au comble de la gloire ». Baudelaire, ironique et désespéré, implacable, est descendu dans la bassesse des âmes comme son Don Juan « vers l’onde souterraine ». Il a prospecté la charogne humaine qui ne lui pardonne pas de lui avoir arraché les oripeaux de ses sordides convenances et jeté sur ses vertueuses grimaces la plus profonde malédiction de la douleur humaine. Ce « maudit » a réhabilité Caïn, ce que ne fit jamais la bénignité infinie d’aucun « élu », en montrant dans l’ « abélisme » l’ange descendu au-dessous de la bête.
« Race de Caïn, au ciel monte
Et sur la terre jette Dieu ! »
a-t-il crié dans sa révolte.
Baudelaire a été à la fois classique et romantique, il a été l’inspirateur du Symbolisme qu’il a détourné de « l’art pour l’art », et il a été encore plus que cela. Nul mieux que lui n’a réalisé cette « haute poésie » que composent, d’après Maeterlinck, ces trois éléments principaux : « D’abord la beauté verbale, ensuite la contemplation et la peinture passionnées de ce qui existe réellement autour de nous et en nous-mêmes, c’est-à-dire la nature et nos sentiments, et enfin, enveloppant l’œuvre entière et créant son atmosphère propre, l’idée que le poète se fait de l’inconnu dans lequel flottent les êtres et les choses qu’il évoque, du mystère qui les domine et les juge et qui préside à leurs destinées. »
En donnant au décadentisme sa plus exacte expression esthétique et éthique, Baudelaire a engendré le Symbolisme. Celui-ci a groupé, dans ce qu’on peut appeler son unité de pensée et d’action, les hommes les plus divers de caractère, de tempérament, de conceptions philosophiques et sociales et de talent, cela parce qu’il n’a pas été une formule conventionnelle propre à certains, mais qu’il les a tous incités à rechercher profondément, en eux et autour d’eux, l’âme de toute chose. Aussi, rencontre-t-on dans les pages de l’anthologie symboliste, athées et croyants, hérétiques et orthodoxes, aristocrates et démocrates, autoritaires et libertaires, individualistes et communistes, ascètes et épicuriens, mais tous cherchant l’homme dans sa conscience et son destin, la vie dans son mystère ou dans ses certitudes, l’âme dans ses contemplations ou ses prurits d’activité. Maeterlinck a exactement montré, dans un parallèle entre la Puissance des Ténèbres de Tolstoï, et les Revenants d’Ibsen, la complexité symboliste devant « l’angoisse de l’inintelligible », et l’intervention des « puissances supérieures » pesant sur l’impuissance humaine : action d’un Dieu, comme dans la pièce de Tolstoï, ou loi de l’hérédité, comme dans celle d’Ibsen. Du caractère aristocratique de la réaction décadentiste, le Symbolisme hérita un détachement complet de la foule, voire de la nature, pour ne voir que l’individu évoluant dans des « paysages d’âmes ». Huysmans faisait dire à son Des Esseintes : « À n’en pas douter, cette sempiternelle radoteuse (la nature) a maintenant usé la débonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu où il s’agit de la remplacer, autant que faire se pourra, par l’artifice. » Le Symbolisme n’épousa pas cette formule exagérée et stérile, mais il fit rentrer l’individu en lui-même pour rechercher et exprimer ses attractions mystérieuses, et cela, sans vouloir « la gloire ni la moindre consécration, mais simplement la joie divine d’avoir accompli strictement ce qu’il voulait accomplir. » (Stuart Merrill). Flaubert et Baudelaire lui avaient transmis cette indifférence totale du public qui leur avait fait composer leur œuvre comme elle devait être, sans aucun souci de plaire à qui que ce fût, d’épouser la querelle de quelque parti ou de quelque école que ce fût. Flaubert s’était pour cela renfermé dans l’impersonnalité la plus complète, disant : « L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part. »
Nous ne pouvons, ici, que parler très brièvement de l’école symboliste et de ceux, venus de tous les côtés de la pensée, qui l’ont représentée avec une variété extrême. Après Baudelaire et ces deux grands visionnaires, Gérard de Nerval et Villiers de l’Isle-Adam, ses inspirateurs principaux furent Mallarmé, Rimbaud et Lautréamont. Tous trois, sans se connaître, lui apportèrent des tendances lointaines et dispersées qui allaient des solitaires lakistes anglais aux légendes d’où Wagner faisait jaillir tant de symboles humains, et au farouche idéalisme de l’individualisme ibsénien. Une autre influence fut celle de Verlaine, poussé par son impulsivité et sa nature à la fois subtile et naïve hors du cadre parnassien, et de la froideur impassible de « l’art pour l’art ». Concentration intérieure et expression ésotérique chez Mallarmé. Virtuosité et éclat évocateur des images chez Rimbaud. Héritage du mysticisme swedenborgien et hostilité à toute règle hors celle de l’intuition individuelle, chez Lautréamont qui a fait le pont entre le symbolisme libertaire de William Blake et le symbolisme mystiquement religieux, artistique et social de 1885. Langage libre de l’âme et de l’instinct chez Verlaine.
Sous ces influences plus ou moins directes et non nettement définies, se formèrent, après 1880, des groupements littéraires et se fondèrent une infinité de petites revues. A côté de Villiers de l’Isle-Adam, de Mallarmé et de Verlaine, s’y révélèrent et s’affirmèrent tous ceux qui apporteraient une illustration quelconque au Symbolisme. Dès 1881, le mouvement avait commencé avec le groupe de la Jeune Belgique, dont faisaient partie Max Waller, A. Giraud, Ivan Gilkin, C. Lemonnier, G. Eckhoud. Les écrivains belges devaient tenir une belle place dans le Symbolisme avec G. Rodenbach, Maeterlinck, A. Mockel, A. Fontainas, Van Lerberghe et d’autres. Leurs revues seraient : la Jeune Belgique, la Wallonie d’A. Mockel, la Revue wallone de Wilmotte, le Coq rouge de Demolder, l’Art moderne, d’E. Picard, le Réveil, etc….
En France, ce mouvement se forma des individualités les plus diverses, mais toutes évoluant dans le décadentisme qui répondait au besoin d’échapper au milieu ambiant où l’art était souillé « par le vomissement de la « Bêtise » (Fontainas), de sortir de ce que Flaubert avait appelé « les fanges bourgeoises et démocratiques ». Il serait beaucoup plus que du « dandysme intellectuel » puisqu’il rassemblerait « les mainteneurs de la civilisation » (J.-R. Bloch). Un cénacle de l’impasse du Doyenné fit la Nouvelle Rive Gauche, revue que dirigea Léo Trezenick, où débuta Moréas en 1882, et qui devint, en 1885, Lutèce, où Tailhade, H. de Régnier, Vielé-Griffin, publièrent leurs premiers vers. Les dîners de Lutèce inaugurèrent sous le nom de « Dîner des Têtes de pipe », ces soirées littéraires bruyantes et pittoresques qui furent aussi celles de la « Rose-Croix », des « Hydropathes », des « Hirsutes », du « Chat Noir », de « La Plume », et d’autres où se réunissait cette bohème mélangée et curieuse, sinon toujours sympathique, dépeinte par C. Mendès dans la Maison de la Vieille, et par Ch. Merki et J. Court dans l’Éléphant. En 1885, Ed. Dujardin fonda la Revue wagnérienne, qui fut l’organe du symbolisme musical, puis, avec Fénéon, la Revue indépendante qui eut pour principaux rédacteurs : Villiers de l’Isle-Adam, Mallarmé et Huysmans, ce dernier détaché du Naturalisme après la publication d’A. Rebours. « L’école décadente » prit le titre de « symboliste » à la suite d’un manifeste de Moréas, paru au Figaro, le 18 septembre 1886. Elle réunit E. Mikhaël, Fontainas, Darzens, Vanor, Lefèvre, Guillaumet, Bonnin, etc… Son but précis fut de réagir, comme l’avait proposé Moréas, contre les Parnassiens et l’école de Zola. Des revues nombreuses parurent successivement : les deux Vogue, celle d’Orfer puis celle de G. Kahn, le Symboliste de Kahn et Moréas, les Taches d’encre de M. Barrès, le Chat Noir de Salis, la Pléiade de Mikhaël, Saint-Pol Roux et P. Quillard, l’Ermitage de Mazel et de Ducoté, le Décadent de l’instituteur Baju qui l’imprimait lui-même et avait comme collaborateurs : Tailhade, M. du Plessys, J. Renard, E. Reynaud, les Entretiens politiques et littéraires de Vielé-Griffin, P. Adam et Bernard Lazare, la 'Revue septentrionale de Roinard, l’Humanité nouvelle et Psyché de V. E. Michelet. Toutes ces revues, que nous citons sans ordre chronologique, et bien d’autres, eurent une existence plus ou moins éphémère. Les plus importantes furent La Plume, fondée par L. Deschamps (1889-1904), la Revue Blanche de Natanson (1889–1903), et le Mercure de France, ressuscité par A. Vallette, en 1890, et qui paraît toujours.
