Encyclopédie méthodique/Art aratoire et du jardinage/Moulin

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Définition

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Moulin ; machine, soit grande soit petite, qui sert à moudre & à pulvériser les grains & quelques autres substances.

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MOULIN. Nous avons décrit, dans un volume du Dictionnaire des arts & métiers méchaniques, le moulin, machine qui sert à réduire en farine la pulpe des graminées, en l’écrasant entre deux pierres massives & orbiculaires, l’une fixe & l’autre tournante, appelée meules. Nous allons donner ici la description de différens autres moulins de nouvelle invention, qui sont employés utilement par les agticulteurs.

Moulin à main. Il y a des occasions où il est utile d’avoir à sa portée des moulins à main pour moudre le froment. Voici la description d’un moulin de cette espèce, dont on peut voir la représentation, pl. XI, fig. 2. A, manivelle pour faire tourner le cylindre B, à l’extrémité duquel est attachée une roue de fer D. C C, soutien du cylindre. E, roue dentelée, laquelle s’engraine dans la roue F, dont l’axe tient au rouleau renfermé dans Ja boîte G. H H sont deux plaques de cuivre qui ferment la boîte par les côtes. I, vis servant à ralentir ou à accélérer à volonté le mouvement du rouleau.

Moulin à bras. (Voyez pl. LII.) Le principe du mouvement de cette machine consiste, pour ainsi dire, en la grande bascule A B C, qui est suspendue par son axe D, de manière qu’elle peut faire son jeu, c’est-à-dire, s’élever & se baisser à mesure que deux hommes, à force de bras, tirent les cordes E F, comme l’on a coutume de tirer les cordes des cloches. L’axe D’est traversé par la pièce de bois G, aux deux bouts de laquelle les manches des cliquets H & I sont attachés avec des chevilles de fer mouvantes. Ces deux cliquets sont posés sur la roue faite en rochet K ; & la font tourner l’un après l’autre, selon les mouvemens forcés que la bascule leur imprime. Ils se succèdent merveilleusement bien dans cette manœuvre ; car lorsque la bascule baisse son point A, le cliquet H fait tourner le rochet, & au moment que le point A cesse de s’abaisser, le point C se baisse, & le cliquet pousse à son tour la roue. Ainsi, tant que le jeu de la bascule A B C continue, il fait tourner dans un seul sens la roue K, & de ces deux mouvemens contraires il en fait faire un qui est réglé.

La roue K, taillée en rochet, est encore dentée sur champ ; & comme ses dents engrennent les fuseaux de la lanterne L, celle-ci suit son mouvement & fait tourner la meule du moulin.

Il faut remarquer que l’on charge la grande bascule avec du plomb, ou avec des pierres à ses points A B C, afin de la maintenir plus facilement en mouvement.

Moulin mis en mouvement par un bœuf ou un cheval. (Voyez pl. LIII, fig. 1.) Après avoir construit solidement la grande roue A, & le reste de la machine que la figure représente, l’on fait entrer dans la grande roue A un bœuf qu’on a auparavant instruit à y marcher.

Lorsque le bœuf renfermé dans cette roue, fait les mouvemens nécessaires pour marcher, il ne change pas de place, mais il en fait changer à la roue, ou pour mieux dire, à la partie de la circonférence sur laquelle il appuie ses pieds, par la raison qu’eu égard à la proportion qu’il y a entre sa pesanteur & l’effort nécessaire pour donner le mouvement au moulin, il ne sauroit s’éloigner de la ligne perpendiculaire à l’axe de la roue dans lequel il est renfermé, sans la faire tourner.

Ainsi cet animal, en continuant de cette manière de faire tourner la grande roue A, celle-ci communique son mouvement à la roue donnée sur champ B, qui est au bout de son axe, & par conséquent fait aussi tourner la lanterne C & la meule du moulin.

