Endehors/L’Impossible suicide
L’Impossible suicide
Il est, cette semaine, un coup de revolver dont tous les échos du monde ont répercuté le son.
Les chroniqueurs de partout et les politiques d’ailleurs, depuis le bas-bleu — sensible à la ligne — jusqu’au faiseur implacable, tous et toutes, avec des mines de jongleurs misérables, se sont renvoyé la balle — la balle sanglante qui traversa les tempes de Boulanger.
L’homme est fini. Sur la tombe de la maîtresse, l’amant s’est tué. Celui que des foules avaient voulu porter sur le pavois s’est promu plus haut, dans le néant.
On pourra nommer cette mort le dernier truc d’un cabotin, rappeler Werther, cet acte ultime ne ridiculisera pas le disparu.
Il y a dans ce tragique naufrage comme une beauté décorative ; le suicidé du cimetière d’Ixelles ne part pas sans le geste humain qui impressionne. Et, apparaissent, ces jours et ces nuits de poignantes douleurs dans la chambre ou s’était évanouie la tant aimée. Ces jours où, la tête en les mains, il ponctuait de sanglots les minutes que, si lentement, devait compter l’horloge. Ces nuits hallucinées où, sur le lit vide, il s’abattait, cherchant, à doigts crispés, l’ombre de la chère morte. Et la pitié vous prend. Et les tortures de Georges éloignent la vision des exploits du soldat.
Car, on ne l’a pas dit, c’est le général, le soldat, qui était odieux.
Qu’un homme, voire même un prétendant, essaye de jeter par terre le gouvernement qui sévit, nous ne pouvons guère craindre de perdre au change. Ces questions ne nous passionnent. Ce que nous haïssons avant le reste, c’est le militarisme souteneur de l’Autorité, c’est la soldatesque galonnée, cette aristocratie de garde-chiourmes et de bourreaux.
Et alors, on songe aux conseils de guerre et aux exécutions sommaires, aux larmes et au sang que ce chef — qui vient de pleurer et de saigner — a fait répandre lui-même.
On se ressaisit. On ne s’acharne pas sur le cadavre du général tombé moins banalement, en somme, qu’en un champ de carnage ; mais on songe, les poings serrés, à d’autres généraux, bien vivants ceux-là — férocement vivants — et prêts, pour demain, à toutes les fusillades…
On entrevoit l’anguleuse silhouette du Galliffet !
Les massacres de la Semaine Sanglante reviennent à la mémoire. Les horreurs des répressions à la mitrailleuse remontent au souvenir. Les enfants et les femmes et les jeunes hommes et les vieillards victimes de 71 crient le Rappelez-vous !
Et l’on imagine que le jour où les causes justes triompheraient (quelle hypothèse !), où, conscients de leur droit à la vie, les déshérités se seraient fait une place au soleil, le jour où, à son tour — et pour ne parler que de lui — le Galliffet aurait perdu la partie, ce jour-là le général-marquis ne devrait pas compter sur le refuge du poétique suicide.
C’est impossible.
Plus maculé que les plus honnis, il est un fusilleur typique qui ne s’esquiverait point dans un romanesque décès.
Galliffet ne se brûlerait pas la cervelle, on lui casserait la tête.