Encyclopédie méthodique/Physique/AURORE BORÉALE

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AURORE BORÉALE. L’aurore boréale, ainſi que ſon nom l’indique, eſt une lumière plus ou moins éclatante, qui paroît quelquefois vers le nord. Lorſque le ſoleil eſt ſur le point de ſe lever, on voit du côté de l’orient une lumière qui brille à tous les yeux, & qui eſt l’avant-coureur de l’aſtre du jour. La lumière qu’on apperçoit au nord, dans le temps d’une aurore boréale, eſt ſemblable à la véritable aurore, & ſouvent on croiroit qu’elle annonce le lever du ſoleil, ſi on ignoroit l’heure actuelle & l’endroit où eſt réellement le ſeptentrion. Il y en a qui ont défini l’aurore boréale en une eſpèce de nuée rare, tranſparente & lumineuſe, qui paroît de temps en temps ſur l’horiſon, la nuit du côté du nord ; mais cette définition eſt bien vague. On en aura une idée bien plus diſtincte, lorſqu’on aura donné pluſieurs deſcriptions des différentes apparences de ce phénomène & de ſes diverſes esſèces, comme nous le ferons bientôt, & à meſure que l’ordre méthodique nous y conduira.

L’aurore boréale eſt, ſans contredit, un des ſpectacles les plus magnifiques que le ciel puiſſe étaler dans ſa pompe. Elle n’auroit dû, ce ſemble, exciter dans les eſprits que l’admiration ; cependant elle n’a preſque jamais inſpiré que la terreur & la crainte, filles ordinaires de l’ignorance. Dès les premiers âges, les timides habitans de ce globe terraquée, ont été ſaiſis d’effroi à l’aſpect de ce phénomène impoſant & majeſtueux ; &, malgré les lumières que les philoſophes ont tâché de répandre dans divers ſiècles, les ténèbres des préjugés & des erreurs populaires, toujours renaiſſantes, n’ont jamais pu être entièrement diſſipées. L’hiſtoire de tous les temps en fournit mille preuves auxquelles on ne ſauroit ſe refuſer.

Quoique Ariſtote eût parlé en philoſophe de ce phénomène dont il avoit été ſpectateur, au moins dans la Macédoine, ſur-tout pendant les huit années qu’il y paſſa auprès de ſon diſciple Alexandre le grand, les vains préjugés n’en régnèrent pas avec moins d’empire pendant les ſiècles qui ſuivirent, & nous voyons, non ſans étonnement, avec quelle différence Pline l’oncle en parle. Ariſtote compare l’aurore boréale à une flamme mêlée de fumée, à la lumière d’une lampe qui s’éteint, & à l’embrâſement d’une campagne dont on brûle le chaume. Elle a principalement cette apparence, lorſqu’elle s’étend beaucoup en longueur & en largeur. Ce ſont, dit-il, de ces phénomènes qui ne paroiſſent que pendant la nuit, & dans un temps ſerein. Le gouffre déſigne, ſelon lui, le ſegment obſcur ; il nomme tiſons allumés, torches, lampes, poutres ardentes, les colonnes, les jets de lumière qu’on remarque ſouvent dans ce phénomène. Selon cet illuſtre philoſophe, les couleurs le plus généralement répandues ſur le phénomène, ſont le pourpre, le rouge vif & la couleur de ſang. Liv. Ier. des météores d’Ariſtote, Chap. IV & V.

Sénèque, dans le premier livre de ſes queſtions naturelles, dit, en parlant des feux céleſtes ; les uns reſſemblent à une foſſe creuſée circulairement comme l’entrée d’une caverne ; les autres, ſemblables à une immenſe tonne remplie de feu, demeurent quelquefois à la même place, & quelquefois ſont portées ça & là. On voit aussi les gouffres (chasmata), lorſque le ciel entr’ouvert ſemble vomir des flammes. Ces feux, continue-t-il, brillent de différentes couleurs ; les uns ſont d’un rouge très-vif, les autres reſſemblent à une flamme légère qui va s’éteindre ; la lumière de ceux-ci eſt blanche & étincelante ; celle de quelques autres tire ſur le jaune ; & demeure tranquille ſans aucune émiſſion de rayons. Il y eut un pareil phénomène sous l’empereur Tibère, qui dura pendant une grande partie de la nuit, & qui n’ayant qu’une ſombre lueur, comme celle d’une flamme mêlée de fumée, fit croire que toute la ville d’Oſtie étoit en feu ; de manière que les cohortes y accoururent pour y porter du ſecours. On ne doit avoir aucune peine de croire ce fait, puiſque, ſelon une lettre de M. le comte de Plelo, ambaſſadeur de France à Copenhague, écrite en 1731, on connoiſſoit ſi peu les aurores boréales en Dannemark en 1709, qu’un grand phénomène de ce genre s’étant manifeſté, pluſieurs corps-de-garde ſortirent, prirent les armes & battirent le tambour.

Pline, ce naturaliſte ſi inſtruit, parle dans ſon ouvrage des armées vues dans le ciel, qui ont paru ſe choquer de part & d’autre de l’orient & de l’occident, du bruit des armes & du ſon des trompettes que l’on y a entendu. Liv. II, Chap. LVII. On voit encore, dit-il plus haut, & rien n’eſt d’un plus terrible préſage pour les humains, on voit dans le ciel un incendie qui ſemble tomber ſur la terre en pluie de ſang, ainſi qu’il arriva la troiſième année de la 107e olympiade, lorſque Philippe travaillait à ſoumettre la Grèce. Les feux qui parurent à Rome & dans l’Italie, lorſque Tibère faiſoit empoiſonner à Antioche Germanicus, furent regardés par le vulgaire comme des ſignes de la mort de ce bon prince, qui faiſoit les délices du peuple romain.

Nicéphore dit qu’on vit la nuit dans le ciel des épées & des lances, avant la mort de Théodoſe-le-grand, qui arriva en 395 Hiſt. Ecclés. liv. XII, chap. 37. L’irruption d’Attila, roi des Huns, dans les Gaules, fut précédée, à-peu-près vers l’an 450, par des aurores boréales, qu’on ne manqua pas de regarder comme des ſignes funeſtes des ravages & des cruautés ſans nombre qu’exerça ce monſtre qui prenoit plaiſir à ſe nommer le fléau de Dieu & le marteau de l’univers ; qui diſoit avec une barbare complaiſance, que devant lui la terre trembloit ; c’étoit ſans doute, a-t-on dit, de l’horreur qu’elle avoit de porter ce monſtre. Selon Iſidore de Séville, dans l’hiſtoire des Goths, il y eut pluſieurs ſignes dans le ciel, le ſeptentrion parut tout en feu & changé en ſang, avec un mélange de traits ou de rayons plus clairs qui traverſoient la partie rouge en forme de lances.

D’après ce qu’on vient de voir, on ne ſera pas, ſans doute, ſurpris que ce phénomène naturel ait été long-temps regardé comme le ſigne de la mort des princes, comme le préſage d’évènemens funestes ; en un mot, pour des marques de la colère de l’être-ſuprême : auſſi a-t-on vu des peuples courir en foule dans les temples, ſe couvrir de cendres & de cilices, & faire des œuvres de pénitence & de miséricorde. Au mois de ſeptembre de l’an 1583, on vit venir à Paris, en proceſſion, les habitans de pluſieurs petites villes & villages, avec leurs ſeigneurs. Ils diſoient avoir été émus à faire tels pénitenciaux voyages, pour ſignes vus au ciel, & feux en l’air, même vers le quartier des Ardènes, d’où étoient venus les premiers, tels pénitens, juſqu’au nombre dix à douze mille, à Notre-Dame de Reims & de Lieſſe. Voyez le journal d’Henri III, & mém. pour servir à l’hiſtoire de France, tome I. page 168, édition de 1714, à Cologne.

Dans la chronique du roi Louis XI, (in-8°, 1558, pag. 70), il eſt dit que le 18 novembre 1465, pluſieurs furent épouvantés, ne ſachant ce que c’étoit, & qu’un homme en devint fol de frayeur…… & perdit ſens & entendement en allant ouïr meſſe au Saint-Eſprit. En 1527, le 11 octobre & le 12 décembre, on crut auſſi apercevoir des rayons obſcurs, en forme de queues, des lances, des épées ſanglantes, des viſages d’hommes & des têtes tranchées, hideuſes par les barbes horribles & les cheveux dont elles étoient hériſſées. Quand la crainte domine les eſprits, dans quelles ridicules rêveries & dans quelles monſtrueuſes abſurdités ne les plonge-t-elle pas ! pluſieurs perſonnes tombèrent en ſyncope au ſpectacle de celle du 11 décembre de la même année, comme le certifie Creuſer, témoin oculaire, cité par Cornelius Gemma, fameux médecin de Louvain. De divinis naturœ caracter. lib. 1, cap. VIII, pag. 210. Ce dernier auteur même nous dit dans une de ſes deſcriptions, que la terreur que ces ſignes inſpiroit, lui faiſoit dreſſer les cheveux de la tête. Auſſi quelquefois croyoit-il voir vers le zénith, un aigle ſuſpendu dans les airs par le balancement de ces ailes étendues, & dirigées de l’orient à l’occident. Ailleurs, il dit : « qu’afin qu’il ne manquât rien à tant de prodiges pour nous figurer les événemens futurs, la face du ciel ſe trouva alors changée pendant une heure de temps, en une eſpèce étrangère de cornet à jouer aux dez, &c. »

On peut voir par ce petit nombre de témoignages, qu’il ſeroit très-aiſé de multiplier les idées diverſes que ce phénomène brillant a excitées dans les eſprits des peuples, à différentes époques de temps. L’hiſtoire des préjugés & des erreurs de l’efprit humain, n’eſt pas moins intéreſſante que celle des ſciences, pour les philoſophes principalement. Elle nous apprend sur-tout, que la crainte qui domine l’imagination, défigure tous les objets, en les peignant de couleurs ſombres, de même que le deſir les embellit tous en leur prêtant des charmes ſans nombre ; que les opinions dominantes influent ſingulièrement ſur la manière de voir. On peut reconnoître chaque ſiècle à ſa façon de peindre les évènemens, & deviner le ſiècle d’Ariſtote & d’Alexandre, aux traits dont les apparences de l’aurore boréale ont été décrites ; celui de Pline, aux boucliers ardens qui courent dans le ciel, aux armées qui ſe combattent, au bruit des armes, au ſon des trompettes ; le ſiècle d’Attila, par les plaies de ſang & de feu qu’on vit vers l’Aquilon ; celui de Grégoire de Tours, à la forme de capuchon, qu’il donne au pavillon de l’aurore boréale, lorſqu’elle atteint le zénith : en unum cuculi caput colligitur ; les années où écrivoit Cornelius Gemma, par cette eſpèce de cornet à jouer aux dez, qui figure les évènemens futurs, & repréſente un tableau fidèle des calamités, des viciſſitudes & de tous les coups de la fortune auxquels la Flandre ſe trouva bientôt expoſée ; le ſiècle de Henri III, ou plutôt le temps dans lequel il vivoit, car un prince, indigne du trône, ne mérite pas l’honneur de donner le nom à ſon ſiècle ; le règne de Henri III, dis-je, aux proceſſions de pénitens & de pèlerins, faites pour appaiſer la colère de Dieu qui par des ſignes vus au ciel, avoit commencé de ſe manifeſter ; & enfin le beau ſiècle de Deſcartes & de Gaſſendi, par l’eſpèce d’aurore qui ſembloit naître du côté du ſeptentrion.

On peut auſſi à leurs préjugés & à leurs opinions, reconnoîrre dans le même ſiècle, les divers pays qui couvrent la ſurface de la terre ; & cette manière d’étudier la géographie, n’eſt pas moins curieuſe que la méthode ſèche& décharnée qui eſt encore ſi accréditée. Ainſi, pour ne rapporter qu’un exemple, on reconnoîtra dans le dix-huitième ſiècle la Chine, aux idées que l’apparition des aurores boréales y fait naître. Ces phénomènes y ſont regardés comme des préſages funeſtes pour l’empereur, parce que cette nation moutonnière donne ce nom à tout ce qui paroît s’écarter des loix ordinaires de la nature. Je pourrois citer, même dans ce ſiècle de philoſophie & de lumière, d’autres exemples, pris chez des nations moins éloignées, mais les vérités ne plaiſent pas aſſez généralement.

Dans le même ſiècle, & dans le même pays on peut juger de la trempe des génies à leur façon de penſer. Baptiſte le Grain, auteur eſtimable à bien des égards, dans ſa décade de Louis le juſte, dit au ſixième livre, « qu’il obſerva dans Paris, l’an 1615, ſur les 8 heures au ſoir, du 26 octobre, des hommes de feu au ciel, qui combattoient avec des lances, & qui, par ce ſpectacle effrayant, pronoſtiquoient la fureur des guerres qui ſuivirent. » Cependant, dit la Mothe le Vayer, dans ſa ſoixante dix-huitième lettre, qui a pour titre, de la crédulité, « j’étois auſſi bien que lui dans la même ville ; & je proteſte, pour avoir contemplé aſſidûment juſque ſur les onze heures de nuit, le phénomène dont il s’agit, que je ne vis rien de tel qu’il le rapporte, mais ſeulement une impreſſion céleſte aſſez ordinaire, en forme de pavillons, qui paroiſſoient & s’enflammoient de fois à autres, ſelon qu’il arrive ſouvent en de tels météores. Infinies personnes qui ſont vivantes, peuvent témoigner ce que je dis. » Il y a même dans les ſiècles d’ignorance, des hommes tels que le Vayer, qui devancent les âges à venir, & il y en a ſouvent auſſi d’autres tels, que Baptiſte le Grain, qui appartiennent de droit aux ſiècles les plus reculés, & dont l’imagination exaltée voit des feux horribles dans le ciel, des combats dans l’air, des flammes innombrables qui s’élèvent vers la région éthérée, des chars enflammés, des boucliers ardens, des lances, des javelots enflammés, des hommes à cheval, & des ſignes nombreux de funeſtes révolutions & de calamités publiques, &c. &c.

Quelquefois, dit M. Clairaut (figure de la terre déterminée, &c. page. 60), ces ſortes de lumières tapiſſent d’écarlate certains endroits du ciel. Le 18 décembre on voyoit vers le midi, une grande région du ciel, teinte d’un rouge ſi vif, qu’il ſembloit que toute la conſtellation d’orion fût trempée dans le sang… Je n’ai vu que deux de ces lumières rouges qui ſont rares dans ce pays, où il y en a de tant de couleurs, & on les y craint comme le ſigne de quelque grand malheur. Enfin, lorſqu’on voit ces phénomènes, on ne peut s’étonner que ceux qui les regardent avec d’autres yeux que les philoſophes, y voient des chars enflammés, des armées combattantes & mille autres prodiges. L’assemblage des pelotons blanchâtres qui rendent quelquefois le ciel tout pommelé, pendant les grandes aurores boréales où ils paroiſſent avoir un mouvement de trépidation, pourroit aſſez bien réveiller, dit M. de Moiran, l’idée d’un troupeau de chèvre.

Ajoutons ici, ce que dit Fontenelle : (hiſtoire de l’académie, 1716) ces combats que quelques hiſtoriens rapportent qui ont été vus en l’air, ces ſoldats, ces charriots, ces lances de feu, pourroient bien n’être que ces ſortes de phénomènes (les aurores boréales) racontés ſur la foi du peuple ou embellis par les hiſtoriens ; ajoutons cela, & nous n’aurons pas de peine à croire que les phénomènes des aurores boréales, qui ſont ſi brillans & ſi variés, ſur-tout dans certaines contrées, aient fourni à l’eſprit humain, dans des ſiècles d’ignorance, l’occaſion de tant de préjugés & de ſuperſtitions.

De l’ancienneté de l’aurore boréale. Il eſt bien vraiſemblable que l’aurore boréale a paru, comme les autres météores, dès l’origine du monde, mais un concours de circonſtances différentes ont empêché que le ſouvenir n’en ait été transmis juſqu’à nous. Il nous en reſte cependant quelques veſtiges relatifs aux temps qui ont ſuivi les premiers âges ; car, les phénomènes que les anciens philoſophes ont déſignés ſous le nom de gouffre, de lances, de chevelures ou barbes, de tonnes de feu, de chèvres, de flambeaux, de torches, de lampes, de poutre, de ſoleils nocturnes, de lueur & d’embrâſement du ciel, ſont de véritables aurores boréales, plus ou moins complettes. « Si du temps des Grecs, dit M. le Monnier, dans ſes loix du magnétiſme, page 118, l’aſſemblée de leurs dieux ſe tenoit ſur quelques montagnes, & ſur-tout ſur l’Olympe, parce que vraiſemblablement les marchands qui venoient de la Thrace, y avoient apperçu pluſieurs fois l’aurore boréale ; on ne peut douter que le fluide n’ait été, en ce cas, auſſi abondant en ces ſiècles-là, qu’il paroît l’être en ces ſiècles-ci, &c. »

Un des auteurs les plus anciens qui ait parlé de l’aurore boréale, d’une manière à la faire connoître, eſt Ariſtote, long-temps connu ſous le nom de prince des philoſophes. Tantôt il compare ce phénomène à une flamme mêlée de fumée, tantôt à la lumière d’une lampe qui s’éteint, & quelquefois à l’embrâſement d’une campagne dont on brûle le chaume, phénomènes, dit-il, qui ne paroiſſent que pendant la nuit & dans un temps ſerein. Liv. I. des météores, chapitres IV & V. Ciceron, dans ſa troiſième catilinaire, dit qu’on a vu des torches ardentes vers l’occident & le ciel tout en feu. Pline, ainſi qu’on l’a vu il n’y a qu’un inſtant, parle d’incendie qui ſemble tomber en pluie de ſang sur la terre ; que pendant le conſulat de C. Cecilius & C. N. Papirius, c’eſt-à-dire, vers l’an de Rome 641, on avoit vu le ciel tout en feu ; ce qui eſt arrivé pluſieurs fois.

Sénèque, vers la fin du premier livre de ſes queſtions naturelles, page 839, place au nombre des feux céleſtes, le ciel en feu dont les hiſtoriens font ſi ſouvent mention, inter hœc ponas licet & quod frequenter in hiſtoriis legimus, cœlum ardere viſum, &c. Julius Obsequens, qui compoſa, vers l’an 395 de Jéſus-Chriſt, un livre des prodiges, ſur-tout d’après Tite-Live, parle ſouvent du ciel en feu, des nuits claires comme le jour, des torches ardentes qui s’étendent de l’orient juſqu’à l’occident : de prodigiis, cap. XIII, &c. Conrard Lycoſthène a fait à cet ouvrage des additions, pour ſuppléer à ce qui manque dans l’original. Depuis cette époque juſqu’à nos jours, on trouve dans différens écrivains, des preuves certaines de l’apparition de l’aurore boréale, dans cette ſuite de ſiècles. Sur la fin du quatrième ſiècle, par exemple, & au commencement du cinquième, on aperçut une colonne ſuſpendue dans le ciel, & qui ſe montre pendant trente jours ; un feu que l’on voit brûler au-deſſus d’un nuage terrible par ſa ſplendeur, & quelquefois dans tout le ciel, &c., Lycoſth. prodigiorum ac oſtentorum chronicon, 1557.

On voit dans Grégoire de Tours, & dans divers auteurs, que dans le ſixième, ſeptième & huitième ſiècles, il y eut vers le ſeptentrion des colonnes ardentes ſuſpendues dans le ciel, du côté de l’aquilon, des rayons de lumière qui couroient dans le ciel, qui ſembloient ſe choquer & ſe croiſer les uns les autres ; après quoi ils ſe ſéparoient & s’évanouiſſoient. Grégor. Turon. Hiſtoire des Francs, lib. 6 & 8.

Leibnitz, dans les mélanges de Berlin (Tome I. page 137) dit, d’après les annales de Saint-Bertin, que dans l’année 859, on vit durant la nuit des armées dans le ciel, pendant les mois d’août, de ſeptembre & d’octobre ; c’étoit depuis l’orient juſqu’au ſeptentrion, & au-delà, une lumière auſſi claire que le jour, & d’où ſembloient s’élever des colonnes ſanglantes.

Les aurores boréales parurent auſſi, très-ſouvent dans les ſiècles ſuivans. On peut voir Lycoſthènes, déjà cité ; ce ſont toujours des armées de feu, vues vers le ſeptentrion, & qui enſuite ſe répandoient par-tout le ciel, des torches ardentes & comme un ſang humain d’un rouge très-vif, des lances, des étincelles dans l’air, comme le fer rouge qui eſt frappé par un forgeron ; des poutres ardentes & d’une grandeur énorme qui s’abaiſſant depuis le ciel juſqu’à la terre, s’étendît de là dans les airs ſous une forme circulaire, &c. Quelquefois les apparences de ce phénomène ont été priſes pour des queues de grandes comètes dont les têtes étoient cachées ſous le nord, qui ne ſe montroient qu’une nuit, & qui ſembloient mettre tout un pays en feu ; car les comètes ont été auſſi en poſſeſſion de répandre la terreur & l’effroi. C’eſt à-peu-près ainſi que ſont décrites les aurores boréales, depuis le milieu du neuvième ſiècle juſques vers la fin du ſeizième, où elles ont été aſſez fréquentes, ſur-tout dans les années 1560 &1564, ainſi qu’il eſt prouvé par l’auteur d’un ancien livre Anglois intitulé, deſcription des météores, cité par M. Halley.

Mais au commencement du dix-ſeptième ſiècle, les idées s’épurent, les sciences ſortent des ténèbres où elles avoient été ſi long-temps enveloppées pendant les ſiècles d’ignorance ; les honteux préjugés qui avoient juſques-là dominé les eſprits, s’évanouiſſent, & dans l’aurore de la philoſophie on ne voit ces feux qui brillent vers l’aquilon, que comme des aurores boréales. C’eſt principalement aux lumières de l’illuſtre Gaſſendi, que nous ſommes redevables de cette heureuſe révolution dans la manière de penſer ; il ne vit ce phénomène qu’avec les yeux de la philoſophie, & c’eſt le bien voir. Cet illuſtre ſavant, qui l’obſerva pluſieurs fois, & ſur-tout le 12 ſeptembre 1621, lui a donné le nom d’aurore boréale, & je ne doute point que ce ſeul changement d’expreſſion n’ait beaucoup contribué à détruire les préjugés vulgaires, car l’expérience de tous les jours, démontre que la plupart des hommes qui n’aiment pas beaucoup à réfléchir, jugent ſouvent d’après les dénominations d’uſage.

Si on étoit curieux de voir une eſpèce de dénombrement ou de catalogue de toutes les aurores boréales qui ont été obſervées dans divers pays & par divers obſervateurs, depuis le commencement du monde juſqu’en 1739, on pourroit conſulter un ouvrage, plein d’érudition, & ce qui vaut encore mieux, de diſcernement, compoſé par M. Frobès ; profeſſeur de philoſophie à Helmſtad, dont le titre eſt : nova & antiqua luminis atque aurorœ borealis miracula, ſecundum ſeculorum atque annorum ſeriem, 1739. Comme il eſt inutile de remonter ſi haut, je remarquerai ſeulement que depuis l’an 583, juſqu’en 1739, exclusivement on compte 788 aurores boréales, dont le jour, le mois & l’année ſont assignés.

Nous allons préſenter ici une table abrégée du nombre des apparitions des aurores boréales, depuis l’année 394, juſqu’à l’année 1751. Avant cette époque il y a beaucoup d’incertitudes ; depuis, le nombre s’en eſt beaucoup accru, parce que les obſervateurs ont été plus multipliés ; & que, ſelon nous, ainſi que nous le prouverons, contre l’opinion de M. de Mairan, les apparitions des aurores boréales n’ont point eu de ceſſations, ni de repriſes périodiques, mais ont dépendu de circonſtances accidentelles, entièrement incalculables, & leurs obſervations ont été proportionnelles au nombre, & à l’aſſiduité des phyſiciens obſervateurs. Cette table n’a donc d’autre mérite que celui de faire connoître le réſultat de ce qui a été connu, plutôt que de ce qui a eu lieu réellement.

Table des Aurores boréales, depuis l’année 394 juſqu’à l’année 1751.
ANNÉES. Aurores
boréales
conſiderables.
Aurores
boréales
médiocres.

Total.
de 394 à 500. quelques-unes. quelques-unes. incertain.
502 1 0 1
584 1 0 1
585 1 0 1
de 770 à 778 1 quelques-unes incertain
808 0 1 1
859 3 quelques-unes incertain
871 0 1 1
930 1 0 1
956 0 1 1
979 0 1 1
992 1 0 1
ANNÉES. Aurores
boréales
conſidérables.
Aurores
boréales
médiocres.

Total.
993 1 0 1
998 0 1 1
1014 1 0 1
1019 0 1 1
1095 1 quelques-unes incertain
1096 0 1 1
1098 0 1 1
1099 0 1 1
1105 0 1 1
1106 0 1 1
1115 0 1 1
1116 1 0 1
1117 0 2 2
1157 1 0 1
1193 3 0 3
1200 0 1 1
1269 0 1 1
1307 0 1 1
1325 0 1 1
1352 1 0 1
1353 0 1 1
1354 0 1 1
1446 0 1 1
1461 1 0 1
1499 0 1 1
1514 0 1 1
1518 0 1 1
1520 2 0 2
1527 1 0 1
1529 1 0 1
1534 0 1 1
1535 0 1 1
1536 0 1 1
ANNÉES. Aurores
boréales
conſidérables.
Aurores
boréales
médiocres.

Total.
1537 0 1 1
1541 0 1 1
1543 0 1 1
1545 0 1 1
1546 0 1 1
1547 0 1 1
1548 0 1 1
1549 0 1 1
1551 0 3 3
1554 0 3 3
1555 0 2 2
1556 0 2 2
1557 0 2 2
1560 0 2 2
1561 0 3 3
1564 0 4 4
1565 0 1 1
1567 0 2 2
1568 0 2 2
1569 0 1 1
1571 0 4 4
1572 0 6 6
1573 0 4 4
1574 0 2 2
1575 2 1 3
1577 0 1 1
1580 0 6 6
1581 9 0 9
1582 5 0 5
1583 3 0 3
1584 0 1 1
1585 0 2 2
1586 ? 1 ?
ANNÉES. Aurores
boréales
conſidérables.
Aurores
boréales
médiocres.

Total.
1588 0 5 5
1589 0 1 1
1590 0 1 1
1591 0 1 1
1592 0 1 1
1593 0 7 7
1596 0 1 1
1599 0 1 1
1600 0 1 1
1602 0 1 1
1603 0 1 1
1605 1 0 1
1606 0 1 1
1607 1 0 1
1608 0 1 2
1609 0 2 1
1612 0 1 1
1614 0 1 1
1615 1 0 1
1621 1 2 3
1622 0 1 1
1623 0 7 7
1624 0 3 3
1625 2 5
1626 1 5 6
1627 0 2 2
1628 3 2 5
1629 3 9 12
1630 0 2 1
1633 0 3 3
1634 0 3 3
1637 0 1 1
1638 0 1 1
ANNÉES. Aurores
boréales
conſidérables.
Aurores
boréales
médiocres.

Total.
1640 0 1 1
1645 0 1 1
1646 0 1 1
1650 0 1 1
1654 0 1 1
1655 0 1 1
1657 0 2 2
1661 0 2 2
1662 0 1 1
1663 0 1 1
1664 0 1 1
1665 0 2 2
1666 0 1 1
1671 0 1 1
1673 0 1 1
1676 0 2 2
1677 0 2 2
1680 0 1 1
1682 0 1 2
1683 0 2 2
1684 0 2 2
1685 0 1 1
1686 2 2 4
1690 3 0 3
1692 0 2 2
1693 0 2 2
1694 0 2 2
1695 0 4 4
1696 0 4 4
1697 0 1 1
1698 0 9 9
1699 0 0 4
1702 0 1 1
ANNÉES. Aurores
boréales
conſidérables.
Aurores
boréales
médiocres.

Total.
1704 0 1 1
1707 3 9 12
1708 1 0 1
1709 0 3 3
1710 1 0 1
1711 0 1 1
1714 0 1 1
1716 1 10 11
1717 2 10 12
1718 1 26 27
1719 8 24 32
1720 5 23 28
1721 2 17 19
1722 3 41 46
1723 4 26 30
1724 0 26 26
1726 7 59 46
1727 2 65 67
1728 7 79 86
1729 6 59 65
1730 5 111 116
1731 5 52 57
1732 2 98 100
1733 8 19 27
1734 3 35 38
1735 4 47 51
1736 9 33 42
1737 11 29 40
1738 3 6 9
1739 11 15 26
1740 1 1 2
1741 12 9 21
ANNÉES. Aurores
boréales
conſidérables.
Aurores
boréales
médiocres.

Total.
1742 3 11 14
1743 0 9 9
1744 0 3 3
1745 0 3 3
1746 0 1 1
1747 0 7 7
1748 0 3 3
1749 0 3 3
1750 3 9 12
1751 0 2 2

Du temps de l’année où les aurores boréales ſont plus fréquentes. L’aurore boréale, comme la plupart des autres météores, paroît plus ſouvent dans certains mois que dans d’autres : l’obſervation en fournit pluſieurs preuves, & ce n’eſt que de cette manière que cette queſtion peut être déterminée. Muſſchenbroeck, qui a obſervé dans la Hollande, pendant l’eſpace de 29 ans, 750 aurores boréales ; a trouvé qu’elles étoient plus nombreuſes dans les mois de mars, avril & mai. Afin qu’on puiſſe faire toutes les comparaiſons néceſſaires, nous rapporterons le réſultat de ſes obſervations : ſur 750 apparitions d’aurores boréales, il y en a eu 49 en janvier, 47 en février, 92 en mars, 103 dans le mois ſuivant, 110 en mai, 34 en juin, 37 dans le mois de juillet, 59 dans celui d’août, 64 dans celui de ſeptembre, en octobre 74, en novembre 47, & enfin, 34 en décembre. Cours de phyſique, &c. tom. 3. page 382.

M. de Frobès, déjà cité, peut, par le moyen des matériaux qu’il a raſſemblés, fournir celui de réſoudre la queſtion. Mais comme il ſeroit trop long de rapporter ici le dénombrement qu’il a fait des apparitions de l’aurore boréale, depuis le commencement du monde, & que d’ailleurs on ne ſait le jour ou le mois, que de celles qui ont paru à-peu-près depuis une douzaine de ſiècles, nous nous bornerons au réſultat de ces dernières.

Depuis l’an 583, juſqu’au mois de mars de l’année 1739, & ſeulement dans le nombre de 143 années, priſes dans cet intervalle de temps, & pendant leſquels l’aurore boréale s’eſt montrée, on trouve 68 aurores boréales dans le mois de janvier, 90 dans le mois de février, 113 dans celui de mars, 67 dans celui d’avril, 28 dans le ſuivant, 15 en juin, 11 en juillet, 45 en août, 80 en ſeptembre, & 99, 92, 8 dans les trois derniers mois, ce qui fait en tout 796 apparitions.

Si on ne commence ce dénombrement qu’à l’année 1716, juſqu’à l’année 1739, excluſivement, on aura, dans un eſpace de 22 ans, ſans interruption, 562 apparitions d’aurores boréales, dont 44 ſont en janvier, 60 dans le mois de février, 86 en mars, 44 dans le mois ſuivant, 17 en mai, 9 en juin, 6 en juillet, 28 en août, 60 en ſeptembre, 80 en octobre, 62 en novembre, & 66 dans le mois de décembre ; d’où il réſulte que les aurores boréales ont paru plus ſouvent en mars & en octobre, & plus rarement en juillet, juin & mai.

M. Celſius, célèbre aſtronome Suédois, a raſſemblé un grand nombre d’obſervations de l’aurore boréale faites en Suède, par lui ou par ſes amis. Depuis 1716, juſqu’en 1733, incluſivement, il compte 384 aurores boréales, dont 40 ont paru en janvier, 44 en février, 57 en mars, 25 en avril, 11 en mai, 1 en juin, 2 dans le mois de juillet, 23 dans le mois ſuivant, 42 en ſeptembre, 57 en octobre, 46 dans le mois de novembre, & 36 en décembre.

M. Ch. Kirch, rapporte 106 obſervations d’aurores boréales, faites à Berlin, de 1707 à 1735, ce qui forme l’eſpace de 20 années. L’aurore boréale a paru 6{lié}}fois en janvier, 10 en février, 17 en mars ; & les nombres ſuivans 12, 3, 1, 34, 10, 25, 12 & 3 ſont relatifs à la ſuite des autres mois.

M. Weidler, profeſſeur de mathématiques, à Wittemberg en Saxe, a obſervé depuis 1730, juſqu’en 1751, excluſivement, 90 aurores boréales, dont il y en a 8 en janvier, 11 en février, 13 en mars, 7, 3, 0, 2, 11, 8, 16, 5, 6, dans les 9 mois ſuivans.

M. Euſt Zanotti, frère de l’illuſtre ſecrétaire de l’inſtitut de Bologne, & M. Bart. Beccari, de la même académie, ont obſervé à Bologne, & en pluſieurs autres endroits de l’Italie, depuis 1727, juſqu’en 1751, incluſivement, 88 aurores boréales, dont 4 ſont en janvier, 9 en février, 21, 5, 3, 4, 6, 7, 7, 12, 3, 7, pour les mois ſuivans.

M. Deliſle, célèbre aſtronome François, appelé à Peterſbourg, pour y profeſſer l’aſtronomie, & M. de la Croyère ſon frère, ont obſervé dans cette ville, 233 aurores boréales, de 1726 à 1737, dont le premier de ces ſavans a fait mention dans les mémoires pour ſervir à l’hiſtoire & au progrès de l’aſtronomie, Pétersbourg année 1738. Il compte 9 aurores boréales en janvier, 20 en février, 40, 22, 3, 0, 1, 16, 42, 43, 24, 13, dans les mois ſuivans.

M. Thomas Short, docteur en médecine, publia à Londres, en 1749, une hiſtoire générale & chronologique de l’air, de l’eau, des ſaiſons, des météores, &c., dans laquelle on trouve un catalogue des aurores boréales les plus remarquables depuis l’an du monde 3516. En ne commençant la ſupputation qu’en 1717 ſeulement, juſqu’en 1742, on aura les 127 obſervations ſuivantes d’aurores boréales.

janvier. février. mars. avril. mai. juin. juillet. aoust. septemb. octob. novemb. décemb.
8, 6, 17, 11, 1, 0, 2, 9, 19, 32, 14, 8.

Les Transactions philoſophiques de la Société Royale de Londres ne font aucune mention de l’Aurore boréale avant l’année 1716 ; & depuis cette époque juſqu’en 1750, on y rapporte deux cent deux obſervations faites en divers pays & par divers membres : elles donnent en

janvier. février. mars. avril. mai. juin. juillet. aoust. septemb. octob. novemb. décemb.
10, 12, 32, 15, 3, 1, 3, 8, 24, 45, 20, 29.

Réuniſſant enſemble les obſervations de MM. Muſſchenbroeck, Frobès, Celſius, Kirck, Weidler, Zanotti & Beccari, Short, & des Tranſactions philoſophiques, on formera une Table générale qui préſentera le réſultat de tous les dénombremens déjà cités de cette manière.