Moulin portatif que l’on place sur une charrette, & qui moud du bled quand on fait marcher la charrette. (Voyez pl. LIII, fig. 2.) Les deux roues de charrette marquées A, & la petite roue dentée sur champ B étant solidement attachées à l’essieu C, ne sauroient tourner les unes sans les autres. Ainsi quand la charrette marche, ces trois roues tournent ensemble, aussi bien que leur essieu ; & la roue de champ B faisant roùrner la lanterne D, fait en même tems tourner la meule du moulin qui est au bout de son axe.

L'on doit remarquer que l'essieu C est attaché au brancart de la charrette avec des bandes de fer qui, en l'enveloppant de tous côtés, lui laissent cependant la liberté de tourner, & que les clous des bandes des roues A doivent avoir la tête fort grosse & taillée en pointes de diamans, afin que par la résistance qu'ils feront à couler sur le pavé & sur le terrain, les roues puissent tourner plus facilement.

Moulin hollandois, pour affiner le lin. Ce moulin à affiner est composé de différentes parties dont les unes sont absolument nécessaires pour son action, & d'autres seulement destinées à donner aux premières tout le jeu qu'elles doivent avoir, & à rendre le travail plus facile. Cette distinction est nécessaire dans toutes les machines, afin que le lecteur sache en quoi il doit suivre exactement son modèle, & jusqu'à quel point il peut s'en écarter sans perdre les avantages de la machine. (Voyez planche LIV, fig. 4.)

Les parties nécessaires du moulin à affiner sont le fuseau mobile C & les cylindres E, placés circulairement autour du fuseau. Le reste de la machine est arbitraire : on peut le charger à la volonté, & lui donner une forme quelconque, pourvu que le mouvement du fuseau soit facile, & que les cylindres soient dispersés en cercle. Cependant, comme la machine hollandoise est simple, peu coûteuse & très-commode, on s'attachera à la décrire très-exactement.

Elle est composée, comme on le voit dans la figure, de deux fortes planches A A, perpendiclaires à l'horison, & retenues dans cette position par trois barres de bois marquées chacune d'un B. Elles sont destinées à donner de la fermeté à toute la machine, & elles doivent par conséquent être fortes, afin de ne point plier dans l'opération. L'effort sur ces parties est plus grand qu’on ne le croiroit d'abord.

Les deux barres supérieures reçoivent une troisième planche perpendiculaire F, qui est mobile. Elle doit être serrée entre les barres, afin qu'en glissant elle retienne sa position perpendiculaire, & qu'elle reste toujours parallèle à elle-même, quand on la pousse en avant ou en arrière selon les occasions. Par la destination de cette planche qui va être expliquée ci-après, on verra qu’elle est pressée avec beaucoup de force. Elle doit donc être solide & aussi ferme qu'aucune partie de la machine.

Les deux planches A A & la planche F sont percées dans la même ligne horisontale, pour


recevoir un fuseau de fer G, inséré par une de ses extrémités dans la grande roue D.

Autour de ce trou il y en a huit autres, placés exactement en cercle pour recevoir les cylindres de bois E, d'un pouce de diamètre, qui traversent horisontalement toutes les planches, de même que le fuseau.

Il n'est pas nécessaire de décrire la roue ; il suffit de dire que sa forme & sa grandeur dépendent entièrement de la puissance qu'on applique à cette machine, & elle doit être construite différemment, selon qu'elle est mue par le vent, par l’eau, par des chevaux, ou par des hommes. Il est bon seulement de remarquer que les mouvemens doivent nécessairement se faire de façon que la roue tourne dans deux sens differens de droite à gauche, & ensuite de gauche à droite. On va voir par l’explication de l’action de cette machine que l'opération ne peut réussir sans cela.

Pour entendre clairement cette explication, il faut d'abord savoir que le fuseau de fer a un œil qui s'étend d'un bout à l'autre, & qui est placé horisontalement quand on passe par cet œil la filasse divisée en petites poignées. On y place chacune séparément & alternativement de droite à gauche, & de gauche à droite. On en met environ six livres de Hollande, & les bouts de ces petites poignées sont disposés régulièrement & également de chaque côté du fuseau. Ces bouts qui sortent de l’œil d'environ trois pouces, sont liés sur le fuseau, chacun à celui qui est auprès de l’autre côté. La filasse étant ainsi attachée, une moitié pend d'un côté, & une moitié de l'autre. Il est clair que pour charger le fuseau de cette manière, il faut tirer les cylindres de bois qui l'entourent, comme on en voit un représenté dans la figure. On les repousse ensuite dans leur première situation pour comprimer le lin, & alors on commence à faire tourner la roue & à faire jouer la machine.

