Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Historique

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Panckoucke (1p. 416-419).
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HISTORIQUE. (adj.) On dit le genre de l’histoire, le genre historique, la poësie du genre historique. C’est cette poësie qui fera sur-tout l’objet de cet article.

On désigne en peinture, par le mot histoire, ou genre historique, l’art d’exprimer avec élévation & avec choix les actions des Dieux, & celles des hommes que leur célébrité a places au-dessus des hommes ordinaires.

Tous les genres de peinture, même les plus communs, doivent parler aux yeux. Il en est d’un style bas qui savent récréer, instruire & quelquefois émouvoir ; mais en ne nous offrant que la représentation de scènes, dont les modèles peuvent se montrer à nos yeux. Cette dernière distinction est ce qui caractérise spécialement ce qu’on appelle les genres proprement dits, & ce qui les fait différer de ce qu’on nomme l’histoire. Non-seulement l’imitation des fleurs, des fruits, & d’autres objets inanimés, doivent être rangés dans la classe des genres, mais encore les scènes champêtres ou domestiques, les sujets de marine ou de guerre sont des genres, parce que la composition n’en est pas poétique, que dans l’exécution tout y est fait d’après des objets communs, & que le résultat en est de rendre simplement la nature.

Le devoir du peintre d’histoire, est d’élever l’ame par la noblesse du sujet, & par la grandeur du style, & de présenter à notre esprit tout ce qu’il peur concevoir au de-là même de ce qui est possible.

Ainsi point de tableaux d’histoire sans poësie. C’est de ce genre qu’on a voulu parler, quand on a dit, que la peinture est une poësie muette : muta poësis dicitur (Dufresnoy, de arte graphicâ)….

On doit traiter l’histoire en peinture comme un sujet héroïque dans l’art des vers :

Nil parvum, aut humili modo,
Nil mortale loquar……

Ces mots d’Horace, signifient en langage de peinture : “je ne m’occuperai pas de sujets obscurs & rampans ; & je ferai des hommes au-dessus de l’homme même”. Ainsi bien loin d’astreindre le peintre d’histoire à la fidélité d’un biographe ou d’un historien, on doit exiger qu’il traite les sujets à la manière d’Homère, ou d’Euripide.

Ce que nous posons ici comme principe, pourtoit être regardé comme systême, si nous ne prouvions, par des exemples irrécusables, que la peinture d’histoire ne peut avoir lieu sans poësie, que cette qualité seule lui donne de la clarté, du mouvement, & en constitue le vrai caractère.

Citons d’abord un tableau de la galerie où Rubens a représenté divers traits de la vie de Marie de Médicis. Cet artiste, vraiment peintre d’histoire, avoit à représenter la mort de Henri IV, & la régence donnée à la Reine. Avant que de parler de son ouvrage, supposons que ce sujet soit proposée à un artiste qui ne connoisse ni les droits, ni l’étendue de l’art. D’abord, il ne concevra pas qu’on puisse placer le corps du Roi dans le même tableau, où se fait l’élection de la régente. Ajoutons à la supposition que cependant on l’exige de lui : alors, d’un côté il fera voir Henri mort sur un lit, entouré d’officiers de cour ; & de l’autre, l’assemblée d’un conseil où présidera la Reine. Or, cette peinture sans unité d’action, ne désignera ni le héros, ni le sujet de l’assemblée.

