Encyclopédie méthodique/Physique/AURUM MUSIVUM

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AURUM MUSIVUM, or muſif, or de moſaïque. Cette préparation chimique a tiré ſon nom de ſa belle couleur d’or, & de l’emploi qu’on en a fait pour dorer, pour enluminer, pour peindre les verres & faire du papier doré. Depuis on l’a employé à la place de l’amalgame électrique pour donner plus de force à la machine électrique, & pour cet effet, on en frotte les couſſins. Comme il eſt à propos qu’un phyſicien ſache faire l’aurum muſivum, nous allons donner ici quelques procédés, en indiquant ceux qui ont paru les meilleurs.

Kunkel, dans le livre III de l’art de la verrerie, dit qu’on le compoſe en prenant parties égales d’étain, de vif argent, de ſoufre & de ſel ammoniac. On fait d’abord fondre l’étain ſur le feu, & après l’avoir retiré du feu, on y verſe le mercure ou vif argent, & on laiſſe refroidir ce mélange ; enſuite on fait fondre le ſoufre, on y mêle le ſel ammoniac bien pulveriſé ; on les laiſſe refroidir, & on les broye avec ſoin. Ces opérations faites, on mêle enſemble ces deux mixtes le plus exactement qu’il eſt poſſible, & on les réduit en poudre fine ; après on place le tout dans un fort matras, à long cou, qui ſera bien luté par le bas. On obſervera que le matras ait une aſſez grande capacité pour que les trois quarts demeurent vuides ; on bouchera l’ouverture avec un ſimple cornet de papier pour empêcher la fumée de ſortir ; on met enſuite le matras au feu de ſable, ou ſur les cendres chaudes ; on donne un feu doux qu’on augmente par degrés juſqu’à ce que le matras rougiſſe ; on ôte le bouchon, & s’il ne vient point de fumée, on laiſſe le tout trois ou quatre heures dans une chaleur égale, & vous obtiendrez un très-bel aurum muſivum.

Il y en a qui ont ſubſtitué au mercure du biſmuth.

Voici le procédé de M. le marquis de Bullion. On fait fondre l’étain dans un creuſet, on verſe deſſus le mercure qu’on a fait chauffer dans un autre creuſet ; on agite le mélange & on le verſe encore chaud dans un mortier de fer après l’avoir pulveriſé ; on y ajoute le ſel ammoniac pulvériſé ; on triture le mélange juſqu’à exacte combinaiſon ; on introduit ce mélange dans un matras à long col, de la capacité dont on a parlé ci-deſſus, & on bouche l’ouverture avec un tampon de papier ; après on place le matras dans un bain de ſable juſqu’au trois quarts de la hauteur de la boule du matras.

Il faut commencer à échauffer, par un feu gradué, qu’on augmentera juſqu’à faire rougir obſcurement le fond du bain de ſable, & on ſoutient le feu pendant trois heures. Une odeur de foie de ſoufre inſupportable ſe dégage au commencement de l’opération ; il ſe ſublime du ſoufre, du ſel ammoniac, du cinabre & un peu de ſublimé corroſif.

Les vaiſſeaux étant refroidis & le matras caſſé, ; il s’en exhale une odeur ſuffoquante d’acide ſulfureux, & l’aurum muſivum occupe le fond du ballon.

M. de Bullion a prouvé, d’après pluſieurs expériences, 1o. qu’on peut diminuer la quantité de ſoufre & celle du ſel ammoniac, & qu’il ſuffit d’employer huit onces d’étain amalgamé avec huit onces de mercure, ſix onces de ſoufre & quatre onces de ſel ammoniac. 2o. Que, après l’opération, l’aurum muſivum ne contient que du ſoufre combiné avec l’étain. 3o. Que ſi l’étain a été diſſous par l’acide marin, enſuite précipité par le natron, l’espèce de chaux qu’on obtient étant mêlée avec du ſoufre, enſuite expoſée à l’action du feu, produit le plus bel aurum muſivum ; mais que cet aurum muſivum n’étoit point propre à augmenter l’activité des machines électriques ; dans cette expérience, on a employé huit onces de précipité d’étain & quatre onces de fleurs de ſoufre ; mais ayant enſuite ajouté à un nouveau mélange un quart de ſoufre, l’aurum muſivum obtenu a donné beaueoup d’activité aux machines électriques. 4o. Enfin, que le mercure n’eſt pas partie conſtituante de l’aurum muſivum, & qu’il n’y a que le ſoufre & l’acide marin qui contribuent à donner à l’étain cette belle couleur d’or, & la propriété de donner de l’activité aux machines électriques.

