Encyclopédie méthodique/Physique/ADHÉRENCE

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ADHÉRENCE ou ADHÉSION. Ce terme vient du mot latin adhœrentia, adhœrere, ad hœrere, être attaché à quelque choſe ; c’eſt l’état de deux corps qui ſont joints & tiennent l’un à l’autre, ſoit par leur propre action, ſoit par la compreſſion de quelques fluides extérieurs. On confond ordinairement l’adhérence avec la cohérence ou cohéſion ; cependant il me paroît qu’on doit les diſtinguer. L’adhérence déſigne une force d’union qui s’exerce par les ſurfaces des corps de différente ou de même nature, & la cohérence a plus de rapport à une force d’union qui a lieu entre les diverſes parties d’une même ſubſtance. C’eſt par l’adhérence que des particules d’air s’attachent à la ſurface de la plupart des corps ; c’eſt par la cohérence que des parties du bois, des pierres & des métaux, ſont jointes entr’elles. La force, par laquelle des corps adhèrent entr’eux, eſt moins conſidérable que celle qui fait cohérer les parties des ſubſtances entr’elles. Un corps, compoſé d’un grand nombre de parties, ne peut exiſter ſans cohérence ; mais il peut être ſans adhérence avec un autre corps : une de ces forces paroît donc eſſentielle & l’autre accidentelle. Nous parlerons de la Cohérence ou Cohésion, à l’article de ce nom, auquel nous renvoyons ; nous traiterons ici de l’adhérence ou adhéſion.

Il eſt peu de corps, à la ſurface deſquels l’humidité qui eſt toujours répandue dans l’air, n’adhère plus ou moins ; leur ſuperficie eſt conſtamment couverte d’une vapeur aqueuſe, très-foible dans les temps ſecs, & très-marquée dans les temps humides : l’air même, pendant les vents les plus ſecs, contient de l’humidité, & en communique néceſſairement à tout ce qui eſt plongé dans l’atmoſphère ; car les obſervations faites avec l’hygromètre ne permettent pas de douter que l’air, ſur-tout celui qui eſt près de la ſurface de la terre, ne contienne une aſſez grande quantité d’eau. Voyez l’article eau contenue dans l’air, au mot Air. Ainſi on ne peut point douter que tous les corps plongés dans l’atmoſphère, & l’humidité qui y eſt répandue, ne ſoient ſoumis entr’eux à une force d’adhérence, quelle qu’en ſoit la cauſe. Cette eau même, celle ſur-tout qui eſt ſuſpendue dans l’air, ne lui eſt-elle pas adhérente ?

L’air lui même adhère à tous les corps ; quelque ſurprenante que paroiſſe d’abord cette vérité, il eſt facile de la démontrer par pluſieurs expériences. Une aiguille d’acier ſe ſoutient ſur l’eau, quoique le fer dont elle eſt compoſée ſoit environ huit fois plus peſant. On ſait que pour réuſſir dans cette expérience, il faut coucher horizontalement l’aiguille ſur la ſurface de l’eau, & l’y abandonner avec dextérité. Selon les lois de l’hydroſtatique, la peſanteur ſpécifique de l’aiguille, beaucoup plus grande que celle de l’eau, devroit la faire tomber ; mais pluſieurs particules d’air adhérant à la ſuperficie de cette aiguille, l’enveloppant en grande partie, forment une eſpèce de bateau, & la rendent ſpécifiquement plus légère qu’un égal volume d’eau auquel l’aiguille avec ſon bateau d’air répond : ainſi l’aiguille doit ſurnager. C’eſt à-peu-près la même choſe que ſi on avoit fait adhérer tout le long de l’aiguille de petites parcelles de liège. La preuve de la bonté de cette explication eſt que ſi on mouille l’aiguille, avant de la placer ſur l’eau, l’expérience ne réuſſit plus, parce que le frottement de l’eau a détaché les parcelles d’air de la ſuperficie de l’aiguille, & lui a enlevé conſéquemment un corps environ 850 fois plus léger qu’elle, dont l’union la rendoit ſpécifiquement moins peſante que l’eau.