Voyons à présent comment il falloit peindre ce sujet, pour le rendre intelligible & digne des principaux acteurs. Le corps du Roi Henri est enlevé & porté au nombre des Dieux qu’on


apperçoit dans l’olympe, par le Temps & par Jupiter. En effet ; c’est par le Temps, que toutes choses sont déterminées, c’est par le maître des Dieux, que les héros reçoivent la récompense des grandes actions, & qu’ils deviennent immortels. La Gloire & la Renommée, au milieu des trophées d’armes que Henri a laissés sur la terre, s’affligent de sa perte, & regrettent de n’avoir plus de si hauts faits à publier. Cette partie du tableau toute morale, amene la régence donnée à Marie de Médicis. Cette Reine en longs habits de deuil, accompagnée de la Prudence & de la Sagesse, reçoit des mains de la France la boule du gouvernement. Les grands du royaume, se prosternant autour de son trône, paraissent l’assurer de leur zèle & de leur soumission. On voit comment ce tableau, par la disposition des figures qui le composent, devient clair & exprime divers événemens, sans cependant diviser l’action.

Ce n’est pas que nous prétendions que l’allégorie soit essentielle dans une scène pittoresque, pour la rendre poëtique ; nous sommes loin de cette pensée, & nous n’avons apporté en exemple, le tableau de Rubens, que pour montrer que si la poësie allégorique peut contribuer à la clarté du sujet, ja poësie simple, celle qui n’introduit pas d’êtres purement métaphysiques, doit à plus forte raison, le rendre en même temps, & plus piquant & plus facile à comprendre.

Proposons un sujet où la poësie simple puisse augmenter l’intérêt d’un fait historique. Ce sera si l’on veut, le miracle de la manne, nourrissant les Israëlites dans le désert.

Un esprit froid & littéral, se contentera de présenter la figure de Moyse, disant au peuple d’Israël. « Voilà le pain que le seigneur vous donne à manger. » Les Israëlites mangeront, & seront occupés à recueillir la manne pour leur journée, car tout cela est du texte. Mais le Poussin, qui a prouvé par tant d’ouvrages que le peintre doit-être poëte, même quand il s’agit de rendre les vérités historiques, admet, indépendamment des figures dictées par l’historien, une fille faisant partager à sa mère le lait de son sein, nourriture que son enfant réclame avec larmes, comme un bien qui n’est qu’à lui. Mais hélas c’étoit la seule ressource qui restoit à cette malheureuse fille pour appaiser un peu la faim d’une mère cherie, puisqu’elle n’avoit pas encore apperçu la chute de la manne. Poussin, fait voir deux jeunes gens qui se disputent cette nourriture, en se battant : caractère de la vivacité de leur âge, & sur-tout d’un appétit que l’on ne croit jamais pouvoir assouvir.

Ces deux grouppes, qui n’ont pas été sugérés par l’historien, répandent sur le sujet un touchant intérêt, une variété piquante, & indiquent poetiquement que la manne a été envoyée du ciel dans un temps de famine.

Si, malgré ces exemples, on persistoit à prétendre que les tableaux d’histoire doivent suivre fidelement les faits historiques ; qu’y ajouter de nouvelles idées, changer la disposition de la scène, c’est dénaturer les sujets ; si on veut qu’enfin la peinture d’histoire, soit enchaînée par la lettre du texte historique ; que les raisonneurs créent donc de nouveaux grands-maîtres, & qu’ils produisent des moyens inconnus jusqu’ici, pour instruire par l’art de peindre.