Le procédé ſuivant, qui eſt ſimple, m’a très-bien réuſſi : il faut chauffer, dans une cuiller de fer, ſept onces d’étain, ſur lequel on verſera, lorſqu’il ſera fondu, ſept onces de mercure, laiſſez refroidir cet amalgame, on le triture dans un mortier avec cinq onces de fleurs de soufre & trois onces de sel ammoniac. Mettez le mélange dans un matras, dont la moitié reſte vuide ; placez ce matras dans un creuſet, que vous emplirez de ſable ; expoſez le creuſet au milieu des charbons ardens, & le chauffez cinq ou ſix heures, de manière à le faire rougir ; retirez le matras du feu, & le caſſez lorſqu’il ſera ſec, vous y trouverez une matière douce au toucher & d’une belle couleur jaune.

On a obſervé que l’aurum muſivum, qui eſt brunâtre, entremêlé de petites paillettes jaunes, n’eſt pas de bonne eſpèce pour ranimer l’électricité ; car il contient des parties ammoniacales qui attirent l’humidité de l’air. Celui qui a une couleur jaune pâle, eſt ordinairement très-bon, ainſi qu’on l’a dit ; pour l’obtenir, M. l’abbé de Witri recommande de travailler à feu nud, au lieu d’opérer à tâtons dans des matras profondément enſevelis dans le bain de ſable : Voici ſon procédé.

Il place ſes vaiſſeaux, dont la ſurface eſt découverte immédiatement ſur le feu, & par ce moyen, voit continuellement ſa matière. Si on ne pouſſe pas ſuffiſamment le feu, on n’obtient que de la poudre brunâtre ; mais lorſque le feu a le degré d’activité convenable, la matière jaunit ; c’eſt alors le moment d’entretenir quelque temps le feu au même degré, afin que toute la maſſe ſe convertiſſe également en or muſif. Le tout étant refroidi, lorſqu’on caſſe le vaiſſeau, l’on y trouve un culot d’or musif de couleur de jaune pâle, qui paroît exempt de matières hétérogènes, propre à ranimer l’électricité.

M. de Vitri ſuit en grande partie les proportions observées par M. de Bullion dans la quantité de matière. Il emploie autant d’étain le plus fin que de mercure, un ſixième de moins de fleur de soufre, & un quart de moins de bon sel ammoniac. On fera fondre dans un creuſet eux onces de très-bon étain ; lorſqu’il eſt en bain, on y verſera le même poids de mercure ; moyennant la précaution d’éviter que la matière ne ſaute au viſage en couvrant le creuſet d’un vaſe percé par le fond, auquel étant adapté un entonnoir de verre par où l’on verſe le mercure, la matière qui pour lors s’élève, retombant ſur elle-même, ceſſe d’être dangereuſe, l’on jette enſuite l’amalgame chaud dans un mortier, on le pile exactement, enſuite on y mêle une once & demie de fleur de ſoufre, & aux environs d’une once de ſel ammoniac en poudre fine, l’on triture le tout à l’aide d’un pilon, & puis on introduit cette poudre devenue grisâtre dans une phiole de verre mince, de telle manière que les trois quarts de ſa capacité demeurent vuides ; ſi la bouteille a un fond rentrant, on la remplit d’un lut fait de terre graſſe détrempé, & d’un peu de ſable & de limaille de fer ; l’on fait chauffer doucement cette boule ſur un petit réchaud ordinaire, contenant quelques braiſes foiblement allumées. Bientôt l’on voit des vapeurs blanches & rutilantes s’échapper par le col de la bouteille, & un peu de cinabre y adhérer intérieurement. Lorſque les vapeurs ſont diſſipées, on augmente le feu, de manière que le fond du vaiſſeau rougiſſe l’eſpace d’une heure à un degré aſſez égal ; bientôt l’on voit la matière jaunir & ſe convertir en or muſif de couleur jaune-pâle, ſi l’on veut ſe contenter de cet or, il n’y a qu’à laiſſer refroidir le tout, on le trouvera en culot au fond du vaiſſeau ; mais ſi l’on préfère de l’avoir parfaitement ſublimé, il faut pouſſer graduellement le feu, & n’arrêter l’opération que lorſqu’on voit la végétation métallique ou aurifique s’élever ſur les parois intérieures de la bouteille.

