Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Élève

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Panckoucke (1p. 243-245).
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ÉLÈVE. (subst. masc.) Elève & Disciple sont synonymes ; mais le dernier de ces termes est ordinairement d’usage pour les sciences & le premier pour les arts. On dit, Platon fut disciple de Socrate & Apelle fut élève de Pamphile.

I1 seroit sans doute à souhaiter que les Philosophes ne fussent disciples que de la sagesse, & que les peintres ne fussent élèves que de la nature ; il y auroit, il est vrai, moins d’artistes & moins de philosophes. Mais les sciences & les arts y gagneroient. Aujourd’hui nous abondons en artistes ; est-ce un avantage pour les arts ? Le nombre de ceux qu’on y destine s’accroît de nos jours dans une proportion trop grande, comparé au nombre des hommes qui doivent remplir d’autres professions utiles, & à l’emploi raisonnable qu’on doit faire des talens, dans un royaume même très-florissant.

Le luxe, la mode, l’espoir souvent chimérique de la fortune entraînent un nombre infini de pères de famille à marquer à leurs enfans une destinée qui n’étoit pas celle que leur avoit marquée la nature. On peut dire de cette foule qui se précipite à nos écoles de dessin : combien d’appelés & combien peu d’élus ! Que deviendra cependant la plus grande partie de ce peuple, consacré aux arts sans dispositions & souvent même au mépris de leurs dispositions naturelles ? une yiemalheureuse les menace & c’est ainsi que ^44 Ë L E nos ayeux faisoient tant d’infortunés, lorsqu’ils vouoient leurs enfans à l’état monastique, avant qu’ils eussent non-seulement la moindre vocation, mais la connoissance la plus légère des obligations qu’on leur imposoit. Ce nombre de mauvais moines contribuoit sans doute à corrompre les mœurs, à avilir la religion ; & nos mauvais artistes multiplies contribuent déjà visiblement & contribueront de plus en plus à corrompre & à avilir les arts. Il est vrai qu’un mauvais peintre n’est pas enchaîné comme un religieux, par des vœux indissolubles ; mais, parvenu à trente ans, ne s’étant occupé qu’à gâter des couleurs, quelle ressourcc lui reste-t-il ! Je suis donc bien éloigné de vouloir exciter aujourd’hui les pères de famille à vouer leurs enfans aux muses, qui le plus souvent rejettent ces offrandes, ou plutôt ces victimes.

Pour vous, jeunes élèves, qui, doués de véritables dispositions, & du germe des talens, avez déjà droit de relever mes erreurs, souvenez-vous que rien n’est si noble que la carrière où vous entrez, mais qu’il faut des talens, de l’étude & des mœurs pour la parcourir honorablement & avec gloire. Le nom d’Élève, celui d’artiste ne distingue pas par lui-même ceux qui le portent, comme un diplôme donne un rang à ceux qui l’obtiennent ou même qui l’achétent. Le vertueux & médiocre apprentif d’un métier utile est plus recommandable que l’élève, peintre, sculpteur ou architecte sans talent, & qui par-là ne peut être que nuisible à la sociéte.

Enfin, de toutes les sortes de distinctions, la première est celle des vertus ; ensuite vient celle des talens ; mais si j’achevois cette énumération, je trouverois peut-être des incrédules. J’en reste à ce que je viens d’adresser à ceux que regarde plus particulièrement cet article, & j’ai inséré motArtiste plusieurs observations qui regardent aussi les élèves ; car l’état d’élève est se noviciat de l’ordre auquel ils ont le projet de se consacrer. (Artilcle de. M WATELET.)

ÉLÈVES . Les élèves, dans l’article précédent, viennent d’entendre la voix d’un amateur zélé ; qu’ils écoutent celle d’un professeur habile, M. Reynolds.

On peut considérer trois périodes dans l’étude de l’art. Le premier, est celui où l’on acquiert les élémens, c’est-à-dire, la faculté de dessiner tous les objets qu’on peut se proposer pour modèles, une certaine promptitude à manier le pinceau, une connoissance des règles les plus simples de la composition. Mais ces élémens ne sont encore que la grammaire de l’art. Quand on la posséde, on est au point de l’enfant qui sait parler, & rien de plus. On a ce qu’il faut pour s’énoncer ; mais pour attacher, pour plaire, pour instruire en parlant, il faut avoir des idées, & pour en avoir, il faut en acquérir : c’est ce dant on doit s’occuper dans le second période.

Pour acquérir des idées qu’il puisse combiner au besoin, le jeune artiste doit chercher à connoître le plus grand nombre qu’il est possible de bons ouvrages faits avant lui. Jusqu’à présent il n’a eu qu’un maître ; il va avoir pour maîtres tous les artistes illustres de tous les siècles. Les perfections de chacun d’eux seront les objets de ses méditations & de ses études. Ayant sous les yeux des exemples nombreux de beautés diverses, il ne tombera pas dans cette pauvreté de conception que l’on peut éprouver quand on ne connoît que les exemples d’un seul maître. Ce second période est encore un temps de sujetion. L’elève n’avoit auparavant qu’un seul précepteur ; il en aura plusieurs dont il devra écouter les leçons. Qu’il craigne sur-tout, s’il ne veut pas s’égarer, de s’engager dans un sentier où il n’appercevroit pas les traces de quelques-uns des anciens maîtres qui ont fondé la gloire de l’art.

Dans le troisième période, l’artiste est libre du joug de l’autorité, & n’a plus de maître que sa propre raison. C’est alors qu’il porte un jugement sur les différentes manières d’où découlent différentes sortes de beautés. Il s’est étudié dans le précédent période a connoître les perfections diverses des différens maîtres. Des idées réunies de ces perfections, il se formera une idée complexe qui sera celle de la perfection de l’art. Comme désormais il aura l’intelligence formée par la contemplation, il saura distinguer les perfections qui ne peuvent s’accorder entre elles, & ne se fatiguera pas à poursuivre un but qu’il lui est refuse d’atteindre. Enfin ce ne sont plus les artistes qu’il va comparer entr’eux ; c’est l’art qu’il va comparer à la nature.