Il nous reste à prouver la nécessité du choix dans les formes, & dans la couleur des objets qui doivent composer un tableau d’histoire. Il est étonnant que la nécessité de ce choix n’ait pas été sentie, ou du moins ait semblé ne pas l’être, par des artistes qui doivent connoitre le prix des statues antiques, & des chef-d’œuvres de l’école Florentine, & de l’école Romaine ; & il est encore surprenant qu’en négligeant ce choix, ils aient réduit cette négligence en principe. Mais tel est l’abus du raisonnement de la part d’hommes peu instruits. Ils ont dit : le tableau doit-être une copie de la nature, la seule tâche du peintre est de chercher à l’imiter telle qu’elle est ; s’il y parvient, il a atteint son but, & prétendre l’embellir, est une chimérique prétention. Ce raisonnement n’est point applicable à l’art de peindre l’histoire. Les faits que cet art représente, ne sont pas sous nos yeux, ils ne sont transmis à notre pensée que par le récit des historiens ; c’est notre imagination seule qui s’en forme des tableaux, & c’est aussi l’imagination que l’art doit satisfaire. Ainsi, quand l’ouvrage de l’artiste doit m’offrir un Apollon, les idées que je me suis faites de cette figure céleste, ne peuvent être égalées par le portrait le pies exact d’un beau jeune homme qui aura servi de modèle à l’artiste. Pourquoi ? c’est qu’il n’est point de jeune homme dans la nature, qui réunisse toutes les beautés dont mon esprit aura formé celles d’Apollon. Comment donc représenter ce dieu ? Les Grecs nous l’ont appris : c’est en rassemblant toutes les beautés éparses dans diverses figures de jeunes hommes, & composant de ces beautés, comme dans la figure sublime du Belvèdere, un ensemble plu, parfait que la nature même, prise dans le plus bel individu. De ce raisonnement découlent deux vérités bien remarquables ; la première, c’est que l’excellence offerte par l’art, n’est point purement idéale, mais qu’elle est le résultat du talent de bien copier la nature choisie. La seconde c’est qu’elle suppose dans l’artiste capable de ce choix, plus de connoissances,


plus de justesse & infiniment plus de goût que dans celui qui copie servilement la nature comme elle se rencontre sous ses yeux. Et voilà ce qui constitue le grand style, le style propre à l’histoire. Remarquons en passant que, par rapport aux formes & aux proportions, le sculpteur est astreint aux mêmes loix que le peintre d’histoire.

Mais, dira-t-on, de très-grands artistes n’ont pas connu ce choix de formes, & leurs ouvrages n’en sont pas moins très-précieux. Vaine objection. Les artistes qu’on cite pour exemple, n’ont pas été de vrais peintres d’histoire, ou bien s’ils tenoient à quelques égards à cette classe, c’étoit par la poësie & la grandeur de leurs compositions, & par la simplicité & la force de leur coloris. Car le style historique embrasse toutes les parties de l’art ; & l’on place, par indulgence, dans la classe de l’histoire, des ouvrages où ce style ne règne que dans quelques parties, pourvu du moins qu’elles soient capitales.

D’après la thèse que je viens d’établir, un homme instruit, en voyant le très-beau tableau du cabinet du Roi, représentant les vendeurs chassés du temple, ne rangera pas Jacques Jordaens au nombre des peintres d’histoire. En effet, la composition de ce tableau, est tellement embarrassée d’objets accumulés les uns sur les autres, que, sans une figure qui offre à-peu-près le caractère convenu pour celles du Christ, il seroit impossible de découvrir le sujet. Cette figure elle-même est dans une attitude si basse & si gauche, qu’on doute de sa dénomination & de son action. Les autres figures du tableau vétues à la flamande, dans lus attitudes les plus triviales, & sous les formes les plus communes, n’ont rien qui ne sente le marché d’Anvers. Quant au coloris, les détails qui en sont charmans pour un tableau de genre, nuiroient à un sujet d’histoire, par le brillant des teintes qui attaqueroit trop vivement l’œil du spectateur. Car on ne sauroit trop le dire, c’est dans la simplicité des teintes, comme dans celles des formes, que réside principalement la grandeur du style qui doit être celui de l’histoire, & qui caractérise bien plus son essence, que le choix du sujet. En effet, un sujet peut-être puisé dans l’histoire, & devenir, par la manière dont il est traité, une véritable bambochade, un simple tableau de genre.

