Encyclopédie méthodique/Physique/ANGUILLE ÉLECTRIQUE

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ANGUILLE ÉLECTRIQUE, anguille tremblante, anguille de Surinam, de Cayenne. Gymnotus electricus. Le poiſſon connu à Cayenne sous le nom d’anguille tremblante, donne des commotions beaucoup plus fortes que celles que fait reſſentir la torpille. Perrèze, dans ſon hiſtoire de la France équinoxiale, en a parlé ; Firmin, dans ſa deſcription de Surinam, en a fait auſſi mention. M. Bajon, médecin français à Cayenne, répéta avec ſuccès les expériences de M. Van-der-Lot, chirurgien de cette Colonie, & en ajouta d’autres. M. Bajon ayant d’abord touché légèrement avec le doigt une de ces anguilles de la Guiane, de deux pieds & demi de longueur, ne reſſentit d’abord aucun tremblement ; mais à peine eut-il porté le doigt ſur le dos de cet animal, qu’il éprouva de petites ſecouſſes, dont l’action s’étendit ſeulement juſqu’au corps. L’anguille étant ſortie du vaſe où elle étoit, & tombée par terre, & les nègres refuſant de la replacer, M. Bajon la prit par la queue : « À peine l’eus-je ſerrée dans mes doigts, dit-il, que je faillis à en être renverſé, & ma tête reſta quelque temps un peu étonnée. La commotion ne ſe fit pas ſeulement ſentir au bras qui avoit touché l’anguille, mais au bras du côté oppoſé, & aux deux jambes ; …… Je commençai à toucher l’anguille placée dans le vaſe à moitié plein d’eau le plus doucement qu’il me fut poſſible ; il n’y eut point de ſecouſſe, mais un fourmillement conſidérable à tous les doigts qui la touchoient, & il ſe prolongea dans tout le bras qui en devint très-engourdi. » Enſuite l’ayant touchée plus fortement, il éprouva un véritable choc & un engourdiſſement qui se diſſipa aſſez promptement ; mais comme il réïtéra ces expériences pendant toute la journée, & qu’il reçut un nombre prodigieux de commotions, ſon bras fut ſur le soir un peu douloureux & très-engourdi, la tête péſante, un mal-aiſe général dans tout le corps, le pouls plus elevé ; & il reſſentit enfin par intervalle de petites cardialgies aſſez déſagréables ; mais ces incommodités furent diſſipées par le repos de la nuit.

Ayant enſuite touché cet animal d’abord avec une tringle de fer, la commotion fut alors auſſi forte que celle qu’il avoit d’abord reſſentie en prenant ſa queue entre les doigts. Un mouchoir bien ſec fut placé à l’endroit par où il devoit tenir la tringle, & il n’y eut point de commotion. Le mouchoir fut mouillé, & la commotion devint aussi forte que les précédentes. Six perſonnes ſe tenant par la main, toutes ſentirent une commotion très-violente, lorſque l’une d’elles toucha l’anguille. Ces expériences furent répétées pluſieurs fois, avec le même ſuccès, mais ſur la fin, les commotions diminuèrent peu à peu, & l’animal en fut ſi fatigué, qu’il mourut quelque temps après.

Dans les jours ſuivans on obſerva que pluſieurs anguilles quoique petites, miſes & éprouvées, chacune ſéparément, dans un vaſe rempli d’eau très-claire, donnèrent des commotions très-fortes. On obſerva que dans ces premiers temps, à quelqu’endroit du corps qu’on les touchât, on ſentoit la commotion, mais qu’il n’en étoit pas de même, lorſqu’on les avoit gardées pluſieurs jours, & ſur-tout quand elles avoient été beaucoup fatiguées.

Le fer poli a tranſmis des commotions moins fortes que du fer non poli ; mais cette expérience a beſoin d’être répétée, pour ſavoir ſi l’effet eſt conſtant. Les commotions ont paru beaucoup moins fortes, lorſqu’au lieu d’un corps arrondi à ſon extrémité, on ſe ſert d’une pointe. Des couteaux, des clefs, ont paru agir moins que des clous ou autres morceaux de fer équivalens. Le bois même mouillé n’a pas tranſmis le choc. En employant le verre, la cire d’Eſpagne, le ſoufre & d’autres ſubſtances réſineuſes, on n’a obtenu aucune commotion. Il en a été de même avec l’ivoire, la corne & les plumes. Le linge ordinaire a communiqué la commotion pour peu qu’il fût humide, étant bien ſec il n’a pas été conducteur ; il en a été de même de la ſoie.

