Encyclopédie méthodique/Arts académiques/Art de nager/De son utilité

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Panckoucke (1p. 425-428).
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L’ART DE NAGER.

De son utilité.

ON a dit & plusieurs gens instruits ont répété, que l’homme nageoit naturellement, comme le poisson ou l’oiseau aquatique, & que la frayeur seule l’empêchoit de mettre à profit une faculté aussi intéressante pour sa conservation. Cette opinion a été rejettée par Borelli, (de motu animal. ch. 33, prop. 218). Il est vrai que l’homme en nageant n’est pas dans une position qui lui soit naturelle. Touts ses mouvements annoncent la gêne qu’il éprouve ; & le soldat le plus intrépide, le nageur le plus consommé dans son art, l’homme en un mot que la peur n’ébranla jamais dans les dangers les plus imminens, n’est pas moins sujet à se noyer que le néophite. Voilà pourquoi, comme l’observe Borelli, l’enfant qui tombe dans un fleuve, & l’insensé qui s’y précipite, y perdent incontestablement la vie. Considérez au contraire le quadrupède ; voyez avec quelle adresse il brave la fureur des flots ; quelle contenance affurée il montre au milieu même de l’élément dont il n’a jamais approché ! Il ne nage pas ; il marche ; ses pieds semblent tracer des pas semblables à ceux qu’il fait sur la terre ; & s’il ne rencontre aucun obstacle qui l’empêche d’aborder le rivage, vous le verrez traverser impunément les fleuves les plus larges & les plus rapides. Cependant chez les Nègres & plusieurs autres nations, les enfants vont à la mer ou à la rivière voisine dès qu’ils peuvent se traîner, entrent dans l’eau sans crainte, s’effreyent peu-à-peu, & savent nager aussitôt que marcher ; mais il se peut qu’on leur donne d’abord un peu d’aide & de secours.

Toutes les nations de la terre, considérant la profession de nageur, moins comme une faculté naturelle à l’homme, que comme un art véritable, ont eu soin d’y former leurs enfans dès le bias-âge. Toutes, persuadées de l’importance d’une science qui nous paroît aujourd’hui si frivole, ont eu le louable usage d’inspirer à la jeunesse dû goût pour le bain. Les Egyptiens, dont le pays, coupé de toutes parts par une foule de canaux, offroit partout des dangers à celui qui ne s’étoit pas familiarisé avec les eaux, falfoient de l’art de nager une partie essentielle de l’éducation politique. Les Grecs établirent chez eux la même institution ; & le goût que ce peuple avoit pour le commerce de mer, le métier de pirate qu’il exerça longtemps, cette multitude d’îles, dont la région qu’il habitoît étoit parsemée, tout l’invitoit à ne pas négliger une ressource dont il pouvoit tirer un grand avantage en bien des circonstances. Hérodote rapporte que Scyllias de Macédoine rendit son nom célèbre sous


le règne d’Artaxercès Memnon, en faisant sous les eaux de la mer huit stades, pour porter aux Grecs la nouvelle du naufrage de leurs vaisseaux. Les habitans de l’Archipel, marchant à cet égard sur les traces de leurs ancêtres, sont encore pour la plupart de fort bons nageurs ; & Tournefort nous apprend que dans l’isle de Samos, on ne marie guères les garçons qu’ils ne soient en état de plonger sous l’eau, au moins à huit brasses de profondeur.

On sait quelles furent à ce sujet les maximes des Romains. L’art de nager faisoit à Rome une partie si importante de l’instruction de la jeunesse, de touts les ordres & de toutes les conditions, que l’on y considéroit comme un ignorant quiconque ne l’avoit pas appris. Pour caractériser un personnage grossier, un homme sans éducation, un ancien proverbe disoit qu’il ne savoit ni lire ni nager. On exerçoit les soldats dans cet art avec autant de soin que nous en mettons à leur apprendre les évolutions qui nforment le principal objet de notre tactique moderne ; & les plus grands généraux qu’ait eu la république, César, Pompée, Marc-Antoine, savoient parfaitement nager. Aussi, en poursuivant l’ennemi, rien n’arrêtoit ces guerriers. Couverts de sueur, épuisés par la fatigue, criblés de blessures, on les voyait se jeter à la nage, ou traverser les rivières ou les lacs avec une célérité incroyable. De là, tant de passages de fleuve exécutés par des armées entières, & qui nous étonnent aujourd’hui ; de là, cette vigueur mâle, ce tempérament robuste, cette santé parfaite dont jouissoit le plus grand nombre des soldats Romains ; de là la rareté des maladies épidémiques dont les fréquents ravages affligent les nations modernes énervées par le plaisir, la mollesse & l’intempérance ; de là enfin, cette population nombreuse qui couvre l’Europe, malgré le fléau destructeur des combats.