Si l’on trouve que le lin n'est pas assez resserré, & si l’intention de l'aprêteur est de lui donner toute la finesse que la machine peut lui communiquer, on se sert alors de la planche mobile F ; on la fait avancer sur le fuseau ; elle diminue. l'espace que la filasse occupoit auparavant, & elle la pousse avec force sous les cylindres. Comme cette planche supporte alors toute la pression du lin, il est évident qu'elle doit être très-forte & solidement placée entre les barres B.

Il résulte de tout ceci que quand le fuseau tourne, il ne tire après lui qu'une moitié des petites poignées qui l'entourent étroitement & qui sont fortement comprimés entre les dres, tandis que l’autre moitié se développe par le même mouvement, s'élève entre les cylindres & résiste à l’action du fuseau. Il est donc nécessaire que la roue se meuve régulièrement & alternativement, d'abord dans un sens & ensuite dans un autre, afin que les différentes poignées supportent successivement les différens mouvemens de l'opération, s'élèvent entre les cylindres, & soient ensuite tendues autour du fuseau. Ces deux mouvemens réunis divisent la filasse, ouvrent ses fibres, & en quelque sorte les polissent.

Nous finirons par observer que les Hollandois font faire à la roue deux tours dans le même sens, & deux dans l’autre, & que 80 doubles tours de chaque côté donnent à la filasse la plus grande finesse que l’art humain puisse lui procurer.

Moulin hollandois pour nettoyer les graines. Dans les pays & dans tous les cas on fait servir le vent à nettoyer les semences. Comme elles sont spécifiquement plus pesantes que les cosses, les balles, &c. qui les renferment, levant les porte à des distances différentes & les sépare. Il est cependant vrai que cette méthode générale est accompagnée de quelques inconvéniens : le vent ne tourne pas toujours, & il manque souvent quand on en a le plus de besoin. Sa direction n'est pas toujours favorable, relativement à la situation des granges, & on n'en peut profiter hors des maisons, à moins que le tems ne soit beau ; son action d'ailleurs n'est point égale ; &quand il est violent, il peut déranger tout l'ouvrage & occasionner une grande perte de semence.

Les Hollandois ont inventé une machine qui produit un vent artificiel, uniforme, constant dans son action, & dont on peut se servir quand on le veut. (Voyez pl. LIV, fig. 5, 6 & 7.)

C'est un moulin renfermé dans une grande boite K L, fig. 5. Il est librement suspendu sur son axe, & on le tourne par une manivelle A. La moitié de la boîte est vide, & reçoit la semence à mesure qu'elle tombe de la trémie B sur un plan incliné qu'on voit en G. La semence glisse le long de ce plan, & sort de la machine en D, tandis que les balles, les capsules & les corps les plus légers sont entraînés par l’action du vent vers E.

Voici en général l'effet de ce moulin : il produit un vent plus ou moins fort à volonté ; ce vent, renfermé dans la machine, agît avec force & toujours dans la même direction de A vers E. Il trouve dans son passage la semence qui tombe de la trémie, & il la pousse vers E plus ou moins loin, selon qu'elle est pesante. La bonne semence n'est jamais emportée jusqu'au bout de la


machine ; elle tombe au-dedans de la boîte, & les balles vides sont entraînées avec la mauvaise au-dehors dans la direction du vent.

