Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Draper

La bibliothèque libre.
Panckoucke (1p. 199-201).
◄  Doux
Draperie  ►

D R

DRAPER, couvrir une figure de draperies. Pour bien draper, il faut que les plis soient grands., & en petit nombre, parce que les grandes formes produisent les grandes masses d’ombres & de lumières, & parce que de petites formes multipliées égarent la vue & partagent l’attention. Si le caractère des vêtemens & des étoffes exige de petits plis, ils doivent au moins être distribués par grouppes, ensorte qu’un grand nombre de petits plis ne soient que des parties subordonnées d’une même masse formée par un pli principal, & que les plis subalternes ayant moins de profondeur, ne nuisent pas à l’effet général de la lumière.

Nous avons observé ailleurs que les couleurs des draperies peuvent contribuer à l’harmonie du tout ensemble & suppléer aux effets que le clair-obscur ne peut produire seul. Ajoutons que les principes du clair-obscur doivent présider ou règler du moins l’art de draper. Si l’on ombroit trop fortement les plis des étoffes qui couvrent les membres frappés de la lumière, il sembleroit que ces plis entrent dans ces membres eux-mêmes & les coupent.

Les draperies contribueront à la vie, au caractère, à l’expression des figures, si tous les mouvemens des plis annoncent le mouvement plus vifou plus tranquille de ces figures. La couleur & le genre des étoffes concourront à l’expression générale : on n’introduira pas des draperies fines & brillantes dans un sujet triste ou terrible. Thyeste ne sera pas vêtu de couleurs gaies dans le moment où il entend en quelque sorte gronder dans ses entrailles les chairs de son fils qu’il vient de dévorer. La couleur des vêtemens de Porcie ne rejouira pas les yeux, lorsque l’ame du spectateur doit être saisie de tristesse, en la voyant avaler des charbons ardens. Mais dans un sujet qui ne doit inspirer que de la gaieté, toutes les draperies seront brillantes & légères.

Les draperies doivent aussi s’accorder avec l’âge & le caractère des figures qu’elles revêtent. Des couleurs gaies, de légères étoffes conviennent à la jeunesse ; des couleurs sombres, des étoffes épaisses à l’âge avancé. Un personnage grave & austère ne sera pas vêtu comme un personnage léger ou voluptueux. Une princesse majestueuse, une sage mère ne se confondront point par leurs vêtemens avec une courtisanne.


Si l’on objecte que la nature ne s’accorde pas généralement avec ces principes, on répondra que ces principes se rapportent à l’idéal de l’art, & que c’est à l’idéal que l’art doit sa perfection.

L’artiste représente— t-il une figure qui vole dans l’air ; il doit faire reconnoître par la draperie si elle monte ou si elle descend. Si elle monte, une colomne d’air supérieur pèse sur la draperie ; si elle descend, une colomne d’air inférieur la soutient & la soulève. Les plis posés sur chaque membre, & le jeu général de la draperie doivent aussi indiquer si la figure est en action ou si elle vient d’être en action, si l’action est à son commencement ou à sa fin, si le mouvement a été lent, vif ou violent. Tout cela tient à l’observation, à l’imitation de la nature, mais en même temps tout cela tient à l’ideal, puisqu’on ne peut le copier sur la nature. L’artiste ne peut pas poser, pour le copier à loisir, un modèle qui s’envole, qui court, qui se re, mue avec plus ou moins de violence.

« La richesse des draperies & des ornemens qui sont dessus, dit de Piles, fait une partie de leur beauté, quand le peintre en fait faire bon usage. »

Sensible à l’éclat de l’école Vénitienne, de Piles aimoit les étoffes riches & ornées. Il avoit cependant le bon esprit de sentir que ces ornemens, ces fleurs, ces dessins des étoffes ne convenoient pas aux vêtemens dont on couvre les divinités, & que leurs draperies ne doivent être riches que de la grandeur & de la noblesse des plis qu’elles forment. Cette juste observation auroit pu le conduire plus loin & lui faire reconnoître que, dans les sujets qui portenten eux-mêmes leur grandeur, ces ornemens sont également déplacés, que ces sujets ne doivent être parés que de leur propre noblesse & de l’expression qui leur convient, & que l’art subalterne des fabriquants d’étoffes n’est pas digne, dans le genre sublime, de s’associer avec l’art de la peinture.

Si quelquefois le peintre fait un usage discret des belles étoffes, c’est parce qu’elles offrent de beaux tons & de beaux plis, & non parce qu’elles sont ornées de belles fleurs. Il ne doit pas oublier enfin que, dans les sujets de l’histoire ancienne, il ne peut guère employer les étoffes de soie sans pécher contre le costume, puisque, dans l’antiquité, elles n’étoient fabriquées que par les Seres.

La vanité se pare, la vraie grandeur est simple, & c’est la grandeur véritable que le grand peintre doit représenter : c’est la belle nature physique & morale qui est l’objet de son imitation. L’idéal de l’art ne consiste pas à faire Hélene riche, mais à la faire balle. Moins un sujet aura d’ornemens étrangers, & plus il sera beau si l’artiste a du génie. Une belle femme, noblement drapée d’une étoffe simple, sera bien plus noble dans un tableau, que si elle étoit chargée de perles, d’or & d’étoffes précieuses. Quelquefois, dans la nature, un Roi cherche à soutenir sa majesté par la richesse de ses vêtemens ; mais, dans l’art, un Roi ne doit être grand que de sa majesté personnelle, & c’est cette majesté que l’artiste s’efforce d’exprimer. Assuérus est moins paré & logé moins richement, mais il est bien plus grand dans le tableau du Poussin que dans celui de Troyes.