Il est vraisemblable que les Gaulois, nos ancêtres, furent originairement de bons nageurs. La position de leur pays presque environné de la mer, & coupé par plusieurs rivières, la passion qu’ils avoient pour la pêche, la malpropreté de leurs habits, & sur-tout l’exemple des autres peuples, leurs voisins, tout cela les invitoit à se familiariser avec un élément dont ils tiroient une partie de leur subsistance. Il paroît d’ailleurs par le récit de Jules-César, que les soldats de cette nation pouvoient traverser au besoin les rivieres qui s’opposoient à leur passage, & qu’ils étoient assez versés dans l’art de nager, pour sauver avec eux les plus précieux de leurs effets, sans craindre de périr.

Equitation, Escrime & Danse. H h h Les François, conquérans des Gaules, se faisoient honneur de savoir nager. L’épithète de nageur est celle dont se sert Sidonius Apollinaris, pour distinguer ce peuple des nations barbares qui subsistoient alors :

• • • • • • Vincitur illic
Cursu Herulus, chunus jaculis, francusque natatu,
auromata clypso, Salius pede, falce Gelonus.

L’une des principales épreuves auxquelles on assujettissoit les braves à qui l’on conféroit la qualité de chevalier, consistoit dans une espèce d’immersion, où le récipiendaire donnoit des témoignages de sa dextérité dans l’art de nager ; & les traces de cet ancien usage subsistoîent encore du temps de Louis XI. La mollesse, à laquelle une excessive urbanité donna naissance, détruisit bientôt ces institutions salutaires. Les seigneurs quittant les campagnes, où ils eussent pu faire régner l’abondance & la félicité, se concentrèrent dans les villes, où ils prirent de nouvelles mœurs & de nouveaux goûts. La plupart des citoyens des autres ordres abjurèrent aussi les vieux usages ; & les récréations champêtres, les délassements innocents, tels que l’art de nager, furent livrés aux matelots & au reste du bas peuple. Depuis cette révolution, nos citoyens amollis dédaignèrent les plaisirs que la populace pouvoit partager avec eux. Les dangers auxquels il étoit possible qu’ils fussent exposés dans plusieurs circonstances de la vie, l’heureuse expérience qu’ils avoient faite de la néceissité du bain, pour fortifier leurs membres & se conserver en santé, ces émotions délicieuses qu’un homme fatigué éprouve lorsqu’il se plonge dans une eau courante, rien ne put les déterminer à reprendre sur ce point l’ancienne simplicité ; & si l’on a vu par intervalles des âmes assez éclairées pour braver à cet égard le préjugé national, ce font des exceptions à la règle, & qui ne doivent pas tirer à conséquence.

Les bons nageurs sont aujourd’hui relégués dans les climats où notre luxe & notre délicatesse n’ont pas encore pénétré. L’Asie, l’Afrique & l’Amérique offrent une foule de personnages de touts les sexes, de touts les âges & de toutes les conditions, qui estiment cette récréation salutaire. Touts les Nègres sur-tout apprennent à nager dès la plus tendre jeunesse. Aussi est-on souvent étonné des trajets immenses qu’ils font, soit pour aller à la pêche, soit pour regagner leur patrie. Des observateurs dignes de foi attestent les avoir vus nager avec une vigueur surprenante pendant l’espace de quarante lieues.

