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Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Draperie

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Panckoucke (1p. 201-203).
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DRAPERIE. Dans l’art de la Peinture, dont le but est d’imiter tons les corps qui tombent sous le sens de la vue, l’objet le plus noble & le plus intéressant est la représentation de l’homme. L’homme, par un sentiment qui naît ou de la nécessité ou de l’amour-propre, a l’usage de couvrir différentes parties de son corps : l’imitation des différentes moyens qu’il employe pour cela, est ce qu’on désigne plus ordinairement par le mot draperie ; mais comme les peintres qui choisissent la figure humaine pour le terme de leurs imitations, sont divisés en plusieurs classes, l’art de draper me paroît susceptible d’une division par laquelle je vais commencer.

Peindre la figure est une façon générale de s’exprimer, qui s’applique à tous ceux qui s’exercent à peindre le corps humain. Les uns entreprennent, d’imiter particulièrement les traits du visage & l’habitude du corps, qui nous font distinguer les uns des autres, & cela s’appelle faire le portrait. Les autres s’attachent à imiter les actions des hommes, plutôt que le détail exact de leurs traits différens ; mais ces actions sont de plusieurs genres : elles sont ou nobles ou communes, ou véritables & historiques, ou fabuleuses & chimériques, ce qui exige des différences dans la manière de draper. Les draperies doivent donc en premier lieu être convenables au genre qu’on traite, & cette loi de convenance qui, en contribuant à la perfection des beaux-arts, est destinée à retenir chaque genre dans des bornes raisonnables, ne peut être trop recommandée aujourd’hui à ceux qui les exercent. Il seroit à souhaiter que, gravée dans l’esprit du peintre de portrait, elle le fût aussi dans l’esprit de ceux qui se sont peindre ; ces derniers choisissant un vêtement convenable à l’état qu’ils exercent, éviteroient des inconséquences & des contrastes bizarres & ridicules, tandis que le peintre assortissant les étoffes, les couleurs & l’habillement à l’âge, au tempérament & à la profession de ceux qu’il représente, ajouteroit une plus grande perfection à ses ouvrages, par un ensemble & une convenance sur lesquels il doit fonder leurs succès.

Le second genre dont j’ai parlé & qui s’exerce à représenter desactions communes, mais vraies, se sous-divise en une infinité de branches qu’il est inutile de parcourir. En général, les peintres de cette classe doivent conformer leurs draperies aux modes régnantes, en donnant aux


vêtemens qui sont à l’usage des acteurs qu’ils font agir, toute la grace dont ils sont susceptibles, & la vérité qui peut en indiquer les différentes parties.

Je passe à l’ordre le plus distingué : c’est celui des artistes qui représentent des actions nobles, vraies ou fabuleuses ; on les appelle peintres d’histoire. Cette loi de convenance que j’ai recommandée, les oblige à s’instruire dans la science du costume. Cette exactitude historique fera honneur à leurs lumières & rejaillira sur leur talent ; car sans entrer dans une trop longue discussion, je dois dire à l’avantage des artistes qui observent avec succès la sévérité du costume, que très-souvent la gêne qu’il prescrit, s’étend sur l’ordonnance de la composition. Le génie seul est capable de surmonter cette difficulté en alliant l’exactitude de certains habillemens peu favorables aux figures, avec la grace qu’on est toujours en droit d’exiger dans les objets imités.

Ce n’est pas assez que les draperies soient conformes au costume de l’action représentée, il faut en second lieu qu’elles s’accordent au mouvement des figures ; troisièmement, qu’elles laissent entrevoir le nud du corps, & que, sans déguiser les jointures & les emmanchemens, elles les laissent deviner & sentir par les dispositions des plis.

Reprenons cette division, qui embrassera les préceptes qui me paroissent les plus essentiels sur cette partie.