Il est inutile de recommander aux peintres de ne pas se livrer à faire des draperies de pratique ; c’est-à-dire, sans consulter la nature. Il y en a eu qui prétendoient savoir les draperies par cœur ; mais on ne peut douter que la nature ne leur eût offert, dans cette partie si variée bien des : choses qu’ils ne savoient pas, ou qui ne se représentoient pas à leur mémoire.

L’usage de l’Ecole Romaine qui dessinoit les draperies d’après nature, & les peignoit d’après ces dessins, ne doit pas être adopté par les coloristes, parce que la nature, suivant le caractère des étoffes, produit des tons & des lumières qui donnent à l’ouvrage plus, de perfection & de vérité. Cependant Raphaël, qui s’est conformé à cet usage, est resté le premier maître dans l’art de jetter les draperies & de donner aux plis le plus bel ordre. Il est même parvenu, dans cette partie, jusqu’à la beauté idéale. Il est enfin le plus grand peintre de draperies, comme les Vénitiens sont les plus grands peintres d’étoffes.

Ecoutons sur la manière de drapper de ce grand artiste, un artiste qui l’a beaucoup étudié, le célèbre Mengs.

Raphael, dit-il, imita d’abord la manière de draper du Pérugin son maître ; il perfectionna cette manière en étudiant les ouvrages de Masaccio, & sur-tout de Fra-Bartolomeo, & quitta entièrement le goût de l’école d’où il étoit sorti quand il eût vu l’antique. Ce fut dans les bas-reliefs de l’antiquité qu’il découvrit le grand goût du jet des draperies, & il ne tarda pas à l’introduire.

Il découvrit, par les principes des anciens, que le nud est la partie principale, que les draperies doivent être seulement regardées comme une partie accessoire, & qu’elles sont destinées à le couvrir & non à le cacher ; qu’elles doivent être nécessaires & non de caprice ; que par conséquent le vêtement ne doit être ni trop étroit, parce qu’il gêneroit les membres, ni trop ample, parce qu’il les embarrasseroit, mais que l’artiste doit le conformer à la grandeur & a l’attitude de la figure qui est censée le porter.

Il comprit que les grands plis doivent être placés sur les grandes parties du corps, & ne doivent pas être hachés par de petits plis subordonnés ; que quand la nature du vêtement


exige ces petits plis, il faut leur donner peu de faillie, afin qu’ils cèdent toujours à ceux qui indiquent des parties principales.

Il fit donc ses draperies amples, sans plis inutiles, avec des courbures à l’endroit des articulations. Ce fut la forme du nud qui lui indiqua celle des plis de la draperie, & sur de grands muscles il formoit de grandes masses. Quand une partie s’offroit en raccourci, il la couvroit du même nombre de plis qu’elle eût eu si elle avoit été droite, mais il présentoit ces plis en raccourci comme la partie qu’ils couvroient.

Il se garda bien de donner à une draperie volante, & qui ne couvroit rien, la forme ou la grandeur de quelque partie du corps. Il y établissoit des yeux grand, & profonds, & donnoit aux plis des formes qui n pouvoient faire d’équivoques avec celles, d’a cumembre.

Il ne, cherchoit pas à placer des plis élégans ; mai, des plis nécessaires à bien représenter la partie qu ils couvoient. Les formes en sont aussi differentes que le sont entr’elles celles des muscles. Jamais elles ne sont ni rondes ni quarrées.

Il a donné aux parties saillantes de plus grands plis qu’à celles qui fuyent, & n’a jamais placé de grands plis sur une partie raccourcie, ni de petits plis sur une partie développée.

C’étoit sur les inflexions qu’il plaçoitles grands yeux & les coupes profondes. Il évitoit que deux plis d’une même forme, d’une même grandeur, se trouvassent à côté l’un de l’autre.

On voit que l’air est la cause générale du mouvement de ses draperies volantes ; elles ne sont pas, comme ses autres draperies, tirées & applaties par leur poids.

Il a laissé appercevoir quelquefois les bords de ses draperies, pour montrer que ses figures ne sont pas habillées d’un simple sac. La forme des parties principales, & le poids spécifique de l’air sont les causes de ses plis.

On reconnoît dans ses ouvrages, par les plis de la draperie, quelle étoit, l’instant d’auparavant, l’attitude de la figure, & si, par exemple, un bras étoit étendu ou replié avant l’action actuelle. C’est une expression qu’il a toujours cherché à rendre, parcequ’elle est dans la nature ; c’est aussi dans la nature qu’il faut l’étudier : on ne la trouveroit pas dans le repos parfait du mannequin.

Quand les draperies ne couvrent les membres qu’i demi, & qu’elles ne couvrent, par exemple, qu’imparfaitement une jambe ou un bras, il a eu soin qu’elles coupassent obliquement le membre qu’elles laissent en partie découvert.

Ses plis sont de forme triangulaire. La cause de cette forme est dans la nature : toute draperie tend à s’élargir & s’étendre, & comme en même tems son propre poids l’oblige à se replier sur elle-même, elle s’étend d’un autre côté, ce qui forme des triangles. Il a reconnu que les mouvemens du corps & de ses membres sont les causes de la situation actuelle de la draperie & de la formation de ses plis : toute sa pratique n’est qu’un développement & une démonstration de cette théorie, & toute manière de draper contraire à cette observation sera vicieuse. (Article de M. Levesque).