Observations
de mm.
Janv. Fév. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc. Sommes pour les
années.
Frobès 68 90 113 67 28 15 11 45 80 99 92 88 796
Celſius 40 44 57 25 11 1 2 23 42 57 46 36 384
Kirck 6 10 17 12 3 1 3 4 10 25 12 3 106
Weidler 8 12 13 7 3 0 2 11 8 16 5 6 91
Zanotti & Beccari 4 9 21 5 3 4 6 7 7 12 3 7 88
Deliſle 9 20 40 22 3 0 1 16 42 43 24 13 233
Short 8 6 17 11 1 0 2 9 19 32 14 8 148
Tranſ. Philoſoph. 10 12 32 115 3 1 3 8 24 45 20 29 202
Muſſchenbroeck 49 47 92 103 110 34 37 59 64 74 47 34 750
Sommes pour les
mois.
202 250 402 267 165 56 67 182 296 403 263 224 2798
Somme totale.

Cette Table eſt différente de celle qu’en a donnée M. de Mairan, 1o. en ce qu’il n’a point employé les obſervations de M. Muſſchenbroeck, qui ſont dans la nouvelle édition en trois volumes in-4°. 2o. En ce que nous avons ſupprimé les réſultats du Recueil de M. Kirck en ſupplément, dont les obſervations ſont iſolées & ont été priſes çà & là, dans l’eſpace d’environ un ſiècle ; c’eſt ce qui fait que toutes les ſommes pour les mois & la ſomme totale diffèrent de beaucoup. 3o. Dans les réſultats de M. Short, nous avons ſupprimé vingt-une obſervations d’aurores boréales faites depuis 993 juſqu’à 1690, & nous n’avons commencé qu’à l’année 1717.

De ces comparaiſons, M. de Mairan vouloit conclure, relativement à ſon ſyſtème, que dans le périhélie, il y avoit ſur l’aphélie un excès de fréquence d’apparitions de l’aurore boréale ; qu’il y avoit un rapport marqué entre les apparitions de ce phénomène pendant les mois d’octobre, novembre, décembre, janvier, février, mars, & celles de l’aurore boréale durant les ſix mois ſuivans, & que ce rapport étoit de 550 à 246, ou environ de 9 à 4. Ce rapport ne prouve point un rapport de fréquence du périhélie à l’aphélie, mais plutôt un rapport de la ſaiſon froide à celle qui l’eſt moins, puiſque le nombre des aurores boréales eſt non-ſeulement plus grand en hiver qu’en été, mais encore dans les climats ſeptentrionaux que dans ceux qui le ſont moins, de même que les phénomènes électriques.

Il eſt donc plus ſage d’attendre que les obſervations de ce genre ſoient multipliées en divers lieux, & de nous contenter de ſavoir encore qu’en ſe bornant aux obſervations précédentes, qui ſont très-variées quant au climat, dans le mois de mars & dans celui d’octobre, les aurores boréales ont paru plus fréquemment que dans les autres mois de l’année, puiſque nous trouvons 402 & 403 pour la ſomme des apparitions de ce phénomène ; que dans les mois de juin & de juillet, temps où les nuits ſont fort courtes & les crépuſcules très-longs, elles ſe ſont montrées beaucoup plus rarement, & ainſi des autres mois ; c’eſt ce que nous nous ſommes uniquement propoſés ici.

Ce réſultat pouvoit être encore modifié par les obſervations des nouveaux ſavans qui ſe ſont enſuite conſacrés à la météorologie, M. Van-Swinden par exemple, a compté à Franeker en Friſe, trente-ſix aurores bien décidées en 1777.

janvier. février. mars. avril. mai. juin. juillet. aoust. septemb. octob. novemb. décemb.
1, 2, 6, 5, 3, 1, 0, 3, 3, 5, 4, 3.

De la durée des aurores boréales. Rien n’eſt plus variable que le temps pendant lequel brillent les aurores boréales. Quelquefois elles ne paroiſſent que durant quelques minutes ; d’autres fois, pendant pluſieurs heures, il y a des circonſtances où on les voit pluſieurs jours de ſuite, ſoit avec interruption, ſoit ſans interruption. Pour prouver ces vérités, il ſuffit de citer quelques obſervations, relativement à la durée des aurores boréales pendant quelques jours de ſuite ; car tout le monde ſait que la durée de chaque apparition eſt infiniment variable, non-ſeulement d’un jour à l’autre, mais encore dans le même jour, c’eſt-à-dire, que la longueur de temps de quelques apparences eſt ſujette à des changemens très-multipliés.

L’aurore boréale du mois de ſeptembre 585, parut pendant trois nuits de ſuite. En 1593, l’aurore boréale se montra les 24, 25, 26, 27, 28, 29 & 30 octobre. Voyez la collection académique, tome VI, page 551. Voilà pour les temps éloignés de nous. Dans le ſiècle préſent, les choſes ont été les mêmes. M. Maraldi vit, en 1716, les 15 &16 décembre, l’aurore boréale ; de même le 6, le 9, 10 & 11 janvier 1717 ; le 6, 10 & 11 février 1720. En 1731, l’aurore boréale fut obſervée le 2, 3, 4, 5, 7 & 8 octobre ; de même le 23, 24 & 25 de ce mois.

Le 24 octobre 1769, M. l’abbé Diquemare vit au Havre, pendant quatre nuits conſécutives, une très-belle aurore boréale. Il en obſerva encore dans les derniers jours de mars, & pendant les dix premiers jours d’avril de l’année 1778. M. Muſſchenbroeck en en a auſſi obſervé une qui dura dix jours de ſuite.

M. Van-Swinden, dans l’année 1777, à Franeker en Friſe, où il a long-temps obſervé, a vu pluſieurs aurores boréales conſécutives ; ſavoir, les 6, 10, 11, 12, 22 & 29 mars de l’année 1777. Le mois ſuivant elle parut les 4, 5, 7, 8 & 9 ; en mai, le 30 & le 31 ; en octobre, le 8 & 10, le 24 & le 25.

Il paroît probable que les aurores boréales qui paroiſſent pendant pluſieurs nuits conſécutivement, ont continuellement duré ſans aucune interruption, & n’ont été effacées que par le jour. Je penſerois même que l’aurore boréale eſt preſqu’un phénomène permanent, qui non-ſeulement ſubſiste pendant pluſieurs mois, mais conſtamment & habituellement durant toute l’année ; & que c’eſt, ſous ce rapport, qu’il faut moins chercher les cauſes qui la font paroître que celles qui l’empêchent de ſe montrer toujours, & qui ſont ſi nombreuſes & ſi aiſées à être reproduites.

Les aurores boréales n’ont point de ceſſations périodiques & de repriſes régulières. Les idées d’ordre, d’enchaînement & de combinaiſon, plaiſent ordinairement à l’eſprit, & on eſt naturellement porté à imaginer dans la plupart des phénomènes une période réglée & des retours certains. La marche conſtante des aſtres, les loix préciſes qu’ils obſervent dans leur courſe réglée ; les variations régulières des ſaiſons, la production annuelle de pluſieurs végétaux & de quelques êtres animés dans des temps déterminés, nous perſuadent qu’il en eſt de même de divers autres phénomènes qui tiennent à un concours de cauſes variables ; c’eſt le propre de l’eſprit humain de vouloir tout généraliſer & de ſoumettre aux loix qu’il a créées tous les êtres de la nature ; il n’est donc pas étonnant que quelques-uns aient voulu ranger l’aurore boréale parmi les phénomènes coſmiques.

Le ſpectacle de l’aurore boréale ſe montre lorſque les cauſes qui concourent à le former ont lieu, & il diſparoît dès qu’elles ceſſent d’exiſter ; mais, comme depuis la production de notre globe, ces cauſes formatrices ont éprouvé continuellement de grandes variations, ce phénomène a dû ſe préſenter quelquefois avec plus ou moins de magnificence, ſans avoir de période réglée. C’eſt ainſi que les orages, les globes de feu, les tonnerres, les tremblemens de terre, les pluies, les iris, les couronnes, les parhélies, les paraſelènes, & les autres météores aériens, aqueux, ignées ou lumineux, ſont produits dans divers temps, quoiqu’ils n’aient point d’interruptions régulières & de retours périodiques.

À la vérité, en conſultant les anciens hiſtoriens, on ſeroit tenté de croire que l’aurore boréale ne s’eſt point montrée ou du moins très-rarement pendant des intervalles de temps aſſez conſidérables, mais le ſilence des auteurs ne forma jamais une preuve. La lumière zodiacale, qui certainement a toujours exiſté, n’a cependant été découverte qu’en 1683, par M. Caſſini, qui l’obſerva juſsqu’en 1688. MM. Fatio, Kirch & Eimmart en firent auſſi pluſieurs obſervations juſqu’en 1694 ; & depuis pluſieurs années ſe paſſèrent ſans que perſonne s’occupât de cet objet, & en fit conſéquemment aucune mention. On ne peut cependant douter que la lumière zodiacale n’ait été très-ſouvent viſible depuis cette époque.

« Je ne comprends pas, dit avec raiſon M. de Mairan, par quel ſort un objet, qui touche de ſi près à l’aſtronomie moderne & à la phyſique céleſte, a été négligé juſqu’à ce point par les aſtronomes & par les auteurs météorologistes.» M. de Mairan auroit pu en dire autant des ſiècles & des années, où on s’eſt imaginé que l’aurore boréale n’avoit point paru, parce que les hiſtoires de ces temps n’en préſentoient aucun veſtige.

Ces prétendues interruptions périodiques & ces reprises régulières, que l’illuſtre académicien que nous venons de nommer, a créées pour le beſoin & l’intérêt de ſon ſyſtême, ont ſouvent dépendu des pluies, des nuages & des temps peu favorables, qui ont empêché d’obſerver les apparitions de l’aurore boréale, quelquefois du défaut d’obſervateurs dans certains temps & dans certains lieux ; d’autres fois, ſur-tout avant l’art merveilleux de l’imprimerie, de la difficulté de tranſmettre à la poſtérité les obſervations qui ont été réellement faites.

Une autre cauſe du ſilence des auteurs, eſt que ſouvent on a confondu des aurores boréales tranquilles & de peu d’éclat, avec le crépuſcule perpétuel, qui, pendant l’été, a lieu dans les contrées ſeptentrionales.

La ſuperſtition, les préjugés, l’ignorance de la nature & des cauſes de ce phénomène, ont été encore de nouveaux obstacles, & ont eu bien plus d’influence qu’on ne penſe ſur les hiſtoriens des ſiècles de ténèbres.

Je pourrois rapporter ici un grand nombre de preuves déciſives de ces aſſertions ; néanmoins je me bornerai à une ſeule. M. Jean-Dominique Berando, de Cineo en Piémont, ayant lu dans l’Encyclopédie d’Yverdon, tome IV, page 284, qu’on ne voit preſque jamais d’aurores boréales en Italie, écrivit à M. de Lalande, que depuis quatre ans qu’on avoit établi un obſervatoire dans la tour de Cineo, il en avoit déjà obſervé quatre, ſpécialement le 27 octobre 1772, vers les ſept heures du ſoir. Celle-ci parut juſqu’à dix heures & demie qu’elle fut couverte par un nuage. M. l’abbé Pellegrini l’obſerva de même ; & ils prirent de-là occaſion de lire des mémoires à la ſociété phyſique de Cineo, dans leſquelles ils expliquèrent, par des aurores boréales, bien des phénomènes cités comme des prodiges dans les hiſtoires d’Italie, ainſi que M. Mairan expliquoit les fables de l’olympe & la fée Morgane, &c. Voyez le Journal des ſavans, 1773, page 188.

Avant que ces obſervateurs fuſſent entrés dans cette carrière, pluſieurs aurores boréales dont nous n’avons aucune connoiſſance, avoient paru ſans doute ; & nous ignorerions à jamais les apparitions dont ils ont été témoins, ſans un concours de certaines circonſtances. Lorſque des obſervateurs aſſidus ſe ſont consacrés à l’art des obſervations, on a vu de fréquentes aurores boréales ; & dès que le nombre ou le zèle de ces ſavans ont diminué, elles ont ſemblé paroître plus rarement. Depuis que le P. Cotte s’eſt livré à la météorologie, il a apperçu, chaque année, à Montmorenci un très-grand nombre d’aurores boréales ; dans l’eſpace de dix ans il en obſerva quatre-vingt-ſix, (journal des ſavans, juillet 1778) après, il a continué à en voir ſucceſſivement un grand nombre qu’on auroit cru n’avoir jamais exiſté, s’il n’avoit multiplié ſes veilles.

M. Van Swinden, en 1777, vit trente-ſix aurores boréales bien décidées, & huit autres indéciſes, à Franeker. Muſſchenbroeck en obſerva ſoixante-deux en 1730, &c. &c. Celſius, à Upſal, en 1739, obſerva quarante-ſix aurores boréales, & Euler 29 à Péterſbourg, en 1771, &c. &c.

Plus il y a eu à Paris d’obſervateurs, plus on en a remarqué ; en 1717, on vit dans cette ville ſeize aurores boréales ; les années où les aſtronomes ont été plus laborieux, on a aperçu beaucoup plus d’aurores boréales. Depuis qu’on a établi à l’obſervatoire de Paris de jeunes élèves qui, chaque nuit, ſont en ſentinelle, aucun phénomène de ce genre n’échappe, & on ne trouve plus de ceſſations prétendues périodiques ; au contraire, avant 1616, temps où il y avoit peu d’obſervateurs & où ceux qui existoient, obſervoient rarement, on regardoit cette lumière qu’ils pouvoient quelquefois apercevoir vers le nord, comme un foible météore qu’ils négligeoient ; au contraire, avant 1716, dis-je, il n’eſt fait, par cette raiſon, aucune mention des aurores boréales, ni dans les mémoires de l’Académie des ſciences de Paris, ni dans les tranſactions philoſophiques de Londres.

Cette branche de nos connoiſſances ayant été, depuis peu, preſque par-tout accrue & perfectionnée, les obſervations de ce phénomène ont été auſſi, dans toutes les contrées ſavantes, en rapport avec le nombre des obſervateurs. Si un phyſicien ne faiſoit pas attention à ces circonſtances, il pourroit donner un libre eſſor à ses conjectures, & imaginer, dans ces derniers temps, des ceſſations & des reprises périodiques des aurores boréales ; mais c’eſt ce qu’a fait M. de Mairan qui, dans les ſiècles paſſés, a cru trouver un ordre chronologique de repriſes de l’aurore boréale, & une correſpondance de ces mêmes repriſes avec les accroiſſemens de l’atmoſphère ſolaire, & avec les différentes ſituations du globe terreſtre qui, certainement, n’ont aucun fondement. L’auteur dont nous combattons le ſentiment, auroit dû ſe rappeler une remarque, très-judicieuse qu’il avoit faite. « La plupart des anciens auteurs ont écrit dans des pays fort méridionaux, où par conſéquent l’aurore boréale devoit être moins fréquente, plus baſſe & moins étendue que chez nous ; & comme d’ailleurs ces pays plus chauds que le nôtre, n’en étoient que plus ſujets aux météores ignées ou lumineux de toute eſpèce, il n’eſt pas étonnant que les anciens aient ſouvent confondu ceux-ci avec les phénomènes de l’aurore boréale, & d’autant plus, qu’ils leur attribuoient à tous une cauſe commune, » Page 169.

M. de Fontelle confirme merveilleuſement notre opinion ; « Ce que l’on ne connoît point eſt aſſez mal obſervé. Il faut ſavoir à-peu-près ce que l’on voit pour le bien voir. Les plus anciens auteurs, qui ne connoiſſent nullement les aurores boréales, ou les ont confondues avec des météores purement terreſtres, ou en les décrivant, les ont chargées de toutes les fauſſes merveilles que leur imagination étonnée leur fourniſſoît. On les reconnoît pourtant, on les démêle, & du moins l’ancienneté du phénomène eſt bien prouvée ; mais ou les plus anciens écrivains vivoient dans des pays trop méridionaux pour y voir ſouvent des aurores boréales ; ou quand ils en ont parlé, ils n’ont pas cru que la circonſtance de la ſaiſon fût importante à remarquer. »

L’aurore boréale, dépendant de l’électricité, ainſi que nous le prouverons bientôt, l’aurore boréale paroîtra lorſque le fluide électrique ſe trouvera accumulé dans une partie de l’atmoſphère pour ſe porter dans une autre ; effet principal qui réſulte de pluſieurs cauſes productrices & de pluſieurs circonſtances favorables ; mais ſi le défaut d’équilibre électrique entre les dernières régions de l’atmoſphère eſt peu conſidérable, s’il y a une trop grande diſtance de la terre au lieu où est formée cette rupture d’équilibre, ſi, &c., &c., alors l’aurore boréale, quoique exiſtante, n’aura pas un éclat aſſez ſenſible pour paroître ; & on verra des ceſſations accidentelles dans des temps plus ou moins grands, mais qui ne ſeront nullement périodiques. Leurs ceſſations & leurs retours ſeront comme celles des météores, dépendantes de pluſieurs cauſes contingentes ; les ouragans, les tonnerres, les tremblemens de terre, les feux volans, les pluies, les grêles, les autres météores, en un mot, ceſſent ou paroiffent, deviennent plus ou moins fréquens dans divers temps, ſelon que les cauſes accidentelles détruiſent ou modifient différemment les cauſes générales dont ils proviennent.

L’aurore boréale paroît fréquemment dans les contrées ſeptentrionales. Il eſt certain qu’on voit très-ſouvent dans les régions circonpolaires une lumière ſeptentrionale ; c’eſt un fait admis par tous les auteurs, même par ceux qui rejettent la perpétuité des aurores boréales. La Peyrère, dans ſa relation du Groënland, compoſée en 1666, à Copenhague, parle ainſi de cette lumière ſeptentrionale, d’après une chronique iſlandoiſe, écrite au commencement du quinzième ſiècle, par Snozzo Sturlœſonius, habitant de cette iſle, qui eſt regardée comme un témoignage très-ſûr. « L’été du Groënland, dit-il, eſt toujours beau, jour & nuit, ſi l’on doit appeler nuit ce crépuſcule perpétuel qui occupe en été tout l’eſpace de la nuit…… Il ſe lève au Groënland une lumière avec la nuit, lorſque la lune eſt nouvelle ou ſur le point de le devenir, qui éclaire tout le pays, comme ſi la lune étoit au plein ; & plus la nuit eſt obſcure, plus cette lumière brille : elle fait ſon cours du côté du nord, & c’eſt pourquoi elle eſt appelée lumière ſeptentrionale ; elle reſſemble à un feu volant & s’étend en l’air, comme une haute & longue paliſſade ; elle paſſe d’un lieu à un autre, & laiſſe de la fumée aux lieux qu’elle quitte. Il n’y a que ceux qui l’ont vue qui ſoient capables de ſe repréſenter la promptitude & la légèreté de ſon mouvement, elle dure toute la nuit, & s’évanouit avec le ſoleil levant…… On m’a aſſuré que cette lumière ſeptentrionale ſe voit clairement de l’Iſlande & de la Norwège, lorſque le ciel eſt ſerein & que la nuit n’eſt troublée d’aucun nuage ; elle n’éclaire pas ſeulement les peuples de ce continent arctique, elle s’étend juſqu’à nos climats ; & cette lumière eſt la même ſans doute que notre ami célèbre le très-ſavant & très-judicieux philoſophe Gaſſendi m’a dit avoir obſervé pluſieurs fois, & à laquelle il a donné le nom d’aurore boréale. » On ne peut méconnoître dans ce témoignage ſi déciſif les preuves de l’exiſtence fréquente de l’aurore boréale dans les contrées circonpolaires du nord. Cette lumière, qui fait ſon cours du côté du ſeptentrion, qui reſſemble à un feu volant qui s’étend en l’air comme une longue paliſſade qui preſſe d’un lieu dans un autre, qui eſt remarquable par la promptitude & la légèreté de ſon mouvement, &c. cette lumière, avec tous ces caractères, ne peut être autre choſe que l’aurore boréale ; & cette deſcription ne peut convenir en aucune façon à la lumière produite par le reflet des glaces du nord, ni par le crépuſcule, qui ne peuvent ſe mouvoir avec une promptitude & une légèreté qu’il n’eſt pas poſſible de ſe repréſenter ſans l’avoir vue.

Thormodus Torfeus, célèbre hiſtoriographe du roi de Dannemack, dans ſa Deſcription de l’ancien Groënland, enchérit encore ſur celle de la Peyrère. Non-ſeulement il fait mention de cette lumière ſeptentrionale, connue dans ce pays ſous le nom de nordrlos, comme d’un phénomène très-commun, mais il parle des jets de lumière qui, comparés à des tuyaux d’orgue, ou à des roseaux lumineux, paroîtroient & diſparoîtroient dans un clin-d’œil. Torfeus ajoute que Petrus Claudii ou Peder Clauſen s’eſt trompé qiiand il a cru que ce phénomène étoit particulier au Groënland, à l’Iſlande, & aux extrémités de la Norwège. Il aſſure expreſſément qu’il avoit « vu ce même météore en Iſlande de ſes propres yeux ; que c’étoit, à la vérité, une lumière plus tranquille & plus continue, quoiqu’elle ne laiſſât pas quelquefois de ſe mouvoir avec impétuoſité, &c. » Cet hiſtorien parle, à la vérité, de la frayeur que cet objet avoit alors cauſé aux habitans de l’île : elle pouvoit être un effet des préjugés & de l’ignorance des cauſes de ſes feux, de ces jets de lumière, comme elle l’a été généralement dans des temps plus reculés, quoiqu’on vît ſouvent ce phénomène. Le peuple de l’Iſlande, au commencement de ce ſiècle, pouvoit bien reſſembler aux françois du ſixième, du huitième, du neuvième & du douzième ſiècle : la figure que donne Torfeus eſt tout-à-fait curieuſe.

Si quelques voyageurs, tels que Huyghens de Linsſchot, Frédéric Martens, Jean Wood ne parlent pas de ce phénomène, c’eſt qu’on ne parcourt les terres & les mers arctiques que dans certaines ſaiſons où les aurores boréales, ou ne paroiſſent pas ſenſiblement, ou ſe montrent avec moins d’éclat ; c’eſt que les meilleures desſriptions des pays ſont remplies d’omiſſions, & que l’attention que des voyageurs qui ne font ordinairement que paſſer dans des pays éloignés, dépend de leurs idées, de leur goûts, &c.

Par ces témoignages & par les ſuivans, je me hâte de le remarquer, je ne prétends point prouver que les aurores boréales reſplendiſſantes ſont perpétuelles ; mais ſeulement que les aurores boréales tranquilles paroiſſent aſſez conſtamment au nord & dans les contrées circonvoiſines.

M. Celſius convient, « qu’à en juger par la manière dont quelques hiſtoriens du nord ſe ſont exprimés ſur la lumière boréale, on ſeroit tenté de croire que cette lumière y eſt conſtante & perpétuelle. » Ce ſavant aſtronome, pendant ſon ſéjour à Tornes en Bothnie, avec les académiciens français, pour la meſure d’un degré du cercle polaire, obſerva quarante-ſix apparitions de l’aurore boréale, depuis le premier octobre 1736, juſqu’au 22 avril 1737, c’eſt-à-dire, dans l’eſpace de moins de ſept mois, ainſi qu’on peut le voir dans les Acta litteraria & ſcientiarum de Suède, 1737. Cet habile aſtronome ayant pris la réſolution de l’obſerver en Suède, trouva, au bout d’un petit nombre d’années, qu’elle y avoit paru trois cent ſeize fois.

Les aurores boréales ſont très-fréquentes en Iſlande, & plus fortes que celles qu’on voit communément ; elles ſe montrent dans cette iſle « ſur tous les rhumbs de la bouſſole, principalement méridional. On y voit un ſegment très-noir, qui jette de fortes colonnes de lumières. Les aurores boréales paroiſſent plus communément quand il fait ſec, quoiqu’on en ait vu auſſi pendant la pluie, ainſi qu’avant ou après. La lumière qu’elles répandent, eſt ſouvent teinte d’une couleur jaune, verte & pourpre » Voyez l’ouvrage de M. de Troïl ſur l’Iſlande.

Dans l’eſpace de moins de ſept mois, ainſi qu’on peut le voir dans les Acta litteraria & ſcientarum de Suède, 1737.

M. Anderſon, célèbre voyageur, nous donne, dans ſon Histoire naturelle de l’Iſlande, du Groënland, &c. (Tom. I, p. 229 ) une nouvelle preuve de la fréquence des apparitions de l’aurore boréale, pour les terres arctiques : « Il m’a toujours paru, dit-il, extraordinaire, que les plus anciens iſlandois, à ce qu’on m’a aſſuré, s’étonnent eux-mêmes des apparitions fréquentes des aurores boréales, diſant qu’autrefois on les voyoit dans leur iſle beaucoup plus rarement qu’aujourd’hui : « C’eſt qu’autrefois elles n’étoient ni connues comme aurores boréales, ni obſervées, ni conſignées dans l’hiſtoire comme à préſent, l’art de l’imprimerie n’exiſtant pas.

En général, les aurores boréales tenant à une cauſe qui a dû avoir lieu dans tous les temps, & qui devoit les déterminer à paroître du côté des régions ſeptentrionales, ainſi que nous le prouverons, ont dû ſe montrer de ce côté ; mais mille circonſtances ont pu empêcher que le récit de toutes leurs apparitions n’ait été transſis juſqu’à nous ; d’un autre côté, les obſervateurs n’ont preſque fait attention qu’aux aurores boréales reſplendiſſantes.

On a obſervé quelquefois, avant & après l’entrée du printemps, pluſieurs aurores boréales indéciſes, dont la matière eſt preſqu’également répandue ſur tout l’horiſon, & quelquefois vers le couchant ſeulement, ou même vers le midi. On en vit de ces dernières, le 9 janvier 1730, à dix heures du ſoir, qui s’étendoit préciſément à l’eſt-ſud-eſt avec des bandes claires & obſcures, & avec quelques rayons. Le 15 février de la même année, il en parut une à Genève, obſervée par M. Cramer ; à Marſeille, par le P. Laval ; à Beziers, par M. Bouillet : elle étoit remarquable par la zône lumineuſe & mouvante, couchée le long du zodiaque, & par pluſieurs autres circonſtances ; elle étoit en ce ſens toute méridionale, & par-là beaucoup plus remarquable, que le demi-grand cercle vertical de celle du 16 novembre 1729 qui, juſque-là, étoit unique. Hiſt. de l’Académie, 1730, p. 8. MM. Muſſchenbroek, Weidler ont vu auſſi des aurores méridionales ; on en a également aperçu à Montpellier.

De l’aurore méridionale. On a donné le nom d’aurore boréale au phénomène dont nous avons parlé juſqu’ici, parce qu’il a été premièrement obſervé dans l’hémiſphère ſeptentrional, & parce qu’on a remarqué qu’il étoit ordinairement dirigé vers le nord ; mais dans ces derniers temps, des voyageurs & des navigateurs célèbres ayant parcouru l’Amérique méridionale & les mers auſtrales, ont été témoins de pluſieurs aurores ſituées vers le pôle auſtral de la terre, ſemblables en tout à celles que nous remarquons ſouvent vers le nord ; de ſorte qu’on peut les nommer, avec raiſon, aurores méridionales, aurores auſtrales. Puiſqu’il y a des aurores à chacun des deux pôles, on devroit donc donner au phénomène dont nous traitons à ce mot aurore, le nom d’Aurore polaire.

Quoiqu’on n’ait pas fait dans l’hémiſphère auſtral autant d’obſervations de ce phénomène que dans nos contrées, il ne faut pas en conclure que l’aurore boréale ſoit plus commune au nord que l’aurore auſtrale au midi ; parce que les mers du ſud ne ſont pas fort connues, encore moins fréquentées, & que ce n’eſt que depuis peu qu’on les a reconnues & encore fort rapidement ; d’un autre côté, elles ſont très-orageuſes & preſque toujours le ciel y eſt couvert de brumes ; de plus, les voyageurs ne peuvent s’inſtruire de ce qui arrive communément dans ces contrées, parce que les nations qui habitent ces continens, ou les iſles de ces parages, ne ſont point policées, que les ſciences leur ſont entièrement inconnues, & ſur-tout que leur langage eſt ſi éloigné des idiomes des voyageurs Européens, qu’on n’a que des moyens très-imparfaits de ſe communiquer réciproquement ſes idées. C’est ce que nous apprennent les relations des différens voyages entrepris  récemment autour du monde.

Dans le voyage manuſcrit de Desbois, autour du monde, ce navigateur dit, qu’après avoir doublé, à cinquante-deux degrés de latitude ſud, le cap des Vierges, qui fait l’embouchure du détroit de Magellan, ils virent de l’autre côté de ce détroit, l’île de Feu ; « que cette terre eſt remplie de hautes montagnes, qui ſont preſque toujours couvertes de neige ou de glace. » Après avoir paſſé le détroit de le Maire & le cap de Horn, ils trouvèrent des vents contraires ; ils eſſuyèrent la pluie, la neige, la grêle qui les accabloit : la glace étoit ſouvent attachée à leurs haubans… Outre ces ſouffrances, dit-il, nous ne jouiſſions pas de ſept heures de jour, même lorſque le ciel étoit le plus ſerein ; car lorſque le temps étoit obſcur, comme il l’eſt preſque toujours, nous en avions bien moins, & nous ne vîmes pas trois fois le ſoleil pendant le ſéjour forcé que nous fîmes dans cette contrée ; encore jouiſſions-nous bien peu de ce bonheur, quand nous l’avions, &c. On voit dans ce récit la preuve que nous avons avancée, que le ciel, dans ces contrées, ne permet pas d’obſerver ſouvent les aurores boréales, & qu’elles pourroient fréquemment exiſter dans les hautes régions de l’atmoſphère, ſans être viſibles pour les habitans de l’hémiſphère auſtral, les brumes, les orages & les tempêtes les leur dérobant preſque continuellement.

Le capitaine Cook a confirmé cette vérité dans ſes divers voyages dans les mers du sud, il y a éprouvé un froid rigoureux, des brumes, des pluies & des glaces qui l’empêchoient de s’avancer vers le pole autant qu’il auroit déſiré. De ſes dernières recherches, il réſulte que la vraie terre auſtrale qu’il a découverte vers le cap Horn, eſt une terre gelée & inhabitable ; & qu’ayant pénétré juſqu’au ſoixante-onzième degré dix minutes de latitude ſud, par la longitude de deux cent cinquante-cinq degrés, comptée de Greenwich, ou deux cent ſoixante-douze & demi de l’île de Fer, il fut arrêté par une glace plate, ou par une mer gelée comme une rivière, de même que le capitaine Phlipps l’avoit trouvée dans l’hémiſphère boréal, vers quatre-vingt-un degrés de latitude. À cette occaſion, on remarquera que l’hémiſphère auſtral eſt plus froid que le notre, à-peu-près d’une quantité qui répond à dix degrés de latitude ; & les obſervations de M. Dagelet, faites aux terres auſtrales, vers le quarante-neuvième degré de latitude, prouvent la même choſe.

Ces vérités ſupposées, bien loin d’être ſurpris qu’on ait peu obſervé d’aurores auſtrales dans les contrées ou parages du ſud, on doit être étonné qu’on en ait vu autant, ainſi qu’on en ſera convaincu par les obſervations ſuivantes.

Freſier, en doublant le cap de Horn, découvert ſeulement en 1706, aperçut, en 1712, au travers des brouillards, ſi communs dans les mers australes, une aurore méridionale. Il dit expreſſément, dans ſa relation de la mer du ſud, que cette lumière étoit différente du feu Saint-Elme & des éclairs, Mém. de l’Acad. des Sciences, 1741, p. 10.

Don Antoine Ulloa, un des officiers eſpagnols qui firent le voyage de l’équateur avec MM. Godin, Bouguer & la Condamine, aperçût, en 1745, dans les mêmes parages, pluſieurs aurores auſtrales d’une très-grande clarté, quelquefois rougeâtres, quelquefois plus brillantes, qui montoient juſqu’à trente degrés au-deſſus de l’horiſon. Il ne pouvoit les obſerver tout au plus que quatre minutes de ſuite, à cauſe des brouillards épais que le vent chaſſoit : « Je penſe, dit-il, qu’elles doivent être fréquentes, dans l’hiver de cet hémiſphère, puiſque toutes les fois que les nuages le permettoient, & que |e ciel venoit à ſe découvrir du côté du pôle, j’en apercevois quelque choſe. Quant à l’heure où paroiſſoit cette aurore, le plus souvent c’étoit juſqu’à dix heures, & quelquefois juſqu’à minuit. » Pluſieurs officiers du vaiſſeau en furent auſſi témoins La lune étoit alors ſous l’horiſon : ainſi on ne doit point avoir de doute ſur ces obſervations. On peut voir cette lettre de D. Ulloa dans l’ouvrage ſur l’aſtronomie de M. Darquier ; d’autres voyageurs parlent encore d’une lumière blanchâtre qu’ils ont vue aſſez conſtamment autour du pôle méridional, lumière qui occupe un eſpace tantôt plus, tantôt moins grand, & dont l’éclat n’eſt pas même effacé par celui de la lune. Ces caractères ne conviennent, ſans contredit, qu’aux aurores polaires.

On vit à Cuſco, le 20 août 1744, une aurore auſtrale, qui y jeta la plus grande conſternation, ainſi qu’il conſte par le témoignage de D. Ignace de Chiriboga, chanoine de Quito, qui en inſtruiſit M. de la Condamine. Hiſt. de l’Acad. 1745, p. 17. Le capitaine Roſnevet en a vu une vers le quarante neuvième degré de latitude qui déclinoit de dix degrés du ſud à l’eſt.

M. Dagelet, aſtronome Français, qui partit pour aller aux terres auſtrales avec M. de Kuerguelin, ſur la frégate du roi l’Oiſeau, commandée par M. de Roſnevet, obſerva une aurore auſtrale, par les 65 degrés de longitude & 48 degrés de latitude ſud. Le 15 décembre 1773, à neuf heures & demie du ſoir, il vit une lumière fort conſidérable, dont la hauteur étoit de 30 à 35 degrés, & la largeur avoit à-peu-près cette étendue. Cette lumière étoit moins rouge & moins vive que celles qu’ont ordinairement les aurores boréales. Il y avoit pluſieurs jets de faiſceaux bien terminés qui déclinoient tous vers l’eſt, comme les aurores boréales vers l’oueſt. Elle dura à-peu-près trois quarts d’heure avant de s’affoiblir ſenſiblement. Le baromètre étoit à 27 pouces 9 lignes, & le thermomètre de M. de Réaumur étoit à 2 degrés au-deſſus du point de la congellation. On étoit alors à 12 ou 15 lieues de la terre. Journ. des ſav. 1774, p. 878.