Verlaine donna, en 1884, au Symbolisme un Art poétique qui serait surtout l’art des synesthésies (voir ce mot). Mais le genre trouva son sens et sa forme définitifs dans Mallarmé qui réalisa cette gageure de faire un art de l’obscurité en la rendant lumineuse et vivante. Beaucoup ont voulu imiter sa recherche de l’image à la fois précise et splendide et sa forme elliptique, s’approprier sa faculté de transmutation de toutes choses en symboles magnifiques, dans la préoccupation farouche de ne jamais laisser ternir l’intimité et la pureté de son rêve par une intervention extérieure ; ils ne sont arrivés qu’à ne pas se faire comprendre en ne se comprenant plus eux-mêmes. Ils ont alors tenu cela pour la fin suprême de l’art ! Seul un Mallarmé aussi profondément artiste, aussi complètement désintéressé, hostile à tout bruit et indifférent à toute gloire, pouvait, comme un César Franck en musique, réaliser une telle œuvre. Son meilleur continuateur a été Paul Valéry qui, à vingt ans de distance, a apporté dans la poésie, depuis 1917, un symbolisme mûri de toutes les expériences et de toutes les observations de la pensée contemporaine.
La préoccupation du rythme plus que du nombre conduisit les poètes symbolistes à l’emploi du vers libre. G. Kahn paraît en avoir été le novateur dans La Vogue, en 1886. Il en a été le théoricien. Il fut suivi par J. Laforgue, Moréas, Mockel, Vielé-Griffin, R. de Souza, etc…
La virtuosité plus ou moins excentrique, qui vient d’un besoin de pensée et d’expression neuves particulières à des formes spéciales de l’esprit, et qui demande des dons au-dessus de la moyenne pour ne pas tomber dans les procédés du banquisme, avait commencé dans le Symbolisme avec Rimbaud. Presque tous les symbolistes en usèrent, mais avec des réussites inégales. Parmi les plus originaux furent Rollinat qui semble hanté de Poe et de Lautréamont, Laforgue, froid railleur d’une vie trop « quotidienne », Tailhade, contempteur du « mufle » et cravacheur des « groins ». D’autres furent des humoristes plus ou moins macabres auprès de qui, comme dit Verlaine, « le seul rire encore logique est celui des têtes de morts ». La fantaisie symboliste prit avec le « surmâle » A. Jarry et son Ubu-Roi le ton de la satire la plus funambulesque. Virtuosité et fantaisie tombèrent dans la mystification et le maboulisme avec les futuristes et les dadaïstes, les Marinetti, Apollinaire, Max Jacob, Cendrars, Tzara. Ce dernier voulut « tuer l’art » après qu’on eut tué les hommes. Le surréalisme, qui participe d’un « freudisme » avalé de travers, est le dernier aspect de ces loufoqueries devenues académiques au pays du fascisme.
Le symbolisme produisit, avec René Ghil, la « poésie scientifique » basée sur des synesthésies de couleurs et de musique. Il fut grandiloquent avec deux provençaux, le marseillais Paul Roux, qui prit le nom de Saint-Pol-Roux-le-Magnifique, et répandit des métaphores plus pétaradantes que précises, et le lançonnais Emmanuel Signoret qu’une exubérante admiration de son propre génie consola de son impécuniosité. Enfin, le comte de Montesquiou-Fezensac fut le prototype du Des Esseintes d’A Rebours de Huysmans. Ce gentilhomme, quelque peu « piqué », promena, dans les salons aristocratiques, le « décadentisme pervers », ce qui, malgré le ridicule, fut plus honorable pour lui que s’il avait traîné sa noblesse, comme tant de ses congénères à particules, dans les conseils d’administration des sociétés Oustric et Stavisky.
L’occultisme, les sciences magiques devaient inévitablement avoir leur place dans le Symbolisme. Ils eurent leur représentant le plus tapageur dans Péladan, le Sâr de la Rose-Croix. D’autres furent plus réservés, tels Stanislas de Guaita, dont l’influence fut plus profonde, A. Jounet, E. Schuré, J. Bois et V. E. Michelet. Dans Là-Bas, Huysmans a écrit le roman de l’occultisme de ce temps. Un mystique plus humble fut Germain Nouveau qui se fit mendiant pour imiter saint Labre. Péladan, artiste véritablement supérieur malgré ses excentricités, et l’un des prosateurs les plus remarquables de la période symboliste, avait conçu une mystique de l’art qui, dépouillée de ses hallucinations, aurait ravi Flaubert. Il disait, dans son Appel du Grœal : « Artiste… sais-tu que l’art descend du ciel, comme la vie nous coule du soleil ? Qu’il n’est pas de chef-d’œuvre qui ne soit le reflet d’une idée éternelle ?… Apprends que si tu crées une forme parfaite, une âme viendra l’habiter… Apprends encore ceci : au croulement du monde, Dieu sauvera l’âme des œuvres, comme l’âme des justes. Le ciel aura son Louvre et le cœur des chefs-d’œœuvre adorera pendant l’éternité son Créateur, l’artiste comme nous-mêmes, Dieu… Prends garde… si tu aimes le laid, tu n’as droit qu’à l’enfer. »
A côté de cette mystique de l’art, il appartenait au Symbolisme de produire celle de l’anarchisme. Elle découla tout naturellement de l’idéalisme individualiste, elle inspira de nobles esprits et des actes héroïques. L’esprit et la cause libertaires eurent de véritables militants parmi les symbolistes et, à côté d’eux, des artistes et des poètes que leurs conceptions sociales influencèrent. Laurent Tailhade fut le plus ardent et le plus constant dans la bataille libertaire. Son œuvre, même poétique, fut toute de polémique, tant sociale qu’artistique, et elle lui valut la prison avec toutes les malédictions bien pensantes et bourgeoises. Adolphe Retté fut aussi un libertaire fougueux mais inconstant. Poète, il débuta dans le symbolisme le plus hermétique, puis il passa au naturisme le plus agressif contre Mallarmé et ses disciples. Polémiste, il fut l’anticlérical le plus farouche, jusqu’au jour où ayant rencontré la « grâce » il se fit moine et passa, suivant son expression, « du Diable à Dieu ». Paul-Napoléon Roinard collabora assez longtemps aux journaux anarchistes. Il avait de la société future une conception pleine de jovialité, disant :
« Je voudrais que, sans peur, sans fatigue et sans trêve,
On s’aimât d’un amour toujours renouvelé,
Si j’avais créé le Rêve. »
D’autres, sympathisants, donnèrent à l’anarchisme des collaborations moins soutenues et plus timides. Les « lois scélérates » de 1893–94 leur firent abandonner une cause qui n’apportait pas assez vite les résultats espérés et devenait trop dangereuse pour leur tranquillité. Ils restèrent estimables lorsque, après avoir fait l’apologie de Ravachol, ils n’embouchèrent pas le clairon de Déroulède, ne devinrent pas patriotes avec la peau des autres, et ne firent pas des magistrats déclarant que « le passage à tabac est une nécessité sociale » !…
Parmi les écrivains favorables à l’anarchisme, Rémy de Gourmont, révoqué de son emploi de fonctionnaire pour antipatriotisme manifesté lors d’une enquête du Mercure de France sur l’idée de patrie, occupa dans le Symbolisme une place particulière et supérieure comme critique. Ses Livres des Masques et ses Promenades littéraires réunissent les études les plus remarquables qui ont été écrites sur le mouvement symboliste et ses protagonistes.