Cette explication me paroît claire & ſimple ; elle diffère en quelque ſorte de celle que M. Petit a donnée dans les mémoires de l’académie en 1731 ; car il a voulu aſſocier à la cauſe de ce phénomène l’adhérence des parties de l’eau entr’elles, qui empêche l’aiguille de les diviſer, en ajoutant que ſi on chauffe l’eau, ce qui diminue l’adhérence de ſes parties entr’elles, le phénomène n’a pas lieu. Ce dernier effet nous paroît évidemment réſulter de l’expulſion de l’air adhérent à l’aiguille ; émigration cauſée par la chaleur, communiquée à l’eau, & enſuite aux molécules de l’air, qui forme une petite gondole autour de l’aiguille. On ne ſera pas tenté de révoquer en doute ce que nous venons de dire, ſi on ſe rappelle que l’air, à un même degré de chaleur que l’eau, eſt bien plus dilatable & expanſible. L’air étant ainſi chaſſé en partie, l’eau adhère à la ſurface de l’aiguille ; &, privée de ſon ſupport, il eſt de toute néceſſité qu’elle ſe précipite au fond de l’eau. Je ne nie cependant pas qu’il n’y ait une adhérence entre les parties de l’eau ; mais je ne penſe pas qu’elle ſoit capable de produire un effet ſenſible dans le phénomène dont on parle.

On donne encore de l’adhérence de l’air avec les corps, la preuve ſuivante : « des feuilles de différens métaux très-minces, & d’une aſſez grande ſuperficie, ſe ſoutiennent ſur l’eau ; &, pour les faire enfoncer, il faut les charger de quelque poids ; elles en portent ſouvent plus qu’on n’auroit cru, Cet effet ne vient pas du grand nombre des parties d’eau qui réſiſtent en même temps à ſe laiſſer diviſer par une ſurface très-grande reſpectivement à la maſſe ; car ſi cela étoit, pourquoi ces mêmes feuilles, miſes au fond de l’eau, remonteroient-elles auſſitôt, en ſurmontant cette même réſiſtance de l’eau à ſa diviſion, que rien ne les oblige à vaincre, puiſqu’au contraire leur propre peſanteur & celle de toute l’eau qu’elles portent, ne tendent qu’à les tenir où elles étoient ? Il eſt néceſſaire qu’il y ait entr’elles un principe de légèreté par rapport à l’eau, dont elles doivent vaincre l’oppoſition ; & ce principe ne peut être que l’air qui leur eſt adhérent en une quantité d’autant plus grande qu’elles ont plus de ſurface. M. Petit s’en eſt aſſuré par un moyen fort ſimple : il lui a ſuffi de chiffonner ces feuilles entre ſes doigts, pour diminuer leur ſurface, & elles ne ſe ſont plus ſoutenues ſur l’eau. L’air mouille donc les corps à ſa manière comme fait l’eau. »

Mais pour ne pas rapporter un plus grand nombre de preuves, je me contenterai d’aſſurer, ainſi que je le prouve dans mes cours publics, qu’il n’y a point de corps, même parmi ceux qui ſont très-durs, & dont les ſurfaces ont un plus grand poli, deſquels on ne voit s’échapper pluſieurs parcelles d’air, ſous la forme de bulles, qu’après qu’ils ont été plongés dans l’eau.

Les expériences multipliées que j’ai faites, principalement avec des marbres très-polis, des bois fort durs, des métaux de différentes eſpèces & parfaitement polis, m’ont démontré que c’eſt dans les temps ſecs que ces expériences réuſſiſſent le mieux ; qu’elles ſont d’autant plus ſenſibles que les ſurfaces ſont plus grandes ; que ſi les corps ont été un peu échauffés, les bulles paroiſſent moins, (ſi les corps étoient fortement échauffés, les bulles qu’on verroit s’échapper, ſeroient celles de l’air interpoſé dans l’eau). Il eſt inutile d’obſerver que ſi les corps plongés dans l’eau étoient plus poreux que ceux qui ont ſervi aux expériences, les bulles ſeroient plus ſenſibles & plus multipliées ; & que ſi les corps qui donnent des bulles d’air ont été mouillés ou plongés dans l’eau pendant quelque temps, le phénomène n’a pas lieu.

Non-ſeulement les vapeurs aqueuſes & l’air adhèrent à tous les corps, mais encore tous les fluides ſenſibles que nous connoiſſons, tels que l’eau, le vin, l’eſprit-de-vin, l’huile & les différens corps oléagineux ; car toutes les ſubſtances qui ont été plongées pendant quelque temps dans ces fluides, en reſtent mouillées, quoiqu’on faſſe des efforts pour les en ſéparer par des ſecouſſes.

Il eſt probable que les autres fluides, tels que le fluide magnétique, le feu, le fluide électrique, les gaz divers, &c., adhèrent également à tous les corps.

La cauſe de cette adhérence eſt, ſans contredit, l’attraction qui règne entre toutes les parties de la matière ; voyez le mot Attraction. Cette force générale, qui maîtriſe tous les corps & toutes leurs parties, produit l’union de toutes les parties de matière, ſoit entr’elles, dans un même corps, ſoit entre différens corps, lorſque les uns & les autres ſont dans la ſphère d’activité de leur attraction réciproque.

