Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Coup

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Panckoucke (1p. 166-167).
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COUP. Au premier coup. On dit un coup de pinceau, un coup de brosse, peindre à grands coups, peindre au premier coup.

Le coup de pinceau ou de brosse est l’action par laquelle, après avoir chargé la brosse ou le pinceau de couleur, on l’applique sur la surface sur laquelle on peint. Cette action désignée par le mot coup, n’est pas absolument celle que l’on exprime par le mot maniement du pinceau, quoiqu’elle y soit comprise. La première suppose plus de promptitude, elle signifie que l’on applique la couleur d’une façon libre, sans hésiter, sans revenir à plusieurs fois ; & en effet on ne distingue le coup de pinceau dans un objet peint qu’autant que l’artiste a opéré de manière à faire connoître le caractère de liberté dont je viens de parler.

L’on ne peint à grands coups que des objets considérables qui comportent cette manière de peindre ; mais tout ouvrage de peinture pourroit à la rigueur être peint au premier coup.

Peindre au premier coup un tableau, une figure, un paysage &c, c’est donc, comme je l’ai dit, le peindre de manière à ne point revenir sur ce qu’on a fait & à ne pas retoucher. C’est ce que dans l’art d’écrire, on appelle composer du premier jet. On doit sentir aisément que cette définition restreint la manière de peindre au premier coup à un usage infiniment-moins général que je n’ai paru le faire entendre d’abord.

En effet tout ouvrage qui exige d’être rendu avec soin, ne peut assurément guere être exécuté au premier coup, & si un artiste peignoit tout ce qu’il exécute au premier coup, ce qui pourroit se faire à la rigueur, la plus grande partie de ses productions seroit très-imparfaite.

On peut dire même qu’il est difficile que quelqu’ouvrage que ce soit puisse être assez parfaitement rendu, si l’on ne revient à plusieurs fois, soit pour se corriger, soit pour parvenir, après avoir ébauche, à terminer chaque partie & souvent à changer d’après les réflexions & l’observation de son ouvrage, ce qui paroît y manquer.

La manière dont je parle semble donc & est effectivement réservée aux études particulières que l’on fait sur la nature même, parceque d’une part la nature vivante, par exemple, ne peut rester assez immobile pour qu’on puisse revenir à plusieurs fois, & que si l’on peint d’après nature hors de l’attelier & en plein air ; les lumières changent trop de moment en moment, pour qu’il soit possible de revenir à plusieurs reprises sur son travail, pour mieux rendre l’effet qu’elles produisent.

Il est donc alors nécessaire de peindre souvent le plus promptement qu’il est possible, & comme on dit au premier coup ; mais quelquefois cette manière a rapport au caractère particulier du peintre, à l’habitude qu’il s’est formé. Il est tel artiste qui ne fait jamais mieux qu’en peignant au premier coup & comme l’inspire la nature ou l’imagination ; de même il est tel Auteur qui ne compose jamais mieux que lorsqu’il travaille de premier jet & d’inspiration. Ces caractéres d’esprit, de génie ou de talent, se réfroidissent par la lenteur des moyens méthodiques que les autres employent pour rendre leurs ouvrages plus parfaits. Ils ôtent à leurs productions, en y travaillant à plusieurs fois, cette fleur du génie, cette liberté qui les manifeste, ce feu dont la promptitude conserve toute sa vivacité. Si ces Auteurs sont contraints à revenir sur leurs pas, la pesanteur, la contrainte, le froid, désignent les soins laborieux qu’ils ont pris pour rendre plus conformément aux règles & aux principes de l’art, leurs ouvrages.

Je ne prétens, en exposant ces dispositions inhérentes à certains talens, ni les approuver, ni les exclure. La nature qui répand sur les productions qu’imite la peinture, une variété inépuisable, la répand aussi sur les dispositions qu’elle donne aux artistes, & les condamne souvent à s’y astreindre, sans que le raisonnement, l’instruction, la conviction qui résultent des méthodes artielles, puissent vaincre le pen-


chant & l’habitude, ni procurer un succès plus grand.

Pour revenir à la pratique dont je viens de parler, les esquisses, les premieres pensées comportent presqu’essentiellement d’être exécutées au premier coup : je dirai encore qu’une infinité d’études, d’ouvrages même, inspirés par des sentimens prompts ou d’amitié ou d’amour, tels que des portraits, des évènemens singuliers dont on est témoin, des circonstances personnelles, enfin des amusemens de société, comportent & demandent souvent même d’être exécutés au premier coup pour avoir tout le mérite qu’on peut y desirer. Le sentiment ne peint qu’au premier coup, & il est dangereux, si l’on ose porter plus loin cette image, d’y retoucher. Le cœur qui sent à deux fois, on qui, pour sentir, revient sur lui-même, ne s’exprime bien, ni en peignant des sentimens, ni en se livrant à ce qu’ils inspirent ; mais la nature qui conduit le sentiment a bien de l’avantage a cet égard sur l’art qui conduit le Peintre. L’une est le modèle & l’autre artiste. (Article de M. Watelet.)