Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Homme

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Panckoucke (1p. 419-421).
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HOMME (subst. masc.) L’homme a été vrai semblablement l’unique objet de l’art naissant, & il est resté le principal objet de l’art perfectionné. Le premier sauvage qui a tracé maladroitement un contour, ou qui a grossièrement représenté le relief d’une figure, a cherché, dans ses travaux informes, à imiter la figure humaine ; car c’est de l’homme que l’homme a toujours été le plus occupé.

Ne connoissant rien de plus parfait que lui-même, il a donné aux deux qu’il a imaginés une forme humaine. Le dieu suprême, pour le sauvage encore brut, est l’homme d’en haut, l’homme qui roule & lance le tonnerre, l’homme qui loge sur les montagnes. Homère pour exprimer les dieux, dit souvent ceux qui habitent les maisons de l’Olympe.

C’est le besoin qui a inspire les arts nécessaires à la vie ; c’est la religion qui a donné naissance aux beaux arts. Les premières représentations que l’homme ait essayées furent celles de ses dieux, & par conséquent des imitations de la figure humaine, puisque c’étoit cette figure qu’il prêtoit aux dieux.

S’il a dans la suite imité des animaux, des plantes, cette imitation avoir pour objet de suppléer à l’écriture qu’on ne connoissoit pas encore. Tels furent les caractères hiéroglyphiques des Egyptiens.

Mais cette sorte de représentation fut très-imparfaite, parce que l’art étoit encore sauvage. Quand il commença à se perfectionner, on avoit déja trouvé l’écriture alphabétique. Il ne s’occupa donc pas à perfectionner le supplément de l’écriture, parce que ce supplément devenoit inutile.

L’art fut encore assez long-temps consacré à la religion, c’est-à-dire, à représenter les dieux qui avoient des figures humaines. Ensuite il se proposa de perpétuer le souvenir des grands hommes ; ce fut donc l’homme qu’il continua d’imiter.

Ce premier objet des arts, en fut toujours presque l’unique objet chez les Grecs ; les Romains, leurs élèves, ne firent que marcher sur leurs traces & les suivre de loin. Aussi ne peut-on donner aucune preuve que les anciens aient réussi dans l’imitation du paysage. Du moins ce qu’on voit de paysages & de fabriques dans leurs bas-reliefs est-il d’une imitation fort imparfaite. S’ils ont plus approché de la vérité dans l’imitation de quelques animaux, c’est que la structure des animaux se rapproche de celle de l’homme, & qu’il ne faut pas une très-longue étude à celui qui fait représenter la figure humaine, pour passer à la représention d’un animal. Cependant on ne peut prouver par aucun monument que les anciens aient réussi aussi bien que les modernes dans la représentation des chevaux, quoique leurs sculpteurs eussent des occasions fréquentes de faire des quadriges.

On a lieu de soupçonner aussi que les anciens n’ont pas été si loin que les modernes dans la couleur & le clair-obscur, & cette imperfection apparente peut avoir été chez eux le résultat d’une réflexion profonde. Ces artistes philosophes auront bientôt reconnu qu’il est absolument impossible à l’art de parvenir à une parfaite imitation de la nature dans ces deux parties & sur-tout dans la première ; & au lieu de s’obstiner à poursuivre ce qu’ils ne pouvoient atteindre, ils se seront contentés pour ces parties d’une apparence vraisemblable. C’est ainsi qu’ils seront sagement convenus de borner leurs études les plus sérieuses à l’imitation des formes & à l’expression.

Ces bornes apparentes qu’ils donnèrent à l’art, en le renfermant dans l’imitation de l’homme, leur en firent étendre en effet les limites ; car les deux grands moyens de parvenir aux plus brillans succés, sont, de ne point partager ses efforts, & de savoir bientôt renoncer à faire des efforts inutiles.

Ce n’est point en effet se borner, que de se restreindre à l’imitation de l’homme ; c’est donner à l’art l’objet le plus beau qu’il puisse se proposer ; c’est lui offrir le but qu’il est le plus difficile d’atteindre ; c’est lui présenter la palme la plus glorieuse qu’il puisse recueillir.

Aussi, quoique nos idées sur l’art soient fort différentes de celles des anciens, nous avons toujours conservé la supériorité au genre qui se propose de représenter l’homme dans tous ses mouvemens, & dans toutes ses affections, & c’est ce que nous appellons le genre de l’histoire.

Et qu’est-ce que la représentation, je ne dirai pas d’une fleur, d’un fruit, d’un arbre, d’un paysage ; mais d’un mer en fureur, d’un ton-


nerre enflammé, des convulsions le la nature, & du bouleversement de cette nature insensible, comparée à la représentation de l’homme jouissant du calme de la sagesse, ou, agité par l’orage des passions ? Toutes les autres imitations me laissent froid, si celle de l’homme n’y est pas associée. Je vois en’peinture, un vaissaeu tourmenté par la tempête, un arbre, un édifice, renversés par la foudre, un pays entier bouleversé par un tremblement de terre : j’admire l’adresse de l’artiste, je suis étonné de ce qu’il a si bien menti, lorsque son art ne lui permettoit pas d’atteindre à l’exacte vérité : mais s’il veut m’émouvoir & parler à mon ame, qu’il représente l’homme voyant, du rivage, son fils près d’être submergé, l’homme qui frémit de crainte, lorsque que la foudre a frappé, l’arbre sous lequel il cherchoit un asyle, l’homme fuyant la terre qui l’a vu naître, & qu’un tremblement va détruire.

Mais sans doute, l’artiste qui a consacré ses principales études à représenter toujours imparfaitement, mais cependant d’une manière séduisante, la foudre, une tempête, un tremblement de terre & les théâtres de ces phénomènes, n’a pu étudier l’homme assez profondément, pour représenter toute la beauté de ses formes, & toute l’énergie des affections qu’il éprouve à ces différens spectacles. Je serai donc bien plus fortement remué par l’artiste supérieur, qui, ayant fait de l’homme sa principale & même son unique étude, ne fera que m’indiquer le tonnerre, la tempête, le tremblement de terre, & me représentera, dans toute leur perfection, les formes & l’expression de l’homme qui est témoin de ces phénomènes.

Il est donc certain que les artistes de l’antiquité avoient choisi la plus grande, la plus belle partie de l’art ; & s’ils ont surpasse les modernes dans cette partie, on peut dire qu’ils leur ont été supérieurs dans l’art.

Méprisons encore les anciens maîtres de l’art : rions de ce qu’ils ignoroient ce qu’ils n’ont pas voulu connoître : énorgueillissons-nous de nos avantages dans des parties subalternes : je crois voir un adroit faiseur d’acrostiches, un patient remplisseur de bouts rimés, vouloir usurper le trône d’Homère.

Les anciens, peut-être, n’auroient pas représenté un coup de tonnerre aussi bien qu’un de nos paysagistes ; mais ils auroient représenté le Dieu qui lance la foudre, & j’aurois frémi au seul aspect de ses sourcils : ils n’auroient point, par le fracas de ce que nous appellons une grande machine, représenté le jugement dernier, ou la chûte des anges ébelles ; mais ils auroient représenté le Juge des anges & des hommes, & mon œil timide auroit pu soutenir à peine cette imposante représentation. Ils auroient moins occupé mes yeux, & peut-être mon esprit ; mais ils auroient dominé sur mon ame. C’est donc l’homme que l’art doit sur-tout étudier, s’il veut exercer sir l’homme l’empire le plus puissant. (Article de M. Levesque.)