Dans l’époque symboliste, Verhaeren a été à part, prolongeant à la fois le romantisme et le naturalisme. Il fut, avec Zola, l’un des maîtres choisis par le falot Saint Georges de Bouhélier et son éphémère « école naturiste ». Verhaeren a apporté dans l’art symboliste, fait surtout de mystère, de nuances, d’imprécisions, la vigueur réaliste de sa vision des choses et sa puissance lyrique. A côté des êtres irréels, glissant comme des ombres silencieuses dans la forêt enchantée du rêve, il a été le Nibelung farouche forgeant la nouvelle humanité dans le tumulte des villes modernes.
En marge de l’école symboliste, on vit « l’école romane », fondée en 1891 par Moréas, lorsqu’il désavoua le Symbolisme. M. du Plessys, R. de la Tailhède, E. Raynaud et Ch. Maurras en firent partie. Moréas ne fut pas seulement en marge du Symbolisme par son art, il le fut par sa personnalité. Bien loin de posséder ce superbe détachement du public et du succès qui fut celui des symbolistes, il fut au contraire constamment à la recherche de la gloire, et cela explique peut-être ses variations. Il a dit son amertume dans des vers des Stances :
« Les morts m’écoutent seuls, j’habite les tombeaux.
Jusqu’au bout je serai l’ennemi de moi-même.
Ma gloire est aux ingrats, mon grain est aux corbeaux ;
Sans récolter jamais je laboure et je sème. »
Par sa recherche des synesthésies, le Symbolisme a fait de l’art non plus une chose verbale et plastique, trop souvent isolée de la vie ou figée dans des formes conventionnelles, mais il a révélé les rapports étroits et complémentaires de tous les arts et de toutes les sensations, il a composé une harmonieuse synthèse de tout ce qui est intuition plus que raison, il a donné sa place au rêve qui murmure silencieusement au fond des êtres ses « romances sans paroles » (Verlaine). C’est ainsi qu’en particulier le Symbolisme a trouvé son âme dans la musique, dans le rythme de la poésie et celui des sons, et qu’il en a répandu et développé le goût. Les romantiques avaient à peu près ignoré la musique, en dehors des gargouillades mélodramatiques des Donizetti, Meyerbeer, Gounod, et de leurs disciples. Les symbolistes ont fait connaître la communion qu’elle établit entre le moi profond et l’univers, entre l’individu et le social. Ils ont, par exemple, initié le public au symbolisme si puissamment révolutionnaire de la Tétralogie conçue par Wagner dans le bouillonnement de 1848. A côté de Wotan, l’homme du présent conservateur de la société actuelle dont l’image est dans le Walhall, c’est Siegfried, « le rédempteur socialiste venu sur terre pour abolir le règne du capital », a écrit Wagner lui-même. Il est « l’homme attendu, voulu par nous, l’homme de l’avenir, qui ne peut être fait par nous, qui doit se faire lui-même par notre anéantissement ». Siegfried est « l’incarnation héroïque de l’homme libre et sain, de l’homme primitif, sorti directement de la Nature. » (R. Rolland). Siegfried et Brunehild sont « l’humanité future, les temps nouveaux qui s’accompliront quand la terre sera délivrée du joug de l’or », et le Crépuscule des Dieux, c’est « le Walhall qui s’écroule avec la société présente pour faire place à l’humanité régénérée. » (R. R.). Dans la pensée de Wagner l’ensemble de la Tétralogie devait être un spectacle d’ « après la grande Révolution » ! En faisant comprendre Wagner les symbolistes ont fait comprendre aussi Beethoven, Schuman et Schubert. Par leurs musiciens et leurs œuvres, de Debussy à Stravinski, de l’hiératique Pelléas à la tourbillonnante Pétrouchka, ils ont préparé la compréhension de la pure musique, jaillissement direct de l’âme, de Mozart et de Berlioz.
L’œuvre qu’on peut appeler de vulgarisation supérieure accomplie par le Symbolisme pour la musique fut aussi la sienne pour les autres arts. Le courant symboliste avait fait le succès des grands concerts ; il fit aussi celui des récitations poétiques organisées un peu partout à l’exemple de celles de l’Odéon dont G. Kahn fut le promoteur, et il soutint d’autre part, s’il ne les fit naître, les expositions d’art hors-cadres officiels comme celle des Indépendants, dont on vient de célébrer le cinquantenaire. Il aida à la création de « théâtres d’art », à l’organisation de spectacles de pensée. (Voir Théâtre). Enfin, ses principes philosophiques et sociaux eurent une application militante à l’occasion de l’affaire Dreyfus, dans le mouvement des Universités populaires, dans la compréhension mutuelle de ces « intellectuels » et de ces « manuels » accordés, un moment, pour défendre une vérité et une justice supérieures.
En résumé, nous devons être reconnaissants au Symbolisme et à son école du développement général de la pensée qu’ils ont déterminé beaucoup plus que le Naturalisme, et de leur influence sociale et artistique. S’ils ont trop souvent favorisé les outrances d’un snobisme ridicule et méprisable, ils ont éveillé dans les esprits sérieux et délicats, quelles que fussent leurs origines bourgeoises ou prolétariennes, une préoccupation de recherche intellectuelle, un souci de dignité personnelle, un sentiment de la véritable liberté de l’individu par la conduite de soi-même, et un profond dégoût des formes collectives d’abrutissement. Ils ont semé l’esprit de révolte, ils ont aidé les « hommes de bonne volonté » à sortir des basses-fosses de la sottise générale. S’ils ont constaté avec Ibsen que « l’homme le plus fort est celui qui est le plus seul », et avec Flaubert que « le nombre domine l’esprit » et que « la masse est toujours idiote », ils ont reconnu aussi, avec le même Flaubert, que cette masse « si inepte soit-elle, contient des germes d’une fécondité incalculable », et ils ont cherché à faire produire ces germes. Pour ceux qui les portaient, ils ont dit avec Beethoven : « O homme ! aide-toi toi-même ! » Et avec Tolstoï : « Le salut est en vous ! » Ils n’ont pas fait la Révolution, mais ils ont montré la voie de la seule Révolution qui ne sera pas illusoire, lorsque « l’esprit » ne sera plus dominé par le « nombre », lorsque la masse n’acceptera plus d’être soumise à des dictatures.
C’est dans cette période d’affirmation individualiste révolutionnaire, celle du Symbolisme, que l’anarchisme a été le plus fécond en manifestations diverses. Si cet anarchisme est enlisé aujourd’hui, d’une part dans le marécage du syndicalisme ouvriériste et politicien qui l’a happé, sous prétexte d’action révolutionnaire, pour le vider de ses consciences et de ses énergies, d’autre part dans un individualisme étroit et sordide dont le non conformisme ne vaut pas mieux que le conformisme bourgeois : il a gardé encore quelques belles attitudes du temps où Tailhade proférait :
« O Anarchie, porteuse de flambeaux !
Chasse la nuit ! Écrase la vermine !
Et dresse au ciel, fût-ce avec nos tombeaux,
La claire Tour qui sur les flots domine. »
Les flambeaux ne sont pas tous éteints. Sur les tombeaux des Sacco, des Vanzetti et de mille autres martyrs, sur ceux de nos frères d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne et du monde entier, tués dans les insurrections de la Liberté, sur les prisons de tous les pays où, plus que jamais, les objecteurs de conscience multiplient ce « grain de blé » du refus d’obéissance au crime de la guerre que des Goutaudier semèrent il y a trente-cinq ans : toujours, la claire Tour domine, celle qui dresse la volonté des hommes vers la Justice, vers la Liberté, vers la Fraternité universelle. — Édouard Rothen.