L’eau eſt facilement attirée par le verre ; elle y adhère enſuite fortement, & il faut employer des efforts pour l’en ſéparer : auſſi les verres ſont-ils preſque toujours couverts d’une vapeur aqueuſe plus ou moins légère, à moins que l’air environnant ne ſoit d’une grande ſiccité. Tous ceux qui ſe ſont adonnés aux expériences d’électricité, en ſont convaincus par un grand nombre d’obſervations. Les phénomènes des tuyaux capillaires le démontrent encore d’une manière bien ſûre. Voyez Tuyaux capillaires : on y prouvera que l’adhérence ou l’attraction qui règne entre les molécules de l’eau, eſt moins forte que celle qui a lieu entre les parties de l’eau & les parties du verre.

Quoiqu’on ne puiſſe douter qu’il n’y ait une union entre toutes les parties d’un même corps, laquelle ſoit un effet d’attraction, & qu’en ce ſens on ne puiſſe dire qu’il y a entr’elles une adhérence, cependant il vaut mieux, ainſi que nous l’avons obſervé au commencement de cet article, employer, pour cette eſpèce d’union des parties, le mot de cohérence. La cauſe de la cohérence eſt la même que celle de l’adhérence ; elles ne diffèrent l’une & l’autre qu’accidentellement ; car, dans la cohérence, les ſurfaces des molécules adhèrent entr’elles, non par un ſeul de leurs côtés, comme dans l’adhérence des grands corps, mais par tous leurs côtés, avec d’autres molécules intégrantes ou conſtituantes. (Voyez Parties intégrantes & constituantes) ; c’eſt ce qui rend la cohérence plus forte.

On regarde encore comme un effet & une preuve de l’adhérence des corps, pluſieurs expériences dont nous allons faire connoître les principales. Si l’on prend deux plans de glace, par exemple, égaux & bien unis, qu’on les preſſe l’un contre l’autre, pour en chaſſer l’air intercepté, il faudra, pour les ſéparer, employer une force très-ſenſible. Cette force ne ſera pas ſeulement égale à celle de la preſſion d’une colonne d’air de même hauteur que celle de l’atmoſphère, & d’une baſe égale à celle de la ſurface des plans de glace, mais encore elle lui ſera ſupérieure. Or, cette ſupériorité de force vient de l’adhérence des plans, produite par l’attraction des ſurfaces ; car elle ſera proportionnelle aux points du contact.

Pour le prouver, prenons deux plans de glace a & b, environnés chacun d’un cercle de cuivre, un peu moins large que l’épaiſſeur de la glace, & auquel on ait ſoudé une lame de cuivre, comme un diamètre, au milieu duquel ſera un crochet. Il eſt évident que cet appareil, qu’on voit repréſenté à la fig. 2e, étant ſuſpendu en c, ſoutiendra, ſous le récipient d’une machine pneumatique où on aura fait le vide, non-ſeulement le poids e, qui eſt égal à la preſſion de la colonne d’air dont nous venons de parler, mais encore le poids g, à-peu-près égal à la force d’adhérence qui a lieu entre les deux plans de glace, & que cette force eſt d’autant plus grande, que la ſurface eſt plus conſidérable.

On cite encore l’expérience de deux balles de plomb, à chacune deſquelles on a retranché un ſegment. Placées l’une ſur l’autre & preſſées fortement, elles ſupportent un poids beaucoup plus grand que celui qui répond à la preſſion de la colonne d’air correſpondante, comme on le montre en les mettant ſous le même récipient, & de la même manière que les deux plans de glace dont on vient de parler. Voyez la figure 3e.

