Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Conférences

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Panckoucke (1p. 109-113).

CONFÉRENCES. Il est bien plus facile, (comme je l’ai dit dans l’article Artiste) d’établir les avantages qui résultent de l’usage des conférences académiques, que de donner des raisons plausibles de l’abandonner ou même de le négliger.

Lorsque les hommes qui s’occupent habituellement, & par état, des connoissances scientifiques ou Artielles, se réunissent, il est vraisemblable que leur but volontaire ou prescrit, est de s’entretenir de leurs occupations, de s’éclairer sur les théories & sur la pratique dont la connoissance leur est nécessaire, de s’instruire mutuellement, soit en se communiquant ce qu’ils savent, soit en discutant ensemble les objets susceptibles de doutes & d’éclaircissemens. Aussi lorsque l’on se représente les Savans & les Artistes réunis, on les suppose toujours occupés de ces soins, & l’on se forme par-là une idée qui ennoblit leurs assemblées. Si tout au contraire on se représentoit des Savans ou des Artistes


s’occupant ensemble presqu’uniquement des formes relatives à l’organisation de leur société, discutant longuement dans des assemblées qu’on appelle Académiques, les détails minutieux résultant de ces formes. Si l’on venoit à penser enfin qu’un nombre choisi d’Artistes distingués par les divers talens qu’embrasse un des plus nobles Arts, passent ensemble plusieurs heures sans s’occuper principalement de ce qui honore les Arts dont ils tirent leur gloire, & distingue l’Artiste de l’Artisan, on seroit excusable sans doute d’inférer que ces sociétés se rapprocheroient infiniment plus qu’elles ne doivent des Communaurés d’Ouvriers.

Les Fondateurs de la plupart de nos Académies ont prévu cet abus, & dans une grande partie des sociétés destinées à étendre les connoissances humaines, de sages réglemens prescrivent des travaux communs à tous les Membres, ou des travaux qui devant leur être communiqués, donnent matière à des discussions utiles. Dans nos Académies des Arts & dans celle de Peinture entr’autres, l’usage des conférences a été établi & recommandé.

On a eu en vue la communication & l’accroissement des lumières parmi les Maîtres de l’Art, l’instruction des Eleves qui doivent être admis avec choix & comme récompense dans quelques-unes des assemblées pour y entendre de tems en tems la lecture des conférences faites par leurs Maîtres, ou les éloges donnés aux Artistes que la mort enlève, & dont les talens, joints aux mœurs, ont honoré l’Académie ; enfin l’on a sans doute pensé que le choix des travaux Académiques rassemblés & rendus publics un jour, répandroit dans la société & dans la Nation, des connoissances nécessaires pour parler & juger convenablement des productions Artielles.

Les objets propres à des conférences sont inépuisables, relativement aux Beaux-Arts ; & quoiqu’il existe sur cette matière un nombre considérable de livres & de brochures de toute espèce, on peut avancer qu’il n’existe point encore d’ouvrage méthodique, suivi, complet & composé sur un plan général.

Un corps d’ouvrage aussi intéressant & aussi utile que celui que j’indique ici pourroit l’être, n’existe pas même en Italie, où les Arts ont été cultivés si honorablement par des hommes célèbres dont plusieurs joignoient la connoissance des Lettres à celle de plusieurs Arts qu’ils pratiquoient avec succès. Ce corps d’ouvrage ne peut être vraisemblablement composé que par des sociétés Académiques, dont les Membres distingués écriroient sur les parties auxquelles ils se seroient plus particulièrement attachés. On doit penser que des matériaux de ce genre, mis en œuvre d’après un plan déterminé, rédigés ensuite, & examinés par ceux qui n seroient les plus capables, formeroient un monumens propre à honorer la Nation, les Arts, & à constater l’état des lumières d’un siècle éclairé. Il seroit sur-tout nécessaire, dans ce grand ouvrage, de s’appliquer à rendre les idées parfaitement claires, en expliquant toujours le plus intelligiblement possible, le sens principal & les sens particuliers des termes de l’Art. Il s’agiroit de bien distinguer dans les parties qui regardent la pratique, ce qui est positif, ce qui peut se démontrer & s’exécuter même par des méthodes sûres, d’avec ce qui comporte des élémens trop variés, trop nombreux pour être calculés d’une manière rigoureusement exacte.