Cependant comme nous l’avons déja insinué on est à-peu-près généralement convenu de ranger dans la classe des peintres d’histoire, des artistes qui n’ont pas eu, dans toutes les parties, le style propre de l’histoire, mais qui l’ont possedé du moins, dans quelques parties capitales, & dans un dégré éminent. Ainsi par la grandeur de ses effets, par la richesse, la poësie, & l’abondance de ses compositions, Rubens y tient sa place & y occupe même un rang très-distingué, comme Paul-Veronèse par la magnificence de ses ordonnances. Le Tintoret a des masses, & des partis d’effet si imposans ; son dessin même à un stile si grand, ses attitudes sont si faciles, qu’il peut être réputé peintre d’histoire, malgré la bisarrerie de ses inventions, & les incorrections de ses proportions & de ses formes. ([1]) Enfin on ne refuse pas même ce rang à Jacques Bassan, quoiqu’il ait adopté des attitudes communes, & des caractères de têtes aussi peu nobles ; parce que son coloris étoit simple, ses teintes puissantes & ses effets larges & bien cadencés. Les ouvrages de ce grand peintre, se sont peu conservés : mais dans ceux qui ont le moins noirci, on peut voir la raison de l’estime qu’il à obtenue de ses contemporains. P. Véronèse, lui en a donné un témoignage non équivoque, en lui confiant pendant plusieurs années l’éducation pirtoresque de Carletto-Cagliari son fils.

Mais quels qu’aient été les talens de tous ces hommes à qui l’on ne peut guère, je crois, refuser le titre de peintres d’histoire, reconnoissons du moins que la prééminence de ce titre, doit être réservée à ceux qui se sont distingués par l’excellence du dessin & de l’expression. Quelle doit être en effet la science des artistes qui peuvent courir cette carrière d’une manière distinguée ? Combien toutes les parties qui composent le corps humain doivent leur être connues, pour disposer à leur gré de tous ses mouvemens, de toutes ses proportions, de toutes ses affections suivant l’âge, le rang, le pays & l’état physique des sujets qu’ils veulent rendre ? Etude réflechie sur les monumens antiques ; connoissance approfondie de la partie d’anatomie, où résident les organes des mouvemens ; chaleur de pensée pour les caractères, sentiment pour la peinture des passions ; détails sur les costumes : tel est


à-peu-près, sur l’objet seul de la figure humaine, ce que doit posséder le peintre d’histoire, dans les parties propres à l’art du dessin. Car l’architecture, la perspective, l’histoire de tous les pays, la connoissance de beaucoup de branches d’histoire naturelle, sur-tout d animaux, & des végétaux, la mythologie, les usages, les instrumens civils militaires & religieux, des peuples anciens & modernes ; toutes ces branches & bien d’autres que j’admets, ne peuvent être regardées que comme des connoissances accessoires aux parties spéciales qui constituent le peintre du grand genre, considéré comme dessinateur. Qu’on y joigne actuellement le mérite du coloris propre à chaque sujet & aux divers espaces, & on aura une idée de l’art de peindre l’histoire, & de ce qu’on est en droit d’en attendre. (Article de M. Robin).

  1. M. Reynolds n’a pas précisément exclu du genre de l’histoire les artistes que cite ici l’auteur de cet article ; mais il a divisé ce genre en deux classes La première, bien supérieure à l’autre, est composée des maîtres qui ont joint la profondeur de pensée, la grandeur d’expression, la simplicité de composition, à la pureté des formes, & dont le coloris sage ne fait que rendre plus puissante encore l’expression générale. La seconde classe, longo sed proxima intervallo, est composée des peintres qu’il nomme d’apparat, & qui séduisent le spectateur par la magnificence du spectacle & par l’éclat du coloris. Il range dans cette classe Rubens, Paul Véronèse, &c. & prouve que même les qualités qui ont fait la gloire de cet artistes, seroient nuisibles au premier genre, qu’on pourroit appeller le genre pur & expressif. On tireroit à-peu près le même résultat des écrits de Mengs, d’où il faudroit conclure que le premier, le vrai genre de l’histoire, est celui que, pendant long-temps, presque tous les artistes de l’Europe semblent être convenus d’abandonner. (Note de l’Editeur.)