On a objecté que, ſous le récipient de la machine pneumatique, on ne fait jamais de vide parfait ; qu’il y reſte toujours un peu d’air, & que c’eſt à cette petite quantité d’air qu’on doit attribuer cette adhérence. Mais ce qui détruit cette objection, c’eſt que, dans de bonnes machines, on peut raréfier l’air juſquà ce que l’éprouvette ne ſoit qu’environ un quart de ligne du niveau[1], & que la petite quantité d’air, qui répond à cette élévation du mercure, n’eſt pas capable de ſoutenir, avec le degré d’intenſité qu’on y remarque, les deux plaques de glace, ni les deux balles de plomb, puiſqu’elles ſupportent dans le vide un poids de beaucoup ſupérieur à la preſſion ſuppoſée de cette colonne d’air très-raréfié. Rien n’eſt plus facile que de faire cette comparaiſon, ſelon les différentes plaques & balles qu’on met en expérience ; car on connoit leur diamètre, conſéquemment leur ſurface, qui eſt néceſſairement égale à la baſe de la colonne d’air qu’on ſuppoſe exercer ſa preſſion ; on connoît encore le poids d’un pied & d’un pouce cube de mercure, & par conſéquent celui d’une ligne & d’un quart de ligne cube de mercure. Il ſera donc aiſé d’évaluer l’effort de la preſſion de cette colonne d’air qui ſoutient ce quart de ligne de mercure, & qui eſt abſolument égale à ce poids. Mais le poids qu’on ajoutera pour ſéparer les deux plaques & les deux balles, excède de beaucoup celui qui répond à la preſſion correſpondante des colonnes d’air raréfié qui preſſent les plaques : avec des plaques de deux pouces de diamètre, je l’ai trouvé dix fois plus grand.

Qu’on ne diſe pas qu’outre l’air très-raréfié qui ſe trouve dans le récipient d’une machine pneumatique dont on a fait le vide, il y a encore une matière ſubtile, un fluide très délié qui paſſe, avec la plus grande facilité, au travers des pores du récipient, & comprime les plans de glace l’un contre l’autre ; car ce fluide ſubtile devroit traverſer auſſi aiſément les pores des plans de verre, que ceux du récipient qui eſt de la même matière ; dans ce cas, il ne pourroit exercer contre les plans une preſſion capable de les faire adhérer entr’eux.

De tout ce qu’on vient d’établir, on doit conclure, 1o. que l’attraction eſt la cauſe de l’adhérence des corps, puiſque l’effet de la peſanteur de l’air étant ſupprimé, l’adhérence a encore lieu ; 2o. que la preſſion d’un fluide extérieur, tel que l’air ambiant, augmente de beaucoup cette adhérence mutuelle des corps, comme on le voit dans l’expérience des hémiſphères de Magdebourg. (Voyez Hémisphères de Magdebourg) dans celle des plaques de marbre polies, des plans de glace, des balles de plomb, &c. Si on veut mettre de la préciſion dans la manière d’évaluer ces ſortes d’effets compoſés, il faut diſtinguer les cauſes qui les produiſent, & nommer adhérence proprement dite, l’union des ſurfaces qui dépend de la force attractive ; & application des ſurfaces, preſſion des corps, l’effet qui réſulte de la peſanteur de l’air. Le premier effet doit être regardé comme provenant d’une cauſe intrinſèque, & le ſecond comme le réſultat d’un principe extérieur. Voyez les articles Cohérence, Attraction.

Cette matière étant très-importante, continuons de l’examiner ſous différens rapports ; préſentons quelques détails, afin d’éclaircir & de confirmer les vérités qu’on a établies. Si les ſurfaces qu’on applique les unes ſur les autres, n’ont pas reçu un certain poli, le contact ne ſe faiſant qu’en un petit nombre de points, à cauſe des aſpérités des ſurfaces qui ſont ſaillantes, le degré de cohéſion ſera très-foible ; mais il augmentera ſi on a ſoin d’enduire les ſurfaces d’une matière fluide ou molle, qui rempliſſe les cavités que laiſſent entr’elles les aſpérités. Cet effet eſt un équivalent du poli, puiſqu’il augmente le contact, & que le nombre de points qui ſe touchent eſt alors incomparablement plus grand : auſſi la force d’adhérence devient-elle, dans ce cas, bien plus conſidérable, comme la force attractive elle-même.

Plus les parties des corps mous ou fluides, dont on aura ſoin d’oindre les ſurfaces des corps qu’on veut faire adhérer, ſeront propres à ſe mouler entre les petites éminences des ſurfaces, à en remplir exactement les vides, plus auſſi le contact ſera grand, plus le nombre des petites forces attractives ſera conſidérable, ainſi que l’adhérence totale qui en dépend, parce que les parties du fluide interpoſé ſeront attirées, ſoit entr’elles, ſoit par les parties des corps adhérens[2]. Ces principes peuvent ſervir à expliquer l’effet des colles, des ſoudures, des maſtics & des linimens quelconques.