Un des premiers fondemens de cet ouvrage seroit donc, par exemple, d’excellens traités de Perspective, rédigés d’après ce qui est le moins compliqué, jusqu’aux objets qui le sont le plus. Il faudroit que les problêmes & leurs démonstrations fussent rendus de manière que l’Elève pût les comprendre sans une trop grande contention, & le Maître y avoir recours dans les ouvrages peu ordinaires & compliqués. La Perspective, comprenant les loix que suit inaltérablement la nature dans l’apparence visible de tous les objets que peut imiter l’Artiste, il est certain que cette connoissance est dans l’ordre théorique, la première, & l’une des plus essentielles. Les loix de la Nature, comme je l’ai dit, sont fixes à cet égard ; ainsi les objets & les plans de ces objets, ainsi que la place où on les suppose, étant une fois établis, leurs apparences, telles qu’elles doivent s’offrir à la vue d’après un point donné, sont inaltérablement fixées, & cette partie scientifique peut être rigoureusement démontrée. Comme il existe déjà un assez grand nombre d’ouvrages, il ne s’agiroit que de rassembler en un seul ce qui se trouve de plus clair, de plus méthodique, de moins compliqué, de moins embarrassé par les calculs & par les termes & figures géométriques, parce que ce seroit à des Peintres, & non à des Géomètres que l’ouvrage classique seroit destiné.

La Perspective aërienne sembleroit, par la dénomination, devoir accompagner la Perspective qu’on appelle linéale ; aussi les joint-on souvent ensemble dans les traités de Peinture ; cependant je lui destinerois une autre place, parce que, si les problêmes que cette perspective offre à résoudre peuvent bien être regardés comme étant de nature à être démontrés, cependant les élémens qui y entrent sont trop nombreux, trop variés, trop peu fixes & sensibles, de manière qu’il faudroit un tems considrablement trop grand, & une sagacité peu commune, pour les soumettre à des règles géométriques & à des procédés rigoureux. En effet pour donner une idée de cette difficulté, qu’on pense que la densité de l’air, au travers duquel passe le regard, est susceptible toute seule d’un si grand nombre de variétés, que l’on ne peut véritablement les


soumettre à des opérations méthodiques. Cependant les nuances, les apparences même des corps reçoivent l’influence de tous les accidens de l’air & ils en reçoivent de tous les accidens de la lumière. Si la seule distance géométrique en décidoit, la perspective aërienne se rapprocheroit de la Perspective linéale ; mais, comme je viens de l’indiquer, une infinité d’autres causes s’y joignent, aussi à quelques règles générales près ; c’est de l’observation, de l’expérience & du raisonnement guidé par l’intelligence de l’Art, que les Artistes qui ont excellé dans cette partie se sont formé leurs systêmes.

Je destinerois, d’après ce que je viens d’exposer, la Perspective aërienne, à être placée dans le nombre des parties qui intellectuellement participent des sciences exactes, mais qui, dans la Pratique de l’Art, ne peuvent comporter que des approximations intelligentes. Mais si l’Artiste ne peut espérer de rendre les objets rigoureusement conformes à toutes les loix de cette perspective, ceux qui s’occupent de cet ouvrage de Peinture sont moins en état encore d’apprécier strictement le plus ou moins de conformité de l’imitation avec la nature.

La seconde base de la Peinture, qui est aussi positive que la Perspective linéale, est l’Anatomie. Je ne répéterai pas sur quelle raison est fondée cette assertion. Plusieurs articles de ce Dictionnaire l’expliquent assez. Nous avons aussi un nombre assez considérable d’ouvrages sur cet objet ; mais dans les uns, ce sujet est traité, si l’on peut parler ainsi, trop anatomiquement : dans quelques autres, trop pittoresquement. Dans les ouvrages anciens, tels que celui d’Albert Dur, dans lequel il traite des proportions qui ne peuvent être fondées que sur les observations anatomiques, ces observations, portées à des détails sans fin, rebutent ceux qui veulent s’en instruire. Il faut bien observer que, dans le nombre des hommes à qui ces ouvrages doivent être destinés, les Artistes ont un intérêt continuel & très-grand qu’en les instruisant on ménage leur tems, & que les Amateurs à leur tour, ont un grand besoin de trouver une telle facilîté à s’instruire, qu’ils se laissent amorcer, pour ainsi dire, & induits à acquérir ce dont la plupart ne croyent avoir besoin, ni pour jouir, ni pour décider.