SYMBOLISME (fétichisme ou fantaisisme) SEXUEL. — SYMBOLISME SEXUEL — La fin du siècle dernier et le début du XXe siècle ont vu se transformer la mentalité des savants et celle du public éclairé en ce qui concerne ce qu’on appelle « les anomalies sexuelles ». Jadis accusés d’être des possédés, des suppôts de l’enfer, les « anormaux sexuels » ont vu des psychiatres, des sexologues, des spécialistes éminents s’intéresser à leur cas et examiner sans parti pris les causes profondes de leurs anomalies, anormalités ou fantaisies. Mettant à part l’inversion sexuelle (ou homosexualité) et l’onanisme (ou autoérotisme) — voir ces mots à leur ordre respectif —, on désigne sous le nom général de symbolisme ou fétichisme sexuel ou érotique tout objet ou acte destiné à procurer à l’individu l’émotion, l’excitation ou la jouissance sexuelle par des représentations évocatrices et provocatrices de l’instinct érotique.
Les psychiatres divisent le symbolisme ou fétichisme sexuel ou érotique en : normal ou acceptable et anormal ou morbide, selon que l’émotion sexuelle érotique est produite par une personne — et dans ce cas les objets lui appartenant ne sont qu’un accessoire — ou qu’elle est amenée par un objet, la personne ne devenant qu’un accessoire. Cette différenciation ne porte que sur des objets et non sur des actes ; mais lesdits psychiatres sont bien obligés de l’établir, sinon il leur faudrait attribuer, comme le remarque A. Moll, dans son ouvrage sur l’inversion sexuelle, une perversion sexuelle accidentelle ou chronique à presque tous les hommes.
Dans ses études de Psychologie expérimentale, A. Binet explique que l’amour normal apparaît comme le résultat d’un fétichisme compliqué — « polythéiste » — « non pas d’une excitation unique, mais d’une myriade d’excitations, c’est une symphonie. Où commence la pathologie ? — c’est au moment où l’amour d’un détail quelconque devient prépondérant au point d’effacer tous les autres. »
Tout cela ne paraît pas absolument clair. Nous trouvons autour de nous une foule de gens réputés normaux qui préfèrent que leurs partenaires soient blonds plutôt que bruns, maigres plutôt que gras et vice-versa, et à qui il serait impossible d’expliquer pourquoi, et c’est ce trait dominant qui décide de leur choix amoureux ou érotique.
À la vérité, l’on est tous plus ou moins fétichistes. Comme l’a écrit le Dr Émile Laurent (Fétichistes et Érotomanes, 1905) dans la femme aimée, « certains détails ont particulièrement le don de nous plaire : une fine oreille rosée, un pied menu, une taille souple et légère, de longs cheveux noirs, des seins fermes et rebondis, une croupe opulente, des yeux de pervenche, une peau satinée, des dents blanches sous des lèvres purpurines. »
« On aime toujours pour un détail, pour une nuance, écrivait le littérateur belge G. Rodenbach ; c’est un point de repère qu’on se crée dans le désarroi, dans l’infini de l’amour. Les plus grandes passions tiennent à de si petites causes ! Pourquoi aime-t-on ? À cause d’une couleur de cheveux, d’une intonation de la voix, d’un grain de beauté qui trouble et en suggère d’autres, d’une expression des yeux, d’un dessin des mains, d’une certaine palpitation du nez qui frémit comme s’il était toujours devant la mer. » Faut-il conclure de cela que le délicat écrivain que fut Rodenbach était un fétichiste « morbide » ? Nous verrons par la suite que sont légion ceux chez lesquels l’émotion sexuelle est provoquée par un détail.
Havelock Ellis déclare, de son côté, que la tendance à collectionner les reliques d’une personne aimée et surtout des vêtements est la base la plus commune et la plus simple du symbolisme érotique. « Elle est parfaitement normale. Il est inévitable que des objets qui ont été en contact direct avec le corps de la personne aimée et qui sont intimement associés à cette personne dans l’esprit de l’amant participent plus ou moins de la même vertu et de la même puissance émotionnelles. »
Partant de ce fait qu’il n’était pas rare au Moyen Age que les amants fissent échange de leur chemise et de leurs vêtements, on citera, pour étayer l’observation qui précède, des cas devenus classiques, tel celui du châtelain de Coucy, retenu en Orient, qui envoyait sa chemise de toile à la dame de Fayal qui la mit dans son lit la nuit et la pressa contre sa chair afin de soulager ses ardeurs :
La nuit quand l’amour m’arde
la met delez moi couchier
toute la nuit à ma char nue
por mes malz assolagier.
Un auteur anglais du XVIIe siècle, l’un de ceux qui ont recueilli le plus de documents populaires sur l’amour, R. Burton, dans son Anatomie de la Mélancolie, ne mettait pas en doute le caractère entièrement normal du symboliste érotique : « Il n’y en a pas un sur mille qui devient amoureux : mais il y a toujours une partie spéciale ou une autre qui plaît davantage et l’enflamme sur le reste… S’il obtient quelque chose qui lui ait appartenu, un busc, une plume de son éventail, un cordon de soulier, un ruban, un anneau, une bague, un bracelet de cheveux, il le porte sur soi comme une faveur sur son bras, sur son chapeau, sur son doigt ou près de son cœur ; comme fit Laodamie lorsque Protésilès partit à la guerre (de Troie) et qu’elle demeura assise, son portrait devant elle ; de même une jarretière ou un bracelet de celle qu’on aime est plus précieux qu’une relique de saint ; il la met sur son casque, et chaque jour la baise et s’il est en sa présence, il n’en détourne pas les yeux, et veut boire où elle a bu, et si possible exactement au même endroit. »
Un contemporain de Robert Burton, James Howell raconte dans ses Familiar Letters qu’en dépouillant les gentilshommes français tués dans les combats livrés pour chasser les Anglais de l’Ile de Ré, ceux-ci trouvèrent qu’un grand nombre de cadavres avaient les parties génitales ornées de faveurs offertes par leurs maîtresses.
Dans les Mémoires du comte de Grammont, Hamilton, écrivain de l’époque de Louis XIV, raconte que Mrs Price, l’une des beautés de la cour de Charles II, et Dorgan étaient tendrement attachés l’un à l’autre ; quand il mourut, on découvrit une cassette pleine de toutes sortes de faveurs de sa maîtresse, y compris, entre autres choses, différentes sortes de cheveux et de poils.
Un article de Mme Jane Landré, dans l’Œuvre du 8 août 1933, indique que, durant la guerre de 1914-1918, les mêmes phénomènes de fétichisme se manifestèrent :
« Combien de combattants entre 1914-1918, eurent un fétiche, un ruban, un bout de valenciennes, arrachés aux « dessous » de l’amie chérie ? Même il en fut qui gardèrent, contre leur cœur un bas de soie, une chemise de fin linon volée à leur divine maîtresse. »
« Le dévouement et l’amour — écrivait à la fin du XVIIIe siècle, Mary Wollstonescraft, la compagne de celui qu’on a surnommé le père de l’anarchisme, William Godwin — peuvent s’attacher autant aux vêtements qu’à la personne, et il manque vraiment d’imagination l’amant qui n’éprouve pas une sorte de respect pour le gant ou la pantoufle de sa maîtresse ; il ne les confondra jamais avec les autres objets de la même catégorie. »
De tout cela, il résulte que la frontière entre les manifestations normales et morbides du symbolisme ou fétichisme sexuel ou érotique n’est pas marquée de façon certaine.
