Encyclopédie méthodique/Architecture/Giulio Pipi
PIPI (Giulio), Jules Romain. Le surnom de Romano qu’il porta de son vivant, nous apprend qu’il étoit né à Rome. C’est tout ce que nous savons sur ce qui le concerne personnellement. La date de sa mort, qui est 1546, et l’âge de 54 ans auquel Vasari nous apprend qu’il mourut, font connoitre qu’il naquit en 1492.
Jules Romain est plus particulièrement connu comme peintre, comme ayant été élève de Raphaël, le plus habile de ses collaborateurs, son héritier et son successeur dans l’exécution de la bataille de Constantin et les autres peintures de cette salle du Vatican, à laquelle le premier empereur chrétien a donné son nom.
Raphaël ayant été lui-même habile architecte (voyez Sanzio), ayant été placé par Léon X à la tête de la construction de Saint-Pierre, ayant bâti plus d’un palais à Florence et à Rome, ayant montré, par la beauté des fonds d’édifices dont il orna ses tableaux, à quel point il possédoit le génie de l’architecture, il est fort naturel de penser que le plus habile de ses élèves, celui qui l’imita le mieux, dut recevoir aussi de lui le goût et les connoissances qui devoient en faire un grand architecte.
Vasari nous l’apprend d’une manière plus positive. « Après avoir appris de son maître, dit-il, les choses les plus difficiles dans l’art de peindre, il arriva bientôt à savoir mettre les édifices en perspective, à les mesurer, à en faire les plans. Quelquefois Raphaël, après avoir simplement donné l’esquisse de ses inventions, les faisoit rédiger en grand par Jules Romain, pour s’en servir dans les compositions d’architecture. Ainsi, peu à peu, Jules Romain y prenant goût, devint habile, et parvint à être un excellent architecte. »
Ceci nous explique comment il dut arriver alors, et encore plus depuis, que certains édifices aient passé pour avoir été l’ouvrage également de Raphaël et de Jules Romain. De ce nombre dut être la charmante villa qui s’appelle encore aujourd’hui Villa Madama, mais que fit construire le cardinal Jules de Médicis, qui fut depuis pape sous le nom de Clément VII. Vasari, dans la vie de Raphaël, lui eu attribue l’architecture, et dans la vie de Jules Romain, il donne également au maître la première idée de ce beau demi-cercle qui sert d’entrée au palais, mais il avoue que l’exécution en fut conduite parJules Romain.
La Villa Madama, qui paroît n’avoir point été terminée entièrement, est devenue une de ces ruines modernes, où les architectes et les décorateurs vont chercher des leçons et des exemples, comme dans les ruines antiques. Rien ne fut ni plus élégamment pensé, ni décoré avec plus de charme, C’est un de ces édifices conçus, comme il n’est plus permis d’espérer qu’il s’en reproduira, sous le charme des idées et des formes antiques, et dans lesquels le propriétaire mit avant tout, le plaisir de l’art, plaçant le luxe et la dépense dans ce qui doit être l’objet durable de l’admiration des gens de goût.
Le cardinal de Médicis avoit choisi sur le penchant de Monte Mario, un site en très-belle vue, dont le terrain boisé, avec des eaux vives, s’étendoit le long du Tibre, depuis Ponte Mole, jusqu’à la Porta Angelica. Ce fut là que Raphaël et Jules Romain établirent le charmant casino dont on admire, malgré sa dégradation, et l’aspect et la composition pittoresque.
La façade, ou l’a déjà dit, se présente par une grande partie demi-circulaire en forme de théâtre, divisée par des niches et des fenêtres, avec une ordonnance ionique : de- la on passe dans un vestibule qui conduit a une magnifique galerie ouverte sur le jardin, que Vasari appelle une Loggia bellissima, ornée de deux grandes niches, et de niches plus pentes, qui toutes, dans l’ortgine, étoient occupées par des statues antiques. C’est dans les voûtes de ce local que Jules Romain a peint cette suite charmante de compositions représentant les divinités de la Fable, el qui fort heureusement ont été gravées, avant qu’elles aient totalement disparu. La Villa Madama est, après les loges du Vatican, ce qu’on peut citer de plus élégant pour la décoration. Ce fut le même gout de stucs, d’arabesques ; ce furent très-certainement les mêmes artistes qui y travaillèrent. Malheureusement les événemens qui survinrent, empêchèrent que l’ouvrage parvînt à sa fin, et ce casin, depuis fort long-temps abandonné, n’a pu retrouver un propriétaire qui en connût la valeur, et qui fût en état de faire les frais de sa restauration.