Dans le grand ouvrage, dont j’esquisse ici le plan, la partie Anatomique comprendroit l’Ostéologie réduite à ce qui est nécessaire à l’Artiste, la Myologie, plus étendue, mais restreinte encore aux objets & aux accidens dont l’influence a lieu sur les apparences visibles. Il seroit à propos que ces différens traités fussent relatifs à des figures gravées avec la plus grande intelligence, & à des figures de ronde-bosse, ou modèles en plâtre qui offriroient dans les dimensions naturelles les différentes couches des muscles qui opèrent sur les corps animés des apparences sans cesse modifiées à notre vue. Il seroit nécessaire encore que l’ouvrage d’Anatomie classique pour les Artistes comprît les représentations d’un choix de figures antiques, dans lesquelles se trouveroient les plus renommées, & que ces mêmes figures fussent exactement représentées successivement dans l’état de squelette & d’écorché, pour faire bien appercevoir la relation de la proportion des parties solides & des parties musculeuses de la première & de la seconde couche, dans les attitudes où les Artistes anciens les ont placés. Ainsi l’on rassembleroit ce qui se trouve épars dans plusieurs ouvrages, quelque fois fort difficiles à trouver, & dont les éditions épuisées se renouvellent sans exactitude. D’ailleurs, les préceptes, les exemples & les nomenclatures examinées avec un soin particulier, sous les yeux d’un corps d’Artistes, & avec les secours d’un Professeur éclairé, établi dans l’institution de l’Académie, ces livres de préceptes qui, par l’approbation authentique des corps instruits, ne laisseroient point de doute sur leur mérite, seroient vraiment ouvrages classiques. Le complément de celui dont il est question en entraîneroit quelques autres qui n’ont point été faits. Tel que seroit, par exemple, un traité avec figures des mouvemens démontrés impossibles, qui seroit la condamnation des attitudes exagérées, auxquelles la nature se refuse, attitudes qu’employent trop souvent les Artistes peu instruits, ou entraînés par un desir de rendre l’expression plus sensible, desir que plusieurs prennent pour l’inspiration du génie.

On démontreroit donc par les loix de l’Ostéologie & de la Myologie, que ces mouvemens, qu’on croit souverainement expressifs, expriment mal, puisqu’ils ne peuvent exister ; que les ressorts, les jointures, les extensions fixés par la charpente du corps humain, ne peuvent se prêter sans restriction à l’imagination, & l’on feroit sentir que ces défauts nuisent absolument à l’expression, parce qu’il est dans la nature des vérités qui, sans être démontrées à l’intelligence, sont appréciées assez juste par une sorte d’instinct & par une secrette conscience, dont nous sommes généralement doués, sans nous en rendre compte.

On ajouteroit à ces objets intéressans, pour la perfection de l’Art, des détails infiniment intéressans, dont nous n’avons que des objets imparfaits, sur les muscles qui expriment des passions simples, sur le concours de ceux qui expriment les passions compliquées, les passions extraordinaires & les bornes que la nature a assignées encore au jeu de ces muscles ; enfin l’Anatomie pittoresque des animaux, qui entrent le plus souvent dans les compositions des Peintres, deviendroit nécessaire pour compléter ce cours fondamental, & les explications, les planches, les renvois aux figures en ronde-bosse, qui seroient exposées dans des salles destinées à cet


objet, s’offriroient au moindre desir des Artistes, comme un moyen d’instruction bien préparé, garanti par la sanction des Maîtres de l’Art, & dont pourroient également profiter les Amateurs de l’Art pour jouir plus complettement des leçons utiles, sonder leurs critiques, leurs observations & leur jugement.

