Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Antique

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Panckoucke (1p. 25-27).
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ANTIQUE, (adj.) Les mots antique, vieux, ancien, sembleroient exprimer également ce qui appartient à des temps éloignés ; cependant ces expressions ne peuvent pas toujours se substituer l’une à l’autre. On dit, les siècles antiques, & non pas, les vieux siècles. Cette expression, le bon vieux temps, est consacrée. On ne diroit pas, le bon antique, le bon ancien temps ; il se forme dans toutes les langues des unions de mots qui deviennent indissolubles. Chaque portion de nos connoissances en adopte quelqu’une, s’approprie quelques termes ; & par droit de propriété, elle leur attribue des sens différens même de ceux qu’ils ont dans l’usage ordinaire.

Le mot anciens au pluriel, signifie dans les Lettres les productions des siècles anciens, dont le souvenir a mérité d’être conservé. On dit : lisez, consultez les anciens.

Enfin, l’adjectif antique, adopté & consacré particulièrement dans nos Arts, y a reçu les droits de substantif ; & l’on dit l’antique, le bel antique, pour signifier ce que nous connolssons de plus distingué en statues. en bas-reliefs, en médailles & en pierres gravées, reste précieux des siécles éloignés dans lesquels les Arts ont atteint la plus grande perfection. Le nombre des ouvrages antiques, qui restent épars dans les collections, dans les cabinets, dans les différens pays & sur-tout en Italie, est considérable ; mais ce qu’on entend particulièrement dans la Peinture & dans la Sculpture, lorsqu’on dit l’antique ou le bel antique est extrêmement borné. Nous n’avons point de preuve authentique que les ouvrages des plus fameux Artistes nous soient parvenus. Le petit nombre de ceux qui nous offrent des beautés si parfaites, que nous ne pouvons douter qu’elles n’appartiennent à des Artistes célèbres & à des temps où les Arts fleurissoient, se bornent principalement à cinq ou six statues dont les noms sont connus de tous ceux qui se consacrent aux Arts. L’Apollon, la Vénus-Médicis, le Torse, le Laocoon, le Gladiateur toujours admirés depuis qu’ils ont été découverts dans les ruines des Palais ou des Temples, sont proposés de génération en génération à l’observation, à l’etude & à l’imitation des Peintres & des Sculpteurs.

L’on dit, & l’on répète sans cesse à la jeunesse qui court en Italie chercher avec avidité des talens qu’on n’y trouve point, si l’on n’en porte en soi les semences : Observez, étudiez, copiez ; l’antique ; pénétrez-vous de 1’antique. L’antique est le modèle de la beauté sublime, de ce beau idéal, perféction extrême que les Grecs ont, atteint par l’impulsion du génie, & que nous devons poursuivre par une jalouse & noble émulation de leurs succès. Enfin, l’on insiste encore en disant : Si vous vous écartez de l’antique, vous ferez rétrograder l’Art.

Mais ces conseils sont-ils absolument & généralement propres à ceux à qui on les donne ? Voilà sur quoi il n’est point du tout inutile de réfléchir.

Les hommes qui s’adonnent aux Arts y sont ordinairement appellés par un penchant & des dispositions particulières ; mais ce penchant est toujours modifié par les facultés que nous a donné plus ou moins libéralement la nature ; les uns sont doués principalement d’imagination. L’imagination susceptible d’enthousiasme, s’élève à des perfections dont on ne voit pas même de modèle, & certainement les Artistes ou les vrais Amateurs qui ont une imagination prédominante & un penchant décidé pour les Arts, éprouvent à la vue de l’Antique des impressions qu’il est bien difficile de rendre, & que ne peuvent concevoir ceux qui n’en sont pas susceptibles. Il est à présumer que parmi ces hommes sensibles à la beauté idéale, plusieurs seroient destinés à l’atteindre, si les circonstances heureuses qui ont concouru à produire les chefs-d’œuvre antiques leur prêtoient secours ; mais ces circonstances n’existent pas ; & d’ailleurs, combien est plus grand le nombre de ceux qu’un simple penchant


à l’imitation décide à entrer dans la carrière des Arts. Cette classe, plus froide que la première, est cependant capable de bien voir la nature ; mais sans s’élever au-dessus d’elle, les Artistes nés avec ces dispositions, doués sur-tout d’exactitude & de raisonnement, sont destinés à produire des ouvrages infiniment estimables, sans atteindre à la perfection la plus sublime.