Dans la deſcription de la machine électrique poſitive & négative de M. Nairne, on trouve un nouveau procédé que nous allons rapporter, afin que les phyſiciens puiſſent s’exercer à cette opération, & comparer les réſultats des méthodes, qui ſont toutes bonnes à la vérité ; car les divers aurum muſivum donnent de l’énergie aux machines électriques ; mais il y en a qui, dans certaines circonſtances, paroiſſent fournir une activité plus grande au fluide électrique. Pour dire ce que l’expérience m’a appris, j’ajouterai qu’il n’eſt pas aiſé d’obtenir conſtamment dans une méthode de l’aurum muſivum, également beau & bon ; cela dépend des coups de feu, trop forts ou trop foibles, trop longs ou trop courts ; qu’il faut choiſir avec ſoin les morceaux les plus homogènes & les moins cellulaires, & que ſi on fait ces conſidérations, on ſe trouvera fort embarraſſé de prononcer ſur la préférence. Quoiqu’il en ſoit, donnons la dernière compoſition dont nous venons de parler.

Prenez deux onces d’étain, le plus pur, faites-le fondre dans un creuſet ; dans cet état de fuſion, ajoutez-y quatre onces de fleur de ſoufre, remuez avec un tube de verre, toute cette matière étant nuiſible, couvrez votre creuſet, & laiſſez-le au feu encore cinq minutes ; retirez-le après cet eſpace de temps, pour le laiſſer refroidir ; mettez la maſſe en poudre dans un mortier de fonte, paſſez au tamis de ſoie, & ajoutez une once de ſel d’étain, préparé par l’eſprit de ſel, réduit en poudre, mêlez le tout très-exactement, alors mettez & taſſez cette poudre dans un matras à long col, dont le cul & la moitié du col ſoient lutés de terre à four ; bouchez le matras avec un bouchon de papier, mettez le col du matras ſur un lit de ſable dans ún creuſet, ou un pot de terre, qui ſupporte l’action du feu ; entourez de ſable ce matras, & mettez le pot au milieu des charbons noirs, allumez alors doucement votre feu ſous le manteau d’une cheminée, par rapport aux vapeurs ſulphureuſes & à l’eſprit de ſel qui ſe dégagent, & continuez votre feu juſqu’à ce que les vapeurs ne ſe dégagent plus avec rapidité ; faites rougir le pot & maintenez-le dans cet état une heure ; alors retirez les charbons & laiſſez refroidir doucement. En caſſant le matras, vous trouverez au fond un pain d’or muſif, d’une couleur jaune. On y peut ajouter du ſublimé corroſif, comme ſel contenant de l’acide marin, mais il faut ſe méfier de l’exploſion volcanique qui arrive alors, & il esſ toujours bon de laiſſer expoſé le mélange à l’air libre, pendant une heure, dans un mortier de fonte, afin que cette inflammation ſpontanée ait lieu avant que la matière ſoit miſe dans le matras, ce qui le feroit caſſer ; ſi elle a lieu dans le mortier, il ne faut pas s’y oppoſer, il s’agit ſeulement de couvrir le mortier avec une aſſiette ; au bout d’une heure la combinaiſon naturelle étant achevée, on peut employer la matière & la mettre dans le matras. Le ſel ammoniac & le mercure qu’on y ajoute ordinairement tendent à le rendre beau ; mais alors il eſt moins doux & moins bon comme amalgame ; car le ſel ammoniac & le mercure n’agiffent que comme corps intermédiaires qui, en ſe ſublimant, laiſſent des pores & des interſtices qui rendent le grain de l’or muſif plus brillant, mais moins bon pour amalgamer, à cauſe que les petites écailles ne crayonnent pas ſur le cuir.

On a recommandé, juſqu’à préſent, d’employer l’aurum muſivum de la manière ſuivante, qui conſiſte à frotter légèrement de ſuif les couſſins de la machine électrique ; enſuite de paſſer pluſieurs ſois un morceau de cet aurum ſur toute la ſurface des couſſins, juſqu’à ce qu’elle en ſoit toute couverte.

Mais on a vu, à l’article amalgame, qu’à la place d’un mordant gras, il valoit mieux employer une couche d’empois qu’on laiſſera ſécher.