Encyclopédie méthodique/Physique/ANTIPÉRISTASE

La bibliothèque libre.

ANTIPÉRISTASE. On a défini l’antipériſtaſe, l’action de deux qualités contraires, dont l’une par ſon oppoſition excite & fortifie l’autre. Les péripatéticiens, & tous ceux qui ont ſuivi leur doctrine, non-ſeulement ont admis l’antipériſtaſe, mais encore lui ont fait jouer un très-grand rôle dans la plupart des explications des phénomènes de la phyſique. Ce mot vuide de ſens a été pour eux de la plus grande reſſource.

C’eſt par l’effet de l’antipériſtaſe, c’eſt-à-dire, par l’effet de l’activité d’une qualité augmentée par l’oppoſition d’une autre qualité, que le froid, en bien des occaſions, augmente le degré de la chaleur, & l’humide celui de la ſéchereſſe ; « qu’en été le froid chaſſé de la terre & de l’eau par les brûlantes ardeurs du ſoleil, ſe retire dans la moyenne région de l’air, & s’y défend contre la chaleur qui eſt au-deſſus, & contre celle qui au-deſſous de lui ; de même en été, dit-on, quand l’air qui nous environne eſt d’une chaleur étouffante, nous trouvons la qualité contraire dans les ſouterrains & dans les caves : au contraire en hiver, quand le froid fait geler les lacs & les rivières, l’air enfermé dans les ſouterrains & les caves, devient l’aſyle de la chaleur ; l’eau fraîchement tirée des puits & des ſources profondes en hiver, eſt non ſeulement chaude, mais encore ſenſiblement fumante. » C’eſt par l’effet de l’antipériſtaſe, c’eſt-à-dire, de l’action par laquelle un corps auquel un autre réſiſte, devient plus fort à cauſe de l’oppoſition qu’il éprouve ; que de la chaux vive prend feu par la ſimple effuſion de l’eau froide ; que le feu eſt plus en hiver qu’en été ; c’eſt encore par antipériſtaſe que ſont produits le tonnerre & les éclairs dans la moyenne région où le froid eſt perpétuel, &c, &c. M. Boyle a examiné cette opinion avec beaucoup de ſoin dans ſon hiſtoire du froid.

Il eſt peu d’opinions de l’ancienne école plus abſurde que celle de l’antipériſtaſe ; car enfin, dit très-judicieuſement M. d’Alembert, dans un article dont la ſubſtance ſe trouve dans celui-ci, il eſt naturel de penſer qu’un contraire n’en fortifie point un autre, mais qu’il le détruit ; eſt-ce que le froid & la chaleur, par exemple, ſont environnés de leur contraire, comme ſi chacune de ces qualités avoit une intelligence, & prévoyoit, qu’en négligeant de rappeler toutes ſes forces, & de s’en faire un rempart contre son ennemi, elle périroit inévitablement : c’eſt là tranſformer des agens phyſiques en agens moraux.

Les obſervations & les expériences, citées en faveur de l’antipériſtaſe, ſont bien éloignées d’être concluantes. L’efferveſcence de la chaux vive ſur laquelle on verſe de l’eau chaude, a également lieu comme par l’effuſion de l’eau froide. D’ailleurs cette efferveſcence dépend d’une cauſe qui ſera expoſée dans les articles où on traitera des Gaz, & on ne pourroit ici l’entendre, qu’en rapportant pluſieurs principes modernes, qui exigeroient une trop grande étendue pour cet article particulier, où ils n’ont qu’un rapport indirect.

Si l’on peut faire geler de l’eau dans un baſſin plongé dans un mélange de neige & de ſel auprès du feu, ce n’eſt point l’effet de l’antipériſtaſe, puiſque l’effet eſt le même ſans aucun feu, ainſi que Boyle l’a éprouvé, & tout le monde peut répéter cette expérience avec un égal ſuccès. Ce n’eſt point non plus par un effet de l’antipériſtaſe, que deux gouttes d’eau ſe rapprochent en globules ſur une table ; c’eſt l’attraction qui produit cet effet. (Voyez Attraction.)

Si la grêle ne s’engendre qu’en été, ce n’eſt pas parce que le froid de la baſſe région où l’on ſuppoſe que la grêle ſe forme, eſt augmenté par la chaleur qui règne dans l’air voiſin de la terre, comme on le verra aux articles Météores, Grêle.

La fraîcheur que l’on reſſent en été dans les caves & les ſouterrains, & la chaleur qu’on y éprouve en hiver, ne prouvent point l’exiſtence de l’antipériſtaſe, puiſque les expériences les plus exactes & les plus conſtantes, faites avec le thermomètre, démontrent que la température eſt toujours la même dans les caves profondes, comme celles de l’obſervatoire de Paris, par exemple ; quant à celles qui ont peu de profondeur, il eſt sûr qu’elles ſont plus chaudes en été qu’en hiver. Si cependant nous jugeons le contraire, c’eſt une erreur dans laquelle nous entraînent les ſenſations que nous éprouvons dans ces différentes circonſtances. Lorſqu’en été nous deſcendons dans des ſouterrains, nous paſſons de l’air de l’atmoſphère qui eſt échauffé, dans des lieux où la température eſt de beaucoup inférieure ; nous paſſons d’une température de vingt degrés, par exemple, à une autre qui eſt conſtamment de dix degrés ; nous devons donc éprouver de la fraîcheur. En hiver, au contraire, si le thermomètre expoſé à l’air eſt, par exemple, de 5 degrés au deſſus de zéro, nous devons reſſentir de la chaleur en entrant dans des caves qui ſont conſtamment à dix degrés. Voyez Chaleur, Froid, Caves.

Cette

Cette vapeur ou eſpèce de fumée qui s’élève des eaux qu’on tire des puits profonds en hiver, & qu’on n’aperçoit pas en été, ne prouve pas non plus que ces eaux ſoient plus chaudes en hiver qu’en été, par un effet de l’antipériſtaſe ; car le thermomètre, juge infaillible de la chaleur des corps, fait voir clairement le contraire. Cet effet dépend ſeulement du plus grand froid qui règne dans l’air, & non de la plus grande chaleur de l’eau ; puiſque celle-ci étant à la température des lieux profonds, conſerve conſtamment environ 10 degrés de chaleur pendant toute l’année. Mais en hiver, les vapeurs qui s’élèvent d’une eau qui a plus de calorique ou de matière de chaleur, que l’air ambiant, étant condenſées par le froid, deviennent viſibles ; tandis qu’en été, au contraire, elles trop raréfiées & atténuées pour être viſibles. C’eſt par le même principe que l’haleine qui ſort de nos poumons en hiver, devient ſenſible par la condenſation que Ie froid de l’atmoſphère lui fait éprouver, & qu’elle eſt au contraire imperceptible en été, le rapprochement des parties aqueuſes n’ayant pas lieu à cauſe de la grande différence de température.