Vasari nous dit encore qu’un charmant Ouvrage attribué à Jules Romain, passoit auprès de quelques-uns, pour être de la composition de Raphaël Il s’agit du petit palais Alberini (in Banchi), dont on voit la façade, n° 40 de la collection des palais de Rome. Rieu de plus inutile à discuter que ; le choix de l’un ou de l’autre des deux auteurs de ce palais ; d’abord, parce que tout renseignement historique manque à cet égard, ensuite parce que Jules Romain et Raphaël ayant eu le même style, il y a encore bien plus de difficultés à discerner des différences de mauière en architecture qu’en peinture. Ce qu’il faut dire, c’est qu’on peut donner en ce genre, indistinctement à l’un ou à l’autre, l’exécution de ces charmantes maisons, qui, comme on l’a vu à l’article de Peruzzi, semblent être des ouvrages échappés à la destruction de l’antique Rome.
Tel est le petit palais Cenci (alla Dogana), n° 34 de la même collection, qui joint à l’habitation de luxe dans son ordonnance supérieure, l’utilité d’une maison de commerce, par les quatre boutiques qui s’ouvrent dans le soubassement rustique, et accompagnent, au nombre de deux de chaque côté, la grande porte d’entrée, que couronne un fronton avec bossages. Les cinq croisées dont se compose la façade, sont séparées par de larges trumeaux ornés de pilastres doriques accouplés, et les fenêtres ont des chambranles surmontés de frontons alternativement angulaires et circulaires. La même distribution règne dans l’étage supérieur, et de simples montans sans base et sans chapiteau, encadrent les fenêtres de cet étage.
Avec plus de goût et d’élégance encore, se présente, dans le même genre d’ordonnance, le palais Alberini, dont on a parlé plus haut. Ici cinq arcades, dont celle du milieu forme la porte d’entrée, composent le soubassement, où l’on voit des compartimens de refends et de bossages distribués et exécutés avec tout l’art qu’il est possible d’y appliquer ; les cintres des quatre antres arcades dessinent l’emplacement de quatre boutiques, chacune avec l’espèce d’entresol qui lui appartient. Au-dessus d’une corniche ornée s’élève l’étage principal avec cinq fenêtres, dont les chambranles reçoivent un encadrement ; un ordre de pilastres isolés remplit les trumeaux. L’étage attique qui règne au-dessus, offre les mêmes compartimens et encadremens, et le tout est couronné par nu fort bel entablement.
On voit encore à la Lungara et sur le Janicule un joli casin bâti par Jules Romain, pour monseigneur Balthazar Turini da Pescia, qu’oa appela depuis la Villa Lente, possédée par le marquis de ce nom. On peut encore y voir les restes de toutes les inventions que le génie de Jules Romain y prodigua. Il paroît que ces diverses constructions l’occupèrent pendant les années qu’il passa à Rome, après la mort de Raphaël, lorsque, devenu l’héritier d’une partie de la fortune de son maître, et de ses entreprises, il rachevoit au Vatican la décoration de la grande salle de Constantin, et la célèbre bataille dont Raphaël n’avoit laissé que la composition.
Jules Romain, placé au second rang du vivant de son maître, devint, sans aucune contestation, après lui, le premier de l’école, autant dans l’art de la peinture, que par l’espèce d’universalité de talens et de connoissances qu’il possédoit. Il avoit hérité aussi de l’amitié de quelques-uns de ces littérateurs celèbres, que Raphaël avoit eu pour amis plus que pour protecteurs. De ce nombre étoit Balthazar Castiglione, chargé alors auprès du pape Clément VII, des affaires du duc de Mantoue Frédéric Gonzaga, amateur éclairé des arts, et qui cherchoit depuis long-temps à réaliser les grands projets d’embellissemens par lesquels il devoit illustrer son nom et sa ville. Castiglione ne pouvoit mieux servir sa louable ambition, qu’en lui procurant un géuie qui fût à son niveau. Rappelé à Mantoue pour aller de-là, en qualité de nonce apostolique, en Espagne, il engagea Jules Romain à le suivre : il le présenta au marquis Gonzaga, qui, par des bienfaits, et par tout ce qui peut flatter un artiste célèbre, parvint à se l’attacher, et le détermina à se fixer près de sa personne.