La trémie est ingénieusement disposée pout épargner du travail ; elle est suspendue par des cordes sur quatre chevilles, & la moindre force suffit pour la mettre en mouvement sans aucun effort de la part de l’ouvrier. Une planche triangulaire F est fixée au manche du moulin, & tourne en même tems que ce manche. Les angles de cette planche, en tournant, pressent l'extrémité inférieure d'une petite late courbée qui se meut librement sur une cheville en G : par l'effet de cette pression, l’extrémité inférieure de la late se porte vers H, ainsi l’extrémité supérieure se meut en sens contraire vers 1, & par une corde qui s'attache à la trémie, elle la fait sortir de sa situation naturelle. Quand la pression finit & que les côtés du petit triangle touchent la late, la trémie librement suspendue se remet dans sa situation naturelle, & entraîne la late avec elle jusqu'à ce que l'angle suivant du petit triangle commence à presser, & ainsi de suite alternativement tandis que le moulin tourne.

Après que la semence est délivrée des balles, des capsules, &c. en passant par cette machine autant de fois qu'il est nécessaire, on la nettoie de tous les corps étrangers que leur poids a fait résister à l’action du vent. Les Hollandois commencent par les plus gros, tels que les pierres, les petites mottes de terre, & sur-tout les capsules de la graine, ou les racines des plantes. On fait passer la graine de lin à travers un crible dont les trous retiennent ces corps grossiers tandis que la linette passe facilement.

Cette opération est bientôt finie ; mais comme elle n'ôte pas parfaitement toutes les semences nuisibles, pas même les plus grosses, on se sert ensuite d'un crible percé de trous ovales, & propres à laisser passer la linette. Des semences de figures différentes ne peuvent s'accommoder à ces trous ovales, & elles restent dans le crible, à moins qu'elles ne soient beaucoup plus petites.

S'il y a encore parmi la linette de petites semences, on la remet de nouveau dans un crible dont les trous ne laissent passer que les plus petites semences nuisibles, tandis qu'ils retiennent la linette.

Les Hollandois ne s'en tiennent pas là : ils se servent d'un plan incliné formé de fil d'archal. Dans cette opération, la linette tombe lentement d'une trémie, glisse doucement sur le plan incliné, & pendant cette descente, toute la poussière & tout autre mélange nuisible est entraîné. Les parties hétérogènes passent entre les fils d’archal, & laissent la graine de lin aussi. nette qu'elle peut le devenir par l'art & l'industrie des hommes.

Moulins domestiques. Voici la description & les avantages de nouveaux moulins domestiques pour moudre les grains à faire du pain ; par le C. Tessier.

Ayant l’intention, dit ce savant agriculteur, de faire moudre sous mes yeux différentes espèces de grains pour en faire connoître les farines, je fis venir d'Angleterre, en 1788, un moulin de fer dont la construction est à peu près celle du moulin à café. Il consiste en un cylindre, une boîte cannelée, une trémie, un volant & une manivelle. L'instrument entier n'occupe que deux pieds & demi de place en carré. Le C. Lejeune, serrurier du fauxboug Saint -Antoine, à Paris, en a depuis fabriqué de semblable, avec quelques degrés de perfection de plus. Deux hommes peuvent y moudre en dix-huit heures, un septier de froment, du poids de 240 livres, tantôt tournant ensemble, tantôt l'un après l'autre.

Ce moulin peut au moins servir à occuper en hiver des hommes qui seroient oisifs, & à fournir de la farine quand la gelée arrête les moulins à eau. C'est à cet usage qu'il a été employé pendant le froid rigoureux de 1788 à 1789. Le besoin alors forçoit d'avoir recours dans beaucoup de pays aux moulins à café, bien moins expéditifs & bien moins commodes que celui dont il s'agit.

Le C. Durand, serrurier à Paris, rue Saint-Victor, paroît s'être occupé depuis long-tems des moulins. Il en a construit & fabriqué beaucoup qui ont.été d'une grande ressource. On voit chez lui un beau moulin à manège, c'est-à-dire, tourné par des chevaux, & des moulins à bras de différentes grandeurs.

Le moulin à manège est à deux équipages, chacun ayant ses meules & ses bluteries & pouvant être interrompu sans que l'autre équipage s'arrête. Les moulins à bras sont aussi accompagnés d'une bluterie.