Cette adresse des peuples que notre délicatesse européenne qualifie de barbares, nous procure des richesses dont la plupart forment aujourd’hui parmi nous des besoins de première nécessité. C’est par elle que nous jouissons des éponges, des coraux, des perles, & d’une foule d’autres objets dont notre luxe fait tant de cas. Souvent c’est à l’aide de ces préten


dus barbares que nous radoubons nos vaisseaux fracassés par les tempêtes ; que nous portons l’alarme & la mort chez un ennemi, dont, sans eux, nous redouterions la puissance, & que nous sauvons les tristes débris d’un naufrage. L’histoire du généreux Bouffard, dont cette capitale a retenti pendant six mois, & les éloges dont on ne cesse de combler ceux des nageurs qui ont rendu quelques services à l’humanité, prouvent assez que l’on sent quelquefois toute importance de cet exercice.

Le détail des moyens qu’emploient les Asiatiques pour nous procurer des perles, mérite de tenir place ici. Cette pêche intéressante commence ordinairement au mois d’avril, & dure six mois entiers. Lorsque la saison est arrivée, le rivage se couvre de petites barques, dont chacune est montée par trois hommes. Deux sont employés à la conduire, & le troisième est le plongeur qui doit courir touts les risques de la pêche. Lorsque ces pêcheurs sont arrivés sur un fond de dix à douze brasses, ils jettent leurs ancres. Alors le plongeur, les oreilles & le nez garnis de coton, se pend au cou un petit panier qui doit recevoir les nacres. On lui passe sous les bras, & on lui attache au milieu du corps une corde de longueur égale à la profondeur de l’eau. Il s’assîed sur une pierre qui pèse environ cinquante livres, attachée à une autre corde de même longueur, qu’il serre avec les deux mains, pour se soutenir & ne pas la quitter, lorsqu’elle tombe avec la violence que lui donne son poids. Il a le soin d’arrêter le cours de sa respiration par le nez, avec une espèce de lunette qui le lui serre. Dans cet état, les deux autres hommes le laissent tomber dans la mer avec la pierre sur laquelle il est assis, & qui le porte rapidement au fond. Ils retirent aussitôt la pierre, & le plongeur demeure au fond de l’eau, pour y ramasser toutes les nacres qui se trouvent sous la main. Il les met dans le panier à mesure qu’elles se présentent, sans avoir le temps de faire un choix, qui seroit d’ailleurs d’autant plus difficile, que ces nacres n’offrent aucune marque à laquelle on puisse distinguer celles qui contiennent des perles. La respiration manque bientôt au plongeur. Alors il tire une corde qui sert de signal à ses compagnons, & revenant en haut, il y respire quelques momens. On lui fait recommencer le même exercice, & toute la journée se passe ainsi à monter & à descendre. Le hasard, comme on l’a dit, fait trouver des perles dans les nacres. Cependant on est toujours sûr de tirer, pour fruit de son travail, une huître d’excellent goût, & un grand nombre de beaux coquillages. Il faut observer qu’à quelque profondeur que les plongeurs soient dans l’eau, la lumière est si grande, qu’ils voient très-distinctement tout ce qui se passe dans la mer, avec la même clarté que sur la terre. Ils apperçoivent de temps en temps des poissons monstrueux, dont ils deviennent quelquefois la proie, quelque précaution qu’ils prennent de troubler l’eau pour n’en être pas apperçus. De touts les dangers de la pêche, il n’en est pas de plus grand ni de plus ordinaire. Souvent les plongeurs, pour les prévenir prennent avec eux un bâton ferré qu’ils enfoncent dans la gorge de ces monstres.

Quand les huîtres perlières sont tirées de la mer, on attend qu’elles s’épanouissent, pour en tirer le trésor quelles contiennent ; car si on les ouvroit, comme nous faisons les huîtres, on courroit risque d’endommager les perles. On les laisse ordinairement quinze jours après qu’elles ont été tirées de l’eau. Elles s’ouvrent alors d’elles-mêmes, & l’on peut sans inconvénient en tirer les perles.

Pline assure que de son temps les plongeurs mettoient dans leur bouche des éponges trempées dans l’huile, pour se ménager quelque portion d’air propre à la respiration. Cet usage est encore observé par les plongeurs de la Méditerranée, par la plupart des Nègres d’Afrique, & par un grand nombre d’Américains indigènes. Mais si l’on considère, d’un côté, la petite quantité d’air renfermée dans les pores d’une éponge, & de l’autre, combien elle est comprimée par l’eau qui l’environne ; on conviendra qu’il est impossible qu’un pareil secours aide longtemps le plongeur. Il est démontré par l’expérience qu’une certaine quantité d’air renfermée dans une vessie, & qu’on a alternativement respiré & fait sortir des poumons par le moyen d’un tuyau, ne peut suffire à la respiration que pour très-peu de temps. La raison de ce phénomène est fort simple. L’élasticité de l’air s’altère peu-à-peu en passant par les poumons ; & cet élément s’épuisant insensiblement, il perd ses esprits vivifians & toute son efficacité.