Des principes que nous établirons, pour expliquer l’aurore boréale, il réſulte que la matière électrique des hautes régions se porte plutôt aux pôles ; qu’à l’équateur, à cauſe de la force centrifuge du globe de la terre qui, par un effet de la rotation, eſt plus grande ſous l’équateur que vers les pôles ; d’où il ſuit que les aurores polaires, toutes choſes égales, doivent être auſſi fréquentes au pôle ſud qu’au pôle nord ; mais diverſes circonſtances s’oppoſent à ce que les apparitions des aurores dont nous parlons, ſoient aperçus auſſi fréquemment au midi qu’au ſeptentrion. Le peu de correſpondances avec les habitans du ſud, l’état d’ignorance dans lequel ils ſont plongés, la rareté des voyages des Européens, les brumes conſidérables qui règnent dans ces parages, &c. ſont autant de cauſes qui dérobent à notre connoiſſance les aurores auſtrales ; de ſorte qu’on ne peut fonder, ſur cet article particulier, une objection contre les explications données de ce phénomène.

Mais quelles ſont les limites géographiques dans leſquelles ſont renfermées les apparitions de l’aurore boréale ou méridionale. Non-ſeulement elle paroît ſouvent dans l’Iſlande, le Groënland, la Suède, la Pruſſe, le Dannemarck, l’Allemagne, mais encore fréquemment en France, en Angleterre, en Hollande, &c. On l’a vue pluſieurs fois en Espagne, à Toloſa, en Guiſpuſcoa, à Cadix ſur-tout, qui est au 36me degré 25 minutes de latitude ; dans quelque contrées d’Italie, en 1726, par M. Manfredi à Bologne, &c, &c., mais elle eſt très-rare ; à la Chine, en 1718, 1719 & 1722, & quelques autres fois depuis. M. de Mairan ne croit pas qu’on puiſſe voir l’aurore, dont npus parlons, au-deſſous de 35 degrés de latitude. Cette opinion n’eſt pas fondée, car elle a quelquefois paru dans des contrées aſſez proches de l’équateur. Selon les Mémoires de l’académie des ſciences de Paris, année 1747 (Hiſt. pag. 17), le 20 août 1744, on vit une aurore polaire à Cuſco, qui eſt au 12me degré de latitude ſud ; elle y répandit l’effroi, au point que les indiens & même les espagnols la prirent pour un préſage de la fin du monde : c’eſt ce que penſoient les Français & la plupart des autres européens dans les ſiècles de ténèbres, tant la crainte eſt propre à l’ignorance. Le capitaine Cook vit une aurore auſtrale, étant à 10 degrés au ſud de l’équateur, le 16 ſeptembre 1770 ; ſon élévation au-deſſus de l’horiſon étoit de 20 degrés, & ſon amplitude de 100 degrés environ.

Déclinaison de l’aurore boréale. Il s’agit de ſavoir ſi l’aurore boréale décline ou ne décline pas du point vrai du nord ; & dans le premier cas, de combien elle en décline. Cette queſtion ne peut recevoir une ſolution que de l’obſervation. Comme celle-ci n’eſt pas conſtante, on ne peut encore rien prononcer avec certitude.

Les anciens auteurs qui ont obſervé l’aurore boréale depuis le milieu du ſeizième ſiècle n’ont pas eu l’intention de fixer cet objet ; ils ſe ſont contentés de dire que l’aurore boréale étoit au nord ou à-peu-près. Peut-être ſa déclinaiſon étoit-elle auſſi grande qu’on le remarque à préſent, peut-être étoit-elle moindre, & quelquefois nulle.

Dans l’aurore boréale du 12 ſeptembre 1621, que Gaſſendi obſerva en Provence, le ſommet de l’arc lumineux étoit ſous le nord ; & cet arc s’étendoit vers le levant, & le couchant d’été, à près de 60 degrés d’amplitude.

L’aurore boréale ſe montra en 1687, depuis la fin de juin juſqu’au 10 juillet, & l’illuſtre Dominique Caſſini dit qu’elle paroiſſoit à 11 heures & à minuit, quand la lune ne ſe levoit que fort tard, qu’on la voyoit entre les pieds de devant de la grande ourſe & la chèvre qui étoient preſque à égale diſtance du méridien, l’une du côté d’occident, l’autre du côté de l’orient.

En 1718, M. Maraldi obſerva que l’aurore boréale déclinoit du nord vers l’oueſt de 10 degrés environ.

M. Godin, célèbre aſtronome de Paris, aperçut, le 12 novembre 1632, ſur les 6 heures du ſoir, entre les étoiles de la grande ourſe, une aurore boréale qui, quoique baſſe, étoit cependant bien terminée par ſon limbe. Il n’y aperçut aucune déclinaiſon ; ce qui, dit M. de Mairan, arrive aſſſez ſouvent à l’égard de ces aurores boréales peu élevées ſur l’horiſon, & dont l’arc ne peut paroître par-là que fort ſurbaiſſée ; la hauteur apparente en étant à-peu-près la même à ſon ſommet, que quelques degrés à côté, à droite & à gauche. C’eſt par la poſition de ſes jambes, de part & d’autre de la verticale abaiſſée de l’étoile polaire, qu’on en pourroit connoître la déclinaiſon ; mais il arrive encore aſſez ſouvent que cette partie du limbe de ces phénomènes ſe confond avec des vapeurs obſcures, vraies ou apparentes, dont l’horiſon eſt chargé pendant leur apparition. M. Horrebow, qui vit celui-ci à Copenhague, après 6 heures ; y obſerva une déclinaiſon d’environ 10 degrés, & il en détermina la hauteur de 23.

Le 22 février 1734, M. Godin obſerva encore une aurore boréale à ſegment obſcur, terminé par un arc lumineux très-brillant, dont le milieu, qui s’élevoit à plus de 10 degrés, déclinoit du nord vers l’oueſt de 14 degrés. Mém. de l’acad. 1734, pag. 569. Le même phénomène, obſervé à Copenhague par. M. Horrebow, déjà cité, avoit une hauteur de 22 à 23 degrés, & une déclinaiſon de 7 à 8 degrés.

L’année ſuivante, au même jour, M. de Mairan obſerva une aurore boréale de 11 à 12 degrés de hauteur & directement ſous le pole.

L’aurore boréale du 3 février 1750, fut obſervée à Paris par M. de Fouchi : il vit le ſommet de l’arc ſenſiblement ſous le pôle. Divers autres obſervateurs, ſitués à différentes longitudes, la virent auſſi ſous le pôle.

Dans le mois de janvier 1769, on vit à Lancaſtre en Penſilvanie, une aurore boréale tranquille ſans jets de lumière, qui formoit un arc élevé d’environ 40 degrés au nord. Il eſt dit, dans les Mémoires de la ſociété littéraire de Philadelphie, qu’elle ſe terminoit d’un côté au nord-eſt, & de l’autre au nord-oueſt, comme ſi elle n’eût pas indiqué dans ſon milieu une déclinaiſon ſenſible.

Nous pourrions raſſembler ici un très-grand nombre d’obſervations faites ſucceſſivement, ſoit dans le même pays, ſoit en même temps dans diverſes contrées ; nous nous ſommes contentés d’en citer un nombre ſuffisant, deſquelles il réſulte que l’aurore boréale eſt, à la vérité, quelquefois dirigée au nord ; mais que plus ſouvent elle en décline plus ou moins, plus ordinairement vers l’oueſt.

Quelques-uns ont ſoupçonné que la matière électrique ſe portoit vers le ſeptentrion & ſortoit par les pôles de la terre vers les parties où il y avoit plus de minéraux ; mais cette ſuppoſition eſt purement gratuite ; car il n’eſt pas prouvé qu’il y ait plus de minéraux vers les pôles de la terre que vers les autres côtés ; d’ailleurs le fluide électrique des hautes régions de l’atmoſphère, eſt trop éloigné des pôles de la terre, pour que l’attraction de ces minéraux pût exercer ſon activité ſur lui ; & quand même cette action ſeroit ſuppoſée, il y a trop de cauſes perturbatrices & trop d’obſtacles vers les pôles, pour que l’effet fût conſtamment produit, &c.

D’autres phyſiciens ont penſé qu’il y avait une analogie entre le fluide électrique & le fluide magnétique ; que de plus, il y avoit un rapport entre la déclinaiſon de l’aimant & celle des aurores boréales, ſoit que ce ſoit le même fluide qui produiſe l’une & l’autre, ſoit par d’autres cauſes ; ils diſent, par exemple, qu’en 1640, la déclinaiſon de l’aimant étoit de 3 degrés vers l’eſt, qu’en 1686, cette déclinaiſon étoit de 4 degrés & demi vers l’oueſt, qu’en 1618 elle étoit de 12{{lié})degrés 30 minutes ; en 1632, de 15 & quart ; en 1734, de 15 & trois quarts, toujours vers l’oueſt, &c. Or, ces déclinaiſons de l’aiguille aimantée, comparées avec les déclinaiſons des aurores boréales dont on vient de rapporter les obſervations, indiquent un rapport, dit-on ; puiſqu’en 1621, Gaſſendi obſerva le ſommet de l’arc lumineux d’une aurore boréale ſous le pôle ; & l’aiguille aimantée déclinoit alors de 6 degrés 20 minutes vers l’eſt ; en 1687, l’aiguille étoit de 4 degrés 40 minutes vers l’oueſt, tandis que l’aurore ne paroiſſoit pas avoir aucune déclinaiſon, selon Caſſini ; en 1718, l’aurore boréale parut à M. Maraldi décliner de 10 degrés environ, tandis que l’aiguille aimantéè déclinoit de 12 degrés & demi ; en 1732, M. Godin obſerva la première de 10 degrés & la ſeconde de 15 & un quart ; & en 1734, l’une de 14 & l’autre de 15 minutes trois quarts. L’aurore boréale, vue à Lancaſtre en Penſylvanie, en janvier 1769, n’avoit pas de déclinaiſon ſenſible, & l’aiguille aimantée ne déclinoit en juillet 1770 à Philadelphie que de 3 degrés 8 minutes à l’oueſt ; mais les différences qu’on aperçoit ſont ici, ajoute-t-on, peu conſidérables.

M. le Monnier, l’aſtronome, dans ſes loix du magnétiſme, (page 153) s’exprime ainſi : « Quoique nous ayons déja fait remarquer que le milieu de l’axe des aurores boréales, lorſqu’elles ſont tranquilles, répond aſſez, en France, aux variations ſéculaires de l’aimant en déclinaiſon ; ce que celle de 1621, obſervée en ſeptembre, par Gaſſendi, & comparée avec celles qu’on a vues en ces derniers temps, indique beaucoup mieux que les 14 à 15 degrés de déclinaiſon au nord-oueſt, que M. du Fay leur attribuoit en 1721 ; il ne ſera pas inutile d’ajouter à ce qui a été dit, ce que nous ſavons des aurores auſtrales… Dans l’un des attérages aux terres auſtrales, qui fut fait en dernier lieu par M. de Roſnever, vers le quarante-neuvième degré de latitude, on a vu une de ces aurores auſtrales, qui déclinait du ſud à l’eſt au moins de 10 degrés, mais la variation de l’aimant étoit plus grande en ces parages ; & on auroit déſiré quelques obſervations faites avec le plus grand ſoin vers le temps des équinoxes, & non pas quelques jours après le solstice d’été en ces climats, ou le jour recommence preſqu’auſſitôt qu’il ceſſe, à de pareilles latitudes vers le ſud. »

« Le célèbre Cook a vu une aurore auſtrale vers le temps des équinoxes en 1720, ſon vaiſſeau ſe trouvant déjà fort loin & au ſud-oueſt de Timor, à environ 10 degrés au ſud de l’équateur. Le 16 ſeptembre, à 10 heures du ſoir ; l’aurore auſtrale s’élevoit d’environ 20 degrés ſur l’horiſon, & ſon amplitude ou l’arc de ſon étendue étoit au moins de 90 à 100 degrés, ſans aucun mouvement de vibrations : le rnilieu de l’axe de cette aurore auſtrale, tranquille, étoit au ſud-ſud-eſt, & elle a continué de paroître, ſans aucune diminution dans la vivacité de ſa lumière, juſqu’à minuit & plus, &c. »

Si l’aurore boréale étoit produite par le fluide magnétique, comme le veulent les partiſans de l’opinion que nous venons d’expoſer, on ne devroit apercevoir aucune différence entre les deux déclinaiſons ; les effets auroient alors la même direction que la cauſe ; ce qui eſt démenti par l’obſervation. Si l’on n’admet pas une identité, mais une ſimple analogie, celle-ci ne peut être que bien vague, & alors on n’en eſt pas plus avancé ; car on peut trouver une analogie générale dans les choſes les plus disparates. En effet, il n’y a point d’analogie proprement dite, entre les deux fluides dont nous parlons, le fluide magnétique n’agiſſant que ſur le fer, & le fluide électrique, ſur tous les métaux, &c. le premier ne pouvant jamais briller ni étinceller, & le ſecond, montrant toujours des aigrettes & des étincelles, l’un ne donnant jamais aucune commotion, tandis que l’autre en fait reſſentir de très-fortes, &c. &c. ; il n’y a donc ni identité, ni analogie entre ces deux fluides ; il n’y a même aucun rapport soutenu entre la déclinaiſon de l’aiguille aimanté & celle de l’aurore boréale ; car, pour l’établir, il ne ſuffit pas de montrer, dans quelques années, des quantités qui approchent l’une de l’autre ; mais il eſt néceſſaire de préſenter un paralléliſme ſenſible ; or, l’obſervation démontre qu’il n’en exiſte aucun, même en négligeant des différences assez notables.

M. de Mairan obſerva, le 22 février 1735, une aurore boréale qui étoit directement ſous le pôle ; cependant l’aiguille aimantée déclinoit alors de 15 degrés 40 minutes.

L’aurore boréale du 3 février 1750, fut obſervée par M. de Fouchi : le ſonmmet de l’arc y fut vu de différentes longitudes ſenſiblement ſous le pôle ; & cependant la déclinaiſon magnétique étoit alors de 17 degrés 15 minutes.

Le 9 novembre 1779, j’obſervai à Béziers une aurore boréale, depuis cinq heures trois quarts, juſqu’à huit heures environ : les apparences changèrent, pluſieurs fois, à en juger par les phénomènes du moment, ſouvent il parut que le ſyſtême de l’aurore boréale déclinoit vers l’eſt ; mais dans le temps de ſon plus grand éclat & de ſa plus grande étendue, le centre & le ſommet de l’arc parurent directement ſous l’étoile polaire, d’où il réſulte que pour bien juger de la poſition d’une aurore boréale, il faut la conſidérer pendant une grande partie de ſa durée, & principalement dans le temps de ſa plus grande magnificence ; ſans cela on pourroit lui donner pluſieurs centres ; il faut ſur-tout faire attention au ſommet de l’arc, & négliger la poſition des jets lumineux & des taches rouges qui s’étendent plus ou moins d’un côté ou d’autre, & qui feroient croire que l’aurore boréale a une grande déclinaiſon ; en un mot, on doit ſoigneuſement diſtinguer le centre de l’arc lumineux du centre des apparences lumineuſes ; mais dans ce temps l’aiguille aimantée déclinoit vers l’oueſt d’environ 22 degrés, ainſi que je l’obſervai ; ce qui prouve qu’il n’y a pas de marche correſpondante entre la déclinaiſon de l’aurore boréale & celle de l’aiguille aimantée. En un mot, la même année, le même mois, & la même ſemaine, nous faiſant voir l’aurore boréale, tantôt vers l’eſt, tantôt vers l’oueſt, & quelquefois directement vers le pôle, on ne peut point aſſurer que ſa déclinaiſon ſoit régulière & correſpondante à celle de l’aiguille aimantée.

Des illuſions optiques qui accompagnent l’aurore boréale. Il faut être en garde contre les erreurs des ſens ; ce ſont des guides infidèles, dont il eſt néceſſaire de ſe défier, & un phyſicien ne doit ajouter foi à leurs rapports, qu’après avoir pris toutes les précautions poſſibles pour n’être pas induit en erreur. La vue eſt peut-être de tous les ſens le plus trompeur, & tous les jours on éprouve qu’elle nous jette dans des ſurprises qu’on n’auroit pas ſoupçonnées. L’aurore boréale nous préſente pluſieurs exemples de cette vérité, ſur-tout lorſqu’il étale à nos yeux ſa plus grande magnificence. Le ciel eſt alors tout rayonnant, la voûte céleſte étincelle de tous côtés, mille jets de lumière, agités de mille mouvemens, éblouiſſent les yeux, & il n’eſt pas poſſible que ce brillant ſpectacle n’en impoſe à nos regards, en produiſant pluſieurs illuſions d’optique.

J’ai obſervé cet effet depuis long-temps, & principalement dans les aurores boréales de 1770, 1777, &c. qui ont été très belles. Une grande partie de l’hémiſphère céleſte me paroiſſoit en flammes, des rayons lumineux, des colonnes brillantes, des jets reſplendiſſans occupoient tout l’eſpace du ciel que mes regards pouvoient embraſſer ; mais je m’aperçus bientôt, en obſervant avec plus d’attention, que pluſieurs de ces jets de lumière n’étoient qu’une pure illuſion d’optique, occaſionnée par la forte impreſſion des jets qui brilloient réellement & qui ſubſiſtoient encore, lorſque ma vue ſe promenoit, pour ainſi dire, dans les eſpaces intermédiaires qui les séparoit ; pour m’en aſſurer, je portois rapidement mes regards ſur une partie du ciel où aucune lumière ne brilloit, & j’aperçus encore pluſieurs jets lumineux. Il n’y a aucun doute que dans cette portion de la voûte céleſte, il n’y avoit aucun rayon brillant, aucune lance ou pyramide, parce que j’avois pris la précaution de faire examiner auparavant le même endroit du ciel par pluſieurs perſonnes qui, depuis pluſieurs inſtans, n’avoient point regardé l’aurore boréale, & dont les yeux, par conſéquent, étoient exempts des impreſſions de lumière que j’éprouvois. Cette expérience a été faite par moi & par diverſes perſonnes, dans des circonſtances de temps & de lieu très-différentes, ainſi elle peut être regardée comme hors de doute.

Toute impreſſion de lumière, forte ou étendue, produit cette illuſion. Dans une belle nuit d’hiver, lorſque nous portons nos regards ſur l’hémiſphère boréale céleſte, nous croyons voir un million d’étoiles, les plages du ciel nous paroiſſent preſque toutes couvertes d’aſtres étincellans ; c’eſt un fait dont tput le monde a été très-ſouvent témoin ; & cependant, comme il eſt prouvé en aſtronomie, le nombre en eſt beaucoup moindre : les catalogues de Flamſtéed & de l’abbé de la Caille, raſſemblés, ne contiennent que près de cinq mille étoiles ; mais les étoiles que nous pouvons apercevoir dans nos contrées, à la ſimple vue, n’excèdent pas le nombre de onze cents ; ſi nous croyons en voir une quantité beaucoup plus grande, ce faux jugement de notre ame vient de ce que portant nos regards dans un endroit du ciel voiſin de celui où nous avons réellement aperçu des étoiles, l’impreſſion que celles-ci ont faite ſur notre organe, ſubſiſte encore, & nous la rapportons à un lieu où il n’y a point d’objet. Perſonne n’ignore qu’un tiſon allumé & mû circulairement avec une certaine vîtesse, paroît décrire un cercle, d’écrire un cercle de feu ; vraie illuſion d’optique qui résulte de la durée de nos ſenſations ; l’impreſſion que le tiſon a faite, à l’inſtant où il étoit dans une portion de la circonférence de ce cercle, ſubſiste encore lorſque ce tiſon en produit dans les autres portions où il ſe trouve succeſſivement, & on doit conſéquemment aperçevoir un anneau de feu, mais ſi la vîteſſe circulaire diminue, l’effet s’évanouit, parce que chaque révolution eſt moindre que la durée de la ſenſation.

M. l’abbé Diquemare a fait des obſervations ſur la longueur de la queue des comètes qui peuvent confirmer le principe que nous venons d’établir. Ce savant a obſervé que les queues des comètes paroiſſoient plus longues qu’elles n’étoient réellement. En interpoſant un corps opaque entre la comète & ſes yeux, de manière à ne voir que l’extrémité de la queue, cette extrémité diſparut, quoiqu’il aperçut très-bien les étoiles qu’il avoit remarquées, l’inſtant précédent, à travers la lumière de la queue ; peu après avoir retiré le corps opaque, le bout de la queue reparut, & ſembla s’étendre auſſi loin que dans la-première obſervation ; cet effet étoit même ſi conſidérable, qu’en interrompant le tiers de la queue d’une comète du côté du noyau, les deux autres tiers diſparoiſſoient ; & qu’en ôtant le corps opaque, on voyoit reparoître les deux tiers. Cette épreuve, répétée pluſieurs fois par différentes perſonnes, a toujours eu le même ſuccès.

Il étoit naturel d’examiner ſi le jets & les lances brillantes qu’on apperçoit dans les aurores boréales, par l’effet d’une ſemblable illuſion  d’optique, ne paroîtroient pas avoir plus de longueur qu’elles n’en ont dans la réalité, & ſi le bout de ces lances ne diſparoîtroit pas par l’interpoſition d’un corps opaque, placé de telle ſorte que le lieu de l’origine fût caché. M. l’abbé Diquemare s’en aſſura dans l’obſervation de l’aurore boréale du 28 juin, où les lances furent moins foibles, moins ondoyantes & moins agitées que dans les autres apparitions de ce phénomène dont il avoit été témoin précédemment. Il trouva, en effet, que le bout de ces lances diſparoiſſoit à la vue, lorſqu’on interpoſoit quelque corps entre leurs parties les plus apparentes & les yeux ; mais cet effet eſt plus foible que ſur la queue des comètes, & ſur-tout de celle de 1769, il faut même, pour le ſaiſir, dit-il, que l’extrémité la plus déliée de la lance ſe trouve devant une étoile, afin de n’avoir aucun doute ſur ce que l’illuſion est due à la vue & non à l’imagination. Il faut auſſi que cette extrémité ſoit la plus foible poſſible, & que ces lances ſoient aſſez tranquilles pour recommencer pluſieurs fois l’obſervation ſur la même, en la trouvant juſtement auſſi longue, lorſqu’on a retiré le corps intermédiaire, qu’elle l’étoit auparavant ; les lances blanches paroiſſent préférables à celles qui ſont colorées ; cet effet dépend encore de la même cauſe, de l’impreſſion que fait ſur nos yeux une lumière vive, étendue & dégradée inſenſiblement par l’une de ſes extrémités ; cette impreſſion dure encore, lorſque nous étendons nos regards plus loin. On ne ſauroit donc douter que la longueur des rayons, des lances, des pyramides, &c. qui forment le brillant ſpectacle des aurores boréales, ne ſoit en partie l’effet d’une illuſion d’optique. Néanmoins la beauté & la magnificence des aurores boréales seront encore aſſez grandes, quoique les illuſions d’optiques lui en faſſent perdre une partie ; elles en aſſurent même l’éclat & la ſplendeur, puiſque les illuſions ſuppoſent néceſſairement une grande réalité, je veux dire, une grande intenſité dans la cauſe qui eſt miſe en action.

Des présages des aurores boréales, & de leur influence ſur l’aiguille aimantée. On ſent bien que par ce titre il ne peut être, en aucune manière, queſtion des événemens politiques qu’on a cru trop long-temps avoir été annoncés par les aurores boréales ; ces temps d’ignorance & de ſuperſtition ne ſont plus ; les lumières que les ſciences & que la phyſique, en particulier, répandent, ont diſſipé à jamais ces vains préjugés. Il ne s’agit ici que des préſages relatifs à la température, qu’on peut tirer des aurores boréales ; par exemple, de ſavoir ſi elles ſont les précurſeurs des ouragans, ainſi que le penſe M. le Monnier, de l’académie des ſciences de Paris, dans ſes lois du magnétiſme, page 117 ; ſi elles annoncent un temps froid & pluvieux, comme l’a pensé l’abbé Hell, ou un temps doux & ſerein, ſelon l’opinion de quelques-uns : entrons dans quelque détail.

Toutes les apparitions de l’aurore boréale, obſervées par Gaſſendi, trois en ſeptembre, une en avril & la cinquième en février, ont été ſuivies, ainſi qu’il le témoigne par des jours doux & ſereins. Kirkius, dans l’obſervation qu’il fit à Berlin, le 6 mars 1707, dit que l’aurore boréale fut accompagnée de beau temps, & qu’il dégeloit pendant le jour. M. Maraldi dit auſſi que le 11, 12 & le 13 avril 1716, jours où il obſerva des aurores boréales, l’air fut doux, & même chaud, ainſi qu’il arriva le 17 mars de la même année, en Angleterre, où cette lumière avoit été apperçue ; l’air fut encore très-doux à Paris, le 15 & le 16 décembre 1716 ; & les 6, 9, & 11 janvier 1717, contre l’ordinaire de la ſaiſon. Il paroît donc, dit le ſavant, qu’on vient de citer, que l’apparition de ces aurores boréales a été accompagnée d’un air doux & tempéré, même en hiver & en des climats froids, ce qui donne lieu de croire que ces lumières ont été cauſées par des exhalaiſons ſubtiles & ſulphureuſes qui, s’étant élevées de la terre & allumées dans l’air, ont contribué à le rendre doux. Mém. de l’acad. des ſciences, 1717, pag. 30. Cette explication étoit digne de la phyſique de ce temps. M. Roëmer, dans les Mémoires de l’académie de Berlin, à l’occaſion des trois aurores boréales, faites à Copenhague, aux mois de février & de mars 1707, remarque que ces phénomènes ſont plutôt une marque de l’état préſent de l’air, que de ce qui doit les ſuivre, & qu’il n’arrive pas toujours, comme quelques-uns le croient, qu’en été ce phénomène ſoit ſuivi par un beau temps, & en hiver par le froid, &c. Il ſcroit facile de multiplier ici des témoignages de ce genre, donnés par divers auteurs ; en les comparant, on verroit qu’on ne peut rien en conclure, parce qu’il n’y a aucune uniformité dans les réſultats.

À peine eut-on obſervé un petit nombre de fois l’aurore boréale, comme le fit Gaſſendi en 1621 & l’année ſuivante, qu’on se hâta d’aſſurer que les circonſtances qui accompagnoient ce phénomène, devoient ſe trouver dans toutes les apparitions. On crut long-temps, par exemple, que ce brillant ſpectacle ne paroiſſoit qu’en l’abſence de la lune, & lorſque le temps étoit ſerein, parce que les premières obſervations avoient été faites dans ces circonſtances, &c. C’eſt ainſi que l’eſprit humain, naturellement porté à anticiper sur les âges à venir, s’eſt toujours, pour ainſi dire, preſſé de bâtir des ſyſtêmes précoces, tandis qu’il ne falloit que ramaſſer des matériaux pour la poſtérité. Auſſi des obſervations ſouvent répétées depuis ces premiers temps, nous ont-elles appris que l’aurore boréale pouvoit paroître, malgré la clarté de la lune, & même dans des temps de pluie. Elles nous ont appris que les aurores boréales ont paru dans diverſes températures de chaud ou de froid, de ſéchereſſe ou d’humidité, de vent ou de calme, de beau ou de mauvais temps, &c. &c., & que l’état du temps qui les précède ou qui les accompagne, eſt toujours & par-tout, auſſi différent que l’état du temps qui les ſuit. Ainſi, elles ne peuvent point préſager quelle ſera la température qui aura lieu après leur apparition ; & aucune température ne peut les annoncer, je ne dis pas avec certitude, mais même avec quelque probabilité.

Le mot de préſage, pouvant être pris dans un ſens actif ou paſſif, il ne ſera pas hors de propos d’examiner ici s’il n’y a pas d’autre phénomène qui puiſſe ſervir à prédire les aurores boréales ; il eſt bien évident à tous ceux qui réfléchiſſent ſur les cauſes & les effets des phénomènes de la nature, que cette queſtion ne peut être déterminée que par une ſuite d’obſervations ſemblables faites en divers temps & en différens pays, & que ſi on a remarqué conſtamment quelque phénomène précéder les aurores boréales, on pourra conclure qu’il en eſt un préſage, qu’il en eſt un ſigne précurſeur.

Or, un aſſez grand nombre d’obſervations, faites par divers savans, prouvent qu’une certaine agitation, dans l’aiguille aimantée bien ſuſpendue, ſe fait ſouvent remarquer avant l’apparition des aurores boréales.

Les premières obſervations qu’on ait faites dans ce genre remontent à l’année 1741 ; depuis le mois de mars de cette année, juſqu’en janvier 1747, on a remarqué que différentes aurores boréales, obſervées à Upſal, par M. Wargentin, & quelques autres ſavans ſuédois, en même temps que la bouſſole, ont fait dévier l’aiguille aimantée, depuis 1 degré 24 minutes, juſqu’à 29 degrés & demi ; le 28 février 1749, l’aiguille aimantée éprouva, vers les 4 heures du ſoir, un mouvement extraordinaire : dès qu’il fut nuit, on vit une aurore boréale des plus éclatantes. Le 2 avril, à la même heure, l’aiguille fut en mouvement, & ſon agitation dura juſqu’au 4, vers les 6 heures du ſoir : ces deux nuits furent éclairées par une lumière très-vive. Un grand nombre d’autres obſervations ont enſuite confirmé l’effet de ce météore ſur la bouſſole. Mémoires de l’académie de Stokholm, &. Collect. acad. tome XI.

M. Van Swinden a obſervé pluſieurs fois, à Franeker, en Friſe, de grandes agitations de l’aiguille aimantée avant & pendant l’apparition des aurores boréales. M. l’abbé Hemmer a fréquemment remarqué de pareilles agitations ; elles étoient même ſouvent ſi fortes, qu’il pouvoit juger, par le mouvement de ſon aiguille, de l’exiſtence d’une aurore boréale, dont il n’étoit pas inſtruit. Le P. Cotte a obſervé très-ſouvent des mouvemens irréguliers dans l’aiguille aimantée, leſquels précédoient & accompagnoient les apparitions des aurores boréales ; le grand nombre de ces mouvemens étoit de 7, 10 ou 30 minutes vers le nord, & ont ſervi à prédire avec ſuccès les aurores boréales.

M. Blondeau, à Breſt, a fait les mêmes obſervations. D. Mann a également obſervé à Nieuport ce phénomène. Le P. Weiss, astronome de Tyrnaw ; M. Bergmann, MM. Celſius & Hiortez, Lemonnier, la Lande, &c. ont également remarqué, dans différentes circonſtances, les mouvemens irréguliers de l’aiguille aimantée avant & durant l’apparition des aurores boréales. Voyez les Mém. de l’acad. de Bruxelles, tom. II, pag. 271 ; Tranſact. philoſ., tom. LII, partie II, pag. 485 ; Loix du magnétiſme, pag. 116, &c.

Les plus grandes variations de l’aiguille aimantée, en 1789, ont eu lieu avec l’apparition de l’aurore boréale, le 27 mars, à 10 heures du ſoir ; l’écart ſingulier & les agitations que l’aiguille éprouvoit pendant plus de deux heures, firent prédire, par pluſieurs phyſiciens, cette aurore qui fut très-brillante.

J’ai également obſervé pluſieurs fois, dans l’aiguille aimantée, des variations pendant les aurores boréales, avec des appareils préparés à ce deſſein. Pour cet effet, ayant iſolé des aiguilles de bouſſole, j’ai obſervé, à Béziers, pendant l’aurore boréale du 29 février 1780, que leurs agitations étoient plus grandes que celles de même longueur, qui n’étoient pas iſolées : l’iſolement conſiſtoit à placer ces aiguilles à chapes d’agathe, de huit pouces trois lignes de longueur, ſur un plan de verre aſſez épais, ou ſur un gâteau de poix-réſine, & dans une boîte de verre de dix pouces & demi en quarré. Ces variations ont été plus grandes dans d’autres aiguilles, également iſolées, mais dont les pointes étoient repliées preſque à angle droit. Durant l’aurore boréale du 15 février 1781, sur les huit heures & demi du ſoir, j’ai encore obtenu les mêmes réſultats.

Dans l’obſervation que je fis à Paris le 27 avril 1783, vers les onze heures, d’une ſuperbe aurore boréale, je remarquai de ſemblables agitations dans des aiguilles ordinaires de bouſſole.

On ne doit pas plus être ſurpris de cette liaiſon qui paroit exiſter, en général, entre les variations de l’aiguille aimantée & l’apparition des aurores boréales, que de celle, par exemple, qui a lieu entre une deſcente rapide & conſidérable du mercure dans le baromètre, & un grand vent ou une tempête, que de celle, &c. &c., tout étant lié dans la nature, il y a des ſignes qui annoncent l’action d’une cauſe, & conſéquemment l’exiſtence de l’effet ; il y en a qui indiquent des effets ſimultanés, dépendant de cauſes ou de circonſtances analogues, &c.

Si, comme on ne ſauroit en douter, les aurores boréales ſont des phénomènes qui dépendent de l’électricité, comme on le verra bientôt, lorſque nous traiterons de la cauſe des aurores boréales, il eſt néceſſaire qu’il y ait ſouvent dans des aiguilles de bouſſole bien ſuſpendues, une agitation plus ou moins ſenſible, ſuivant la quantité & l’action du fluide électrique qui eſt répandue dans l’atmoſphère. Ce qui le prouve, c’eſt que, ſelon mes obſervations, celles du P. Cotte & de quelques autres phyſiciens, lorſque le temps eſt diſposé à l’orage, (ce qui, ordinairement, eſt un effet de l’électricité ſurabondante) on obſerve des agitations de l’aiguille aimantée, comme dans le temps des aurores boréales.

Des obſervations précédentes on doit conclure, pour le dire en paſſant, que tous cëux qui font uſage de la bouſſole, ſoit pour les obſervations, ſoit pour la pratique des arts, tels que la navigation, l’arpentage, la recherche & la conduite des mines doivent obſerver avec ſoin l’effet des aurores boréales ſur cet inſtrument.

On ſe tromperoit cependant encore ſi on penſoit que dans toutes les obſervations d’aurores boréales on apperçoit des variations dans l’aiguille aimantée ; car bien des fois on n’en a pas apperçu : il ſuffit de citer ici un petit nombre d’obſervations pour en être convaincu. M. Beguelin, de l’académie des ſciences de Berlin, ne remarqua aucune ſariation, ni vacillation dans l’aiguille aimantée pendant tout le temps que dura l’aurore boréale du 18 janvier 1770. Mém. de l’acad. de Berlin. Le 19 & le 20  février 1771, il y a eu aurore boréale, & point de variation dans l’aiguille aimantée ; de même que le 13 mars, &c, &c.

Il faut cependant remarquer que durant l’apparition de la même aurore boréale, on n’appercevra point de variation magnétique dans un endroit, tandis qu’on l’obſervera dans un autre, tant les circonſtances locales peuvent avoir d’influence.

