Encyclopédie méthodique/Physique/AFFLUENCES

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AFFLUENCES. Quoique ce mot ſoit propre à déſigner les émanations d’une matière quelconque, qui, partant d’un endroit, viennent aboutir à un corps, cependant il a été principalement conſacré, par M. l’abbé Nollet, à déſigner les courans de matière électrique qui, ſortant de tous les corps environnans, aboutiſſent à un corps qui ſe trouve dans un état actuel d’électricité. Les effluences, au contraire, ſont des courans de matière électrique qui s’échappent de tous les côtés d’un corps électriſé, & ſe répandent dans tous les corps environnans. Les affluences & les effluences ont donc des directions oppoſées, puiſque les premières tendent au corps électriſé, & les ſecondes en ſortent ; celles-là pouſſent les corps légers vers le corps électriſé, & celles-ci les en éloignent. C’eſt de cette manière que M. l’abbé Nollet explique les attractions & les répulſions électriques ; & c’eſt pour cet effet qu’il les a rendues ſimultanées, prétendant que le même corps électriſé, dans le même inſtant, préſentant des attractions & des répulſions, il falloit néceſſairement que les affluences & les effluences euſſent lieu en même temps, parce que les cauſes devoient être ſimultanées comme les effets. Voyez les mots Effluences, Attraction électrique, Électricité.

Les affluences ſont deſtinées, dans le ſyſtême de l’abbé Nollet, à réparer les pertes qu’un corps électriſé fait par ſes effluences ; lançant de tous côtés des courans de fluide électrique, il ſeroit bientôt épuiſé, & dans l’impoſſibilité de fournir continuellement de nouvelles émanations, ſi des torrens de fluide électrique ne venoient de toutes parts remplacer ce qu’il a perdu. Ces ruiſſeaux affluens viennent non-ſeulement de tous les corps environnans, mais encore de l’air ambiant. Le corps électriſé doit être, dans ce cas, conſidéré comme le centre d’une ſphère, auquel tend une infinité de rayons ou ruiſſeaux de matière affluente.

Les électriciens modernes n’admettent point la ſimultanéïté de ces courans affluens & effluens, quoiqu’ils ne rejettent point les affluences & effluences ſucceſſives ; car dans l’électricité poſitive, ſelon eux, le fluide électrique ſort des corps électriſés, & dans le cas de l’électricité négative, le fluide électrique tend au corps électriſé : cette différence eſt eſſentielle.

Les partiſans du ſyſtême de l’abbé Nollet ne doivent pas ſe contenter de prouver que la matière électrique eſt quelquefois affluente & d’autres fois effluente ; il faut, pour établir leur opinion, qu’ils démontrent que ces deux matières exiſtent en même temps ; que ces deux courans ſont ſimultanés ; que dans un corps électriſé poſitivement, v. g. il y a, outre les effluences, une affluence continuelle de matière électrique, pendant tout le temps que dure l’électriſation.

Voici les preuves que M. l’abbé Nollet donne de cette affluence ſimultanée. Si on préſente, dit-il, au globe qu’on électriſe, un conducteur quelconque, on appercevra dans l’eſpace intermédiaire des aigrettes lumineuſes, compoſées de rayons plus rapprochés du côté du corps conducteur, & plus épanouis du côté du globe de verre. Or, ces rayons divergens viennent, ſelon lui, des corps conducteurs qu’on préſente au globe, ce qu’il prouve, 1o. par les expreſſions de quelques auteurs qui ont écrit dans les premières années où les expériences d’électricité commençoient à être connues, & qui croyoient voir le courant électrique ſortir des corps conducteurs préſentés au verre électriſé ; 2o. par quelques expériences qu’il expliquoit d’une manière favorable à ſon idée, quoique réellement on ne pût en tirer la concluſion qu’il déſiroit en déduire.

Ces expériences ſont, 1o. celles du petit ſouffle que reſſent à ſa main une perſonne électriſée, tandis qu’on préſente à cette même main le doigt d’une perſonne non-électriſée ; il penſe que du doigt de celle-ci ſort une matière affluente : 2o. celle de l’aigrette qui s’élance du même doigt à une diſtance moindre : 3o. par l’étincelle qui, ſelon lui, s’élance de ce même doigt, placé plus près : 4o. par l’inflammation de l’eſprit-de-vin, occaſionné par l’étincelle qui paroît s’échapper du même doigt : 5o. par l’odeur de phoſphore que le corps non-électriſé & non-iſolé, ſemble exhaler.

Mais ces expériences ne ſont point déciſives, & on ne peut en tirer la conſéquence que des corps non-électriſés ſoient continuellement des effluves ou courans électriques qui ſe portent vers les corps qui ſont dans un état actuel d’électricité : car le petit ſouffle qu’on éprouve à une main électriſée, dans la ſuppoſition précédente, peut être auſſi bien l’effet du fluide qui s’échappe de la main électriſée, vers le doigt non-électriſé ; l’effet ſera abſolument le même, les ſenſations ſeront entièrement ſemblables dans l’une & l’autre hypothèſe ; les ſens ſeront également affectés, ſoit que le fluide parte de la main électriſée au doigt qui ne l’eſt pas, ſoit que ce fluide ait une direction contraire. L’impreſſion ſera toujours celle d’un fluide qui ſort ou qui entre, & jamais nos ſens ne ſeront aſſez délicats pour diſtinguer l’un de l’autre : ainſi cette expérience n’eſt point péremptoire.