« D’ailleurs, c’est dans la Nature entière que l’on rencontre des symboles sexuels d’autant moins viables qu’ils n’exigent aucune imagination morbide. Le langage est plein de métaphores sexuelles qui tendent peu à peu à perdre leur symbolisme pratique pour tomber au rang de lieux communs. Le « semen » est la semence et, pour les latins surtout, le processus sexuel ainsi que les organes males et femelles s’exprimaient en images empruntées il la vie agricole et horticole. Les testicules étaient des fèves (fabae), des pommes (poma, mela) ; le pénis un arbre (arbor), une baguette (thyrsus), une racine (radix), une faux (falx), un soc (vomer) ; la semence était aussi de la rosée (ros) ; les grandes et les petites lèvres étaient des ailes (alae) ; la vulve et le vagin un champ (ager, campus) ou un sillon (suleus), ou un vignoble (vinea), une fontaine (fons), tandis que les poils du pubis étaient des herbes (plantaria) ».
Tout le monde sait que dans le fruit du myrte, consacré à Vénus, les Grecs voyaient une image du clitoris et dans la rose, celle des petites et grandes lèvres. La poésie érotique de nombreux peuples fait, d’ailleurs, usage de la rose dans le même sens.
Le Talmud dit des petites lèvres qu’elles sont la porte dont les grosses lèvres sont les montants et le clitoris la clé. Les livres hindous énumèrent complaisamment toutes les qualités physiques de la « padmini », ou femme-lotus, autrement dit, la femme parfaite. Sa démarche est celle du cygne ; son odeur celle du santal ; sa peau est lisse et tendre comme celle d’un jeune éléphant ; sa voix est semblable au chant du kokila mâle captivant sa femelle ; sa sueur a l’odeur du musc ; ses yeux sont comme ceux de la gazelle ; son nez est pareil au bouton de sésame ; ses lèvres sont roses comme un bouton de fleur qui s’épanouit ou rouges comme le corail ou le fruit du bimba : ses dents sont blanches comme le jasmin d’Arabie, elles ont le poli de l’ivoire ; son cou arrondi ressemble à une tour d’or ; ses seins ressemblent aux fruits du vilva ; ils se dressent comme deux coupes d’or renversées et surmontées de la fleur du bouton de grenadier.
Toutes les parties du corps de la femme peuvent devenir autant de symboles ou de fétiches pourvu que chacune d’elles corresponde à un certain idéal esthétique de l’amant.
Krafft Ebbing dans sa Psychopatia sexualis, a prétendu que la sélection sexuelle tout entière n’est pas autre chose qu’une sorte de fétichisme, c’est-à-dire de symbolisme érotique de l’objet. De même le célèbre pathologiste G. Tarde considérait l’amour normal comme un genre de fétichisme : « Il nous faut longtemps, écrit-il dans son traité de l’amour morbide, avant de tomber amoureux d’une femme ; nous devons attendre pour voir le détail qui nous frappe et nous plaît, et nous fait dédaigner ce qui nous déplaît ; ce n’est que dans l’amour normal que les détails sont nombreux et toujours changeants. La constance en amour est rarement autre chose qu’un voyage autour de la personne aimée, un voyage d’exploration et de découvertes toujours nouvelles. L’amant le plus fidèle n’aime pas la même femme deux jours de suite de la même manière. »
Toutes ces déclarations, toutes ces formules vaudraient la peine d’être examinées, vérifiées et analysées de près. Elles font montre de trop d’arbitraire ; elles sont trop péremptoires. Ceux qui ont étudié la question hors de toute déformation professionnelle concluent qu’un très grand nombre d’objets ou d’actes peuvent présenter par hasard la valeur de symboles érotiques. Les objets et les actes qui deviennent fréquemment de véritables symboles sont en nombre relativement restreint.
Sans attacher plus d’importance qu’il ne faut aux qualifications normales ou anormales, on peut, dans un but mnémotechnique, adapter la classification qu’a dressée Havelock Ellis des phénomènes de l’ordre qui nous occupe, classification relative aux objets et aux actes qui ont fait naître ces manifestations.
I. — Parties du corps. — a) Normales : la main, le pied, les seins, le bout des seins, les cheveux, les sécrétions et les excrétions, etc…
b) – Anormales : la claudication, le strabisme, les marques de variole, etc… : la pédophilie ou amour des enfants, la presbophylie ou amour des vieillards, la nécrophilie ou attraction pour les cadavres, la zoophilie ou excitation par les animaux.
II. — Objets inanimés. — Vetements : gants, souliers, bas, jarretières, chapeaux, mouchoirs, tabliers, dessous, etc…
b) Objets impersonnels, comprenant tous les objets, si divers qu’ils soient, pouvant accidentellement acquérir le pouvoir d’exciter le sentiment sexuel (y compris le pygmalionisme ou excitation par les statues).
III. — Actes et attitudes. — a) Actifs : flagellation, cruauté, exhibitionnisme.
b) Passifs : être fouetté, subir des cruautés. On peut y comprendre les odeurs personnelles et le son de la voix.
c) Mixocospiques : vision des actes de grimper, de se balancer, etc., des actes d’émulsion, de défécation, du coït des animaux.
On comprendra que, faute de place, nous ne puissions nous étendre en détail sur les différentes manifestations du symbolisme sexuel ou les diverses formes qu’il revêt. Nous nous contenterons d’un coup d’œil d’ensemble.
Le fétichisme du pied et du soulier compte parmi les formes les plus fréquentes du symbolisme sexuel. On se souvient de l’importance que Restif de la Bretonne accordait à la chaussure comme fétiche d’émotion sexuelle. Il l’a raconté tout au long dans Monsieur Nicolas, son chef-d’œuvre, dans Le pied de Fanchette, et on sait qu’il a exprimé le désir qu’on enterrât avec lui la pantoufle de la femme qu’il aima le plus passionnément de toute sa vie, Mme Parangon. Mais sa prédilection pour les souliers de sa gracieuse amante ne l’empêchait pas de se jeter avec avidité sur le linge qui avait touché certaines parties de son corps.
On connaît la fascination sexuelle exercée par le pied sur les Chinois du Sud, les Mongols et, en général, tous les peuples appartenant à la race jaune, à ce point que c’est dans le pied que, pour les femmes, réside la pudeur ; la révolution chinoise a eu beaucoup de peine à abolir — et elle a rencontré maints échecs — la compression du pied de la Chinoise du Sud, compression qui semble avoir fait du pied l’un des foyers de l’attraction sexuelle, comme en Occident ce fut le corsetage de la poitrine féminine.
Ce n’est pas seulement chez les Chinois qu’il y a relation étroite entre les pieds et le désir sexuel, on l’a signalé chez les Égyptiens, les Arabes, les Allemands, les Espagnols modernes. En ce qui est les Anciens, Ovide a insisté souvent sur le charme sexuel du pied féminin, insistance telle qu’on dirait, écrit le Dr Paul Jacoby, dans sa Contribution à l’étude des folies dégénératives, que la psychologie des Romains était bien proche de celle des Chinois. Le poète latin Tibulle a décrit avec amour le pied menu de sa maîtresse « comprimé » par la bandelette qui l’entourait.
Le fétichisme du pied et de la chaussure revêt une foule d’aspects, qui se résument en ceci : que la jouissance sexuelle n’est obtenue qu’à condition que, objet ou image, le pied ou la chaussure intervienne. Et cela va de l’homme qui suit dans la rue une femme dont le pied ou la chaussure l’aura séduit à celui auquel la caresse d’un pied féminin procure le plaisir sexuel, au collectionneur de bottes, de souliers ou de pantoufles qu’une nouvelle acquisition conduit, par associations d’idées, à la masturbation — ou encore à celui qui n’éprouve de jouissance que s’il est foulé aux pieds. L’élément féminin non plus n’est pas exempt de ce fétichisme ; il y a des exemples de femmes auxquelles l’acquisition de souliers neufs ou la marche sur certains objets ou dans de certaines circonstances procure l’orgasme.
Le fétichisme du sein est également très répandu et est tellement classique qu’il est reconnu et avoué depuis la plus haute Antiquité. On peut dire que la poésie, la peinture, la sculpture, la gravure, le dessin l’ont immortalisé.
