Encyclopédie méthodique/Physique/ANNEAU DE SATURNE

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ANNEAU DE SATURNE. C’eſt une eſpèce de couronne lumineuſe ou de bande circulaire, large & mince, placée à une certaine diſtance du globe de ſaturne, auquel elle eſt concentrique. Galilée, en 1710, peu après l’invention des lunettes aſtronomiques, découvrit cet anneau, mais ne put diſtinguer ſa véritable figure. Bien loin de là, il crut d’abord apercevoir que c’étoient deux anſes ou deux ſatellites qui accompagnoient ſaturne ; enſuite il obſerva qu’ils diminuoient de grandeur apparente ; enfin ils lui parurent disparaître entièrement vers la fin de l’année 1612. Ces variations qui lui firent dire qu’il avoit vu ſaturne compoſé de trois parties ſaturnum triformem lui parurent ſi étonnantes, ainſi qu’à pluſieurs autres Aſtronomes, qu’on déſespéra aſſez généralement de pouvoir expliquer cette ſuite d’apparences dont le ciel ne préſentoit aucun autre exemple.

M. Huyghens fut plus heureux ; il imagina que les apparences ſucceſſives de deux corps ronds, à côté de ſaturne, qui étoient ſujets à des diminutions progreſſives, & enfin à une diſparition, n’étoient autre choſe que les apparences d’un anneau concentrique à ſaturne, également éloigné de cette planète dans tous ſes points. Cet anneau, comme on l’a remarqué très judicieuſement, eſt ſoutenu par la peſanteur naturelle & ſimultannée de toutes ſes parties, tout ainſi qu’un pont qui ſeroit aſſez vaſte pour environner toute la terre, ſe ſoutiendrait ſans piliers.

Le célèbre phyſicien que nous venons de nommer, démontra que les changemens de figure, obſervés dans ſaturne, dépendoient uniquement des différentes poſitions de l’anneau par rapport à la terre. Il nous paroît tantôt ſous la figure d’un anneau lumineux, lorſqu’il eſt relativement à notre œil, dans la poſition repréſentée dans la fig. 45. Tantôt il paraît ſous une figure elliptique, (quoiqu’il ſoit réellement circulaire) lorſqu’on le voit obliquement ; & l’ellipſe eſt plus ou moins ouverte, suivant que l’œil de l’obſervateur eſt plus ou moins élevé ſur ſon plan. Par le moyen de l’élévation de notre œil sur le plan de l’anneau, on trouve la figure de l’anneau, conſéquemment le rapport des axes de son ellipſe apparente pour un temps quelconque ; car le grand axe eſt toujours au petit, comme le rayon eſt au ſinus de l’élévation ou de l’obliquité de l’œil. Ajoutons que l’intervalle qui eſt entre ſaturne & l’épaiſſeur de l’anneau offre également différens aſpects. Voyez la fig. 46. D’autre fois ſaturne eſt vu entièrement rond, & l’anneau a totalement diſparu, lorſque cet anneau ne nous préſente que ſon épaiſſeur, parce que cette épaiſſeur eſt ſi peu conſidérable, que la lumière qui en eſt réfléchie vers nous, ne peut être ſenſible à grande diſtance où nous ſommes de cette planète. La fig. 47 donne une idée de cette poſition de l’anneau de ſaturne, dirigé vers nous, de telle ſorte que ſon plan paſſe par notre œil.

Le diamètre extérieur de l’anneau de ſaturne eſt à celui du globe de ſaturne, comme 7 eſt à 3, ſuivant les meſures de Pound. L’eſpace vuide qui eſt entre le globe & l’anneau, eſt à peu près égal à la largeur de l’anneau ; ainſi, la largeur de la couronne eſt un tiers du diamètre de ſaturne. Le rayon de ſaturne dans ſes moyennes disſances, étant de 9 ſecondes, le diamètre intérieur de l’anneau ſera de 15 ſecondes, & le diamètre extérieur de 21, le vide étant de 6 ſecondes. À l’égard de ſa grandeur abſolue, le diamètre de ſaturne étant de 28 601 lieues, celui de l’anneau eſt de 66 737 lieues : ainſi la largeur eſt de 9 534 lieues.

