Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Élégance

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Panckoucke (1p. 242-243).

ÉLÉGANCE. (subst. fém.) Il est des termes vagues, comme je lai déjà fait observer, qui sans être définis avec précision, sont à peu près sentis par le plus grand nombre des hommes spirituels & instruits. Le mot Élégance est de cette classe. Ce mot paroît appartenir d’origine aux beaux arts ; il est employé dans tous & s’applique, par conséquent, à des objets fort différens les uns des autres.

Dans l’architecture, on dit un bâtiment élégant, une colonne élégante, des profils élégans : dans la poésie & l’éloquence on loue un style élégant, des vers remplis d’élégance. Dans le monde, on dit aussi un jeune homme élégant & quelquefois un élégant, pour désigner celui dont le soin ou la prétention est de montrer l’élégance dans sa figure, son maintien, sa parure, enfin dans tout ce qui lui appartient, dans tout ce qui le touche ou qui l’entoure. Mais dans ce dernier sens la dénomination prend, dans l’esprit de ceux qui s’en servent, une teinte légèrement ironique, que comporte ce mot, parce qu’il est vague, à peu près comme le mot agréable, auquel il sert quelquefois de synonyme ; car dans la conversation on dit, à l’occasion d’un jeune homme frivole & recherché, qu’il est un élégant ou un agréable. Le mot élégant a, dans 1’art de la peinture, ainsi que dans l’art d’écrire, un sens plus précis. L’élégance y peut être définie, à ce qu je pense, comme une portion de la grace, jointe à une portion de la beauté ; & dans les arts, il ne se prend jamais en mauvaise part. Le peintre, pour atteindre à la beauté, doit posséder la connoissance parfaite des proportions & les justes rapports des parties entr’elles. Ce même artiste, pour saisir la grace, doit savoir mettre un parfait accord entre les affections morales simples, les mouvemens physiques qu’elles occasionnent & les traits qu’ils expriment. C’est de ces connoissances réunies que résultera la véritable véritable élégance, en ayant soin cependant d’éviter ce qui s’approche trop des affections serieuses, tristes, ainsi que des proportions fortes, mâles & prononcées.

Mais si le peintre veut parvenir à l’élégance, sans être soutenu par ces deux guides aimables, la beauté & la grace ; alors indécis & souvent égaré, il pensera trouver l’élégance dans quelques licences ingénieuses, & il pourra tomber par cette méprise, dans ce qu’on appelle maigreur, dans la sécheresse & dans l’efféminé.

La jeunesse offre les modèles de l’élégance dans les formes ; mais les gens du monde se trompent souvent dans l’application qu’on fait de cette qualité. C’est ce qu’il est facile d’appercevoir, lorsque dans des fêtes ou des assemblées, on entend se récrier sur l’élégance de quelques jeunes personnes, dont la taille est grande, à la vérité, mais disproportionnée, soit par une conformation vicieuse, soit parce que la nature n’est pas encore développée également & complétement dans toutes ses parties.

C’est sans doute d’après ces erreuts & les prétentions qui se sont établies, que le mot élégance, dans l’usage qu’on en fait hors des arts, a reçu l’indécision qui l’accompagne & cette disposition à se prêter à l’ironie.

Parmi ceux qui se vouent à la peinture & qui n’ont point encore assez observé, le mot élégant peut conserver un sens un peu vague, & les jeunes artistes parmi nous courent la plupart après l’élégance, avant de connoître en quoi elle consiste véritablement.

Vous donc qui participez aux erreurs du Public donc j’ai parlé, & qui avez peut-être la prétention d’être vous-mêmes au nombre des élégans, soyez certains que vous êtes plus éloignés de connoître la véritable élégance, que ceux qui n’en ont encore aucune idée ; car il est plus difficile de rectifier une idée fausse, à laquelle on s’est livré, que d’en prendre une qu’on n’avoit pas.

Il est à craindre que vous ne faissiez consister l’élégance plutôt dans le maintien & peut-être même dans les draperies de vos figures que dans les proportions & dans le nud. Vous qui bâtissez & vous qui maîtrisez vos architectes, vous ferez consister l’élégance dans des ornemens souvent inutiles & de mauvais goût & dans une incorrection affectée des profils, plus que dans la pureté du trait, & vous qui écrivez, vous croirez voir l’élégance dans certains choix de mots à la mode, de tours maniérés, d’épithètes ambitieuses, plus que dans le goût fin, justement mesuré du style, dans la propriété des termes & dans le juste accord de toutes ces choses avec le caractère de l’ouvrage & de la pensée.

Pour revenir à vous, jeunes artistes, soyez persuadés (& peut-être l’aurez-vous vérifié sans qu’on vous y engage) qu’une taille prolongée & mince sans une juste proportion avec les différentes parties qui l’accompagnent & sans embonpoint ; qu’une figure allongée, qu’une colonne effilée, un profil épargné, ne constituent point l’élégance, ou ne prennent ce nom que parmi ceux qui exercent les arts sans véritable connoissance des principes, ou dans les discours vagues des gens de goût qui les ont formés. (Article de M WATELET.)

L’ÉLEGANCE n’est pas la beauté : elle offre une idée inférieure au beau, & plus voisine de l’agrément. Loin d’emporter avec elle l’idée d’une grande pureté, elle peut se trouver avec une sorte de négligence qu’accompagne quelqu’imperfection. On ne dit pas que l’Apollon du Vatican, que la Vénus de Médicis sont des figures élégantes ; on trouveroit plutôt une certaine élégance dans la Vénus Callipyge. Il semble que la qualité d’élégantes conviendroit mieux aux figures du Corrége qu’à celles de Raphaël. L’élégance n’est pas precisement le contraire de la roideur, mais elle y est opposée & suppose de la souplesse & de la fléxibilité. Mengs ne s’est donc pas trompé quand il a dit qu’elle consiste dans la grande variété des lignes courbes & des angles ; car la flexibilité d’un contour ondoyant consiste dans cette variété, & cette variété semble constituer l’élégancedu Corrége, ou du moins contribuer pour beaucoup à produire cette élégance. (Article de M. Levesque).

ÉLÈVE. (subst. masc.) Elève & Disciple sont synonymes ; mais le dernier de ces termes est ordinairement d’usage pour les sciences & le premier pour les arts. On dit, Platon fut disciple de Socrate & Apelle fut élève de Pamphile.

I1 seroit sans doute à souhaiter que les Philosophes ne fussent disciples que de la sagesse, & que les peintres ne fussent élèves que de la nature ; il y auroit, il est vrai, moins d’artistes & moins de philosophes. Mais les sciences & les arts y gagneroient. Aujourd’hui nous abondons en artistes ; est-ce un avantage pour les arts ? Le nombre de ceux qu’on y destine s’accroît de nos jours dans une proportion trop grande, comparé au nombre des hommes qui doivent remplir d’autres professions utiles, & à l’emploi raisonnable qu’on doit faire des talens, dans un royaume même très-florissant.

Le luxe, la mode, l’espoir souvent chimérique de la fortune entraînent un nombre infini de pères de famille à marquer à leurs enfans une destinée qui n’étoit pas celle que leur avoit marquée la nature. On peut dire de cette foule qui se précipite à nos écoles de dessin : combien d’appelés & combien peu d’élus ! Que deviendra cependant la plus grande partie de ce peuple, consacré aux arts sans dispositions & souvent même au mépris de leurs dispositions naturelles ? une yiemalheureuse les menace & c’est ainsi que