« Tes deux seins sont comme deux faons, comme les jumeaux d’une gazelle qui paissent au milieu des lys » déclare l’auteur du Cantique des Cantiques (, 5) et l’anecdote de Phryné dont l’acquittement a été obtenu grâce au dévoilement de sa gorge de déesse, indique que les Grecs partageaient, au sujet de cette partie du corps de la femme, l’enthousiasme du chantre des beautés de la Sulamite. Remarquons en passant que le Cantique des Cantiques est saturé de symbolisme sexuel et rivalise, sous ce rapport, avec le Kamasoutra.
Faut-il citer Clément Marot :
Tétin refait plus blanc qu’un œuf,
Tétin de satin blanc tout neuf,
Tétin qui fait honte à la rose.
Benserade :
Tetons qui ne font pas un ply.
Caour Lormian :
Le plumage du cygne et la neige nouvelle
N’égalent pas l’albâtre de son sein.
Voltaire :
Un beau bouquet de roses et de lis
Est au milieu de deux pommes d’albâtre.
M. Rollinat :
Ô seins, poires de chair, dures et savoureuses
Monts blancs où vont brouter mes caresses peureuses.
Beaudelaire, dans ses Fleurs du Mal, symbolisant l’attraction sexuelle du sein, fait dire à la femme :
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants
Et fais rire le vieux du rire des enfants.
On peut apprécier l’influence de ces attributs en considérant la conception différente qu’en ont les maîtres de la peinture. Les seins de la Diane au bain de Boucher, de La Source d’Ingres, de la Léda du Corrège, de la Galathée de l’Albane n’ont rien de commun avec ceux des femmes de Rubens dans sa Kermesse flamande ou dans sa Bacchanale ou dans son Départ d’Adonis, par exemple. Et ce n’est pas une question de peuple ou de mode, c’est une affaire de goût personnel. Qu’on compare la Fornarina de Raphaël ou la femme de l’Education de l’Amour du Titien avec l’Europe ou la Suzanne de Paul Véronèse ou les modèles du Tintoret, on verra combien tous ces artistes diffèrent quant à la conception de ce détail du corps humain.
Le fétichisme du sein est tellement ancré dans les mœurs qu’on ne le voit pas figurer dans les livres médicaux à titre pathologique. Et pourtant le nombre est élevé des hommes et des femmes chez lesquels la vue ou le toucher des seins produit une excitation ou une émotion sexuelle érotique à l’exclusion des autres parties du corps.
Il est une forme répandue du symbolisme érotique, forme très définie et nettement distincte de toutes les autres où la jouissance sexuelle est obtenue en exposant les organes sexuels aux regards d’un individu de sexe différent, assez souvent jeune et innocent, parfois un enfant : c’est l’exhibitionnisme. Dans l’exhibitionnisme en plein air, dans l’exhibitionnisme à l’église — faut-il voir une émergence de l’ancien culte phallique, d’un instinct ancestral, rappelant un procédé d’invitation à l’amour dont le décolleté des femmes serait un aspect « civilisé » ? Toujours est-il que cette « passion » — qui se relie au fétichisme du pénis et à celui de la vulve coûte à ses pratiquants plus que cela ne mérite quand les défenseurs de la morale officielle parviennent à les surprendre. Il est évident que dans un milieu où l’anudation ne serait pas réprouvée comme immorale, l’exhibitionnisme serait à peine remarqué ou, en tous les cas, proscrit avec beaucoup moins de rigueur ; s’il est aussi sévèrement puni, c’est à cause de l’anathème jeté par l’église sur les organes de la génération, puisque c’est sous son influence qu’on les a qualifiés de « parties honteuses ». Les mœurs des peuples païens étaient beaucoup plus tolérantes pour l’exhibitionnisme et se souciaient même fort peu de l’accouplement en public.
Le docteur P. Garnier voyait dans l’exhibitionnisme sous sa forme typique, un acte systématique équivalent ou se substituant à l’union sexuelle. Toujours est-il que parmi les exhibitionnistes on compte des gens instruits, éduqués, docteurs, écrivains, artistes, etc. et qu’il n’est pas rare de rencontrer des femmes dans le nombre. Cela nous fait souvenir que chez certains peuples primitifs et même chez quelques populations plus ou moins arriérées de l’Europe, l’exhibition de la nudité féminine est un spectacle ou une opération magico-religieuse (Ploss Bartels : Das Weib ; Havelock Ellis : Man and Woman).
Jean-Jacques Rousseau, dans ses Confessions, raconte comment il montra parfois son derrière à de jeunes femmes, mais on sait que sa vie émotionnelle fut profondément affectée par les fessées qu’il reçut pendant son enfance de Mlle Lemercier.
Rappelons que dans l’Oraison du Soir, Arthur Rimbaud a exalté l’exhibitionnisme dans des vers qui sont présents à la mémoire de tous ses admirateurs :
Doux comme le seigneur de cèdre et de l’hysope
Je pisse vers les cieux bruns très haut et très loin
Avec l’assentiment des grands héliotropes.
Un autre aspect du symbolisme sexuel qui a des racines très profondes est le symbolisme scatologique qui se subdivise en urolagnie et en coprolagnie, autrement dit excitation sexuelle produite soit par les fonctions urinaires, soit pas les fonctions excrétoires, fonctions si proches du foyer sexuel anatomique. Le fait est qu’il existe une certaine quantité d’hommes et de femmes chez qui la projection de l’urine, l’attitude nécessaire à cette projection, l’odeur d’un objet imprégné d’urine, la défécation produisent une émotion ou une jouissance sexuelle. « On connaît des faits innombrables, écrit Havelock Ellis, qui prouvent que l’impulsion à attribuer aux actes d’uriner et d’excréter une valeur symbolique sexuelle, pourvu qu’ils soient exécutés par la personne aimée, est fort près du normal ; on l’a rencontré chez des individus de haute valeur intellectuelle ; cela se discerne aussi bien chez les femmes que chez les hommes ; et, tant que cette impulsion ne se manifeste qu’à un faible degré, il faut la ranger dans la sphère naturelle de l’amour. »
Dans presque tous les pays, on constate la croyance aux qualités sacrées et mythiques de l’urine. Chez les Peaux-Rouges de la côte ouest de l’Amérique du Nord, en Australie, chez les anciens Tasmaniens, chez les Tamans de la Birmanie, au Maroc, chez les Juifs, chez les Slaves du Sud, on attribuait et on attribue encore une vertu spéciale et magique à l’urine.
Le fétichisme urolagnique remonte encore plus loin, puisque selon Kind, l’excitation sexuelle produite par le spectacle d’une femme urinant n’est pas spéciale à l’homme, mais est générale chez tous les mammifères.
Ce même Kind, dans Die Weibherrschaft in der Geschichte des Menscheit reconnaît que la proximité du méat urinaire et du clitoris détermine une zone érogène, de sorte qu’uriner est un acte agréable chez les femmes. Dans les actes du Congrès de Médecine de Moscou, t. IV, Pitres et Regis considèrent que le désir d’uriner accompagne toujours l’excitation sexuelle spontanée des femmes, le plaisir éprouvé par l’homme dans le spectacle ou la représentation de la miction féminine s’expliquerait par la connaissance intuitive ou subconsciente de ce fait physiologique.
Les animaux sont également une source de symbolisme érotique. La vue du coït des animaux, certains produits animaux, la cour que se font les animaux peuvent produire l’excitation sexuelle chez l’homme. C’est ce que Havelock Ellis appelle un symbolisme fondé sur une association par similarité : « l’acte sexuel animal rappelle l’acte sexuel humain et ainsi l’animal devient le symbole de son frère supérieur. »
C’est ainsi que l’accouplement des grands animaux — chevaux et autres — a vivement intéressé des personnes de haute culture. On se souvient que François Ier conduisait les dames de la cour dans la forêt de Saint-Germain pour leur montrer les cerfs faisant l’amour avec les biches, pendant la saison du rut.