L’exactitude du costume ne doit pas être portée à un excès trop gênant ; pour ne pas tomber dans cet abus, le peintre doit éviter également de s’en rapporter sur ce point aux savans qui font leur unique étude de l’antiquité, & aux gens du monde qui n’ont presque aucune idée de cette partie intéressante de l’histoire. Si, trop docile, il consulte ces hommes frivoles qui ne jugent que par un sentiment que les préjugés falsifient & qui, bornés au présent, n’ont jamais ajouté à leurs jouissances le tems. passé ni l’avenir, il habillera Cyrus indifféremment à la Romaine ou à la Grecque, & Caton, plein de l’idée de l’immortalité, se poignardant pour ne pas survivre à la République, sera paré du déshabillé d’un François de nos jours. D’un autre côté, le savant, critique, qui, passant sa vie à approfondir les, points épineux d’une érudition obscure, a émousse en lui le goût des arts & les sensations des plaisirs qu’ils procurent, sera plus choqué de voir dans un tableau manquer quelque chose aux armes que portoient les Horaces, qu’il ne sera touché de la vérité de leur action. Le milieu que le peintre peut garder, est de donner à une nation, aux Romains par exemple, les vêtemens qu’ils portoient dans les tems les plus célèbres de la République. Il seroit injuste d’exiger de lui ces recherches longues & pénibles par lesquelles il pourroit suivre toutes les nuances que le luxe a répandues successivement sur les habillemens de ce peuple fameux. Il aura même encore plus de liberté, lorsque le sujet d’histoire qu’il traitera, remontera à des siècles moins connus, & les tems fabuleux lui laisseront le droit d’habiller suivant son génie les dieux & les héros dont il représenteta les actions. J’ajouterai qu’un peintre est plus excusable, quand, ne consultant point le costume d’une nation, il lui donne des draperies idéales, que lorsqu’il lui prête celles d’un peuple fort différent. L’ignorance peut passer à la faveur de l’imagination, comme on voit un sexe aimable nous faire excuser ses caprices par les graces dont il les accompagne.

La seconde division de cet article renferme un précepte plus général que le précédent. Les draperies doivent être conformes au mouvement des figures qui les portent ; elles doivent l’être aussi au caractère du sujet que l’on traite.

Peu de personnes, à moins qu’elles ne soient initiées dans les mystères de l’art de peindre, imaginent de quelle importance est dans une composition la partie des draperies. Souvent c’est l’art avec lequel les figures d’un sujet sont drapées, qui est la base de l’harmonie d’un tableau, soit pour la couleur, soit pour l’ordonnance. Cet art contribue même à l’expression des caractères & des passions ; & si quelqu’un venoit à douter de cette dernière proposition, qu’il réfléchisse un montent sur ce que les habits des hommes qui se présentent à nos yeux, ajoutent ou ôtent continuellement dans notre esprit a l’idée que nous prenons d’eux. Dans l’imitation des hommes, l’habillement concourra donc, avec l’expression de la figure, à confirmer son caractère ; conséquemment un ministre de la religion auquel vous voulez donner une expression respectable, sera vêtu de façon que les plis de ses draperies soient grande, nobles, majestueux, & qu’ils paroissent agités d’un mouvement lent & grave. Les vêtemens des vieillards auront quelque chose de lourd, & leur mouvement sera foible, comme les membres qui les agitent ; au contraire, le voile & la gaze dont une nymphe est à demicouverte, sembleront le jouet des zéphirs ; & leurs plis répandus dans les airs, céderont à l’impression d’une démarche vive & légère.

J’ai dit que cette disposition des draperies, & leurs couleurs, renfermeroient souvent la clef de l’harmonie d’un tableau. Je vais rendre plus claire cette vérité, que ceux qui ne sont pas assez versés dans l’art de peindre, ne pourroient peut-être pas développer.

