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Encyclopédie méthodique/Economie politique/ALGER

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Panckoucke (1p. 108-110).
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ALGER, (l’état d’). Il est borné à l’est par celui de Tunis, au nord par la méditerranée, à l’occident par les royaumes de Maroc & de Tasilet, & terminé en pointe vers le midi. Ce pays est le plus grand de ceux qu’on trouve sur les côtes de Barbarie ; on lui donne communément 200 lieues de long sur une largeur très-inégale il occupe le terrein de la Numidie & des deux Mauritanies des anciens. Les géographes y comptent 18 provinces ; mais nous croyons pouvoir ici les réduire à trois, savoir Tlemsan, Titterie & Constantine : elles forment trois gouvernemens confiés à trois beys ou lieutenans généraux, qui commandent un certain nombre de troupes, cantonnés dans ces provinces.

Gouvernement d’Alger. La forme du gouvernement est aristocratique & militaire. La souveraine puissance réside dans le divan ou conseil d’état, qui est composé, sur-tout à Alger, de plus de mille personnes ; chaque officier des janissaires y donne sa voix. À la tête du divan est le dey, que l’on peut comparer, à certains égards, au doge de Venise. Le dey est élu par les janissaires. Le gouvernement d’Alger est sous la protection de la Porte dont il est tributaire.

Le dey regne despotiquement sur les maures ou naturels du pays & sur les arabes ; ces derniers vivent sous des tentes. Les maures & les arabes sont, à proprement parler, les sujets d’Alger ; ce sont eux qui en composent les troupes, tant d’infanterie que de cavalerie, & c’est sur eux que se lèvent les taxes qu’il plaît à la régence d’exiger : cette régence est fort orageuse. On l’a vue dans l’espace de vingt ans déposer deux de ses deys, & en égorger quatre. Elle ne ménage pas même le bacha que le grand seigneur lui envoie ; si ce bacha, dont les fonctions se bornent à lever le tribut, déplaît à la régence, les algériens le chassent ou le déposent : « alors, dit le prince, Centemir, Constantinople ne dit mot, crainte de révolte. »

Histoire politique du gouvernement. Ce pays, qui eut jadis ses rois particuliers, fut conquis successivement par les romains, par les vandales & par les arabes. L’expédition malheureuse de Charles-Quint en 1541, a rendu Alger célèbre. Le grand seigneur en a été long-temps le maître. Mais les concussions des bachas, produisirent une révolution. Ce fut le corsaire Barberousse qui donna la liberté à Alger[1]. Depuis cette époque, le dey est regardé, non pas comme le souverain, mais comme le chef de la régence.

Revenus d’Alger. La maniere dont Alger perçoit ses revenus ordinaires, annonce toute la violence de son gouvernement : des soldats envoyés chaque année dans les provinces, y font l’office de collecteurs des taxes ; cette méthode est simple, mais elle prouve que le souverain est dans un état perpétuel de guerre avec ses sujets. Les revenus ordinaires montent à 600 mille ducats ; on exige ensuite des droits de chaque vaisseau pris & amené par les corsaires ; & l’on sait que ces corsaires courent sus aux vaisseaux de toutes les nations chrétiennes, qui n’ont pas des traités avec Alger.

En 1665, ils prirent environ 2000 vaisseaux aux anglois. Ils entretiennent au moins vingt vaisseaux de guerre bien montés & bien approvisionnés. Les prisonniers qu’ils font sont menés en esclavage ; & on ne peut les en tirer que par de fortes rançons. Ils ont eu quelquefois jusqu’à quarante mille de ces esclaves. Le trésor d’Alger est très-considérable, & on le garde soigneusement.

Réflexions sur la piraterie des algériens. Le brigandage des corsaires d’Alger, qui seroit nuisible à des nations commerçantes, est devenu, par la constitution du gouvernement, le soutien des forces & de la marine d’Alger.

Alger tire de ses pirateries les richesses de son commerce extérieur, car elle vend, sur-tout à l’étranger, les cargaisons des prises & des esclaves.

