Encyclopédie méthodique/Physique/ANTIPODES

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ANTIPODES. Ce mot ſignifie, quant à ſon origine, des habitans qui ont les pieds diamétralement oppoſés, anti contre, podos pieds : tels ſont tous les peuples qui ſont dans des lieux diamétralement oppoſés. Les antipodes ſont ceux qui ont une latitude égale, mais en hémiſphères différens, & qui ſont éloignés en longitude de 180 degrés. De cette définition, il réſulte que les antipodes ont une latitude ſeptentrionale, tandis que les autres en ont une méridionale, (à moins qu’ils ne ſoient ſitués ſous l’équateur) mais leur latitude eſt d’un nombre égal de degrés. Leurs ſaiſons ſont donc oppoſées ; les uns ont l’hiver quand les autres ont l’été. Les plus longs jours des premiers répondent aux jours les plus courts des ſeconds. Lorſqu’il eſt midi chez ceux-là, il est minuit chez ceux-ci ; le zénith des uns eſt le nadir des autres ; mais ils ont le même horiſon, & quand le ſoleil ſe lève pour les uns, il ſe couche pour les autres ; en un mot, les antipodes ſont oppoſés en tout, en ſaiſons, en jours & en heures.

Une remarque importante de M. d’Alembert, & qu’il eſt à-propos de conſerver, c’eſt que les antipodes ne ſouffrent qu’à-peu-près & non exactement le même degré de chaud & de froid ; car, 1o. il y a bien des circonſtances particulières qui peuvent modifier l’action de la chaleur ſolaire, & qui font ſouvent que des peuples, ſitués ſous le même climat, ne jouiſſent pourtant pas de la même température. Ces circonſtances ſont en général, la poſition des montagnes, le voiſinage ou l’éloignement de la mer, les vents, &c. 2o. Le ſoleil n’eſt pas durant toute l’année à la même diſtance de la terre ; il en eſt ſenſiblement plus éloigné au mois de juin qu’au mois de janvier : d’où il s’enſuit que toutes choſes d’ailleurs égales, notre été en France doit être moins chaud que celui de nos antipodes, & notre hiver moins froid. Auſſi trouve-t-on de la glace dans les mers de l’hémiſphère méridional, à une diſtance beaucoup moindre de l’équateur, que dans l’hémiſphère ſeptentrional. Les antipodes de Paris ſont dans la mer du ſud, près de la nouvelle Zélande.

[ Ce qu’il y a de plus propre aux antipodes, & en quoi ſeulement nous les conſidérons ici, c’eſt d’être dans des lieux diamétralement oppoſés entr’eux ſur le globe terreſtre ; de manière qu’ayant mené une perpendiculaire ou une verticale à un lieu quelconque, & qui, par conſéquent, paſſe par le zénith de ce lieu, l’endroit oppoſé de la ſurface du globe, que cette verticale prolongée ira couper, en ſoit l’antipode. Tout le reſte n’eſt qu’acceſſoire à cette idée, dans la ſuppoſition énoncée ou tacite de la ſphéricité de la terre ; car ſi la terre n’eſt point une ſphère ; ſi c’eſt un ſphéroïde elliptique, applati ou alongé vers les pôles, il n’y a plus d’antipodes réciproques ; c’eſt-à-dire, par exemple, qu’ayant mené une ligne par le zénith de Paris & par le centre de cette ville, qui eſt dans l’hémiſphère boréal, cette ligne ira couper l’hémiſphère auſtral en un point qui ſera l’antipode de Paris, mais dont Paris ne ſera pas l’antipode ; ainſi l’égalité réciproque de poſition, de latitude, de jour & de nuit dans les hémiſphères oppoſés, à ſix mois de différence, & tout ce qu’on a coutume de renfermer dans l’idée des antipodes, comme inſéparable, ne l’eſt plus, & doit effectivement en être ſéparé, dès que l’on déroge à la ſphéricité de la terre. Il ne faut qu’un peu d’attention pour s’en convaincre.

Tout ceci eſt fondé ſur ce que la ſphère, ou pour ſimplifier cette théorie, eſt la ſeule figure régulière que tous les diamètres paſſans par ſon centre coupent à angles droits. Donc en toute figure terminée par une autre courbe, dans l’ellipſe, par exemple, la perpendiculaire menée à un de ſes points ou à ſa tangente, excepté les deux axes, répondent ici à la ligne des pôles, ou à un diamètre quelconque de l’équateur, ne ſauroit paſſer par ſon centre, ni aller rencontrer la partie oppoſée du méridien elliptique à angles droits. Donc le nadir de Paris n’eſt pas le zénith de ſon antipode, & réciproquement.