L’anneau de ſaturne eſt incliné de 30 degrés ſur l’orbite de cette planète, & il eſt toujours parallèle à lui-même, pendant toute la révolution de ſaturne. C’eſt de ce paralléliſme conſtant que dépendent les différentes apparences de l’anneau, comme c’eſt du paralléliſme de l’axe de la terre, que réſulte la diverſité des ſaisons.

Le lieu du nœud de l’anneau de ſaturne, ſur l’orbite de cette planète a été déterminé en 1715, par M. Maraldi, à 5 ſignes 19 degrés 48 minutes ; & en 1774 M. De la Lande l’a trouvé de 5 ſignes 20 degrés 38 minutes, ou 5 ſignes 17 degrés 5 minutes ſur l’écliptique, ce qui ne diffère de la détermination de M. Maraldi, qu’à raiſon de la préceſſion des équinoxes en 59 ans. D’un autre côté, les obſervations de Huyghens & de Caſſini, de beaucoup antérieures à celles qu’on vient de rapporter, étant à-peu-près les mêmes, il faut en conclure que le nœud de l’anneau eſt ſenſiblement immobile.

On a obſervé pluſieurs diſparitions de l’anneau de ſaturne, ſavoir : en 1655, 1671, 1714, 1760, 1773, au mois d’octobre : je fis cette dernière obſervation à Béziers, avec M. de la Lande. En 1789 l’anneau a encore diſparu. Cet effet aura lieu ſept fois dans le ſiècle ſuivant. Voici juſqu’en 1900, les années où il n’y aura qu’une ſeule diſparition, & une seule réapparition, & le nœud de l’anneau dans lequel le phénomène aura lieu : en 1803, dans le nœud aſcendant ; en 1819 & en 1878 dans le nœud deſcendant, & en 1891, dans le nœud aſcendant. Les années où il y aura deux diſparitions & deux réapparitions, ſont, en 1832, dans le nœud aſcendant ; en 1848, dans le nœud deſcendant ; & en 1862, dans le nœud aſcendant.

Il y a trois cauſes qui peuvent occaſionner cette phaſe ronde, dit M. de la Lande, à qui nous ſommes redevables de ce qu’il y a de plus intéreſſant dans le commencement de cet article, 1o. lorſque ſaturne eſt vers le 20e. degré de la vierge ou des poiſſons, le plan de ſon anneau, qui eſt conſtamment dirigé vers ces points de l’écliptique, eſt en même temps dirigé vers le centre du ſoleil : alors il ne reçoit de lumière que ſur ſon épaiſſeur, qui eſt trop mince pour réfléchir juſqu’à la terre une quantité de rayons de lumière ſuffiſante pour produire une certaine impreſſion ſur l’organe de la vue, & ſaturne paroît rond & ſans anneau faute de lumière. Cette diſparition faute de lumière n’a lieu que pendant trois ou quatre jours avant le paſſage de ſaturne par les nœuds de l’anneau ; mais dès que le ſoleil eſt élevé ſur le plan de l’anneau ſeulement d’un angle de trois minutes, il commence à paroître éclairé.

2o. L’anneau de ſaturne diſparaît encore, lorſque le plan de cet anneau étant dirigé vers la terre, paſſerait, s’il étoit prolongé vers notre œil. Dans ce cas, la petite épaiſſeur du plan de l’anneau ne nous renvoie pas aſſez de rayons de lumière pour être aperçu à la diſtance de plus de trois cent vingt-ſept millions de lieues. Cette cauſe ne peut faire disparaître l’anneau que 7 à 8 jours, avant que la terre ſoit dans le plan de l’anneau.

3o. La dernière cauſe qui produit la diſparition apparente de l’anneau de ſaturne, a lieu lorſque ſon plan prolongé paſſe entre nous & le ſoleil ; car alors ſa ſurface éclairée n’eſt point tournée vers les ſpectateurs.

