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Endehors/Japonisme

La bibliothèque libre.
Chamuel (p. 159-163).


Japonisme


Je connais des masses de gens qui raffolent des crépons chinois, des bibelots du Cambodge — décoration non comprise — et des katanas japonais. C’est une passionnette très répandue et qui devient rarement dangereuse.

Les Asiatiques sont à la mode. Ils vendent un tas d’anodines choses dans des bazars pas trop chers. Ils fabriquent les masques de bois aux visages contorsionnés, yeux sortant en boules de loto, bouche tordue ombrée de crins, ces masques qui sont la joie, l’honneur même des ateliers, ces masques rares qu’on retrouve partout, chez les peintres nos amis, à côté d’une tête de mort et d’un vieux fusil à pierre — ensemble évocateur s’il en fut, et qui toujours décèle une belle âme éprise des arts.

De plus, à ces créations d’un domaine si élevé, ils joignent d’autres petits commerces qui les rendent tout à fait populaires, c’est eux aussi qui jouent Pouss’-pouss’.

Les Orientaux sont, à Paris, les bienvenus.


Par exemple, où ils le seraient moins, les bienvenus, c’est en Russie ; ce que nos puissants alliés les portent dans le cœur, ce n’est rien de le signaler.

Aussi, n’imagine-t-on pas la persistance qu’on met là-bas, au pays du thé et de l’opium, particulièrement au Japon, à tenter de massacrer l’impérial touriste, héritier présomptif des tsars.

C’est la troisième fois qu’on essaye de l’anéantir. Trois fois en quelques semaines de voyage, exagération — même pour un grand personnage.


Un détail montre combien les Japonais sont dans le mouvement : l’auteur de la dernière tentative était un agent de police.

Les journaux expliquent que cette espèce de sergent de ville appartient à la secte des samouraï qui est, assure-t-on, coutumière du fait.

Sont-ce également des samouraï sans le savoir, les excellents gardiens de la paix que nous voyons si zélés les jours de manifestations ?

La classification serait frappante.


Et puis non, ce n’est pas sérieux, car les journaux nous apprennent en outre que la secte des samouraï est guidée par un but exclusif de haine pour les étrangers.

Ce n’est point le cas de nos agents qui témoignent une préférence marquée pour le passage à tabac des compatriotes.


Ne discutons pas.

On prétend, on imprime partout que c’est dans un mouvement de fanatisme que le policier a voulu, d’un coup de sabre, exterminer le tsarewitch. Si c’est du mot « fanatisme » que l’on commente le patriotisme primitif des citoyens pointilleux, nous allons bientôt nous entendre.

Il n’y a qu’une généralisation à faire.

Fanatisme aussi, toutes les déclamations de la chauvinerie ! Qu’on l’avoue et nous serons d’accord.

Mais on n’en voudra pas convenir. C’est au Japon, uniquement, que la pensée nationale surexcitée mérite d’être ainsi qualifiée. En Europe, cet affolement spécial s’appelle la religion du Drapeau.


Et si l’on me dit : au moins ici on ne fait pas fonctionner le sabre — je rappellerai que l’agresseur exotique était un sergent de ville, et que, sous nos climats gris, quand ces messieurs-là s’y mettent, ils joignent d’ordinaire au coupe-choux le revolver d’ordonnance.

Une chose reste :

Les samouraï sont des lascars qui ont le culte de leur pays, ils sont de plusieurs siècles antérieurs à la Ligue des Patriotes.

Et en y réfléchissant un peu, par ces temps épris des bibelots de bazars et des masques contorsionnés, on en arrive à se poser un point d’interrogation falot :

— Si pourtant l’allure Déroulède était une façon de japonisme ?