Après ces ouvrages élémentaires, classiques & démontrés, viendroit ce qui regarde la pondération, dont quelques Auteurs-Artistes, tels que Léonard de Vinci, ont savamment écrit ; mais dont les instructions excellentes n’ont pas l’ordre qu’on a droit de desirer, & ne sont pas à beaucoup près aussi complettes qu’il le faudroit.

Cette première division d’ouvrages classiques imprimée serviroit de récompense, ajoutée aux médailles & aux prix d’émulation. Il faudroit regarder à cet égard la prodigalité comme un moyen de répandre dans les Arts & dans la société des idées arrêtées, qui y manquent absolument, & sans lesquelles cependant les opinions générales sans base, & par conséquent arbitraires & flottantes, ne peuvent que contrarier les progrès des Arts, les succès des Artistes, en favorisant le mauvais goût & l’ignorance.

Après avoir rédigé les parties fixes & exactes de l’Art, on penseroit aux parties sur lesquelles on ne peut éclairer d’une part que par des raisonnemens sans démonstrations rigoureuses ; & de l’autre part, d’après le dégré d’intelligence, de disposition, de talent & de génie, de ceux à qui les instructions artielles sont destinées.

Je parle, premièrement des parties constitutives de l’Art, soumises à l’observation intelligente de l’esprit, & soustraites par conséquent à une routine par laquelle commence presque toujours l’existence des Arts, avant qu’ils soient éclairés par la méditation, la comparaison & les connoissances étrangères qui ont le droit de leur offrir des secours.

Cette partie de l’ouvrage classique, établiroit donc des notions de ce qu’on doit entendre intellectuellement par le dessin, la couleur & la composition. Un nombre assez grand de manières d’envisager ces parties, seroient exposées avec ordre & clarté, & celles qui seroient les plus simples, les plus sensibles, conviendroient aux Artistes nés avec une intelligence moyenne, & à ceux que le penchant ou les circonstances accidentelles ont attachées aux ouvrages qui ne demandent pas toutes les ressources de l’esprit & du génie ; les explications plus spirituelles, plus profondes, plus étendues, plus rapprochées des principes généraux des Arts libéraux, plus relatives à leurs nobles destinations, seroient developpées à leur tour, mais en prenant le plus grand soin pour ne pas s’égarer dans des discours vagues, quelquefois assez riches d’expression, & pauvre de sens véritable, dans des idées trop métaphysiques, trop spirituelles, qui, pour les saisir, détachent & éloignent trop l’Artiste de son crayon, de sa palette & de ses pinceaux, le transportent trop de son attelier, dans un cabinet de philosophe. Le défaut des premières méthodes des nobles Arts, est d’etre bornées à des notions trop simples, &, si je l’ose dire, trop matérielles ; le défaut des dernières qu’on cherche à établir, lorsque l’esprit est plus généralement exercé, est l’extrémité opposée, & cette extrémité vicieuse, devient peut-être insensiblement plus contraire aux progrès que la première ; car si les notions de l’Art à sa naissance sont effectivement restreintes & trop bornées ; d’un autre côté, les notions spirituelles deviennent vagues, & finissent par embrasser trop d idées étrangères à l’Art : elles sont ordinairement le fruit des imitations & de l’imagination de ceux qui ne pratiquent pas les Arts, & elles excitent les Artistes à des efforts & à des contentions abstraites, dans lesquelles ils s’égarent : ils ne peuvent guère éviter d’y prendre le goût de ce qu’on appelle subtilités, & le dégoût de la pratique qu’ils trouvent trop indocile d’après leur imagination exaltée. On pourroit comparer les Artistes qui entremêlent avec une juste mesure la théorie & la pratique, à ces hommes vraiment respectables qui méditent sur les vertus, sans cesser de les mettre en pratique, & les Artistes trop livrés aux théories, à ces cénobites, qui ne s’occupoient des vertus qu’en contemplation ; & sans qu’il en résultât d’avantage effectif pour les autres hommes. Le Poëte, l’Orateur, l’homme de goût, peuvent se détacher bien plus aisément du méchanisme des Arts qu’ils exercent, parce que ce méchanisme y tient une bien moindre place. Le discours familier même, lorsqu’on parle de Poësie, d’éloquence, est un exercice de l’Art de la parole, Les Poëtes, les Orateurs, en parlant de poësie d’éloquence, pratiquent ce qui fait l’objet de leurs méditations ; mais le Peintre, le Sculpteur, a beau parler de peinture & de sculpture, il laissera toujours des doutes sur son talent, parce que le public ne sépare point en général, la pratique de ces Arts de leur théorie ; & que les plus beaux discours des Artistes, ne garantisient pas la capacité réelle de ceux qui les tiennent. Je souhaiterois donc que les notions rédigées fussent, autant qu’il est possible, réduites à des idées bien claires, bien justes, & dénuées de tout ce que les Auteurs ne se permettent ordinairement d’y joindre, ; que faute de connoissances bien fondamentales, ou pour éblouir les lecteurs, & mériter le titre d’Ecrivains agréables & spirituels. Le dessin, comme partie constitutive, entraînera à expliquer ce qui regarde la correction, la finesse, la beauté des formes, le caractère des objets, &c.