Si les matières graſſes, dont on ſe ſert pour faire ces linimens, ſont de diverſe nature, la cohéſion entre les mêmes ſurfaces ſera différente. On en dira autant ſi le même liniment a été appliqué aux ſurfaces de différentes eſpèces de corps. La première propoſition n’a pas beſoin de preuve ; car il n’eſt perſonne qui doute que les matières interpoſées ne ſoient plus propres, ſelon leur différente nature, à remplir les cavités qui ſont entre les aſpérités des ſurfaces, & que la cohérence ne dépende de la manière plus ou moins parfaite avec laquelle cette condition ſera remplie, ainſi qu’on vient de le prouver dans le paragraphe précédent. Il ſuffit donc de démontrer ici la ſeconde propoſition, en rapportant pluſieurs expériences de Muſſchenbroeck ſur cet objet.

Ces expériences ont été faites avec des cylindres de différentes matières, dont les diamètres étoient égaux entr’eux, chacun étant de 1 916 de pouces du Rhin ; les ſurfaces circulaires étoient bien planes & polies juſqu’au brillant. Afin de leur communiquer un degré égal de chaleur, on les plongea dans l’eau bouillante. Après les avoir bien eſſuyées, on enduiſit auſſi-tôt leurs ſurfaces avec de la graiſſe de bœuf, qui dut s’inſinuer un peu dans les pores dilatés par la chaleur préparatoire. Enſuite on appliqua ſucceſſivement deux de ces cylindres de même nature par leurs ſurfaces ; &, après les avoir mus circulairement ſur eux-mêmes, afin d’en chaſſer l’air interpoſé & l’excès de liniment qui ſeroit nuiſible, on les laiſſa refroidir pendant vingt-quatre heures, au bout deſquelles il fallut employer, pour les ſéparer, les poids dont les valeurs ſont exprimées dans la table ſuivante.

les cylindres. adhérence. Le poids de l’atmoſphère étant ſupprimé.
de verre, 
130 liv. 089 liv.
de ſimilor, 
150 109
de cuivre jaune, 
200 159
d’argent, 
125 084
d’acier trempé, 
225 184
de fer mou, 
300 259
d’étain, 
100 059
de plomb, 
275 231
de zinc, 
100 059
de biſmuth, 
150 109
de marbre blanc, 
225 184
de marbre noir, 
230 189
d’ivoire, 
108 067

En conſidérant cette table, on voit que deux cylindres de verre, par exemple, de même ſurface, un jour après avoir été enduits de graiſſe, ont adhéré entr’eux avec une force de 130 livres, puiſqu’il a fallu employer un poids de cette valeur pour les ſéparer. Mais comme la peſanteur de l’air, qui, dans cette circonſtance, étoit d’environ 41 livres, a contribué, par ſa preſſion, à appliquer ces ſurfaces l’une contre l’autre, il s’enſuit qu’il faut retrancher la valeur du poids de l’air, pour eſtimer avec préciſion la force d’adhérence. C’eſt ce qu’on a fait dans la troiſième colonne, où on voit 89 livres, excès de 130 ſur 41. La force d’adhérence de deux cylindres de verre, du diamètre déſigné ci-deſſus, doit donc être évaluée à 89 livres peſant. Cette explication ſuppoſée, il ſera aiſé de comparer entr’elles les différentes forces d’adhérence, des divers cylindres contenus dans la table.

On obſervera que ſi l’enduit de matière graſſe eſt trop épais, l’adhérence eſt moins forte, parce qu’alors elle n’eſt que le produit de l’attraction des parties de la graiſſe entr’elles. Si, au contraire, cet enduit eſt léger, mais ſuffiſant pour remplir les intervalles qui ſont entre les éminences, l’adhérence eſt le réſultat de l’attraction des parties de l’enduit entr’elles, de l’attraction des aſpérités, ſoit entr’elles, ſoit avec les molécules de l’enduit. On remarquera encore que ſi les cylindres mis en expérience ne ſont pas tirés ſelon une direction perpendiculaire, comme nous l’avons ſuppoſé dans les expériences précédentes, mais dans une direction parallèle à leurs ſurfaces, ils pourront être ſéparés par une force de beaucoup moindre que celle qui a été aſſignée, & ſeulement égale à celle qui eſt ſuffiſante pour vaincre le frottement de ces ſurfaces, Voyez l’article Frottement.