Après lui avoir donné son entière confiance, avec le litre de préfet des eaux et surintendant des bâtimens, il le chargea de la direction de tous les ouvrages d’art qui devoient embellir sa ville. Ce fut alors que Jules Romain, secondé par deux de ses élèves, qu’il avoit amenés de Rome, l’un desquels étoit Benedetto Pagni da Pescia, rétablit et changea presqu’entièrement la vie de Mantoue, la défendit par des digues et par des dispositions savantes, contre les fréquentes inondations du Pô et du Mincio. Il assainit les quartiers bas, en desséchant les marais et en donnant de l’écoulement aux eaux stagnantes. Il rétablit et décora plusieurs édifices anciens ; il en éleva de nouveaux, et faisant preuve d’habileté dans tous les genres, il sut, par des fêtes et des divertissemens ingénieux et de bon goût, mériter les éloges de l’empereur Charles-Quint, lorsqu’en 1520 ce souverain vint à Mantoue, et que, pour reconnoître les honneurs signalés que lui rendit Gonzaga, il érigea en duché le marquisat de Mantoue.
Il est probable qu’à l’époque de ce passage de Charles-Quint dans cette ville, Jules Romain avoit déjà fort avancé le palais qu’on appelle du TE, et qui fut l’ouvrage le plus mémorable de cet artiste, en fait d’architecture.
Le nom de TE, que l’on a donné à ce palais, ne vint pas, comme plusieurs l’ont dit et répété, de la forme de son plan qui, selon eux, seroit celle de la lettre T. Le plan de l’édifice dément déjà cette opinion. Il paroît, et c’est l’opinion d’historiens dignes de confiance, que le mot TE fut une abréviation, ou, si l’on veut, une mutilation de tajetto ou tejetto, qui signifie coupure ou passage fait pour l’écoulement des eaux, et que cette dénomination locale, appliquée au terrain sur lequel le palais fut bâti, lui aura, dans le langage vulgaire, communiqué son nom.
Il y avoit autrefois sur ce terrain, et au milieu d’une vaste prairie, un bâtiment assez rustique, servant d’écurie pour les chevaux du prince. L’agrément de la position lui avoit fait désirer d’y avoir une habitation de peu d’importance, et Jules Romain, en peu de mois, y éleva à peu de frais et en briques, une construction agréable et légère. Cela donna naissance au grand palais, dont nous allons faire une description abrégée.
Le corps principal du palais forme en plan un carré parfait, dont chaque face a près de 180 pieds de longueur en dehors. L’intérieur de la cour est de même un grand quadrangle de 120 pieds environ. Il y a deux entrées : la principale est une grande porte cintrée en bossages, qui donne accès dans un vestibule orné de colonnes ! L’autre entrée latérale se compose de trois arcades également formées de boisages.
L’élévation de ce palais, tant au dehors qu’au dedans de la cour, consiste dans un ordre dorique qui, élevé sur un stylobate, décore, avec une fort grande régularité, les trumeaux d’un rang de croisées à rez-de-chaussée et d’un rang supérieur de fenêtres plus petites. Seulement aux angles, les pilastres sont accouplés. Les bossages ont été employés, dans cette construction, avec beaucoup d’intelligence et de goût ; ils passent derrière les pilastres et vont d’une croisée à l’autre formant leurs bandeaux. Ces croisées (du moins celles de l’étage inférieur) sont surmontées par des claveaux saillans en bossages. Cet étage est séparé du supérieur par un bandeau orné de postes. Toute la masse est, dans son étendue, couronnée d’un bel entablement dorique, avec triglyphes et métopes, avec ornemens et mutules. Rien de plus sage et de plus régulier.
Du grand Cortile, dont l’ordonnance est la même, excepté qu’au lieu de pilastres, ce sont des colonnes engagées, on passe dans un superbe vestibule (que les Italiens appellent loggia) qui s’ouvre sur le jardin. La façade de cette loge, de ce côté, offre un péristyle do douze colonnes, dont huit, celles du milieu, font deux groupes de quatre. Là aboutit un pont qui sépare deux pièces d’eau. Au-delà est le parterre, bordé d’un côté et de l’autre par des bâtimens d’utilité, et terminé par une grande parlie circulaire en forme de théâtre divisé par des espaces qui figurent des niches. Le tout a 550 pieds de longueur.