Une anguille miſe dans des vaſes de terre, mouillés ou non mouillés, & poſés ſur des pieds de verre, donne la commotion qui ſe fait vivement ſentir à la main avec laquelle on tient le bord de ces vaſes.

Quoiqu’il ſoit vrai qu’une anguille fatiguée & affoiblie, donne des commotions inférieures à celles d’une anguille fraiche, cependant on a obſervé qu’une anguille fatiguée & miſe sur terre, imprimoit des commotions d’autant plus violentes, qu’elle ſéchoit plus, quoiqu’elle ne fit preſque plus de mouvement ; remiſe enſuite dans l’eau, les commotions ne ſe firent plus ſentir. Après l’avoir replacée ſur terre, elles furent encore bien moindres, juſqu’à ce qu’elle fut ſèche dans cet état, les commotions ne ſe font preſque plus ſentir, lorſqu’on touche l’animal ſur le dos ou au milieu du corps, & elles ſont très actives, dès qu’on touche ſur la tête ou à l’extrémité de la queue. Une ſonde d’argent placée dans l’intérieure de la bouche & enfoncée juſques dans l’intérieure du ventre n’a donné aucun indice d’électricité.

Dans un temps où l’anguille paroiſſoit preſque morte, M. Bajon prit un gros chat extrêmement vorace, & l’approcha de la peau de l’anguille fort ſèche ; à peine l’eut-il aperçu, qu’il s’élança deſſus avec précipitation pour en faire ſa proie ; mais dans l’inſtant qu’il la toucha, il en reçut une commotion ſi terrible, qu’il fit un grand ſault en arrière, & ſe releva en faiſant des cris affreux. On tenta vainement de le ramener vers l’anguille ; il miauloit de toutes ſes forces, & fuyoit dès qu’il l’apercevoit. Un gros chien fut enſuite approché, & ſuivant la coutume ordinaire de ces animaux, il commença par flairer, & voulut enſuite lécher l’anguille ; mais dès que ſa langue la toucha, il fit un cri horrible & prit la fuite. Préſenté de nouveau quelque temps après, il exprimoit par ſes cris redoublés, en ſe débattant avec force, le ſouvenir de la ſenſation douloureuſe qu’il avoit reſſentie.

Cette même anguille reſta plus de trois heures avant de perdre entièrement la vie, & les commotions eurent lieu juſqu’au dernier inſtant, quoique la peau fût toute ridée. Dans ce dernier temps, aucune partie de son corps ne paroiſſoit avoir du mouvement, ſinon celui qu’on obſervoit vers la région du cœur, qui étoit produit par des contractions de ce viſcère. Si on la preſſoit dans cet état, on reſſentoit quelque légère ſecouſſe ; mais ſi on la prenoit par la tête ou par la queue, on en recevoit encore d’aſſez-fortes, qui eurent lieu juſqu’à ce que le mouvement du cœur fût entièrement éteint. M. Bajon n’a pu tirer des étincelles par aucun procédé, ni produire des attractions & des répulſions de corps légers.

M. Bajon aſſure que l’or, l’argent & le cuivre ſont les ſubſtances où le fluide électrique de l’anguille ſemble ſe mouvoir avec le plus de facilité, enſuite l’étain d’Angleterre, enfin l’étain pur & le plomb ; & que par rapport au fer, les commotions ſe communiquent plus aiſément & plus fortement, lorſque le fer eſt légèrement rouillé que lorſqu’il eſt poli : mais nous croyons que ces expériences ont beſoin d’être répétées pour ſavoir ſi le réſultat ; eſt bien conſtant ; car comme les commotions données par l’animal, ne ſont pas toujours au même degré de force, & qu’il n’y a pas de moyen de le connoître, on peut avoir attribué à la nature des métaux une diminution d’effet qui dépendoit de la cauſe productive. On doit en dire de même de quelques autres faits particuliers qui paroiſſent ne pas ſe concilier facilement avec les principes d’électricité. M. Bajon a encore obſervé que la commotion ne ſe communique point par le moyen de l’eau ni de l’air, que cet animal expire, ainſi M. Van-der-Lot a dû ſe tromper dans ces deux circonſtances.