La couleur exigera qu’on explique les procédés par lesquels l’Art s’efforce, dans cette Partie, d’imiter la nature, les conventions générales, les moyens auxquels on est obligé d’avoir recours, pour imiter la lumière & sa privation ; enfin, la différence qui existe, & qu’on peut développer, jusqu’à un certain point, entre le clair-obscur & la couleur en elle-même.

La couleur est, en général, une de ces parties dont les élémens sont trop multipliés, pour que l’on puisse la démontrer : elle a ses relations avec la nature individuelle, puisque les objets n’ont pas précisément les mêmes tons de couleur, dans certains climats que dans d’autres ; que les modifications des couleurs varient sans cesse par les accidens de l’air, de la lumière, par les oppositions, les rejaillissemens, &c. On feroit voir, bien positivement, que le clair-obscur, qui se rapproche de la perspective aërienne, est, comme elle, une science intellectuellement positive ; mais qu’on ne peut cependant démontrer rigoureusement. Pour en donner des notions-il faudroit donc recourir aux exemples ; & malheureusement ces exemples, tirés des ouvrages des Maîtres qui ont plus profondément étudié & pratiqué méthodiquement cette partie, ne peuvent être mis entre les mains de tout le monde, comme les instructions dont je parle. Un grand nombre de tableaux, les plus renommés, sont fixes, immobiles ; & de plus, changent & se détériorent, ou par leur nature, ou accidentellement, de manière que souvent, après une espace de temps, les inductions qu’on croiroit pouvoir en tirer pour instruire, ne se trouvent plus justes. Aussi, comme je l’ai dit, cette partie est elle une de celles dans lesquelles les notions doivent être le plus méditées, le plus clairement rendues qu’il est possible.

Les Arts, dont il est question dans ce Dictionnaire, ne seroient pas ce qu’on appelle libéraux, si toutes leurs parties constitutives étoient soumises à des démonstrations rigoureuses. C’est par les parties qui ne peuvent se démontrer, mais qui se conçoivent & se sentent, qu’elles appartiennent au Génie & au sentiment. C’est par ces parties que tout homme ne peut être Architecte, comme tout homme pourroit parvenir à être mâçon.