L’harmonie de la couleur dans la peinture, consiste dans la variété des tons que produit la lumière & dans l’accord que leur donnent les jours & les ombes. Il est des couleurs qui


se sont valoir, il en est qui se nuisent ; en général, les oppositions dures que produisent les couleurs tranchantes ou les lumières vives & les ombres fortes, brusquement rapprochées, blessent les regards, & sont contraires aux loix de l’harmonie. Le peintre trouve des secours pour satisfaire à ces loix, dans la liberté qu’il a de donner aux étoffes les couleurs propres à lier ensemble celles des autres corps qu’il représente, & à les rendre toutes amies. D’ailleurs, pouvant disposer ses plis de manière qu’ils soient frappés du jour, ou qu’ils en soient privés en tout ou en partie, il rappelle à son gré la lumière dans les endroits où elle lui est nécessaire, ou bien il la fait disparoître par les ombres que la saillie des plis autorise.

Il en est de même de l’harmonie de la composition ou de l’ordonnance du sujet. S’agit-il de groupper plusieurs figures ? Les draperies les enchaînent pour ainsi-dire, & viennent remplir les vuides qui sembleroient les détacher les unes des autres ; elles contribuent à soutenir les regards des spectateurs sur l’objet principal, en lui donnant, pour ainsi-dire, plus de consistance & d’étendue : elles lui servent de base, de soutien par leur ampleur. Un voile qui flotte au gré des vents, & qui s’élève dans les airs, rend légère la composition d’une figure, & la termine agréablement. Mais c’en est assez sur le second précepte ; passons au dernier.

Les draperies doivent laisser entrevoir le nud du corps &, sans déguiser les jointures & les emmanchemens, les faire sentir par la disposition des plis. Il est un moyen simple pour ne point blesser cette loi, & les excellens artistes le pratiquent avec la plus sévère exactitude. Ils commencent par dessiner nue la figure qu’ils doivent draper ; ils avouent que, sans cette précaution, ils seroient sujets à s’égareu, & qu’ils pourroient ajouter ou retrancher, sans s’en appercevoir, à la proportion des parties dont le contour & les formes se perdent quelquefois dans la confusion des plis.

La draperie n’est donc pas un moyen de s’exempter de l’exactitude que demande l’ensemble d’une figure ni de la finesse qu’exige le trait.

Qu’un raccourci, difficile à dessiner juste, embarrasse un artiste médiocre, il croit cacher sa négligence ou sa paresse sous un amas de plis inutiles. Il se trompe : l’œil du critique éclairé remarquera le défaut, plutôt qu’il n’auroit fait peut-être, par l’affectation qu’on a mise à le cacher, & ceux en plus grand nombre, qui jugeront par sentiment, seront toujours désagréablement affectés de ce qui n’est pas conforme à la nature. Le meilleur parti est de surmonter la difficulté du trait par une étude sérieuse du nud ; alors la draperie devenue moins contrainte, prendra la forme que lui prescrira le contour des membres, & ses plis simples & débrouillés n’auront rien qui embarrasse les regards ; cependant, comme il est peu de préceptes dont on ne puisse abuser, en les observant trop rigoureusement, il faut, en cherchant à se conformer à celui-ci, c’est-à-dire, en s’efforçant de faire sentir le nud au travers des draperies, ne pas tellement serrer chaque partie du corps, que les membres gênés semblent servir de moule aux étoffes qui y paroîtroient collées. Evitez avec un semblable soin de donner aux vêtemens une telle ampleur, qu’une figure paroisse accablée sous le poids des étoffes, ou que, nageant, pour ainsi dire, dans une quantité de plis, elle ne paroisse que l’accessoire, tandis que les draperies deviendroient l’objet principal.

C’est ici l’occasion de réfléchir un moment sur l’usage de ces petites figures, que les peintres nomment mannequins ; parce que cet usage sembleroit devoir être au moins toleré pour l’étude des draperies : il semble même être consacré pour cet objet, par l’exemple de quelques habiles peintres, qui en ont fait un usage assez grand, comme le Poussin ; mais si l’on doit juger de la bonté d’un moyen, n’estce pas en comparant les inconvéniens qui peuvent en résulter, avec l’utilité qu’on en peut retirer ? si cela est, je dois condamner une pratique dangereuse pour un art qui n’a déja que trop d’ecueils à éviter. Mais entrons dans quelques détails.