Nous avons dit précédemment qu’on avoit échauffé tous les cylindres par le moyen de l’eau bouillante ; cette chaleur étant beaucoup inférieure à celle de la graiſſe bouillante, Muſſchenbroeck imagina de les tremper dans cette matière pour connoître les nouveaux réſultats qu’on pourroit obtenir. L’expérience montra la réalité de ſes conjectures. Les pores des ſurfaces ayant été plus dilatés par une chaleur ſupérieure, & la graiſſe étant mieux fondue & plus profondément inſinuée dans les cavités formées par les différentes aſpérités, les points de contact furent plus multipliés, ainſi que les forces attractives ; & la cohérence augmenta dans la même proportion.

les cylindres. adhérence. Le poids de l’atmoſphère étant déduit.
de verre, 
300 liv. 259 liv.
de ſimilor, 
800 759
de fer, 
950 909
de cuivre jaune, 
850 809
d’argent, 
250 209
de marbre blanc, 
600 559

En comparant cette table à la précédente, on verra que l’adhérence, dans le premier cas, étoit de 130 livres, & dans le ſecond de 300 ; & qu’après avoir retranché, de part & d’autre, le poids de la colonne d’air qui eſt 41, il reſtera 89 & 259 pour l’adhérence proprement dite, & ainſi des autres. De ces expériences on ne peut s’empêcher de conclure que la température de l’atmoſphère a une influence marquée ſur l’adhérence des ſurfaces, principalement quand elles ont été enduites.

Rien n’eſt plus aiſé que de varier ces ſortes d’expériences, en les faiſant avec des enduits froids, ou à différens degrés de chaleur intermédiaires entre ceux qui ont été employés ci-deſſus, en ſe ſervant de divers liquides gras ou non-huileux, en les combinant entr’eux de différentes manières, &c, en les preſſant plus ou moins, en les laiſſant plus ou moins refroidir. Muſſchenbroeck (tome II, pag. 68) rapporte quelques-unes de ces variétés. Les graiſſes, la cire, la poix interpoſées reſtant encore liquides, la cohéſion eſt moins forte que lorſque ces matières ont eu le temps de ſe refroidir & de ſe durcir ; les graiſſes qui ſe durciſſent peu par le refroidiſſement, comme la graiſſe humaine, par exemple, ne produiſent qu’une foible adhéſion.

On ne ſauroit cependant diſconvenir que, dans les expériences dont nous venons de parler, il n’y ait un effet qui dépend du frottement des parties. La plupart des ſurfaces des corps, quelque polies qu’elles ſoient, ſont hériſſées d’aſpérités & conſéquemment de cavités. Lorſque deux ſurfaces ſont appliquées l’une ſur l’autre, pluſieurs aſpérités s’engrènent dans les cavités, & contribuent, par l’eſpèce de frottement qui en réſulte, à retenir adhérentes les ſurfaces des corps. Ainſi le frottement des aſpérités eſt une des cauſes de l’adhérence des ſurfaces des corps. Il en eſt, à plus forte raiſon, de même lorſqu’on emploie des graiſſes & autres linimens. Leur inſertion augmente le frottement, & l’engrenage réciproque des parties.

Quoique, dans ces cas, le frottement dont nous venons de parler, augmentant les points du contact, augmente auſſi la ſomme des forces attractives, & que, ſous ce rapport, on puiſſe dire que l’effet d’adhérence produit par le frottement, dépende de l’attraction ; cependant il y a encore un effet qui ne dépend que de l’engrenage des parties : or, ce dernier effet eſt celui du frottement proprement dit, & qu’on ne peut évaluer.

Un morceau de glace taillé en rond, de deux pouces & demi de diamètre, & ſuſpendu par un crochet maſtiqué ſur la ſurface ſupérieure, étant mis en équilibre à l’un des bras d’une balance, ſi on fait enſuite deſcendre cette glace juſqu’à ce qu’elle touche immédiatement la ſurface du mercure que contient un vaſe placé au-deſſous, on obſervera qu’en ajoutant ſucceſſivement pluſieurs poids dans le baſſin oppoſé de la balance, juſqu’à ce qu’il en ait aſſez pour détacher la glace & vaincre l’adhéſion ; on obſervera, diſons-nous, que cette glace tiendra encore à neuf gros, & qu’elle ſera emportée par dix-huit grains de plus.

Cette force ainſi déterminée, dit M. de Morveau, je néglige les dix-huit grains ; l’appareil étant porté ſous le récipient de la machine pneumatique, je pompe l’air juſqu’à ce que la colonne ſuſpendue dans la jauge ſoit entièrement ſuſpendue ; & néanmoins la glace continue d’adhérer au mercure du vaſe, & de ſoutenir, par cette adhéſion, les neuf gros qui chargent l’autre bras de la balance. Ici on néglige les dix-huit grains.