De la hauteur de l’aurore boréale. L’aurore boréale a toujours été regardée, par les phyſiciens, comme ayant ſon ſiège dans l’atmoſphère terreſtre ; parce que, ne ſuivant pas le mouvement général & apparent du ciel, d’orient en occident, mais ſuivant, au contraire, le mouvement diurne & réel de la terre d’occident en orient, & conſéquemment le mouvement diurne de l’atmoſphère, elle doit avoir ſon ſiège dans cette même atmoſphère. M. Maraldi fit cette remarque dès la première fois qu’il vit ce phénomène. (Mémoire de l’académie des ſc., 1716, pag. 96.) L’aurore boréale diffère en cela de la lumière zodiacale qui participe au mouvement du premier mobile & au mouvement propre du ſoleil. Cet habile aſtronome, en parlant de l’aurore boréale du 29 novembre 1721, aſſure, « qu’elle continua de paroître fort claire juſqu’à onze heures & demie du ſoir, toujours attachée aux mêmes parties de l’horiſon, pendant que les étoiles de la grande ourſe qui, du commencement, étoient vers le nord, & dans la partie inférieure de leurs cercles, au-deſſus de la lumière, avoient paſſé vers la partie orientale de l’horiſon ; ce qui prouve que la lumière ne participoit point du mouvement univerſel, & qu’elle étoit dans l’atmoſphère. M. de Mairan a dit également qu’on ne ſauroit douter que l’aurore boréale ne ſoit dans l’atmoſphère terreſtre, puiſqu’elle ſuit viſiblement ſon mouvement diurne, & que l’on n’apperçoit dans aucune de ſes parties, le mouvement extérieur du premier mobile où cette révolution apparente que les aſtres font régulièrement tous les jours autour de la terre, d’orient en occident. C’eſt à quoi j’ai été attentif dans le cours de pluſieurs de mes obſervations, dit ce ſavant, où j’ai trouvé que la maſſe totale du phénomène demeuroit immobile, ou affectoit, au contraire, de ſe porter d’occident en orient, en se rangeant plus exactement autour du pôle de la terre, après avoir commencé par décliner beaucoup vers l’occident.

Afin de pouvoir déterminer l’élévation ordinaire des aurores boréales, il eſt donc à propos de connoître la hauteur de l’atmoſphère : pour la connoître, on a employé communément deux moyens : le premier & le plus ancien eſt pris de la durée des crépuſcules, & fixe la hauteur de l’atmoſphère aux dernières couches d’air qui nous refléchiſſent les rayons du ſoleil, ſoit qu’on obſerve l’élévation apparente de ſes couches ſur l’horiſon en degrés & en minutes, pendant que le crépuſcule ſubſiste, ſoit qu’on la déduiſe de la fin du crépuſcule ou du commencement de l’aurore, lorſque le ſoleil eſt environ 18 degrés au-deſſous de l’horiſon. (Voyez un Mémoire de M. de la Hire, dans les actes de l’académie de ſciences, année 1713, page 54.) Le ſeeond moyen, qui eſt le plus moderne & le plus ſuivi, eſt fondé ſur les différentes hauteurs du mercure dans le baromètre, en tant qu’elles répondent à des hauteurs terreſtres acceſſibles & actuellement meſurées au-deſſus du niveau de la mer ou de la ſurface de la terre, d’où l’on déduit, par le calcul, & en conſéquence de quelques dilatations connues de l’air, la hauteur où l’air doit arriver pour n’avoir plus de denſité ſenſible & pour terminer ce qu’on appelle communément l’atmoſphère ; mais ces deux moyens ne peuvent ſervir à déterminer exactement l’atmoſphère, priſe non pour l’amas d’air groſſier qui eſt autour de la terre, mais pour le fluide quelconque qui enveloppe à une plus grande diſtance le globe de la terre & qui participe à ſes mouvemens. On peut conſulter, ſur ce ſujet le Traité de l’aurore boréale de M. de Mairan, ſection II, chapitre premier & ſecond.

Cet académicien oſa avancer, en 1726, à l’occaſion de l’aurore boréale du 19 octobre, qu’il falloit que la matière de ce phénomène eût été à plus de ſoixante-dix lieues au-deſſus de la ſurface de la terre ; & que s’il en jugeoit par quelques obſervations particulières, ſa hauteur ſeroit plus grande. Cette propoſition étonna alors, parce qu’on étoit alors dans le préjugé que l’atmoſphère avoit peu de hauteur.

Tout objet vu au-deſſus de la terre, qui a une parallaxe ſenſible, ou qui, étant apperçu de différens lieux, paroît être à différentes hauteurs, devient bientôt d’une élévation connue ; mais cette parallaxe ne peut réſulter que des obſervations correſpondantes qui ne peuvent la donner avec quelque juſteſſe, qu’autant qu’elles ſont faites en des lieux conſidérablement éloignés l’un de l’autre ; or, ces obſervations ont démontré que l’aurore boréale eſt dans une région de l’atmoſphère bien ſupérieure à celle des météores ordinaires, & à celle des derniers rayons du crépuſcule.

L’aurore boréale du 12 ſeptembre 1621, obſervée par Gaſſendi, à Peynier en Provence, entre Aix & Saint-Maximin, fut vue en même temps dans toute la France, en Syrie, à Alep, c’eſt-à-dire, à près de 700 lieues vers l’orient de la France, & à environ 12 degrés de plus vers le midi que Paris. L’aurore boréale du 17 mars 1716, obſervée dans la plupart des parties ſeptentrionales de l’Europe, le fut en même temps par des Anglais qui faiſoient route vers l’Amérique, & dont le vaiſſeau ſe trouvoit alors proche des côtes d’Eſpagne, à 46 degrés 36 minutes de hauteur. Quant à ce phénomène du 19  octobre 1726, il parut à Warſovie, à Moſcow, à Péterſbourg, à Rome, à Naples, à Madrid, à Liſbonne & à Cadix. Or, le calcul fait ſelon les règles de la trigonométrie, démontre que dans cette dernière obſervation où l’aurore boréale fut vue fort haut à Péterſbourg, & en même-temps à Liſbonne, ſon élévation doit avoir été de 266 lieues au moins, en apportant toutes les précautions poſſibles à mettre toujours les élémens du calcul ſur le pied le plus bas, ainſi que l’a fait M. de Mairan. De quelques autres obſervations correſpondantes faites à de plus petites diſtances, & qui ſont en grand nombre, on a également conclu que la hauteur du phénomène étoit à 100, 200 & 300 lieues.

Quelques-uns ont objecté que lorſque les aurores boréales ont été vues en divers endroits à-la-fois, il n’étoit pas certain que c’étoit toujours la même lumière qui ſe tenoit & brilloit à la même place ; mais on a répondu que par les deſcriptions que chaque obſervateur en a faites, les apparences étoient ſemblables, & que les points déterminés étoient le même ſommet des arcs lumineux, phénomènes conſtans, ou des points de divers ſommets concentriques au pôle, ce qui produit un effet équivalent à celui du même point.

On ajoutera ici que M. Mayer a donné, dans le premier tome des Mémoires de l’académie impériale de Pétersbourg, un problême très-ingénieux qui fournira peut-être quelque jour un moyen fort exact de déterminer la diſtance de l’arc boréal à l’obſervateur, par une ſeule obſervation, & ayant, avec les élémens aſtronomiques de la poſition du lieu de l’obſervation, la hauteur du ſommet de ſon arc & ſon amplitude. M. de Maupertuis en donna l’analyſe & la conſtruction à l’académie des ſciences, en 1731 ; de ſa formule, il réſulte encore que l’arc de pluſieurs aurores boréales eſt élevé de cent ou deux cents lieues au-deſſus de la ſurface de la terre.

Le P. Boſcovich, célèbre géomètre, détermina la hauteur de l’aurore boréale, obſervée à Padoue, le 16 décembre 1737, par M. de Poleni à 275 lieues.

Cette élevation de l’atmoſphère ne doit point ſurprendre, car on ſait qu’elle eſt très-grande : on ſait que d’après la meſure de la hauteur du pic de Ténérife, par le P. Feuillée, minime, & de pluſieurs autres montagnes, M. Caſſini conclut, dès 1733, la hauteur de l’atmoſphère de plus de 500 lieues, lors même que l’air y ſoutiendroit encore une ligne de mercure dans le baromètre.

Euler penſe que la hauteur de l’aurore boréale eſt de quelques milliers de milles, (à 2 ou 3 mille lieues) & qui ſurpaſſe même quelquefois le diamètre entier de la terre, art. XIII, pag. 135 des Rech. de Euler ; mais ſur quelles obſervations ſe fonde-t-on, dit M. de Mairan, pour porter l’aurore boréale à de pareilles diſtances & ſi fort au-deſſus de ce que en indiquent les parallaxes. Par tout l’historique que nous avons aujourd’hui ſur ce ſujet, nous ſavons que le ſommet de l’arc lumineux qui caractériſe le plus l’aurore boréale, a été vu quelquefois au zénith de 60 degrés de latitude ; à Pétersbourg, par exemple, & même en deça ; à Upſal, à Copenhague ; & de plus que la moindre latitude où ce phénomène ait été vu, ne paſſe pas le 36 ou le 35me degré, Cadix, Alep, &c. ; or, ſi la matière du phénomène & de l’arc étoit de quelques milliers de milles, d’un diamètre entier de la terre, ou de 2 865 lieues au-deſſus de la ſurface de la terre, il eſt clair, par le calcul des ſécantes & de leurs angles correſpondans, que cet arc pourroit être vu de l’équateur même, & de bien au-delà ; auſſi n’avons-nous preſque point de parallaxe qui portent l’aurore boréale à 300 lieues de hauteur.

Mais ce qui prouve que l’élévation des aurores boréales n’eſt pas auſſi grande que l’a penſé Euler, mais n’eſt ordinairement que d’environ 200 lieues, c’eſt que, d’après une ſomme de 54 obſervations faites (à Paris, à Peynier en Provence, à Breuil-lepont, à Montpellier, à Toulouſe, à Genève, à la Haye, à Padoue, à Rome, à Copenhague, à Pétersbourg, à Torneo, &c.) par divers obſervateurs qui ſe coreſpondoient ; c’eſt que d’après cette ſomme de 54 obſervations, diviſée par le nombre des hauteurs données, on en tire une hauteur moyenne de 174,53 ou d’environ 175 lieues.

De ce que nous venons d’établir, il réſulte bien certainement que l’aurore boréale eſt ſouvent vue par plufieurs obſervateurs placés à de grandes diſtances entr’eux. Quelques obſervations que nous venons de citer le démontrent, & nous croyons inutile de traiter de cet objet, ſous un titre particulier. Il nous ſuffiroit d’en donner encore une ou deux preuves. L’aurore boréale du 17 ſeptembre 1710, parut à Paris, à Vienne en Autriche, où elle fut très-brillante, & à Pékin même, où le père Amiot, jéſuite, l’obſerva. Ce phénomène, qui fut très-beau ; fut accompagné de lames & de jeux de lumière ; il dura depuis 9 heures du ſoir, juſqu’à 3 heures du matin.

Les tranſactions de Philadelphie, de 1771, rapportent que le 5 janvier 1709, à 7 heures & demie du soir, on apperçut une très-belle aurore boréale à Lencaſtre, en Penſylvanie, qui dura juſqu’à 10 heures du ſoir. Le père Gotee l’obſerva à Montmorenci, le même jour, à 11 heures du ſoir. Ce phénomène, qui dura juſquà 4 ou 5 heures du matin, fut très-beau. La Penſylvanie eſt ſituée environ au 80me degré de longitude occidentale ; ainſi les heures de Paris répondent à celles de la Penſylvanie.

L’aurore boréale du 18 janvier 1770, fut très-belle ; on la vit dans toute l’Europe, à Cadix, à Rome, à Gênes, dans toute la France, à Vienne, dans la Hongrie & juſque dans les royaumes du nord. Les mêmes variations de lumière, & à-peu-près les mêmes phénomènes y furent obſervés en même temps.

Diverſes obſervations de l’aurore boréale. Ce n’eſt qu’en obſervant ſouvent les phénomènes de la nature, qu’on peut bien les connoître ; & ce n’eſt qu’en raſſemblant les principales obſervations qu’on a faites pendant pluſieurs années, qu’on peut en donner une idée à ceux qui n’en ont pas été témoins.

Le 6 mars 1707, M. Kirch, au rapport de Leibnitz, vit à Berlin une lumière boréale ; c’eſt la première dont il ſoit fait mention dans les Mémoires de l’académie des ſciences, & l’hiſtorien de l’académie dit qu’elle avoit quelque rapport à celle dont parle Gaſſendi dans la vie de Peireſc : elle représentoit deux arcs lumineux, dont l’un étoit plus élevé que l’autre, & tous les deux étoient directement vers le nord : leur concavité étoit tournée en en-bas, & leurs cordes parallèles à l’horiſon ; l’arc ſupérieur étoit interrompu ; des rayons de lumière naiſſans, & qui s’évanouiſſoient, alloient de l’un vers l’autre. Hiſtoire de l’académie des ſciences, année 1707, page 11. On vit auſſi cette aurore à Pinembourg, éloigné de deux lieues de Copenhague.

Le 11 avril 1716, M. Maraldi vit, à dix heures & demie du ſoir, une aurore boréale, ſous la forme d’une grande lumière blanchâtre, qui ſe répandoit le long de l’horiſon du côté du nord-oueſt & du nord, dans une étendue de 80 degrés, & qui en avoit ſept de largeur, hormis vers ſes deux extrémités ; cette lumière étoit cependant moins vive ; vers le haut de cette bande lumineuſe, s’élevoient de temps en temps d’autres traits de lumière, comme des colonnes perpendiculaires à l’horiſon, qui excédoient d’un degré ou deux la plus grande hauteur de la lumière horiſontale, & y faisoient des espèces de créneaux : elles paroiſſoient en différens endroits à-la-fois, & duroient tout au plus une demi-minute. Ce phénomène reparut encore les deux jours ſuivans, mais plus foible, ſur-tout le second jour. Hiſtoire de l’acad., 1716, pag. 6 &7. M. Maraldi, dans son Mémoire, donné la même année à l’académie, dit (pag. 97) que lorſque ces colonnes avoient diſparu, on étoit huit ou dix minutes ſans en voir aucune, après quoi il en paroiſſoit de nouveau pluſieurs autres, comme les premières, en différens endroits ; ainſi, ce ſpectacle recommença pluſieurs fois dans l’eſpace d’une heure, & continua juſqu’à onze heures & demie du ſoir ; outre la lumière conſtante & uniforme, dit-il, qui étoit ſemblable à l’aurore, mais plus claire & plus blanchâtre, on voyoit de temps en temps des colonnes d’une lumière un peu plus vive, qui avoient l’apparence des queues de comètes.

L’aurore boréale du 4 mars 1718, occupa environ 90 degrés de l’horiſon, & preſqu’une même étendue de côté & d’autre du nord. La clarté varioit en largeur ou hauteur ; elle avoit tantôt 5 ou 6 degrés, tantôt 7 ou 8. On y vit deux arcs lumineux, comme en 1707 ; ils ſe formèrent l’un au-deſſus de l’autre, en peu de temps : le plus élevé ſur l’horiſon étoit de 45 degrés, & beaucoup plus au-deſſus de ſon inférieur que celui-ci n’étoit au-deſſus du reſte de la lumière. Ils durèrent à-peu-près un quart-d’heure. Après qu’ils eurent été diſſipés, des colonnes verticales, qui n’avoient point encore paru, s’élevèrent en grand nombre & traverſèrent la lumière horiſontale, s’élevant juſqu’à la hauteur de 25 degrés. Hiſtoire de l’acad. 1718, pag. 1, 2.

Le 30 mars 1719, à huit heures dix-huit minutes du ſoir, l’aurore boréale fut obſervée à Paris, non-ſeulement par les phyſiciens & aſtronomes, mais encore par une grande partie du peuple de cette capitale : c’étoit une colonne de feu, élevée de 10 degrés ſur l’horiſon & couchée preſque paralèllement à l’horiſon ſur une étendue de 25 à 30 degrés, un peu plus large que le demi-diamètre du ſoleil dans ſon extrémité orientale, & terminée en pointe dans l’occidentale dans toute ſa longueur ; le haut étoit beaucoup plus clair que le bas, qui étoit fort rouge ; le tout enſemble effaçoit la lumière de la lune, quoiqu’elle fût alors dans ſon huitième jour, & fort nette, parce que le ciel étoit ſerein. Ce météore étoit entre le nord-nord-oueſt, & l’oueſt, & avoit un peu de mouvement vers l’oueſt ; il dura peu. Hist. de l’acad., 1719, pag. 2.

Le 17 avril de la même année, M. Maraldi obſerva encore une autre aurore boréale, non pas tranquille comme la précédente, ni uniforme, ni d’une courte durée, mais avec des colonnes qui s’élevoient de temps en temps, & disparoiſſoit de même, comme en 1716. Quand ces ſortes de météores ne ſont pas tranquilles, mais agités, il paroît que leur agitation eſt ordinairement la même : il y a un fond, une baſe de lumière, d’où il s’élève, à différentes reprises, des colonnes verticales. Souvent la lumière que faiſoient ces météores, étoit telle qu’on pouvoit lire les lettres capitales ; ſouvent auſſi on a vu les nuages qui paſſoient devant l’aurore boréale, la cacher pendant quelques inſtans ; ce qui prouve que la matière brillante de ce météore eſt au-deſſus des nuages.

M. de la Hire obſerva, le 23 octobre 1718, à onze heures du ſoir, une aurore boréale. Depuis le nord-eſt juſqu’à l’oueſt, on vit un nuage fort épais qui s’étendoit depuis l’horiſon juſqu’à 7 ou 3 degrés de hauteur, duquel il ſortoit vers le nord-eſt 8 ou dix lumières de 7 à 8 degrés de hauteur environ, ſur 2 degrés à-peu-près de largeur & ayant tous les mêmes mouvemens.

Le 11 février 1720, M. Maraldi obſerva une aurore boréale à Paris ; le chevalier de Louville la vit à Orléans ; le réſultat de ces deux obſervations fut que c’étoit un grand arc lumineux, dont le ſommet étoit préciſément au nord, élevé ſur l’horiſon de 6 degrés, & dont les deux moitiés, aſſez égales, s’étendoient de-là à chacune à 50 ou 55 degrés juſqu’à l’horiſon qu’elles ſembloient couper. Tout le ſegment du cercle compris dans l’arc, étoit lumineux, & à tel point, que les corps qui y étoient expoſés, jetoient une ombre ſenſible. Cependant cette lumière étoit ſi déliée, que l’on voyoit aiſément au travers les étoiles de la 3me grandeur.

De temps en temps il s’élevoit de cet arc des colonnes de lumière perpendiculaires qui duroient quelques ſecondes, & ſouvent pluſieurs enſemble. Quelquefois le haut de l’arc étoit crénelé par ces feux paſſagers, qui enſuite s’éteignoient ; l’arc ſe diviſa quelquefois en pluſieurs arcs plus petits, qui ſe diſſipoient, & enſuite il en renaiſſoit d’autres pareils. Les nuages qui pouvoient ſe mêler diverſement à cette lumière, changeoient auſſi les différentes apparences qu’elle auroit eues naturellement, & en varioit encore le jeu ; M. Maraldi obſerva qu’elle s’augmenta pendant 2 heures, & s’éleva ſur l’horiſon jusſqu’à plus de 35 degrés, après quoi elle diminua & s’abaiſſa pendant un temps égal. Hiſt. de l’acad., 1720, pag. 4.

M. de Maupertuis, dans la relation de ſon voyage au nord, décrit en cette ſorte les aurores boréales qui paroiſſent l’hiver en Laponie. « Si la terre eſt horrible alors dans ces climats, le ciel préſente aux yeux les plus charmans ſpectacles. Dès que les nuits commencent à être obſcures, des feux de mille couleurs & de mille figures éclairent le ciel, & ſemblent vouloir dédommager cette terre, accoutumée à être éclairée continuellement, de l’abſence du ſoleil qui la quitte. Ces feux dans ces pays n’ont point de ſituation conſtante comme dans nos pays méridionaux. Quoiqu’on voie ſouvent un arc d’une lumière fixe vers le nord, ils ſemblent cependant le plus ſouvent occuper indifféremment tout le ciel. Ils commencent quelquefois par former une grande écharpe d’une lumière claire & mobile, qui a ſes extrémités dans l’horiſon & qui parcourt rapidement les cieux, par un mouvement ſemblable à celui du filet des pêcheurs ; conſervant dans ce mouvement aſſez ſenſiblement la direction perpendiculaire au méridien. Le plus ſouvent après ces préludes, toutes ces lumières viennent ſe réunir vers le zénith, où elles forment le ſommet d’une eſpèce de couronne. Souvent des arcs ſemblables à ceux que nous voyons en France, vers le nord, ſe trouvent ſitués vers le midi ; ſouvent il s’en trouve vers le nord & vers le midi tout enſemble : leurs ſommets s’approchent, pendant que leurs extrémités s’éloignent en deſcendant vers l’horiſon. J’en ai vu d’ainſi oppoſés, dont les ſommets ſe touchoient preſqu’au zénith ; les uns & les autres ont ſouvent au-delà pluſieurs arcs concentriques. Ils ont tous leurs ſommets vers la direction du méridien, avec cependant quelque déclinaiſon occidentale, qui ne paroît pas toujours la même, & qui eſt quelquefois inſensible. Quelques-uns de ces arcs, après avoir eu leur plus grande largeur au-deſſus de l’horiſon, ſe reſſerrent en s’approchant, & forment au-deſſus plus de la moitié d’une grande ellipſe. On ne finiroit pas, ſi l’on vouloit dire toutes les figures que prennent ces lumières, ni tous les mouvemens qui les agitent. Leur mouvement le plus ordinaire, les fait reſſembler à des drapeaux qu’on feroit voltiger dans l’air ; & par les nuances des couleurs dont elles ſont teintes, on les prendroit pour de vaſtes bandes de ces taffetas que nous appelons flambés. Quelquefois elles tapiſſent d’écarlate quelques endroits du ciel. » M. de Maupertuis vit un jour à Ofwer-Tornea (c’étoit le 18 décembre 1736) un ſpectacle de cette eſpèce, qui attira ſon admiration, malgré tous ceux auxquels il étoit acoutumé. On voyoit vers le midi une grande région du ciel teinte d’un rouge ſi vif, qu’il ſembloit que toute la conſtellation d’Orion fût trempée dans du ſang. Cette lumière fixe d’abord, devint bientôt mobile ; & après avoir pris d’autres couleurs de violet & de bleu, elle forma un dôme dont le ſommet étoit peu éloigné du zénith vers le ſud-oueſt ; le plus beau clair de lune n’effaçoit rien de ce ſpectacle. M. de Maupertuis ajoute qu’il n’a vu que deux de ces lumières rouges, qui ſont rares dans ce pays, où il y en a de tant de couleurs, & qu’on les y craint comme le ſigne de quelque grand malheur. Enfin, lorſqu’on voit ces phénomènes, on ne peut s’étonner que ceux qui les regardent avec d’autres yeux que les philoſophes, y voyent des chars enflammés, des armées combattantes, & mille autres prodiges.

Le même ſavant dont nous venons de citer ce paſſage, a donné, dans les Mémoires de l’académie de 1733, la ſolution très-élégante d’un probléme géométrique ſur l’aurore boréale.

Le 19 février 1771, il y eut une aurore boréale ſans jets de lumière, ni rayons ; elle commença à ſix heures & un quart du ſoir, & conſiſtoit en une lumière blanchâtre, élevée de 10 degrés au-deſſus de l’horiſon ; la partie du ciel qui le touchoit étoit obſcure & enfumée ; il y eut une lumière zodiacale au couchant. Le 20, l’aurore boréale parut encore ſans jets, ni rayons, & à la même heure que la veille ; mais elle étoit plus belle que la précédente ; en ce que la lumière étoit double, dit le P. Coſte, & formait deux cintres ſéparés, par une zone d’environ 3 degrés de largeur, plus obſcure et enfumée, comme la partie inférieure du ciel ; le ceintre ſupérieur ne ſubſista que 7 & 8 minutes. Il ſe rompit enſuite & ſe diviſa entre pluſieurs petits pelotons lumineux qui ſe diſposèrent depuis l’oueſt-ſud-oueſt, juſqu’au nord-nord-eſt. Ce phénomène disparut entièrement à 7 heures : on ne remarqua aucune variation ſenſible dans l’aiguille aimantée pendant ce temps. L’air fut plus doux pendant la durée de cette aurore.

Dans le mois de septembre 1773, on obſerva, le 17, une aurore boréale tranquille ; le 21, une autre accompagnée de jets colorés ; le 22 elle fut magnifique, avec jets de lumière, couronne, agitation dans les rayons lumineux, & colorés de la plus belle nuance pourpre ; l’aiguille aimantée ſe rapprocha de 10 minutes vers le nord pendant ce phénomène. Le P. Coſte apperçut, le 21, deux corps lumineux à l’horiſon, ſemblable à jupiter, qui disparurent avec les couleurs de l’aurore boréale. Journal des ſavans, oct. 1778.

Dans la nuit du 28 au 29 juillet 1780, le même obſervateur vit, à Montmorenci, un phénomène de ce genre, & aſſez extraordinaire par ſes diverſes circonſtances. Le ſpectacle commença par une belle lumière zodiacale ; mais qui, au lieu d’être blanche, étoit d’une couleur rouge de feu : à cette lumière ſuccéda une aurore boréale tranquille, mais très-éclatante ; enſuite on vit de nouvelles colonnes de feu dans le zodiaque, qui parurent & diſparurent alternativement ; on aperçut des rayons lumineux qui, partant du foyer de l’aurore boréale, empruntoient une infinité de formes & de couleurs différentes, & qui, par leurs ondulations, ſembloient être le jouet des vents qui ſouffloient du nord-eſt. Ce phénomène ſe termina par une aurore boréale des plus brillantes ; de manière qu’on put, pendant toute la nuit, lire ſans autre secours que celui de cette lumière. On remarqua au commencement, vers neuf heures & demie du ſoir, depuis l’oueſt juſquà l’eſt, pluſieurs faiſceaux de lumière élevés ſur l’horiſon qui paroiſſoient & diſparoissoient de temps à autre, mais qui durèrent peu. La même obſervation avoit été faite, pendant l’aurore boréale du 21 ſeptembre 1778. Il eſt encore à remarquer que l’aurore boréale n’avoit peut-être jamais été obſervée juſqu’à ce jour, à Paris, pendant le mois de juillet : l’aiguille aimantée annonça ce phénomène une heure avant ſon apparition ; on la trouva à 19 degrés 40 minutes, au lieu de 20 degrés : elle fut ſingulièrement agitée pendant la durée du phénomène & pendant la matinée du 29. Ce jour, entre ſept & huit heures du matin, on la vit oſciller ſenſiblement à pluſieurs repriſes entre 18 degrés 40 minutes & 20 degrés 15 minutes ; elle ne prit que le ſoir ſa direction ordinaire, qui étoit alors de 20 degrés. Journal des ſavans, nov. 1780.

L’obſervation ſuivante mérite d’être rapportée ; je la tire d’une des lettres que m’a écrites M. Van-Swinden. L’aurore boréale du 27 mars 1781, a été remarquable par une ſingulière zone qu’il y avoit dans la partie auſtrale du ciel ; cette zone étoit ſéparée de l’aurore boréale qui étoit au nord ; elle s’étendoit de l’eſt à l’oueſt, & parut entre neuf heures & demie & dix heures ; elle reſſembloit à une eſpèce de faulx, fort large à ſon origine à l’oueſt, ſe terminant en pointe à l’eſt ; elle paſſoit, à ſon origine, par le taureau, traverſoit enſuite les gémeaux, paſſoit un peu au-deſſous de regulus, raſoit arcturus, coupoit la couronne, & alloit ſe terminer au-delà, en pointe, près de la lyre. Cette lance étoit d’une matière fort dense, car les étoiles, vues à travers, perdoient beaucoup de leur éclat ; elle étoit encore garnie de barbes, de ſorte qu’elle ne reſſenbloit pas mal à une plume courbée : ſa couleur étoit blanche, mêlée d’un peu de rouge sale & tirant par fois légerement ſur le violet. Elle s’évanouit à dix heures & demie par le côté d’eſt ; mais peu après elle reparut double au milieu & plus forte ; à dix heures trois quarts elle étoit diſſipée, excepté à l’oueſt, où elle paroiſſoit encore ſous la forme d’un balai de lumière qui s’étendoit juſqu’aux gemeaux, & étoit la plus large qu’à ſon origine : à onze heures tout étoit fini ; mais l’aurore boréale au nord ſubſiſtoit. Le 28 il y eut encore une belle aurore boréale à couronne : à onze heures on remarqua encore une zone ſemblable à celle de la veille. Celle-ci eſt fort analogue à celle qui a été obſervée à Nancy le 26 février 1777, & dont la figure ſe trouve dans les Mémoires de l’académie des ſciences pour cette année-là. Le 29 il y eut encore aurore boréale. Le 28 le vent ſe mit fixement au nord-eſt pour les trois jours ſuivans, & l’air devint fort froid, de doux qu’il étoit. Pluſieurs aiguilles aimantées ſe ſont très-peu reſſenti de la préſence de ces phénomènes qui les agitent ordinairement ſi fort. La même choſe fut obſervée à la Haye.

Le 23 ſeptembre 1781, après un temps orageux, de la pluie & un vent violent, à ſept heures du ſoir, le ciel fut, à Paris, parſemé de nuages, qui laiſſoient appercevoir vers le nord-oueſt une lumière blanchâtre, éclatante & tranquille ; elle reſta dans le même état juſqu’à huit heures & demie ; alors s’élevèrent des jets ou des rayons lumineux preſque juſqu’au zénith, & le phénomène s’étendoit depuis le nord-eſt juſqu’à l’oueſt. La partie ſupérieure du ciel fut teinte pendant quelques inſtans d’une couleur purpurine ; les jets lumineux paroiſſoient être dans une agitation continuelle : ils diſparurent enfin, & le phénomène prit une nouvelle forme. On voyait au nord, à côté d’un gros nuage noir qui touchait l’horiſon, un foyer très-lumineux, d’où s’élançoient, comme d’une fournaiſe, des tourbillons d’une lumière blanchâtre, qui paroiſſoient & diſparoiſſoient dans le même moment. À huit heures trois quarts, le ciel ſe découvrit parfaitement ; le foyer de l’aurore boréale ſe trouva au nord-oueſt. Le vent qui ſouffloit de ce rumb, étoit aſſez fort. Il s’éleva des eſpèces de colonnes blanches ; dont les mouvemens d’ondulation les faiſoient reſſembler à des drapeaux flottans, & ils paroiſſoient ſuivre la direction du vent. À neuf heures ces colonnes diſparurent, mais les mouvemens d’ondulation étoient continuels, & inondoient à chaque inſtant le ciel d’une matière lumineuſe, qui ne reſſembloit pas mal à des flocons de laine qui auroient été le jouet du vent. Enfin, le phénomène s’étendit en longueur depuis le nord juſqu’à l’oueſt nord-oueſt ; il étoit peu élevé ſur l’horiſon, & ſa baſe étoit enfumée ; les mouvemens d’ondulation continuèrent toujours ſans beaucoup de variation dans la forme du phénomène, juſqu’aſſez avant dans la nuit ; le ciel ſe couvrit enſuite, il tomba un peu d’eau vers quatre heures du 24 ; le ciel ſe découvrit enſuite au lever du ſoleil ; le vent qui étoit toujours nord-oueſt étoit très-froid, puiſque le thermomètre à mercure ne marquoit que 5 degrés & demi de dilatation, & celui d’eſprit-de-vin, 5 degrés & un quart.

Pendant |a durée de l’aurore boréale, l’aiguille aimantée n’a point varié ; elle n’avoit point eu non plus de variation particulière les jours précédens ; le thermomètre à mercure étoit à 7 degrés un quart ; le baromètre, à 27 pouces 6 lignes 3 quarts ; l’hygromètre à plume de M. Buiſſar, à 20  degrés un quart ; le vent souffloit aſſez fort du nord-oueſt, & l’air étoit froid.

Pour ne pas trop multiplier ces ſortes d’obſervations, & donner trop d’étendue à cet article, je rapporterai ici, avec quelque détail, une obſervation que je fis à Béziers en Languedoc, le 3 décembre 1777, ſur les ſix heures du ſoir environ : c’eſt une des plus belles qu’on ait vues depuis long-temps : j’en communiquai, dans le temps, la deſcription ſuivante à l’académie des ſciences de Béziers & à la ſociété royale des ſciences de Montpellier.

De grandes taches rouges répandues ſur différentes plages du ciel, vers l’orient, ſur-tout du côté du nord & du couchant, furent le prélude de la ſcène brillante qui ſe préparoit, & ce ſpectacle étoit ſi éclatant, ſi varié, & occupoit une ſi grande partie du ciel, qu’on ne ſavoit de quel côté porter la vue. À quelques degrés de hauteur au-deſſus de l’horiſon, on aperçut, à différentes diſtances, des nuages noirs & obſcurs d’une étendue plus ou moin grande. Une de ces nuées, ou plutôt l’apparence d’un nuage d’un plus grand volume que les autres, étoit directement au nord, beaucoup au-deſſous de l’étoile polaire ; ſon amplitude augmenta, & elle prit enſuite la figure d’un ſegment obſcur, de forme plutôt elliptique que circulaire. Un arc concentrique, ſemblable à un limbe blanc, ou à une petite bande d’une lumière blanche, ſurmontoit ce ſegment noir, dont les bords étant par conſéquent plus éclairés que le milieu, paroiſſoienr repréſenter, ſelon le langage des anciens, un gouffre ou l’entrée d’une caverne ; vraie illuſion optique qui eſt un effet de la dégradation de la lumière.

La lumière de cet arc parut aſſez uniforme pendant quelque temps ; enſuite elle éprouva quelques variations & des irrégularités dans ſa circonférence ; l’arc devint du côté de l’eſt ſeulement, crénelé en certains endroits, c’eſt-à-dire, que ſa lumière étoit interrompue par des intervalles obſcurs de la couleur du ſegment, & qui n’étoient point placés ſymétriquement. Cet arc lumineux parut d’abord à environ 15 degrés, enſuite il s’éleva à 25, & même après à 35 degrés au moins : ſon amplitude augmenta proportionnellement depuis 45 degrés à-peu-près, juſqu’à 75, & enſuite à 115 degrés.

Des colonnes lumineuſes, des rayons brillans, des jets & des faiſceaux de lumière ſembloient partir de différens points de la circonférence de cet arc lumineux ; un petit nombre paroiſſoit naître du ſein même du ſegment obſcur, & la plupart s’élançoient de divers endroits au-deſſus de l’arc lumineux. Ils s’étendoient tous plus ou moins à une très-grande hauteur, il y en avoit auſſi un grand nombre qui naiſſoient de divers point de l’horiſon, depuis l’orient juſqu’à l’occident, des deux côtés de l’arc lumineux ; & leur direction me parut toujours inclinée à l’horiſon. J’en vis qui paſſoient près des conſtellations des hïades, des pléiades, du bélier ; d’autres, par éricton, perſée, caſſiopée, par hercule & la tête du dragon, par l’aigle & le cygne. Une partie de cet appareil de lumière étoit projetée ſur cinq grandes taches ou bandes irrégulières d’une très-grande amplitude, plus longues que larges, qui étoient dans toute leur étendue d’un rouge de ſang, très-vif & fort éclatant, & dont la direction étoit encore oblique à l’horiſon. Trois de ces cinq taches étoient entre le nord & l’oueſt, & les deux autres vers l’eſt ; c’eſt ce qui faiſoit paroître plus vers l’occident que vers l’orient tout l’enſemble de ce phénomène ; d’ailleurs, le centre du ſegment obſcur & de l’arc lumineux n’étoit pas directement au nord, il déclinoit un peu vers l’occident d’été.