Pour procurer aux plongeurs la faculté de demeurer au fond de l’eau, on a imaginé deux tuyaux d’une manière flexible, propres à faire circuler l’air jusqu’au fond de l’eau, dans la machine où le plongeur est renfermé comme dans une armure. Par ce moyen, on lui donne l’air qui lui est nécessaire ; on le garantit des pressions de l’eau, & la poitrine se dilate librement pour respirer. L’effet de cette machine qui fait entrer l’air avec des soufflets par l’un des tuyaux, & le fait sortir par l’autre, est le même que celui des artères & des veines.

Mais cette machine, toute avantageuse qu’elle pourroit être dans quelques rivières, ne peut servir dans les endroits, où la profondeur de l’eau est à plus de trois brasses ; parce que l’eau resserre si étroitement les parties sur lesquelles elle peut agir, qu’elle empêche la circulation de l’air. D’ailleurs elle presse avec tant de force toutes les jointures de l’armure, que, si elles offrent quelque défaut, l’eau s’y ménage un passage, par lequel elle inonde dans un instant toute la machine, & met la vie du plongeur dans le plus grand danger.

Pour remédier à touts ces inconvénients, on a imaginé la cloche du plongeur. Les nageurs sont en pleine sûreté dans cette machine, jusqu’à une profondeur raisonnable ; & ils peuvent rester plus ou moins dans l’eau, selon que la cloche est plus ou moins grande. Le plongeur assis dans cette cloche, s’enfonce avec l’air qui y est enfermé. Si la cavité du vaisseau peut contenir un tonneau d’eau, un seul homme peut rester une heure entière à une profondeur de cinq ou six brasses sans aucun danger

On comprend sans peine que plus le plongeur s’enfonce dans l’eau, plus l’air est resserré par la pesanteur de l’eau qui le comprime. La principale incommodité qu’il éprouve en cette occasion, provient de la pression qui s’exerce sur les oreilles dans lesquelles il y a des cavités, dont les ouvertures font en dehors. C’est ce qui fait que dès que la cloche commence à descendre dans l’eau, on sent une pression sur chaque oreille, qui par degré devient plus violente & plus incommode, jusqu’à ce que la force de la pression surmontant l’obstacle, & laissant entrer quelque portion d’air condensé, le plongeur se trouve alors à son aise. Si l’on fait descendre la cloche plus avant, l’incommodité recommence & cesse de même.

Cette machine offre un inconvénient plus dangereux encore : il consiste en ce que l’eau y entrant peu à peu & à mesure que l’on descend, cet élément resserre le volume d’air dans un si petit espace, qu’il s’échauffe promptement, & perd aussitôt les qualités qui le rendent propre à la respiration. Il est donc nécessaire de remonter de temps en temps cette cloche pour en renouveller l’air ; & cette précaution est d’ailleurs d’autant plus essentielle, que le plongeur absorbé par l’eau dont il est presque couvert, ne pourroit pas y rester plus long temps sans perdre la vie.

M. Halley, mort à Greenwich en 1742, frappé de touts ces défauts qui mettoient chaque jour une foule de personnes en danger de périr misérablement, a trouvé le moyen, non-seulement de renouveller l’air de temps en temps & de le rafraîchir, mais encore d’empêcher que l’eau n’entrât dans la cloche à quelque profondeur qu’on la fît descendre. Pour y réussir, il fit faire une cloche de plongeur, de bois dont la cavité étoit d’environ soixante pieds cubes. Il la revêtit en dehors d’une assez grande quantité de plomb, pour qu’elle pût s’enfoncer vuide dans l’eau ; & il mit au bas une plus grande quantité de ce métal, pour empêcher qu’elle ne descendit autrement que d’une manière perpendiculaire. Au haut de la cloche, le géomètre anglois avoit ménagé un verre propre à donner du jour dans l’intérieur de la machine, avec un petit robinet, pour faire sortir l’air chaud. Au bas, environ une toile au-dessous de la cloche, il y avoit un plateau attaché par trois cordes à la cloche, & chargé d’un poids de cent livres pour le tenir ferme.