Selon les expériences qu’a faites ce ſavant, il réſulte qu’un morceau de glace de deux pouces & demi de diamètre, adhère

au mercure, avec une force égale à 
756 grains,
à l’huile de tartre par défaillance, 
210
à l’eau, 
258
à l’huile d’olive, 
192
à l’eſprit-de-vin, 
162

un morceau de ſuif de pareil diamètre adhère

à l’eau, 
334
à l’huile de tartre, 
294
à l’huile d’olive, 
280
à l’eſprit-de-vin, 
226

Les expériences ſuivantes du même ont été faites avec des plaques rondes de différens métaux, toujours d’après les principes du docteur Taylor, & il a trouvé que

l’or adhère au mercure avec une force de, 
446 grains,
l’argent, 
429
l’étain, 
418
le plomb, 
397
le biſmuth, 
372
le zinc, 
204
le cuivre, 
142
l’antimoine, 
126
le fer, 
115
le cobalt, 
008

De ces dernières expériences, M. de Morveau a cru pouvoir en déduire que l’adhéſion des corps aux liquides eſt en raiſon de leur affinité de diſſolution.

M. Achard a fait auſſi un grand nombre d’expériences de la même eſpèce. Après avoir d’abord cherché la force d’adhéſion de l’eau au verre, à différentes températures, il a remarqué que l’adhéſion étoit en raiſon inverſe de la température. Ce ſavant a fait enſuite des expériences ſur l’adhéſion du verre de différens diamètres à pluſieurs liquides, & ſur l’adhéſion de vingt ſubſtances différentes avec vingt liquides. Tous ces réſultats, à quelques petites anomalies près, paroiſſent s’accorder aſſez bien avec la ſuppoſition de M. de Morveau, que l’adhéſion eſt en raiſon de l’affinité de diſſolution.

Les expériences des ſolides facilement ſolubles, étant abſolument néceſſaires pour vérifier l’opinion de M. de Morveau, ce ſavant les a répétées, & a trouvé que l’adhéſion de la pierre calcaire à l’eau étant 100, celle de la même pierre à l’acide ſulfurique (vitriolique) étoit 99, à l’acide nitrique 97, à l’acide acéteux 98 : mais cette adhéſion, dans les trois dernières expériences, étoit diminuée par le dégagement des bulles d’air, pendant l’action des acides ſur le marbre. Il a cherché enſuite à déterminer cette force de ſoulèvement, en chargeant ſucceſſivement le morceau de marbre, & il employa ainſi juſqu’à 45 grains, ce qui lui fit croire que la force d’adhéſion du verre à l’acide nitrique étoit de 168 grains, au lieu de 97.

M. du Tour a fait, après les expériences de M. de Morveau & de M. Achard, des expériences analogues, pour vérifier l’opinion du docteur Taylor ſur l’adhéſion. La plupart de ces expériences ont été faites par immerſion, c’eſt-à-dire, en plongeant un corps en équilibre, & déterminant la force avec laquelle il tente à s’enfoncer. M. du Tour, a déduit de ſes expériences, imprimées dans le journal de phyſique, tomes 15, 16 & 19, que la méthode indiquée par le docteur Taylor, pour déterminer l’adhérence, n’eſt appliquable que lorſque les corps ſolides ne ſont point mouillés par les liquides. Il penſe, 1o. qu’il y a inégalité dans les réſultats ; 2o. que la preſſion de l’atmoſphère y exerce une action ſenſible ; 3o. que lorſque le ſolide mouille, ce n’eſt point la cohéſion du ſolide au liquide qui eſt meſurée, mais la cohéſion dans les parties même du liquide. M. Beſile eſt de cette dernière opinion. M. de Morveau examine les raiſons d’après leſquelles M. du Tour fait ces trois objections à la méthode du docteur Taylor ; il combat, il développe & explique la cauſe des anomalies qui ſe trouvent dans ces expériences, & conclut que ces anomalies même prouvent que la loi de l’adhéſion eſt générale & conſtante, & que, juſqu’à préſent, l’examen ſcrupuleux de M. du Tour n’a fait qu’ajouter aux preuves de cette vérité, &c.

M. du Tour établit l’effet ſenſible de la preſſion de l’atmoſphère ſur cette expérience, & beaucoup d’autres analogues. « Un diſque de glace de 12 lignes de diamètre, percé au milieu d’un trou de 7¼ lignes, adhère à l’eau avec une force de 33 grains ; & l’on couvre la partie vuide ou qu’on colle ſur cette couronne un diſque plein de même diamètre, la réſiſtance à la ſéparation ſera de 48 grains ; c’eſt-à-dire, qu’elle exigera abſolument le même effort que le diſque plein. « Mais M. de Morveau prouve que dans ce cas & dans les ſemblables, les verres taillés en couronne ont de plus que le diſque plein, un bord intérieur circulaire qui attire l’eau, & auquel le fluide adhère par la même raiſon & de la même manière qu’au bord extérieur. Lorſqu’on ſoulève cette couronne, & que la colonne d’air intérieure n’a pas de communication avec l’atmoſphère, il ſe fait un vide dans l’intérieur, qui doit contribuer à ſoulever l’eau, & à augmenter la force d’adhéſion… Voyez le dictionnaire de chimie & annales de chimie.