Commerce d’Alger. Le commerce d’Alger est moins considérable que celui de Maroc. Les anglois, les françois & les juifs de Livourne, le font en concurrence. Les deux premières nations envoient sur leurs vaisseaux, & la derniere sous pavillon neutre, des draps, des épiceries, des papiers, des quincailleries, du café, du sucre, des toiles, de l’alun, de l’indigo, de la cochenille ; & reçoivent en paiement des laines, de la cire, des plumes, des cuirs, des huiles, & les cargaisons des prises. Les retours, quoique d’ailleurs plus forts que les expéditions, ne passent pas annuellement un million de livres. La moitié est pour la France ; & ses rivaux se partagent à peu près le reste.

Indépendamment de ce commerce, qui appartient tout entier à la capitale, il se fait quelques affaires à la Calle, à Bonne & à Coullou, trois autres ports de la république. On auroit vu ce commerce s’étendre & s’améliore, s’il n’avoit pas été soumis à un monopole & à un monopole étranger. D’anciennes stipulations, qui ont été assez communément observées, ont livré cette vaste côte à une compagnie exclusive établie à Marseille. Ses fonds sont de douze cens mille francs ; & son commerce annuel, qui peut monter à huit ou neuf cens mille, occupe trente ou quarante bâtimens. Elle fait ses achats de grain, de laine, de corail & de cuirs avec de l’argent. On peut prédire que ses opérations diminueront à mesure que l’exportation du bled, d’une province à l’autre, rendra l’approvisionnement de la Provence plus facile.

Monnoies. La valeur des espèces n’est pas toujours la même ; elle varie selon les besoins du gouvernement ; mais cette variation est très-peu considérable. Toute personne convaincue de contrefaire des aspres & des sultanines algériennes, est condamnée au feu ; mais celui qui ne répand que des piéces étrangères fausses, est obligé seulement, si la fraude est découverte, d’en donner de bonnes à la place. Lorsque l’on a des sommes considérables à recevoir, on emploie des courtiers qui trompent tout le monde, excepté ceux qui les payent. Ce sont des maures très-fripons & très-adroits, qu’un long usage a rendu habiles à discerner les pièces fausses. Ils se placent ordinairement au coin des rues, & changent toutes sortes de monnoies, sans autre profit que celui de mettre quelques mauvaises piéces parmi les bonnes.

« Dans le gouvernement despotique, dit M. de Montesquieu, ce seroit un prodige si les choses y représentoient leur signe : la tyrannie et la méfiance font que tout le monde y enterre son argent ».

Aussi à Alger, chaque pere de famille a-t-il un trésor enterré. Voyez Logier de Tassis, histoire du royaume d’Alger.

Loix & usages relatifs au commerce. Les banqueroutes sont punies de mort. Celui qui se trouve dans l’impossibilité de satisfaire ses créanciers, doit, pour éviter la rigueur de la loi, livrer à leur discrétion ses biens & sa personne. Les dettes des marchands chrétiens qui ont fait faillite, sont acquittées par le consul ou le corps de la nation.

Si un capitaine de vaisseau veut faire quelques présens à des turcs en place, pour les engager à accélérer l’expédition de ses affaires, il doit déclarer qu’il ne s’engage à rien pour l’avenir ; autrement ces turcs ne manquent pas d’insister à chaque voyage sur le même présent, quoique le même cas ne subsiste plus. Ils appellent ceci demander l’usage. Lorsque l’on le refuse, ils le réclament devant le cadi, qui le confirme, s’il n’a pas été conditionnel ; & l’on peut, d’après cette bassesse, se former une idée de l’administration & du pays d’Alger.

Les marchandises des maures, des turcs & des juifs payent douze & demi pour cent de droit d’entrée, & deux & demi de droit de sortie. Le gouvernement a accordé aux anglois une diminution ; ils ne payent plus que cinq pour cent d’entrée, & deux & demi de sortie. Les françois ont obtenu la même faveur par le traité de paix conclu avec le dey le 16 Janvier 1718. Le droit sur l’argent importé est toujours de cinq pour cent, à la réserve de celui de la rédemption, qui n’en paye que trois. Les vins & les eaux-de-vie payent indistinctement quatre piastres courantes par pipe.

