Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Découpé

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Panckoucke (1p. 180-182).
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DÉCOUPÉ. Un objet découpé, une figure découpée, un grouppe découpé sont des manières de parler qui désignent dans un ouvrage de peinture une sécheresse de contours, ou bien une crudité de ton, par l’effet desquelles un objet, une figure, un grouppe se détachent du fond du tableau plus qu’ils ne paroîtroient s’en détacher dans la nature.

Pour bien comprendre ce qui occasionne principalement ce défaut, il est nécessaire de se rappeller ou d’observer que, dans la nature éclairée, les objets se détachent bien à la vérité les uns des autres, ou les uns sur les autres, par les variétés de couleur, par les oppositions de ton, & par celle des lumières & des ombres ; mais que ces manières de se détacher sont toujours adouies & rendues harmonieuses, soit par l’effet général de l’air qui se trouve entre les objets & l’œil du spectateur, soit par la portion d’air qui circule près des contours, soit enfin par les reflets & les rejaillissemens de tons & de lumières, au moyen desquels chaque objet participe, sur-tout à ses extrémités, des jours & des couleurs qui l’avoisinent.

En général, on peut dire que rien n’est tranchant dans les apparences colorées que la nature présente à nos regards : les couleurs, les nuances, les teintes se joignent & s’unissent d’une manière douce qui ne blesse point l’organe de la vue.

Quant aux objets imités par l’artiste, ils peuvent, comme je l’ai dit, paroître découpés & tranchans, ou par la sécheresse de trait, ou par le contact peu ménagé de couleurs discordantes, & quelquefois difficiles à accorder, ou par des ombres trop prononcées, ou quelquefois encore par les changemens qui arrivent aux couleurs, changemens occasionnés par leur nature physique & l’effet du tems.

Ce dernier accident peut être regardé à certains égards comme indépendant de l’artiste ; mais il provient souvent aussi du peu de soin qu’il met à bien choisir & à bien employer ses couleurs. Je vais reprendre avec plus de détail ces causes qui font paroître plus ordinairement dans un tableau certains objets découpés.

La sécheresse du trait (la plus générale de ces causes) provient ou d’une mauvaise habitude de dessiner & de peindre, ou quelquefois aussi du désir qu’a l’artiste de faire paroître la connoissance qu’il a des formes & des contours. S’il s’attache trop à se montrer dessinateur exact, il ne se montre plus ni assez pointre, ni assez juste observateur des effets du clair-obscur & de l’harmonie.

En effet, s’il se conduisoit d’après l’observation, il auroit remarqué que les traits qui désignent le contour des formes du modèle qu’il imite, sur quelque fond qu’il l’ait placé, se prononcent, s’adoucissent, se font voir ou disparoissent, relativement à certains accidens & à certaines circonstances. J’appelle accidens les différentes courbures du contour qui le font participer plus ou moins de la lumière & de l’ombre : j’appelle circonstances les diverses oppositions où se trouve ce contour avec les nuances du fond. Ces diverses oppositions viennent ou des couleurs & des tons variés de ce fond, ou des objets qui s’y rencontrent. Cette observation est infiniment essentielle aux jeunes artistes qui commencent à dessiner, & sur-tout à peindre. C’est d’après elle qu’on peut & qu’on doit, en les instruisant, leur démontrer les principes de ce qu’on appelle légèreté du trait, justesse de touche, contours ressentis ou adoucis ; enfin la science qui fait imiter


en dessinant & en peignant, les contours & les formes des objets visibles, tels qu’ils se montrent dans la nature.

Si les objets d’un tableau paroissent découpés par l’effet du rapprochement & du contact de certaines couleurs qui sont trop tranchantes, c’est un défaut que le peintre peut éviter, & qui tient aux connoissances plus ou moins réfléchies de l’harmonie colorée. On peut penser, & l’on dit quelquefois qu’il existe de l’inimitié entre certaines couleurs, comme on admet de l’antipathie entre certains objets ; quant aux couleurs, la nature sait les rendre amies, & elle les réconcilie à nos yeux par l’effet du clair-obscur, des reflets & de l’interposition de l’air.

L’imitation de ces moyens fait partie de la science du peintre, & son art lui permet encore de hasarder quelquefois certaines ruptures de couleurs qui ôtent de celles qui sont trop discordantes une crudité plus sensible dans le tableau que dans la nature, parce que le tableau ne peut jamais être aussi nuancé qu’elle.

La troisième cause qui fait paroître les objets d’un tableau découpé est l’obscurité trop forte & trop égale des ombres. La nature des couleurs qu’on employe pour imiter l’ombre, contribue le plus souvent à ce défaut. Les bruns & les noirs dont se sert le peintre poussent (pour me servir du langage de l’art) c’est-à-dire, deviennent de plus en plus opaques & foncés. Si, pour former ses ombres, l’artiste employe certaines couleurs plus sujettes à ce changement, le défaut s’accroît avec le tems, & les objets peints avec les couleurs claires qui se chargent moins, ou qui quelquefois s’affoiblissent, deviennent plus découpés qu’ils ne l’auroient été sans cette négligence : plus les couleurs que le peintre employe seront à cet égard de mauvaise qualité, plus il doit craindre les mauvais effets qui peuvent en résulter. La chymie pourroit & devroit s’occuper du perfectionnement des couleurs nécessaires à la peinture ; mais au défaut de ce secours, le peintre doit choisir au moins dans les couleurs connues celles qui sont plus solides, c’est-à-dire, moins sujettes à changer : il doit même estimer le degré des changemens inévitables, & sur-tout ne pas charger ses ombres qui acqueront avec le tems assez d’obscurité ; il doit enfin se rendre propres les soins, & l’art de ceux d’entre les artistes dont les ouvrages ont gardé le plus long-tems leur accord.

Songez d’après ces notions, vous qui commencez à pratiquer l’art, que plus vous voudrez affecter d’être dessinateurs corrects, en prononçant votre trait, & en découpant, pour ainsi dire, par-là vos figures, moins vous vous montrerez peintres. On prise cette pretention dans un dessin, & cependant il y en a qui, bien que faits par de très-habiles artistes, méritent d’être critiqués à cet égard : leur exemple est souvent dangereux.

Le peintre doit toujours avoir dans l’esprit, même en dessinant, de donner l’idée de l’air & du mouvement ; s’il est occupé sans cesse de ces deux points importans, les figures qu’il peindra ne ressembleront pas à des statues, & ces objets ne seront pas découpés & tranchans.

Tout peintre qui, par une autre erreur, se fie à l’obscurité des fonds & au tranchant des lumières & des ombres, pour faire sortir ou pour dégager ses figures, oublie qu’il peint, & pense sans doute qu’il ne fait que dessiner avec des couleurs. (Article de M. Watelet.)