L’intérieur du palais du TE seroit l’objet d’une immense description, dans tout ouvrage qui auroit pour but, de faire connoître quel parti un grand peintre peut tiret de son art, pour l’embellissement des édifices. Celui-ci doit être cité comme un modèle unique dans l’architecture moderne. Aucun autre n’a reçu en aucun temps l’avantage d’avoir été construit el peint par le mème artiste, en sorte qu’il eut ce mérite, que la construction et la décoration étant l’émanation d’un même génie, on ne sauroit dire si ce fut l’architecture qui commanda à la peinture, ou la peinture à l’architecture, tant il semble que le tout est né simultanément.
Nous ne ferons que parcourir rapidement cette suite d’inventions décoratives dont Jules Romain fut l’auteur.
La grande loge dont on a parlé, fait admirer sa voûte peinte à fresque par compartimens de cinq lunettes, où est représentée l’histoire de David.
On passe, à main droite, dans une salle dont le principal ornement se compose d’une frise à deux rangs l’un sur l’autre, travaillée en stuc sur les dessins de Jules Romain, par le Primatice et par Jean-Baptiste Mantouan. C’est une suite de figures qui présentent une imitation de celles de la colonne Trajane. On seroit tenté de croire qu’on ne s’y est proposé aucun sujet déterminé, ni surtout applicable aux temps modernes, quoique quelques - uns prétendent que l’intention fut de représenter avec le style de l’antique, le triomphe de l’empereur Sigismond. On y voit effectivement le personnage qui paroît être l’empereur, suivi d un écuyer portant un bouclier sur lequel est un aigle à deux têtes couronnées, Ce sont toutes scènes de batailles, de marches, de campemens, avec toute la vérité des costumes romains. Rien toutefois n’offre de copie formelle d’après l’antique. On voit que Jules Romain savoit son antiquité par cœur, et son crayon s’est plu à improviser d’imagination et à redire à sa manière ce que les monumens de Rome lui avoient appris. Qui ne te sauroit, croiroit que cette grande composition est un ouvrage de l’ancienne Rome, tant y est grande la fidélité des costumes, tant l’art du sculpteur a su aussi se modeler sur le goût d’exécution qui caractérise le bas-relief antique. Les stucs qui ornent la voûte de cette salle participent de la même habileté et du même goût.
La pièce d’après est celle dont la voûte est ornée d’un grand tableau peint par Primatice, sur les dessins de Jules Romain, qui l’a décorée encore dans six autres compartimens de figures peintes par lui-même.
La dernière pièce de ce côté est la plus célèbre de toutes, par l’invention extraordinaire de sa décoration. De quelle forme est cette pièce, c’est ce que l’œil ne sauroit apprendre, tant la peinture, en s’emparant de toutes les superficies, a réussi à faire disparoître les lignes qui en déterminoient la figure. Aussi quelques-uns ont-ils cru qu’elle formoit un cercle, quand elle n’est qu’un carré-long dont les angles sont légèrement arrondis. Cette salle est celle qu’on appelle la salle des géans, conception prodigieuse par la hardiesse de pensée comme d’exécution, et dont la, description a trop peu de rapport à l’architecture, pour que nous nous y arrêtions. La peinture, en effet, comme on l’a dit, a fait de cette pièce, moins éncore un tableau qu’un spectacle magique d’épouvante et d’illusion. Tout a été mis en œnvre pour la rendre complète : une fois entré, le spectateur ne voit plus d’issue ; il n’est environné que de rochers qui se précipitent sur les géans ou écrasés, ou se défendant en vain. Le sol même de la pièce est composé de débris le plafond, c’est l’Olympe, d’où Jupiter lance la foudre.
En revenant sur ses pas, et en repassant par le beau vestibule dont on a parlé, une autre suite d’appartemens offre au spectateur une sorte de poëme mythologique en peinture, dont chaque pièce est en quelque sorte un chant, où la muse de Jules Romain a retracé les aventures de, Phaéton, celles de Psyché, son mariage avec l’Amour, son banquet nuptial, riche et vaste composition, où sont mises à contribution toutes les richesses de l’antiquité.
Nulle part la poésie de la peinture ne s’est développée avec autant de charme et de grandeur. Tout paroit s’être assujetti aux heureuses fantaisies du peintre. S’il se trouve une cheminée, vous voyez Vulcain occupé sur sa forge enflammée à fabriquer les foudres de Jupiter. Ailleurs, c’est Polyphème assis sur un rocher. L’artiste a pris à tâche d’approprier à l’usage de chaque pièce les sujets qui lui sont analogues.