La compagnie du Bastion de France a tous les ans le privilége de deux vaisseaux d’un port réglé, & libre de tous droits. V. Bastion de France.

Le consul françois qui réside à Alger, est le juge de toutes les contestations civiles & criminelles qui s’élèvent parmi les françois. Ses sentences sont exécutées nonobstant l’appel, lorsqu’elles n’infligent pas de punition corporelle ; mais il faut qu’il se rende caution des événemens. Les esclaves de sa nation, maltraités par leurs maîtres, réclament ses secours. Il n’a point la liberté de faire le commerce ; cette liberté est accordée au consul anglois, qui fournit la plupart des munitions de marine ou de guerre dont Alger a besoin, & qui reçoit en échange, de l’huile, du bled & d’autres marchandises, dont l’exportation n’est souvent permise qu’à lui.

Les états d’Europe, qui n’ont jamais voulu se réunir pour empêcher les pirateries des barbaresques[2], ont pris le parti de faire avec eux une paix toujours mal affermie. Les grandes puissances mettent ici beaucoup de politique dans leur conduite ; elles cherchent à se conserver la navigation libre & à la rendre difficile aux petites puissances, aux villes anséatiques, aux villes d’Italie & aux nations du nord. L’Angleterre favorise en quelque sorte la piraterie des barbaresques ; comme elle possède Gibraltar sur le détroit, elle leur accorde le passage dans l’océan, & elle reçoit même leurs vaisseaux dans ses ports. Au reste, pour obtenir d’Alger un traité de paix, il faut lui payer une espèce de tribut, ce que font les vénitiens & d’autres puissances. (Voyez les conditions de la trêve conclue en 1763, entre les algériens & les vénitiens). La régence reçoit d’ailleurs fort honnêtement les envoyés des puissances chrétiennes. Le dey leur donne audience, & il observe le droit des gens à leur égard.

On ne doit pas donner à ces mots une acception trop rigoureuse ; car le moindre prétexte suffit à la régence d’Alger pour violer le droit des gens de la manière la plus odieuse & la plus barbare. On se rappelle ce qui arriva en 1763 au consul de France à Alger. Des corsaires algériens s’étoient emparés de la Calle, établissement que les négocians de Marseille possédoient, où ils faisoient la pêche du corail, sous les ordres de M. Villet, gouverneur de la colonie. Quelques bâtimens françois coulèrent à fond une galère algérienne, sans avoir voulu sauver, dit-on, un seul homme. Le dey d’Alger ordonna de mettre sur le champ le consul françois aux fers, & tous les négocians de la même nation. Ils y restèrent un jour, ils n’en sortirent qu’à la sollicitation, du consul anglois. Cette violation du droit des gens fut accompagnée de beaucoup d’outrages ; il y a lieu de croire que les algériens se permirent ces cruautés insolentes, parce qu’ils comptoient sur la foiblesse des françois, qui venoient de terminer une guerre très-malheureuse. Une escadre françoise étoit devant Alger, & alloit venger cet attentat, lorsque les différends entre la cour de Versailles & la régence algérienne furent terminés par les soins du chevalier de Fabry, commandant l’escadre du roi très-chrétien, & de M. de Valliere, consul de sa majesté auprès de la régence.

Par l’article 6 du traité d’amitié, conclu entre la France & la régence d’Alger le 16 janvier 1764, cette régence a promis de ne plus se formaliser, s’il survenoit des combats entre ses corsaires & les bâtimens françois ; elle s’est engagée de plus à ne faire aucun mal aux envoyés ou consuls qui résideront dans ses états.

On peut voir dans le Dictionnaire de M. Robinet la copie du traité, signé le 8 septembre 1726, entre la Hollande & la régence d’Alger, & la copie d’un autre traité conclu entre l’empereur des romains, & la régence d’Alger, le 8 mars 1727.

  1. Voyez l’article Afrique
  2. Voyez l’article Barbaresques.