Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Balance

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Panckoucke (1p. 50-52).
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B

BALANCE, (subst. fém.) Balance des Peintres. Une balance est l’instrument, qui perfectionné par l’industrie, fait apprécier, avec la plus scrupuleuse exactitude, les pesanteurs relatives & différentielles des corps.

L’homme cherche à appliquer sans cesse la précision satisfaisante des industries & des procédés qui lui réussissent, aux opérations purement spirituelles de son intelligence, & c’est d’après ces idées, transportées du physique au moral, qu’il croit pouvoir peser les vertus, les qualités & les défauts avec autant d’exactitude que les substances matérielles qu’il soumet à ses épreuves.

Mais s’il se met lui-même dans sa balance, comme il fabrique ses poids, on n’ajoute pas une foi bien entière à son appréciation. Prétend-il peser les autres ? Même inconvénient. Aucun poids étalonné : point de tribunal autorisé où les vivans & les morts puissent réclamer contre les faux poids & les fausses mesures. D’où il résulte une différence assez importante, à ce qu’il me semble, entre l’opération de l’industrie & l’opération purement spirituelle. Cependant l’usage de celle-ci devient plus générale que jamais, & l’on peut avancer que la profession d’apprécier les opinions, les sentimens, les principes, les gouvernemens, les intérêts publics ou particuliers, les révolutions, les hommes enfin, leurs réputations, leurs qualités, leurs talens & leurs ouvrages, sembleroit, à la manière dont on en use, tellement perfectionnée à l’aide de ces poids spirituels qu’on nomme analyses, parallèles, comparaisons, antithèses, & de tant d’autres procédés ingénieux, qu’on pourroit croire qu’il n’y a plus rien d’incertain & rien de nouveau à inventer à cet égard ; cependant un homme recommandable dans l’Art dont je m’occupe, De Piles avoit trouvé moyen de rapprocher bien plus que ne font nos appréciateurs modernes, la balance morale de la balance physique.

Pour rendre sensibles les différens mérites de plusieurs habiles Artistes, il avoit conçu leurs principales qualités artielles, comme susceptibles d’être opposées à des poids fictifs, représentant les parties constitutionnelles de la Peinture. Comment nos appréciateurs & nos imitateurs si multipliés n’ont-ils pas adopté cette méthode dont je vais rendre compte ; & comment n’avons-nous pas encore pour les Arts de gouverner, d’administrer, de faire la guerre, &c. indépendamment de tous les autres, des balances construites sur le modèle de la Balance des Peintres de De Piles ?

Il ne s’agiroit, que de bien distinguer, & ce seroit la chose la plus facile sans doute dans un siècle aussi spirituel que le nôtre, les parties constitutionnelles de ces grands Arts. Lorsqu’on les auroit soumises à des divisions, on auroit la


balance des Souverains, celle des Administrateurs & des Généraux. Peut-être ne faudroit-il que se rapprocher même des distinctions que De Piles va nous présenter ; car les parties constitutionnelles dont on auroit besoin pourroient s’assimiler à celles qu’il distingue à l’égard du Peintre, le génie, par exemple, à la composition ; les qualités exécutrices au dessin, l’emploi des moyens au coloris, & la moralité à l’expression ; d’autant mieux que De Piles regarde l’expression en Peinture, comme la pensée du cœur humain.

Mais si je suis autorisé par la nature de cet Ouvrage, à faire mention du jeu d’esprit d’un homme dont la réputation est faite, je ne dois pas m’en permettre un qu’on me pardonneroit plus difficilement. Je laisse donc toute réflexion étrangère pour faire expliquer sa balance pittoresque à mon Auteur, si recommandable d’ailleurs par les lumières & les préceptes que contiennent ses ouvrages, dont on ne peut trop recommander la lecture aux Artistes :

La Balance des Peintres

« Quelques personnes ayant souhaité de savoir le degré de mérite de chaque Peintre d’une réputation établie, m’ont prié de faire une balance dans laquelle je misse d’un côté le nom du Peintre & les parties les plus essentielles de son Art dans le degré qu’il les a possédées, & de l’autre côté, le poids du mérite qui leur convient ; ensorte que, ramassant toutes les parties comme elles se trouvent dans les ouvrages de chaque Peintre, on puisse juger combien pèse le tout. »

« J’ai fait cet Essai plutôt pour me divertir que pour attirer les autres dans mon sentiment. Les jugemens sont trop différens sur cette matière, pour croire qu’on ait tout seul raison. Tout ce que je demande en ceci, c’est qu’on me donne la liberté d’exposer ce que je pense, comme je la laisse aux autres de conserver l’idée qu’ils pourroient avoir toute différente de la mienne. »