On ne sauroit se dispenser d’indiquer encore dans l’ensemble de ce palais, comme ouvrage classique, pour le goût de l’ornement, le charmant corps-de-Logis qu’on appelle de la Grotte, parce qu’effectivement il s’y en trouve une pratiquée pour l’usage du bain. C’est un ensemble de salles, les unes plus, les autres moins grandes, où l’on voit briller dans toute sa pureté le style d’arabesques et d’ornemens antiques, remis eu honneur par Raphaël, au Vatican, propagé depuis par quelques-uns de ses élèves, dans divers endroits de l’látalie, qu’un a malheureusement vu disparoître avec son école, et dont personne encore n’a fait revivre ni l’exécution, ni surtout le génie.
La ville de Mantoue est pleine de Jules Romain. Elle fut sa seconde patrie, et, par tous les travaux qu’il y fit, il passa pour en avoir été le second fondateur. Il y rebâtit des quartiers et des rues entières, lui redonna une forme nouvelle, et l’orna d’édifices qui en sont encore aujourd’hui la gloire. Il rebâtit à neuf le palais ou le château ducal, qu’il décora des plus excellentes peintures représentant la guerre de Troye. Nous manquons de renseignement sur un autre palais qu’il bâtit pour le duc à Marmiruolo, lieu situé à cinq milles de Mantoue ; mais Vasari nous apprend que cet édifice reçut aussi de la main deJules Romain de grandes peintures qui ne le cèdent ni à celles du château ducal, ni à celles du palais du TE.
On voit encore à Mantoue la maison qu’il avoit construite pour son habitation. Sa façade, jadis toute ornée de stucs colorés, est remarquable au dehors par une petite statue antique de Mercure. L’intérieur formoit autrefois une sorte de Muséum plein des richesses de l’antiquité et de celles que son génie s’étoit plu à y prodiguer.
Plusieurs églises furent redevables à Jules Romain ou de leur restauration, ou de leur embellissement. De ce nombre fut celle de Saint-Benoît, qui reçut de lui une formè nouvelle, et qu’il décora comme peintre, après l’avoir rétablie comme architecte.
Mais le plus grand de ses ouvrages, en ce genre, fut la cathédrale de Mantoue, que le cardinal de Gonzaga, après la mort du duc, confia à ses soins, pour être refaite en entier. Ce monument, dans lequelJules Romain fit revivre le style de l’antiquité, par la belle proportion des colonnes, le style noble et pur de tous les détails, doit se mettre au rang des plus beaux temples de l’Italie ; et il ne manque à sa renommée, comme à celle des principaux édifices de Mantoue, que d’être plus connu des artistes et des voyageurs qui visitent l’Italie. Malheureusement cette ville ne se trouve pas sur la roule la plus battue par les curieux. Il faut aller exprès à Mantoue. Aussi manquons-nous d’une description fidèle des beautés qu’elle renferme, et une multitude de dessinateurs qui s’en vont répétant chaque année, ce que tant d’autres ont répété avant eux, reviennent sans s’être douté que Mantoue leur eût présenté la matière la plus riche d’un ouvrage aussi précieux pour l’histoire, que pour l’élude des arts.
Le dessin que Jules Romain donna pour la façade de la grande église de Saint-Pétrone à Boulogne, passa, dans son temps, pour le plus beau de ceux que présentèrent les plus célèbres de ses contemporains. Il n’a qu’un seul ordre, mais colossal. On y admire le terme moyen tenu par l’artiste, entre le goût de l’architecture grecque et celui de l’édifice qui participe du goût gothique. Ce fut une preuve de jugement de la part de Jules Romain. Rien n’en manque plus que ces frontispices faits après coup qu’on applique à des monumens d’un autre âge, et qui n’y produisent d’autre effet que celui d’une dissonance.
Le duc Frédéric Gonzaga mourut en 1540. Il laissa Jules Romain comblé de biens et d’honneurs, mais tellement affligé de la perte d’un prince qui avoit honoré ses talens, et dont il étoit devenu l’ami, que le Cardinal, frère de son protecteur, eut beaucoup de peine à le détourner du projet qu’il avoit formé de revoir Rome. Ce fut en le comblant de bienfaits et en le chargeant d’ouvrages nouveaux, qu’il parvint à le retenir, et c’est à cette généreuse contrainte que Mantoue fut redevable de l’érection de sa cathédrale, qui ne fut toutefois terminée qu’après lui par Bertano son élève.
