Encyclopédie moderne/1re éd., 1823/Abyssins (religion)

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ABYSSINS. (Religion.) Les Abyssins, avant leur conversion, adoraient les dieux des sabéens, avec lesquels ou croit qu’ils out une origine commune. Ils ont été appelés au christianisme par Frumentius, que saint Athanase leur donna pour premier évêque. Leur croyance, dégénérée de la pureté primitive, se rapproche de celle des protestants ; ils admettent, comme profession de foi, le symbole de Nicée, et non celui des apôtres : ils rejettent la tradition, ne reçoivent comme parole de Dieu que les saintes écritures, avouent les canons et les constitutions apostoliques, nient le purgatoire, ne prient pas pour leurs morts, révèrent le pape, sans croire à sa primauté de droit divin, et traitent les orthodoxes d’hérétiques.

A l’exemple de quelques premiers chrétiens, les Abyssins observent le samedi ou sabbat aussi religieusement que le dimanche ; de là leur carême, qui est très rigoureux, commence dix jours plus tôt que celui de l’église romaine, avec la même durée, parce qu’ils ne jeûnent ni le samedi ni le dimanche, et que le samedi saint n’en fait point partie. Ils croient que nos âmes émanent de celle d’Adam, et ne seront heureuses qu’après la résurrection générale. Ils honorent la sainte Vierge, en ardents adversaires de Nestorius, qui, comme on sait, ne voulait pas qu’on la nommât la mère de Dieu ; ils invoquent les anges et les saints ; ils ont en horreur les statues et les bas-reliefs qui les représentent. Aussi ne voit-on que leurs images en peinture et la croix dans leurs temples, où ils n’entrent jamais sans y porter quelque offrande. Ils ont enfin une vénération extraordinaire pour l’archange saint Michel. Leur grande fête est celle de l’Epiphanie, qu’ils célèbrent tous les ans avec beaucoup de pompe, le 11 janvier. Leur ère date de la 19e année de Dioclétien, et de la 302e de l’ère vulgaire.

Les moines abyssins n’ont pas la faculté de mendier : leurs prêtres sont mariés ; ils célèbrent le mystère de l’Eucharistie sur une table et non devant un autel. Ils ne conservent pas le pain sacré, et ne l’exposent jamais à l’adoration. Ils administrent la communion sous les deux espèces et la donnent aux enfants. En prononçant l’absolution des fautes, ils frappent le pénitent sur l’épaule avec un rameau d’olivier.

Le patriarche ou prélat suprême a le nom d’Abuna, notre père. Ce n’est point lui, mais l’empereur ou grand négus, qui a la nomination des évéchés et de tous les bénéfices. A sa mort, le prince s’empare des biens et des revenus du patriarcat. Ce patriarche dépendait autrefois de celui d’Alexandrie ; il n’en relève à présent que sous quelques rapports de déférence et d’égards religieux : ainsi le patriarche d’Alexandrie est nommé avant lui dans quelques prières. Tous les sept ans il fait et bénit le chrisme et l’envoie en Abyssinie. Comme lui, le patriarche et l’église des Abyssins sont jacobites eutychiens, et honorent les trois saints de cette secte : Dioscore, patriarche d’Alexandrie, successeur de saint Cyrille ; Sévère ; et Jacob ou Jacques, Syrien d’origine, qui contribua beaucoup dans l’Orienl à la propagation de la doctrine d’Eutychès. Les jacobites appellent melchites ou royalistes les catholiques romains, parce qu’ils prétendent que le concile de Chalcédoine ne condamna Eutychès que par l’influence du pouvoir impérial. Le mot melchi en syriaque et en hébreu signifie roi.

Les Abyssins n’observent plus autant qu’autrefois la cérémonie de la circoncision, quoiqu’il ne paraisse pas qu’elle ait jamais eu parmi eux un caractère religieux. Grotius prétend qu’ils avaient pris cet usage des enfants de Céthura, l’une des femmes d’Abraham, qui s’étaient établis en Ethiopie. Hérodote raconte que la circoncision existait chez tes Ethiopiens de temps immémorial. Aussi le jésuite espagnol Suarès admet-il les Abyssins à la communion catholique, quoiqu’ils s’obstinent à retenir la circoncision, parce qu’il n’est pas constant qu’ils la regardent comme un article de foi.

Les Abyssins étaient dans une situation prospère et tranquille, quand tout à coup des troubles religieux et politiques survinrent pour les diviser. Le parti faible invoqua le secours des Portugais, qui contribuèrent à les pacifier et leur donnèrent un des leurs pour patriarche. C’était un médecin appelé Bermude, qui demanda à l’empereur abyssin un serment d’obéissance au pape, et, sans trop de ménagement pour un prince encore schismatique, l’exigea avec une instance et d’un ton qui déplurent. Il fut chassé : un moment soutenu par ses compatriotes, il ralluma les troubles ; mais, obligé de fuir de l’Ethiopie, il laissa son siège à Oviédo, qui, rappelé par le pape, lui demanda des troupes au lieu de lui obéir, et lui promit la conquête des états de Mosambique et de Sofala à la religion catholique. Les jésuites, entrés avec lui chez les Abyssins, leur donnèrent la première idée des missions ; ils eurent plus de succès. Oviédo mourut sans réaliser ses projets.

Presque en même temps, le sultan Segud envahit l’autorité suprême ; ses violences lui avaient aliéné ses nouveaux sujets. Il sentit la nécessité d’un appui ; les Portugais le lui offrirent par l’organe d’un missionnaire, à condition qu’il favoriserait la religion catholique, et il accepta. La dispute des deux natures de Jésus-Christ amena des excès de part et d’autre ; et peut-être Segud sacrifia-t-il avec une aveugle cruauté à l’exaltation des opinions religieuses. La doctrine apostolique dut être adoptée par tous ses sujets, sous peine de la vie. Les troubles furent graves et sanglants. Segud éprouva le besoin d’y mettre un terme : il déféra sans effort à l’avis des grands qui soutenaient que la contestation engagée était plus du ressort des théologiens que d’un peuple qui ne la défendait ou ne la repoussait qu’en couvrant de morts les champs de bataille ; et la liberté du culte et des sentiments religieux admise par ce prince arrêta l’effusion du sang. L’Abyssinie célébra par des transports de joie le rétablissement de l’ordre et de la paix qui furent les suites de cette tolérance.

La mort de Segud eut lieu peu de temps après, et fit passer la puissance entre les mains de Basilide, qui, épouvanté des souvenirs du passé, exila le patriarche { catolique Mendès, refusa de céder aux prières qu’il lui adressa pour rentrer dans son siège, bien qu’il promit de n’élever jamais qu’avec les savants de la nation la discussion du dogme qui avait été la source de tant de maux, et finit par l’exclure tout à fait de ses états quand il fut instruit que ce prélat cherchait à lui susciter une guerre avec le vice-roi des Indes. Cette précaution dissipa toutes les inquiétudes du prince, et ne permit plus de retour aux dissensions des sujets.

B...T.