Mais la zoophilie tourne à la « zooérastie » ou bestialité quand il s’agit de l’impulsion à obtenir la jouissance sexuelle par le coït ou tout autre contact intime avec les animaux. Il est évident, quand on songe aux totems qui sont principalement des animaux, aux jeux, aux fêtes, aux cérémonies, aux danses religieuses si communes chez les peuples primitifs et dont les acteurs portent des déguisements animaux, qu’il dût exister une époque où les hommes ne voyaient rien d’amoral ou de mal à s’accoupler avec les animaux.
C’est pourquoi les peintures de vases ou les marbres antiques représentant des satyres s’accouplant avec des chèvres ne suscitaient pas plus de réprobation que les représentations, sculptées sur les temples de l’Inde, de copulation entre humains et animaux. D’ailleurs les légendes mythologiques d’Io et du taureau, de Léda et du cygne, d’Europe, de Pasiphaé, etc., indiquent la persistance de souvenirs d’accouplements de ce genre qui avaient fini par être sanctionnés par la religion.
L’homme et la femme se sont accouplés avec des chiens, des chiennes, des vaches, des truies, des rennes, voire des chats et des lapins. Si les dames romaines manifestaient de l’attraction pour les serpents et plus rarement pour les ours et les crocodiles (bien que leur préférence pour l’âne soit bien connue), en Extrême-Orient, on utilise les poules, les canards, les oies, juste revanche de la gent volatile.
Quant à l’accouplement de la femme avec le singe, il ne semble pas, malgré les documents à ce sujet, qu’il en existe de bien véridiques, bien que Moll prétende que ce semble être le signe anormal d’un intérêt pour ces bêtes que la tendance des femmes à observer les singes dans les jardins zoologiques.
Notons ici la tentative faite par le Docteur Ellie Ivanoff, pour croiser, par la méthode connue sous le nom d’imprégnation artificielle, le singe et l’homme. Subsidié par le gouvernement des Soviets, Ivanoff emmena neuf chimpanzés femelles dans une vaste forêt du Turkestan russe où il avait établi son laboratoire. Le Docteur Alfonso L. Herrera a parlé longuement de cette tentative dans le cahier 82 des Cuadernos de Cultura, intitulé El Librido del Hombre y del mons (Valencia, 1933).
Il semblerait que les guenons n’ont pu supporter leur captivité. Le docteur Ivanoff n’est pas un inconnu en France et il avait tenu le Docteur Calmettes au courant de ce qu’il voulait réaliser.
Les lois condamnant la bestialité étaient très sévères chez les Juifs, qui assimilaient la bestialité à la sodomie. L’Exode (XXII, 19) et le Lévitique (XX, 15) prescrivent la mise à mort de l’humain et de l’animal. Au Moyen Âge, la bestialité était très répandue et par le Pénitentiel d’Egbert (IX- siècle-Xe siècle) nous voyons qu’évêques, prêtres et moines n’en étaient pas exempts.
En général, les idées de ce temps étant influencées par la morale judéo-chrétienne, la bestialité était passible de longues pénitences et souvent de mort. En France, on brûla ensemble des hommes et des truies, des hommes et des vaches, des hommes et des ânesses. Au XVIIe siècle il se trouvait encore un jurisconsulte, Lebrun de La Rochette, pour justifier ces assassinats !
Une autre forme encore assez fréquente du symbolisme sexuel est la cleptolagnie ou vol associé à l’excitation sexuelle dont l’étude des manifestations est toute récente. La cleptolagnie est la jouissance sexuelle obtenue grâce « à l’énergie émotionnelle déterminée par l’excitation du vol ». Certaines femmes, surtout proche la période menstruelle, volent des étoffes, généralement de la soie et ressentent, leur action commise, une jouissance voluptueuse, « accompagnée d’une sensation délicieuse comme elle n’en éprouvait jamais pendant le coït ou autrement » a raconté l’une d’elles (Annales médico-psychologiques, mars 1921). Les hommes sont également sujets à ce genre de symbolisme.
Il me faudrait des volumes pour décrire les différentes manifestations du symbolisme ou fétichisme sexuel. Fétichisme de la bouche : dans le Carilonneur, G. Rodenbach a décrit un personnage devenant amoureux d’une jeune fille uniquement à cause de sa bouche, ne voyant plus « que cette bouche tentante et haletante, comme une fleur isolée qu’il eût voulu cueillir dans le jardin de sa chair… L’amour était dans cette bouche, comme Dieu dans l’hostie. » — Fétichisme de la voix — fétichisme du nez — fétichisme des yeux tout autant classique que le fétichisme des cheveux, tous deux chantés avec enthousiasme par les poètes. Le rôle des boucles de cheveux (à quoi il faut rattacher celui des poils de l’aisselle ou du bas ventre) comme excitant sexuel est bien connu. Du temps où l’on portait de longues chevelures, les coupeurs de tresses occupaient assez souvent la chronique des tribunaux et on n’ignore plus qu’une fois la tresse dans leurs mains, ils se trouvaient au comble de la jouissance. Fétichisme du bras, de la main. Fétichisme des fesses, normal chez certaines peuplades sud africaines et reconnu par les Grecs qui lui avaient consacré leur Vénus Callipyge. Fétichisme des odeurs, phénomène qui mériterait une longue étude étant donné son importance. Fétichisme des enfants impubères dont la femme n’est pas plus exempte que l’homme et au sujet duquel il faut rappeler que chez certains peuples, dont les Scythes, les mœurs autorisaient les relations sexuelles avec les fillettes. Fétichisme du costume, dont le gant, les dessous, le mouchoir, le tablier blanc, le bonnet de nuit, les bas, les fourrures, les éventails sont des subdivisions. Stanley Hall dans le Journal américain de Psychologie (vol. VIII) explique l’amour pour les fourrures par le souvenir d’une époque où les relations avec les animaux étaient beaucoup plus intimes que maintenant ou par celui des âges où nos ancêtres étaient velus. Une autre subdivision du fétichisme du costume est l’excitation produite par la femme en costume religieux, mais la recherche des origines (vestales, etc.), m’entraînerait trop loin. On a connu un juge d’instruction (Dr Emile Laurent, dans l’Amour morbide) qui éprouvait un attrait presque irrésistible pour le costume des prisonnières. — Fétichisme des travestis. — Fétichisme des monstruosités ou difformités.
On me reprochera peut-être de n’avoir parlé ni du sadisme ni du masochisme. Mais ni le sadisme ni le masochisme ne peuvent, selon moi, être englobés dans le symbolisme sexuel ou érotique. Le sadisme consiste à se procurer de la jouissance sexuelle en faisant souffrir autrui ou en étant témoin de ses souffrances, alors que le masochisme est le moyen de se procurer cette même jouissance en se faisant infliger de la souffrance par autrui. Cela n’a rien à faire avec le véritable symbolisme ou fétichisme sexuel physiologique qui n’associe nullement la douleur à l’amour. Ainsi, le vampirisme ou la recherche de la jouissance sexuelle par la profanation des cadavres n’a rien à faire avec le sadisme ou le masochisme ; aucun désir d’infliger ou de subir une souffrance quelconque n’existe en effet dans la nécrophilie. Pas plus qu’il n’en existe dans l’excitation par les statues. L’exhibitionniste, le fétichiste qui s’empare d’un gant, d’un mouchoir, d’une mèche de cheveux, etc., pour se procurer une excitation sexuelle ne cherche aucunement à infliger de la souffrance et n’établit aucun rapport entre la douleur et la volupté.
De Sade, qui a donné son nom au sadisme, est un précurseur en fait de psychopathie sexuelle, dont quelques esprits avertis commencent à reconnaître le talent. Il a combattu toutes les valeurs morales de son époque et s’est efforcé de démontrer dans ses romans que ce sont ceux qui sont les gardiens de la moralité qui en font le plus fi. Rappelons qu’on peut établir des parallèles profitables entre de Sade (qui florissait à la fin du XVIIIe siècle), Schopenhauer, Stirner et Nietzsche. On peut même se demander s’il n’a pas influencé le solitaire de Sils Maria.