L’anneau de ſaturne ne paroît pas être parfaitement plan, mais un peu courbe ; car M. Maraldi a obſervé qu’une des anſes diſparoiſſoit avant l’autre, & Heinſius a vu, à la fin de 1743, l’anse orientale plus courte que l’autre.

M. Herſchel, en dernier lieu, a obſervé que l’anneau de ſaturne étoit par-tout d’une épaiſſeur égale ; il l’a vu, lors même qu’il étoit inviſible pour les autres aſtronomes, parce que ſon grand téleſcope donne une ſi grande lumière, qu’on diſtingue très-bien la petite épaiſſeur de l’anneau.

Ceux qui déſireront de connoître cette matière avec plus d’étendue, peuvent avoir recours aux divers traités d’aſtronomie, qui ont été publiés, au dictionnaire de mathématique de L’Encyclopédie, & ſur-tout à l’effai ſur les phénomènes relatifs aux diſparitions périodiques de l’anneau de ſaturne, par M. du Séjour.

Les phyſiciens & les aſtronomes ont imaginé diverſes hypothèſes ſur la formation de l’anneau de ſaturne. M. de Maupertuis, dans son ouvrage de la figure des aſtres, penſe que lorſque les comètes retournent de leur périhélie, on les voit traîner de longues queues qui, vraiſemblablement, ſont des torrens immenſes de vapeurs que l’ardeur du ſoleil a fait élever de leur corps. Si une comète dans cet état, paſſe auprès de quelque puiſſante planète, la peſanteur vers la planète pourra détourner ce torrent, & le déterminer à circuler autour d’elle, ſuivant quelque ellipſe ou quelque cercle, & la comète fourniſſant toujours de nouvelle matière, ou celle qui étoit déjà répandue étant ſuffiſante, il s’en formera un cours continu, ou une eſpèce d’anneau autour de la planète ; le corps même de la comète pourra être entraîné par l’aſtre & forcé de circuler autour de lui. Ces anneaux doivent, ſelon ce ſavant, ſe former plutôt autour des groſſes planètes que des petites puiſqu’ils ſont l’effet de la peſanteur plus forte vers les groſſes planètes que vers les petites : ils doivent auſſi ſe former plutôt autour des planètes les plus éloignées du ſoleil, qu’autour de celles qui en ſont les plus proches, puiſque dans ces lieux éloignés, la viteſſe des comètes ſe ralentit, & permet à la planète d’exercer ſon action plus long-temps & avec plus d’effet ſur le torrent.

L’opinion de M. de Mairan eſt que ſaturne a été originairement un globe beaucoup plus conſidérable qu’il ne l’eſt aujourd’hui, & que l’anneau eſt l’équateur de l’ancienne planète, réduite à un plus petit volume. M. de Buffon croyoit auſſi que l’anneau de ſaturne faiſoit autrefois partie de la planète, & qu’il s’en étoit détaché par l’excès de la force centrifuge,

Le ſentiment de M. Caſſini étoit que l’anneau de ſaturne n’étoit qu’un aſſemblage de ſatellites ſi multipliés & ſi proches les uns des autres, qu’on ne pouvoit apercevoir d’intervalle entr’eux.

On peut imaginer d’autres opinions de ce genre ; mais on n’en ſeroit pas plus avancé, puiſque ce ne ſeroit qu’une multitude de conjectures qui ne feroient faire aucun pas à la ſcience : il vaut mieux commencer par avouer ſon ignorance en ce genre.

M. de la Place a donné dans les mémoires de l’académie des ſciences pour l’année 1787, une théorie de l’anneau de ſaturne ; il ſuppoſe que toutes ſes parties doivent être en équilibre ; car il eſt contre toute vraiſemblance de ſuppoſer que l’anneau ſe ſoutient comme un pont & par l’adhérence de ſes molécules ; il paroît d’ailleurs qu’il y a pluſieurs anneaux ſéparés. Cet habile géomètre y prouve que ce doivent être des ſolides irréguliers d’une largeur inégale dans les divers points de leur circonférence ; enſorte que leurs centres de gravité ne coïncident point avec leurs centres de figure : ces centres de gravité peuvent être conſidérés comme autant de ſatellites qui ſe meuvent autour du centre de ſaturne, à des diſtances dépendantes de l’inégalité des parties de chaque anneau, & avec des vîteſſes de rotation égales à celles de leurs anneaux reſpectifs. Voyez le mot Saturne.