On acquiert la faculté de bien parler dans la conversation fréquente des personnes qui parlent bien : de même, l’artiste qui aura suivi cette méthode aura la véritable éloquence de l’art, il en parlera le langage avec pureté, parce qu’il en sera formé par le commerce assidu des maîtres qui ont le mieux parlé ce langage.

Mais souvent, dès le premier période de l’éducation pittoresque, les élèves sont perdus pour l’art par l’imprudence du maître ou par l’exemple des compagnons d’étude. Loin d’avoir été préparé à l’observation, à la méditation, il a contracté, peut-être pour toujours, l’habitude d’une pratique non moins incorrecte que facile, mais séduisante par cette facilité même.

Au lieu d’encourager les élèves à se disputer entre eux à qui aura la main la plus expéditive, il faut les engager à se disputer à qui l’emportera par la correction & la pureté d’un contour. Au lieu de leur inspirer l’émulation de combattre à qui trouvera la teinte la plus brillante, à qui trompera l’œil par l’imitation d’une étoffe, il faut leur offrir pour but de leurs travaux de jetter savamment les plis d’un draperie, & de donner de la dignité à la figure humaine. Sur-tout, il faut le garder de souffrir que les élèves ne dessinent pas le nud tel qu’ils le voyent, & se contentent d’en représenter seulement l’attitude. Trop souvent ils se piquent d’en changer telle ou telle partie pour la faire ressembler à l’idée qu’ils se sont formée de la beauté, & représentent plutôt le modèle tel qu’ils croyent qu’il devroit être que comme il est en effet. C’est ce qui a le plus retardé les progrès d’un grand nombre de jeunes gens qui d’ailleurs ne manquoient pas de génie ; & le danger est d’autant plus grand, que les élèves ont plus de cette sorte de dispositions qui conduit à la facilité.

L’habitude de dessiner correctement les objets tels que nous les voyons, nous rend propres à bien dessiner dans la suite même ceux que nous imaginons. Copier le nud avec une serupuleuse exaélitude, c’est acquérir l’habitude d’être ; correct & précis ; c’est faire sans cesse de nouveaux progrès dans la connoissance de la figure humaine ; c’est se ménager le moyen d’en exprimer les beautés, & de s’élever jusqu’à celles de l’antique, & à ce que l’imagination peut concevoir de plus parfait dans l’idéal de l’art. De cette manière lente de procéder, résultera dans la suite la faculté de donner aux ouvrages les plus étudiés, les plus finis, la grace & le sentiment de la facilité : nous ne parlons pas de cette facilité dangereuse qui ne procède que d’une adresse purement manuelle, mais de celle que donne la science de ce que l’on fait. Les anciens ne sont parvenus à cette facilité, la seule qui fait louable, que par une étude attentive de la figure humaine ; c’est par les mêmes travaux que les modernes parviendront au même but.

Les grands maîtres de l’art portoient si loin leur exactitude à copier ce qu’ils voyoient, que l’on connoît des dessins que fit Raphaël pour les premières études de ses tableaux, où l’on voit les figures coëffées du bonnet que portoient les modèles ; des exemples d’une semblable exactitude se trouvent dans des dessins du Carrache. C’est en abandonnant cette utile ponctualité, que les écoles modernes ont perdu ce qui fit la gloire des grands artistes.

Il seroit à souhaiter que ces préceptes de l’habile professeur retentissent dans toutes les écoles, & dirigeassent les leçons de tous les maîtres & la pratique de tous les eléves. Un des grands défauts de ceux-ci, c’est de vouloir être des maîtres lorsqu’ils sont à peine entrés dans l’école ; de n’avoir de confiance ni dans les leçons, ni dans les exemples ; de prétendre, en copiant, faire mieux que ce qu’ils copient ; de chercher dans la bosse ce qu’ils ne trouveront que dans le modèle vivant, & de vouloir corriger les formes du modèle vivant lorsqu’ils ne connoissent pas encore la nature ; d’affecter


ce qui est le résultat de la facilité avant d’avoir acquis de la pratique, & ce qui est le résultat du savoir, avant d’avoir eu le temps d’apprendre ; de faire des esquisses avant d’être capables de rien finir, d’étudier tous les maîtres à-la-fois avant d’avoir compris les principes d’un seul, enfin de viser à tout ce qui, dans des commencemens, est le moyen de n’atteindre à rien.

Les heureuses négligences, les rêves, les rapides conceptions d’un maitre, ne conviennent pas à l’âge qui doit être consacré à la pénible exactitude, s’il veut parvenir à l’exactitude facile. Ce n’est pas à manier facilement le crayon & le pinceau que doit s’appliquer un élève, c’est à rendre avec précision les contours & les milieux. Peu importe que son trait soit fin, que son crayon soit moëlleux ; mais il importe beaucoup que son trait soit juste, que les formes soient accusées à leurs places. Il ne doit pas chercher les qualités brillantes de l’art, lorsqu’il n’en connoît pas encore les qualités constitutives. Son but ne doit pas être d’éblouir, mais d’étudier. Si son étude est bientôt finie, elle n’est sûrement pas assez recherchée, assez terminée ; il s’y est trop peu arrêté, pour qu’elle laisse dans son esprit des idées utiles & durables ; il en tirera peu de fruit. Le maître qui veut que ses elèves étonnent par leur adresse, ne formera pas de grands maîtres. (Article de M Levesque.)