Si l’on élevoit au milieu de Paris une colonne bien perpendiculaire à la ſurface de la terre, elle ne ſeroit pas dans la même ligne que celle qu’on éleveroit parallèlement au point antipode de Paris ; mais elle en déclinerait par un angle plus ou moins grand, ſelon que l’ellipſe ou le méridien elliptique différerait plus ou moins du cercle. La latitude de l’un ou de l’autre de ces deux points différera donc en même raiſon, & conſéquemment la longueur des jours & des nuits, des mêmes ſaiſons, &c.

Les lieux ſitués à l’un & à l’autre pôle, ou ſur l’équateur, en ſont exceptés, parce que dans le premier cas, c’eſt un des axes de l’ellipſe qui joint les deux points ; & que dans le ſecond il s’agit toujours d’un cercle dont l’autre axe de l’ellipſe eſt le diamètre ; le ſphéroïde quelconque, applati ou alongé, étant toujours imaginé résulter de la révolution du méridien elliptique autour de l’axe du monde. Voyez Hiſt. Acad. 1741.]

On penſe aſſez communément que Platon eſt le premier qui ait ſoupçonné la poſſibilité des antipodes ; mais cette opinion ne fit pas fortune, ou du moins, elle se perdit dans la ſuite des ſiècles ; car Lucrèce & Pline, Lactance & St. Auguſtin l’ont réfutée ; & dans le 8e ſiècle, le Pape Zacharie condamna comme hérétique le prêtre Virgile, pour avoir ſoutenu qu’il y avoit des antipodes. Mais actuellement, il eſt de la dernière certitude que les antipodes exiſtent ; car tous les voyageurs qui ont fait le tour du monde, ont été à nos antipodes, & à ceux des principaux endroits de notre hémiſphère ſupérieur. MM. Bougainville, Biron, Carteret, Wallis, Cook dans ſes trois voyages, M. de la Peyrouſe, &c. ont démontré cette vérité de la manière la plus évidente.

La plupart de ceux qui ne ſont pas familiariſés avec les objets de phyſique, ont de la peine à s’imaginer comment nos antipodes ne tombent pas ; comment leurs pieds ſont attachés à la terre. Cette difficulté disparaîtra bientôt, ſi en jettant les yeux ſur la figure 49, on fait le raiſonnement ſuivant. Les peuples en Α ou en C ſont les antipodes de ceux qui habitent en B ou en D ; puisqu’ils ſont dans les circonſtances que nous avons expliquées dans la définition de ce terme. Pour plus de facilité, ne conſidérons que les antipodes qui ſont ſous l’équateur Α B, en Α & en B. Un homme ſuppoſé en Α, (il en eſt de même de tous les autres corps) eſt pouſſé ou attiré continuellement vers le centre G de la terre ; ſi on l’élève vers H, & qu’on l’abandonne enſuite, il tombera sur la ſurface de la terre, & tendra vers le centre G, qui eſt le centre de tous les corps graves, & qui les attire tous continuellement. En tombant ainſi de H en Α, il deſcend, parce que deſcendre c’eſt s’approcher du centre de la terre, & que monter, c’eſt s’en éloigner. Ainſi, avant que de tomber de H en Α, il avoit monté d’Α en H. Suppoſons maintenant que cet homme ait été ſucceſſivement d’Α en C, de C en E, & de E en B, après avoir parcouru un demi-méridien ou 180 degrés ; ſes pieds ſeront en B adhérens à la terre, comme ils l’ont été dans les points ſucceſſifs de la demi-circonférence Α E B qu’il a parcourue. Parvenu en B, cet homme montera donc ; s’il s’élève en H, il deſcendra donc ; s’il s’approche de B, & conſéquemment du centre G, la force de la peſanteur, de la gravité, de l’attraction le portera donc conſtamment vers G, de la même manière qu’elle l’a fait tendre vers ce centre dans tous les points de la demi-circonférence qu’il a décrits en cheminant d’Α en B par E. Par conſéquent, cet homme arrivé en B, ne peut point être porté vers H par une force naturelle, telle que la peſanteur ; il ne peut que tendre vers G ; & il y tomberait effectivement, ſi l’on faiſoit une ouverture de B en H ; mais jamais, abandonné à lui-même, il ne pourra être porté vers H, parce que la peſanteur fait tendre tous les corps à ſe rapprocher du centre de la terre, & non à s’en éloigner.