L’art des ſoudures n’eſt que celui de faire adhérer entr’elles pluſieurs ſubſtances métalliques ; telles que du plomb, de l’étain, du cuivre, de l’argent, &c. Pour cet effet, on emploie de la ſoudure qui ordinairement n’eſt autre choſe qu’un compoſé de plomb & d’étain mêlés enſemble, ſelon différentes proportions ; on interpoſe la ſoudure entre les deux pièces à unir, après les avoir chauffées, & on fait fondre la ſoudure avec un fer chaud ou autrement, afin qu’elle puiſſe s’inſinuer dans les pores dilatés des ſurfaces métalliques qu’on ſe propoſe de ſouder, c’eſt-à-dire, de joindre enſemble, d’une manière durable.

Lorſqu’on colle enſemble, par exemple, deux morceaux de bois, on ne fait que produire une adhérence entre leurs ſurfaces par l’intermède d’une matière glutineuſe interpoſée. Tantôt on emploie à chaud la colle forte ; tantôt à froid la colle de farine ou la gomme diſſoute dans l’eau : mais, dans tous ces cas, la matière de la ſoudure & celle de la colle s’inſinuent dans les cavités & les pores des ſurfaces qu’on ſe propoſe de joindre, augmente les points de contact, multiplie les points d’attraction, & l’adhérence qui en réſulte. Des détails ſur l’art de coller, ſur celui de la ſoudure, ſur l’emploi du borax dans cette dernière opération, &c. &c., ne ſont point directement de l’objet de la phyſique : ainſi, nous n’entrerons dans aucun détail ſur ce ſujet. Nous en diſons autant des méthodes de faire les différentes eſpèces de ciment qu’on emploie. Le ciment, à notre avis, n’eſt qu’une manière de ſouder principalement les pierres, ſoit entr’elles, ſoit avec le fer, &c. ; c’eſt toujours un moyen de produire de l’adhérence ; 1o. en chaſſant l’air interpoſé entre deux ſurfaces, & procurant, par ce moyen, la preſſion de l’atmoſphère ſur les ſurfaces oppoſées ; 2o. en augmentant les points de contact & l’attraction des parties, d’où réſulte une double adhérence. Comme il peut être utile aux phyſiciens de connoître des moyens ſimples de cimenter ou maſtiquer des morceaux de glace, de cryſtal, de verre, &c. qui ſe caſſent ſouvent dans des cabinets de phyſique, nous allons donner ici un procédé ſimple & facile & également efficace pour réunir deux morceaux de verres caſſés ; il faut battre, pendant quelques minutes, un ou deux blancs d’œuf, avec une ſpatule, le mêler enſuite avec de la chaux vive bien pulvériſée, en mettre ſur les bords de la fracture, unir les pièces en les preſſant fortement, ôtez le maſtic ſurabondant, & laiſſez ſécher pendant quelque temps. J’ai éprouvé pluſieurs fois la bonté de cette eſpèce de maſtic qui réuſſit d’autant mieux, que le verre a plus d’épaiſſeur. La force d’adhérence eſt très grande dans la glace & dans le cryſtal factice. Voyez Alliage, Soudure.

Pour rompre l’adhérence qui règne entre les différentes molécules des corps, on peut employer trois moyens principaux ; 1o. celui de diviſer les corps en parties plus ou moins tenues par des opérations mécaniques ; 2o celui de diviſer ou éloigner les molécules l’une de l’autre, par le ſecours des diſſolvans ; 3o. le dernier moyen conſiſte à préſenter aux divers principes de ces mêmes corps, des ſubſtances qui aient plus d’affinité avec eux, qu’ils n’en ont même entr’eux.

Adhérence électrique. Cette expreſſion eſt moins uſitée que celle de Cohésion électrique, c’eſt pourquoi nous renvoyons à ce dernier article.

Adhésion & Adhérence, ſont deux mots ſynonymes, Voyez Adhérence où ce qui a rapport à cette matière a déjà été traité.


  1. Dans la machine pneumatique de M. Smeaton, l’air eſt mille fois raréfié, & néanmoins l’adhérence des plaques y eſt toujours reſpectivement très-grande.
  2. Pour que cette dernière condition ait lieu, il faut que la couche de fluide ou de matière molle interpoſée n’ait pas trop d’épaiſſeur.