On sent aisément, sans que je m’étende trop sur cette esquisse du plan d’un ouvrage national & académique, que les parties relatives aux connoissances accessoires seroient au moins aussi considérables que les parties relatives aux connoissances constitutives, mais qu’il faudroit qu’elles fussent toujours traitées d’après le même esprit. Ainsi les connoissances morales des affections & des passions des hommes ne seroient pas exposées, comme l’a fait Descartes : il s’est occupé de ce que les passions opèrent intérieurement, de leur origine, de leurs effets spirituels ; le Peintre n’a besoin de savoir que généralement ces principes & cette marche. Il faut donc la lui indiquer & s’arrêter principalement à ce qu’elles opèrent sur les apparences visibles des corps. Les passions, spirituelles par leur nature, prennent un corps, pour ainsi dire, & deviennent matérielles par les expressions des traits, par les mouvemens & les signes que nos membres en éprouvent. C’est-là l’objet intéressant pour les Artistes, & sur lequel ils ont besoin d’être guidés. L’Histoire, traitée pour leur usage, demanderoit que les Rédacteurs eussent la plus grande attention à présenter toujours le plus relativement à l’art de représenter physiquement chaque objet, les faits, les sites, les actions, les couleurs, les formes, les usages, &c. Les faits sont du ressort immédiat de l’Histoire ; les sites, du ressort de la Géographie artielle : car il en est une qu’on n’a point encore traitée ; les mouvemens d’où résultent les différentes actions, ressortissent de l’Anatomie & de la pondération ; les effets ont pour base les deux perspectives : les couleurs & les formes propres des objets appartiennent à la Physique, & leurs modifications, à la science du clair-obscur : enfin, les usages qui embrassent aussi les conventions, constituent & la science du costume & celle des allégories, des attributs & des emblêmes. Je ne reprendrai pas chacune de ces divisions, mais je dirai qu’elles méritent d’être traitées avec beaucoup de méthode, & sur-tout avec une sagacité qui sache présenter chaque notion la plus séparée des autres qu’il est possible, & sous la forme la plus relative à l’Art ; ce qui ne peut s’opérer que d’après les vues, les observations & les instructions que les gens de l’Art intelligens & généralement instruits auront consignés dans le magasin général, que je souhaiterois qu’on formât.

On y joindroit, en complettant l’ouvrage dont il seroit la base, la notice impartiale des Artistes & des écoles ; mais au lieu d’abonder dans ces notices en détail personnel, je voudrois qu’on s’attachât préferablement à la marche de l’Art, à ses progrès, aux circonstances qui y influent, enfin, à distinguer les qualités essentielles qui ont fait la reussite des Artistes dont on parleroit ; à faire appercevoir les parties qui leur manquoient, & l’influence de cette privation sur la perfection à laquelle ils se dirigeoient ; les sistêmes des Ecoles différentes trouveroient leur place dans cette partie de l’ouvrage, & cette portion en-


traineroit les notices & catalogues des productions de tout genre qui ont été célèbres, en observant ceux qui ont péri, ceux qui se sont perdus, ceux qui se détruisent, & offrent déjà des preuves d’une altération malheureusement inévitable, mais souvent accélérée, ou par la faute des Artistes, par le mauvais choix & le mauvais emploi des moyens, ou par la négligence & l’ignorance des possesseurs ou dépositaires des ouvrages des Arts, C’est après cette partie que commenceroit celle où se trouveroient compris tous les détails méchaniques, la nature des substances dont on se sert, des ustensiles, des moyens qu’on employe, l’imperfection d’une partie de ces objets, les qualités bonnes ou perfectibles de quelques-uns, les inconvéniens à éviter, les difficultés qui restent à surmonter, & les recherches qui restent à faire, non seulement dans les moyens dont on use, mais dans ceux qui conviennent à toutes les différentes manières d’opérer. Alors s’ouvriroit une autre carrière à parcourir, en traitant de toutes les branches des Arts du dessin, tant qu’elles conservent assez de libéral, pour n’être pas renvoyées à la classe des métiers. On entreroit, à l’occasion de cette dernière observation, même dans ce que les métiers ou professions qu’on regarde comme purement méchaniques, peuvent admettre, suivant les circonstances, d’idées libérales, qui ressortissent à l’esprit général de l’Art.

Je m’arrêterai, parce que cet article deviendroit enfin trop disproportionné par son étendue, à ceux qui le précèdent & le suivent ; mais je crois devoir présenter comme essentiel au mot dont il s’agit, deux exemples de conférences originales, composées dans l’esprit des Statuts de l’Académie de Peinture, lues à ses assemblées, & que je ne crois pas imprimées, elles sont l’ouvrage de MM. Bourdon & Oudry, Artistes connus & distingués. Elles prouveront qu’il n’est pas nécessaire pour faire des conférences utiles, de s’être exercé dans l’Art d’écrire, ni d’avoir une grande étendue de ce qu’on appelle quelquefois si mal à propos génie ; mais que la connoissance raisonnée de l’Art, la clarté d’un bon esprit, qui est plein de son sujet, & la pureté de son intention sont le plus souvent préférables aux efforts & aux agrémens si rarement placés ou mesurés, qu’inspirent l’imagination & les prétentions de la vanité.