Pour fournir l’air nécessaire à cette cloche, M. Halley se servit de deux barrils garnis de plomb, de manière qu’ils pouvoient descendre vuides. Au fond de chacun étoit un bondon, dont l’usage étoit de faire entrer l’eau lorsqu’ils descendoient, & de la laisser sortir lorsqu’ils montoient. Au haut de ces bat barils étoit une autre ouverture à laquelle on avoit attaché un tuyau de cuir assez long pour pendre au-dessus du bondon, lorsqu’il étoit abaissé par le poids dont on l’avoit chargé ; de sorte que l’air, étant poussé dans la partie supérieure du barril, à mesure que l’eau montoit, ne pouvoit s’échapper par le haut du tuyau, lorsque le barril descendoit, à moins que l’extrémité qui pendoit en bas ne fût relevée.

On attachoit à des cordages ces barrils pleins d’air, pour les faire monter & descendre alternativement ; de petites cordes attachées au bord de la cloche, servoient à les diriger dans leur descente, de manière qu’ils se présentoient sous la main du plongeur, placé sur le plateau pour le recevoir. Alors, celui-ci relevoit les extrémités des tuyaux ; & aussitôt tout l’air renfermé dans la partie supérieure des barrils, s’élançoit avec violence dans la cloche, & étoit remplacé par l’eau.

Lorsqu’on avoit ainsi vuidé un des barrils, le signal annonçoit qu’il falloit le retirer. L’autre lui succédoit aussitôt. Par le moyen de cette alternative continuelle, on renouvelloit l’air avec la plus grande abondance. M. Halley étoit si persuadé qu’on n’avoit rien à craindre dans cette machine, qu’il ne fit aucune difficulté de se mettre lui-même du nombre des cinq plongeurs qui l’essayérent. Ils descendirent dans l’eau jusqu’à la profondeur de neuf à dix brasses, où ils restèrent une heure & demie, sans y éprouver la moindre incommodité.

La seule précaution que prit M. Hallley en cette occasion, fut de laisser descendre la cloche peu à peu & de suite jusqu’à la profondeur de douze pieds. Il la fît arrêter ensuite, prit, avant de descendre plus bas, de l’air frais dans quatre ou cinq barrils, & fit sortir toute l’eau qui étoit entrée dans la cloche. Lorsqu’il fut arrivé à une profondeur suffisante, il laissa évaporer, par le robinet placé au haut de la cloche, l’air chaud qui avoit été respiré, pour lui substituer le frais qu’il tira de chaque baril. M. Halley remarque que, quelque petite que fut cette ouverture, l’air en sortit avec tant de violence, qu’il fit bouillonner la surface de la mer.

Indépendamment de l’avantage qu’offre cette machine de s’y tenir sans se mouiller, la fenêtre pratiquée au haut de la cloche permet à la lumière de s’y introduire assez, pour que l’on puisse y lire & y écrire aisément, sur-tout quand la mer est calme, & qu’il fait un beau soleil. Lorsqu’on retiroit les barrils d’air, M. Halley envoyoit des ordres écrits avec une plume de fer ; &, si l’eau de la mer étoit trouble, ou l’air obscurci par des nuages, il avoit la facilité de tenir dans la cloche une bougie allumée. Le même auteur assure avoir inventé un autre expédient, propre à donner au plongeur la liberté de sortir de la cloche, & de s’en éloigner à une assez grande distance, en lui fournissant un torrent d’air continuel par de petits tuyaux, qui lui servent aussi de guides pour le ramener vers la cloche.

Si l’on en croit M. Boyle, le célèbre Corneille Drebell a trouvé dans le quinzième siècle un secret bien supérieur à celui-ci. Cet alchymiste hollandois imagina, dit-on, un vaisseau propre à être conduit sous l’eau, à la rame, & une liqueur qui suppléoit à l’air frais, dont on étoit privé dans ce vaisseau. On ne peut guère douter que cette liqueur ne fut l’air dèphlogistique, que nous connoissons aujourd’hui.