Suivant des expériences qui m'ont été remises, le moulin à manège de Durand a moulu, en une demi-heure, un setier de froment de 240 liv. Un petit moulin à bras a moulu la même quantité de froment en six heures, & un autre moulin à bras plus parfait, en cinq heures. Peut-être dans un travail continu ces moulins ne moudroient-ils pas tout-à fait autant de froment ; car des animaux ou des hommes, dans les premières heures de travail, sont plus agiles & expéditifs que dans le reste du tems.

Trois hommes peuvent se distribuer l'ouvrage


qu'exige un moulin à bras, à raison de huit heires par jour & de 30 sous pour chacun.

Pour tourner le moulin à manège, il faut six chevaux, travaillant deux par deux chacun huit heures par jour. On compte 3 liv. pour le loyer & la nourriture de chaque cheval. Ces animaux, en huit heures, parcourent 15,120 toises, ou sept petites lieues. Des chevaux de ferme, labourant toute une journée, font le même chemin.

Je n'entrerai pas dans des détails de la description de ces moulins : ce sont les moulins ordinaires à mouture économique auxquels Durand, en ouvrier intelligent & habile, a donné beaucoup de perfection. Durand, son fils, serrurier, rue Saint-Etienne-des-Grès, a aussi contribué à cette perfection. Je dirai seulement que Durand père a trouvé & exécuté un moyen de fixer la meule tournante à l’extrémité de son axe, de la déplacer sans peine pour la piquer, & de la replacer de manière qu'elle pût moudre sur le champ, étant parfaitement en équilibre, ce qui est un grand avantage ; car dresser les meules est le désespoir des meuniers, parce qu'à peine dressées, elles perdent leur équilibre & moulent inégalement. À cette perfection, il en a ajouté plusieurs autres moins importantes, qui rendent la machine plus solide & plus propre à moudre également.

Par une disposition des leviers auxquels on attache les chevaux sur l'arbre du moulin, on peut arrêter subitement les chevaux, sans que le moulin cesse aussi-tôt de tourner. Cette disposition, quel qu'en soit l’inventeur, est bien précieuse, parce qu'on ne craint pas que l’ébranlement donné au moulin ne blesse ou ne maltraite les chevaux lorsqu'on les dételé, ou lorsqu'ils font un faux pas, ou qu'ils s'arrêtent pour uriner.

On assure que la construction d'un moulin à manège ne seroit pas plus chère que celle d'un moulin à eau. Une charpente légère suffit. Il ne faut presque pas de fondations, à moins qu'on ne veuille y joindre des greniers & des magasins. Il y a chez Durand père, un beau moulin à manège en activité : il peut servir de modèle ; c'est une chose à examiner & à calculer. On trouve chez lui des moulins à bras de 400 liv., de 600 liv, & jusqu'à 1,000 liv., y compris la bluterie. Toutes ses meules sont prises à la Ferté-sous-Jouarre, où l’on fait que se prennent les meilleures meules. L'emballage & le transport des moulins à bras sont aux frais de l'acquéreur.

On peut considérer les avantages de ces moulins sous deux rapports, comme utiles à l’Etat, & comme utiles aux particuliers. La nécessité de conserver les moulins à eau est un obstacle au projet de rendre beaucoup de rivières flotables ou navigables. On ne doit pas, pour le bien du commerce, détruire des usines aussi importantes que des moulins, à moins qu’on ne les remplace.

Dans les rivières navigables, où il y a des moulins, souvent ces moulins causent de la gêne à la navigation.

Pour entretenir certains moulins, on arrête le cours des eaux, qui alors séjournent dans des prairies, & en font des marais infects, & capables de causer des maladies funestes aux hommes, tandis que si les moulinsi n’y étoient plus, on rendroit ces prairies fertiles, & le pays très-sain.

Il y a des cantons où l’agriculture a besoin qu’on arrose de tems en tems les prés, qui sans cela ne rapporteroient pas, ou rapporteroient peu. Cet arrosement, qui ne peut se faire qu’en suspendant le cours des rivières, est impossible, lorsqu’elles ne fournissent que de quoi entretenir les moulins.

La multiplication des moulins à manège & à bras de Durand, remédieroit à ces inconvéniens. On ne craindroit pas d’ordonner la suppression de beaucoup de moulins à eau, & le remboursement des propriétaires.

