Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Bordure

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Panckoucke (1p. 80-81).
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BORDURE. La bordure est un chassis à jour, dans les rénures duquel on assujettit un tableau, ou pour parler le langage usité, dont on l’encadre. La bordure ou le cadre, primitivement destinés à contenir & défendre les bords de la planche ou de la toile sur laquelle on avoit peint, étoit vraisemblablement dans son origine un assemblage de quatre tringles d’un bois simple qui gardoit sa propre couleur ; on a orné ces tringles par quelques, moulures ; on a observé qu’elles pouvoient servir à renfermer, pour ainsi dire, les regards de celui qui s’occupe à considérer un ouvrage de Peinture & à les fixer davantage ; alors on a noirci le bois dont on formoît les bordures, & on les a fait plus larges & plus apparentes ; enfin le luxe a vu dans la bordure l’occasion de parer le tableau & d’enrichir tout-à-la-fois le lieu où il est suspendu. La dorure alors a été employée sur les bordures, d’abord vraisemblablement sans excès, ensuite avec plus de prodigalité. Le mauvais goût enfin, toujours à l’affut pour gâter ce qui est bien, & pour rendre excessif ce qui est dans une juste mesure, n’a pas été satisfait qu’il ne soit parvenu à surcharger les bordures d’ornemens empruntés de l’Architecture, de sculptures, de fleurs, de figures, d’allégories, d’or mat, brillant ou coloré, & le tableau est devenu, quant à la dépense & à l’étalage, l’accessoire de la bordure qui devoit lui être subordonnée.

Cependant, d’après les loix d’un goût éloigné de trop de sévérité, la bordure d’un tableau, ainsi que la parure d’une femme, ne doit point fixer les yeux, en les détournant trop de l’objet qu’elle embellit ; mais l’une & l’autre doivent faire valoir les beautés dont elles sont l’ornement.

Voilà le principe élémentaire, d’après lequel on peut aisément tirer, relativement à la bordure, toutes les conséquences que ce sujet peut demander.

La proportion que doit avoir en largeur une bordure, est assez difficile à déterminer. Je crois qu’il seroit peut-être possible d’établir quelques règles générales en se rapprochant de celles dont l’Architecture fait le plus d’usage, relativement aux relations proportionnées des parties entre elles ; mais faute de ce secours, la loi qui prescrit d’éviter toujours les excès, prescrit de ne pas donner à un très-petit tableau une bordure d’une grandeur disproportionnée & choquante, ou à un grand tableau un encadrement mesquin. L’un ressemble à un homme habillé trop succintement ; l’autre aux têtes mignones de nos jeunes beautés, lorsquelles se trouvent perdues dans une coëffure d’une hauteur & d’une largeur ridicules. Elles oublient leur intérêt & l’on oublie celui du tableau qu’on pare mal-adroitement. Car, dans tous les objets qui nous frappent, nous ne sommes que trop enclins à regarder comme les plus importans ceux qui brillent davantage, ou ceux qui étalent plus de richesses. Le luxe des bordures semble, à la vérité, déguiser la médiocrité des ouvrages ; mais indépendamment de la dépense peu solide & de l’embarras que donnent ces ornemens, qui tiennent trop de place, sont fort sujets encore à s’altérere ou à se couvrir de poussière ; cette superfluité conduit à surcharger les cadres de moulures inutiles, après avoir multiplié sans raison les ornemens, qu’une exécution, la plupart du temps imparfaite, rend plus choquans. Les marchands & les artistes ou artisans subordonnés contribuent à ces abus sans doute, mais ilis trouvent une grande facilité auprès des nouveaux amateurs, surtout lorsque ceux-ci appellent goût pour la Peinture, des fantaisies inspirées par vanité our par imitation. Ce n’est peut-être pas excéder les bornes de la vérité, que de dire qu’il y a des amateurs de bordures & des collections de cadres qui suffisent pour contenter la puérile prétention de ceux qui en font la dépense. Au reste les titres, les distinctions & les rangs sont souvent pour les hommes médiocres & vains, ce que sont les bordures dont je parle, pour les tableaux qui n’ont point de mérite.