L’étude obstinée de l’Antique leur convient moins que l’observation & l’imitation de la simple nature, choisie & rectifiée par des réflexions & des comparaisons habituelles. On peut même ajouter qu’un Artistes tel que je le désigne, si on le contraignoit par quelque autorité, à prendre pour but les beautés idéales de l’Antique, qu’il admire sur parole & sans les bien comprendre, verroit ses travaux, non-seulement infructueux, mais que la poursuite de perfections surnaturelles lui feroit manquer les vérités aimables que présente la simple nature.

Ce n’est pas le seul inconvénient qu’il y ait à craindre, sur-tout pour les Peintres, car l’imitation trop continuelle des statues antiques, ou des figures moulées sur elles ; cette étude, dis-je, raite sans des dispositions convenables, peut produire une affectation de formes qui rappellera les statues, sans offrir leurs véritables beautés. Au lieu de se montrer l’émule & l’égal des Anciens, l’Artiste qui n’est point appellé aux perfections qu’ils ont conçues, ne se montrera qu’imitateur de leurs imitations. Il est des tempéramens qui ne supportent que certains mets ; il est des esprits & des talens qui ne peuvent se rendre propres que certaines idées ; mais les tempéramens foibles, comme les esprits & les talens dont je parle, tireront des mets simples & des idées purement humaines la nourriture & l’existence qui leur conviennent.

Il s’est élevé, à l’occasion de l’étude de l’Antique, des disputes dans lesquelles les opinions contradictoires ont été beaucoup au-delà des bornes de la raison. On a appellé Peintres ou Sculpteurs naturalistes ceux qui s’en tenoient aux ; beautés & aux agrémens choisis qu’offre la nature, indépendamment de l’idéal ; les autres ont été désignés ; comme admirateurs & imitateurs exclusifs de l’Antique. Les premiers rejettoient cette étude, non-seulement comme inutile, mais comme dangereuse ; les autres ne connoissoient que l’Antique, pour modèle de perfection. Il est en tout un juste milieu où la vérité & la raison nous appellent, ainsi que la sagesse. Il est bon cependant d’exhorter tous les Artistes à l’étude de l’Antique, qui est justement regardé comme le sublime de la perfection ; mais, dans les Arts libéraux, l’exhortation doit être relative à ceux qu’on exhorte, & ne doit pas aller jusqu’à la contrainte ; l’intolérance dans les Arts est aussi nuisible que dans la société. Dirigez le jeune Artiste, dont les dispositions ne sont point encore développées dans la route des plus grandes perfections. Faites-lui dessiner des têtes, des parties de figures antiques ; s’il ne voit pas dans ces objets ce que le génie y a répandu de sublime, il pourra tout au moins y prendre l’habitude de la correction & de la belle simplicité. Lorsque son intelligence, son sentiment lui inspireront quelque chose de plus, qu’il fixe, s’il n’est pas à Rome, un beau plâtre de l’Apollon ; & si ce que le complément de toutes les beautés ajoute à la beauté ne frappe ni ses sens ni son ame, s’il n’est pas enflammé du desir d’approcher dans ses productions d’un assemblage divin des perfections humaines, qu’il renonce au sublime, qu’il renonce à l’Antique, & qu’il se contente d’attacher nos yeux ou notre esprit par des vérités de formes & de couleurs, par des agrémens & des graces qui n’exigent que la justesse d’imitation, la finesse de tact, & la connoissance pratique des moyens de l’Art.

Il ne sera pas Raphaël ; mais s’il étoit le Titien il n’auroit certainement pas à se plaindre de son sort. Je ne m’étendrai pas sur ce que pourroit amener encore ici le mot, Antique. Le Dictionnaire de Sculpture & d’Antiquité supplééra aux détails qu’il faut se refuser ici, pour éviter des répétitions inutiles.