M. Bajon à la ſuite de ces expériences, donne une deſcription détaillée de cet anguille qui appartient plus à l’hiſtoire naturelle, qu’à la phyſique. Il ſuffit de dire ici que cette anguille a un rapport direct avec les anguilles ordinaires, avec cette différence, que ſa tête eſt plus groſſe & plus ronde. On en a vu de cinq pieds de longueur & de la groſſeur de la cuiſſe. Sa couleur eſt communément d’un noir d’ardoiſe, excepté ſous le ventre & la tête qui ſont d’un rouge pâle. On remarque ſur tout le corps de cet animal une infinité de petits points jaunâtres qui ſont autant d’ouvertures qui traverſent la ſubſtance de la peau ſeulement.

M. Richer a vu à Cayenne une anguille de trois ou quatre pieds de long, groſſe comme la jambe, & ſemblable au Congre, qui étant touché, non-ſeulement avec le doigt, mais encore avec l’extrémité d’un bâton, engourdit tellement le bras & la partie du corps qui en eſt la plus proche, que l’on demeure environ un demi-quart d’heure, ſans pouvoir le remuer, & cauſe même un éblouiſſement qui feroit tomber, ſi l’on ne prévenoit la chute en ſe couchant par terre ; après quoi on revient au même état qu’auparavant. J’ai été témoin de cet effet, dit M. Richer, & je l’ai senti, ayant touché ce poiſſon avec le doigt, un jour que je rencontrai des ſauvages qui en avoient un encore vivant ; ils l’avoient bleſſé d’un coup de flèche, & tiré de l’eau avec la flèche même. Anciens Mém. de l’académie des ſciences, année 1677. Art. VI. Or cette anguille eſt certainement l’anguille électrique.

M. Bancroft, dans ſon hiſtoire naturelle de la Guianne, s’explique ainſi ſur l’anguille-torpille.

« Ce poiſſon eſt d’eau douce ; on le trouve plus communément dans la rivière Eſſequebo. Il a ordinairement trois pieds de longueur & douze pouces de circonférence vers son milieu. Sa peau est unie, ſa couleur d’un bleu plombé, ſemblable à celle du plomb en feuille, qui aura été exposé à l’air ; il n’a nulle part des écailles. Sa tête égale en groſſeur la partie la plus groſſe de ſon corps ; celle-ci eſt un peu applatie deſſus & deſſous ; la ſurface ſupérieure eſt percée de pluſieurs trous, comme ceux des lamproies ; ses mâchoires ſupérieures & inférieures s’étendent à une égale diſtance, & ſe terminent en forme de demi-cercle ; la bouche eſt très-grande & ſans dents, &c. » Ce poiſſon reſpire fréquemment & lève ſa tête toutes les quatre ou cinq minutes au-deſſus de l’eau ; mais ſa propriété la plus curieuſe, ajoute Bancroft, eſt que lorſqu’on le touche avec la main nue, ou avec une verge de fer, d’or, d’argent, de cuivre, ou avec un bâton, de quelques bois particuliers & peſans d’Amérique, il donne un choc parfaitement ſemblable à celui des corps électriques, & ce choc eſt communément ſi violent, que peu de gens veulent recommencer.

Voici les particularités qu’il a remarquées. 1o. Cette anguille priſe par un hameçon, fait éprouver un choc violent à la personne qui tient la ligne. 2o. La même anguille touchée avec une verge de fer, tenue d’une main par une perſonne qui tient de l’autre une autre perſonne, &c. communique à dix ou douze perſonnes, qui forment une chaîne non interrompue, une commotion ſemblable à celle d’une machine électrique. 3o. Une perſonne tenant ſon doigt dans l’eau, à la diſtance de huit ou dix pieds du poiſſon, reçoit un choc violent, dans l’inſtant même qu’une autre perſonne touche le poiſſon. 4o. Cette anguille, lorſqu’elle eſt en fureur, & lorſqu’elle lève ſa tête au-deſſus de ſi la main d’une perſonne ſe trouve à cinq ou ſix pouces de diſtance, elle lui fait éprouver aſſez ſouvent, un choc inattendu, ſans être touché immédiatement. 5o. On ne ſent aucun choc en tenant la main près du poiſſon dans l’eau lorſqu’il n’eſt ni en colère, ni touché ; mais le choc eſt d’autant plus violent, que le poiſſon eſt plus en fureur.

On prend ces poiſſons, lorſqu’ils ſont petits ; on les conſerve dans de grands bacquets qu’on remplit d’eau. On les nourrit ordinairement avec de petits poiſſons ; lorſqu’on n’en trouve point, on leur donne des vers de terre. Les Indiens mangent ce poiſſon lorſqu’il eſt mort. De ſa peau ſort une ſubſtance collante, qui oblige de changer l’eau du baquet tous les jours ou au moins tous les deux jours. Après quoi on nettoie le baquet. Dans ces occaſions, le poiſſon reſte ſans mouvement & ſans eau pendant pluſieurs heures ; mais ſi on le touche en cet état, le choc n’eſt pas moins violent qu’à l’ordinaire.