Les colonnes & les jets de lumière, les rayons & les faiſceaux lumineux qui s’élançoient de divers points de l’horiſon dans les limites déjà aſſignées, ou des taches rouges & de l’arc lumineux qui circonſcrivoit le ſegment obſcur, étoient de diverſes grandeurs & d’un éclat différent. Quelques-unes de ces colonnes & de ces rayons de lumière paroiſſoient ſe réunir aux-environs du zénith, & même paſſer ce point. Pour m’en aſſurer, je plantai perpendiculairement dans la terre un piquet, le long duquel je regardai, afin de me mettre en garde contre les erreurs de la vue & contre les illuſions optiques : alors, je vis certainement quelques colonnes prolongées en-deçà du zénith & d’autres au-delà. De ce concours mutuel des colonnes & des rayons lumineux, il résultoit une apparence de coupole ou de pavillon qui n’étoit pas complète du côté du ſud.

Il ne faut pas croire que ces différentes colonnes qui, des environs de l’horiſon, paroiſſoient s’élever & ſe réunir à l’endroit le plus haut du ciel, fuſſent ainſi prolongées ſans aucune interruption dans leur longueur & dans leur largeur ; il y avoit, au contraire, tant de discontinuité, qu’on auroit pris la plus grande partie, moins pour des portions d’un même tout, que pour plusieurs petites colonnes placées çà & là à diverses diſtances. En général, ces arcs, ces colonnes & ces faiſceaux de rayons lumineux étoient d’une couleur blanche & phoſphorique ; cependant, en pluſieurs endroits, ils avoient une teinte de couleur rougeâtre ; en d’autres une nuance de jaune-orangé, ou d’une eſpèce de vert-bleu.

Ce ſpectacle avec toute cette pompe ne fut pas long-temps permanent, on ne le vit que pendant quelques minutes à-peu-près ſur les ſix heures & quart dans ſa plus grande ſplendeur. Il éprouva enſuite des alternatives de mouvement, de diſparition & de réapparition, dans certaines parties, de ſorte que la figure totale étoit très-changeante, & prenoit ſucceſſivement pluſieurs formes bizarres ; ainſi, tantôt on ne voyoit preſque plus de créneaux, mais un arc continu d’une lumière pâle ; tantôt le ſegment s’éclairciſſoit ; quelquefois les colonnes & les rayons étoient plus ou moins interrompus, plus ou moins brillans ; d’autres fois diverſes parties conſidérables disparoiſſoient, pour ſe montrer enſuite de nouveau avec des changemens marqués, qui avoient, avec les apparences que nous venons de décrire, les rapports de différentes parties à leur tout. Voilà ce qu’on peut dire des variations de ce phénomène, que j’appelerois volontiers un vrai prothée, tant il change & prend de formes diverses pour ſe jouer, ce ſemble, de l’obſervateur le plus attentif. Cette aurore reſplendiſſante, avec toutes les alternatives, dont on vient de faire mention, dura preſque juſqu’à ſept heures, elle diminua enſuite conſidérablement ; & un quart-d’heure après, il ne resta dans le ciel aucun veſtige de tout ce magnifique appareil de colonnes radieuses, de jets lumineux, de faiſceaux brillans & de taches rouges. Voyez la figure 138.

On vit ſeulement alors une aurore boréale tranquille, ſemblable à celle du crépuſcule le plus fort ; & long-temps après, cette lumière occupoit encore un très-grand eſpace, qui s’étendoit beaucoup plus vers l’occident que vers l’orient. Elle parut élevée d’environ 40 degrés dans ſa plus grande élévation, & moins brillante à proportion qu’elle s’éloignoit de l’horiſon ; elle ſubſiſta depuis avant ſix heures juſqu’à près de minuit, en diminuant graduellement de hauteur & d’amplitude. Les grandes & belles apparences du phénomène dont nous avons parlé, la couvroient en grande partie ; ainſi ſes proportions correſpondantes au ſegment elliptique obſcur, aux colonnes, aux bandes, aux rayons lumineux, dont la ſplendeur étoit plus éclatante, ne permettoit pas de la diſcerner ; ce n’eſt que dans les diminutions & les diſparitions de ces brillantes parties du phénomène, qu’elle paroiſſoit bien, & jamais on ne la vit mieux qu’après l’extinction totale de l’aurore boréale reſplendiſſante. Pour éviter la confuſion, j’aimerois à appeler aurore boréale, celle qu’on connoît ſous le nom de reſplendiſſante, qui eſt avec colonne, jets, rayons de lumière, &c. ; je voudrois nommer crépuſcule boréal, l’aurore boréale tranquille, qui parut depuis ſept heures environ, juſqu’à neuf heures paſſées, & depuis neuf heures & demie, juſqu’au milieu de la nuit ; en réſervant toujours le mot de lumière ſeptentrionale, pour déſigner ce phénomène constant & viſible près du pôle, & même dans le Groënland & le Spitzberg ; c’eſt ſur ce crépuſcule boréal, comme ſur un fond de lumière, qu’étoit projeté le beau ſpectacle dont nous venons d’être témoins.

Pendant que l’aurore boréale ſe montroit dans toute ſa ſplendeur, on voyoit conſtamment quelques nuages noirs autour de l’horiſon : ceux qui étoient vers le nord étoient très-noirs, & ceux du midi l’étoient beaucoup moins. D’autres nuées ſemblables & toujours noires & très-obſcures, étoient auſſi diſperſées à une certaine élévation entre le nord-oueſt, & le nord-nord-eſt ; on les diſtinguoit beaucoup mieux dans le temps des diminutions alternatives des apparences brillantes, & ſur-tout après leur extinction, depuis ſept heures paſſées, juſqu’à neuf heures & dix minutes.

Sur les neuf heures & quart, environ, il y eut une repriſe du phénomène, mais beaucoup moins belle que celle qu’on avoit vue auparavant entre ſix & ſept heures. J’aperçus alors quatre grandes girouettes qui indiquoient un vent de nord, foible, & qui ne produiſoit aucune agitation ſur les feuilles des arbres. Le baromètre, à neuf heures du matin, étoit à 27 pouces 8 lignes  ; le thermomètre à 5 degrés au-deſſus de zéro ; à onze heures, les vapeurs & les nuages diſparurent, excepté à l’horiſon ; le ſoleil brilloit & faiſoit ſentir de la chaleur ; le thermomètre au nord, étoit à 6 degrés. Cet état du ciel fut le même juſqu’à midi & quart ; alors le ciel ſe couvrit & ſe chargea de nuage. À une heure & demie, le baromètre étoit à 27 pouces 7 lignes  ; le thermomètre à 8 degrés ; à trois heures & demie ; le baromètre à 27 pouces 7 lignes ; le thermomètre à 7  ; une petite pluie ſurvint enſuite, le vent étant toujours au nord.

Le 5, il gela pendant la nuit, ainſi que durant celles qui ſuivirent le matin. Le vent du nord étoit froid & fort, ſans être impétueux. Après le lever du ſoleil, il n’y avoit de nuages qu’autour de l’horiſon ; à neuf heures & demie, le baromètre étoit à 27 pouces 5  lignes  ; le thermomètre à 5 degrés au-deſſus de la glace ; à onze heures trois quarts, baromètre 27 pouces 5 lignes , thermomètre 6  ; à deux heures & à trois, baromètre de même ; thermomètre 6 ; vent plus fort ; il s’appaiſa aux approches de la nuit, & ce calme dura juſqu’au lendemain.

Le 6, des nuages parſemés, & le ſoleil ne brillant que par intervalles ; à neuf heures & demie, baromètre, 27 pouces 6 lignes  ; thermomètre, 6 lignes  ; à neuf heures, vent du nord-oueſt ; à dix heures, nord avec agitation ; à trois heures & demie, baromètre, 27 pouces 7 lignes  ; thermomètre, 3 degrés, vent du nord froid, ciel clair & ſans nuages, excepté autour de l’horiſon. Le 7, baromètre 27 pouces, 10 lignes ; thermomètre au-deſſus de 0, nord, temps clair ; ſoleil, à 8 heures du matin, &c.

J’avois obſervé pluſieurs aurores boréales reſplendiſſantes pendant les années précédentes, & je n’en ai vu aucune d’auſſi belle que celle dont je viens de donner la deſcription, en y comprenant même celle du 18 janvier 1770, dont l’illustre M. de Mairan, dans une lettre à M. Bouillet, ſecrétaire de l’académie de Béziers ; datée de Clichy, le 27 octobre de la même année, diſoit : l’aurore boréale obſervée par M. de Bertholon, de notre académie, eſt curieuſe & mérite d’être notée ſur mes regiſtres ; & ſur laquelle il me demanda enſuite des éclairciſſemens auxquels j’eus l’avantage de ſatisfaire : Ce ſont ces grandes aurores qui frappent tous les regards, & peuvent former des époques brillantes dans l’hiſtoire des ſciences.

La figure 138 repréſente, ainſi que nous l’avons dit, cette aurore boréale, du 3 décembre 1777, a, a, a, a, eſt le ſegment obſcur ; b, b, b, a, a, a, l’arc lumineux ; c, c, c, c, ſont des rayons de lumière ; d, d, d, d, des jets, des faiſceaux lumineux, des colonnes de lumière ; e, e, e, des crénaux ; f, f, f, f, des nuages noirs.

Cette deſcription étant aſſez détaillée, & d’ailleurs contenant les principaux phénomènes des aurores boréales, je me contenterai de rapporter ici une notice très-courte des principales aurores boréales que j’ai obſervées, ſoit avant, ſoit après l’époque de celle dont je viens de parler.

J’obſervai à Béziers, le 18 janvier 1770, à ſix heures du soir, environ, une belle aurore boréale. L’apparence qui me frappa davantage, fut celle d’une grande portion d’un anneau circulaire de lumière coupé par l’horiſon : la largeur de cette anneau étoit très-conſidérable. Cette aurore s’étendoit à-peu-près depuis le cheval pégaſe par caſſiopée, par l’étoile polaire, au-deſſous de la grande-ourſe & defcendoit vers l’orient. La couleur du fond étoit d’un beau rouge éclatant. On apperçut quelques bandes d’une lumière brillante & argentine qui tranchoient parfaitement ſur la couleur du fond. Du côté de l’oueſt, & principalement du côté de l’eſt, quelques-uns de ces jets de lumière parurent animés de mouvemens divers. Au-deſſus de l’arc ſupérieur, on remarqua des jets parſemés de diſtance à diſtance. Cette aurore ne fut que peu de temps dans tout ſon éclat ; car des nuages ſurvenus & diſpersés ſur ſa ſurface n’en laiſſèrent enſuite voir que quelques parties ; à dix heures elle étoit beaucoup diminuée ; on en vit encore quelques reſtes à minuit & demi ; on la vit plus belle ſur quelques-unes des montagnes du diocèe de Béziers, du côté de Ceilles, ainſi qu’on me l’aſſura enſuite.

Dans le mois d’octobre de l’année précédente, j’avois vu deux aurores boréales, une à cinq heures du matin, & l’autre le ſoir du même jour ; mais elles n’étoient pas auſſi brillantes que celle du 18 janvier 1770.

Le 31 août 1770, à trois heures & demi du matin, je vis une aurore boréale qui, ſans doute, avoit paru auparavant : j’apperçus diſtinctement ſept bandes de lumières aſſez larges, éloignées les unes des autres, & placées entre le nord & le nord-eſt. La première raſoit l’étoile E de la grande-ourſe, & tomboit perpendiculairement ; la dernière bande deſcendoit de caſſiopée perpendiculairement à l’horiſon. Ces bandes lumineuſes paroiſſoient être les portions de différens anneaux de cercles dont la convexité étoit peu ſenſible & dont les parties oppoſées n’étoient pas viſibles. Il y a tout lieu de croire que cette aurore tendait à ſa fin, puiſque ſa lumière s’affoiblit enſuite ſucceſſivement.

Le 17 mars 1778, à neuf heures & quart du ſoir, je vis à Béziers une aurore boréale bien marquée, qui parut du côté du nord-oueſt. Ses limites étoient renfermées dans l’eſpace compris entre les perpendiculaires tirées à l’horiſon, d’un côté par les pleïades, & de l’autre par la troiſième étoile de la queue de la petite-ourſe. Le point principal, celui où les apparitions furent les plus fréquentes, & où les couleurs étoient les plus vives paroiſſoit au-deſſous de caſſiopée. On voyoit des bandes blanches & lumineuſes, des rayons & des jets brillans ſur des taches d’un rouge pâle ; les unes & les autres étoient perpendiculaires, à l’horiſon. Les plus élevées étoient au-deſſous de la brillante de perſée & au-deſſous de la queue de la petite-ourſe, celles qui occupoient l’eſpace intermédiaire étoient plus baſſes. La plus grande hauteur des premières bandes étoit plus de la moitié, & moins des deux tiers de la hauteur du pôle, entre 21 degrés & 28 degrés environ. Il y a apparence que cette aurore boréale avoit commencé de paroître depuis quelque temps, lorſque je m’en aperçus par haſard ; elle dura avec diverſes alternatives de mouvemens de diſparitions & de réapparitions juſqu’à neuf heures trois quarts. Le baromètre étoit à 28 pouces, le thermomètre à 5 degrés & quart. Le matin on avoit vu de la gelée blanche ; mais toute la journée fut belle, avec ſoleil brillant ; le ſoir point de nuages, des vapeurs ſeulement au midi qui rendoient les étoiles moins reſplendiſſantes.

Le 13 février 1779, j’aperçus à Béziers, depuis cinq heures trois quarts du ſoir juſqu’à 7 heures & quart environ, une aurore boréale. De grandes taches rouges étoient diverſement répandues dans la zone polaire qui comprend les conſtellations appelées la grande-ourſe, le dragon, cephée & caſſiopée ; on vit quelques rayons lumineux du côté de la grande-ourſe ; il y eut pluſieurs nuages qui parurent ſucceſſivement pendant cette apparition. Ces phénomènes ayant diſparu une heure & demie après le commencement de l’aurore boréale, on ne remarqua, pendant quelques heures, que le ſegment de lumière circulaire qui paroît au-deſſous du pôle ſeptentrional.

Je ne vis point d’aurore le 14, mais on m’a aſſuré l’avoir obſervée à travers des interruptions de nuages qui furent beaucoup plus nombreux & plus épais que le jour précédent. Le vent du ſud régna le 13 & le 14.

Le 15 de la même année, à 5 heures trois quarts, j’obſervai de nouveau l’aurore boréale qui fut toujours accompagnée de grandes taches rouges & de quelques colonnes lumineuſes, juſqu’à ſix heures & demie ; l’éclat des unes & des autres fut plus ou moins vif pendant ce temps. Une ſeconde apparition, plus belle que la première, eut lieu depuis huit heures juſqu’à neuf heures & demie ; non-ſeulement je vis de grandes taches rouges dans le même eſpace du ciel qu’elles occupoient le 13, leſquelles déclinoient encore du côté de l’oueſt ; non-ſeulement je vis auſſi des colonnes lumineuſes qui parurent plus fréquemment vers l’eſt, & à-peu-près dans le voiſinage de la grande ourſe, mais encore un arc lumineux, au-deſſous duquel étoit une bande obſcure ; l’un & l’autre parut bien formé & très-diſtinct. Le ſegment circulaire lumineux, placé concentriquement deſſous la bande & l’arc dont je viens de parler, avoit une couleur de bleu noir & dura long-temps, ſelon l’ordinaire ; l’arc lumineux étoit peu élevé & ſon amplitude ne s’étendoit pas beaucoup.

Le baromètre étoit plus élevé que je ne l’ai jamais vu, fa hauteur étoit de 28 pouces 4 lignes ; & le thermomètre de Réaumur de 7 degrés au-deſſus de zéro. Un vent du nord foible ſe faiſoit ſentir ; quelques nuages étoient diſperſés au bas de l’horiſon ; cependant, le ciel étoit clair & étoilé. Le jour avoit été beau, à l’exception d’une très-petite pluie d’un quart-d’heure, qui tomba ſur les trois heures & demie.

Le 21 avril ſuivant, aurore boréale à 7 heures un quart du ſoir, juſqu’à huit heures & demie environ, grandes taches rouges vers le nord, plus ou moins brillantes, paroiſſant & s’évanouiſſant alternativement, ſans jets ni rayons, ſeulement une lumière au nord-oueſt.

Le 18 ſeptembre 1779, aurore boréale à Béziers, à ſept heures & à huit du ſoir ; grandes taches rouges.

Le 9 novembre 1779, à cinq heures trois quarts, foible commencement ; à ſix heures un quart, augmentation ſensible de l’aurore boréale ; à ſix heures trois quarts belle tache rouge, qui paſſoit près d’éricton & de la chèvre, avec jets & rayons blancs lumineux. À ſept heures, même tache ; mais elle étoit prolongée d’un côté par perſée, cephée, & ſe terminoit en tombant vers l’oueſt entre la lyre & l’aigle ; & de cette façon formoit une bande rouge de figure demi-annulaire. À ſept heures un quart, même apparence, avec deux bandes rouges preſque perpendiculaires. Nuages noirs pendant tout ce temps. Un grand nuage vers le nord, & deux ou trois petits diſperſés ; ils ſe réunirent bientôt au premier, leur poſition reſpective ayant changé ſouvent ; enſuite, ils préſentèrent l’apparence d’une longue bande noire, au-deſſus de l’horiſon ; des autres côtés de l’horiſon, il n’y en avoit point. Vent du nord froid & fort, après cette époque, pendant quatre à cinq jours.

Le 29 février 1780, j’obſervai à Béziers une très-belle aurore boréale ; elle commença à paroître environ vers les ſix heures & quart ; pluſieurs grandes taches rouges ſe faiſoient remarquer dans cette partie du ciel, qui eſt du côté du nord-oueſt, du nord & du nord-eſt ; les principales s’étendoient depuis la grande-ourſe juſqu’au-delà de caſſiopée, & ſur-tout deſſous l’étoile polaire. Je vis auſſi vers le nord des nuages noirs, plus longs que larges, & qui étoient aſſez multipliés : de divers côtés brilloient des colonnes & des rayons lumineux ; mais il y avoit peu de jets de lumière qui fuſſent agités de mouvemens. Un arc lumineux parut pendant quelque temps ; comme il n’y avoit point de ſegment obſcur, il ne ſembloit pas auſſi brillant ; cependant la clarté totale étoit très-grande, & d’autant plus vive, qu’il n’y avoit aucun ſegment obscur, comme nous l’avons dit ; auſſi pouvoit-on lire avec facilité, tant l’éclat lumineux étoit grand ; c’eſt ce qui étoit cauſe que la lumière de l’arc lumineux n’étoit pas auſſi tranchante ſur le fond, que dans d’autres apparitions d’aurores boréales. Les apparences varièrent ou diſparurent différentes fois juſqu’à huit heures & demie, où le ſpectacle fut magnifique, de même qu’à neuf heures ; après ce temps la beauté & l’éclat de l’aurore boréale diminuèrent ſucceſſivement, & il ne reſta, juſques bien avant dans la nuit qu’une clarté plus grande du côté du nord ; à neuf heures & demi presque tous les nuages, étoient diſſipés, excepté deux ou trois petits, ſitués vers le nord ; il n’y en avoit aucun du côté des trois autres points cardinaux ; on voyoit ſeulement quelques vapeurs répandues dans l’air ; un petit vent ſe fit ſentir pendant la durée de l’aurore boréale, ſur-tout vers la fin.

Je décrirai dans un inſtant les expériences d’électricité que je fis dans cette occaſion ; & on les trouvera à la fin de mon explication des aurores boréales. J’ajouterai ſeulement que le temps fut doux pendant toute la journée ; que la veille il avoit fait froid, le ſoleil avoit brillé, un vent très-fort s’étoit fait ſentir, & que les jours précédens il avoit été plus impétueux. Le lendemain de l’apparition de cette aurore boréale, le baromètre étoit à 28 pouces ; le temps fut beau, le ſoleil parut dans ſon éclat ordinaire, & la température fut chaude.

Le 30 janvier 1781, à ſix heures du ſoir, il y eut encore une aurore boréale tranquille, à Béziers : je n’apperçus aucun rayon lumineux ; une grande clarté blanche ſe faiſoit remarquer vers le nord : cette lumière étoit répandue à-peu-près également dans toute la région hémiſphérico-concave qu’occupe ordinairement l’aurore boréale ; à peine voyoit-on un petit ſegment obſcur très-peu élevé vers l’horiſon. Il n’y eut point de taches rouges ; le ſommet étoit preſque ſous l’étoile polaire, pendant la durée de ce phénomène, un petit vent ou plutôt une certaine agitation de l’air ſe fit ſentir ; le baromètre étoit à 20 pouces 2 lignes, & le thermomètre de Réaumur à 6 degrés & demi. À ſept heures, on n’appercevoit plus de trace de cette aurore, ſoit qu’il n’y en eût plus, ſoit que la clarté de la lune ſe confondît avec elle. Quelques nuages noirs occupoient alors l’eſpace où on avoit d’abord obſervé l’aurore boréale, quoique pendant le temps de l’apparition de ce phénomène, on ne remarquât aucuns nuages. Le temps fut ſombre dans la matinée ; depuis dix-heures & demie le ſoleil parut juſqu’à ſon coucher, & la soirée fut très-belle. Le lendemain, le vent du nord fut ſenſible, ſans être fort, & le temps très-beau. Le premier février, le vent devint violent, ſur-tout, vers les huit heures.

J’obſerverai ici qu’on ne doit point regarder d’un œil indifférent pluſieurs des circonſtances qui ont lieu pendant l’apparition des aurores boréales, & même avant ou après le phénomène ; le vent, par exemple, parce que, ſelon moi, il y a des vents électriques, des vents produits par des météores électriques, auſſi remarque-t-on toujours ou preſque toujours des vents avec les météores électriques de quelque importance.

Le 15 février 1781, ſur les huit heures & demie du ſoir, j’obſervai encore une aurore boréale dans la même ville ; pluſieurs taches rouges, des rayons lumineux & des colonnes radieuſes parurent du côté du nord, elles étoient principalement renfermées dans l’eſpace contenu entre une ligne tirée par les deux claires de la petite ourſe, & une autre ligne tirée au-dessus de caſſiopée. Un fond de lumière éclairoit tout ce ſpectacle ; mais des nuages noirs en aſſez grand nombre à l’horiſon du côté du nord, & à une certaine hauteur, empêchoient qu’on ne pût voir aucun ſegment obſcur ; on ne remarqua point d’arc lumineux ; mais ſeulement une grande clarté. Quelques nuages noirs, en petit nombre, étoient dans l’eſpace occupé par l’aurore boréale à une certaine diſtance & au-deſſus de ceux qui formoient près de l’horiſon une grande bande noire. Le vent du nord étoit aſſez fort, & plus que pendant la journée ; la veille, à une heure après midi, ce vent s’éleva, augmenta ſucceſſivement juſqu’à cinq heures & demie du ſoir où il fut des plus impétueux comme dans les ouragans. Le ſoleil fut aſſez chaud ; le 15 ſur-tout, vers les onze heures, midi, une & deux heures, le baromètre étoit à 27 pouces 11 lignes, le thermomètre au mercure, diviſé en 80 degrés du point de la congellation à celui de l’eau bouillante, & que j’ai appelé ci-deſſus de Réaumur, pour éviter des périphraſes & des répétitions‹ ; ce thermomètre étoit à 10 degrés. L’électricité de la machine électrique fut plus forte ainſi que celle des électrophores & des phoſphores ou tubes vides d’air ; les agitations de l’aiguille aimantée furent plus vives & plus multipliées, comme dans l’obſervation du 29 février 1780, qu’on trouvera à l’endroit cité ci-deſſus.

Le 25 février 1782, à ſix heures & demie du ſoir, je vis à Béziers une aurore boréale avec arc lumineux & ſegment obſcur, deux ou trois nuages noirs au-deſſus & allongés ; des vapeurs étoient répandues dans l’air, au nord & à l’oueſt ; des taches rouges paroiſſoient au nord-oueſt, mais d’une teinte foible ; on vit auſſi deux ou trois rayons qui avoient peu d’éclat ; l’étendue de cet article me force à abréger cette deſcription & les ſuivantes.

J’obſervai à Paris, le 27 avril 1783, vers onze heures, une belle aurore boréale qui déclinoit vers l’oueſt ; j’y vis un arc lumineux, un ſegment obſcur, des rayons lumineux, des jets de lumière en mouvement, & une eſpèce de pavillon au-deſſus de nos têtes. Le ſegment de l’aurore boréale me parut plus élevé que dans les provinces méridionales de France.

Le 29, ſur les huit heures & trois quarts, je vis encore à Paris une belle aurore boréale, avec deux arcs lumineux très-diſtingués, un ſegment obſcur & trois ou quatre colonnes de lumière, mais ſans agitation ; tandis que dans celle du 27, on voyoit dans tous les jets de flamme, qui étoient nombreux, une grande agitation, de grands mouvemens d’ondulation qui formoient un des beaux ſpectacles que j’aie jamais vus, quoique j’aie obſervé un grand nombre de phénomènes de ce genre.

Le 22 octobre 1788, je vis, à Béziers, une aurore boréale, depuis neuf heures jusqu’à neuf heures trois quarts : elle ne préſentoit rien de remarquable. Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1789, l’aurore boréale dura depuis dix heures juſqu’à quatre heures & demie du matin ; de même dans la nuit du 15 au 16 ; mais cette dernière fut moins longue & moins belle que celle de la veille.

Le 26 septembre 1789, M. l’abbé Hervieu, profeſſeur de philoſophie à Falaiſe, apperçut dans cette ville une très-belle aurore boréale. Ce jour avoit été très-chaud pour la ſaiſon, & depuis près de 15 jours le temps étoit au beau. Sur les huit heures & demie, il vit vers le nord des nuages légers & confus, dont les bords ſur-tout brilloient d’une lumière pâle ; il n’y avoit pas d’autres nuages que ceux dont on vient de parler & qui formoient un ſegment conſidérable au nord. Pendant environ un quart-d’heure, ces nuages changèrent pluſieurs fois de forme & de couleur. Les bords diminuoient de vivacité & le fond obſcur s’éclairoit d’une lumière blanchâtre, de ſorte que la couleur du ſegment entier devenoit à-peu-près une forme ; l’inſtant d’après reparoiſſoient des groupes de nuages ſemblables aux précédens qui, comme eux, s’allumoient, pour ainſi dire, & s’éteignoient par nuances preſqu’imperceptibles. Tout-à-coup parurent cinq belles colonnes lumineuſes, divergentes entr’elles. La plus occidentale alloit du nord au midi ; la direction des autres se rapprochoit de l’eſt. Une ſixième colonne parut en même-temps au nord-eſt ; ſa direction étoit du nord au midi. Toutes ces colonnes, excepté la plus-occidentale, ne tardèrent pas à diminuer d’éclat, & enfin à disparaître entièrement. Celle-ci augmenta prodigieuſement, & prit une couleur de feu. Les nuages dont on a parlé, & qui formoient un ſegment vers le nord, diſparurent lors de l’apparition des colonnes radieuses ; une de ces colonnes ſubſiſtoit encore, lorſque des nuages ſemblables aux précédens furent le prélude d’une ſcène nouvelle.

Des jets de lumière partirent de leur ſein dans tous les ſens ; un limbe brillant ſe forma, une portion parut s’en détacher avec effort, & s’élança avec impétuoſité vers le midi. Son éclat s’accrut beaucoup dans le mouvement ; elle produiſit une lumière vive & paſſagère comme celle de l’éclair, mais un peu plus foible, & diſparut. Auſſitôt tout le nuage ſembla s’agiter ; de tous ſes points jailliſſoient de ſemblables flots de lumière, & ils ſe preſſoient avec une telle rapidité, qu’on ne ſavoit de quel eôté porter les regards ; les nuages ne tardèrent pas à être conſumés de cette manière, & bientôt il ne reſta dans le ciel aucune trace de ce qui venoit de s’y paſſer.

Quelque temps après, deux nouvelles repriſes s’annoncèrent comme les précédentes & leur furent aſſez ſemblables, & il eſt conſéquemment inutile de les décrire. Dans la cinquième & dernière, l’obſervateur aperçut des creneaux blancs en aſſez grand nombre, dont les baſes étoient appuyées ſur un nuage de même couleur : la diſtance qui ſe trouvoit entre leurs ſommets étoit remplie par des taches noires provenant uniquement, à ce qu’il ſembloit, de ce que ces endroits n’étoient pas éclairés comme les voiſins. Ces creneaux étoient diſpoſés dans un certain ordre, & leur enſemble préſentoit un ſegment elliptique, dont le petit axe, dirigé de l’orient à l’occident, avoit environ 40 degrés. Tout cet appareil s’avança vers le midi avec un mouvement majeſtueux, ſans qu’on y remarquât de variation conſidérable pendant quelque temps ; mais lorſqu’il fut arrivé à-peu-près à l’étoile polaire, des flots de lumière jaillirent de la partie antérieure & s’élancèrent vers le midi ; de pareils éclairs partirent des côtés qui regardoient l’eſt & l’oueſt, & ſe dirigèrent vers ces points du ciel. Toute cette maſſe brillante continuoit toujours de s’avancer vers le midi ; & ſon amplitude augmentoit prodigieuſement : un eſpace elliptique, d’abord aſſez petit, ſe nettoya, pour ainſi dire, au milieu de ce nuage ; une bande brillante qui lançoit ſans interruption des éclairs auſſi vifs qu’ils pouvoient l’être ſans offenſer la vue, le circonſcrivoit de tous côtés. Chaque vibration ſembloit le reculer avec effort dans tous les ſens & agrandir l’eſpace net dont on vient de parler. Cette ſcène peut avoir duré dix à douze minutes dans la plus grande beauté ; après quoi les éclairs diminuèrent de vivacité, la partie méridionale de la bande brillante parut ſe conſumer & ſe diſſiper par degrés ; quelques traits de lumière s’élançoient encore du nord, mais plus rarement & plus foiblement juſqu’à ce que le nuage fût entièrement évanoui.

Afin que nos lecteurs aient une notion plus diſtincte de ce phénomène, & qu’une multiplicité d’obſervations différentes ne jette pas de la confuſion dans l’eſprit de quelques-uns d’eux, nous allons rapporter un tableau général de l’aurore boréale qui contiendra les principales circonſtances qu’on y a remarquées.

Dans la région de l’air, qui eſt directement vers le nord, ou qui s’étend du nord vers l’orient, ou vers l’occident, paroît d’abord une nuée horiſontale qui s’élève de quelques degrés, mais rarement de plus de 40 au-deſſus de l’horiſon. Cette nuée eſt quelquefois ſéparée de l’horiſon, & alors on voit entre-deux le ciel bleu & fort clair. La nuée occupe en longueur une partie de l’horiſon, quelquefois depuis 5 juſqu’à 100 degrés, & même davantage. La nuée eſt blanche & brillante ; elle eſt auſſi ſouvent noire & épaiſſe. Son bord ſupérieur eſt parallèle à l’horiſon, & forme comme une longue traînée éclairée, qui eſt plus haute en certains endroits, & plus baſſe en d’autres ; elle paroît auſſi recourbée en manière d’arc, reſſemblant à un diſque orbiculaire qui s’élève un peu au-deſſus de l’horiſon, & qui a ſon centre au-deſſus. On voit quelquefois une large bande blanche ou luiſante qui tient au bord ſupérieur de la nuée noire. La partie ſombre de la nuée ſe change auſſi en une nuée blanche & lumineuſe, lorſque l’aurore boréale a brillé pendant quelque temps, & qu’elle a dardé pluſieurs verges ardentes & éclatantes. Il part du bord ſupérieur de la nuée des rayons sous la forme de jets, qui ſont quelquefois en grand, quelquefois en petit nombre, tantôt les uns proches des autres, tantôt à quelques degrés de diſtances. Ces jets répandent une lumière fort éclatante, comme ſi une liqueur ardente & brillante ſortoit avec impétuoſité d’une ſeringue. Le jet brille davantage, & a moins de largeur à l’endroit du bord d’où il part, il ſe dilate & s’obſcurcit à meſure qu’il s’éloigne de son origine. Il s’élève d’une large ouverture de la nuée une colonne lumineuſe comme une fuſée, mais dont le mouvement eſt lent & uniforme, & qui devient plus large en s’avançant. Leurs dimenſions & leur durée varient. La lumière en eſt blanche, rougeâtre, ou de couleur de ſang ; lorſqu’elles avancent, les couleurs changent un peu, & forment une eſpèce d’arc-en-ciel. Lorſque pluſieurs colonnes, parties de divers endroits, ſe rencontrent au zénith, elles ſe confondent les unes avec les autres, & forment par leur mélange une petite nuée fort épaiſſe, qui ſe mettant d’abord en feu, brûle avec plus de violence, & répand une lumière plus forte que ne faiſoit auparavant chaque colonne ſéparément. Cette lumière devient alors verte, bleue & pourpre ; & quittant ſa première place, elle ſe porte vers le ſud, ſous la forme d’un petit nuage clair. Lorſqu’il ne ſort plus de colonne, la nuée ne paroît ſouvent que comme le crépuſcule du matin, & elle ſe diſſipe inſenſiblement.

Ce phénomène dure quelquefois toute la nuit ; on Ie voit même ſouvent deux ou trois jours de ſuite. M. Muſſchenbroek l’obsſerva plus de dix jours & dix nuits de ſuite en 1734, & depuis le 22 juſqu’au 31 mars 1735, ainſi qu’on l’a déja vu. La nuée qui ſert de matière à l’aurore boréale dure ſouvent pluſieurs heures de ſuite ſans qu’on y remarque le moindre changement ; car on ne voit pas alors qu’elle s’élève au-deſſus de l’horiſon, ou qu’elle deſcende au-deſſous. Quelquefois elle ſe meut un peu du nord à l’eſt ou à l’oueſt ; quelquefois auſſi elle s’étend beaucoup plus loin de chaque côté, c’est-à-dire, vers l’eſt & l’ouest en même-temps, & il arrive alors qu’elle darde pluſieurs de ces colonnes lumineuſes dont nous avons parlé. On l’a auſſi vu s’élever au-deſſus de l’horiſon, & ſe changer entièrement en une nuée blanche & lumineuſe : enfin, la lumière nait & disparoît quelquefois en peu de minutes.