Les peintres qui avouent qu’on ne peut parvenir à dessiner correctement la figure qu’en l’étudiant sur la nature, trouvent moyen de surmonter dans cette étude la difficulté qu’oppose à leurs efforts cette mobilité naturelle qui fait qu’une figure vivante ne peut demeurer dans une assiette invariable ; ils surmontent aussi celle de l’instabilité de la lumiere, qui, pendant qu’ils peignent une figure nue, se dégrade, s’affoiblit ou change à tout instant. Comment ces mêmes artistes regardent-ils comme insurmontables ces mêmes difficultés, lorsqu’ellesont pour objet l’étude d’unedraperie ? pourquoi la fixer sur une représentation incorrecte, froide, inanimée, &, dans l’esperance d’imiter pins exactement la couleur & les plis d’un satin, renoncer à ce feu qui doit inspirer des moyens prompts de représenter ce qui ne doi être que peu d’instant sous les yeux ?

Ce n’est pas tout : l’artiste s’expose à donner enfin dans les pièges que lui tend une figure, dont les formes ridicules parviennent insensiblement à se glisser dans le tableau & à rendre incorrectes, ou froides & inanimées, celles que le peintre avoit empruntées d’une nature vivante & régulière. Qu’arrive-t-il encore ? L’étoffe étudiée sur le manequin, & bien plus terminée que le reste du tableau détruit


l’unité d’imitation, dépare les différens objets représentés, & ce satin, si patiemment imité, offre aux yeux clairvoyans une pesanteur de travail, ou une molesse de touche qui fait bien regretter le tems qu’un artiste a employé à ce travail ingrat. C’est Titien, Paul Véronèse, & sur-tout Vandick qi’il faut suivre. Les draperies de ce dernier sont légères, vraies & faites avec une facilité qui indique un artiste supérieur à ces détails. Examinez de près son travail & sa touche : vous voyez combien peu les étoffes les plus riches lui ont coûté ; à la distance nécessaire pour voir le tableau, elles l’emportent sur ses plus patiens & les plus froids chefs-d’œuvre de ce genre. Le moyen d’arriver à ce beau faire, est d’étudier cette partie en grand, & de donner à chaque espèce d’étoffe la touche qui en rappelle le caractère sans se laisser égarer & se perdre dans la quantité de petites lumières, de demi-teintes, d’ombres que présente une draperie immuable apprêtée sur un mannequin, & posée trop prés de l’œil.

Je vais finir par une réflexion sur la maniere de draper des sculpteurs anciens. Presque toutes leurs figures paroissent drapées d’après des étoffes mouillées. Ces étoffés sont distribuées en différens ordres de petits plis, qui laissent parfaitement distinguer les formes du corps ; ce qui n’est cependant pas si général, qu’il n’y ait quelques exceptions, & qu’on n’ait trouvé des morceaux de sculpture grecque traités dans une manière plus large pour les draperies, & telle qu’elle convient à la peinture. En conseillant aux peintres de ne pas imiter servilement l’antique dans la manière de draper, il s’en faut bien que je prétende la blâmer. Les anciens sont assez justifiés par ce qui est arrivé quelquefois à nos statuaires, lorsque voulant affecter une grande manière & des plis grands & simples, ils ont laissé le spectateur incertain, si ce qu’il voyoit étoit l’imitation des accidens d’un rocher ou des plis flexibles d’une étoffe. En effet, rien n’ètant plus éloigné de la flexibilité & de la légèreté d’une gaze ou d’un taffetas, que l’apparence que nous offre une surface de pierre ou de marbre, il faut choisir dans les accidens des draperies ce qui doit caractériser davantage leur souplesse & leur mobilité, sur-tout ne pouvant y ramener l’esprit par l’éclat, la variété des couleurs & par le jeu de la lumiere. (Article de M. Watelet).