Une circonstance nouvelle vint bientôt réveiller chez Jules Romain le desir de se retrouver à Rome. En vain le bel établissement qu’il avoit à Mantoue, celui de sa famille, les honneurs dont il y jouissoit, la reconnoissance même, sembloient l’y devoir attacher pour la vie ; la mort de Sangallo, architecte de Saint-Pierre, ayant appelé tous les regards sur lui, il ne put résister à cet honorable appel : il se disposait à partir ; mais la Providence en avoit ordonné autrement. Une maladie fort courte l’enleva à l’âge de 54 ans.
Ainsi Jules Romain fut enlevé, on peut le dire, au milieu de sa carrière, et la chose seroit encore plus vraie, s’il fallait, sur la foi d’une date rapportée dans une courte Notice de sa vie, qui fait partie d’une petite description du palais du TE, imprimée à Mantoue en 1783, admettre qu’il mourut à 47 ans. L’autorité sur laquelle cette opinion se fonde, est, dit-on, que dans les archives de la Sanita, à Mantoue, on trouve sur le registre des morts du Ier. novembre 1546, cette note : Il sior Julio Romano di Pipi superior de le fabriche ducale, de febra infirmo giorni 15, morto d’anni 47.
On doit remarquer d’abord que cette note n’étant que ce que nous appellerions un extrait mortuaire, a beaucoup moins de valeur que n’en aurait ce que nous appelons l’extrait de baptême ou de naissance, ce que jamais l’acte mortuaire n’est tenu de rappeler, tant il arrive souvent qu’on n’a aucun moyen de le constater, à l’égard surtout du grand nombre d’hommes qui meurent hors de leur pays. Qui nous dira ensuite quel est le degré de fidélité à laquelle la note dont il s’agit étoit obligée, et si une simple méprise de la mémoire ou de la plume n’a pas pu changer un chiffre pour un autre.
Vasari dit positivement, dans la Vie de Jules Romain, qu’il mourut à 54 ans, et il est d’accord sur la date de sa mort, c’est-à-dire, sur l’an 1546. Or, Vasari connoissoit particulièrement Jules Romain et en nous racontant qu’il alla le visiter à Mantoue, il indique la date de cette visite comme postérieure à la mort du duc Frédéric, qui mourut en 1540, puisqu’il ne parle que du cardinal Gonzaga, et qu’à cette époque déjà Jules Romain avoit élevé la cathédrale de Mantoue, qui ne fut commencée qu’après le mort de Frédéric, c’est-à-dire, que Vasari vit Jules Romain deux ans avant qu’il mourût. Il n’est guère probable qu’il se soit trompé autant sur son âge.
Mais voici une dernière raison qui me paroît sans réplique. Si Jules Romain, comme l’a prétendu la note de la Sanita, ne vécut que 47 ans, et mourut en 1546, il sera né en 1599. Or, Raphaël mourut en 1520, et déjà, depuis longtemps, Jules Romain étoit parvenu à ce degré de talent qui, non-seulement lui avoit gagné toute la confiance de son maître, mais l’avoit rendu son principal collaborateur, au point qu’on distinguoit souvent à peine ce qui étoit du maître et ce qui étoit de l’élève, et cela fort long-temps avant 1520. Ainsi on connoît l’histoire de la copie du portrait de Léon X, par Raphaël, envoyée à Mantoue, et la surprise de Jules Romain, qui, ayant, comme il le dit lui-même à Vasari, travaillé à l’original, ne s’étoil point aperçn de l’échange fait de cet original contre la copie d’André del Sarto. On citeroit bien d’autres ouvrages de Raphaël, où Jules Romain fut associé, plusieurs années avant 1520. Comment peut-on supposer qu’un jeune homme de 15 à 16 ans seroit arrivé à un degré de capacité si éminent ?
Si, au contraire, on suppose, d’après l’âge où il mourut, que Jules Romain éloit né en 1491 ou 1492, il avoil 29 ans à la mort de Raphaël, et l’on trouvera fort naturel qu’il ait pu, depuis 20 ans jusqu’à 29, avoir acquis le talent dont il dut faire preuve pour avoir été ainsi adopté par son maître.
J’ajouterai que l’on trouve le portrait de Jules Romain, jeune vérité, mais avec un peu de barbe, faisant pendant avec celui de Marc-Antoine, dans le tableau d’Héliodore, dont on a la date. Jules Romain pouvoit alors avoir 22 ans.
Attention : la clé de tri par défaut « Pipi » écrase la précédente clé « giulio pipi ».