On a obſervé des points lumineux diſposés ſur les anſes de l’anneau de ſaturne ; on préſume qu’ils ſont adhérens à l’anneau de ſaturne. Pluſieurs obſervateurs ſont d’accord ſur l’exiſtence de ces points lumineux ; tels que MM. Meſſier, Bailly, Caſſini, Tofino, Varella, &c. Voyez le mot Points lumineux de l’anneau de ſaturne.

Rotation de l’anneau de ſaturne. M. Herſchel, ſi célèbre par un grand nombre de découvertes aſtronomiques qu’il a faites à l’aide des étonnans téleſcopes qu’il a lui-même conſtruits avec une patience & une dextérité juſqu’à lui inconnue, M. Herſchel avoit aperçu dans l’anneau de ſaturne, un point brillant qu’il avoit d’abord pris pour un huitième ſatellite ; mais il a reconnu que ce point appartenoit à l’anneau lui-même ; & en l’examinant attentivement, il s’eſt aſſuré que l’anneau entier avoit un mouvement de rotation dont il a déterminé la durée de dix heures trente-deux minutes & quinze ſecondes.

Cette obſervation curieuſe donne une confirmation bien ſatisfaiſante de la théorie par laquelle M. de la Place avoit déterminé les forces néceſſaires pour entretenir cet anneau à la diſtance où il ſe trouve ; car il en avoit conclu dans ſes mémoires de l’académie, année 1787, page 263, que la durée de la rotation de la partie intérieure de l’anneau, devoit être d’environ dix heures. Ce ſavant ſuppoſe, comme les géomètres l’ont fait dans leurs recherches ſur la figure des aſtres, qu’une couche infiniment mince de fluide, répandue ſur la ſurface de l’anneau, y reſteroit en équilibre, en vertu des forces dont elle ſeroit animée. Cette hypothèſe eſt la ſeule admiſſible ; il lui paroît contre toute vraiſemblance de ſuppoſer que l’anneau ne ſe ſoutient autour de ſaturne que par l’adhérence des molécules ; car alors les parties voiſines de la planète étant ſollicitées par l’action toujours renaiſſante de la peſanteur, une dégradation inſenſible auroit fini par le détruire, ainſi que tous les ouvrages de la nature, qui n’ont point eu les forces ſuffiſantes pour réſiſter à l’action des cauſes étrangères. C’eſt par les conditions de l’équilibre de ce fluide, que la figure de l’anneau devoit être déterminée ; & c’eſt auſſi par-là que M. de la Place avoit trouvé la rotation de dix heures ; mais il ſuppoſe qu’il y a pluſieurs anneaux concentriques, & l’on a déjà aperçu un trait noir qui ſemble l’indiquer.

Anneau de Mercure. On a vu quelquefois dans les paſſages de mercure, ſur le diſque du ſoleil, un anneau lumineux, autour de cette planète. M. de Plantade, aſtronome de l’académie de Montpellier, le vit en 1736 ; Le P. Béraud, aſtronome de l’académie de Lyon, l’aperçut dans le paſſage du 6 mai 1753, l’ayant inutilement cherché en 1743. Pendant tout le temps de cette obſervation, qui dura cinq heures, mercure parut environné d’un anneau parfaitement circulaire, d’un rouge obſcur, à peu près ſemblable à la lumière que préſente la lune dans ſes éclipſes totales, lorſqu’elle eſt entièrement dans l’ombre de la terre. Il eſt probable que ce phénomène dépend de l’atmoſphère de mercure, qui abſorbe ou intercepte une partie des rayons ſolaires.