Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Balancer

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Panckoucke (1p. 52-53).
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BALANCER, (verb. neut.) Ce mot s’applique dans la Peinture à la composition & aux dimensions relatives que doivent présenter les objets, les figures, les grouppes, soit dans leur élévation sur les plans des tableaux, soit dans les masses qu’ils forment.

Lorsqu’on dit, balancer une composition, ce terme ne signifie pas rendre les parties symmétriques ; ce balancement suppose des inégalités méditées, qui non-seulement appartiennent au systéme théorique de l’Art, mais encore à la nature. On pourra lire au mot ÉQUILIBRE, les explications principalement relatives à la pondération, qui est le plus souvent un balancement équilibré des parties du corps humain, mais comme le terme dont il est question ici, se présente le premier dans l’ordre alphabétique, & que le lecteur qui veut s’instruire, n’aime pas à être renvoyé sans avoir rien appris, je lui offrirai d’avance quelques observations générales, pour le préparer à celles que le mot ÉQUILIBRE renferme.

L’habitude instinctuelle d’un équilibre nécessaire à la stabilité & à la sûreté de notre maintien, dans toutes les positions qui nous sont propres, nous donne le desir de retrouver cet équilibre jusques dans les objets étrangers qui frappent notre vue. Un homme dont la démarche fléchit brusquement à chaque pas d’un seul côté, nous cause une sensation pénible : un assemblage d’objets accumulés dans la moitié d’un appartement, tandis que l’autre est absolument vuide, nous est désagréable. D’ailleurs, les dimensions symmétriques que la nature observe dans la plupart de nos membres, ajoute au besoin que nous semblons avoir d’une distribution balancée, & d’un ordre physiquement & moralement désirable ; mais, d’une autre part, la symmétrie trop précise & l’ordre trop exact nous gênent ou nous ennuient, la monotonie & l’uniformité endorment nos sensations ; nous souhaitons qu’elles soient réveillées au moins par quelques balancemens, soit dans nos sensations, soit dans les dispositions des objets physiques : nous aimons donc à voir plusieurs objets s’approcher & s’éloigner alternativement de la symmétrie & de l’uniformité, & par cette raison, lorsqu’il s’agit d’imitation de l’Art, l’Artiste doit balancer les dispositions des objets qu’il emploie & méditer ces balancemens, pour que leur effet soit plus agréable. Place-t-il donc des fabriques, des arbres, des rochers, dans une partie de sa composition ? qu’il ait soin dans les autres parties d’introduire des objets qui appellent à leur tour le regard. Que d’autres le disputent à ceux-ci ; que l’œil enfin ne soit jamais trop rapidement précipité d’une dimension à une autre, mais que successivement appellé dans différens points, il se promène sur un tableau, comme on feroit dans un pays qui ne seroit ni trop uni, ni trop montagneux. C’est ainsi que lorsque nous considérons une Cour brillante, nous rendons successivement une sorte d’hommage aux grouppes multipliés qui nous appellent par des distinctions, des parures, ou des agrémens divers, jusqu’à ce que notre curiosité, agréablement balancée, s’arrête enfin aux personnages Augustes qui, par l’amour qu’on leur porte, ou la grace qui les pare, fixent le sentiment & les regards. Dans un vaste paysage des bords de la Seine, les bourgs, les villages, les maisons de plaisance, les coteaux, se balancent par leur plan, ou par leur différente grandeur, autour d’une Capitale immense, dont la masse riche & variée devient enfin l’objet capital. Observez des pays plus intéressans pour les Peintres, vous y découvrez des sommets de montagnes, diversifiés dans leurs formes & dans leurs élévations ; des arbres épars ou rassemblés, font parcourir au regard qui s’élève, s’abaisse, se relève successivement, des sites que leur inégalité rend pittoresques, & si, vers la base de ces montagnes, le long desquelles à différens étages, se distinguent aussi des habitations plus ou moins remarquables, il s’offre un lac tranquille & limpide où se réfléchit la lumière d’un ciel pur, les yeux s’y arrêtent, & l’on éprouve le plaisir que goûte un Voyageur, lorsqu’après avoir monté & descendu les côteaux, il se repose dans une agréable vallée.

C’est donc à l’avantage de l’Art, que non-seulement les hommes se balancent naturellement, soit dans leurs mouvemens, lorsqu’ils agissent, soit par leurs attitudes, dans le repos, soit par les gestes & l’expression, s’ils sont émus, mais encore que les objets matériels & immobiles, se trouvent naturellement balancés par les formes & les accidens qui leur sont propres, & que les nuages mêmes, jouets des vents & des effets de la lumière, offrent des exemples de balancement, qui donnent droit d’en employer de semblables ou même d’en imaginer de plus heureux.

Cependant, Artistes doués d’imagination, modérez-la, lorsque vous vous occuperez à balancer vos compositions. Le Voyageur se plaît à être légèrement balancé dans la voiture qui le transporte d’un lieu à un autre, mais il souffriroit d’être brusquement cahoté.

Artistes froids, faites-vous la loi d’étudier les balancements que vous offre la nature. La litière


dont les mouvemens sont monotones endort le Voyageur dans un chemin trop uni.