La largeur de l’arc lumineux, ou de ſon limbe varie extrêmement, à raison de la hauteur ou de l’épaiſſeur de couche de la matière dont il réſulte, dit M. de Mairan ; on en voit de 2, 3, 4, 5, & juſqu’à 8 ou 10 degrés de largeur. Son bord ſupérieur eſt ſouvent aſſez bien terminé, quoiqu’il ſe confonde auſſi quelquefois inſenſiblement avec le bleu du ciel, ou avec la lumière générale que répand tout le phénomène ; son amplitude ſur l’horiſon ou ſa longueur n’eſt pas moins diverſe dans les différentes aurores boréales ; on en voit à Paris de 50 juſqu’à 150 degrés d’amplitude ſur l’horiſon : ordinairement elles ſont d’environ 100 degrés d’étendue. Sa hauteur ſur l’horiſon, priſe à ſon ſommet, est de 10, 20, 30 à 40 degrés, rarement au-delà ou au-deſſous ; dans les aurores boréales remarquables, il y a des latitudes, en avançant de plus en plus vers le pôle, d’où l’obſervateur peut voir & le demi-cercle & une plus grande portion du cercle, & enfin le cercle entier de la calotte ſur l’horiſon. L’aurore boréale paroît ſouvent à Upsal ; ſous la forme d’arc plus que ſemi-circulaire. Les académiciens Français qui allèrent au cercle polaire, virent encore, avant que d’être à Torneo (s’eſtimant ſur le Doggers-Bank à 54 degrés 35 minutes de hauteur, le 4 mai 1736,) ils virent une aurore boréale qui formoit un arc elliptique, mais dont les extrémités qui se terminoient vers l’horiſon avoient une amplitude conſidérable moins grande que les parties de cet arc qui répondoient au grand axe de l’ellipſe.

Des eſpèces d’aurores boréales. Le ſpectacle des aurores boréales étant toujours très-varié, il eſt clair qu’on peut diſtinguer ce phénomène en pluſieurs eſpèces apparentes, afin de mettre de la préciſion dans les différentes obſervations qu’on en a faites ou qu’on peut en faire à l’avenir. Des mots techniques & des expreſſions conſacrées à divers objets ou à diverſes parties d’un objet composé, ſont très-utiles dans l’étude des ſciences ; mais auſſi ces noms ne doivent pas être trop multipliés pour déſigner de ſimples accidens. C’eſt le défaut dans lequel les anciens ſont tombés en donnant à ce phénomène différentes dénominations, & en le multipliant en quelque ſorte. On croyoit autrefois qu’il y avoit un grand mérite à ſavoir inventer des noms pour chaque choſe ; ce talent s’eſt exercé ſur le phénomène en queſtion. On donne le nom de poutre à une lumière oblongue qui paroît dans l’air, & qui eſt parallèle à l’horiſon. Cette même ſorte de lumière s’appelle flèche, lorſqu’une de ſes extrémités forme une pointe en manière de flèche. La torche eſt une lumière qui ſe tient ſuſpendue en l’air de toutes ſortes de manières, mais qui a une de ſes extrémités plus large que l’autre. On appelle chèvre danſante une lumière à laquelle le vent fait prendre diverſes figures ; & qui paroît tantôt rompue & tantôt en ſon entier. Ce qu’on nomme bothynoë ou antre, n’eſt autre choſe qu’un aire qui paroît creuſé en-dedans, comme une profonde caverne, & qui eſt entouré comme d’une couronne. On appelle pythie ou tonneau, la lumière qui ſe manifeſte ſous la forme d’un gros tonneau rond qui paroît brûlant. Il eſt aiſé de s’appercevoir que tous ces noms-là ſont de peu d’importance, qu’on en peut inventer ſuivant les différentes formes que prend la lumière, ſans être plus habile pour cela. Il faut cependant convenir que quelquefois les noms de poutre, de flèche, torche, de chèvre danſante, ont été employés non-ſeulement pour déſigner des portions d’aurores boréales ou des aurores boréales incomplettes, mais encore quelques-uns de ces météores vagues, de ces feux volans qu’on apperçoit dans l’atmoſphère.

On évitera cet abus, ſi on ſe forme d’abord une idée de l’aurore boréale la plus brillante & la plus complette, & qu’on ne conſidère ce qu’on a nommé différentes eſpèces d’aurores boréales que comme des aurores auxquelles manquent pluſieurs parties de ce phénomène.

Les aurores boréales ſeront donc complettes ou incomplettes ſelon qu’on y appercevra toutes les parties ou ſeulement quelques-unes des parties qui compoſent celles qui ſont parfaites. Les aurores incomplettes comprendront l’arc lumineux, le ſegment obſcur, les jets lumineux, les colonnes de lumière, le mouvement ondoyant de la matière lumineuſe, les taches rouges, la couronne, & objets dont nous avons parlé dans la deſcription de différentes aurores boréales obſervées en divers lieux. Les aurores incomplettes, ſeront plus ou moins imparfaites, ſelon qu’une ou pluſieurs des portions qu’on vient de déſigner ſeront ſupprimées, ſoit par le défaut d’abondance dans la matière électrique qui les produit, ſoit par l’influence de pluſieurs cauſes deſtructives ou perturbatrices.

Il y aura donc des aurores boréales tranquilles ſans ſegment, comme celle de la figure 144 ; les aurores à un arc lumineux, avec ſegment figure 142 ; à deux arcs lumineux, figure 139 ; des aurores à crénaux, figure 140, avec ſegment obſcur ; des aurores ſans arc, ni ſegment viſibles, mais cachés par différentes cauſes, & avec des colonnes lumineuſes comme dans la figure 145 ; des aurores à jets ou rayons de lumière, avec ou ſans arc lumineux, figures 141 & 143 ; des aurores à couronne, ou pavillon, &c, figures 147 & 148. Tous ces objets ſeront encore mieux compris par les deſcriptions ſuivantes, qui ſont ſuffiſamment détaillées.

La figure 139 repréſente l’aurore boréale, vue à Greſſen le 17 février 1721 d’après la figure qui en fut donnée dans les actes de Leipſick, dépouillée des rayons & de jets de lumière. Α, B, C, D déſignent le ſegment obſcur circulaire ou elliptique.

Les lettres E, F, G, C, B, Α montrent le premier arc lumineux. H, I, K, L font voir le ſecond arc lumineux, qui paroît quelquefois, & qui eſt toujours coneentrique au premier arc & au ſegment. L, M, eſt la voie lactée. On a vu auſſi un troiſième arc lumineux, un quatrième même, Burman en a apperçu quatre dont trois étoient bien diſtincts ; ils étoient les uns ſur les autres & ſéparés par des intervalles circulaires obſcurs, c’étoient des anneaux lumineux alternativement mêlés à des anneaux coneentriques obſcurs. Cette obſervation eſt du 20 ſeptembre 1717, & a été faite à Upſal. Les tranſactions philoſophiques en parlent. Il y a même quelques obſervations d’aurores boréales à ſix ou ſept arcs.

On voit dans la figure 140 une aurore boréale à bande crenelée ; M. de Mairan l’obſerva à Breuillepont près de Paris, le 19 octobre 1726.

La figure 141 montre une aurore boréale dans laquelle on voit des brèches dans le ſegment, & des briſures dans l’arc lumineux avec des jets de lumière, &c. Elle fut obſervée par le même phyſicien & au même endroit, le 26 ſeptembre 1731, à 9 heures.

L’aurore qui eſt repréſentée dans la figure 142, fut ainſi vue à Montpellier par M. de Plantade, de l’académie des ſciences de cette ville. Elle eſt ſingulière par les accidens de lumière, par les couleurs qu’on y remarqua, & par l’eſpèce de nuages ſinguliers dont ce phénomène fut accompagné ; le ſegment obſcur, au lieu d’être d’un gris d’ardoiſe ou d’un violet brun, comme il eſt ordinairement, étoit d’un bleu foncé. Le limbe, couleur de feu auprès du ſegment ſe terminoit inſenſiblement en jaune. Le rouge dominoit dans la gerbe de rayons qu’on voyoit à gauche vers l’oecident ; ce qu’on prendroit pour un gros nuage du même côté & qui y cache une partie du limbe, tire ſur la couleur de ſang ; les nuages noirâtres de la droite ſont plus foncés, & ſur-tout mieux tranchés que ne le comporte la contexture ordinaire des vrais nuages. Tout le reſte du ciel étoit d’un gris cendré, peu uniforme, fouetté de violet, & qui s’éclairciſſoit de plus en plus en approchant du limbe, juſqu’à devenir d’un blanc citrin. Ce limbe eſt plus large qu’il n’a coutume d’être, car il fait plus du tiers de toute la hauteur du phénomène, à compter de l’horiſon juſqu’au ſommet de l’arc. Cette aurore fut obſervée le 16 décembre 1726.

La figure 143 fait voir une aurore boréale à jets de lumière ſans ſegment obſcur : on l’apperçut ainſi à Breuillepont le 26 septembre 1726.

La figure 144 montre une aurore boréale que j’appellerois volontiers aurore boréale à ſegment circulaire lumineux ; il eſt évident que l’arc lumineux eſt ici entièrement confondu avec le ſegment devenu lumineux ; j’obſervai cette eſpèce d’aurore boréale à Béziers, le 30 janvier 1781. Pendant un petit inſtant, je vis un petit ſegment obſcur infiniment peu élevé ſur l’horiſon, mais enſuite il disparut, & je ne vis après le phénomène que de la manière dont il eſt repréſenté ici.

La figure 145 donne une idée exacte d’une aurore boréale qui parut à Beziers le 15 février 1781 ; les colonnes lumineuſes y sont bien marquées, les colonnes de lumière qu’on apperçoit dans cette aurore boréale ſont perpendiculaires à l’horiſon, & c’eſt en cela qu’elles diffèrent des jets de lumière qui ſont compoſés de rayons divergens & obliques, relativement à l’horiſon : les colonnes peuvent être plus ou moins longues, mais elles ont toujours beaucoup plus de largeur. L’aurore boréale de cette figure pourroit être appelée aurore boréale à colonnes lumineuses, parce qu’elles y dominent & qu’elles y ſont aſſez bien caractériſées. La figure en eſt exacte, parce que je la fis deſſiner pendant l’apparition du phénomène, ainſi que les autres qui repréſentent les aurores que j’ai obſervées.

Les aurores boréales à couronne ſont celles dont le concours des rayons lumineux ſe fait au zenith ou près du zenith ; d’où il réſulte une apparence de couronne qu’on obſerve aſſez constamment dans les grandes aurores boréales qui ſont complettes. Dans l’aurore boréale du 19 octobre 1726, la couronne parut très-marquée, fort variée & dura long-temps, au rapport de M. de Mairan qui l’obſerva. « Elle repréſentoit le plus ſouvent la lanterne d’une coupole, & la clef d’une voûte ſphérique où tous les vouſſoirs iroient aboutir. Tantôt c’étoit une ſimple ouverture circulaire, qui laiſſoit appercevoir le ciel d’un bleu pâle à travers pluſieurs flocons de nuages lumineux ou teints de diverſes couleurs, tantôt une gloire rayonnante ſemblable à celle qu’on voit dans les tableaux, & renfermant toujours vers ſon milieu le point de réunion & de repos où concouroient les vibrations de lumière & les ondulations qui s’élevoient de toutes parts ſur l’horiſon. Il s’en élevoit beaucoup plus cependant du côté du nord, que du côté du midi. Son diamètre étoit pour l’ordinaire environ quatre fois plus grand que celui du ſoleil, & ſon centre déclinoit de 7 à 8 degrés vers le midi, avec quelque léger mouvement, vrai ou apparent, qui s’y faiſoit de temps à autres ».

L’aurore boréale qui parut en 1585 avoit une couronne de ce genre. Il y avoit au milieu, dit-il, un nuage fort lumineux auquel tous ces rayons alloient ſe réunir ſous la forme d’une tente, dont les bandes beaucoup plus larges vers le pied, montroient en ſe rétréciſſant juſqu’à ſon ſommet où elles ſe terminoient comme une eſpèce de capuchon. Grég. Turon. Lib. VIII, cap. XVII, p. 390. Corneille Gemma déſigne la couronne, dans deux aurores boréales qu’il avoit obſervées en 1575 par une tente ou pavillon circulaire et par un cornet à jouer aux dés. M. Halley, dans ſa deſcription de l’aurore boréale du 17 mars 1716, fait très-expreſſément mention de la couronne que l’on y vit au zenith. On a obſervé que la couronne déclinoit plus ou moins du nord dans différentes aurores boréales, & même dans une ſeule, vue pendant quelque temps.

Cette tendance & cette poſition au zenith en général, qu’on obſerve dans les rayons qui forment la couronne de l’aurore boréale eſt un objet purement optique, une ſimple apparence qui peut réſulter d’un aſſemblage ou d’une diſtribution particulière des colonnes. Cette diſtribution exigeant une certaine régularité, la couronne doit être rare & l’eſt en effet, car ſur une centaine d’aurores boréales qu’on obſervera, on ne l’appercevra que deux ou trois fois tout au plus. Soit l’œil d’un ſpectateur placé en O, figure 146, ſur la ſurface de la terre, & ſoient pluſieurs de ces colonnes Α B, C D, E F, I K, G H, M L, &c. Au zenith ou autour du zenith Z. Si l’on mène à leurs extrémités, dit M. de Mairan, les rayons viſuels O Α, O B, O C, O D, O E, &c. il eſt clair que les colonnesles plus près du zenith, & telles que Α B, C D, étant imaginées rangées circulairement ou à peu-près, y produiront l’apparence d’un trou, d’un entonnoir renverſé, ou du ſommet d’un pavillon, ou enfin d’une couronne, ſi l’œil du ſpectateur les projette ſur la ſuperficie concave du ciel ; & cette couronne ſera plus ou moins rayonnante, ſelon la diſtribution fortuite des colonnes ambiantes Α, C, E, L, figure 147 & avec toutes les variétés dont eſt ſuſceptible un phénomène qui n’eſt formé que par une matière en mouvement, qui ſe dissipe, & à laquelle il en ſuccède continuellement de nouvelle qui ne reprend pas toujours exactement la même place ; c’eſt ainſi que M. Maraldi vit, en 1726, d’abord un globe au zenith, qui ſe changea bientôt après en un anneau.

La couronne doit encore être vue au zenith ou près de ce point, par la raiſon qu’à rareté ou denſité égale les colonnes verticales qui ſe préſentent à l’œil par le côté, & loin du zenith, doivent paroître moins denſes, & être moins viſibles que celles qui ſont vues en raccourci,& par leur bout inférieur auprès du zenith, le rayon viſuel ayant moins de chemin à faire dans la matière qui les compoſe dans le premier cas que dans le ſecond. Du reſte, on conçoit aſſez que l’arrangement des colonnes ne ſauroit être toujours & partout auſſi régulier qu’il le faudroit pour faire voir la couronne exactement au zenith, & qu’elle peut décliner plus ou moins par rapport à ce point, ſelon les circonſtances & le lieu de la trouée la plus capable d’en produire l’apparence.

La couronne n’eſt pas la ſeule apparence optique qu’on pourroit remarquer dans l’aurore boréale, il doit y en avoir une infinité d’autres & dans toutes ſes parties, ſelon le lieu d’où ces parties ſont apperçues, par rapport à leur ſituation, à leur étendue, à leur figure, ou même à leur visibilité & à leurs couleurs, ſelon que le ſpectateur ſe trouve dans la ligne ou hors de la ligne de réfraction ou de réflexion des rayons rompus ou réfléchis de la lumière qui en eſt le ſujet. Tout détail eſt ici inutile ; il ſuffit d’y faire attention en général, pour ne pas attribuer au phénomène des variétés qui ne partent que de la différence des lieux. La figure 148 repréſente la couronne de l’aurore boréale de 1726. M. de Mairan la deſſina dès le lendemain de ſon obſervation avec tous les objets qui l’entouroient en même temps : on conçoit quelle fut la magnificence de ce ſpectacle. Cette figure n’eſt autre choſe qu’une projection de l’hémiſphère ſupérieur du ciel, sur les principes dont on ſe ſert communément en géographie pour les mappemondes ou hémiſphères polaires. Elle doit être regardée de bas en haut. La bordure inégale qui eſt autour repréſente l’horiſon ſenſible du lieu ; a, b, le ſegment & le cintre obſcur ; N, S, E, O, les quatre points cardinaux ; & le point blanc qui occupe le milieu de la couronne, une étoile de la conſtellation d’andromède qui s’y montra pendant quelques momens vers les 9 heures , & qui ſervit à en déterminer la poſition. Traité phyſ. & hiſtor. de l’aurore boréale, page 139, &c. Cet ouvrage de M. de Mairan eſt plein de recherches tant hiſtoriques que phyſiques & géométriques ſur cet objet ; mais l’eſprit de ſyſtême y domine en beaucoup d’endroits.

On a nommé aurores boréales informes, celles qui ne ſe manifeſtent que par une matière fumeuſe & obſcure à ſa partie inférieure, mais blanche & claire au-deſſus, vaguement répandue par pelotons dans le ciel, & preſque toujours néanmoins avec quelque gros nuage ou brouillard plus marqué du côté du nord qu’ailleurs. Il y a encore des aurores boréales indéciſes qui conſiſtent dans une petite clarté répandue ſur le bord de tout l’horiſon, ou ſur pluſieurs des parties de ce cercle. Nous ne parlons pas ici des aurores méridionales ſur lesquelles on s’eſt ſuffisamment étendu dans un article particulier.

L’aurore boréale ne doit pas être confondue avec d’autres phénomènes qui paroiſſent avoir quelque rapport avec elle. l’anticrépuscule (voyez ce mot) en diffère beaucoup ; c’eſt un phénomène qui ne manque preſque jamais de paroître dans les jours ſereins avec le crépuſcule, & qui lui eſt oppoſé ſoit par le lieu du ciel qu’il occupe, ſoit par le renverſement de ſa partie lumineuſe, d’autant moins vive qu’elle eſt plus près de l’horiſon, & il s’en faut de beaucoup que la formation de l’aurore boréale ſoit pareille ou ſemblable à celle de l’anti-crépuſcule, car on n’y remarque point de la conſtance & de la régularité ; elle ne paroît pas habituellement pendant les jours ſereins, ſa figure n’eſt pas toujours la même.

La lumière zodiacale diffère auſſi de l’aurore boréale ; afin de ne pas répéter ici, ce qui a été dit à l’article LUMIÈRE ZODIACALE, nous renvoyons à ce mot.

L’aurore boréale diffère encore de la lumière ſeptentrionale ; de cette lumière qu’on voit clairement en Iſlande & en Norwège pendant l’été, lorſque le ciel eſt ſerein, & que la nuit n’eſt troublée d’aucun nuage ; de ce crépuſcule perpétuel qui occupe en été tout l’eſpace de la nuit dans le Groënland. M. Caſſini penſe que ce phénomène du Groënland eſt le crépuſcule mêlé de la lumière zodiacale qui eſt plus éclatante, lorſque la lune ne paroît pas. Voyez LUMIÈRE SEPTENTRIONALE.

Nous terminerons cette eſpèce de paragraphe en diſant qu’il eſt très-probable qu’il y a des aurores boréales dans les autres planètes ; non ſeulement dans celles qui ſont dans notre ſyſtême ſolaire, & circulent autour de cet aſtre, telles que mercure, vénus, mars, jupiter, ſaturne, herſchel & leurs divers ſatellites, ainſi que celui de la terre, ſavoir la lune, mais encore dans toutes les autres planètes qui font leurs révolutions périodiques autour des autres ſoleils du monde, c’eſt-à-dire autour des différentes étoiles. La raison en eſt, que la cauſe des aurores boréales qui eſt le fluide électrique, la lumière phoſphorico-électrique, ainſi que je le prouverai dans l’article ſuivant ; la raiſon en eſt que cette cauſe a vraiſemblablement lieu dans toutes les planètes comme ſur la terre, le fluide électrique étant répandu abondamment dans les hautes régions de toute atmoſphère planétaire.

De la cauſe des aurores boréales & des diverſes hypothèſes qu’on a imaginées. 1o. Le plus ancien ſentiment qu’on ait imaginé ſur la nature & l’origine de l’aurore boréale eſt celui qui la fait dépendre des vapeurs & des exhalaiſons élevées dans la moyenne région de l’air. On a long-tems expliqué la plûpart des phénomènes qui avoient lieu dans l’atmoſphère par le ſecours de cet amas de parties hétérogènes, ſubtiles & très-atténuées qui s’élevoient dans l’air. De leur mélange, diſoit-on, réſultoit une fermentation très-vive, ſuivie de corruſcations, de flammes & de détonnations. Tantôt le feu central étoit le foyer, la terre la cornue ou la cucurbite, & l’air le récipient ; tantôt la haute région tenoit lieu de réfrigérant, les nuages de récipient ; quelquefois les diverſes exhalaiſons étoient des acides & des alkalis, d’autres fois des huiles eſſentielles, &c. & toujours l’atmoſphère étoit un laboratoire de chimie où la nature employoit les agens & les inſtruments les plus actifs & les plus puiſſans. Avec des reſſources auſſi multipliées, il n’étoit pas poſſible d’être jamais en défaut ; auſſi expliquoit-on avec une merveilleuſe facilité, non-ſeulement l’aurore boréale, mais encore tous les myſtères de la nature les plus impénétrables. Ces heureux temps ſont paſſés, & on ne ſe contente plus à préſent d’un jargon encore plus abſurde qu’inintelligible. M. Frobès d’Helmſtad eſt un de ceux qui vers le milieu de ce ſiècle a employé, pour expliquer les apparences de l’aurore boréale, des exhalaiſons & des vapeurs ſubtiles, de petites lames de glace qui s’élèvent de la terre.

Si les exhalaiſons terreſtres étoient la cauſe de l’aurore boréale, ce phénomène ne ſeroit pas vu conſtamment vers le nord, mais on l’appercevroit de temps en temps dans toutes les directions poſſibles. Ces molécules s’élevant de tous les points de la ſurface de la terre & les vents les diſpersant de tous côtés, l’aurore boréale paroîtroit indifféremment vers toutes les régions du ciel, ce qui eſt contraire à toutes les obſervations.

Les aurores boréales ſont à une trop grande hauteur, pour que les vapeurs & les exhalaiſons qui ſortent de la terre, puiſſent s’y élever. Les nuées qui flottent ſur nos têtes & ſont le jouet des vents ; ces nuées qui ne ſont que des amas de vapeurs, n’atteignent jamais le ſommet des plus hautes montagnes, puiſque les voyageurs qui ont été ſur leur cime, ont toujours aperçu les nuages au-deſſous d’eux, & cependant, ſur la pointe des plus hautes montagnes, comme dans les plaines, on aperçoit les aurores boréales. Elles ne ſont donc pas dans la région des nuages où on ſuppoſe que les exhalaiſons, ſe ſont élevées, mais bien au-deſſus ; car les nuages blancs qui réſultent d’un aſſemblage d’exhalaiſons, & qui ordinairement ſont plus hauts que les autres ; ne ſont jamais à une lieue de diſtance de la ſurface de la terre. Les Pères Ricccioli & Grimaldi meſurèrent en même temps la hauteur d’un nuage blanc, & ils ne la trouvèrent que de 10 885 pieds bolonois qui égalent environ 2 124 de nos toiſes ; & M. Lambert n’a trouvé la hauteur ordinaire des nuées que de 7 565 pieds du Rhin, ainſi qu’on le voit dans les nouveaux mémoires de l’Académie des ſciences de Berlin pour l’année 1773.

Il y a une différence immenſe entre les principes chimiques que l’art retire des divers mixtes, & ceux que la nature ſait en extraire, & entre la manière d’agir des uns & des autres. Quoique par le moyen d’un acide convenable on puiſſe enflammer, toutes les huiles eſſentielles & même les huiles graſſes, ainſi qu’il eſt prouvé par les expériences des Glauber, des Becher, des Borrichius, des Tournefort, des Homberg, des Geoffroy, des Hoffmann & des Rouelle, il ne faut pas néanmoins ſe perſuader que les exhalaiſons qui émanent naturellement des corps qui composent les trois règnes aient une ſemblable vertu. Les exhalaiſons oléagineuſes élevées dans l’atmoſphère diffèrent prodigieuſement des huiles eſſentielles qui ſont des réſultats chimiques.

En ſuppoſant ces exhalaiſons ſemblables aux acides & aux alkalis, ne ſe décompoſeroient-elles pas en s’élevant dans l’atmoſphère ? leur nature ne ſeroit-elle pas au moins fort alterée, en ſe mêlant avec mille corps hétérogènes qui nagent, pour ainſi dire dans la maſſe de l’air, ce qui les rendroit incapables de produire l’effet qu’on imagine. D’ailleurs pour produire des efferveſcences & des inflammations, les acides doivent être concentrés, & pour cette rectification il faut les dégager de la quantité d’eau ſurabondante qui les affoiblit. Eh ! comment peut-on ſuppoſer que ces acides exhalés dans l’air ne soient point unis & mêlés avec l’étonnante quantité de vapeurs aqueuſes dont cet élément eſt impregné.

Ajoutons que les exhalaiſons terreſtres ne peuvent point s’élever à la hauteur de 200 lieues où on a pluſieurs fois vu les aurores boréales, ainſi qu’on le prouvera bientôt, car les nuages ne vont guères qu’à une lieue tout au plus, puiſque du ſommet des hautes montagnes on voit les nuages au-deſſous ; d’un autre côté, comment ces exhalaiſons, toujours fortuitement rassemblées, formeroient-elles conſtamment un arc lumineux régulier, quelquefois deux ; un ſegment concentrique, & qui durent pluſieurs heures, paroiſſent pluſieurs jours de ſuite, &c. &c. ; en un mot, les phénomènes que préſentent les aurores boréales ſont incompatibles avec cette hypothèſe.

Je n’inſiſterai pas davantage ſur la refutation de ce ſentiment, qu’il eſt peut-être auſſi ridicule de combattre que de ſoutenir, & je regarde comme inutile de faire conſidérer que la proportion de principes & des ſubſtances fermenteſcibles & efferveſcentes ne peut avoir lieu dans l’atmoſphère comme dans nos laboratoires, & que cependant une proportion exacte eſt néceſſaire en chimie pour obtenir un réſultat certain. Or, il eſt impoſſible de la ſupposer, tandis qu’il y a un mêlange infini de ſubſtances différemment combinées entre elles qui ſont élevées & flottantes dans l’atmoſphère.

M. le Monnier, dans ſes Inſtitutions aſtronomiques, croit que la formation des aurores boréales eſt due à une matière qui s’exhale de notre terre, & qui s’élève dans l’atmoſphère à une hauteur prodigieuſe. Il obſerve, comme M. de Maupertuis, que dans la Suède il n’y a aucune nuit d’hiver où l’on n’apperçoive parmi les conſtellations ces aurores, & cela, dans toutes les régions du ciel ; circonſtance bien eſſentielle pour apprécier les explications qu’on peut donner de ce phénomène. Il croit que la matière des aurores boréales eſt aſſez analogue à celle qui forme la queue des comètes.

Muſſchenbroeck a embraſſé ce ſentiment. Selon lui, la matière de l’aurore boréale « ſort de la terre ſous forme d’exhalaiſons, & ſe répand enſuite dans l’air, où elle forme une ou pluſieurs nuées qui ſe diſperſent & vont ſe rendre en différens pays. Ces nuées ne ſe mettent en feu que lorſqu’elles rencontrent quelqu’autre matière avec laquelle elles commencent à fermenter, à s’échauffer & à s’allumer, comme nous voyons que cela ſe fait à préſent dans pluſieurs opérations chimiques, qui produiſent différentes ſortes d’efferveſcences, accompagnées de feu & de flamme, &c. il ſemble qu’en raiſonnant ſur ces principes, on peut expliquer aiſément la plupart des phénomènes, & que nous ne ſerons peut-être pas fort éloignés de la vérité ». Cours de phys. tom. 3. page 389.

La matière de l’aurore boréale eſt de telle nature, ajoute ce ſavant, qu’elle peut s’enflammer & répandre enſuite une lumière foible. Cette matière eſt alors ſi raréfiée, qu’on peut toujours voir les étoiles à travers ; de ſorte que non-ſeulement les colonnes, mais auſſi la nuée blanche, & même la nuée noire, transmettent la lumière de ces astres. On ne ſauroit déterminer avec certitude la nature de cette matière. La chimie nous fournit aujourd’hui pluſieurs matières qui peuvent s’enflammer, brûler par la fermentation, & jeter de la lumière comme le phoſphore. Qu’on mêle du tartre avec le régule d’antimoine martial, & qu’on faſſe rougir long-temps ce mélange dans un creuſet, on en retire une poudre qui s’enflamme lorſqu’on l’expoſe à un air humide ; & ſi elle vieillit un peu, elle devient fort brûlante. L’aurore boréale n’eſt pas une flamme comme celle de notre feu ordinaire ; mais elle reſſemble au phoſphore, qui ne luit pas d’abord, & qui jette enſuite une lumière foible. Les colonnes que darde la nuée lumineuſe, ſont comme la poudre du phoſphore que l’on ſouffle dans l’air, ou qu’on y répand en la faiſant ſortir du cou d’une bouteille ; de ſorte que chaque parcelle jette à la vérité une lueur, mais elle ne donne pas de flamme ou de feu raſſemblé ; & la lumière eſt ſi foible, qu’on ne peut la voir pendant le jour, ni lorſque nous avons en été le crépuſcule du ſoir qui répand une trop grande clarté. Cette matière approche donc de la nature du phoſphore : mais quoique nous en connoiſſions peut-être plus de cinquante eſpèces, nous n’oſerions cependant aſſurer que la nature ne renferme pas dans ſon ſein un plus grand nombre d’eſpèces de matières ſemblables, puiſque l’arc nous en fait tous les jours découvrir des nouvelles. Muſſch.

Il eſt vraiſemblable, ſelon quelques phyſiciens, que cette matière tire ſon origine de quelque région ſeptentrionale de la terre, d’où elle s’élève & s’évapore dans l’air. Il s’en eſt évaporé de nos jours une plus grande abondance qu’auparavant ; parce que, diſent-ils, cette matière renfermée dans les entrailles de la terre, s’eſt détachée & s’eſt élevée après avoir été miſe en mouvement ; de ſorte qu’elle peut à préſent s’échapper librement par les pores de la terre, au lieu qu’elle étoit auparavant empêchée par les rochers, les voûtes pierreuſes, ou par des croûtes de terres compactes & durcies ; ou bien parce qu’elle étoit trop profondément enfoncée dans la terre. Ainſi nous ne manquerons point de voir des aurores boréales auſſi long-temps que cette matière ſe raſſemblera, & qu’elle pourra s’élever dans l’air : mais dès qu’elle ſera diſſipée, ou qu’elle viendra à ſe recouvrir par quelque nouveau tremblement de terre, on ne verra plus ces aurores, & peut-être ceſſeront-elles même de paroître entièrement pendant pluſieurs ſiècles. On peut expliquer par-là pourquoi l’on n’avoit pas aperçu cette matière avant l’an 1716, temps auquel on fut tout ſurpris de la voir ſubitement ſe manifester, comme ſi elle ſortoit de la terre en grande quantité. Cette matière ſe trouve peut-être répandue en pluſieurs endroits de notre globe, & y il a tout lieu de croire que ces lumières, dont les anciens grecs & romains font mention, & dont ils nous donnent eux-mêmes la deſcription, étoient produites par une matière ſemblable qui ſortoit de la terre, en Italie & dans la Grèce. Si ces phénomènes euſſent été alors auſſi peu fréquens en Italie qu’ils le ſont aujourd’hui, ni Pline, ni Sénèque, n’en auroient pas parlé, comme nous voyons qu’ils ont fait ; 2o. L’aurore boréale, ſelon M. de Mairan, vient de l’atmoſphère ſolaire qui, rencontrant quelquefois les parties ſupérieures de notre air, y laiſſe tomber une portion de la matière dont elle eſt compoſée ; & comme il n’y a point d’apparence que cette matière, cet air ſolaire, non plus que le nôtre, ſoit ſi parfaitement homogène qu’il n’y ait aucune diſſérence de figure, de groſſeur, de contexture & de poids dans les parties qui la compoſent, il doit deſcendre plus ou moins bas dans l’atmoſphère terreſtre, à raiſon du différent poids de ces parties, & s’y aſſembler, ſur des couches de différente hauteur. Les couches les plus baſſes & le plus près de nous ſeront chargées des parties les plus groſſières & les moins inflammables, & c’eſt de-là que réſulteront ces brouillards épais, mais d’ordinaire transparens, & cette eſpèce de fumée qui accompagnent ſi ſouvent l’aurore boréale, qui nous la cachent en partie & qui en ſont preſque toujours les précurſeurs, tantôt ſous la forme d’un ſegment de cercle qui borde l’horiſon du côté du nord, tantôt comme de ſimples nuages, répandus çà & là, ou dans tout le ciel, ſombre & fumeux par le côté qu’ils tournent vers nous ; mais blancs & lumineux par leur côté ſupérieur. Il y a donc au-deſſus de la matière obſcure & fumeuſe une matière plus légère & plus inflammable, & actuellement enflammée, ſoit par elle-même, ſoit par colliſion avec des particules d’air. » Traité phyſique & hiſtorique de l’aurore boréale, par M. de Mairan, pag. 4 & 5. Dans ce ſyſtême, l’aurore boréale n’eſt pas un météore lumineux ; mais elle tient le milieu entre les purs météores & les phénomènes coſmiques, tels que ceux de l’aſtronomie.

Cette idée, qui paroît d’abord grande, n’eſt cependant que gigantesque ; ſéduiſante au premier aſpect, elle ne ſoutient pas un examen approfondi, parce qu’elle ne porte que ſur des principes au moins précaires ; auſſi n’a-t-elle pas fait la fortune que ſembloit lui promettre la grande réputation de ſon auteur. Quelle étendue ne faut-il pas donner à l’atmoſphère solaire ? Près de ſoixante-huit millions de lieues en diamètre ; & la diſtance qu’il y a de la terre au ſoleil, ne ſeroit preſque que le rayon de cette atmoſphère. Ces particules qui forment l’atmoſphère du ſoleil, en tombant dans l’air que nous reſpirons ne devroient-elles pas y occaſionner le plus violent incendie, ou du moins produire quelque petite dilatation dans le mercure du thermomètre le plus ſenſible.

Cette matière, qui devoit être lumineuſe par elle-même, puisqu’elle eſt la lumière elle-même, ou le feu ſolaire, eſt néanmoins ſombre, obſcure, & fumeuſe ; cette matière, pour s’enflammer, a besoin d’un mélange avec celle de l’atmoſphère terreſtre ; & cette inflammation n’arrive pas au moment du contact, ce qui paroîtroit naturel ; mais après qu’elle eſt parvenue à une certaine profondeur ; & afin qu’on ne penſe point que je prête & ce ſyſtême une certaine tournure défavorable, je vais rapporter ſes propres paroles, tirées des éclairciſſemens mêmes de M. de Mairan.

« J’imagine donc, dit-il, que la matière de l’atmoſphère ſolaire dont réſulte l’aurore boréale & tout ce qui la compoſe, ne s’enflamme, en ſe mêlant avec celle de l’atmoſphère terreſtre, qu’après y être tombée à une certaine profondeur, & y avoir ſéjourné un certain temps ; qu’elle s’y enflamme plus ou moins par une eſpèce de fermentation, de la manière dont certains phoſphores s’allument étant expoſés à l’air ; & s’y éteint enſuite plus tôt ou plus tard, ſelon la quantité & la qualité de cette matière. » Éclairciſſ. XI, pag. 400, 1754.