Nous en diſons de même de l’aigrette qui paroît s’élancer du doigt non-électriſé, & qui peut y tendre au contraire ; elle peut être auſſi bien un effet de la matière électrique qui s’échappe de pluſieurs points de la main & ſe porte à un ſeul point du doigt non-électriſé ; qu’un effet de ce fluide électrique s’élançant d’un point du doigt à pluſieurs points de la main ; car, en ſuppoſant que ces deux hypothèſes euſſent lieu ſucceſſivement, il ſeroit impoſſible à l’œil le plus fin de diſtinguer l’une de l’autre dans la réalité, & de voir clairement quelle eſt celle qui a commencé à exiſter à cauſe de la grande rapidité avec laquelle le fluide électrique ſe meut ; rapidité, qui eſt ſi grande, qu’il n’y a pas d’inſtant diſcernable entre celui pendant lequel l’aigrette part, & celui où elle arrive. On doit en dire autant de l’étincelle qui éclate entre la main & le doigt.

L’eſprit-de-vin eſt également enflammé par l’étincelle, ſoit que celle-ci vienne du doigt ou de la main. Il en eſt de même de l’odeur de phoſphore qui ſe fera de même ſentir que l’objet préſenté, ſoit électriſé, ou bien que ce ſoit le ſujet auquel on préſente l’objet ; la différence des états eſt toujours la même. Quant aux expreſſions employées par quelques auteurs, il ſuffit de répondre qu’ils auroient parlé différemment, s’ils avoient connu les nouvelles expériences des phyſiciens électriſans modernes.

M. l’abbé Nollet prétend encore que ſouvent on voit un tube de verre frotté, ou un conducteur électriſé, attirer & repouſſer des corps légers en même temps par des points oppoſés & par les mêmes points, par exemple, qu’un conducteur électriſé attirera des feuilles d’or qu’on lui préſentera, tandis qu’il repouſſera de la pouſſière de bois, du ſon ou de la farine, dont on l’auroit couvert. Ce double effet, qui arrive ſimultanément, vient de ce que par la loi générale qui eſt établie, les corps électriſés attirent ceux qui ne ſont pas électriſés & repouſſent ceux qui le ſont : or, comme en même temps un corps léger peut être électriſé & un autre ne l’être pas, à quelque diſtance du conducteur qui eſt dans un état actuel d’électriſation, il s’enſuit que les deux parties de cette loi peuvent avoir lieu, ſans qu’il ſoit néceſſaire de ſuppoſer deux courans électriques oppoſés qui ſoient des cauſes mécaniques des attractions & des répulſions.

Les écoulemens des liqueurs par des tubes capillaires pourront ſouffrir une accélération, lorſqu’on les préſentera ſeulement à un corps électriſé, par un effet de l’attraction ou de la répulſion qui ont également lieu, ſoit que les tubes ſoient électriſés, ſoit qu’ils ne le ſoient aucunement, puiſque dans les deux cas il y a attraction ou répulſion. Si le vaſe, terminé par des tubes capillaires, & plein de liqueur, eſt électriſé, l’écoulement eſt accéléré directement par un effet de la répulſion électrique & accidentellement par celui de l’attraction des corps environnans. Si le vaſe eſt ſimplement préſenté à un corps électriſé, l’accélération vient de l’attraction électrique exercée par le corps électriſé.

Si, entre deux pointes dont l’une eſt électriſée & l’autre ne l’eſt pas, on voit deux cônes de lumière qui ſe joignent par leurs baſes, on ne doit pas en conclure que le fluide électrique ſort de toutes les deux, comme le prétend l’abbé Nollet. Il ſort de la pointe électriſée, & il entre dans la pointe non-électriſée, parce qu’il eſt de la nature des fluides, & principalement de celle du fluide électrique, de ſe mettre en équilibre & de ſe communiquer des corps où il eſt ſurabondant à ceux qui en ſont privés, ou qui en ont une moindre quantité : ainſi cette expérience n’eſt pas plus concluante que les précédentes.

Il en eſt de même de l’expérience du cercle de fer, concentrique au conducteur électrique, dans laquelle l’un & l’autre ſont garnis de petites houppes de fil ou de filaſſe. Si l’on voit tous les fils du premier converger vers le conducteur, & ceux du conducteur en diverger ſenſiblement, c’eſt que, dans ce ſecond cas, la répulſion électrique produit la divergence de tous ces fils ; & dans le premier cas l’attraction que le conducteur exerce ſur les fils du cercle, oblige l’extrémité libre de chacun de ces fils de ſe porter vers le conducteur : double effet qui s’explique facilement par l’attraction & la répulſion électrique, ſans avoir recours aux affluences & aux effluences ſimultanées.