M. Godefroi Wilhs Schilling ayant fait pluſieurs expériences au mois de juillet 1764, avec des anguilles de Surinam, & les ayant miſes dans des baquets aſſez grands pour qu’elles y puſſent nager commodément, reſſentit, ainſi que pluſieurs autres perſonnes de fortes commotions. Il a cru que des aimans naturels ou artificiels, approchés de cet animal, l’attiroient ; que ce poiſſon s’agitoit de différentes manières, & qu’enfin il finit par s’attacher à l’aimant comme le fer ; qu’il ne s’en ſépare qu’à regret ; que dans le cas de ſéparation ſpontanée ou forcée, on peut le toucher pendant quelque temps ſans éprouver de commotion, mais qu’enſuite il reprend ſa première vigueur. Il a cru encore qu’en jetant de la limaille de fer dans l’eau, où eſt un de ces gymnotus, il recouvre bientôt ſa vertu, ſi elle étoit perdue ou affoiblie, &c. ces expériences ſont trop ſingulières pour être admiſes ; & perſonne n’a réuſſi à en voir les effets, quoiqu’on les ait répétées. Si au bout d’un temps conſidérable, on remarque quelqu’effet de ce genre, il dépend d’autres cauſes. L’agitation du poiſſon peut venir de ce qu’étant dans un lieu extraordinaire pour lui, appercevant des perſonnes qu’il n’eſt pas accoutumé de voir, il éprouve naturellement des craintes. La prétendue attraction de ce poiſſon, & ſon union avec la pierre, réſulte de ce que, dans une infinité de mouvemens, il s’approche de la pierre, & s’il s’y attache, c’eſt que paſſant près de la pierre & la touchant, il y aura une adhérence entre deux ſurfaces polies, & que le gluten viſqueux qui couvre la ſurface de tous les poiſſons, peut contribuer à rendre cet effet bien plus ſenſible. Si M. Schilling a vu pluſieurs fois les faits dont il a rendu compte, on ne peut que les rapporter à des cauſes accidentelles & étrangères au magnétiſme.

M. Walsh, Inghen-Housz & Breerenbroeck ont répété en 1778 ces expériences, avec pluſieurs bouſſoles & barres aimantées très fortement ; & après en avoir fait une quantité avec toute l’attention poſſible, ils ont conclu que ce poiſſon n’eſt aucunement ſenſible à la vertu magnétique ; & qu’il ne diſtingue aucunement une barre d’acier aimantée d’une pièce de tout autre métal. Une groſſe barre magnétique de M. Knight étant placée ſous lui, il donnoit une percuſſion électrique très-forte à une perſonne qui mettoit les deux mains dans l’eau, l’une près de la tête du poiſſon, & l’autre près de ſa queue ; aucune des bouſſoles ne ſe dérangea de la moindre façon, près de quelque partie du poiſſon qu’elle fût placée. En les rangeant à l’entour du bacquet dans lequel nageoit le gymnotus, aucune n’éprouva le plus petit dérangement, ſoit que le poiſſon s’en approchât, ſoit qu’il s’en éloignât. Nouv. exper. & observat. ſur divers objets de phyſique.1785.

Quelques-uns ayant aſſuré que les expériences de M. Schilling réuſſiſſoient ſur la torpille ; je les ai répétées, en employant de très-forts aimans & des aiguilles de bouſſoles bien mobiles ; néanmoins, quoique j’aie varié les épreuves de diverſes manières, jamais je n’ai vu aucun effet de ce prétendu magnétiſme de la torpille.

Dans les endroits où il y a des anguilles électriques, les habitans aſſurent que ces animaux, en frappant les autres poiſſons avec la queue, les engourdiſſent & les mangent enſuite. Les torpilles qui ſont auſſi électriques, ſe ſervent, ſelon pluſieurs naturaliſtes, de la faculté qu’elles ont de donner la commotion pour attraper les poiſſons : auſſi les pécheurs aſſurent-ils qu’elles ſe nourriſſent de poiſſons, & qu’on en trouve ſouvent dans leur estomac.