Les particuliers peuvent retirer beaucoup d’économie des moulins à bras. Pour droit de mouture, les meuniers ne doivent prendre que le seizième, ou le douzième, suivant l’usage du pays. Le plus souvent, ils prennent davantage. Il est inconcevable que jamais on n’ait pensé à établir une police sur les meuniers. J’ai envoyé exprès à un moulin du froment, que j’ai pesé auparavant. Au retour, ce qui m’a été rendu en farine & en son pesoit un sixième de moins. Je ne connois pas d’impôt plus fort. Qu’on suppose le froment à 36 livres le setier, comme nous l’avons vu ; il a même été vendu beaucoup plus cher. Il en coûte six livres à l’homme qui envoie un setier de froment au moulin, avant qu’il puisse en manger le premier morceau de gain.

Il arrive fréquemment que du bon grain, envoyé au moulin, est changé par le meunier, qui substitue du grain inférieur ou altéré, dont on retire moins de pain, & du pain de mauvaise qualité ; ce qui augmente encore les frais de la mouture.

Les déchets au moulin à eau sont au moins de six livres pesant par setier, au dire des meûniers. Ils sont bien plus foibles dans les moulins à manége ; dans les moulins à bras, il n’y en a presque pas.

Si on avoit chez soi un de ces moulins, on éviteroit donc d’être volé ; on mangeroit le pain de son véritable grain, & on n’éprouveroit que très-peu de déchet.

Les moulins à bras peuvent se placer par-tout, & par conséquent être à portée de ceux qui doivent les veiller ou s’en servir. J’en ai vu chez Durand qui n’avoient, y compris le blureau, que cinq pieds & demi de longueur, sur deux pieds dans leur plus grande largeur. Le très-grand vent, la gelée, la sécheresse, les inondations, rien ne les arrête. Dans les villes assiégées, ils seroient fort utiles. En hiver, lorsque le tems ne permet pas de travailler au-dehors, les ouvriers s’occuperoient à moudre. Les fermiers dont les domestiques, lors de la neige ou de la gelée, sont oisifs, les emploieroient à ce travail, qui procureroit pour une partie de l’année de la farine aussi commode à garder que le froment.

Le C. Parmentier, persuadé de tous ces avantages, pense avec raison que, quelques soient la mécanique & la construction des moulins à bras de Durand, on ne peut en donner le soin au premier venu ; qu’il est nécessaire que celui qui en achetera, ou la personne en laquelle il a confiance, ait les principales connoissances de la mouture ; sans cela, les moulins seront mal conduits ; on n’en retirera pas ce qu’on pourroit en retirer, & on rejetera sur la machine, qui est très-bonne, ce qui vient de la faute de ceux qui l’auront conduite. Appeler un meunier à son secours pour la réparer, ou pour l’entretenir, ce seroit s’exposer à la voir détruire entièrement, ou à la voir tellement altérer, qu’il ne seroit plus possible de s’en servir ; car les meûniers ordinaires ont un grand intérêt à empêcher l’introduction & l’usage des moulins à bras.

Si les propriétaires de ces moulins, ou leurs hommes de confiance ne se familiarisent pas avec les principales pièces, les ouvriers, pour se soulager, quand ils les tourneront, desserreront les meules, & les moulins donneront trop de son.

Le moyen de tirer parti de ces moulins, & d’éviter les petits inconvéniens auxquels ils sont sujets, c’est de donner à ceux qui les posséderont, des notions courtes, simples & à leur portée, des règles & des principes de la mouture. Il faudroit qu’une instruction bien faite en accompagnât toujours l’envoi, & même qu’on l’affichât dans les endroits où on placera ces moulins. Elle servirait de guide & d’apprentissage. Tel est l’avis du C. Parmentier : cet avis est très-sage. Il doit s’occuper de cette instruction quand il aura fait de nouvelles expériences, en comparant le produit de ces moulins, soit par la mouture à la grosse, soit par la mouture économique, avec celui des grands moulins à eau & à vent. (Voyez pl. XXXIX, fig. 3.)