« Voici quel est l’usage que je fais de ma balance : Je divise mon poids en vingt degrés ; le vingtième est le plus haut, & je l’attribue à la souveraine perfection que nous ne connoissons pas dans toute son étendue ; le dixneuvième est pour le plus haut degré de perfection que nous connoissons, auquel personne néanmoins n’est encore arrivé ; & le dixhuitième est pour ceux qui, à notre jugement, ont le plus approché de la perfection, comme les plus bas chiffres sont pour ceux qui en paroissent les plus éloignés. »

« Je n’ai porté mon jugement que sur les Peintres les plus connus, & j’ai divisé la Peinture en quatre colonnes, comme en ses parties les plus essentielles ; savoir, la composition, le dessin, le coloris & l’expression. Ce que j’entens par le mot d’expression, n’est pas le caractère de chaque objet, mais la pensée du cœur humain. On verra, par l’ordre de cette division, à quel degré je mets chaque Peintre, dont le nom répond au chiffre de chaque colonne. »

« On auroit pu comprendre parmi les Peintres les plus connus, plusieurs Flamans qui ont représenté avec une extrême fidélité la vérité de la Nature, & qui ont eu l’intelligence d’un excellent coloris ; mais parce qu’ils ont eu un mauvais goût dans les autres parties, on a cru qu’il valoit mieux en faire une classe séparée. »

« Or, comme les parties essentielles de la Peinture sont composées de plusieurs autres parties que les mêmes Peintres n’ont pas également possedées, il est raisonnable de compenser l’une par l’autre pour en faire un jugement équitable. Par exemple, la composition résulte de deux parties ; savoir, de l’invention & de la disposition. Il est certain que tel a été capable d’inventer tous les objets nécessaires à faire une bonne composition, lequel aura ignoré la manière de les disposer avantageusement pour en tirer un grand effet. Dans le dessin, il y a le goût & la correction ; l’un peut se trouver dans un tableau sans être accompagné de l’autre ; ou bien ils peuvent se trouver joints ensemble en différens degrés, & par la compensation qu’on en doit faire, on peut juger de ce que vaut le tout. »

« Au reste, je n’ai pas assez bonne opinion de mes sentimens pour n’être pas persuadé qu’ils ne soient sévèrement critiqués ; mais j’avertis que pour critiquer judicieusement, il faut avoir une parfaite connoissance de toutes les parties qui composent l’ouvrage & des raisons qui en font un bon tout. Car plusieurs jugent d’un tableau par la partie seulement qu’ils aiment, & ne comptent pour rien celles qu’ils ne connoissent ou qu’ils n’aiment pas. »

NOMS DES PEINTRES LES PLUS CONNUS. Composition. Dessin. Coloris. Expression.
A
Albane 14 14 10 6
Albert Dure 8 10 10 8
André del Sarte 12 16 9 8


B
Baroche 14 15 6 10
Bassan (Jacques) 6 8 17 6
Baptist. del Piombo 8 13 16 7
Belin (Jean) 4 6 14 0
Bourdon 10 8 8 4
Le Brun 16 16 8 16
C
Calliari P. Ver. 15 10 10 3
Les Caraches 15 17 13 13
Corréges 13 13 15 12
D
Dan de Volter 12 15 5 8
Diepember 11 10 14 6
Le Dominiquin 15 17 9 17
G
Giorgion 8 9 18 4
Le Guerchin 18 10 10 4
Le Guide 13 9 12
H
Holben 9 10 16 13
J
Jean de Udiné 10 8 16 3
Jacq. Jourdans 10 8 16 6
Luc Jourdans 10 8 16 6
Josepin 10 10 6 2
Jules Romain 15 16 4 14
L
Lanfranc 14 13 10 5
Léonard de Vinci 15 7 4 14
Lucas de Leide 8 6 6 4
M
Mich. Bonarotti 8 17 4 8
Mich. de Caravage

6

6

16

0

Mutien

6

8

15

4

O

Otho Venius

13

14

10

10

P

Palme le Vieux

5

6

16

0

Palme le Jeune

12

9

14

6

Le Parmesan

10

15

6

6

Paul Véronèse

15

10

16

3

Fr. Penni il Fattore

0

15

8

0

Perrin del Vague

15

16

7

6

Pierre de Cortone

16

14

12

6

Pierre Pérugin

4

12

10

4

Polid. de Caravage

10

17


15

Pordenon

8

14

17

5

Pourbus

4

15

6

6

Poussin

15

17

6

15

Primatice

15

14

7

10

R

Raphael Santio

17

18

12

18

Rembrandt

15

6

17

12

Rubens

18

13

17

17

S

Fr. Salviati

13

15

8

8

Le Sueur

15

15

4

15

T

Teniers

15

12

13

6

Pierre Teste

11

15

0

6

Tintoret

15

14

16

4

Titien

12

15

18

6

V

Vandeïk

15

10

17

13

Vanius

13

15

12

13


Z

Thadée Zuccre

13

14

10

9

Frédéric Zuccre

10

13

8

8

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