M. de Réaumur ayant mis une torpille & un canard dans un même vaſe plein d’eau de mer, & ayant ſeulement recouvert le vaſe d’un linge, afin que le canard ne pût s’envoler, trouva le canard mort au bout de quelques heures ; ſans doute celui-ci avoit reçu des commotions électriques trop fréquentes.

L’anguille tremblante eſt naturelle à la Guyanne ; on la trouve communément dans les eaux croupiſſantes, dans les petits étangs, dans les ſaignées des ſavanes, ou des prairies. Cette anguille eſt le vrai gimnotus electricus de Linné. On trouve auſſi l’anguille électrique au Sénégal. Il y a auſſi d’autres poiſſons qui ont la même propriété. Nous ne pourrions complèter ici cet article, ſans répéter inutilement tout ce qui eſt dit avec beaucoup d’étendue au mot Torpille, auquel nous renvoyons. On y trouvera toutes les expériences qui ont été faites ſur ce ſujet ſi intéreſſant pour la phyſique moderne.

Anguille électrique ou poiſſon d’or électrique ; c’eſt le nom que Franklin & les phyſiciens ont donné à une petite figure de feuille d’or, qui reſſemble aſſez à celle d’un cerf volant, & qui, par un effet des attractions & des répulſions électriques exercées ſur elle par un conducteur de machine électrique, préſente divers mouvements, ſoit progreſſifs, ſoit ondulatoires. La deſcription ſuivante eſt tirée de l’ouvrage de ce célèbre phyſicien.

Coupez, dit-il, un morceau d’or de Hollande, dans la forme de la fig. 413, où l’angle d’en haut eſt un angle droit, les deux ſuivans des angles obtus, & le plus bas un angle fort aigu ; & placez cette feuille d’or ſur une platine de métal, diſpoſée au deſſous d’une ſemblable platine, ſuſpendue au conducteur & électriſée : placez cette feuille, de façon que la partie coupée à angle droit, puiſſe être d’abord élevée, ce qui ſe fait en poſant le creux de la main sur la partie aiguë, & vous verrez cette feuille prendre place beaucoup plus près de la platine ſupérieure que de l’inférieure ; parce qu’à moins d’être plus près, elle ne peut recevoir auſſi promptement à la pointe de ſon angle droit l’électricité dont elle ſe décharge par un angle aigu.

Cette première expérience faite, retournez cette feuille, de façon que l’angle aigu ſoit en haut, & vous la verrez ſe porter & ſe placer auprès de la platine inférieure, parce qu’elle reçoit plus promptement à la pointe de l’angle aigu, qu’elle ne peut décharger à la pointe de l’angle droit. Ainſi la différence de diſtance eſt toujours proportionnelle à la différence de fineſſe des angles. On doit prendre garde, en coupant la feuille, à ne pas laiſſer de petits lambeaux ſur les extrémités qui forment quelquefois des pointes où on ne vouloit point en avoir.

On ne peut faire cette figure ſi aiguë dans ſa partie inférieure, & ſi obtuſe dans ſa partie ſupérieure, qu’il ne ſoit pas besoin de platine inférieure, ſe déchargeant d’elle-même aſſez promptement dans l’air. Si elle eſt beaucoup plus droite, comme on le voit dans la figure ponctuée, on lui donne le nom de poiſſon d’or, à cauſe de ſa manière d’agir. Si on le prend en effet par la queue, & qu’on le tienne à un pied ou à une plus grande diſtance horiſontale du premier conducteur, lorſqu’on le laissera aller, il volera à lui avec un mouvement vif & ondoyant, ſemblable à celui d’une anguille dans l’eau, & c’eſt la raiſon pour laquelle quelques phyſiciens ont donné à cette expérience le nom d’anguille électrique. Il prendra alors place ſous le premier conducteur, peut-être à un quart ou à un demi pouce de diſtance, & remuera continuellement la queue comme un poiſſon, de ſorte qu’il paroîtra animé. Si on tourne ſa queue vers le premier conducteur, alors il volera au doigt, & ſemblera le grignoter, dit Franklin. Si on tient ſous lui une platine de métal à ſix ou huit pouces de diſtance, & ſi on ceſſe de faire mouvoir la machine électrique, lorſque l’atmoſphère électrique du conducteur diminuera, il deſcendra sur la platine, & nagera encore en arrière & en avant à pluſieurs reprises, avec le même mouvement de poiſſon ; ce qui fait un ſpectacle aſſez agréable. En émouſſant ou en aiguiſant les têtes ou les queues de ces figures, on peut leur faire prendre la place, qu’on déſire, plus près ou plus loin de la platine éléctriſée.