Cette matière n’eſt donc pas lumineuſe comme elle devroit l’être, puiſque c’eſt celle qui compoſe l’atmoſphère du ſoleil ; elle a beſoin du mélange des particules terreſtres pour briller, il faut qu’elle s’enfonce à une certaine profondeur où celles-ci ſont plus groſſières afin de pouvoir s’enflammer ; elles s’éteignent enſuite, parce que cela eſt néceſſaire pour le ſyſtême ; combien de ſuppoſition purement gratuites dans cette hypothèſe !

3o. Le célèbre Euler, ce grand géomètre, à qui aucune ſcience n’étoit étrangère, a prétendu que l’aurore boréale devoit ſon exiſtence à l’impulſion des rayons ſolaires, capables d’agir aſſez fortement ſur l’air, ſur les exhalaiſons terreſtres ; en un mot, ſur l’atmoſphère propre de la terre, pour en chaſſer les parties, à une très-grande diſtance de notre globe, de telle ſorte que la matière de ce phénomène n’eſt que l’amas des particules très-ſuhtiles de l’atmoſphère terreſtre, chaſſée par l’impulſion des rayons ſolaires à des diſtances immenſes de la terre, c’eſt-à-dire à la diſtance où l’on obſerve ce phénomène. L’effet de cette impulſion doit être très-grand, & il l’eſt réellement, dit-il, parce qu’autour des pôles de la terre, le ſoleil, pendant pluſieurs jours conſécutifs, eſt viſible près de l’horiſon. L’aurore boréale par conſéquent ne réſide pas dans l’atmoſphère terreſtre, dont la hauteur, ſelon M. Euler, ne va pas au-delà d’un mille d’Allemagne, tandis que la matière de ce phénomène eſt placé à des milliers de milles. Ce ſentiment eſt expoſé dans les Recherches phyſiques ſur la cauſe de la queue des comètes, de la lumière boréale & de la lumière zodiacale, inſérées dans le ſecond volume de l’Académie de Berlin, année 1746. Ce grand géomètre remarque qu’il y a beaucoup d’aſſinités entre les queues des comètes & la lumière boréale, & qu’en effet la queue d’une comète doit offrir à un ſpectateur placé ſur ſa ſurface dans l’hémiſphère oppoſé au ſoleil, un phénomène preſque ſemblable à celui de la lumière boréale. Mais malgré la haute célébrité de ſon illuſtre auteur, il ne paroît pas avoir produit une certaine ſenſation dans le monde ſavant, probablement parce qu’il paroît réunir preſque tous les inconvéniens propres aux théories déja expoſées.

En effet, il eſt difficile de concevoir comment les exhalaiſons terreſtres pourroient parvenir à la grande élévation que M. Euler aſſigne pour le ſiége de l’aurore boréale, & qui n’eſt rien moins que de deux ou trois mille lieues, puiſque cette diſtance ſurpaſſe quelquefois le diamètre entier de la terre, ainſi qú’il l’aſſure à l’article XIII, page 135 de ſes Recherches. Il n’eſt pas plus aiſé de comprendre par quel moyen ces particules deviennent lumineuſes à cette grande hauteur. Il ſemble qu’elles devroient l’être auſſi près de la ſurface de la terre, ce qui eſt contraire à l’obſervation. D’ailleurs la grande ténuité des molécules, dont les rayons du ſoleil ſont compoſées, ne paroît guère pouvoir ſe concilier avec cette forte impulſion qu’on leur attribue pour chaſſer à trois mille lieues de la terre une partie de l’atmoſphère de notre globe. On devroit de plus éprouver un grand trouble, une grande agitation dans la maſſe d’air qui environne la terre, ſuite néceſſaire d’une forte impulſion, d’un prodigieux déplacement, d’une quantité conſidérable de parties ; cependant on n’obſerve ni ouragans, ni tempêtes, ni bouleverſement pendant l’apparition des aurores boréales.

4o. Opinion de ceux qui attribuent l’aurore boréale aux glaces dont les terres polaires ſont couvertes. Quelques auteurs ont penſé que les neiges & les glaces qui ſont perpétuellement dans les régions circon-polaires réfléchiſſoient comme autant de miroirs vers la ſurface des couches ſupérieures de l’atmoſphère les rayons du ſoleil, qui s’abaiſſe très-peu au-deſſous de l’horiſon de ces climats, pendant le peu de temps qu’ils ſont privés de ſa préſence, & que les molécules dont ces couches ſont compoſées, occaſionnant une ſeconde réflexion, les renvoyoient vers la ſurface de la terre & produiſoient par ce moyen, les apparences de l’aurore boréale. Pluſieurs phyſiciens ſe ſont déclarés pour ce ſentiment ; nous n’en citerons ici qu’un. Le P. Serantoni, auguſtin, & profeſſeur à Luques, à l’occaſion de la grande aurore boréale qui parut en Italie, la nuit du 13 décembre 1767, fit une diſſertation ſur ce phénomène, dans laquelle il embraſſa cette opinion, & ſoutint que les aurores boréales étoient produites par une double  réflexion des rayons du ſoleil, l’une ſur les terres de la zone glaciale, l’autre ſur les parties ſupérieures de l’atmoſphère.

Si la réflexion des glaces du nord étoit la cauſe de l’aurore boréale, la lumière de ce phénomène ne devroit pas être plus forte ni plus vive que celle du crépuſcule ; cependant quelle différence dans l’éclat & dans l’intenſité de l’aurore boréale. Dans cette ſuppoſition, toutes les aurores boréales ſeroient de l’eſpèce de celles qu’on appelle tranquilles, on n’en verroit jamais de reſplendiſſantes, & on n’appercevroit pas de temps en temps, ces feux, ces colonnes radieuſes, ces jets de lumière, ces rayons brillans qui éprouvent des alternatives de mouvement & de repos, d’apparitions & de diſparitions ſucceſſives d’un éclat plus ou moins vif, de nuances diverſes, &c., qui ſaiſiſſent d’admiration les ſpectateurs étonnés.

Toutes les fois que le ciel ne ſeroit point couvert de nuages, nous ſerions témoins de ce beau ſpectacle ; il brilleroit à nos yeux, non-ſeulement le ſoir, mais encore le matin, lorſque le ſoleil ſeroit à-peu-près à la même diſtance de l’horiſon où il étoit la veille à ſon coucher, ce qui eſt contraire aux obſervations ; d’ailleurs, l’aurore boréale ſeroit d’autant plus éclatante pour nous que le ſoleil ſeroit plus proche du tropique du cancer, & d’autant moins brillante, que le ſoleil ſeroit plus proche du tropique du capricorne ; cependant on voit moins fréquemment de grandes & belles aurores boréales vers le ſolſtice d’été qu’aux approches du ſolſtice d’hiver.

5o. Hypothèſe de M. Hell. M. l’abbé Hell a penſé que l’aurore boréale conſiſtoit dans les rayons du ſoleil ou de la lune, réfractés par notre atmoſphère & réfléchis par des particules de glace dont ſont formés les nuages lumineux qu’on appelle aurore boréale. C’eſt, ſelon cet habile aſtronome, un météore ſemblable aux parhélies qui provient de la réflexion des rayons du ſoleil ou de la lune ſur des vapeurs congelées, ſuſpendues dans l’atmoſphère à différentes diſtances de la terre, qui ſont tranſportées par les vents comme des nuages légers.

Mais dans ce ſentiment, le ſiège de l’aurore boréale ne devroit pas être plus élevé que celui des parhélies, des paraſélènes, des halos ou couronnes, qui n’est guère qu’à une demie-lieue, ainſi qu’il réſulte des angles pris par Deſcartes & par d’autres ſavans ; les nuages d’où dépend la formation de ces météores lumineux n’étant jamais auſſi élevés que le ſommet des hautes montagnes. Cependant l’aurore boréale, qui a une parallaxe très-marquée, eſt à une diſtance de la ſurface de la terre conſidérablement plus grande, comme les obſervations & le calcul ſemblent le démontrer.

Opinion de quelques autres phyſiciens, analogue à la précédente. Pluſieurs ont imaginé que les rayons du ſoleil, deſcendu ſous l’horiſon, étant rompus ou réfractés par divers nuages ſucceſſivement, produiſoient l’aurore boréale, à-peu-près, comme pluſieurs priſmes, diſent-ils, font faire à la lumière une ſphéroïde, ou une eſpèce de cercle. M. Mako, phyſicien de Bude, & M. Helfenſziedez d’Ingolſtad ont ſoutenu ce ſentiment.

M. Hupſch a prétendu que pluſieurs eſpèces d’aurore boréale étoient produites par la réfraction & la réflexion des rayons lumineux, & qu’elles avoient ordinairement une forme arquée sous les latitudes compriſes depuis le cinquante-cinquième degré juſqu’au ſoixante-quinzième degré. Cependant les véritables aurores boréales, ſuivant ce phyſicien allemand, ſont les effets d’une matière de la nature du phoſphore qui doit ſon origine aux exhalaiſons ſulphureuſes très-fines.

M. Samuel Treiwald avoit même imaginé le moyen ſuivant de repréſenter les aurores boréales. Faites entrer, dit-il, dans une chambre obſcure un rayon ſolaire par un trou d’un diamètre d’un pois ; recevez-le ſur un priſme de cryſtal, placé horiſontalement, de manière qu’il puiſſe raſer les côtés d’un verre à pied, de forme conique : celui-ci doit avoir été précédemment-rempli d’eau-de-vie commune, & placé à environ un pied & demie du priſme. Faites en ſorte que le rayon coloré, qui eſt parallèle à la ſurface de l’eau-de-vie, & qui la touche même, ſoit reçu ſur un tableau extrêmement blanc, qui ait environ cinq pieds carrés, vous jouirez alors du ſpectacle le plus exact d’une aurore boréale ſur cette toile. Vous appercevrez les mêmes mouvemens & le même trouble que dans les rayons de lumière qui ſe remarquent dans les aurores boréales qui paroiſſent au ciel. Des rayons lumineux, lancés comme autant d’éclairs, & ſe diſſipant enſuite de mille manières dans les nuages de diverſes couleurs, frapperont auſſi vos yeux, ce qui eſt l’effet des vapeurs qui s’élèvent de l’eau-de-vie qui eſt échauffée peu-à-peu par les rayons ſolaires.

La cauſe de l’apparition & des variations de ces traits de lumière, dans ce ſimulacre du phénomène dont on parle, doit être attribuée à la chaleur plus ou moins grande du rayon ſolaire qui produit une évaporation plus ou moins foible des parties les plus ſubtiles de l’eau-de-vie, de même qu’au mouvement irrégulier des rayons que le ſoleil nous envoie. Ce ſpectacle peut durer pendant pluſieurs heures, en ſe variant à chaque minute. Mais les réfractions que les rayons du ſoleil peuvent éprouver dans les nuages produiroient des arcs ornés des ſept couleurs de l’arc-en-ciel, on n’y verroit pas un arc obsſcur ; on ne remarqueroit pas des jets de lumière ; on n’appercevroit pas la lumière boréale de divers endroits fort éloignés ; les nuages qui en ſeroient le ſiège étant fort près de la terre ; enfin l’apparition des aurores boréales devroit avoir lieu conſtamment toutes les fois que le ciel ſeroit clair & ſerein. Mais les obſervations prouvant le contraire, on doit en conclure que l’aurore boréale ne dépend pas des réfractions priſmatiques & ſucceſſives faites dans les nuages.

6o. De l’hypothèſe qui attribue la formation de l’aurore boréale à la matière magnétique. L’illuſtre M. Halley, à qui les ſciences & ſur-tout l’aſtronomie ont tant d’obligations, a cru que l’aurore boréale devoit ſon origine à la matière magnétique. Tranſact. philoſ an. 1717. Selon cet auteur, le globe terreſtre eſt comme une ſphère creuſe au centre de laquelle eſt une petite terre magnétique. C’eſt de cet aimant central qu’émane le fluide magnétique qui, s’échappant par le pôle boréal de la croûte ſupérieure que nous habitons, circule autour de la ſurface de la terre. Cette lumière éclatante, ces feux étincelans que nous voyons briller dans l’atmoſphère pendant les aurores boréales ſont, ſelon lui un effet du fluide magnétique qui s’enflamme comme la limaille de fer. Pluſieurs phyſiciens, & entr’autres M. Plantade, de la ſociété royale des ſciences de Montpelier, ont été de ce ſentiment.

Cette opinion a pu paroître un inſtant ſéduisante, parce qu’elle ſembloit expliquer pourquoi l’aurore boréale ſe montre toujours vers le nord, & en décline de quelques degrés, mais elle n’eſt aucunement ſatisfaiſante, parce que, 1o. cette eſpèce d’organiſation, ſi je puis parler ainſi, qu’on prête au globe terreſtre eſt auſſi composée que précaire. 2o. La déclinaiſon de l’aiguille aimantée étoit en 1580 de 11 degrés 30 minutes ; en 1610 de 8 degrés ; en 1640 de 3 degrés vers l’eſt ; en 1666 elle étoit nulle ; en 1670 de 1 degré & demi vers l’oueſt, & depuis cette époque elle a toujours été en augmentant ſucceſſivement ; de telle ſorte qu’elle étoit de 5 degrés 50 minutes en 1692 ; de 8 degrés 10 minutes en 1699 ; de 10 degrés 10 minutes en 1707 ; de 14 degrés en 1727 ; de 17 degrés 15 minutes en 1750 ; de plus de 19 degrés en 1777.

Or, on n’a point remarqué que la déclinaiſon de l’aurore boréale fut en rapport avec celle de l’aimant ; que la première fut vers l’eſt au commencement du ſiècle dernier, & dans les ſiècles précedens, lorſque l’aiguille aimantée ſe tournoit vers cette partie du ciel, ni que ſes variations euſſent une marche correſpondante & des périodes réglées, comme le fluide magnétique. On a vu au contraire que dans la même année & dans le même mois l’aurore boréale étoit tantôt dirigée vers l’oueſt, tantôt vers l’eſt, & quelquefois directement au pôle. J’ai fait pluſieurs fois ces obſervations. 3o. L’aurore boréale devroit paroître perpétuellement, le fluide magnétique circulant ſans interruption autour du globe de la terre. 4o. Ce fluide devroit être ſuſceptible d’inflammation & de lumière ; & cependant il n’a jamais été poſſible de produire aucune déflagration ni même la plus petite ſcintillaton dans ſes molécules. Approcher du tourbillon magnétique qui circule autour d’un aimant quelconque, le fer rouge le plus ardent, la flamme la plus vive d’une lampe d’émailleur, le foyer de la loupe la plus forte ou du meilleur miroir expoſés aux rayons du ſoleil, & vous ne viendrez jamais à bout de produire ni lumière, ni ſcintillation dans les particules du fluide électrique, comme il eſt facile de s’en aſſſurer par voie d’expériences. Bien plus l’aimant, lui-même rougi ſur des charbons ardens, ne préſente pas la moindre apparence de lumière, ni de corruſcation ce qui devroit néceſſairement arriver dans l’hypothèſe que nous réfutons.

La plupart des ſentimens qu’on vient d’expoſer ont été abandonnés preſqu’auſſi-tôt que les phénomènes électriques furent connus. On ſentit bientôt que le fluide électrique devoit être l’agent principal qui formoit les aurores boréales, mais on n’en donna aucune explication particulière ; c’étoit alors un mot vague dont-on ſe ſervoit.

7o. Premier ſentiment de Franklin ſur l’aurore boréale. Le phyſicien de Philadelphie, dans ſa cinquième lettre à M. Collinſon, intitulé obſervations & ſuppoſitions qui tendent à former une hypothèſe pour expliquer les différens phénomènes des coups de tonnerre & les aurores boréales ; le phyſicien de Philadelphie s’exprime ainſi.

« C’eſt une chose ordinaire de voir des nuages à différentes hauteurs, tenir différens chemins, ce qui prouve différens courans d’air, l’un au-deſſus de l’autre. Comme l’air entre les tropiques eſt raréfié par le ſoleil, il s’élève ; l’air du nord & du ſud plus denſe accourt à ſa place ; l’air ainſi raréfié & contraint de monter, paſſe au nord & au ſud, & eſt forcé de deſcendre dans les régions polaires, s’il ne trouve quelque iſſue en deça ; afin que la circulation puiſſe être continuée ». Cet auteur a ſuppoſé plus haut que l’océan eſt un compoſé d’eau, corps non électrique, & de ſel, corps originairement électrique. Lorſqu’il y a du frottement le feu électrique eſt raſſemblé, auſſi eſt il viſible la nuit, à la poupe & dans le ſillage de chaque vaiſſeau qui fait route, on l’apperçoit à chaque coup de rame, dans l’écume des vagues ; dans une tempête la mer paroît tout en feu. Les particules d’eau s’élèvent auſſi en vapeurs, s’attachent aux particules d’air ; & les vapeurs qui ont du feu électrique, & du feu commun ſont mieux ſoutenues que celles qui n’ont que du feu commun ; car lorſque les vapeurs s’élèvent dans la région la plus froide au-deſſus de la terre, ſi le froid diminue le feu commun, il ne diminue pas le feu électrique, ces vapeurs réunies ou ces nuages de mer, qui ſont électriques, pouſſés par les vents, déchargent ſouvent leur électricité contre des nuages de terre ou contre des montagnes ; mais laiſſons-le continuer. « Comme les courans d’air chargé de nuages ſuivent des routes différentes, il eſt aiſé de concevoir comment les nuages paſſants l’un ſur l’autre peuvent s’attirer réciproquement & ainſi s’approcher ſuffiſamment pour le choc électrique ; & de même, comment les nuages électriques peuvent être emportés ſur les terres loin de la mer, avant que d’avoir aucune occaſion de frapper ».

« Lorſque l’air chargé de ſes vapeurs élevées de l’océan entre les tropiques, vient à deſcendre dans les régions polaires & atteindre les vapeurs qui y ſont élevées, le feu électrique qu’elles portent commence à être communiqué, & ſe fait apercevoir dans de belles nuits, étant d’abord viſible là où il commence à être en mouvement, c’eſt-à-dire, où le contact commence, & par tant dans les régions les plus ſeptentrionales : delà vient que les courans de la lumière ſemblent s’élancer au ſud, même juſqu’au zénith des contrées ſeptentrionales. Mais quoique la lumière paroiſſe s’élancer du nord au midi, le progrès du feu eſt réellement du midi au nord ; ſon mouvement commençant dans le nord, voilà pourquoi il eſt d’abord aperçu. »

« Car le feu électrique n’eſt jamais viſible que quand il eſt en mouvement, & qu’il ſaute de corps en corps, ou de parcelle en parcelle au travers de l’air ; lorſqu’il traverſe des corps denſes, il eſt inviſible. Comme lorſqu’on ouvre à l’une de ſes extrémités un long canal rempli d’eau pour le vider, le mouvement de l’eau commence d’abord auprès de l’extrémité ouverte, & continue vers l’extrémité fermée, quoique l’eau elle-même avance de l’extrémité fermée vers l’extrémité ouverte : ainſi le feu electrique déchargé dans les régions polaires, peut être ſur une longueur de mille lieues d’air en vapeurs, paroît d’abord où il eſt en mouvement, c’eſt-à-dire dans les parties les plus ſeptentrionales, & l’apparition s’élance du côté du midi, quoique le feu avance réellement du côté du ſeptentrion : ceci pourroît paſſer pour une explication de l’aurore boréale ».

Il ſeroit inutile de s’arrêter à réfuter une idée qui n’eſt propoſée par son auteur que comme une suppoſition, & on n’a pu s’empêcher de remarquer qu’elle n’eſt appuyée que ſur des principes précaires. Ce ſont des nuages de mer électriques ; parce que dans la mer il y a du sel agité ou frotté ; ces vapeurs s’élèvent entre les tropiques ſeulement, elles emportent avec elles le feu électrique ; celui-ci après s’être beaucoup élevé retombe vers les régions polaires, deſcend & ne brille précisément que là ; çe n’eſt ni en montant ni en s’étendant de l’équateur au pôle, c’eſt en deſcendant du pôle que la lumière de ce feu devient viſible, précisément par le beſoin du ſyſtême. D’ailleurs il n’explique aucuns des phénomènes de l’aurore boréale, ni le ſegment obſcur, ni l’arc lumineux &c. auſſi preſque perſonne n’a-t-il adopté cette conjecture.

8o. M. Canton, à la fin d’un mémoire relatif aux corps plongés dans des atmoſphères électriques, lu à la Société royale de Londres, le 6 décembre 1753 fait deux queſtions : l’air raréfié tout-à-coup ne peut-il pas donner du feu électrique aux nuages & aux vapeurs qui le traverſent, & réciproquement en recevoir d’eux lorſqu’il eſt condensé tout-à-coup ? l’aurore boréale n’eſt-elle point l’élancement du feu électrique des nuages électriſés poſitivement ſur les nuages électriſés négativement, à une grande diſtance, au travers de la partie ſupérieure de l’atmoſphère où la réſiſtance eſt moindre ?

Pluſieurs autres phyſiciens modernes ont également dit que l’électricité qui règne de temps en temps dans les nuages étoit la cauſe de l’aurore boréale, & que toutes les apparences, obſervées ordinairement dans ce phénomène, réſultoient des corruſcations, des étincelles, & des jets électriques qui ſortoient du ſein des nuées ; d’autres ont penſé que c’étoit une émanation du fluide électrique, renfermé dans le ſein de la terre, dirigés à-peu-près par les pôles magnétiques de notre globe, & vers les parties où il y a plus de minèraux, d’où elle s’échappe & s’élève enſuite.

Mais ces diverſes opinions ſont inſoutenables, parce qu’il eſt démontré, 1o. que le ſiége des aurores boréales, eſt de beaucoup ſupérieur à la région des nuées, celles-ci ne s’élèvent qu’à demie-lieu, ou tout au plus à une lieue au-deſſus de la ſurface de la terre, tandis que les aurores boréales ſont environ à deux cents lieues de hauteur. 2o. On devroit appercevoir un changement notable dans la température de l’atmoſphère pendant le temps des aurores boréales, comme on le remarque dans le temps des orages & des tonnerres qui ſont inconteſtablement des effets de l’électricité aérienne ; cependant les obſervations météorologiques qu’on a faites juſqu’à préſent, prouvent le contraire. 3o. Le premier défaut d’une explication eſt de ne pas expliquer ; or, dans les opinions différentes que nous réfutons ici, on ne peut concevoir d’une manière claire & préciſe les circonſtances eſſentielles qui accompagnent ou plutôt qui caractériſent ce phénomène, telles que l’arc lumineux & circulaire, le ſegment obſcur concentrique, les jets de lumière & les rayons brillans qui ne ſont point momentanés & fugitifs, comme l’éclair du tonnerre & le trait ſerpentant de la foudre ; mais qui paroiſſent conſtamment pendant un temps conſidérable ; cette couleur pâle & phoſphorique ; cette direction ordinaire vers le pôle  ; cette apparition fréquente vers cette partie du ciel, &c. &c.

En effet, ſi l’aurore boréale dépend de l’électricité des nuées, les jets de lumière paroîtront dans toute ſorte de direction à l’eſt & à l’oueſt, comme au nord, puiſque les nuées qui ſont vers l’orient & vers l’occident peuvent être électriques de même que celles qui ſont vers le pôle boréal, ainſi que l’expérience le prouve, le tonnerre tombant auſſi bien du côté de l’orient & de l’occident que du côté des autres points cardinaux. Néanmoins les aurores boréales ſont toujours dirigées vers le nord ou vers le midi.

La couleur propre à la lumière boréale ne ſeroit point blanchâtre & phoſphorique, elle reſſembleroit à celle qu’on voit briller dans les autres phénomènes électriques ; ce que les obſervations démentent hautement. Ce ſegment obſcur, ſurmonté d’un bel arc de lumière, ordinairement régulier & circulaire ou un peu elliptique, peut-il réſulter d’une électricité aérienne, produite dans des nues aſſemblées irrégulièrement & diſperſées de tout côté, au gré des vents qui ſoufflent de tous les points de l’horiſon ? je ne ſache pas que perſonne ait encore apporté de ſemblables preuves pour réfuter l’opinion que les phyſiciens électriſans ont d’abord imaginé pour expliquer la cauſe des aurores boréales par l’électricité des nuages ; mais elles n’en ſont pas moins décisives. Ce n’eſt réellement que dans notre ſentiment qu’on peut rendre raiſon, avec la plus grande facilité, de tous les phénomènes qui ſont propres aux aurores boréales ; & il n’y a que cette théorie où on puiſſe remarquer la plus grande conformité avec tous ceux que l’obſervation préſente, comme on le montrera dans un instant.

9o. Syſtême de M. l’abbé Bertholon. L’aurore boréale dépend, ſelon moi, de l’électricité des hautes régions de l’atmoſphère ; c’eſt une lumière phosphorico-électrique. Après avoir fait part à l’Académie des ſciences de Béziers, de mes principes, je leur donnai la forme d’un vrai ſyſtême, quelques années après, dans un mémoire lu à l’Académie des ſciences de Montpellier, le 18 & le 23 décembre de l’année 1777 ; & il fut enſuite imprimé dans le Journal de Phyſique, décembre 1778, pag. 442. Nous le préſenterons en entier dans un inſtant, parce qu’il paroît avoir été approuvé & ſuivi par pluſieurs auteurs. Franklin ſemble également en avoir adopté une partie, comme on le verra en comparant les ſuppoſitions ſuivantes, avec mes principes qu’on verra bientôt expoſés en détail.

10o. Opinion de M. de la Cépède. Ce ſavant penſe que le fluide électrique eſt un compoſé de l’élément du feu combiné avec de l’eau, que l’intérieur du globe, ce grand réſervoir de chaleur, eſt le lieu où s’opère principalement cette combinaiſon. Sous l’équateur la croûte de la terre donne un paſſage plus libre, au fluide électrique pour s’élever, parce que les corps les plus idio-électriques, tels que le verre, &c., deviennent les meilleurs conducteurs, lorſqu’ils ſont très-chauds & pénétrés de feu. Ce fluide électrique s’élevant dans les nuages, y forme les orages, & montent enſuite juſqu’aux confins de l’atmoſphère, à cauſe de ſa force expanſive, il y jouit en paix de ſes propriétés ; ce vuide eſt toujours plus ou moins rempli de la matière du feu, de l’élément du feu pur, & ſouvent de la matière de la lumière ; & c’eſt à ces parties de l’élément du feu qu’il renferme, que le vide doit ſa propriété d’attirer le fluide électrique ; celui-ci vague alors en liberté. Il s’éloigneroit bientôt de plus en plus de notre globe, s’il n’étoit retenu par cette force d’attraction inhérérente à toute matière &, qui, dans ce moment, l’emporte ſur l’expanſibilité qui lui vient de la répulſion mutuelle de ſes parties, & qui s’affoiblit & diminue comme le carré de ſa diſtance du centre de la terre augmente. Ce fluide arrivé aux confins de l’atmoſphère cède ſa place au nouveau fluide qui ſurvient, ſe porte ſur de nouvelles couches de l’air & parvient au-deſſus des régions ſeptentrionales. Là, il eſt forcé de s’accumuler, parce qu’il y rencontre le fluide arrivé des points de l’équateur différens de ceux dont il eſt parti ; d’où il réſulte qu’il paroîtra ſous la forme de lumière & qu’il y produira l’aurore boréale. De-là, les habitans des pôles ont conſtamment au-deſſus d’eux ces apparences brillantes.

Si des circonſtances particulières augmentent la quantité du fluide électrique, il rétrograde, & forcé de s’accumuler auſſi au-deſſus des régions ſituées ſous les zones tempérées, ils y produiſent encore ce phénomène qui paroît venir du nord, parce que c’eſt de ce côté que le fluide commencera s’accumuler, quoique ce ſoit réellement de l’équateur qu’il arrive. La lumière de l’aurore boréale ſuit encore les ondulations & les différens mouvemens de l’air qui compoſe les dernières couches. On peut voir ce ſentiment expoſé avec plus de détail dans le Journal de Phyſique, avril 1778. Nous expoſerons nos doutes ſur le ſyſtême ingénieux de cet habile phyſicien, après avoir rapporté auparavant le ſeconde opinion du phyſicien de Philadelphie.

11o. Second ſentiment de Franklin. Cet illuſtre phyſicien s’eſt cru enfin obligé d’abandonner ſa première hypothèſe ; & un an & demi après que j’eus lu, à l’académie des ſciences de Montpellier, qui ne fait qu’un corps avec celle de Paris, ma théorie, des aurores boréales, & après qu’elle eut été imprimée dans le journal de Phyſique, ainſi qu’on l’a vu il n’y a qu’un inſtant, il fit lire, le 14 avril 1779, à la ſéance publique de l’académie, un extrait de ſuppoſitions & de conjectures, ſur la cauſe des aurores boréales qu’on préſente ici.

1o. L’air échauffé devient plus léger que celui dont la température eſt plus froide.

2o. Devenu plus léger, il s’élève, & l’air voiſin plus froid & plus peſant le remplace.

3o. Échauffé au milieu d’une chambre par un fourneau ou par un poële, il gagne le haut & ſe répand au-deſſus de l’air plus frais, juſqu’à ce que touchant aux murailles, ces murailles plus froides le condenſent ; alors devenu plus peſant, il deſcend & prend la place de l’air froid, qui s’étoit porté vers le feu, pour occuper celle de l’air, qui s’étoit élevé des environs.

4o. Ainſi, au moyen du feu, il ſe fait une circulation continuelle de l’air qui eſt dans la chambre ; circulation, qu’on peut rendre viſible en faiſant dans cette chambre un peu de fumée, car elle prendra les mêmes directions. Entr’ouvrez une porte entre deux pièces, dont l’une ſoit échauffée & l’autre ne le ſoit pas ; préſentez ſucceſſivement une bougie au haut, au bas, & au milieu de cette porte, vous verrez un effet du même genre ; car vous reconnoîtrez par les différentes directions de la flamme, un courant d’air échauffé qui ſort de la chambre par en haut, un autre, d’air froid, qui entre par en bas, & très-peu ou point de mouvement au milieu.

5o. La nature produit ſur l’air de notre globe un effet ſemblable. — L’air échauffé entre les tropiques s’élève perpétuellement en haut, & ſa place eſt remplie par les vents du nord & du ſud, qui viennent des régions plus froides.

6o. L’air plus léger, parce qu’il est échauffé, flottant au-deſſus d’un autre plus froid & plus denſe, doit ſe répandre vers le nord & le ſud, & deſcendre près des deux pôles, pour remplir la place de celui qui s’eſt porté vers l’équateur.

7o. Il ſe fait, par-là, une circulation dans l’air de notre atmoſphère, comme dans la chambre dont nous venons de parler.

8o. En effet, les directions différentes & même oppoſées des nuages, démontrent celles des airs de différentes peſanteurs, comme celles de la fumée ou de la flamme, dans l’expérience de la chambre, ou de la porte.

9o. La grande quantité de vapeurs qui monte entre les tropiques, forme des nuages qui contiennent beaucoup d’électricité ; quelques-uns tombent en pluie avant d’arriver aux régions polaires ; d’autres paſſent à ces régions.

10o. Si l’on reçoit de la pluie dans un vaſe iſolé ou ſoutenu ſur du verre, ce vaſe ſera électriſé, car chaque goutte apporte un peu d’électricité.

11o. Il en ſera de même, ſi c’eſt de la neige ou de la grêle.

12o. L’électricité deſcendant ainſi dans les climats tempérés, eſt reçue & imbibée par la terre.

13o. Si les nuages ne ſont pas ſuffiſamment déchargés par cette opération graduelle, ils se déchargent quelquefois ſoudainement par de grands coups de tonnerre ſur la terre, qu’ils trouvent en état de recevoir leur électricité.

14o. La terre, dans les climats temperés & chauds, eſt généralement propre à la recevoir, parce qu’elle y eſt propre à la tranſmettre.

15o. Un certain degré de chaleur rend capable de tranſmettre l’électricité des corps qui, ſans ce degré, ne le ſeroient pas.

16o. Ainſi la cire devenue fluide, & le verre ramolli par la chaleur, peuvent tous les deux tranſmettre ou conduire l’électricité.

17o. L’eau a la propriété de tranſmettre l’électricité ; gelée, quoique par un froid médiocre, elle la perd en partie ; quand le froid eſt extrême, elle la perd en totalité.

18o. La neige tombant ſur la terre gélée retient ſon électricité, & elle la communique enſuite aux corps iſolés, quand après ſa chute elle eſt chaſſée par les vents.

19o. L’humidité contenue dans les nuages, qui s’élèvent de l’équateur, & qui arrivent aux régions polaires, doit y être condenſée, & tomber en neige.

20o. Le grand gâteau de glace, qui couvre éternellement ces régions, peut-être trop fortement gélé, pour permettre à l’électricité, qui deſcend avec cette neige, de pénétrer dansla terre.

21o. Cette électricité peut donc être accumulée ſur ce gâteau de glace.

22o. L’atmoſphère, qui a peut-être 3 ou 4 lieues de hauteur, étant plus peſante dans les régions polaires, que dans celles qui ſont entre les tropiques, doit y être moins élévée ; non-ſeulement par cette raiſon, mais encore parce que la force centrifuge étant moindre près des pôles, la quantité d’air & la hauteur de la colonne y font moins conſidérables ; ainſi, il doit y avoir moins de diſtance de la terre, au vuide qui eſt au-deſſus de l’atmoſphère, dans ces régions, que dans celles où la chaleur étant plus grande, la terre & la mer ne ſont pas gélées, & peuvent par-là recevoir & tranſmettre l’électricité. Dans ce cas, le fluide électrique accumulé ſur la glace, près du pôle, pénétrera plus facilement l’atmoſphère dans la direction perpendiculaire, que dans la direction horiſontale ; & on ſera d’autant plus porté à le croire, que la réſiſtance de l’air diminue graduellement, comme sa denſité, à mesure qu’on l’élève ; tandis qu’elle eſt toujours la même dans la direction horiſontale & près de la ſurface de la terre.

23o. Le vuide tranſmettant bien l’électricité, celui qui eſt au-deſſus de l’atmoſphère, la transmettra auſſi facilement, ces choſes ſuppoſées.

24o. N’eſt-il pas poſſible que la grande quantité d’électricité, portée dans les régions polaires par les nuages qui s’y raſſemblent, en ſuivant la direction des méridiens, vienne auſſi à s’y condenſer & à y tomber avec la neige ? n’eſt-il pas poſſible que l’électricité, tendant alors à pénétrer dans la terre, et ne le pouvant pas, à cauſe des glaces qui s’y oppoſent, ſe reporte en haut, comme dans une bouteille de leyde ſurchargée ; qu’elle s’ouvre un chemin à travers l’atmoſphère, peu élevée de ces régions ; qu’elle courre dans le vuide au-deſſus de l’air, & ſe dirige enfin du côté de l’équateur, en divergeant comme les méridiens, l’électricité ne ſera-t-elle pas alors très-viſible dans les endroits où elle ſera plus denſe, & ne le deviendra-t-elle pas de moins en moins à meſure que la divergence augmentera, juſqu’à ce qu’enfin elle trouve une iſſue vers la terre dans les climats plus tempérés, ou qu’elle ſe mêle avec l’air ſupérieur ; & ſi la nature opère de cette manière, n’en résultera-t-il pas, toutes les apparences des aurores boréales ?