De Sade était malthusien. Dans la Philosophie dans le boudoir, Mme de Saint-Ange parle comme les néomalthusiens actuels. Il était contre le respect des propriétés. Alcide Bonneau a fait remarquer, dans la Curiosité littéraire et philosophique, que, dans son premier mémoire sur la Propriété (1840) « La Propriété c’est le vol », Proudhon développe exactement les mêmes idées que Dorval, un autre héros de la Philosophie dans le Boudoir.
Lorsqu’au V Congrès de la Ligue mondiale pour la Réforme sexuelle, le Dr Magnus Hirschfeld déclare qu’il n’est pas une des formes prises par l’instinct sexuel « si anormale qu’elle nous paraisse » qui ne soit au fond « normale, justifiée, en tout cas irrésistible », ceux qui ont étudié le problème ne peuvent qu’être d’accord avec lui. Le grand malheur cependant pour l’anormal, pour le symboliste, le fétichiste sexuel, c’est qu’en dépit de toute la littérature savante ou profane (lue par une infime minorité d’ailleurs), il n’est compris par presque personne. L’amant normal a derrière lui la foule des autres êtres humains qui agissent comme lui, son espèce, son sexe, sa nation. Même l’amant inverti rencontre des individus dont les aspirations sont semblables aux siennes et auxquels il peut s’associer. Mais l’anormal sexuel, moyen, équilibré, du fait de son éducation, s’imagine qu’il est seul au monde. Son désir le plus sacré, pour ainsi dire, ceux qui l’entourent le considèrent comme une obscénité dégoûtante ou un enfantillage absurde, sinon comme un vice exigeant l’intervention de la police.
Ses contemporains ont oublié que l’adoration du pied, le respect pour les actes et les produits de l’excrétion, la cohabitation avec des animaux, la solennité de l’exhibition des organes de la reproduction, tout cela « c’étaient pour des ancêtres qui ne sont pas très lointains, le support des conceptions les plus élevées et des ardeurs religieuses les plus profondes. » Le voilà seul. Rien d’étonnant à ce que cet isolement influe sur son moral. Et ce n’est pas le châtiment qui le sortira de cette situation, s’il n’est pas assez « habile » ou « perspicace » pour y échapper.
Si on s’occupe de l’inverti sexuel, personne ne s’occupe du symboliste, du fantaisiste sexuel. C’est qu’il n’a pas à présenter une lignée de grands ascendants intellectuels, lui. Les grands intellectuels fétichistes se gardent bien de se proclamer tels : ils sont encore trop esclaves de l’opinion publique, de l’opinion de leur milieu. Malgré la fréquence des symptômes de morbidité congénitale (comme s’il n’y en avait pas parmi les normaux) de « toutes les manifestations de la psychologie sexuelle les phénomènes relevant du fétichisme sexuel sont ceux qui sont le plus spécifiquement humains. » « Plus que tous les autres, ils présupposent une force plastique très développée de l’imagination. Ils nous montrent à nu l’homme individuel, non seulement séparé de ses contemporains, mais en opposition avec eux, et forcé de créer tout seul son propre paradis. Ils constituent le triomphe suprême de l’idéalisme humain (Havelock Ellis : Le symbolisme érotique).
Dans son Précis de Psychologie sexuelle (Alcan 1934), Havelock Ellis reste fidèle à lui-même, déclare à nouveau :
« J’ai toujours cherché à montrer qu’il n’y a pas de limites tranchées entre le normal et l’anormal. Toutes les personnes normales sont anormales à tel ou tel point de vue, et les anormaux sont toujours menés par des impulsions fondamentales semblables à celles qu’éprouvent les normaux. »
On comprend que dès lors qu’il n’y a ni violence, ni fraude, ni cruauté, ni dol, « L’anomalie sexuelle » ait paru, à maint esprit dépouillé de préjugés, tout autant fondée que les autres propriétés de l’homme à revendiquer sa place au soleil. Il ne faut pas oublier ici cette phrase de Nietzsche : « Sans une certaine exaspération du système sexuel, nous n’aurions pas eu Raphaël. »
L’attitude des individualistes anarchistes à l’égard des fantaisistes sexuels (titre sous lequel j’englobe les anormaux, les pervers, les déviés, les symbolistes, les fétichistes, etc.) n’est pas plus dictée par la répulsion que leurs actes inspirent aux moralistes que par la classification arbitraire en sains ou morbides. Ils ne se demandent pas non plus si les fantaisies dont il est question sont congénitales ou acquises, guérissables ou irrémédiables, etc. Ils acceptent tout simplement leur existence.
Deux conditions se présentent :
Ou les fantaisistes sexuels sont des autoritaires, c’est à-dire entendent, pour la réalisation de leurs fantaisies, — dont la plupart ne peuvent s’accomplir qu’en compagnie — user de violence ou de contrainte à l’égard d’autrui ; et, dans ce cas, il n’y a pas à hésiter, il faut se défendre contre eux, comme il importe de se garer de tous ceux qui, dans un domaine quelconque, politico-économique, éthique ou intellectuel, s’arrogent d’utiliser la contrainte ou la violence à l’égard d’autrui ; et il ne faut pas faire de distinction. Quiconque, groupe ou personnalité, pour arriver à ses fins, se sert de la violence ou de la contrainte, est dangereux pour l’individu comme pour le milieu.
Ou bien les fantaisistes sexuels n’usent ni de violence ni de contrainte, c’est-à-dire que, pour trouver des compagnons de pratique, ils ne recourent qu’à l’invite ou à la publicité, qu’à la persuasion ou au graphisme verbal ou figuré, et ne s’adressent qu’à des personnes en état de les comprendre : autrement dit font tout ce qu’accomplissent les associationnistes de toute espèce pour se gagner des amis ou des adhérents.
Intervenir alors — selon les individualistes anarchistes — est du domaine de la persécution, quel que soit le prétexte invoqué ou inventé. Est persécution toute action légale ou administrative ou autre ayant pour but d’empêcher une personne parvenue à l’âge où elle est capable de passer contrat, de disposer (dans des buts sexuels ou érotiques) comme il lui plaît de tout ou partie de son corps.
À vrai dire, quand on y regarde d’un peu près, on s’aperçoit vite que les plus acharnés persécuteurs des fantaisistes sexuels ou érotiques sont, dans leur genre, eux aussi, des fantaisistes : mais excessivement dangereux. Je parle des sincères comme des hypocrites.
Je conclus en disant que les ruines et les désastres accumulés par les « fantaisistes » religieux ou moraux, pour ne citer que ces deux catégories — ceux-là par le dogme (dont la naissance miraculeuse du Christ est un type caractéristique) — ceux-ci par la morale, qui vise à faire le bonheur de tous ceux qu’elle s’assujettit par une réglementation écrite qui ne satisfait peut-être pas le dixième des hommes — ne peuvent être mis en parallèle, comparativement parlant, avec les quelques accidents auxquels a pu donner lieu l’exagération de certaines fantaisies sexuelles. De temps à autre, la chronique judiciaire attire l’attention publique sur un cas d’anomalie sexuelle ou érotique dont le danger est très souvent et à dessein amplifié et qui n’aurait eu aucune répercussion s’il était resté secret : mais que sont ces cas isolés et assez rares par rapport aux crimes innombrables qu’ont perpétrés les perversions et les fanatismes politico-économiques, religieux ou moraux ? Il est dans le rôle des individualistes anarchistes de proclamer, de défendre le droit du fantaisiste sexuel (dès lors, je le répète, qu’il n’entend user ni de violence, ni de contrainte) à s’associer à autrui, à faire comme tout autre associationniste, de la publicité pour entrer en relations avec d’autres fantaisistes de son genre et de protester chaque fois qu’on le persécute et qu’à l’encontre de ce qui se fait pour les entrepreneurs de distractions et d’amusements de toute espèce, on lui interdit de publier des journaux, des tracts ou des brochures, etc., traitant des variétés sexuelles qui lui tiennent à cœur. Réclamer, revendiquer la liberté d’expression, de réunion et de publicité s’entend pour les individualistes dans tous les domaines, ce qui est d’ordre sexuel ou érotique inclus. — E. Armand.