25o. Car ces aurores paroîtront plus fréquemment en automne, aux approches de l’hiver, non-ſeulement parce que les nuits ſont plus longues dans cette ſaiſon ; mais encore, parce que dans l’été la longue préſence du ſoleil peut amollir la ſurface du grand gâteau de glace des régions polaires, & le rendre par-là plus propre à conduire l’électricité, ce qui nuira à ſon accumulation dans ces régions.

26o. L’atmoſphère des régions polaires devenant plus dense par le froid extrême, & l’humidité qui la charge étant gelée, quelque grande lumière ne peut-elle pas, pendant la nuit, rendre alors cette atmoſphère un peu viſible à ceux qui vivent dans l’air plus raréfié des latitudes moins viſibles du pôle ? & dans ce cas, quoique cette atmoſphère ſoit elle-même un cercle plein, s’étendant à 10 dégrés de latitude autour du pôle, ne doit-elle pas paroître aux ſpectateurs placés de manière à n’en voir qu’une partie, ſous la forme d’un ſegment ; la corde reſtant ſous l’horiſon, & son arc s’élevant au-deſſus plus ou moins, ſelon la latitude dont il eſt vu, ne doit-il pas paroître d’une couleur un peu obſcure, mais, aſſez tranſparente pour permettre à la vue d’appercevoir quelques étoiles au travers ?

27o. Les rayons électriques divergent entre eux par une répulſion mutuelle, à moins qu’il n’y ait quelqu’autre corps conducteur aſſez près pour les recevoir ; quand ce corps eſt plus diſtant, ces rayons divergent d’abord, mais convergent enſuite pour y entrer.

28o. Les effets du fluide électrique ne peuvent-ils pas expliquer quelques-unes de ces variétés de figures, qu’on obſerve quelquefois dans le mouvement de la matière immenſe des aurores boréales ? puiſqu’il eſt poſſible qu’en paſſant par-deſſus l’atmoſphère, ou allant du pôle vers l’équateur dans toutes les directions des méridiens, les rayons de cette matière trouvent au-deſſous d’eux, dans pluſieurs endroits de leur paſſage, des régions nébuleuſes ou d’un air humide, leſquels étant dans l’état naturel d’électricité, ou dans l’état négatif, peuvent être propres à les recevoir & à les faire converger vers elles ; que ſi ces régions sont plus ſaturées d’électricité, les rayons lumineux peuvent diverger de ces maſſes d’air, ou des nuages vers d’autres également humides, & former ainſi ces figures appelées couronnes, & les autres apparences, dont il eſt ſouvent fait mention dans les différentes deſcriptions que nous avons de l’aurore boréale.

Il ſeroit facile de montrer que l’application de pluſieurs des principes précédens ne peut être faite à l’objet préſent ; mais il ſuffira de faire remarquer que malgré la grande multitude de ces ſuppoſitions, on n’explique point la figure circulaire de l’arc lumineux, le ſegment obſcur, leurs variations, &c., ni la plûpart des effets qui caractériſent les aurores boréales.

D’un autre côté, on ſuppoſe que la terre, ſous l’équateur, & même dans les zones tempérées, eſt aſſez échauffée par le ſoleil pour devenir un conducteur du fluide électrique qui eſt dans l’intérieur du globe ; mais la chaleur du ſoleil ne pénètre qu’à une petite profondeur au-deſſus de la ſurface de la terre, comme l’expérience le prouve ; car les caves conſervent ordinairement une égale température dans les différentes ſaiſons ; & quand la chaleur du ſoleil ſe communiqueroit aux diverſes ſubſtances idioélectriques qui ſont dans le ſein de la terre, certainement elle ne les amolliroit pas, ce qui eſt néceſſaire pour les rendre conductrices, elle ne leur communiqueroit pas même un degré de chaleur approchant, &c., l’air même ſous l’équateur, & à une certaine diſtance de la ſurface de la terre, n’eſt certainement pas aſſez échauffé pour devenir conducteur du fluide électrique, &c., &c.

12o. Opinion de ceux qui attribuent l’origine de l’aurore boréale au gaz inflammable.

Les découvertes récentes qu’on a faites ſur les différentes eſpèces de gaz, & ſur-tout celui qu’on a nommé gaz inflammable, ont engagé M. Volta, phyſicien célèbre, par pluſieurs expériences ingénieuſes, principalement dans cette matière, à imaginer que ce fluide pourroit être la cauſe de l’aurore boréale. « Si nous oſions dire que les aurores boréales ſont également engendrées par l’air inflammable, raſſemblé dans la région ſupérieure de l’atmoſphère, lequel, vu l’énorme quantité qui s’en dégage continuellement de toute la ſurface de la terre, & de l’eau, & vu ſon extrême legèreté, doit ſe trouver dans cette région à une telle hauteur, & en telle doſe, qu’il y forme comme un océan, & qui, également, à cause de ſa légèreté, doit ſe trouver en plus grande quantité vers les régions polaires, vers leſquelles il eſt chaſſé par la force centrifuge prépondérante de l’air atmoſphérique pur. » Lettres de M. Volta, ſur l’air inflammable des marais, cinquième lettre, &c.

Mais cet auteur ne propoſe ce ſentiment que comme une conjecture vague à laquelle il n’attache aucune importance, « je me repens même déjà, dit-il, d’avoir oſé avancer, quoiqu’en paſſant ſeulement quelques idées qui heurtent de front, pour me ſervir de l’expreſſion de M. Kinnerfley, l’orthodoxie électrique. »

L’expérience paroît détruire de fond en comble cette conjecture ; car le gaz inflammable (hydrogène) ne peut s’allumer dans le vuide de la machine pneumatique, ni conſéquemment dans les hautes régions de l’atmoſphère, siége de l’aurore boréale, où l’air atmoſphérique eſt prodigieuſement raréfié, parce que le concours de l’air vital (gaz oxigène) eſt néceſſaire pour cette inflammation en particulier, comme pour toute inflammation en général. Voyez Gaz inflammable.

9o. Syſtème de M. l’abbé Bertholon. J’ai attribué la cauſe de l’aurore boréale à une lumière phoſphorico-électrique, ainſi que je viens de l’annoncer ci-deſſus ; mais pour procéder avec plus de certitude dans la diſcuſſion préſente, je crois qu’il eſt néceſſaire d’établir des principes indubitables qui puiſſent ſervir de baſe à tout ce que nous dirons, & de faire ſortir, ſi je puis parler ainſi, de leur combinaiſon mutuelle une explication encore plus ſimple qu’heureuſe : telle doit être la marche de toutes les ſciences.

Premier principe. L’électricité qui règne par-tout, eſt d’autant plus forte & plus abondante, qu’on s’élève plus haut. Cette aſſertion eſt prouvée par les conducteurs élevés pour recevoir l’électricité atmoſphérique, l’énergie des étincelles qu’on en tire eſt proportionnelle à la hauteur. Les cerfs-volans électriques qui donnent des étincelles & des lames de feu, leſquelles augmentent de grandeur comme les hauteurs de leur élévation achèvent de nous convaincre de la vérité de ce principe ; je me contente ici d’indiquer les expériences faites avec des cerfs-volans, par MM. de Romas, Franklin, Beccaria, Bridoine & pluſieurs autres ; on peut conſulter leurs ouvrages.

Second principe. La raréfaction de l’air eſt en raiſon de ſon élévation ; il n’eſt perſonne qui puiſſe douter de cette propoſition ; la difficulté qu’on a à reſpirer ſur les plus hautes montagnes, & les abaiſſemens du mercure dans le baromètre, en ſont des preuves inconteſtables.

Troiſième principe. Plus l’air eſt rare, plus l’électricité ſe manifeſte ſous la figure d’une lumière phoſphorique. L’expérience dépoſe hautement en faveur de cette vérité. Dans un matras vuidé d’air par le moyen de la machine pneumatique, ou dans des tuyaux vuides d’air, après avoir été ſoudés au haut du baromètre, on voit des flammes blanches, des jets de lumière, & des colonnes reſplendiſſantes agitées de mouvemens divers, dont les apparitions & les diſparitions succeſſives les rendent plus brillantes, & on croit voir le ſpectacle d’une aurore boréale. Or, le vuide de la machine pneumatique n’eſt point un vuide parfait ; un air très-raréfié y eſt contenu ; & les degrés de raréfaction ſuivent une certaine progreſſion relative au rapport de la capacité du récipient & du corps de pompe ; ce qui prouve que ce vuide n’eſt point abſolu, mais ſeulement relatif.

Quatrième principe. Le fluide électrique ſe porte naturellement des lieux où il eſt plus abondant à ceux où il l’eſt moins ; c’eſt un principe d’hydroſtatique dont on ne ſauroit douter ; & de plus, l’expérience de tous les jours le démontre. Un corps électriſé en plus, partage ſon excès d’électricité avec celui qui eſt électriſé en moins ou même avec celui qui n’a que l’électricité naturelle ; & plus le corps électriſé en moins a de denſité, plus l’attraction réciproque ou la tendance du fluide électrique vers lui eſt forte. C’eſt ainſi qu’on détermine des aigrettes & des étincelles à s’échapper du conducteur à une plus ou moins grande diſtance, en lui présentant des corps plus ou moins denses.

Cinquième principe. Le feu électrique, dans ſes différens degrés, paroît blanc, rouge, jaune, &c. En chargeant plus ou moins le carreau magique, & en le déchargeant dans ces différentes circonſtances, avec l’excitateur, on s’aperçoit de cette variété de couleurs, & conſéquemment de ces divers degrés de densité.

Sixième principe. Tout feu, toute flamme vue au travers des vapeurs & des exhalaiſons, paroît rouge, & ſur-tout la lumière phoſphorique. Çette vérité n’a pas beſoin de preuves, une expérience journalière le démontre ; mais pour m’aſſurer que la lumière diffuſe qui brille dans les vaiſſeaux de verre vuide d’air, éprouve les mêmes modifications, tandis que la machine électrique mettoit en jeu mes phoſphores électriques, je les ai vus en pluſieurs endroits d’une couleur rouge, en les regardant à travers des vapeurs & des exhalaiſons que je faiſois élever à deſſein.

C’eſt un effet de la réfraction d’où réſulte la décompoſition des rayons de lumière, ſelon la doctrine de Newton ; jetez encore les yeux dans certains temps ſur les nuages qui ſont au couchant, lorſque le ſoleil commence à diſparoître, & vous les verrez très-ſouvent teints d’une couleur rouge & vive comme du ſang, malgré l’état du jour ; c’eſt une obſervation que j’ai faite fréquemment. Les rayons du ſoleil, dans ce cas, ſont ou réfléchis, ou réfractés par les nuages.

Septième principe. La matière électrique qui eſt très-abondante dans les hautes régions, ſe porte aux pôles plutôt qu’à l’équateur, à cauſe de la vertu centrifuge qui eſt moindre vers le pôle ; ſuite néceſſaire de la rotation de la terre ſur ſon axe. Voyez les beaux théorèmes d’Huyghens & de Newton, ſur cette matière. Le fluide électrique eſt donc néceſſairement déterminé à tendre plutôt à la zone polaire que vers les régions qui répondent à la zone torride.

Huitième principe. Le fluide électrique ne ſe manifeſte jamais avec plus de force & d’abondance que dans les temps froids, dans les lieux ſeptentrionaux, & dans les endroits où le froid le plus vif règne ; il ſemble avoir pour eux quelqu’eſpèce de préférence. Cette propoſition eſt prouvée par les obſervations de M. l’abbé Chappe, à Tobolsk, & dans le reſte de la Sibérie, où il a vu des foudres plus fréquentes que dans aucune autre région ; par les obſervations d’électricité faites dans toute l’Europe, deſquelles il réſulte que la vertu électrique a plus d’énergie dans l’hiver, que dans l’été, dans les temps froids, que dans les temps chauds ; par les nouvelles expériences de M. Achard, excellent phyſicien, de l’académie de Berlin, publiées depuis peu, & deſquelles on doit conclure, que la glace ou l’eau, dans l’état de congellation, eſt très-électrique à un degré de froid conſidérable, à 27 degrés au-deſſous de zéro. Auſſi a-t-il fait toutes les expériences d’électricité avec des globes de glace, avec des bouteilles & des tableaux de glace étamés : voilà des faits nouveaux que nous connoiſſons ſeulement depuis peu, & qui confirmenr merveilleuſement ce principe.


Remarque.

Plus en s’élevant on s’éloigne de la ſurface de la terre, plus il fait froid ; voilà pourquoi le ſommet des plus hautes montagnes eſt toujours couvert de neige. À la hauteur d’environ 2 300 toiſes d’élévation au-deſſus du niveau de la mer, il n’y a aucune plante quelconque ; à celle de 2 434 toiſes ſeulement, la neige eſt perpétuelle & ne fond jamais en aucuns temps de l’année, même ſous l’équateur, ainſi que l’ont obſervé MM. Godin, Bouguer, & la Condamine, académiciens français, envoyés par ordre du roi, en 1735, pour y mesurer un degré du cercle équinoxial. Auſſi cette zone ou ceinture forme-t-elle partout une ligne de niveau relativement à la hauteur où elle ne fond plus ; & le sommet de Chimboraco, une des cordillères, dont la hauteur meſurée géométriquement eſt de 3 120 toises, eſt-il inacceſſible relativement au grand froid qui règne dans la partie de l’atmoſphère qui le couvre quoique dans la zone torride & preſque ſous la ligne. Ce froid qu’on éprouve ſur le Phitchincha, le Cotopaxi & Chimboraco & ſur les autres cordillères, montagnes du Pérou, dont l’élévation ſurpaſſe celle des plus hautes montagnes qu’il y ait dans le monde, eſt si vif, que les animaux ne peuvent y réſiſter ; il gèle les corps & les durcit tellement, qu’ils ne ſe corrompent point. Au rapport de Zarate, dans l’hiſtoire de la conquête du Pérou, (liv. III, chap. II,) « Dom Diègue d’Almagro, allant découvrir le Chili, vit périr de froid, dans ces montagnes, pluſieurs ſoldats. Lorſqu’il y repaſſa cinq mois après, au fort de l’été il trouva leurs corps encore débout appuyés contre des rochers, & tout auſſi frais que s’il n’y avoit eu que quelques momens qu’ils euſſent expiré. Il y en avoit même qui tenoient encore la bride de leurs chevaux ſur pied, dont la chair ſervit de nourriture à Almagro & à ceux qui l’accompagnoient. »


Explication de l’aurore boréale.

Le fluide électrique, par le premier, le ſecond & le troiſième principe, régnant avec plus d’abondance & de force dans les plus hautes régions de l’atmoſphère, qui s’étend au moins à deux ou trois cents lieues, ſelon les calculs de MM. de Mairan & Euler ; ce fluide doit ſe porter vers les régions baſſes de l’atmoſphère par le quatrième & premier principe, & il tendra du côté du pôle plutôt qu’à l’équateur, par le ſeptième & le huitième principe ; mais par le troiſième il se manifeſtera dans ce paſſage ſous la forme de lumière pâle, diffuſe & phoſphorique, ſemblable à celle des colonnes & des jets lumineux, comme dans le rnatras & les tubes vuides d’air. Cette lumière paroîtra brillante, blanche ou rouge, ſelon les différens degrés de denſité du fluide électrique par le cinquième principe ; & cette couleur ſera encore diverſement modifiée, relativement aux vapeurs & aux exhalaiſons répandues dans divers endroits de l’atmoſphère, conformément-au ſixième principe. Voilà ce qu’il y a d’essentiel dans ce phénomène, dont l’explication ne peut être goûtée, à moins qu’on n’ait bien préſent à l’eſprit les principes démontrés par l’expérience & l’obſervation que j’ai rapportées. Mais ſouvent des circonſtances accidentelles ou étrangères ſe mêlant à ce phénomène, très-variable en lui-même, occaſionnent des grandes différences ; c’eſt pourquoi je penſe qu’il eſt néceſſaire de donner ici le précis d’une explication plus développée.

L’aurore boréale tranquille eſt l’effet de la diſcuſſion de la lumière électrique qui eſt brillante par elle-même & qui éclaire encore les lieux voiſins par ſa ſplendeur. Cette aurore où la lumière électrique paroîtra, dès que les cauſes qui excitent l’électricité quelles qu’elles ſoient, auront lieu à-peu-près à certains égards, comme les météores ignés dépendans de ce principe : elle paroîtra ſous la forme d’un ſegment circulaire, parce qu’elle tend vers la zone polaire où ſes rayons ſemblent converger. Les parties plus baſſes de l’atmoſphère & le ſegment ſphérique polaire de notre globe, ayant à-peu-près cette figure, doivent déterminer le fluide électrique à la prendre, puiſqu’il eſt attiré par ces parties, ou qu’il y tend.

Le ſegment obſcur qu’on remarque ordinairement dans les aurores boréales, réſulte de ce que les rayons de lumière électrique aboutiſſant enfin aux parties de l’atmoſphère qui ſont plus baſſes que celles qui lui ont donné naiſſance, plus mixtes & plus hétérogènes, y paſſent comme par autant de conducteurs. On ſait, par l’expérience, que la lumière électrique ne brille point dans les corps qui la tranſmettent, mais ſeulement dans l’intervalle qui les ſépare ; or, toutes ces ſubſtances répandues dans les baſſes régions ſe touchant, il y aura une continuité des conducteurs, & par conſéquent la tranſmiſſion électrique ſe fera ſans interruption ; on ne verra donc point de lumière dans cette partie de l’atmoſphère. De plus, la figure de ce ſegment obſcur ſera concentrique au ſegment de lumière ſupérieur, ou à l’arc lumineux qui constitue l’aurore boréale, parce que ces ſubſtances mixtes & conductrices, qui ſont également répandues dans l’atmoſphère, ſelon l’ordre de leurs gravités ſpécifiques, ſont arrangées circulairement autour du globe de la terre, où elles tendent comme autant de rayons convergens.

Les nuages qui ſont quelquefois diſperſés au tour de l’horiſon & vers le nord, ſoit qu’ils s’y rencontrent par haſard, ſoit qu’ils y ſoient amoncelés par un effet de l’attraction électrique ; ces nuages que j’ai aſſez ſouvent obſervés, ſur-tout dans les grandes aurores reſplendiſſantes, augmenteront encore, comme cauſe acceſſoire, la profondeur de l’obſcurité du ſegment noir qui aura alors l’apparence d’un gouffre (chama), ſelon l’expreſſion d’Ariſtote, ou d’une foſſe, ſelon d’autres.

Le ſegment obſcur paroîtra plus ou moins grand, ſelon l’élévation du ſegment ou de l’arc lumineux qui lui eſt ſupérieur. Si celui-ci a peu de hauteur, celui-là communement ne paroîtra pas, ſoit que l’aurore boréale ſoit tranquille ou reſplendiſſante ; cependant, il peut arriver que dans cette dernière circonſtance, la ſplendeur de ce phénomène ſoit d’un tel éclat, que le ſegment noir, malgré ſon élévation, ne paroîtra point obſcur, par la grande quantité de lumière réfléchie : cet effet ſera alors purement optique.

Les colonnes de lumière, les jets reſplendiſſans, les rayons lumineux, les faiſceaux brillans qui ſemblent partir de tous les points du ſegment obſcur ou de l’arc lumineux, ſont des colonnes radieuſes, des rayons de lumière phoſphorico-électrique qui, venant des régions ſupérieures, où elle eſt plus abondante, ſe porte vers les régions inférieures, où ſa quantité eſt moindre & brille dans le vuide, c’eſt-à-dire, dans l’eſpace intermédiaire. Ces jets de lumière paroiſſent ſortir du ſegment obſcur de l’arc lumineux, parce qu’on eſt imbu du préjugé vulgaire, que cette lumière s’élève en l’air, tandis qu’elle s’élance réellement, vers la terre, préjugé qui s’évanouira dans un inſtant, ſi on fait attention qu’il eſt impoſſible de diſtinguer le point d’où partent des rayons lumineux qui ſe meuvent avec une très grande rapidité, & de connoître s’ils ſont divergens d’un centre, ou s’ils convergent en ce point. Si on doutoit de la vérité de ce que j’avance ici, on pourroit ſe rappeler qu’une étincelle qui paroît éclater entre un conducteur électrisé par un globe de ſoufre & le doigt d’une perſonne non-iſolée, ſemble partir du globe tandis qu’elle ſort réellement du doigt : le ſens de la vue n’est point aſſez ſûr ni aſſez actif pour connoître l’origine de ce mouvement.

Mais ces colonnes de feu & ces jets de lumière s’élançant ſucceſſivement, s’éteignant un inſtant pour reparoître enſuite avec plus d’éclat, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, comme dans les matras & les tubes vuides d’air & animés par l’électricité, formeront le ſpectacle le plus varié, & le plus magnifique qu’on puiſſe imaginer ; en un mot, une aurore boréale reſplendiſſante. Les intervalles qui ſe trouvent néceſſairement entre différens jets de lumière convergens vers un arc, doivent produire des crénaux ou des bandes obſcures qui peuvent varier à l’infini, & devenir de plus en plus réguliers par les combinaiſons de cette cauſe avec pluſieurs autres circonſtances accidentelles, telles, par exemple, que les nuages dont nous avons parlé.

Des jets de lumières réunis vers le zénith, ou qui paroiſſent tels, repréſenteront une eſpèce de dôme, de couronne, ou de pavillon, effet optique de la convergence réelle ou apparente de pluſieurs rayons de lumière. Ces colonnes & ces faiſceaux lumineux, agités de mouvemens divers, prendront mille formes différentes, ſelon la manière de voir ; & ces formes fugitives, produiſant des impreſſions qui ne peuvent que ſe conſondre avec celles qui leur ſuccèdent, changeront pluſieurs circonſtances de ce phénomène en des réſultats optico-électriques ; c’eſt une obſervation que les phyſiciens ne paroiſſent pas avoir aſſez faite juſqu’à préſent. Mais l’endroit de la grande pompe & de ſa ſplendeur la plus éclatante ſera du côté du pôle ; parce que c’eſt là, comme nous l’avons prouvé ; où le fluide électrique eſt en plus grande abondance, & a plus de force & d’énergie ; la force tangentielle ou centrifuge y étant beaucoup moindre.

Ce brillant ſpectacle nous paroîtra fort proche de la terre, quoique le ſiége en ſoit très-éloigné ; la raiſon en eſt que, ne pouvant connoître la diſtance des objets placés à une grande diſtance que par les objets intermédiaires, les angles optiques étant nuls dans ces ſortes d’occaſions, nous jugeons que cet appareil lumineux eſt dans la moyenne région de l’air, parce que nous ne découvrons aucun objet viſible dans l’intervalle qui nous sépare du lieu de la ſcène, placé à des diſtances très-grandes de la ſurface de la terre, comme il conſte par le calcul & la trigonométrie.

Pluſieurs aurores boréales ont été vues par des obſervateurs placés en différentes villes très-éloignées, & conſéquemment ont eu une parallaxe très ſenſible ; par exemple, l’aurore boréale du 12 ſeptembre 1621, obſervée par Gaſſendi, en Provence ; par Bouillaud, à Loudun ; par Galilée, à Veniſe ; & par d’autres, à Alep en Syrie ; celle du 17 mars 1716 dans les parties méridionales, & dans les contrées ſeptentrionales de l’Europe ; celle ſur-tout du 19 octobre 1726, qui parut à Pétersbourg, Varſovie, Rome, Lisbonne, &c. ; or, de cette parallaxe très-ſenſible qui nous repréſente l’aurore boréale à différentes élévations, on conclut que la hauteur de ce phénomène eſt au moins, dans certains cas, à 266 lieues de diſtance, les élémens du calcul mis ſur le plus bas pied ; dans d’autres, à plus de 300 lieues d’élévation, même ſelon différentes méthodes. On peut conſulter, ſur cet objet, l’ouvrage de l’illustre M. de Mairan. M. Euler, ce grand géomètre, place le ſiége de l’aurore boréale à une diſtance encore bien plus grande : voyez les Mémoires de Berlin ; il eſt difficile de ſe refuſer aux preuves que le calcul trigonométrique fournit à ces ſavans du premier ordre.

Si à toutes les preuves que je viens de donner, on ajoute les inductions qu’il eſt permis de tirer de l’augmentation de l’électricité artificielle, dans les temps des aurores boréales, les étincelles électriques qu’on obtient des pointes iſolées en l’air, & les obſervations des feux volans ou étoiles tombantes, eſpèces de phénomènes électriques que j’ai eu occaſion de remarquer, & notamment pendant l’apparition de la belle aurore boréale du 3 décembre 1777, dont j’ai donné une deſcription très circonſtanciée, on aura, je crois, le dernier degré de vraiſemblance qu’il ſoit permis d’atteindre.

Dans l’aurore boréale du 20 février 1780, que j’obſervai à Béziers, depuis ſix heures & quart environ, juſqu’à neuf heures & quart, la machine électrique fut plus forte, & donna de meilleures étincelles que pluſieurs heures avant l’apparition de ce phénomène, quoique le vent fût le même ; & ces étincelles me ſemblèrent encore plus vives vers le milieu, & principalement vers la fin de ce phénomène ; j’éprouvai auſſi la force de l’électrophore, qui me parut plus grande. Les phoſphores électriques, animés par l’électricité artificielle, devinrent plus brillans que dans les autres circonſtances. Le baromètre étoit à 28 pouces une ligne de hauteur, & le thermomètre de Réaumur à ſept degrés & demi au deſſus de la congélation. Je vis encore dans le ciel ces feux volans qu’on nomme étoiles errantes.

Pendant l’apparition de l’aurore boréale du 15 février 1781, ſur les 8 heures & demie du ſoir, je remarquai encore que l’électricité de la machine électrique fut plus forte, ainſi que celle des électrophores & des phoſphores électriques ou tubes vuides d’air.

Pluſieurs autres phyſiciens, & entr’autres MM. Canton & Volta en ont également aperçu qui étoient plus forts qu’à l’ordinaire. Ce dernier s’exprime ainſi : « j’en doutois très-fort moi-même ; mais aujourd’hui je regarde la choſe comme certaine, & je puis dire l’avoir vue & touchée, pour ainſi dire, avec la main. Dans cette belle aurore qui parut la nuit du 28 au 29 juillet de l’année 1780, au moment où s’élevant peu à peu de l’horiſon, elle parvint au zénith, entre les 4 & 5 heures d’Italie, répandant de toutes parts une lumière rougeâtre dans un ciel ſerein, & d’ailleurs venteux ; on obtint d’un conducteur atmoſphérique ordinaire, à l’aide de mon condenſateur, pluſieurs belles petites étincelles claires & pétillantes ; au lieu que dans les autres temps ſereins, à quelque heure que ce ſoit du jour ou de la nuit, le conducteur, même en y joignant le condensateur, ne donne pas des étincelles, ou il n’en donne qu’une très-petite, les ſignes d’électricité le réduiſant le plus ſouvent à la petite agitation d’un pendule très légere. Ce n’eſt pas moi qui fit l’obſervation dans la nuit éclairée par la belle aurore boréale, dont je viens de parler ; mais un Chanoine de mes amis, M. Gattoni, avec qui je fais ſouvent des expériences, & qui a chez lui le conducteur dont j’ai fait mention. » Comme ce conducteur n’eſt ni fort élevé, ni dans une poſition bien avantageuſe, il eſt rare que ſans le condenſateur, il donne des ſignes électriques, à moins que ce ne ſoit dans un orage ou dans une pluie extraordinairement forte.

M. le Monnier, dans ſes loix du magnétisſe parle auſſi de l’abondance & du jeu du fluide électrique au temps des aurores boréales, que l’on reconnoît avec les piques & les aiguilles électriques. M. de la Lande dit encore dans ſon aſtronomie que les aurores boréales électriſent des pointes iſolées, placées dans de grands tubes de verre.

Mais pour achever de donner le dernier degré de conviction dans cette matière, je vais décrire en peu de mots quelques expériences d’électricité qui repréſentent l’aurore boréale, & montrent que ce météore ne dépend, ainſi que je l’ai prouvé dans mon explication, que du fluide électrique dans un grand degré de raréfaction, tel qu’il eſt dans le vuide & dans les hautes régions de l’atmoſphère.

Soit le tube M, figure 129. Vuide d’air & fermé hermétiquement par ſon extrémité ſupérieure ; dès qu’on l’approche d’une machine électrique en mouvement, on voit dans toute ſa capacité intérieure une belle lumière phoſphorico-électrique, blanchâtre & agitée de divers mouvemens. Si on arrange pluſieurs tubes, préparés de cette manière, c’eſt-à-dire privés d’air & enſuite fermés à la lampe de l’émailleur ; ſi on les diſpoſe comme on le voit dans la figure 130, l’apparence en eſt plus brillante, elle reſſemble à un ſoleil, & peut représenter le ſommet d’une coupole ou pavillon d’aurore boréale. Ces dix tubes ſont fixés par une de leurs extrémités dans des trous pratiqués à la circonférence d’un diſque circulaire de cuivre ; à quelque diſtance ils ſont ſoutenus par un gros fil de métal plié circulairerement ; & tout l’appareil eſt porté par une tige & un pied convenable. On approche le diſque qui eſt au centre, du premier conducteur d’une machine électrique miſe en jeu, & on tire des étincelles du fil de métal circulaire ; ou bien on ſuſpend au ſecond conducteur de la machine électrique cet appareil par le fil circulaire, & on excite des étincelles de la partie oppoſée de ce fil de métal. Alors on apperçoit une lumière diffuſe & phoſphorique ; agitée de mouvemens alternatifs, & qui remplit toute la capacité de ces tubes. Il ſuffit même pour obtenir cet effet d’approcher ces tubes d’un corps électriſé. L’appareil de la figure 131 repréſente encore mieux le ſpectacle d’une aurore boréale ; il n’eſt compoſé que d’un demi diſque de métal ſurmonté de neuf tubes de verre, vuides d’air comme le précédent ; cette moitié de cercle n’étant aucunement lumineuſe déſigne le ſegment obſcur des aurores boréales, & les tubes indiquent les colonnes, les rayons & les jets lumineux. Lorsqu’on veut que la reſſemblance ſoit complette, on fait courber en demi circonférence un tube de verre vuide, d’air & on ſe place immédiatement ſur le ſegment, comme je l’ai fait pratiquer à l’appareil que je montre dans mes cours publics de phyſique.

Les phoſpores électriques font toujours voir une belle lumière blanchâtre & oscillante, s’il eſt permis de parler ainſi, lorſqu’ils contiennent une portion de mercure, comme on le voit dans les figures 132 & 133, & qu’on les remue pour agiter le mercure ; le ſimple frottement du vif argent contre les parois du tube fait briller cette lumière tremblottante, c’eſt-à-dire cette lumière alternativement mêlée d’obscurité, c’est ce qu’on a tâché de repréſenter dans les figures 133, 130 & 131. La figure 134 préſente un grand matras armé d’une virole G & d’un robinet I, qu’on vuide d’air par le moyen de la machine pneumatique, & qui fait également voir une très-belle lumière phoſphorico-électrique, lorſqu’on approche le bouton K, d’un conducteur électrique. Toute la capacité de ce matras H G, eſt remplie de lumière électrique. La figure 135 montre un grand tube qu’on vuide également d’air en l’appliquant à la tétine de la machine pneumatique, on le ſuſpend enſuite par ſon crochet au ſecond conducteur, & comme dans l’intérieur il y a, près de chaque extrémité, une petite tige ſurmontée d’une boule de cuivre, on voit le feu électrique ſortir de la boule ſupérieure, traverſer toute la capacité, & entrer enſuite dans la boule inférieure. La figure 136 repréſente un grand-récipient Α, Α, E, F, viſé ſur la tétine de la machine pneumatique, ſon robinet G étant fermé après que l’air a été évacué du récipient. On a maſtiqué dans l’intérieur & au haut du récipient un petit matras B, C à moitié plein d’eau ; la tige D, C, Y plonge ; de ſorte que ce matras avec ſa tubulure, & la tige eſt une véritable bouteille de Leyde, armée de ſon crochet & électriſée, parce qu’elle eſt en contact avec le conducteur électrique D E. Le fluide électrique ſort de la ſurface extérieure du matras & ſe répand dans l’intérieur du récipient à meſure que le fluide électrique entre dans l’intérieur du matras. On aperçoit des gerbes lumineuſes, de larges & belles aigrettes qui ſe ſuccèdent dans le récipient, & qui produiſent un effet admirable.

L’expérience ſuivante imite encore très-bien l’aurore boréale : ſoit un récipient R de machine pneumatique, figure 137, garni à ſon goulot d’une virole V, d’une boîte à cuir C, d’une tige de cuivre T T, qui traverſe la boîte à cuir C, & le récipient R. Cette tige par ſon extrémité inférieure ſe viſſe à un petit écrou E, qui eſt au milieu d’une eſpèce de croiſſant de métal, dont le bord intérieur porte des pointes angulaires ; de plus, on place ſur la machine pneumatique le ſegment circulaire S, S, ſupporté par deux petits pieds à patte ; ce ſegment circulaire a ſur ſon bord des eſpèces de dents ou pointes angulaires, correſpondantes à celles du croiſſant. Le bout étant ainſi en place ſur la platine de la machine pneumatique, dès qu’on électriſe l’anneau de la tige T, T, de la boîte à cuir, on voit tout l’intérieur du récipient, après qu’on en a pompé l’air, rempli d’une ſuperbe lumière ; & on obſerve des jets de feu s’élancer des pointes du croiſſant à celles du ſegment inférieur qui eſt ſur la platine de la machine pneumatique. Ces jets, ces colonnes lumineuſes, ces rayons brillans reſſemblent parfaitement à ceux de l’aurore boréale, qui s’élancent du haut de l’atmoſphère où l’air eſt très-raréfié, ſur le globe de la terre qui eſt ici déſigné par le ſegment circulaire, comme le haut de l’atmoſphère l’eſt par le croiſſant. Les pointes angulaires ſont miſes ici pour donner de la régularité aux rayons, & augmenter, s’il eſt poſſible, la magnificence du ſpectacle. Lorſqu’on a conſidéré attentivement les différentes circonſtances de cette expérience, & l’exacte reſſemblance qu’il y a entre elle & l’aurore boréale, qui eſt dans les cieux, on ne peut s’empêcher d’être entièrement perſuadé que l’aurore boréale eſt un phénomène électrique, ainſi que je l’ai expliqué ci-deſſus. Tous ceux qui ont vu cette expérience imitative que j’ai imaginée, il y a déjà pluſieurs années, en ſont entièrement convaincus. Pluſieurs ſavans diſtingués ont adopté l’explication que j’ai donnée de l’aurore boréale. Je pourrois citer ici un grand nombre de témoignages d’approbation, ſi je ne craignois de donner trop d’étendue à cet article ; je me bornerai à un ſeul.

En parlant de l’aurore boréale, M. Hervielle dit : « Je ne connois que M. l’abbé Bertholon qui ait traité cette matière avec l’étendue qu’elle mérite, dans ſon électricité des météores. La méthode de ce célèbre phyſicien me paroît mériter les plus grands éloges. Son explication renferme un très-grand nombre d’idées heureuſes, de principes clairs, vrais, & d’une application facile. Ses expériences imitatives ſont très-ingénieuſes & rempliſſent à merveille leur but. » Journal de phyſique, juin 1790, pag. 443.